Corneille : un théâtre où la vie est un jeu
I. Scène théatrale et parties de jeu

sous la direction de Liliane Picciola

no 1, 2021

À la mémoire de Jean-Claude Guézennec

 

Corneille présent 1/2021

Première Partie : L’intérêt d’amour pensé comme partie de jeu

Le théâtre ou la « maison des jeux » : règles et stratégies du compliment dans quelques comédies et tragédies cornéliennes
(La Galerie du Palais, Le Menteur, La Place Royale, Rodogune, La Mort de Pompée)

Françoise Poulet


Texte intégral

1 

[…] ainsi s’ouvre un espace protégé, un espace de jeu, un champ clos où, d’un commun accord, les partenaires renoncent à se nuire et à s’attaquer, tant dans le commerce ordinaire que dans ce qui touche à l’amour1.

2C’est en ces termes que Jean Starobinski décrit l’avènement des vertus de politesse et d’urbanité, dans la première moitié du xviie siècle, et la progressive séparation de deux « mondes » : celui de la rusticité grossière et celui de la civilité2, qui polit le naturel et le défait de toute agressivité. D’un monde à l’autre, la brutalité et la violence se transforment plutôt qu’elles ne s’effacent complètement. Aux duels, que les édits royaux visent à proscrire – sans y parvenir complètement –, se substituent les jeux sportifs, dont le pendant est, à l’intérieur des demeures de la haute société, les joutes verbales auxquelles les femmes peuvent participer3. Les échanges associés à la civilité, qu’elle soit amoureuse ou plus largement sociale, prennent alors la forme de jeux d’effort et de stratégie. Tel est le cas du compliment, terme dont les acceptions sont plus larges à l’âge classique qu’aujourd’hui puisqu’il recoupe un vaste ensemble de paroles et de gestes, dont nous étudierons dans les pages qui suivent les différentes déclinaisons. Lié à d’autres formes langagières de la politesse – la louange, la flatterie, la raillerie, la plaisanterie… –, le compliment cristallise les enjeux éthiques et esthétiques qui pèsent sur la galanterie dans ses rapports au mensonge. Comme le note Jean-Michel Pelous4, tandis que l’honnête homme est avant tout défini selon des principes éthiques, le galant homme, à partir des années 1650, en apparaît comme un prolongement mondain, qui privilégie le souci de plaire et l’agrément au détriment de la transparence sincère.

3Généralement présenté comme un miroir du monde de la petite noblesse et de son langage5, le théâtre de Corneille – et notamment ses premières comédies – apparaît comme une « maison des jeux6 » où se déroulent un certain nombre de divertissements dont les participants, hommes et femmes, apprennent à maîtriser les règles. L’espace scénique se donne ainsi comme un lieu où les personnages s’engagent – en toute conscience, le plus souvent – dans des jeux de rôle et d’esprit qui recourent volontiers à la ruse et l’artifice. L’exemple du compliment nous permettra de voir comment Corneille décline différentes manières de jouer, de la maîtrise parfaite des règles à la tricherie. De la comédie à la tragédie, le gain augmente en même temps qu’il se déplace : si le compliment reste un lieu commun, passage obligé de la civilité galante, dont l’énonciation compte finalement plus parfois que le contenu de l’énoncé, il apparaît bien plus encore comme un acte illocutoire dans le jeu politique ; interrogeant le rapport du langage au pouvoir, il pousse les personnages, notamment les héroïnes tragiques, qui en sont les destinataires privilégiées, à inventer leurs propres règles et à tenter de les imposer. Aussi le théâtre de Corneille se définit-il tout autant comme une mise en application du jeu civil que comme une remise en jeu de ses lois.

Apprendre les règles du jeu : compliments, flatteries, railleries

4Dans La Galerie du Palais, alors qu’ils devisent devant la boutique du libraire, Lisandre et Dorimant distinguent les poètes qui « font bien des vers » de ceux qui savent véritablement faire une « comédie7 ». Selon Lisandre, on ne peut mettre en scène l’amour honnête sans être soi-même « un amant parfait » :

Il n’en faut point douter, l’amour a des tendresses
Que nous n’apprenons point qu’auprès de nos maîtresses,
Tant de sortes d’appas, de doux saisissements,
D’agréables langueurs, et de ravissements, […]
Quoi que tous nos rimeurs en mettent par écrit
Ne se surent jamais par un effort d’esprit,
Et je n’ai jamais vu de cervelles bien faites
Qui traitassent l’amour à la façon des poètes :
C’est tout un autre jeu, le style d’un sonnet
Est fort extravagant dedans un cabinet,
Il y faut bien louer la beauté qu’on adore
Sans mépriser Vénus, sans médire de Flore,
Sans que l’éclat des lis, des roses, d’un beau jour
Ait rien à démêler avec notre amour8 […].

5C’est auprès d’une maîtresse que l’on apprend à dire de belles louanges amoureuses, et non dans le secret du cabinet. Mais en parlant de « jeu », Lisandre montre qu’il ne suffit pas d’être inspiré par l’amour pour en parler naturellement : il faut apprendre les règles de ce qui s’apparente à un jeu de stratégie, dans lequel les amants engagent leur parole sans toujours impliquer leur cœur.

6La comédie cornélienne met en effet en scène des personnages qui s’exercent à la pratique des règles du « bien dire » amoureux. Le cadre spatial des pièces, bien qu’il représente des lieux publics urbains fréquentés par des jeunes nobles raffinés, tel le jardin des Tuileries, telle la place Royale, s’apparente en cela à une « maison des jeux ». Dans son ouvrage qui porte ce nom, sous-titré « où se trouvent les divertissements d’une compagnie », Charles Sorel expose entre autres les règles du « Jeu des Complimens ou Flatteries » : chacun des participants, après avoir répété de mémoire les louanges formulées par les autres joueurs avant lui, doit adresser un compliment ou une flatterie à son voisin. Selon qu’il se tournera vers un homme ou une femme, il ne s’exprimera pas de la même manière :

Ces paroles seront par exemple envers les Dames, Vous estes la Reyne des cœurs ; Vous estes la plus belle et la plus sage de tout vostre sexe […] ; Et quant aux hommes, on leur dira tout ce qui viendra à la fantaisie, sans les respecter tant, afin de n’estre pas tousjours sur le serieux9.

7Il est également possible de varier le jeu en se complimentant soi-même, ou bien en prononçant ces louanges avec un accent, régional, étranger ou farcesque. Ainsi, lorsque le participant s’adresse à une dame, le compliment s’interprète à la fois littéralement – il est une parole de louange qui recherche l’agrément de sa destinataire – et comme un énoncé teinté d’une légère ironie car il apparaît comme une citation, en mention, d’énoncés hyperboliques conventionnels et figés ; l’impression de psittacisme est d’ailleurs soulignée par le fait que le joueur répète, avant de formuler son propre compliment, ceux qui viennent d’être déclamés10. Lorsque le participant s’adresse à un homme, il peut se permettre de recourir avec un peu plus de liberté à la raillerie, mais là encore sans blesser. Dans le cadre d’un jeu, cette ironie ne vise en aucun cas à se moquer du ou de la destinataire du compliment, puisque le contexte énonciatif de la louange est imposé et que les règles du jeu sont connues de tous. Elle marque plutôt une distance amusée avec l’une des formes langagières essentielles de la politesse amoureuse, dont les participants affichent leur maîtrise en même temps qu’ils jouent de ses stéréotypes.

8Le compliment, au même titre que la louange et la flatterie, se définit en effet comme un « lieu commun du bien dire11 ». Le mot revêt des acceptions plus étendues qu’aujourd’hui, dans la mesure où il recoupe à la fois des propos et des actes ou gestes de politesse12. Composante essentielle de la civilité, il fait partie des attendus de la vie galante, qu’elle soit amoureuse ou, plus largement, sociale. Eustache De Refuge, dans son Traité de la Cour, donne une définition claire de cette polysémie du mot :

Nous appellons Compliment une briesve expression d’amour, declaration ou demonstration d’honneur, & d’obligation envers ceux lesquels nous desirons induire à confiance & asseurance qu’ils sont aymez & prisez de nous d’une merveilleuse & reciproque affection13.

9Les personnages de la comédie cornélienne enregistrent l’importance du compliment comme devoir de la vie sociale et puisent fréquemment dans l’ensemble de formules qu’il recoupe, qui font nécessairement partie du lexique de l’amant. Dans Le Menteur, Clarice voit dans l’acceptation du compliment amoureux par sa destinataire, comme dans sa réception lors d’une visite, le signe que l’amant est agréé par sa dame et que tous deux cheminent sereinement sur la voie du mariage :

Aussi d’en recevoir visite et compliment,
Et lui donner entrée en qualité d’amant,
S’il faut qu’à vos projets la suite ne réponde,
Je m’engagerais trop dans le caquet du monde14.

10Le compliment se définit ici comme un acte de langage, équivalent de l’acte qu’est la visite, dont l’énonciation compte davantage que le contenu – conventionnel – de l’énoncé. La locution recevoir compliment en résume idéalement l’efficacité pragmatique. Compliment et visite font tous deux partie des devoirs de l’amant15.

11Parmi les gestes complimenteurs, on peut également citer le baisemain16, le don d’une sérénade17 ou l’envoi d’une lettre, perçue comme un prolongement de la conversation amoureuse : c’est ainsi qu’Angélique désigne la « Lettre supposée d’Alidor à Clarine » dans La Place Royale18. Au-delà de l’échange amoureux, la lettre de compliments fait aussi partie des obligations civiles : apprenant le prétendu mariage de son fils Dorante avec une demoiselle de Poitiers, qui serait sur le point d’accoucher, Géronte s’apprête ainsi à écrire un compliment au père de celle-ci pour lui exprimer sa joie de voir leurs deux familles s’unir19.

12Dans le champ de l’analyse conversationnelle, on sait, depuis l’étude fondatrice de Catherine Kerbrat-Orecchioni, que le compliment se définit comme une interaction verbale inscrite dans un « échange20 ». Il s’agit d’un acte de langage dont la structure suppose une « intervention initiative » – le compliment lui-même – et une « intervention réactive » – la réponse au compliment21. Cet échange peut être constitué au minimum d’une seule paire de répliques (voire d’une seule réplique si le ou la destinataire du compliment ne répond pas), ou bien s’étendre sur une séquence plus longue. Ce schéma énonciatif rappelle par ailleurs le principe du jeu de piquet, qui se joue à deux et suppose d’emporter le plus de plis : s’opère ici le même jeu de surenchère dans l’échange, chacun des interlocuteurs essayant d’avoir le dernier mot22.

13Dans les comédies de Corneille, conformément aux règles de la conversation civile, c’est presque toujours l’amant – nous reviendrons sur les quelques exceptions que nous rencontrons – qui est à l’initiative de l’« échange complimenteur ». En fonction des réactions de la femme qui en est la destinataire, s’esquisse une typologie de cet échange. Le cas le plus harmonieux est bien sûr celui du compliment accepté comme tel et validé par une réponse exprimant un remerciement, voire un sentiment de gratitude, ce qui est le cas lorsque les amants vivent en bon accord, tels Tircis et Mélite à la fin de la première comédie de Corneille :

Tircis
[…]
Adorables regards, fidèles interprètes
Par qui nous expliquions nos passions secrètes,
Je ne puis plus chérir votre faible entretien,
Plus heureux je soupire après un plus grand bien, […]
Il faut un aliment plus solide à nos flammes
Par où nous unissions nos bouches et nos âmes. […]

Mélite
Tu parles à mes yeux, et mes yeux te répondent23.

14La maîtresse de Tircis juge ici redondant de commenter tout haut ce que ses regards confirment tout bas à son amant : leur passion réciproque, que la supercherie d’Éraste n’a fait que confirmer.

15Toutefois, dans le cadre des rivalités et des histoires d’amour contrariées que la comédie met en scène, le compliment est bien plus souvent rejeté par sa destinataire comme une flatterie. C’est comme de vaines paroles mensongères qu’Hippolite prétend traiter les louanges de Lisandre, amant qu’elle tente vainement de voler à son ami Célidée, dans La Galerie du Palais :

Il ne tient pas à lui que je ne sois un ange,
Et quand il vient après à parler de ses feux,
Aucune passion jamais n’approcha d’eux.
Par tous ces vains discours il croit fort qu’il m’oblige […].
Mon Dieu, qu’il est chargeant avec ses flatteries !
Qu’on est importuné de ses affèteries24 !

16La rime associe ici les termes « flatteries » et « affèteries », à savoir, selon le Dictionnaire de Richelet, des « Manieres étudiées, & pleines d’afectation25 ». Hippolite résume ici les hyperboles de Lisandre comme des mensonges auxquels on ne peut croire et qui rendent leur énonciateur « chargeant », autrement dit accablant et pesant. À la logique du don et du contre-don caractérisant « l’échange complimenteur », lorsque l’énoncé louangeur est non seulement accepté comme tel mais aussi rendu, s’oppose l’échange monétaire que constitue la flatterie, dans une logique de « paroles contre faveurs26 ».

17Lorsqu’il ne s’agit pas de feinte, comme ici, mais que le compliment est véritablement rejeté parce que la femme qui en est la destinataire préfère favoriser un autre amant, celle-ci peut alors employer la raillerie piquante. C’est ce que fait Hippolite au début de l’acte II de La Galerie du Palais en niant l’utilité informationnelle des propos de Dorimant :

Ne me conte point tant que mon visage est beau,
Ces discours n’ont pour moi rien du tout de nouveau,
Je le sais bien sans vous, et j’ai cet avantage,
Quelques perfections qui soient sur mon visage,
Que je suis la première à m’en apercevoir :
Pour me galantiser il ne faut qu’un miroir,
J’y vois en un moment tout ce que vous me dites27.

18Un miroir, bien que muet, est plus éloquent que cet importun amant, ce qui est une manière d’annuler la légitimité du rôle du complimenteur à l’initiative de l’échange. Notons que l’acte II s’ouvre in medias res sur la réponse de la jeune fille, qui fait office de résumé des répliques précédentes de son amant, dont nous pouvons ainsi deviner le contenu.

19Puis, comme Dorimant ne se décourage pas et enchaîne en louant les qualités de l’esprit et de la conversation d’Hippolite, ce que son miroir ne peut faire, celle-ci conserve dans un premier temps la même stratégie consistant à critiquer les propos de son interlocuteur pour leur redondance – il a passé l’après-dînée en sa compagnie, conduite qui suffit à prouver que son entretien lui plaît, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter des commentaires. Mais elle change ensuite de tactique et feint de l’encourager à la louer, d’abord en prétendant ne pas oser le contredire, puis en le poussant à développer ses propos par ses questions :

Dorimant
Aussi certes aussi n’avez-vous pas à craindre
Qu’on puisse en vous louant, ni vous flatter, ni feindre,
On voit un tel éclat en vos divins appas
Qu’on ne peut l’exprimer, ni ne l’adorer pas.

Hippolite
Ni ne l’adorer pas ! par là vous voulez dire28 ?

20Mais c’est pour mieux lui porter l’estocade en rabaissant, par une plaisanterie moqueuse, ses louanges au rang des propos conventionnels que ses autres amants lui tiennent : « J’ai de pareils discours chaque jour aux oreilles, / Et tous les gens d’esprit en font autant que vous29. » Dorimant est alors dénigré en tant que complimenteur banal, incapable de se distinguer. Alors qu’il change de sujet pour évoquer, non plus la puissance de ses discours, mais celle de l’innamoramento, Hippolite le raille en s’étonnant ironiquement que son esprit ne puisse trouver les mots pour exprimer ses appas et en attribuant à sa propre faiblesse de jugement son incapacité à répondre aux feux du jeune homme :

Connaître ainsi d’abord combien je suis aimable,
Encor qu’à votre avis il soit inexprimable !
Ce grand et prompt effet m’assure puissamment
De la vivacité de votre jugement30 […].

21Dorimant est alors contraint de mettre fin à l’« échange complimenteur » pour commenter le ton de l’énonciation d’Hippolite (« Railleuse », v. 383), qu’il impute à son « orgueil » (v. 384).

22On le voit, le jeu, ici mené par Hippolite, repose sur un déséquilibre des rôles. C’est pourquoi Delphine Denis a pu rapprocher l’« échange complimenteur » du modèle agonistique de l’escrime ou du duel. Ce type de joute verbale confronte un complimenteur qui doit faire preuve de finesse et d’adresse, et une complimentée qui pratique l’art de l’« esquive » par ses dédains :

De son côté, le destinataire doit esquiver le compliment. Aussi les échanges complimenteurs font-ils figure de « passe d’armes », chacun devant attaquer ou se défendre, et faire la preuve de son adresse31.

23Si la destinataire du compliment pratique des stratégies d’évitement, c’est d’abord pour protéger sa pudeur et son honneur, qu’un jeu de coquetterie viendrait menacer. Elle peut alors feindre de ne pas comprendre le compliment et refuser d’entrer dans l’échange ; elle peut aussi recourir à la raillerie honnête afin de rivaliser d’esprit avec son interlocuteur sans pour autant le dissuader de poursuivre. Or, dans le cas de l’échange entre Hippolite et Dorimant, la jeune femme recourt plutôt à un type de raillerie mordante afin de sanctionner les assiduités d’un amant considéré comme importun32.

24Sans avoir l’initiative de l’échange, ce sont donc bien les femmes qui mènent le jeu et c’est à elles que profite le déséquilibre. Cette position de supériorité n’est pas qu’amoureuse, elle est aussi sociale, comme le montre le personnage d’Amarante, qui constitue précisément une exception aux règles que nous venons d’énoncer. La « Suivante » tente vainement de s’attacher les faveurs de Théante et de Florame, qui ne la fréquentent que pour pouvoir approcher celle qu’elle sert, Daphnis. À la scène 5 de l’acte I, alors qu’ils essaient tous deux de s’échapper pour rejoindre Daphnis au jardin, Amarante retient Florame auprès d’elle et l’engage à lui faire la cour, alors que, feignant de céder la place à Théante, il lui demande la permission d’en aimer une autre qu’elle :

Apprenez que chez moi c’est un faible avantage
De m’avoir de ses yeux le premier fait hommage ;
Le mérite y fait tout, et tel plaît à mes yeux
Que je négligerais près d’un qui valût mieux […].

Florame
Vous ne flattez mes sens que pour m’embarrasser33.

25Ce renversement des rôles, qui pousse Amarante à encourager l’énonciation du compliment et Florame à l’éviter, n’est que le symptôme de la faiblesse de la position sociale et amoureuse de la « Suivante », faiblesse confirmée par son abandon final par les deux amants de Daphnis.

26Ainsi, la comédie cornélienne est moins une mise en scène de l’honnête conversation34 qu’une représentation de l’apprentissage – souvent difficile, parfois cruel et douloureux – des règles de la conversation civile et du jeu du bien dire amoureux. Elle montre finalement moins des amants honnêtes que des amants qui apprennent à s’exprimer comme des honnêtes gens en participant activement à ce jeu social, dans lequel on peut voir un équivalent des parties de jeux organisés dans les milieux raffinés. Les personnages s’exercent à en maîtriser les stratégies et ils ne renoncent à entrer dans le jeu que lorsqu’ils n’aiment pas, au risque de passer pour incivils. En sortant de la maison de Célidée, Lisandre se contente de « donn[er] seulement un coup de chapeau à Dorimant et Hippolite » et excuse ce « peu de courtoisie » (v. 390) que lui reproche Hippolite par sa volonté de ne pas imposer sa présence au couple :

Puisqu’auprès d’un sujet capable de nous plaire
La présence d’un tiers n’est jamais nécessaire,
De peur qu’il n’en reçût quelque importunité,
J’ai mieux aimé manquer à la civilité35.

27C’est tout à fait consciemment que Lisandre choisit ici d’expédier les règles de la politesse en les réduisant à leur expression la plus minimale.

28En tant que « parole érotisée36 », le compliment se définit comme une composante essentielle de l’art de vivre et de l’art de plaire. Delphine Denis le voit à juste titre comme « l’un des temps forts du dialogue amoureux ou de la conversation galante » :

qu’il s’agisse de faire l’éloge des qualités de sa maîtresse, ou plus largement de prodiguer quelque trait flatteur à l’adresse d’une assemblée féminine, il participe d’une stratégie de séduction indispensable au déploiement des vertus civiles exigées du nouveau modèle, ce galant’uomo dont Castiglione a campé le portrait pour l’Europe entière37.

29Au moment où les normes du savoir-vivre et de la civilité honnête se redéfinissent en Europe, le compliment acquiert une double valeur éthique et esthétique. Pourtant, en tant que jeu recourant volontiers à l’hyperbole mensongère et à la flatterie, mais aussi à la ruse ou la feinte, son rapport à la morale est d’emblée questionné, en particulier chez certains personnages qui n’hésitent pas à tricher avec les règles dans l’espoir de parvenir à une parfaite maîtrise de celles-ci, ou bien, au contraire, de s’en affranchir.

Maîtriser les règles du jeu : feintes, ruses et tricheries

30Dans la première scène de Mélite, doutant qu’Éraste soit assez épris de l’héroïne éponyme pour l’épouser, Tircis lui conseille de se servir du compliment amoureux comme d’un ensemble de formules stéréotypées destinées à séduire sans engager son cœur. Il en parle comme de « discours de livre » que la mode commande d’apprendre par cœur, par pure obligation civile38 :

J’aime à remplir de feux ma bouche en leur présence,
La mode nous oblige à cette complaisance,
Tous ces discours de livre alors sont de saison,
Il faut feindre du mal, demander guérison,
Donner sur le phébus, promettre des miracles,
Jurer qu’on brisera toutes sortes d’obstacles,
Mais du vent et cela doivent être tout un39.

31Seule la rencontre de Mélite conduira Tircis à abandonner de tels principes de conduite pour se soumettre au joug amoureux. Mais d’autres personnages tenteront, à sa suite, de maîtriser cette discordance entre les paroles de la civilité amoureuse imposées par les convenances et les véritables pensées de l’amant.

32C’est le cas de Dorante, dans Le Menteur, qui, fraîchement revenu de sa province poitevine, s’improvise cavalier au fait des dernières modes, maîtrisant à la perfection les codes de la galanterie. Tendre la main à Clarice pour l’empêcher de tomber, alors qu’elle se promène au jardin des Tuileries, lui offre ainsi l’occasion de jouer le rôle du parfait galant, poursuivant la jeune femme de ses secrètes assiduités depuis un an, alors qu’il vient seulement de la rencontrer. Devant l’incompréhension de son valet Cliton, qui s’étonne de l’entendre s’inventer une carrière militaire, prélude à la militia amoris, Dorante improvise un contre-exemple de compliment galant, par l’ironie et l’antiphrase :

Ô le beau compliment à charmer une dame,
De lui dire d’abord : J’apporte à vos beautés
Un cœur nouveau venu des universités,
Si vous avez besoin de lois et de rubriques,
Je sais le code entier avec les Authentiques,
Le Digeste nouveau, le vieux, l’Infortiat,
Ce qu’en a dit Jason, Balde, Accurse, Alciat.
Qu’un si riche discours nous rend considérables !
Qu’on amollit par là de cœurs inexorables !
Qu’un homme à paragraphe est un joli galant !
On s’introduit bien mieux à titre de vaillant,
Tout le secret ne gît qu’en un peu de grimace,
À mentir à propos, jurer de bonne grâce40 […].

33Puisque sa véritable biographie ne saurait lui permettre de séduire la jeune femme qu’il vient de rencontrer, il préfère recourir à la feinte en s’inventant un destin de complimenteur civil, multipliant les galanteries à l’égard de celle qu’il courtise41.

34Mais la pièce, qui adopte discrètement une structure proche de celle du théâtre dans le théâtre42, s’attache à dupliquer la comédie sociale. Clarice, à l’initiative de l’échange, n’a-t-elle pas fait exprès de chuter afin d’offrir à Dorante l’occasion de la rattraper43 ? Elle se révèle en tous les cas tout aussi bonne comédienne que lui lors de la scène où elle convoque Dorante pour un rendez-vous nocturne sous ses fenêtres (acte III, sc. 5) : en demandant à Lucrèce de tenir sa partie, elle entretient la confusion puisque Dorante l’aime déjà sous le nom de cette dernière44. Abandonnée par Dorante en faveur de son amie Lucrèce à la fin de la pièce, Clarice tente de faire bonne figure et prétend n’avoir cessé de mener le jeu, sans y engager ses sentiments :

Curiosité pure, avec dessein de rire
De tous les compliments qu’il aurait pu me dire45.

35Ce que son amie met aussitôt en doute en répétant quasi mot pour mot ces deux vers. Or Clarice, tout comme Dorante, énonce ici une « fausse confidence » qui tient à la fois du mensonge et de la vérité : s’il est vrai qu’elle n’a fait que jouer un rôle – car c’est bien ce que font tous les jeunes galants dans le monde –, elle a pris part au jeu de la galanterie en vue de conquérir Dorante, ce qu’elle tente vainement de dissimuler quand celui-ci lui échappe. Délaissée au profit de son amie, elle interprète alors les « galanteries » de Dorante comme les propos d’un « moqueur46 ». À son tour, Lucrèce s’empresse de prendre pour argent comptant les compliments du Menteur et se réjouit de l’épouser, malgré l’inconstance dont il a fait preuve… avant d’être à son tour trahie et trompée, comme nous l’apprendra l’exposition de La Suite du Menteur.

36Lorsqu’il renoue avec le genre de la comédie par l’intermédiaire de ces deux pièces, en 1644-1645, Corneille met à nouveau en scène, comme il l’avait fait dans ses premières œuvres, la comédie du bien dire et des relations galantes, mais en insistant cette fois-ci sur la parenté des règles du savoir-vivre civil avec le monde du théâtre, grâce au procédé de la mise en abyme. Cette assimilation de la parole amoureuse à un mensonge galant, semblable aux discours fictifs du comédien, s’applique tout particulièrement au compliment, très souvent suspecté d’être un énoncé opaque et trompeur, détaché de toute vérité du cœur. Les destinataires des louanges en font régulièrement l’amer constat, telle Amarante à propos de Florame dans La Suivante :

Que m’importe de perdre une amitié si feinte ?
Dois-je pas m’ennuyer de son discours moqueur,
Où sa langue jamais n’a l’aveu de son cœur47 ?

37Quand ce n’est pas tout bonnement l’énonciateur du compliment lui-même qui signale la disjonction entre langage et pensée, comme le fait Lisandre à la fin de La Galerie du Palais :

Il est vrai, devant vous, forçant mes sentiments,
J’ai présenté des vœux, j’ai fait des compliments ;
Mais c’étaient compliments qui partaient d’une souche,
Mon cœur que vous teniez désavouait ma bouche48 :

38De telles déclarations justifient par anticipation les critiques que formulera Alceste, dans Le Misanthrope, contre les « vains compliments49 ».

39Or, dans ses comédies, Corneille ne tient pas de semblables discours de moraliste qui aboutiraient à la condamnation du compliment comme énoncé fourbe et trompeur. S’il arrive fréquemment que ses destinataires interprètent la parole louangeuse comme un témoignage du cœur, la faute incombe moins à la théâtralisation de la vie sociale qu’à leur manque de lucidité50. Comme l’a montré Delphine Denis à partir des écrits de Madeleine de Scudéry, le mensonge galant fait partie du jeu social, où il est accepté comme tel, sans illusion, comme composante de l’art de plaire et de l’agrément. Le compliment apparaît dans ce cadre comme une parole mensongère clairement identifiée comme telle et dont personne n’est dupe :

Cependant à parler sincerement, tous les complimens sont des mensonges. J’en tombe d’accord, reprit Herminius, mais comme ils sont connus pour tels, & qu’il n’y a personne qui fasse nul fondement solide sur des complimens, ce sont des mensonges sans malignité. On sçait bien qu’on ne sera point creu positivement, on les rend comme on les reçoit, & je m’accommode à l’usage sans scrupule, avec cette moderation toutefois, que j’en fais le moins que je puis51.

40C’est ce que Mlle de Scudéry appelle du nom de « civilité universelle », ou encore « civilité galante », qui « neutralise la question du mensonge » car il n’importe pas que le contenu propositionnel de l’énoncé complimenteur soit sincère ou mensonger. La femme qui le reçoit en doutera légitimement, mais cela ne l’empêchera aucunement de l’accepter comme un énoncé louangeur52 – on retrouve là les règles du jeu énoncées par Sorel. Le compliment ne fait plus alors l’objet d’un jugement éthique portant sur le contenu de l’énoncé – en termes de vrai ou faux –, mais esthétique – en termes de plaisir et d’agrément. En outre, dans Le Menteur, ce type de propos apparaît, au même titre que le théâtre, comme un opérateur de vérité : comme ce genre fictionnel, il utilise l’illusion et le mensonge comme un détour nécessaire pour établir avec solidité les fondements de la vie sociale et permettre ainsi aux hommes et aux femmes de vivre en harmonie.

41À ce titre, celui qui refuse de jouer et quitte la partie apparaît comme un « extravagant ». Alidor, héros bien connu de La Place Royale, propose pour sa part une manière toute personnelle de s’accommoder des règles puisqu’il conçoit leur transgression, qui se traduit par une conduite incivile, comme un instrument de libération du joug amoureux. Après lui avoir fait parvenir une lettre prétendument adressée à Clarine, l’« amoureux extravagant » reçoit avec une ironie railleuse les reproches que lui adresse sa maîtresse Angélique : « Voilà me recevoir avec des compliments53… » Pour rédiger cette fausse lettre de compliments, Alidor s’est contenté d’inverser les règles du jeu complimenteur, en rédigeant des formules négatives qui renversent les louanges conventionnelles en injures, certes indirectes, mais explicites, puisque la missive est en fait bien destinée à Angélique :

Ce n’est qu’une Idole mouvante,
Ses yeux sont sans vigueur, sa bouche sans appas,
Quand je la crus d’esprit je ne la connus pas
54 […].

42Le personnage infléchit son comportement de la même manière : Alidor adopte un mode de conduite incivile et oppose aux plaintes de sa maîtresse un mépris cruel, allant jusqu’à justifier son inconstance par les défauts physiques et le manque d’esprit de la jeune femme. S’il transgresse délibérément les règles du jeu, c’est, comme l’a montré Hélène Merlin-Kajman, parce qu’il se comporte en « être solipsiste qui fait de son moi à la fois son propre sujet et son propre souverain55 […] ». Ce moi souverain et absolutiste prétend se libérer de la relation de vassalité entre l’amant et sa maîtresse que l’honnêteté a héritée de la tradition courtoise. Face à ce moi extravagant, qui prétend s’élever au-dessus des règles56, les autres joueurs ne peuvent occuper de place légitime et la partie doit nécessairement cesser.

43Pourtant, dans son épître à un dédicataire anonyme introduisant la pièce, Corneille justifie en partie la conduite de son héros en définissant l’amour honnête comme un jeu dont on doit pouvoir se retirer à tout instant, quand on le souhaite57. Néanmoins, il rappelle in fine qu’il a bien qualifié Alidor d’« amoureux extravagant » et qu’il ne cautionne en aucun cas sa conduite auprès des femmes. Cette discordance entre les principes du héros et ses actes s’explique en partie parce qu’il n’assume pas totalement de quitter le jeu et préfère tricher avec les règles : en effet, en faisant parvenir une fausse lettre de compliments à Angélique, en lui répondant par des plaisanteries moqueuses et des railleries cruelles, en allant jusqu’à la faire pleurer58, Alidor emprunte à la civilité amoureuse ses ingrédients pour mieux en saper les valeurs. En adoptant ce type de comportement, l’« amoureux extravagant » se transforme ainsi en monstre d’incivilité.

44Il faut dire qu’Angélique représente elle-même une partenaire de jeu bien singulière puisqu’elle refuse catégoriquement d’appliquer les règles de la galanterie avec d’autres joueurs qu’Alidor, en prêtant une attention bienveillante à ses rivaux. Il est le seul avec lequel elle accepte d’entrer dans le jeu de la conversation amoureuse et civile :

Le reste des mortels pourrait m’offrir des vœux,
Je suis aveugle, sourde, insensible pour eux59 […].

45Encore les propos de la civilité amoureuse ne sont-ils pas un jeu pour elle, puisqu’elle refuse d’en donner un jugement autre que moral et en rejette la valeur esthétique et divertissante. C’est en s’appuyant sur cette posture de moraliste souhaitant rester en dehors du jeu social que la critique a pu la comparer au Misanthrope60. De fait, lorsqu’elle annoncera sa décision finale de se retirer au couvent, c’est par des arguments moraux qu’elle expliquera sa volonté de « [s’]exempter de ce honteux commerce / Où la déloyauté si pleinement s’exerce61 ».

46Au contraire, son amie Philis maîtrise si bien les règles de la civilité amoureuse qu’elle est même capable d’occuper la place d’un autre joueur – son frère Doraste, lorsqu’elle joue son rôle auprès d’Angélique en la complimentant à sa place :

Je m’acquitte des mieux de la charge commise,
Je te fais plus parfait mille fois que tu n’es,
Ton feu ne peut aller au point où je le mets,
J’invente des raisons à combattre sa haine,
Je blâme, flatte, prie, et n’y perds que ma peine62 […].

47Seule l’absolue constance d’Angélique peut résister à un tel flot d’hyperboles. On peut ainsi voir en Philis la joueuse la plus accomplie des comédies de Corneille puisqu’elle est capable de tenir la partie des hommes comme celle des femmes. Elle offre et reçoit des louanges sans les prendre pour argent comptant : consciente de leur nature conventionnelle, elle sait rester à distance du jeu de la civilité amoureuse sans s’y impliquer, ni moralement ni affectivement, et s’en remet au choix de son père pour celui de son époux. C’est également cette posture distanciée, toujours lucide et maîtresse du jeu, que cherche à conquérir Alidor, comme il l’explique une dernière fois dans ses stances finales :

Nous feindrons toutefois pour nous donner carrière,
Et pour mieux déguiser nous en prendrons un peu,
Mais nous saurons toujours rebrousser en arrière,
Et quand il nous plaira nous retirer du jeu63.

48Il y a, chez Alidor et Philis, la même volonté de ne pas impliquer sa sincérité dans ce « jeu de l’amour et du hasard » afin de le considérer pour ce qu’il est en premier lieu – un divertissement – et de ne pas souffrir. Or, si l’on peut considérer ces deux personnages comme le pendant l’un de l’autre, ils ne sont pas strictement superposables puisque, tandis qu’Alidor reste, en tant qu’amant, à l’initiative du jeu, Philis, en tant que femme, est généralement la destinataire des compliments. C’est pourquoi la stratégie de l’« amoureux extravagant », qui associe games et mimicry64, a pu passer pour celle d’un esprit fort, voire pour celle d’un libertin65 : en inventant ses propres règles sans en avertir ses partenaires de jeu, Alidor triche avec le mode d’emploi social et moral du monde.

49Ainsi, avec La Place Royale, juste avant de délaisser – presque définitivement – le genre de la comédie, Corneille met en scène différentes manières de jouer et d’appliquer les règles de la civilité amoureuse. La pièce apparaît à ce titre comme une comédie méta-honnête, qui met en abyme les lois de l’honnêteté, dont la mise en œuvre relève de stratégies diverses chez les personnages, qui ne cessent de les remettre en jeu. Du fait de leurs prétentions à une certaine forme d’absolutisme, on pourrait voir en Angélique et Alidor deux personnages de tragédie égarés dans le monde de la comédie. Or il semble plus juste de les considérer comme deux figures extravagantes génériquement, dans la mesure où, en essayant d’imposer leurs règles, ils se rapprochent certes des personnages de tragédie auxquels nous allons nous intéresser à présent ; mais ils s’en éloignent aussi par leurs revendications purement individualistes, détachées de tout enjeu de pouvoir. Dans le jeu de la civilité amoureuse, le héros de tragédie – et, plus précisément, l’héroïne – apparaît en effet comme la seule figure susceptible d’imposer ses propres règles.

Inventer les règles du jeu : compliment et enjeux de pouvoir

50Dans la tragédie, dont l’intrigue repose sur « quelque grand intérêt d’État66 », selon la célèbre définition qu’en donne Corneille dans son « Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique », les formes langagières de la politesse prennent logiquement place dans le contexte de cérémonies officielles et s’inscrivent dans des enjeux de pouvoir. Le couronnement d’Antiochus et Rodogune, à l’acte V de la pièce qui porte le nom de cette héroïne, montre à quel point la parole civile est ici pensée comme l’une des composantes essentielles d’un rituel, auquel Cléopâtre, qui leur cède le trône de la Syrie, feint dans un premier temps de se soumettre pour mieux tenter d’administrer au couple un vin empoisonné :

Approchez, mes enfants (car l’amour maternelle,
Madame, dans mon cœur vous tient déjà pour telle,
Et je crois que ce nom ne vous déplaira pas67).

51Ces paroles accompagnent des gestes tout aussi ritualisés : comme l’indique la longue didascalie qui suit, Cléopâtre s’assoit à la droite de Rodogune, « mais en rang inférieur, et qui marque quelque inégalité68 ». Ce sont ces règles de la civilité officielle que le roi d’Égypte Ptolémée enfreint, dans La Mort de Pompée, en faisant mourir le rival de César dès son arrivée à Alexandrie, ce qui aura pour effet de lui coûter le trône et la vie. De manière révélatrice, c’est en découvrant que le cérémonial de son accueil n’est pas respecté que Pompée comprend qu’il est trahi et va être tué69.

52Dans l’espace de la tragédie, le compliment amoureux ne saurait se comprendre, lui non plus, hors de ces rituels officiels. Tandis que l’amant conserve l’initiative des formules galantes, sa maîtresse ne les interprète et ne les reçoit que dans le cadre d’enjeux de pouvoir. C’est notamment le cas de Cléopâtre, sœur de Ptolémée, que ses sentiments à l’égard de César n’aveuglent pas. Les paroles et gestes qu’elle attend de l’empereur romain sont conformes à ce qu’exige son rang tout autant qu’à ce que suppose leur relation amoureuse :

Oui, tandis que le roi [Ptolémée] va lui-même en personne
Jusqu’aux pieds de César prosterner sa couronne,
Cléopâtre s’enferme en son appartement,
Et, sans s’en émouvoir, attend son compliment70.

53Achorée commente ce comportement, que Charmion attribue à la présomption, comme la manifestation d’un « orgueil noble et juste, et digne d’une reine / Qui soutient avec cœur et magnanimité / L’honneur de sa naissance et de sa dignité71 ».

54Tout en prenant le parti de Pompée, qu’elle refuse de trahir, Cléopâtre résume en ces termes les lettres de compliments amoureux que lui fait parvenir César :

[…] depuis jusqu’ici chaque jour ses courriers
M’apportent en tribut ses vœux et ses lauriers.
Partout, en Italie, aux Gaules, en Espagne,
La fortune le suit, et l’amour l’accompagne,
Son bras ne dompte point de peuples ni de lieux
Dont il ne rende hommage au pouvoir de mes yeux,
Et de la même main dont il quitte l’épée
Fumante encor du sang des amis de Pompée,
Il trace des soupirs, et d’un style plaintif
Dans son champ de victoire il se dit mon captif72.

55Le topos de la militia amoris, auquel le Menteur recourait par feinte, est ici partiellement resémantisé sous la plume de l’empereur de Rome. Néanmoins, l’amant tragique emploie les mêmes stéréotypes amoureux – alliance entre Éros et Tyché, hyperboles, synecdoque des « yeux », topos courtois du serviteur dévoué et fidèle… – que l’amant de comédie. Le jeu demeure tout autant déséquilibré : tandis que l’amant a l’initiative de la partie, sa maîtresse pratique avec virtuosité l’art de la fausse modestie, du faux dédain et de l’esquive. Tout en adoptant une attitude en apparence passive, c’est elle, encore une fois, qui mène le jeu :

César
Comment a-t-elle reçu les offres de ma flamme ?

Antoine
Comme n’osant la croire, et la croyant dans l’âme ;
Par un refus modeste et fait pour inviter,
Elle s’est dit indigne, et la croit mériter73.

56Le personnage d’Antoine rend bien compte, en s’appuyant ici sur le rythme de l’alexandrin, de la discordance entre énoncé et pensée, dans la réponse qu’apporte Cléopâtre aux compliments de César. Dans la comédie comme dans la tragédie, le compliment se définit donc bien, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Milorad R. Margitić, comme un « power game74 ».

57Toutefois, si le schéma linguistique et énonciatif de l’échange complimenteur reste sensiblement le même dans ces deux genres, on peut étudier la réponse que l’héroïne tragique apporte au compliment comme un acte illocutoire chargé d’enjeux politiques. Ainsi, pour Cléopâtre, les intérêts du cœur ne sont pas les seuls à compter et, si le compliment s’inscrit dans les étapes devant mener à une union, il doit avant tout servir ses ambitions politiques75. Chez elle, ce n’est pas tant l’aspect ludique du jeu qui l’emporte, mais bien la mise engagée. Accepter le compliment de César équivaut donc à établir un pacte : lui offrir sa main en échange du trône impérial. On le voit : pour la sœur du roi d’Égypte, le gain amoureux se double d’un gain politique considérable, tandis que, pour les deux personnages, l’enjeu galant entre dans une stratégie de pouvoir. Dans ce jeu politico-amoureux, comme l’indique Cléopâtre à sa suivante, une reine ne peut se permettre de perdre :

Apprends qu’une princesse aimant sa renommée,
Quand elle dit qu’elle aime, est sûre d’être aimée,
Et que les plus beaux feux dont son cœur soit épris
N’oseraient l’exposer aux hontes d’un mépris76.

58Pour cela, sa stratégie consiste à déjouer tout mensonge ou flatterie chez son interlocuteur, de même qu’elle s’interdit elle-même de recourir à la feinte. L’héroïne tragique sait donc renverser le jeu à son avantage : son ethos lui interdit de se soumettre au rôle inférieur et soumis que le rituel galant pourrait lui imposer ; plus encore que l’héroïne de comédie, cette figure fait donc du compliment un devoir qu’on lui rend77.

59Or, dans le cadre de la tragédie, l’inscription des paroles de la civilité au sein des rituels et cérémonies de cour explique qu’elles puissent justement être perçues comme un vernis mensonger et comme un carcan dont l’héroïne doit se libérer lorsque son pouvoir est spolié ou menacé. Le personnage s’affranchit alors temporairement des règles pour adopter une parole libre et franche, présentée comme antithétique de la modération polie :

J’ai rendu jusqu’ici cette reconnaissance
À ces soins tant vantés d’élever mon enfance,
Que tant qu’on m’a laissée en quelque liberté,
J’ai voulu me défendre avec civilité :
Mais puisqu’on use enfin d’un pouvoir tyrannique,
Je vois bien qu’à mon tour il faut que je m’explique,
Que je me montre entière à l’injuste fureur,
Et parle à mon tyran en fille d’empereur78.

60Seule survivante connue de l’empereur Maurice, dont Phocas a usurpé la place, Pulchérie refuse d’épouser Martian, le fils de celui-ci, pour des motifs à la fois politiques et amoureux : elle ne veut ni légitimer la tyrannie de Phocas, à qui elle s’adresse ici, ni en épouser un autre que celui qu’elle aime, Léonce (sous les traits duquel se cache en fait Martian, dont l’identité a été usurpée). L’imposture de Phocas justifie l’attitude de l’héroïne, qui se libère des convenances civiles afin de défendre son honneur et de laisser parler son véritable genus, celui de « fille d’empereur ».

61Rodogune, quant à elle, adopte une autre stratégie dans sa rivalité avec Cléopâtre : elle choisit de jouer pleinement le jeu de la civilité courtoise en en faisant un moyen au service de ses fins ; elle réclame en effet la tête de la reine de Syrie aux propres fils de celle-ci, qui l’aiment tous deux, en mettant sa main à ce prix. Après avoir, dans une scène de monologue, rejeté l’idée d’utiliser ses charmes auprès de ses amants pour qu’ils prennent son parti contre leur mère, qui leur a elle-même demandé sa mort79, elle ose enfin « bris[er] avec honneur [s]on illustre esclavage » et « reprendre un cœur pour aimer, et haïr80 ». Double de sa rivale, elle se « fai[t] connaître » en marchandant son amour :

C’est à vous de choisir mon amour, ou ma haine,
J’aime les fils du roi, je hais ceux de la reine,
Réglez-vous là-dessus, et sans plus me presser
Voyez auquel des deux vous voulez renoncer81.

62Refusant de choisir entre leur mère et leur maîtresse, les deux frères préfèreront attendre que Cléopâtre les départage en vertu du droit d’aînesse. Séleucus choisira même de se retirer du jeu en se laissant assassiner par sa mère.

63On le voit, qu’elle s’en libère ou bien qu’elle tente d’en détourner les règles à son profit, l’héroïne tragique n’intègre les formes langagières de la civilité amoureuse qu’en tant qu’elles servent ses ambitions politiques. Aussi, contrairement à l’héroïne de comédie, ne fait-elle jamais de la parole galante une fin en soi, qui saurait lui suffire ni la satisfaire : celle-ci est toujours subordonnée à un intérêt supérieur, d’ordre politique. La scène 3 de l’acte IV de La Mort de Pompée nous offre l’exemple d’un « échange complimenteur » marqué par l’entente et l’harmonie entre les amants :

César
[…]
Et vos beaux yeux enfin m’ayant fait soupirer,
Pour faire que votre âme avec gloire y réponde,
M’ont rendu le premier et de Rome et du monde.
C’est ce glorieux titre, à présent effectif,
Que je viens ennoblir par celui de captif,
Heureux, si mon esprit gagne tant sur le vôtre,
Qu’il en estime l’un et me permette l’autre.

Cléopâtre
Je sais ce que je dois au souverain bonheur
Dont me comble et m’accable un tel excès d’honneur.
Je ne vous tiendrai plus mes passions secrètes : […]
J’avoue, après cela, seigneur, que je vous aime82 […].

64Or, contrairement à la dispositio de la comédie, cette scène de duo amoureux ne se situe pas au dénouement de la pièce, qui verra les amants se séparer, chacun s’installant sur son trône pour y régner. C’est bien que le compliment, et plus largement les paroles de civilité amoureuse, sont des moyens au service d’une fin à laquelle ils ne se substituent pas : la conquête du pouvoir.

65La tragédie cornélienne définit l’échange complimenteur comme l’une des règles d’un double jeu amoureux et politique dans lequel chaque joueur – l’amant royal et sa maîtresse – doit tenir son rang. Le genre de la tragédie, chez Corneille, ne saurait donc être qualifié d’ontologiquement « galant », contrairement à l’ancienne accusation formulée contre lui par Voltaire et La Harpe, de nombreuses fois contredites par la suite, selon les termes d’un débat parfaitement résumé par Carine Barbafieri83. Répondant à ces critiques dans son Cours de littérature dramatique paru en 1818, Geoffroy défend la tragédie cornélienne en ces termes :

Pourquoi donc, dit Voltaire, Corneille, dédaignant d’établir sur l’amour l’intérêt de ses pièces, les a-t-il refroidies par des intrigues galantes ? Il parle sans cesse d’amour, et il en parle mal. Dans La Mort de Pompée, par exemple, l’amour de César et de Cléopâtre est-il digne de la tragédie ? Je réponds qu’en cela Corneille s’est fort rapproché du ton de la société ; il a peint les mœurs et non pas des chimères : la galanterie faisait partie de la politesse des grands et des rois, toutes les cours de l’Europe, et surtout la cour de France, étaient galantes : Corneille a donc prêté à ses héros le langage que les héros de son temps étaient accoutumés de tenir dans le monde84.

66Si, comme la comédie, la tragédie montre chez Corneille des héros de l’histoire ou de la mythologie parlant la langue galante du temps, là n’est pas le but du spectacle représenté. Dans ses pièces, la galanterie ne peut se comprendre indépendamment de la nature politique du genre : elle est mise au service du jeu de pouvoir qui constitue le cœur de la tragédie, parce qu’elle fait partie de ses règles et en imprègne les rituels et cérémonials.

67Plusieurs contemporains de Corneille ont laissé des témoignages de ses médiocres qualités d’orateur et de son éloquence laborieuse : selon La Bruyère, il était même « simple, timide, d’une ennuyeuse conversation85 ». Aussi le portrait qu’il fait indirectement de lui en habile poète et amant disert, dans l’extrait de La Galerie du Palais que nous avons cité au début de notre étude, serait-il flatté. Quoi qu’il en soit des qualités galantes propres à Corneille lui-même, ses pièces révèlent parfaitement à quel point le compliment s’impose comme un jeu de civilité au moment où les règles de la politesse se redéfinissent dans la première moitié du xviie siècle. L’échange complimenteur, qu’il se réduise à un couple de répliques ou qu’il se déploie en une séquence plus longue, fait partie des jeux d’esprit auxquels les personnages de la comédie s’entraînent, en apprenant à en maîtriser les rapports de force et à en renverser les déséquilibres. À ce titre, le compliment relève du game, mais aussi et surtout de l’agôn, car, sous l’apparent badinage galant, c’est bien le don de soi qui se joue. La tragédie révèle davantage encore à quel point l’échange complimenteur relève d’une rhétorique du combat : sa place, fixe et imposée dans les rituels et cérémonies de cour, ne doit pas occulter, en effet, sa valeur d’acte illocutoire. Car il s’agit bien, que l’on complimente ou que l’on réponde au compliment, de demander à son interlocuteur d’agir au travers d’un acte de langage qui se voudrait performatif, mais échoue parfois à l’être. En cela, la dramaturgie cornélienne se définit bien comme une « dramaturgie de la gageure86 ».

Notes

1 Jean Starobinski, Le Remède dans le mal. Critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Paris, Gallimard, « NRF Essais », 1989, « Sur la flatterie », p. 61.

2 Rappelant le lien étymologique entre la civilité, la cité et la vie du citoyen, Alain Pons précise que, « [d]ès la fin du xve siècle, […] civilité prend une valeur de plus en plus individuelle, morale et psychologique, et dénote une certaine qualité, facile et douce, des rapports entre les personnes » (dans Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre, du Moyen Âge à nos jours, dir. Alain Montandon, Paris, Seuil, 1995, article « Civilité – Urbanité », p. 99).

3 Voir, dans l’introduction de ce numéro, le frontispice de La Maison académique (1654).

4 Jean-Michel Pelous, Amour précieux, amours galant (1654-1675). Essai sur la représentation de l’amour dans la littérature et la société mondaines, Paris, Klincksieck, 1980.

5 On se souvient des célèbres lignes de l’« Examen » de Mélite : « La nouveauté de ce genre de Comédie, dont il n’y a point d’exemple en aucune Langue, et le style naïf, qui faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit » (P. Corneille, Œuvres complètes I, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. 5-6).

6 Voir Charles Sorel, La Maison des Jeux [1657], éd. Marcella Leopizzi, Paris, H. Champion, 2017.Voir dans l’introduction à ce volume l’illustration no 1.

7 P. Corneille, La Galerie du Palais, dans Théâtre I, éd. Jacques Maurens, Paris, GF, 1968 [rééd. 2006], acte I, sc. 7, v. 145, p. 236.

8 Ibid., v. 157-160 et 163-172, p. 236.

9 Ch. Sorel, La Maison des Jeux, op. cit., p. 163.

10 On peut également voir dans cette règle l’équivalent de l’effort de mémorisation demandé au joueur de cartes, qui doit se souvenir des cartes que son ou ses adversaires ont déjà posées. Voir, dans l’introduction, le portrait d’un joueur tel que Dangeau dans la partie de reversi décrite par Madame de Sévigné.

11 Voir Delphine Denis, « L’échange complimenteur : un “lieu commun” du bien-dire », dans Actes du Colloque de Reims (novembre 1999), Franco-Italica, nos 15-16, 1999, p. 143-161.

12 Furetière définit le compliment comme une « civilité, ou honnesteté qu’on fait à autruy, soit en paroles, soit en actions » (Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye-Rotterdam, Arnout & Reinier Leers, 1690, s. v. « Compliment »).

13 Eustache De Refuge, Traité de la Cour, ou Instruction des courtisans, Paris, s. l., 1618, p. 14, cité par D. Denis, « L’échange complimenteur […] », art. cité, p. 144.

14 Le Menteur, dans Théâtre I, éd. citée, acte II, sc. 1, v. 383-386, p. 536.

15 Dans La Veuve, Doris se moque de Florange, incapable de la complimenter de manière spirituelle lorsqu’elle l’a rencontré au bal (dans Théâtre I, éd. citée, acte I, sc. 3).

16 « Dorimant – Ainsi tout aujourd’hui mes pas ont été vains. / Florice, à ce défaut fais-lui [à Hippolite] mes baisemains. / Florice, seule – Ce sont des compliments dont elle a bien affaire ! » (La Galerie du Palais ou l’amie rivale, dans Théâtre I, éd. citée, acte III, sc. 12, v. 1051-1053, p. 271).

17 « [V]ous n’avez que de moi reçu des sérénades » (Le Menteur, dans Théâtre I, éd. citée, acte I, sc. 3, v. 162, p. 526).

18 « Fais que sans m’y mêler ton compliment s’explique » (La Place Royale, éd. Marc Escola, Paris, GF Flammarion, 2001, acte II, sc. 2, v. 377, p. 101).

19 « Adieu, je vais changer la lettre que j’envoie, / En écrire à son père un nouveau compliment » (Le Menteur, dans Théâtre I, éd. citée, acte IV, sc. 4, v. 1238-1239, p. 570-571).

20 Catherine Kerbrat-Orecchioni, Les Interactions verbales, Paris, Armand Colin, 1994, t. III, chap. V : « L’échange complimenteur », p. 199-301.

21 Ibid., p. 200-201.

22 On peut également penser au jeu de hère, dont Furetière explique ainsi les règles : « Here, est aussi un jeu de cartes, où on ne donne qu’une carte à chaque personne. On la peut changer contre son voisin, & celuy à qui la plus basse carte demeure perd le coup » (Dictionnaire universel, op. cit., entrée « Hère »).

23 Mélite ou les fausses lettres, dans Théâtre I, éd. citée, acte V, sc. 4, v. 1795-1798, 1803-1804 et 1807, p. 113.

24 La Galerie du Palais, dans Théâtre I, éd. citée, acte IV, sc. 6, v. 1302-1305 et 1325-1326, p. 280-281.

25 Pierre Richelet, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, Genève, chez Jean Herman Widerhold, 1680, article « Afeté, afetée ».

26 J. Starobinski, Le Remède dans le mal, op. cit., p. 71.

27 La Galerie du Palais, dans Théâtre I, éd. citée, acte II, sc. 1, v. 331-337, p. 243.

28 Ibid., v. 353-357, p. 243-244.

29 Ibid., v. 366-367, p. 244.

30 Ibid., v. 373-376, p. 244.

31 D. Denis, La Muse galante. Poétique de la conversation dans l’œuvre de Madeleine de Scudéry, Paris, H. Champion, 1997, p. 260. Voir également : « Véritables joutes verbales, les échanges complimenteurs peuvent se décrire sur le modèle éristique de la disputatio, attaques et défenses successivement négociées selon des stratégies diverses » (« L’échange complimenteur : un “lieu commun” du bien-dire », art. cité, p. 149).

32 Sur la raillerie, voir Delphine Denis, « L’honnête raillerie des conversations de L’Astrée », dans Par les siècles et les genres. Mélanges en l’honneur de Giorgetto Giorgi, dir. Élisabeth Schulze-Busacker et Vittorio Fortunati,Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 273-283 ; et La Raillerie au xviie siècle, numéro de Littératures classiques dirigé par Françoise Poulet, Myriam Tsimbidy et Arnaud Welfringer, à paraître en 2022.

33 La Suivante, dans Théâtre I, éd. citée, acte I, sc. 5, v. 221-224 et 227, p. 318.

34 Voir l’« Examen » de Mélite déjà cité, dans P. Corneille, Œuvres complètes I, op. cit., p. 5-6.

35 La Galerie du Palais, dans Théâtre I, éd. citée, acte II, sc. 2, v. 393-396, p. 245.

36 D. Denis, La Muse galante, op. cit., p. 265 sq. Voir aussi Bérengère Parmentier, « Arts de parler, art de faire, arts de plaire. La publication des normes éthiques au xviie siècle », Littératures classiques, no 37, De l’« utilité » de la littérature, automne 1999, p. 141-154.

37 D. Denis, « L’échange complimenteur : un “lieu commun” du bien-dire », art. cité, p. 148.

38 « Tu serais incivil de la voir chaque jour / Et ne lui pas tenir quelques propos d’amour, / Mais d’un vain compliment ta passion bornée / Laisse aller tes desseins ailleurs pour l’hyménée » (Mélite, dans Théâtre I, éd. citée, acte I, sc. 1, v. 47-50, p. 46).

39 Ibid., v. 61-67, p. 47.

40 Le Menteur, dans Théâtre I, éd. citée, acte I, sc. 6, v. 326-338, p. 534.

41 Devant Alcippe et Philiste, il revendique être l’auteur d’une « galanterie » donnée sur l’eau, avec collation, musique, danse et feu d’artifice (ibid., acte I, sc. 5, v. 241 sq., p. 530-533).

42 Voir Georges Forestier, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du xviie siècle [1981], Genève, Droz, 1996, p. XII.

43 On peut interpréter ainsi la didascalie liminaire de la sc. 2 de l’acte I : « Clarice, faisant un faux pas, et comme se laissant choir » (Le Menteur, dans Théâtre I, éd. citée, p. 524).

44 Nous nous permettons de renvoyer à F. Poulet, « La scène de la fenêtre du Menteur de Corneille (III, 5) : l’illusion théâtrale comme jeu de dupes », dans Scènes de balcon / Balcony scenes, Arrêt sur scène / Scene Focus [En ligne], dir. Bénédicte Louvat, Florence March, Janice Valls-Russell, Sarah Hatchuel et Nathalie Vienne-Guerrin, no 6, 2018, http://www.ircl.cnrs.fr/productions%20electroniques/arret_scene/arret_scene_focus_6_2017.htm

45 Le Menteur, dans Théâtre I, éd. citée, acte IV, sc. 9, v. 1429-1430, p. 580.

46 Ibid., acte V, sc. 6, v. 1786-1787, p. 596.

47 La Suivante, dans Théâtre I, éd. citée, acte I, sc. 9, v. 334-336, p. 322. Voir aussi Hippolite à propos de Léandre dans La Galerie du Palais : « Ô Dieux ! qu’il est adroit quand il veut déguiser ! / Et que pour mettre en jour ces compliments frivoles / Il sait bien ajuster ses yeux à ses paroles ! » (dans Théâtre I, éd. citée, acte IV, sc. 1, v. 1060-1062, p. 271-272). « Compliments frivoles » peut être synonyme de « galanteries » : « Elle rit de Florame, et de ses flatteries, / Qui ne sont en effet que des galanteries » (La Suivante, dans Théâtre I, éd. citée, acte I, sc. 6, v. 241-242, p. 319).

48 La Galerie du Palais, dans Théâtre I, éd. citée, acte V, sc. 4, v. 1591-1594, p. 293.

49 « Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre / Le fond de notre cœur dans nos discours se montre / Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments / Ne se masquent jamais sous de vains compliments » (Molière, Le Misanthrope, éd. Jacques Chupeau, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2000, acte I, sc. 1, v. 69-72, p. 50).

50 Cloris, dans Mélite, fait exception, puisqu’elle ne se laisse pas abuser par les discours de Philandre : « L’infidèle m’a fait tant de nouveaux serments, / Tant d’offres, tant de vœux, et tant de compliments / Mêlés de repentirs… […] / Au moins tous ses discours n’ont encor rien gagné » (dans Théâtre I, éd. citée, acte V, sc. 5, v. 1861-1863 et 1866, p. 115).

51 Madeleine de Scudéry, Clélie, histoire romaine (IX, 111), cité par D. Denis, La Muse galante, op. cit., p. 262.

52 Ibid., p. 262-263.

53 La Place Royale, éd. citée, acte II, sc. 2, v. 355, p. 100.

54 Ibid., acte II, sc. 2, v. 363-365, p. 100.

55 Hélène Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, H. Champion, 2000, p. 226.

56 « Les règles que je suis ont un air tout divers, / Je veux que l’on soit libre au milieu de ses fers » (La Place Royale, éd. citée, acte I, sc. 4, v. 211-212, p. 91). Voir H. Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les lettres, op. cit., p. 223 : « Alidor […] se compte parmi les esprits “extraordinaires”, c’est-à-dire au-dessus des “règles” : extraordinaire, extravagance, absolutisme vont de pair. »

57 « C’est de vous que j’ai appris que l’Amour d’un honnête homme doit être toujours volontaire, qu’on ne doit jamais aimer en un point qu’on ne puisse n’aimer pas ; que si on en vient jusque-là, c’est une tyrannie dont il faut secouer le joug, et qu’enfin la personne aimée nous a beaucoup plus d’obligation de notre Amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix, et de son mérite, que quand elle vient d’une inclination aveugle, et forcée par quelque ascendant de naissance à qui nous ne pouvons résister » (La Place Royale, éd. citée, « À Monsieur*** », p. 79-80).

58 « Angélique, en pleurant. Mais enfin Alidor, tes gens se sont mépris ? » (ibid., acte IV, sc. 6, v. 1126, p. 139).

59 Ibid., acte I, sc. 1, v. 35-36, p. 85.

60 Voir notamment Christine Moisan-Morteyrol, « Les premières comédies de Corneille : prélude à La Place Royale », Europe, vol. LII, nos 540-541, avril-mai 1974, p. 91-99 et Boris Donné, « D’Alidor à Alceste : La Place Royale et Le Misanthrope, deux comédies de l’extravagance », Littératures classiques, no 58, Le Salon et la scène : comédie et mondanité au xviie siècle, dir. Gabriel Conesa et Véronique Sternberg, printemps 2006, p. 155-175.

61 La Place Royale, éd. citée, acte V, sc. 7, v. 1555-1556, p. 158.

62 Ibid., acte I, sc. 2, v. 118-122, p. 88.

63 Ibid., acte V, sc. dernière, v. 1586-1589, p. 159-160.

64 Pour reprendre la terminologie élaborée par Roger Caillois dans Les Jeux et les Hommes. Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1958.

65 Voir H. Merlin-Kajman, « Le lieu de la scène », dans Classical Unities : Place, Time, Action, dir. E. R. Koch, Tübingen, G. Narr, « Biblio 17 », 2001, p. 15-32, et Serge Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Idées », 1963, p. 59-75. Alidor qualifie lui-même son esprit de « fort » : « Et lassé de souffrir un si rude servage / J’ai l’esprit assez fort pour combattre un visage » (La Place Royale, éd. citée, acte IV, sc. 1, v. 989-990, p. 132).

66 P. Corneille, « Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique », dans Trois discours sur le poème dramatique [1660], éd. Marc Escola et Bénédicte Louvat, Paris, GF, 1999, p. 72.

67 Rodogune, dans P. Corneille, Théâtre III, éd. Christine Noille-Clauzade, Paris, GF, 2006, acte V, sc. 3, v. 1559-1561, p. 79.

68 Ibid., p. 80.

69 « Achorée – On l’amène ; et du port nous le voyons venir, / Sans que pas un d’entre eux daigne l’entretenir. / Ce mépris lui fait voir ce qu’il en doit attendre » (La Mort de Pompée, dans Théâtre II, éd. Jacques Maurens, Paris, GF, 1968 [rééd. 2006], acte II, sc. 2, v. 499-501, p. 528).

70 Ibid., acte III, sc. 1, v. 721-724, p. 535.

71 Ibid., v. 726-728, p. 536.

72 Ibid., acte II, sc. 1, v. 391-400, p. 525.

73 Ibid., acte III, sc. 3, v. 953-956, p. 541-542.

74 Milorad R. Margitić, Cornelian Power Games. Variations on a Theme in Pierre Corneille’s theatre from « Mélite » to « Polyeucte », Tübingen, G. Narr, 2002.

75 « Achevons cet hymen, s’il se peut achever ; / Ne durât-il qu’un jour, ma gloire est sans seconde / D’être du moins un jour la maîtresse du monde. / J’ai de l’ambition, et soit vice ou vertu, / Mon cœur sous son fardeau veut bien être abattu ; / J’en aime la chaleur, et la nomme sans cesse / La seule passion digne d’une princesse » (La Mort de Pompée, dans Théâtre II, éd. citée, acte II, sc. 1, v. 428-434, p. 526).

76 Ibid., v. 385-388, p. 525.

77 Sur l’ethos de l’héroïne tragique chez Corneille, voir, entre autres, Alexandra Licha, « Au-delà de la dévotion et de la galanterie : l’héroïne cornélienne ou l’avènement d’une vertu dramatique », dans Pratiques de Corneille, dir. Myriam Dufour-Maître, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2012, p. 631-650.

78 Héraclius, dans Théâtre III, éd. citée, acte I, sc. 2, v. 109-116, p. 106-107.

79 « Quoi ! je pourrais descendre à ce lâche artifice / D’aller de mes amants mendier le service, / Et sous l’indigne appas d’un coup d’œil affeté, / J’irais jusqu’en leurs cœurs chercher ma sûreté ? » (Rodogune, dans Théâtre III, éd. citée, acte III, sc. 3, v. 843-846, p. 53-54).

80 Ibid., v. 880-881, p. 54.

81 Ibid., v. 1011 et 1023-1026, p. 59.

82 La Mort de Pompée, dans Théâtre II, éd. citée, acte IV, sc. 3, v. 1276-1285 et 1290, p. 551.

83 Voir Carine Barbafieri, Atrée et Céladon. La galanterie dans le théâtre tragique de la France classique (1634-1702), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.

84 Cité par C. Barbafieri, ibid., p. 21.

85 Cité par Georges Mongrédien, Recueil des textes et des documents du xviie siècle relatifs à Corneille, Paris, CNRS, 1972, p. 323.

86 Voir Georges Forestier, « Une dramaturgie de la gageure », RHLF, no 5, 1985, p. 811-819.

Pour citer ce document

Françoise Poulet, « Le théâtre ou la « maison des jeux » : règles et stratégies du compliment dans quelques comédies et tragédies cornéliennes » dans Corneille : un théâtre où la vie est un jeu,

sous la direction de Liliane Picciola

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent », n° 1, 2021

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1213.

Quelques mots à propos de :  Françoise Poulet

Université Bordeaux Montaigne / Institut Universitaire de France
EA CLARE – CEREC
Françoise Poulet, agrégée de Lettres modernes, est maître de conférences en langue et littérature françaises du xviie siècle à l’Université Bordeaux Montaigne. Elle est membre de l’EA CLARE (CEREC) et de l’Institut universitaire de France (junior 2021). Dans le sillage de sa thèse consacrée aux représentations de l’extravagance dans les années 1620-1660, ses recherches actuelles portent sur des rituels énonciatifs inscrits au cœur de la civilité à l’âge classique (la raillerie, le compliment). Plusieurs de ses articles portent sur le théâtre de Corneille, parmi lesquels : « Les comédies de Corneille ou la mise en vers de l’honnête conversation » dans Pierre Corneille, la parole et les vers, dir. Myriam Dufour-Maître, Publications numériques du CÉRÉdI, 2020, URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=981 ; et « Illustrations et réillustrations des comédies de Corneille (xviie-xviiie siècle) : de la mise en figures du texte à l’autonomisation de l’image », à paraître dans Littératures classiques en 2022.