Corneille : un théâtre où la vie est un jeu
I. Scène théatrale et parties de jeu

sous la direction de Liliane Picciola

no 1, 2021

À la mémoire de Jean-Claude Guézennec

 

Corneille présent 1/2021

Conclusion

Hommage à Jean-Claude Guézennec

Myriam Dufour-Maître


Texte intégral

Jean-Claude Guézennec (1928-2021)

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bihorel.net

Un homme d’action au service des jeunes et de la culture

1Le 22 juillet 2021, le Mouvement Corneille Centre International Pierre Corneille a perdu l’un de ses fondateurs, et ses adhérents un ami, dont la fidélité, l’énergie intacte et l’enthousiasme étaient pour tous une constante inspiration.

2Brillant élève, agrégé de Lettres classiques, Jean-Claude Guézennec a consacré toute sa vie à l’éducation, bien au-delà des seules années d’enseignement :

Adolescent, j’avais plusieurs vocations dont celle d’enseignant. J’avais été dans des mouvements de jeunesse, d’éducation populaire, je me passionnais pour le cinéma, le journalisme. À 17 ans, j’avais écrit mon premier roman. Mes parents étaient issus d’un milieu modeste, et m’ont conseillé l’enseignement : je n’ai jamais eu à regretter ce choix.

3Après une première nomination à Blida en Algérie, il fait toute sa carrière au lycée Corneille de Rouen, de 1957 à 1993, et marque des générations d’élèves. Être professeur, pour lui, c’est « partager sa passion, faire preuve de créativité, tisser des liens de confiance avec ses élèves, et surtout, leur montrer qu’on se sent bien dans son métier, qu’on est heureux d’être professeur, et faire autre chose que d’enseigner. »

4Animateur inlassable, il fonde au lycée pas moins de quinze clubs d’activité : théâtre, club Unesco, journalisme scolaire, mais surtout cinéma. Autodidacte en cette matière, il est passionné par les techniques cinématographiques et leur évolution, mais surtout par le moyen éducatif extraordinaire qu’il y pressent, de façon visionnaire. Toujours en quête de la meilleure démarche pédagogique, il fonde en 1958 le premier atelier de création cinématographique pour les élèves, « Archimède films », et n’a jamais cessé depuis de former enfants, adolescents et adultes à ce qui était la passion de sa vie.

5Avec une curiosité inlassable, Jean-Claude Guézennec travaille à perfectionner sa maîtrise des techniques et à affiner sa démarche pédagogique. « L’École et la Vie » est ainsi le premier film réalisé en 1968 par « Archimède films » avec du matériel professionnel, pour l’Office Central de la Coopération à l’École : un titre-programme, pour une institution emblématique de ses engagements. En 1978, il crée et dirige l’Institut Régional de l’Image et du Son (IRIS), qui contribue à mettre en place l’enseignement du cinéma. Le succès des « Rencontres Cinéma », avec 800 jeunes venus de toute la France, les nombreux rapports que rédige Jean-Claude Guézennec aboutissent à la création d’une classe de cinéma expérimentale au lycée Corneille, puis d’une section cinéma dans quatre lycées, du Bac option cinéma en 1989, et en 1992 d’un B.T.S. Audiovisuel très prisé, avec préparation aux grandes écoles de cinéma (Louis Lumière et la FEMIS). L’IGEN a même indiqué un jour que le lycée Corneille était le meilleur lycée de France dans le domaine de l’enseignement du cinéma. Sollicité par sa hiérarchie, Jean-Claude Guézennec refuse de devenir chef d’établissement ou inspecteur ; il quitte de même l’IRIS en 2001, peu soucieux de prendre part aux conflits de pouvoir qui accompagnent sa transformation en Pôle Image, car ce qui l’anime avant tout, c’est le travail de terrain, au contact des élèves.

6Pédagogue novateur, éveilleur de très nombreuses vocations, il aborde le cinéma, comme le théâtre, sous l’angle du plaisir : fidèle en cela à la poétique de Corneille, qui n’hésitait à affirmer, face aux doctes qui voulaient faire de la scène une école de terne moralisme, que le seul but de la poésie dramatique est de plaire. Faire écrire un scénario, faire jouer une scène sont pour ce pionnier non seulement un moyen d’intéresser les élèves et de développer leur créativité, mais une manière aussi de les inviter à approfondir leurs analyses, à aiguiser leur esprit critique. Jean-Claude Guézennec a formé des amoureux du cinéma, mais aussi des citoyens éclairés, ouverts à toutes les formes de l’image, experts dans tous les médias à mesure qu’ils apparaissaient : télévision, vidéo, internet. Sensible, très précocement, à ce que l’on n’appelle pas encore la fracture numérique, il n’a de cesse de s’attaquer, très concrètement, aux inégalités qui éloignent de nombreux jeunes de la maîtrise indispensable de la fabrique des images et des outils numériques : « Je crois beaucoup en l’enseignement du cinéma. C’est de l’éducation à l’image, cela forge l’esprit. Et puis cela donne aux jeunes des habitudes de rigueur. Le cinéma, c’est aussi un travail d’équipe. Cela développe la solidarité chez les enfants. »

7« Travail d’équipe », « solidarité » sont en effet des maîtres-mots de l’action de Jean-Claude Guézennec. Créateur d’associations, douze en tout, il « joue collectif », toujours. De 1993 à 2003, il est vice-président du club de football de Bihorel. En 2001, il crée l’association Passion-foot avec Bruno Mignot, éducateur et ancien joueur professionnel. « Le terrain de foot est un lieu d’éducation prodigieux », soutient-il, et très compatible avec sa passion de toujours, le cinéma. « Archimède films » réalise ainsi en partenariat avec Passion Foot de petits films sur le thème « Sport et intégration » pour la Direction régionale de la Jeunesse et des Sports (2005) ou, dans le cadre d’une mission humanitaire, un film qui évoque la vie des jeunes enfants dans les quartiers sensibles de Cordoba, ou encore de nombreux films pour la Brigade de Prévention de la Gendarmerie nationale, sur les dangers de l’internet, la sécurité routière ou la violence dans le sport. Prolongeant l’action d’« Archimède films », une structure de production de type professionnel, les « Ateliers d’Archimède », produit des films institutionnels, d’intervention sociale ou culturelle sur la double discrimination des femmes issues de l’immigration, la santé des jeunes dans les quartiers dits sensibles, ou l’orientation des jeunes collégiens.

8Jean-Claude Guézennec est enfin, d’esprit et de cœur, un cornélien. Avec Ivan Morane, il fonde en 1982 le Mouvement Corneille, dont le nom indique assez l’élan qu’il souhaitait donner à cette association loi 1901 qui a pour but de faire connaître au plus grand nombre la vie, la personnalité et l’œuvre de Pierre Corneille. Il connaît le théâtre de Corneille, l’a enseigné avec compétence et passion, faisant jouer évidemment les élèves, comme lors du tricentenaire de 1984, où de nombreuses classes jouent, dans les rues de Rouen, des scènes du dramaturge. Son grand œuvre cornélien demeure la réalisation, en 1993, de Moi, Pierre C., élève du collège de Bourbon, à l’occasion du quatrième centenaire de sa fondation de cet établissement tenu par les jésuites, et devenu depuis le lycée Corneille. Ce film de 38 minutes retrace la vie quotidienne au collège de Bourbon de Rouen, en 1620, l’année où le jeune Pierre Corneille, âgé de 13 ans, est en classe de rhétorique, ressent ses premiers émois amoureux, et remporte le prix de vers latins. La plupart des dialogues sont en latin, la langue que devaient parler les élèves en classe, avec des sous-titres français. Le tournage est réalisé dans l’enceinte même du lycée et réunit plus de 400 personnes : des acteurs célèbres comme Rufus, d’anciens élèves devenus professionnels du cinéma et qui prêtent leur concours comme chefs opérateurs image, ingénieurs du son, assistants réalisateurs, scripte, etc., des élèves enfin, qui découvrent dans cette formidable aventure collective, au cœur de leur propre adolescence, celle du grand poète. Le film sort le 1er février 2000 et se voit récompensé par le prix de la qualité du ministère de la Culture.

9Fidèle, comme à son habitude, à l’association qu’il avait créée, Jean-Claude Guézennec était membre du conseil d’administration du Mouvement Corneille, et participait, malgré la lourdeur de son agenda par ailleurs, à toutes les réunions, à tous les événements. Colloques, « Marathon Corneille » en 2006 pour le quadri-centenaire, conférences, animations, on pouvait toujours puiser dans les idées qu’il lançait, profiter de sa longue expérience de la vie associative et compter sur sa présence amicale et encourageante. Corneille pour lui était non un monument figé de la culture, mais un directeur de vie, capable de « parler » à ces enfants malmenés que l’Internat de la Réussite, à Yerville, s’employait à raccrocher à l’école et avec lesquels il réalise un court métrage intitulé Soyons amis, Sonia, ou les mésaventures d’un p’tit nerveux.

10L’amitié n’est pas à vendre est le titre d’un court métrage réalisé en 1961 par les élèves de Jean-Claude Guézennec. Notre amitié endeuillée gardera avec fidélité le souvenir vivifiant de cet homme fidèle toute sa vie à ses valeurs, de sa modestie (excessive !), de sa personnalité inspirante, dont l’enthousiasme, jusque dans le très grand âge, est demeuré sans faille : curieux de toutes les innovations techniques, mais privilégiant toujours la quête du sens, Jean-Claude Guézennec nous laisse l’exemple d’un humanisme de conviction et d’action, au service de la jeunesse, de la culture et de l’égalité des chances.

11https://archimedefilms.wixsite.com/archimede-films/historique
https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/seine-maritime/rouen
Rouen Passions, entretien par Luis Porquet
bihorel.net
cafepedagogique.net

Pour citer ce document

Myriam Dufour-Maître, « Hommage à Jean-Claude Guézennec » dans Corneille : un théâtre où la vie est un jeu,

sous la direction de Liliane Picciola

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent », n° 1, 2021

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1235.