Corneille : un théâtre où la vie est un jeu
I. Scène théatrale et parties de jeu

sous la direction de Liliane Picciola

no 1, 2021

À la mémoire de Jean-Claude Guézennec

 

Corneille présent 1/2021

Troisième partie : De la compatibilité de l’héroïsme et du jeu

Prélude : une théorie du héros-joueur selon le jésuite Gracián

Liliane Picciola


Texte intégral

1L’orfèvre en matière de leçons d’héroïsme, guerrier, courtisan, politique, fut assurément Gracián, dont le prestige a été évoqué plus haut et dont les Français cultivés lisaient en espagnol El heroe (1637) – Le héros –, El Discreto (1646) – L’honnête homme –, Oráculo manual y el arte de prudencia (1647) – Oracle manuel et art de la prudence1 –, certaines de ses œuvres ayant par ailleurs été traduites en français2. De plus, le protecteur et promoteur de Gracián en Espagne, Vicente Juan de Lastanosa, correspondait avec Gaston d’Orléans, dont l’émissaire, Du Fargis, avait tenté, en 1632-1633, d’élaborer une alliance entre l’Espagne et le frère du roi français. Clément Rosset évoque ainsi la conception que Gracián a du héros et sa manière de le pousser à l’action :

[…] le héros possède l’art de saisir les occasions, selon une technique qui n’est pas de prévision mais plutôt d’intuition de l’opportunité au moment où celle-ci se présente – technique d’inspiration directement sophistique. La maîtrise des circonstances ne consiste pas à façonner les circonstances mais à savoir les exploiter de la manière la plus rentable ; elle évoque l’art du jeu de cartes, auquel se réfère souvent l’imagerie de Gracián. Le joueur n’est pas plus libre de ses cartes que l’homme ne régit les circonstances de sa vie ; mais son habileté consiste à exploiter son jeu selon les aléas de la partie : à savoir écarter les mauvaises cartes quand il le faut, et à jouer la bonne carte au bon moment. Le jeu de cartes est ainsi une miniaturisation exacte de ce qu’est la vie pour Gracián, et de ce que doit être la conduite dans la vie. Ce qui est imposé à l’homme est le hasard – ce qui est de son ressort est l’artifice : le héros gracianesque est celui qui répond au hasard par un maximum d’artifice. Maîtrise, enfin, de la mobilité : c’est-à-dire art de se mouvoir dans l’instable et le fragile3.

2En effet, dans ses divers ouvrages éthiques, Gracián inculque à son lecteur un art de conduire sa vie selon sa haute condition et, pour mieux se faire comprendre, il recourt très souvent à l’évocation des attitudes qu’il convient d’observer dans tel ou tel jeu, les Espagnols en raffolant plus encore que les Français. Nous avons vu plus haut combien les enseignants jésuites français mettaient à profit les jeux sportifs et intellectuels dans leurs collèges. Loin de postuler que tous aient lu les ouvrages de Baltasar Gracián comme le Père Bouhours, nous pensons en revanche que leur pédagogie morale était proche de celle du brillant Espagnol et que les élèves de leurs collèges, tel Corneille, pensaient dans des termes proches la trajectoire héroïque des Grands, auxquels réfèrent toujours peu ou prou les protagonistes cornéliens.

3Gracián donne à ses éminents lecteurs des conseils de prudence au jeu de la carrière :

Tout moteur instable a sa progression et sa déclination. D’aucuns ajoutent qu’il a encore un autre état, celui de l’instabilité continue. Il est d’une grande prévoyance de savoir prévenir l’immanquable déviation d’une roue continuellement mobile. C’est une adresse de bon joueur que de savoir se retirer en gain, alors que la prospérité n’est qu’un jeu, et le malheur une si grande réalité. Mieux vaut prendre congé que d’attendre encore de la fortune quelque heureux coup, car il lui arrive souvent de vous enlever en une fois le gain de nombreuses parties4 (El heroe, XI, « Que le héros sache se retirer quand la fortune l’a mis en gain »).

Savoir se modérer dans la bonne fortune. C’est un coup de bon joueur en fait de réputation. Une belle retraite vaut bien une belle entreprise. Quand on a réalisé de grands exploits, il en faut mettre la gloire à couvert en se retirant du jeu. Une prospérité continue a toujours été suspecte ; celle qui est entremêlée est plus sûre : un peu d’aigre-doux la fait trouver meilleure5 (Oráculo manual, xxxviii).

4Ce qui domine, ce sont les conseils de dissimulation et de ruse :

Masquer ses volontés. Les passions sont les brèches de l’esprit. La science du plus grand usage est l’art de dissimuler. Celui qui montre son jeu risque de perdre. Que la circonspection combatte contre la curiosité. À ces gens qui épluchent de si près les paroles, couvre ton cœur d’une haie de défiance et de réserve6 (Oráculo manual, xcviii).

Conduire ses affaires avec suspens. L’admiration que l’on a pour la nouveauté est ce qui fait estimer les succès. Il n’y a point d’utilité, ni de plaisir, à jouer à jeu découvert. De ne se pas déclarer incontinent, c’est le moyen de tenir les esprits en suspens, surtout dans les choses importantes, qui font l’objet de l’attente universelle. Cela fait croire qu’il y a du mystère en tout, et le secret excite la vénération7 (Oráculo manual, iii)

[…] Que l’homme avisé s’applique donc à lutter d’adresse avec la curiosité de celui qui s’attache à le connaître, curiosité qui, d’ordinaire, redouble aux débuts d’une entreprise (El Heroe, I, « Que le héros doit s’appliquer à rendre sa capacité impénétrable8 »)

Agir par intention tantôt seconde, tantôt première. Celui donc qui veut se garder d’être trompé prévient la ruse de son compagnon par de bonnes réflexions. Il entend toujours le contraire de ce qu’on veut qu’il entende, et, par là, il découvre incontinent la feinte. Il laisse passer le premier coup, pour attendre de pied ferme le second, ou le troisième. Et puis, quand son artifice est connu, il raffine sa dissimulation, en se servant de la vérité même pour tromper. Il change de jeu et de batterie, pour changer de ruse. Son artifice est de n’en avoir plus, et toute sa finesse est de passer de la dissimulation précédente à la candeur. Celui qui l’observe, et qui a de la pénétration, connaissant l’adresse de son rival, se tient sur ses gardes, et découvre les ténèbres revêtues de la lumière9 (Oráculo manual, xiii).

5Néanmoins, même en pratiquant la ruse, il faut se montrer prudent, réfléchir sur sa vie de grand seigneur comme on réfléchit sur la meilleure manière de jouer sa main aux cartes :

User de variations dans l’exécution. Il ne faut pas aussi toujours ruser, car, au second coup, la ruse serait découverte. La malice est aux aguets, il faut beaucoup d’adresse pour se défaire d’elle. Le fin joueur ne joue jamais la carte qu’attend son adversaire, encore moins celle qu’il désire10 (Oráculo manual, xvii).

6Gracián recommande aussi de faire preuve d’observation et de sagacité, en choisissant aussi bien ses amis que ses cartes et en s’entourant comme dans une partie :

Connaître les gens heureux, pour s’en servir ; et les malheureux, pour s’en écarter. D’ordinaire, le malheur est un effet de la folie ; et il n’y a point de contagion plus dangereuse que celle des malheureux. Il ne faut jamais ouvrir la porte au moindre mal, car il en vient toujours d’autres après, et même de plus grands qui sont en embuscade. La vraie science au jeu est de savoir écarter ; la plus basse de la couleur qui tourne vaut mieux que la plus haute de la partie précédente. Dans le doute, il n’y a rien de meilleur que de s’adresser aux sages ; tôt ou tard on s’en trouvera bien11 (Oráculo manual, xxxi).

D’ordinaire, la bonne et la mauvaise fortune se communiquent à vous par l’entourage. L’homme habile doit donc faire attention à être bien entouré, et savoir, dans ce jeu de triomphe12, tantôt répondre à la carte, tantôt écarter, toujours avec gain13 (El Heroe, x, « Que le héros doit avoir éprouvé sa fortune avant de s’engager »).

[…] Sa grande affaire, son meilleur soin est de discerner les gens d’esprit et les sots, de distinguer entre singularité et vulgarité pour choisir efficacement ses intimes : de même qu’au jeu de cartes, le meilleur stratagème est de s’écarter, la meilleure stratégie de vie est de pouvoir se soustraire14 (El Discreto, xix, « Homme judicieux et pénétrant »).

7Il convient aussi de savoir ménager sa chance, de profiter du temps dont on dispose, ainsi que de l’ordre des interventions possibles dans le jeu :

Le Maure Abul, frère du roi de Grenade, était prisonnier à Salabreña, et pour tromper ses malheurs redoublés, il se mit à jouer aux échecs, en simulacre du jeu de la fortune. À ce moment, arriva le messager porteur de l’ordre de son exécution, car la mort court toujours la poste. Abul demanda deux heures de vie ; le commissaire trouva que c’était trop, et lui accorda seulement de finir la partie commencée. Le sort favorisa Abul, qui gagna la vie et même un royaume, car, avant la fin de la partie, survint un autre messager, lui apportant la vie, et la couronne que Grenade lui offrait par suite de la mort du roi15 (El Heroe, xi, « Que le héros sache se retirer quand la fortune l’a mis en gain »).

Plusieurs eussent été des phénix dans leur emploi, si d’autres ne les avaient précédés. C’est un grand avantage de venir le premier, et il vaut double si l’éminence s’y joint. Le premier en main gagne à égalité de cartes16 (El Heroe, vii, « Excellence de la priorité »).

8Garder la tête froide. Il faut prendre de la distance par rapport à l’action-jeu, et se montrer patient avant la réussite :

Ne jamais agir sous l’effet de la passion. […]. Ceux qui voient jouer les autres jugent mieux que ceux qui jouent, parce qu’ils ne se passionnent pas17 (Oráculo manual, cclxxxvii)

Jamais un bon jouteur ne réussit au jeu de barre dès la première passe ; il procède par coups successifs, toujours de plus en plus heureux18 (El Heroe, i)

9Cependant, il importe de ne pas faire profil bas et de jouer avec éclat :

N’être pas manille. Ô l’homme de discernement ! Si tu veux garder une réputation durable, jouer ton as de bâton plutôt que la manille. Sois extrême dans la perfection, mais garde un juste milieu dans ta manière de briller19 (El Discreto, xi).

10Néanmoins user de l’esprit, c’est se servir des qualités de cette même manille, la carte de la souplesse, qui permet de se mettre en valeur sans ostentation :

Dans toute configuration, elle [l’acuité] est la manille des tenues, grand héraut de la réputation, d’un éclat d’autant plus beau que son fondement est plus sublime20 (El Heroe, iii, « La plus grande qualité d’un héros »).

Notes

1 Baltasar Gracián, El Heroe [Huesca, Francisco de Larumbe, 1637], dans Obras de Lorenzo Gracián, Anvers, Gerónimo y Juan Baptista Verdussen, 1669 (édition digitalisée, Alicante, Biblioteca Virtual, Miguel de Cervantes, 2005, http://www.cervantesvirtual.com/obra/el-heroe--1/, page consultée le 30 novembre 2021) ; El Discreto, Huesca, Juan Nogués, 1646 (édition digitalisée, Alicante, Biblioteca Virtual, Miguel de Cervantes, 2005, http://www.cervantesvirtual.com/obra/el-discreto--0/, page consultée le 30 novembre 2021) ; Oráculo manual, Huesca, Juan Nogués, 1647 (édition digitalisée, Alicante, Biblioteca Virtual, Miguel de Cervantes, http://www.cervantesvirtual.com/obra/oraculo-manual-y-arte-de-prudencia--0/, page consultée le 30 novembre 2021).

2 El heroe a été traduit par Gervaise (L’héros de Laurens Gracian gentil-homme arragonois. Traduit nouvellement en français par le Sr Gervaise…, Paris, Pierre Chevalier, 1645), puis par Joseph de Courbeville en 1725, Oráculo manual a été traduit par Amelot de La Houssaye en 1684 sous le titre de L’Homme de cour. El Discreto a été traduit plus tard, par Joseph de Courbeville, en 1723 sous le titre L’Homme universel.

3 Clément Rosset, « Baltasar Gracián », dans L’Anti-nature. Éléments pour une philosophie tragique, dir. Clément Rosset, Paris, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 2011, p. 191-200.

4 Dans toutes ces citations, nos caractères gras. Texte espagnol tiré de l’édition originale : « Todo móvil instable tiene aumento y declinación. Añaden otros estado donde no hay estabilidad. Gran providencia es saber prevenir la infalible declinación de una inquieta rueda. Sutileza de tahúr saberse dejar con ganancia, donde la prosperidad es de juego y la desdicha tan de veras. Mejor es tomarse la honra que aguardar a la rebatiña de la fortuna, que suele en un tumbo alzarse con la ganancia de muchos lances ». Sauf exception, pour El Heroe, nous suivons la traduction de Victor Bouillier, « “Le Héros” de Baltasar Gracián (traduction) », dans Bulletin Hispanique, tome 35, no 4, 1933. p. 392-427, car elle nous a paru d’une très grande exactitude ; pour cet extrait, voir la page 413.

5 Chapitre Saberse dexar ganando con la fortuna. « Es de tahúres de reputación. Tanto importa una vella retirada como una vizarra acometida; un poner en cobro las hazañas quando fueren vastantes, quando muchas. Continuada felicidad fue siempre sospechosa; más segura es la interpolada, y que tenga algo de agridulce, aun para la fruición » (texte espagnol tiré de l’édition originale). Pour Oráculo manual nous suivons, sauf exception, la traduction de Benito Pelegrín dans Baltasar Gracián, Traités politiques, esthétiques, éthiques, Paris, Seuil, 2005. Cet extrait est traduit à la page 364.

6 Traduction de B. Pelegrín, citée, p. 313, de « Cifrar la voluntad. Son las passiones los portillos del ánimo. El más plático saber consiste en dissimular; lleva riesgo de perder el que juega a juego descubierto. Compita la detención del recatado con la atención del advertido : a linces de discurso, xibias de interioridad. No se le sepa el gusto, porque no se le prevenga, unos para la contradición, otros para la lisonja. »

7 Traduction de B. Pelegrín, citée, p. 311, de « Llevar sus cosas con suspensión. La admiración de la novedad es estimación de los aciertos. El jugar a juego descubierto ni es de utilidad ni de gusto. El no declararse luego suspende, y más donde la sublimidad del empleo da objecto a la universal expectación; amaga misterio en todo, y con su misma arcanidad provoca la veneración. »

8 Traduction à partir du Heroe par V. Bouillier, citée, p. 324, de « Compita la destreza del advertido en templarse con la curiosidad del atento en conocerle, que suele esta doblarse a los principios de una tentativa. »

9 Traduction de B. Pelegrín, citée, p. 302, de « Obrar de intención, ya segunda, y ya primera. Milicia es la vida del hombre contra la malicia del hombre, pelea la sagazidad con estratagemas de intención. Nunca obra lo que indica, apunta, sí, para deslumbrar; amaga al aire con destreza y executa en la impensada realidad, atenta siempre a desmentir. Echa una intención para assegurarse de la émula atención, y rebuelve luego contra ella venciendo por lo impensado. Pero la penetrante inteligencia la previene con atenciones, la azecha con reflexas, entiende siempre lo contrario de lo que quiere que entienda, y conoce luego qualquier intentar de falso; dexa passar toda primera intención, y está en espera a la segunda y aun a la tercera. Augméntase la simulación al ver alcançado su artificio, y pretende engañar con la misma verdad: muda de juego por mudar de treta, y haze artificio del no artificio, fundando su astucia en la mayor candidez. Acude la observación intendiendo su perspicacia, y descubre las tinieblas revestidas de la luz. »

10 Traduction de B. Pelegrín, citée, p. 318, de « Variar de tenor en el obrar. No siempre de un modo, para deslumbrar la atención, y más si émula. No siempre de primera intención, que le cogerán la uniformidad, previniéndole, y aun frustrándole las acciones. Fácil es de matar al buelo el ave que le tiene seguido, no assí la que le tuerze. Ni siempre de segunda intención, que le entenderán a dos vezes la treta. Está a la espera la malicia; gran sutileza es menester para desmentirla. Nunca juega el taúr la pieza que el contrario presume, y menos la que desea. »

11 Traduction de B. Pelegrín, citée, p. 405, de « Conocer los afortunados, para la elección; y los desdichados, para la fuga. La infelicidad es de ordinario crimen de necedad, y de participantes: no ay contagión tan apegadiza. Nunca se le ha de abrir la puerta al menor mal, que siempre vendrán tras él otros muchos, y mayores, en celada. La mejor treta del juego es saberse descartar: más importa la menor carta del triunfo que corre que la mayor del que pasó. En duda, acierto es llegarse a los sabios y prudentes, que tarde o temprano topan con la ventura. »

12 La triomphe était très populaire également en France.

13 Traduction à partir du Heroe par V. Bouillier, citée, p. 412, de « Péganse de ordinario la próspera y adversa fortuna a los del lado. Atienda, pues, el discreto a ladearse y, en el juego de este triunfo, sepa encartarse y descartarse con ganancia. »

14 Traduction de B. Pelegrín, dans Baltasar Gracián, Traités politiques, esthétiques, éthiques, ouvrage cité, p. 266. Texte original de El Discreto : « es provechosa también su mayor asunto, y aun cuidado, el discernir entre discretos y necios, singulares y vulgares, para la elección de íntimos, que así como la mejor treta del jugar es saber descartarse, así la mayor regla del vivir es el saber abstraer. »

15 Traduction à partir du Heroe par V. Bouillier, citée, p. 414, de « Estaba Abul moro, hermano del rey de Granada, preso en Salobreña y, para desmentir sus confirmadas desdichas, púsose a jugar al ajedrez, propio ensayo del juego de la fortuna. Llegó en esto el correo de su muerte, que siempre esta nos corre la posta. Pidió Abul dos horas de vida; muchas le parecieron al comisario, y otorgole solo acabar el juego comenzado. Díjole la suerte, y ganó la vida y aun el reino, pues antes de acabarlo llegó otro correo con la vida y la corona, que por muerte del rey le presentaba Granada. »

16 Traduction à partir du Heroe par V. Bouillier, citée, p. 406, de « Hubieran sido algunos fénix en los empleos, a no irles otros delante. Gran ventaja el ser primero, y si con eminencia, doblada. Gana en igualdad el que ganó de mano. » Gracián développe exactement la même idée dans Oráculo manual, lxiii. Excelencia de primero : « Si la primauté est secondée de l’éminence, elle est doublement excellente. C’est un grand avantage au jeu d’être le premier en main, car on gagne à cartes égales. Plusieurs eussent été les phénix de leur profession, si d’autres ne les eussent pas précédés. Les premiers ont le droit d’aînesse dans le partage de la réputation, et il ne reste qu’une maigre portion aux seconds ; encore leur est-elle contestée. »

17 Notre traduction de « Siempre ven más los que miran que los que juegan, porque no se apassionan. »

18 Traduction à partir du Heroe par V. Bouillier, citée, p. 394, de « Nunca el diestro en desterrar una barra remató al primer lance; vase empeñando con uno para otro, y siempre adelantándolos. » D’après La Enciclopedia Universal, le jeu de barra (encore pratiqué dans des régions du nord de l’Espagne) consiste à lancer une sorte de pique (barra) le plus loin possible, et de façon que sa pointe se fixe en terre.

19 Notre traduction de « ¡Oh, pues, el varón discreto! Si quiere ganar la inmortal reputación, juegue antes del Basto que de la Malilla. Sea un extremo en la perfección; pero guarde un medio en el lucimiento. » Allusion, encore, au jeu de l’hombre : dans celui-ci, les trois triomphes, dits matadors, sont l’épée (espadilla) équivalant à l’as de pique, le bâton (basto), équivalant à l’as de trèfle, et la manille (malilla) qui est soit un deux parmi les épées et bâtons (équivalant aux cartes noires), soit un trois parmi les coupes et les deniers (équivalant aux rouges, cœur et carreau).

20 Notre traduction de « Es [la agudeza] en todo porte la malilla de las prendas gran pregonera de la reputación, mayor realce cuanto más sublime el fundamento. »

Pour citer ce document

Liliane Picciola, « Prélude : une théorie du héros-joueur selon le jésuite Gracián » dans Corneille : un théâtre où la vie est un jeu,

sous la direction de Liliane Picciola

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent », n° 1, 2021

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Quelques mots à propos de :  Liliane Picciola

Liliane Picciola, agrégée de Lettres classiques, docteur d’État, est Professeur émérite de littérature française à l’université Paris-Nanterre. Ses recherches portent surtout sur le théâtre du xviie siècle et l’influence exercée par les comedias sur la poétique dramatique de divers auteurs français, comme dans son Corneille et la dramaturgie espagnole (G. Narr, 2002). Actuelle présidente du Mouvement Corneille, elle a publié de très nombreux articles sur cet auteur et dirige la nouvelle édition de son théâtre aux Classiques Garnier, pour lesquels elle a donné l’édition critique de La Galerie du Palais (2014), de L’Illusion comique, et du Cid (2017), de Cinna, La Mort de Pompée, Le Menteur, La Suite du Menteur (à paraître), ainsi que celle de quatre pièces de Thomas Corneille : Les Engagements du hasard, Le Feint astrologue (2015), Le Berger extravagant, et Les Illustres ennemis (2021). Elle a dirigé le volume Baroque ou bizarre ? Avatars de la bizarrerie aux xvie et xviie siècles (France, Espagne, Italie), Presses Universitaires de Paris Ouest, 2016.