Sommaire
11 / été et automne 2023
Les enjeux du label Capitale Européenne de la Culture pour le développement territorial
- Editorial
- Charles-Edouard Houllier-Guibert, Fabienne Leloup et Laurence Moyart Les CEC deviennent un champ d’étude au fil des années
- Articles
- Marina Rotolo Villes moyennes et labellisation CEC. Quels effets ?
- Corina Turșie Capital social et réseaux organisationnels dans le cadre de Timișoara, Capitale européenne de la Culture 2023
- Pauline Bosredon et Thomas Perrin Les maisons Folie d’hier à aujourd’hui, instruments d’une transformation urbaine multiscalaire
- Cristina Algarra Périmètre et mise en récit des candidatures françaises au label Capitale européenne de la culture
- Mathilde Vignau Les effets du titre Capitale Européenne de la Culture sur l’aménagement urbain local, 10 ans plus tard
- Maria Elena Buslacchi Toute ville Capitale. L’essaimage des Capitales européennes de la culture
- Synthèses
- Patrizia Laudati Compte-rendu d’ouvrage. Capitales Européennes de la Culture en Méditerranée : voyage dans les villes de l’entre-deux. Une perspective anthropologique sur les transformations urbaines depuis Gênes et Marseille
Maria Elena Buslacchi – 2020 – 191 pages - Anne-Marie Autissier Un nouveau cap pour les Capitales européennes de la culture ?
- Boris Grésillon La dissolution du 31 décembre 2013 : de la capitale de la culture à la capitale de la cloture
Toute ville Capitale. L’essaimage des Capitales européennes de la culture
Maria Elena Buslacchi
Depuis 1985, le programme des Capitales européennes de la culture a donné lieu à de nombreuses formes de filiation et d’émulation, qui s’insèrent dans un contexte d’événementialisation des territoires. Cet article examine une série de labels « capitales » de l’échelle micro-locale à l’échelle globale afin d’observer les pratiques institutionnelles, professionnelles et culturelles auxquelles la diffusion de ces labels a donné lieu. A partir de l’analyse de l’état de l’art et d’une comparaison systématique de plusieurs cas, ce travail offre un panorama réflexif et suggère des pistes de recherche inédites sur un phénomène qui a intéressé les géographes, les sociologues, les anthropologues, les urbanistes et qui, toujours en expansion après quarante ans, ne cesse d’interroger la communauté scientifique sur les effets qu’il a sur la société contemporaine.
Since 1985, the European Capitals of Culture programme has given rise to numerous forms of filiation and emulation, good examples of a wider context of eventization in territorial policies. This article examines a series of examples of ‘capital’ labels from the micro-local to the global scale in order to observe the institutional, professional and cultural practices which emerged in relation with. Based on an analysis of the state of the art and a systematic comparison of several cases, this work aims to offer a reflective overview and suggest new research paths into a phenomenon that has interested geographers, sociologists, anthropologists and urban planners and which, still expanding after forty years, continues to question the scientific community about the effects it has on contemporary society.
1Presque quarante ans après la naissance du programme des Capitales (anciennement Villes) européennes de la culture, et après avoir traversé plusieurs phases1, le label a essaimé à plusieurs échelles. D’autres programmes « capitales » existent désormais dans le monde et font référence à des aires culturelles ou des continents : Capitales de la culture arabe (depuis 1996), Capitales de la culture islamique (depuis 2019), Capitales de la culture des Amériques (depuis 2000) deux mouvements différents en Amérique latine, Capitales africaines de la culture (depuis 2020), Culture and Arts Capital of the Turkic World (depuis 2012), Capitales culturelles de l’Asie orientale (depuis 2014). En 2024, dans la ville de Nizhny Novgorod en Russie, se tient pour la première fois une Capitale russe de la culture, tandis que l’Union pour la Méditerranée a récemment créé son label Capitales méditerranéennes de la culture et du dialogue, attribué aux villes de Tirana et Alexandrie pour l’année 2025. Parallèlement, des initiatives se sont développées à l’échelle nationale afin de reproduire ou décliner le modèle CEC dans plusieurs pays ; et des filiations thématiques ont aussi vu le jour à l’échelle européenne2. A partir de l’analyse parallèle de plusieurs programmes, de l’observation directe et des expériences de terrain, le texte offre des exemples de ces programmes de deuxième, voire troisième, génération, en observant de manière comparative la gouvernance adoptée dans les différents cas ainsi que les traits communs et les objectifs stratégiques, parfois affichés, parfois implicites et sous-jacents, pour en proposer en conclusion une problématisation analytique et critique.
2Certes le programme des CEC exerce un attrait indéniable de la part des institutions publiques et des collectivités locales (Wilson et O’Brien 2012), mais la littérature scientifique souligne une dimension critique. Insérées dans un cadre plus général d’internationalisation des politiques territoriales (Pasquier, 2012) et de généralisation de l’attribution de subventions par appel à projet (Arfaoui, 2019 ; Breton, 2014 ; Epstein, 2013), ces initiatives seraient des projets construits selon une logique descendante, qui bénéficierait davantage aux porteurs de projet et aux touristes, qu’aux populations locales (Epstein, 2015). L’analyse de la programmation des événements montre en effet comment les comités d’organisation accordent souvent une place centrale à des professionnels et à des opérateurs culturels déjà intervenus lors des éditions précédentes, ou du moins déjà affirmés à l’échelle internationale, avec un effet d’homogénéisation et de standardisation de l’offre. Sur le terrain, dans plusieurs villes capitales, on constate également que plusieurs mouvements off ont vu le jour, s’opposant ouvertement à la mise en place d’une programmation liée à un label (Lähdesmäki, 2013) ou proposant une programmation alternative, censée mieux représenter la scène artistique et culturelle locale, voire le territoire tout-court (Vivant, 2007 ; Buslacchi et al., 2016). La gouvernance des projets a donc évolué dans le temps, et dans cette dernière phase, vers l’effort d’associer les objectifs de promotion touristique à une proposition qui se voudrait désormais premièrement destinée à (et possiblement co-construite avec) la population locale (Nagy, 2018). Des indications explicites sont apparues dans le Guide aux villes candidates3 et l’implication des habitants est désormais régulièrement prise en compte comme un critère déterminant dans les rapports des jurys de sélection (Tommarchi et al., 2018). Du côté des comités chargés de monter une candidature, puis des comités d’organisation, cette indication a souvent pu être vécue comme une contrainte4. Mais désormais, la question de la participation ne peut plus être esquivée et se traduit au programme à la fois par l’intégration d’un quota de propositions participatives qui relèvent plutôt de logiques d’affichage ; aussi bien que dans des initiatives qui adoptent sincèrement des modes de fonctionnement participatifs, selon différentes formes d’implication des populations.
3La diffusion exponentielle des programmes comme outils de marque pour les collectivités, ainsi que la logique d’implication qui y est associée, ont familiarisé les différents publics avec ce genre d’événements et contribué à rendre les labels « Capitale » comme un instrument quasi-ordinaire de l’action publique. En effet, les programmes ici présentés à titre d’exemples montrent à la fois la variété des modes d’appropriation de ce genre de dispositifs à différentes échelles et la manière dont un label en soi, imaginé comme exceptionnel, a fini par inspirer un mode de fonctionnement des politiques publiques qui, malgré son caractère compétitif, devient la norme.
1. Les capitales « nationales » ou « régionales » de la culture
4Plusieurs capitales de la culture ont vu le jour comme déclinaisons des CEC à l’échelle d’un Pays ou d’une région. Si l’on a pu recenser l’existence d’une dizaine d’initiatives dans l’espace européen5, toutes n’ont pas la même régularité ni les mêmes dotations financières. Elles adoptent des modes de fonctionnement qui composent avec les cadres institutionnels et politiques, nationaux ou locaux. Toutefois, on constate la même volonté de mettre en avant un territoire dans son contexte (national, régional), selon un principe de rotation plus ou moins compétitif, en lui octroyant des moyens publics supplémentaires et surtout une visibilité médiatique accrue.
1.1. Le prototype des UK Cities of Culture
5Le titre de UK City of Culture (UKCoC) a été créé à la suite de la désignation de Glasgow CEC 1990 et de Liverpool CEC 2008. Le rapport rédigé par Beatriz Garcia sur la mise en place de la CEC à Liverpool a inspiré l’initiative, à partir d’un constat de succès de l’événement6 qui assume l'utilisation de la culture et de la créativité comme catalyseurs de la régénération urbaine (Evans et Shaw, 2004). Le programme a été décliné à l’échelle du Royaume-Uni, développé par le Ministère du numérique, de la culture et du sport, en collaboration avec les administrations décentralisées d’Écosse, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord. Calqué sur le modèle européen, il est conçu comme un concours qui, tous les quatre ans, invite les villes du Royaume-Uni à présenter un programme traduisant leur vision de la régénération par la culture. Le titre est censé apporter des avantages économiques tangibles l’année où la ville l’obtient, principalement sous la forme de dépenses touristiques, mais aussi sous la forme de services à la population améliorés ou accrus. Après Derry-Londonderry en 2013, Hull en 2017 et Coventry 2021, un jury composé de professionnels des industries culturelles et créatives et de fonctionnaires des services publiques ou territoriaux dans le secteur culturel a désigné Bradford UKCoC 2025 et récompensé la ville avec un fond de départ de £275,000 pour se préparer à l’événement, somme à laquelle viennent s’ajouter des subventions gouvernementales directes et indirectes plus consistantes7.
« Le succès des villes déjà labellisées, Derry/Londonderry, Hull et maintenant l’année passionnante et ambitieuse qui se déroule à Coventry, montre comment le programme peut produire des conséquences économiques et sociales positives, développer des partenariats locaux, nationaux et internationaux durables, et rassembler les gens. Il peut également renforcer les communautés, créer un sentiment d'appartenance et inspirer la fierté locale, en célébrant et en stimulant les arts et la culture locaux, et en attirant de nouveaux investissements et le tourisme » (Guide aux villes candidates UKCoC 2025).
6Du point de vue du Ministère, le programme est considéré comme un succès et un levier de croissance local et est censé acquérir de l’importance depuis que les villes britanniques ne peuvent plus se porter candidate au label de l’UE8. Mais dans les faits, les études de cas attirent plutôt l’attention sur la visibilité limitée en dehors de la région concernée (Bianchini et al., 2021 : 30) et les risques d’homogénéisation de l’offre. Plus particulièrement, notons les difficultés des communautés locales face à la contradiction lors de l’élaboration d’une stratégie capable de concilier le respect de l’histoire et des ambitions du lieu et de ses habitants avec les exigences d’un processus hautement compétitif, basé sur des critères définis au niveau central (Cunningham et Platt, 2019). L’évaluation de Hull UKCoC 2017, par exemple, soulignait le sentiment d'exclusion des minorités ethniques ou des communautés les plus démunies à propos d’un programme aux tons emphatiques, perçu comme en décalage avec la réalité (Doustaly, 2022).
7Déjà en phase de création du label, des éléments critiques avaient été soulevés : une étude (Wilson et O’Brien, 2012) qui faisait état d’une série de rencontres préparatoires contextuelles au lancement de l’initiative, montre comment l’aspect compétitif de l’UKCoC ait fait l'objet de débats. Le format Concours avait été mis en concurrence avec d’autres labellisations de type culturel déjà expérimentées au Royaume Uni, comme la candidature de Norwich au titre de ville de la littérature de l’UNESCO. Cette candidature visait plus à capitaliser sur son patrimoine littéraire et des ressources déjà en place9 qu’à créer une programmation éphémère. La création d’un label UKCoC avait été appréciée par son potentiel galvanisant, tant au stade de la candidature qu’à celui de l’attribution du prix (par exemple, la contrainte pour les acteurs locaux de concevoir une programmation dans des délais spécifiques, la nécessité d’achever la réalisation d’un projet avant une date déterminée), mais en comparaison, le caractère plus permanent des titres de villes créatives de l’UNESCO engendrerait moins de tension pendant la période de candidature et serait donc considéré comme plus sain. L’étude finissait par préconiser plutôt un modèle à rotation, selon lequel les villes répondant à plusieurs critères seraient invitées à accueillir le titre à tour de rôle plutôt qu’à rivaliser, ce qui permettrait de sauvegarder les caractères de variété et de complémentarité de l’offre culturelle de chaque ville.
1.2. Les capitales italiennes de la culture
8Le programme Capitale italienne de la culture (CIC) a été créé par le ministère de la Culture italien en 2014, en réponse à l’important nombre de candidatures présentées à la sélection de la CEC 2019. Le label représentait tout d’abord une manière de capitaliser sur l’investissement des villes perdantes, mais sa portée ne s’explique que dans un cadre législatif plus large. En effet cette action, insérée dans la loi 106/2014 dite « Art Bonus », s’inscrit dans une stratégie de protection et de mise en valeur du patrimoine matériel et immatériel de l’Italie qui encourage (en le défiscalisant de manière importante) le mécénat et les collaborations avec le secteur privé dans la gestion de la culture. Par une harmonisation avec les politiques européennes contemporaines, cette loi met l’accent sur le potentiel économique dont la culture, qui serait insuffisamment exploité dans la péninsule. L’objectif est alors de promouvoir des projets et des activités de valorisation du patrimoine culturel italien, à travers une forme de comparaison et de compétition entre les différentes réalités territoriales, stimulant ainsi la croissance du tourisme et des investissements qui y sont liés. Depuis, les villes de Cagliari, Lecce, Pérouse, Ravenne et Sienne (candidates pour la CEC 2019) ont reçu le titre en 2015, Mantoue en 2016, Pistoia en 2017, Palerme en 2018, Parme en 2020-21 (la programmation a été prolongée pour compenser les restrictions imposées pendant la crise du Covid-19), Procida en 2022, Bergame et Brescia en 2023, Pesaro en 2024. Les procédures de sélection, coordonnées par le secrétariat général du ministère de la Culture, n’imposent pas de restrictions en termes de nombre d’habitants des villes candidates (Palerme compte presque 700 000 habitants, alors que Procida dépasse à peine les 10 000). Les candidatures sont évaluées par un jury composé de sept experts indépendants qui, après avoir auditionné les villes finalistes, recommande au ministre de la Culture le nom de la municipalité, de la ville métropolitaine ou de l'union de municipalités jugée la plus appropriée, en motivant sa décision. Le Ministère donne alors au lauréat une subvention d’un million d’euros pour la réalisation de la programmation, somme qui vient s’ajouter aux subventions mobilisées au niveau local et régional. Bien que les CIC existent depuis dix ans, peu de travaux ont été réalisés jusqu’à ce jour sur l’effet de la labellisation et la réalisation des programmations proposées. Les études existantes sont pour la plupart des évaluations internes ou commanditées par les organisateurs, focalisées sur l’impact économique (Human Foundation, 2019) ou en termes de communication (Guerzoni, 2018). La Fondazione Scuola dei beni e delle attività culturali, dont le ministère de la Culture est l’un des membres fondateurs, a récemment publié un compte-rendu sur la mise en place du label (2024), qui toutefois relève davantage d’un registre descriptif qu’analytique.
1.3. Les capitales françaises de la culture
9Le programme des capitales françaises de la culture (CFC) est plus récent et est explicitement affiché comme une filiation des deux premiers. Son origine remonte à juillet 2012, lors du rendez-vous avignonnais où le Président de la République nouvellement élu, reçut les propositions de la communauté artistique à laquelle il avait fait appel pour construire la politique culturelle de son quinquennat, en demandant « de grands projets pour conforter le dynamisme culturel des territoires et rééquilibrer ainsi les rapports avec la capitale » (Faivre d’Arcier, 2022). En réponse à cet appel, Bernard Faivre d'Arcier proposa de créer le label français et fut chargé de rédiger un rapport et une étude de faisabilité au Ministère de la culture. Tel qu’il a alors été conçu, le programme des CFC présente plusieurs caractères communs à l’un ou à l’autre de ses prédécesseurs : le caractère compétitif est maintenu, la sélection passe par un processus assuré par un jury d’experts, un million d’euros (ici mis à disposition en collaboration avec la Caisse des Dépôts-Banque des territoires) est alloué à la ville lauréate10. Mais la périodicité est une année tous les deux ans. D’autres critères spécifiques ont été introduits, qui orientent les candidatures en amont et en aval de la procédure. En premier lieu, en conséquence du fait que le programme a été construit en relation étroite avec les associations d’élus, et tout particulièrement France urbaine, l’association des maires des grandes villes de France, seules peuvent se porter candidates les « villes moyennes » ou les « groupements de communes » allant de 20 000 à 200 000 habitants11. Ce choix visait à privilégier les villes moyennes en excluant du programme les villes qui auraient pu aspirer au titre de CEC, même si, dans les faits, sept des neuf villes candidates au premier tour au label européen 2028 en France rentraient finalement dans cette échelle12 et certaines finalistes en faisaient même un atout. Notamment Bourges et Clermont-Ferrand. C’est le maire de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, qui est aussi l’un des deux vice-présidents de la Commission culture de France Urbaine et qui affirme :
« Après les candidatures de grandes métropoles, le temps des capitales culturelles européennes de moindre échelle est venu. Aujourd’hui, en Europe, il y a un fort maillage de métropoles de taille moyenne qui sont des centres de création et de recherche cohérents, et offrent un regard sur la culture aussi complet que celui proposé par des villes comme Paris, Berlin ou Londres » (propos recueilli par Roxana Azimi et Marine Vazzoler, 12/11/2020 pour le Quotidien de l’art).
10En deuxième lieu, il s’agit moins d’imaginer une programmation d’événements festivaliers tout le long de l’année ou de réaliser des investissements majeurs dans de nouvelles structures que de focaliser l’attention sur un ou deux projets artistiques innovants et représentatifs d’une spécificité de la ville candidate. Les critères d’évaluation des candidatures, en effet, traduisent la stratégie politique nationale et déclinent en conséquence les critères-types adoptés à l’échelle européenne13. Par exemple, l’un des éléments de choix de la CFC favorise les projets mettant en avant les nouvelles formes d’éducation artistique, les collaborations avec des établissements d’enseignement et en liaison avec les rectorats. La première ville lauréate a été Villeurbanne en 2022, grâce à « une politique de fond centrée sur la jeunesse, organisant une coopération inédite entre éducation populaire et création artistique » (Faivre d’Arcier, 2022). Pendant que les 72 communes de Pays de Montbéliard Agglomération mettent en place l’édition 202414, un projet complémentaire se dessine : l’organisation, les années impaires, d’une Capitale de la francophonie, dont l’esquisse est à l’étude à l’Organisation internationale de la francophonie.
1.4. Une filiation régionale : la Capitale provençale de la culture
11Ce n’est pas un hasard si le premier label de capitale régionale de la culture en France a été créé en Provence. L’héritage de Marseille-Provence 2013 se voit peut-être dans la poussée de ce genre d’initiatives15. Le label des Capitales provençales de la culture (CPC) a été lancé par le Département des Bouches-du-Rhône en 2017, afin de mettre en valeur l’action culturelle des communes et de l’épauler par des initiatives complémentaires : des représentations hors les murs d’institutions comme l’Opéra de Marseille, des propositions de festivals ancrés en région, des programmations itinérantes des compagnies et des acteurs culturels locaux… Le processus de sélection demeure interne au Conseil départemental et fonctionne selon un principe de rotation. Après Trets en 2017, les communes de Tarascon, Pélissanne, Eyguières et Allauch ont ainsi été labellisées CPC en 2018, celles d’Auriol, Cassis, Mollégès, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Saint-Cannat, Sausset-les-Pins, Venelles et les 13e et 14e arrondissements de Marseille en 2020, l’entier Pays d’Arles, avec ses 29 communes, en 2022 et Bouc Bel Air, Velaux, La Roque d’Antheron, Saint-Chamas et Miramas en 2024.
12Les initiatives culturelles à l’échelle des Départements sont habituellement vouées à accompagner les autres compétences territoriales spécifiques et notamment, depuis la loi NOTRe de 2015, l’attractivité du territoire, la valorisation des traditions et du patrimoine, la dimension sociale et de proximité et l’éducation, par un rapprochement du secteur culturel et des politiques des collèges en matière de sensibilisation artistique. Cependant, le label provençal repose sur le constat qu’une collaboration s’était produite entre plusieurs communes en 2013 et que cette synergie alors inédite, jugée bénéfique, pourrait profitablement être étendue à d’autres municipalités. Une volonté politique vient donc réappliquer la méthode de la fabrique d’un territoire par la culture, déjà expérimentée en 2013, et essaie de mettre en place une offre culturelle qui, à défaut d’homogénéité, est du moins coordonnée à l’échelle du Département ; ce que la CEC n’était pas arrivée à faire. Cet aspect est souligné dans le Rapport d'observations définitives sur les comptes et la gestion de l’association Marseille Provence 2013 de la Chambre régionale des comptes PACA publié en 2014 :
« La coopération et la concertation impulsées par MP 2013 pour harmoniser l’offre culturelle apparaissent ainsi difficiles à pérenniser dans un contexte métropolitain qui ne fait pas l’unanimité parmi les élus de la région. Il apparaît dès lors malaisé d’évaluer l’impact durable de la dynamique de l’année capitale et sa capacité à refonder la politique culturelle du territoire ainsi qu’à harmoniser durablement l’offre » (p.52).
13Un budget assez conséquent (500 000 € lors des premières éditions, la moitié de celui de CFC) est destiné à cet objectif, dont les effets demeurent cependant difficiles à cerner, du moins à ce jour.
2. Les capitales thématiques de la culture
14À côté des capitales nationales ou régionales de la culture, d’autres labels ont vu progressivement le jour, soit à l’initiative directe des institutions européennes et leurs organismes satellites16 soit à l’initiative d’associations ou groupements d’acteurs divers, pour la plupart organisés en associations mais, à la base, issus du monde économique et entrepreneurial. Si les premières ont comme objectif principal de faire rayonner les valeurs soutenues par les institutions européennes à l’échelle des territoires, les deuxièmes tendent à associer leur contenu à une stratégie de marketing territorial. Lorsque l’on s’intéresse à l’histoire de leur projet, on constate que ces initiatives aspirent le plus souvent à une légitimation institutionnelle au plus haut niveau (les institutions européennes sont mises en avant via des citations textuelles ou des vidéos des représentants s’exprimant sur le projet). Filiation directe des CEC, ces initiatives ont commencé à se diffuser au début des années 2000 et rencontrent un certain crédit auprès des opérateurs du secteur qu’elles mettent à l’honneur, en particulier par la visée internationale qu’elles proposent. Peu d’études ont été produites jusqu’à ce jour sur les effets que ces initiatives produisent à l’échelle locale, à l’exception des rapports internes, très peu accessibles, ou dont la portée analytique est souvent limitée.
2.1. La Capitale européenne du sport
15Parmi les premières et plus connues, la Capitale européenne du sport (CES), décernée chaque année avec la désignation parallèle de plusieurs villes et territoires du sport. Le projet est porté par ACES Europe, une association sans but lucratif fondée en 1999 et basée à Bruxelles, qui met en avant le sport comme « un facteur d’agrégation de la société, d’amélioration de la qualité de vie, de bien-être psycho-physique et d’intégration complète au sein des classes sociales de la communauté ». Ici, l’initiative est portée par un organisme privé, qui a néanmoins reçu la reconnaissance de la Commission européenne dans son Livre blanc sur le sport (2007 : 20, art.50). Lors de l’analyse des candidatures, une équipe d’évaluation d’ACES Europe se déplace pour juger de la qualité des activités et des équipements sportifs offerts à la population ; ainsi que de son développement sportif. Les villes et communautés lauréates sont alors invitées à se rendre au Parlement Européen à Bruxelles pour la nomination officielle. La légitimation des institutions européennes a facilité la reconnaissance et la visibilité du label. On y retrouve plusieurs villes lauréates ou anciennement candidates CEC. L’impact de l’attribution du titre peut être alors facilement conduire à de nouvelles labellisations, dans une logique de circularité et d’apprentissage des techniques de candidature par les équipes municipales ou les consultants impliqués17. Au-delà des objectifs spécifiques affichés, toutes les initiatives de capitales thématiques demeurent en effet pour les collectivités principalement des moyens de promotion du territoire. Après la CES, ACES a lancé aussi d’autres capitales : du sport, mais à l’échelle méditerranéenne, de chacun des continents et à l’échelle mondiale, la capitale du vélo.
2.2. La Région européenne de la gastronomie
16La circulation des compétences spécifiquement liées à la fabrique des évènements, de la préparation des candidatures à la mise en place des initiatives et à la création de labels, se voit clairement à l’œuvre dans le projet de Région européenne de la gastronomie, développé par trois experts européens : Greg Richards, de l’université de Tilburg, auteur de nombreuses publications sur les CEC ; Robert Palmer, l’un des auteurs du premier rapport sur les CEC18 et Diane Dodd, présidente de l’IGCAT, International Institut for Gastronomy, Culture, Arts and Tourism, organisme porteur de projet. Dans le récit de la naissance du projet, un consortium de régions européennes fut chargé en 2014 d’organiser la Région européenne de la gastronomie à partir de 2016 et une demande de financement fut adressée à la Commission européenne pour soutenir le travail fourni. Un système d’attribution du titre à long terme fut mis en place, avec un concours ouvert aux régions souhaitant accueillir l’événement moyennant le paiement d’un droit de candidature. Ce mode de fonctionnement, encore inédit dans le domaine, montre l’accomplissement de l’autonomisation du dispositif et d’un secteur professionnel associé, celui des experts. La somme dont les régions candidates doivent s’acquitter pour participer à la compétition pour le label sert en effet à payer les honoraires des quatre membres du jury et du représentant de l’IGCAT se déplaçant en visite sur le territoire et des services de conseil et d’accompagnement19. Du point de vue des collectivités, on n’est plus ici, dans une logique de participation à un appel à projet pour obtenir des subventions pouvant soutenir des propositions exceptionnelles, mais au contraire dans l’achat d’un service de communication du territoire qui doit, par ses propres forces, convaincre le jury de son excellence face aux autres régions candidates. L’impact sur le secteur touristique est en effet le premier bénéfice que le label est censé développer. IGCAT met en avant la reconnaissance du label par des guides de voyage (Lonely Planet, Traveller, National Geographic, Rough Guide...), des magazines de compagnies aériennes, des conférences intergouvernementales et des événements mondiaux, des journaux réputés (New York Times, FT, Observer...) et de nombreuses chaînes nationales de radiodiffusion d'informations.
2.3. Le projet Capitale européenne de la Mer
17A Marseille, après la CEC 2013, la CES 2017 et la Capitale européenne de l’innovation en 2023, un nouveau projet de label a vu le jour comme suite des Jeux Olympiques 2024, qui se sont tenus dans la ville phocéenne pour toutes les compétitions de voile et certaines compétitions de football. L’association Marseille Capitale de la Mer, fondée à Marseille en 2019, l’a conçu comme un projet à la fois rétributif et incitatif « en faveur de la valorisation et de la préservation du littoral et du milieu marin/aquatique comme ressource urbaine durable »20. Sa structure est construite à partir des labels de Capitales déjà décrits et avec des déclinaisons : dans l’esquisse du projet, pourraient candidater toutes les villes de plus de 100 000 habitants d’un état membre de l’UE, situées à proximité d’un littoral21. Les candidatures devraient être présentées par structure de type associatif, dont l’objet social est la protection et de valorisation du milieu aquatique et dont les membres sont les parties prenantes locales, publiques et privées, de l’écosystème des activités marines et aquatiques (acteurs scientifiques, économiques, sociaux, culturels…). Le label serait octroyé par la Commission européenne (DG MARE) sur la base d’une proposition d’un groupe d’experts et bénéficierait d’une dotation financière tirée du budget de la Mission Starfish 2030. L'attribution du titre serait annoncée le 20 mai de chaque année, journée européenne de la mer. L’association propose que le programme soit supervisé par une structure administrative créée à cet effet, dont le siège serait situé à Marseille. Cette dernière, en tant qu’initiatrice, lieu d’expérimentation et siège administratif du label se verrait alors attribuer un titre pilote (statut ad hoc) de Capitale européenne de la mer pendant un an, initialement prévu à partir du 1er janvier 2025.
18Pour asseoir la légitimité du projet, l’association a tout d’abord cherché un soutien local auprès des collectivités et des institutions publiques : les collaborations avec la Municipalité et le Port sont nombreuses, notamment dans l’action sociale et culturelle autour de la mer. Dans le but de développer dès le départ la dimension européenne, l’association a étayé son projet en s’appuyant sur les députés européens locaux ainsi que sur les ressources locales pour s’associer à des réseaux internationaux comme EOREA (European Ocean Research and Education Alliance), piloté par des chercheurs d’Aix-Marseille Université. Mais aussi des sociétés privées installées à Marseille ont été sollicitées, et c’est ainsi que Rodolphe Saadé, PDG de CMA-CGM, a informé le Président de la République française du projet de création du label, au mois de juillet 2021. En visite à Marseille le 2 septembre 2021, le président français s’est exprimé publiquement en faveur de la création d’un tel label, ce qui a conféré à la démarche une dimension institutionnelle au niveau national et donné à l’association un élément de légitimation sur lequel appuyer sa demande à la Commission Européenne. Cette caution politique a donné lieu jusqu’à l’été 2024 à un fort soutien du gouvernement : l’association envisageait alors une réalisation pilote à Marseille en 2025, en phase avec le projet de l’« Année de la mer » développé à l’échelle nationale (en préfiguration de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan UNOC-3 à Nice en juin 2025), et ensuite une première vraie CEM en 2026.
19Bien que potentiellement très productif, l’appui politique au projet se révèle plus éphémère par rapport à d’autres formes de soutien sur lesquelles ces initiatives peuvent compter : la conjonction du renouvellement des députés élus au Parlement européen en juin 2024 et la situation politique incertaine que la France a traversée au cours de l’été de la même année a privé l’association des garanties fournies par le gouvernement pour l’année 2025, du contexte favorable du projet Année de la mer et ainsi mis temporairement en attente le projet CEM22.
3. L’évènement, entre rituel et opportunité : fonctions symboliques et effets réels
20Un usage croissant des espaces publics urbains pour l’événementiel institutionnel ou commercial, venant remplacer des formes festives plus populaires et spontanées, voire subversives de l’ordre établi (Simon, 1976), avait déjà été observé à l’échelle européenne à la fin du XXème siècle23. Leur surinvestissement a été vu d’abord comme une sorte de « festivalomania » (Boogaarts, 1993) et ensuite comme un vrai processus d’« évènementialisation » (Lallement, 2007). Depuis le début des années 2000, la multiplication et l’accélération de la production d’événements ont pris pied à l’échelle globale24 comme une vraie stratégie de gouvernance territoriale, qui saisit les événements comme autant d’opportunités d’aménagement ou de développement du territoire. Cette approche à la fête ne se limite pas à l’investissement temporaire de l’espace urbain à des fins spectaculaires, mais produit « la transformation des villes par l’événementiel et à la pérennisation de l’éphémère » (Barthon et al. 2007). A partir de quelques exemples (Angoulême, Lille, Nantes et Saint-Nazaire), Maria Gravari-Barbas relève et décrit cette tendance lorsqu’elle commence à s’affirmer à l’échelle française :
« La ville ne se limite pas à être un simple support dans lequel se déroulent fêtes et évènements ponctuels. Elle tend au contraire de plus en plus à être aménagée comme un lieu festif et cette dimension festive et événementielle guide désormais la manière de concevoir, de fabriquer, de pratiquer la ville » (Gravari-Barbas 2009 : 282).
21Cet engouement pour la stratégie événementielle est devenu dans les années suivantes une « frénésie », voire un « régime contemporain de l’événement » (Goetschel, 2017 : 16), qui a plusieurs effets : la multiplication et la diffusion des labellisations à différentes échelles, la généralisation de la gouvernance par l’événement comme stratégie de développement territorial, l’institutionnalisation des réseaux professionnels d’acteurs et des experts, l’émergence d’une nouvelle forme de tourisme des événements.
3.1. D’un label à l’autre : le paradoxe des villes capitales
22Le label de « capitale » est tout d’abord utilisé comme stratégie communicationnelle, permettant d’affirmer la tenue d’un événement, même lorsque sa programmation ne diffère qu’imperceptiblement de la programmation ordinaire. La labellisation est un titre de mérite à afficher pour ses porteurs qui, directement ou indirectement, sont dans la majorité des cas des collectivités territoriales. Si les labels sont systématiquement présentés comme une source de fierté pour les habitants, ils s’appuient complètement sur la résonance médiatique pour assurer leur succès. Dans son ouvrage La ville événement, s’appuyant sur quelques études de cas en France, le sociologue Dominique Bouiller décrit combien la présence du public aux grands événements peut paradoxalement devenir superflue ; cela est d’autant plus vrai lors d’un événement qui repose sur une labellisation :
« Certes, il vaut mieux qu’il y ait du public, mais la question est déjà secondaire, car ce public ne fera rien de particulier, sinon d’être un public docile et convoqué à de multiples manifestations, petites et grandes. La ville qui est ici en cause ressemble à ce que dit Patrick Champagne de la manifestation, en parlant de la mutation contemporaine vers la « manifestation de papier » (1990), c’est-à-dire celle qui se juge sur son écho médiatique et non sur les qualités du rassemblement, de l’expérience, ou de ses résultats concrets » (Bouiller, 2010 : 5).
23Ancrés dans ce contexte, seuls les plus célèbres labels de ville capitale, avec la programmation qui leur est annexe, se veulent des vrais rituels contemporains, par leur caractère à la fois spectaculaire, « tout public », et par l’ambition des porteurs de « refonder la ville » en affirmant une nouvelle identité urbaine, ou en soulignant un trait. Tous les autres comptent davantage pour leurs porteurs et l’alliance qui les soutient que pour leurs publics.
24L’essaimage et la diffusion de ces labels, en effet, constituent un paradoxe en soi : du point de vue logique, une capitale est, par définition, une entité exceptionnelle et unique. Du moment qu’elle devient réplicable, son caractère de prééminence perd de valeur, jusqu’à se diluer dans la répétition.
25L’attribut devient alors secondaire et les programmations tendent à se ressembler : depuis la fin des années 2010, elles assument, au mieux, une sorte de coloration thématique, mais difficilement se démarquent de l’ensemble des initiatives. L’usage qui en est fait est alors tout d’abord stratégique : si les opérateurs (culturels, artistiques, sportifs…) se servent des appels et des subventions liés aux labellisations pour soutenir leurs productions, les porteurs de projet se servent de ces productions pour remplir un contenant qui a davantage l’objectif de hisser le territoire à une échelle de notoriété ou de visibilité supérieure que de promouvoir un secteur spécifique en dehors des cercles et des publics déjà concernés. Un numéro thématique de L’Ethnologie française dédié à Daniel Fabre, expliquait les recours au titre de capitale dans le cas des « capitales en minuscules »25, lieux objectivement modestes où la labellisation est mise au service de la promotion de la localité :
« Aussi insignifiant soit‑il, l’attribut capitulaire se voit grandi par le substantif auquel il se rattache (la capitale) et qui, précisément, relève du sur‑classement, soit une primauté incontestable "par essence", puisqu’il n’existe pas d’organismes et d’experts certificateurs. Ainsi lieu et objet se légitiment‑ils l’un l’autre » (Chandivert et Sagnes, 2016 : 615).
26Dans les cas présentés dans cet article, et dans plusieurs autres, des experts et des organismes certificateurs se sont bel et bien définis, par investiture externe ou auto-proclamés : on pourrait alors préciser à ce jour que « lieu, objet et experts se légitiment-ils les uns les autres ». Mais dans les faits, après quelques décennies de capitales éphémères, on peut observer que cette reproductibilité de la labellisation la rend moins puissante, le caractère thématique tend à se diluer dans une stratégie communicationnelle qui choisit le même ton d’exceptionnalité pour toute une série d’occurrences, sans les hiérarchiser. Loin d’être la source de fierté affichée par ses promoteurs, certaines labellisations à capitale peuvent ainsi passer quasi-inaperçues aux habitants des territoires qui en sont investis26.
3.2. La gouvernance par l’événement
27Le recours à des labellisations qui se voudraient extraordinaires comme stratégie de gouvernance ordinaire, est devenu presque systématique chez certaines collectivités, qui se servent de ces dispositifs comme une panacée pour résoudre des problématiques urbaines et territoriales chroniques ou pour booster leur développement économique (Buslacchi, 2016, 2020a et b). L’importance qui est accordée à ces opportunités se traduit concrètement dans l’ouverture de bureaux et services spécialisés dans le montage des dossiers de candidature au sein des directions des affaires internationales ou européennes, le recrutement de personnel dédié ou le recours à des consultants externes. L’événement associé à la labellisation est principalement utilisé pour servir deux objectifs souvent interdépendants : d’un côté, il contribue à façonner le paysage urbain car il rend possible des opérations qui autrement ne verraient pas le jour, du moins à court terme ; de l’autre, il est utilisé comme déclencheur de nouvelles dynamiques de développement territorial (création d’emploi, attractivité touristique, retournement des stigmates par l’affirmation d’une nouvelle image en premier lieu).
28Du point de vue de l’aménagement urbain, l’événement intervient comme un horizon temporel et symbolique avant lequel certaines opérations inscrites à l’agenda des collectivités doivent se conclure. Selon la portée de l’événement, il peut s’agir à la fois de grandes opérations urbaines, longtemps différées, ou d’actions qui relèveraient de l’entretien régulier, mais qui manquent de moyens ou qui ne sont pas prioritaires. Dans les deux cas, l’événement fonctionne comme un levier (terme récurrent dans le discours politique qui l’associe à l’aménagement) capable de faire dépasser des obstacles d’ordre administratif, politique ou financier. La perspective d’un grand événement est en effet souvent utilisée pour affirmer la nécessité pour le territoire de se doter de (ou de moderniser) certains équipements (culturels, sportifs) ou infrastructures (gares, tramway…), ainsi que de procéder à certains aménagements de l’espace public (piétonnisation, éclairage, décor…). Elle peut servir alors à légitimer dans l’opinion publique, ou auprès des élus qui sont appelés à les approuver, des projets qui autrement ne recueillent pas de consensus (Gravari-Barbas et Jacquot, 2007) ainsi qu’à mobiliser des ressources extraordinaires par l’intervention d’acteurs publics et privés qui autrement n’y apporteraient pas leur soutien. Souvent, les grands projets d’aménagement urbain sont d’ailleurs confiés aux mêmes noms phares de l’architecture, qui fonctionnent comme garantie de qualité auprès des investisseurs et sont censés contribuer à générer un consensus de la part des populations concernées. D’ailleurs, depuis la fin des années 1990, la reproduction en série de stratégies de régénération urbaine axées sur la culture a pu donner lieu à la crainte d’un clonage des paysages urbains et à la disparition de toute spécificité locale (Smith, 2007).
29La même logique fonctionne aussi à plus petite échelle, lorsque l’horizon n’est pas un méga-événement, mais une labellisation mineure. La labellisation peut quand-même permettre d’assurer, directement ou indirectement, un apport de ressources qui vont accélérer la réalisation d’opérations ordinaires reportées pour les mettre en phase avec l’événement. Ce mode de fonctionnement vaut aussi pour les stratégies de développement territorial, qui se traduisent dans des mesures qui, à l’échelle locale, n’ont pas la même visibilité ou résonance médiatique que les opérations urbaines, mais qui se sont affirmées dans une dernière phase des programmes comme une tendance. En effet, la nouvelle génération de labels a moins l’ambition aujourd’hui, comme c’était le cas des CEC à partir de la fin des années 1990, de transformer radicalement le tissu urbain de la ville (Sassatelli, 2012). Le volet Investissement est de moins en moins présent dans les programmes nationaux, et limité dans les programmes thématiques : il prend plus souvent la forme d’action de restauration de l’existant plutôt que celle d’un nouvel équipement.
30Dans tous ces cas, l’ambition des collectivités à hisser leur territoire sur la scène régionale, nationale ou internationale se nuance avec la volonté, et parfois la nécessité stratégique, de recourir aux labellisations pour la gestion plus ou moins ordinaire et de maintenance de l’aménagement urbain ou du développement du territoire.
3.3. Le monde des évènements
31Comme on l’a déjà vu en observant l’impact qu’elles ont sur la gouvernance, malgré la détérioration de leur portée sémantique, les labellisations ne sont pas dépourvues d’effets réels. Depuis l’intégration des loisirs, par leurs conditions de productions et leur mode d’existence, au marché et à sa sphère industrielle (Saez, 2002), un champ professionnel s’est ouvert et organisé de façon de plus en plus structurée et institutionnalisée. Il en va de même pour le « monde des événements », dont les capitales constituent un sous-ensemble significatif. Pour reprendre la réflexion d’Howard Becker, qui fait de l’art un métier comme les autres, l’événement devient un monde avec ses logiques et ses repères formalisés. Ce monde a ses propres experts, professionnels qui circulent entre événement, une fois en tant que membres du jury de sélection, une fois en tant que consultant pour une collectivité candidate, une fois comme auteur d’une candidature. Ils contribuent à fabriquer non seulement la programmation, mais aussi la légitimité de cette stratégie culturelle du point de vue de la gouvernance. Cela pose le problème des possibles conflits d’intérêt et coûts d’opportunité entre les rôles d’expert, d’évaluateur, de consultant et aussi de chargé de projet ou de directeur de la programmation qui sont souvent incarnés par des mêmes personnes.
32L’institutionnalisation de ce monde a plusieurs effets : en premier lieu, au sein des collectivités territoriales, certaines équipes se spécialisent dans une activité de veille sur les opportunités de labellisation et la rédaction de candidature. Elles stabilisent des collaborations avec des cabinets de conseil et reproduisent la même logique à l’échelle de leur territoire, en adoptant le système des appels à projet pour l’élaboration de la programmation événementielle. Ce mode opératoire s’installe souvent en remplaçant, complètement ou partiellement, un mode de fonctionnement précédent dans la gestion publique du secteur culturel : celui du fonctionnement à la demande, lorsque les différents acteurs s’adressaient directement au guichet dédié, ou à l’élu de référence, pour demander de soutenir leurs projets. Ce nouveau fonctionnement, énergivore en raison du temps qu’il demande pour la préparation de candidatures qui n’ont aucune garantie de succès, donne l’impression aux acteurs culturels (mais aussi sportifs, associatifs…) de voir remise en cause leur professionnalité, ou leur relation de confiance avec les institutions régissant la distribution des subventions. Plusieurs acteurs culturels dénoncent une perte de capacité de projection dans le moyen terme, due au chamboulement des mécanismes d’attribution des fonds et une certaine difficulté à repenser leur activité en s’inspirant des nouveaux critères d’évaluation, calqués sur les critères européens (excellence, internationalisation, reproductibilité, implication des habitants…). Dans plusieurs capitales, ces acteurs sont à l’origine des mouvement off. Le plus souvent, ils ont essayé de composer avec ce contexte renouvelé, soit en le détournant en opportunité, soit en s’y adaptant malgré eux, soit en restant à l’écart. Du côté des institutions, la mise en compétition est présentée aussi comme un outil de transparence et d’amélioration de la qualité de la scène (culturelle) locale, et la justification peut aller jusqu’à la condamnation plus ou moins explicite de la logique clientélaire de l’administration précédente.
33En deuxième lieu, la spécialisation de certains acteurs professionnels de l’économie culturelle et créative qui se sont adaptés aux critères d’évaluation des candidatures, valant injonctions27, a amené à une standardisation et à une homogénéisation de l’offre culturelle. La circulation des œuvres, des artistes, des opérateurs culturels, ne suit plus uniquement les grands rendez-vous historiques et localement ancrés (comme la Biennale de Venise) ou itinérants (comme Manifesta), mais devient extrêmement mobile sur un espace réticulaire construit à l’échelle internationale, dont les nœuds sont les villes qui collectionnent les labels. Comme cela a été observé pour les paysages urbains, la reproduction en série d’un modèle de programmation événementielle soulève des questions à propos de la survie de politiques culturelles ordinaires et spécifiques, dans un contexte général de contraction des dépenses publiques.
34Les labellisations deviennent ainsi également la marque d’un nouveau savoir-faire particulier, qui réunit des compétences en réseautage, internationalisation, développement de l’économie culturelle et créative. Comme l’on a vu, certaines villes en sont des spécialistes28, par l’apprentissage de leurs institutions ainsi que par l’émergence d’acteurs professionnels de l’économie créative. Elles tendent à monopoliser l’attention des jurys de sélection et par conséquent l’attribution des labels, du moins jusqu’à ce que de nouvelles tendances ne se définissent.
Conclusion
35Par les effets qu’elle produise, la passion labellisante déjà observée dans le domaine du patrimoine (Aïm et Lallement, 2020) n’est plus uniquement une stratégie commerciale, mais un mode de fonctionnement qui a structuré tout un secteur d’activité, une économie, des professions, des formes de gouvernance et des publics renouvelés. Le cheminement institutionnel des Droits culturels, à l’échelle mondialisée tout comme dans les contextes européen et français, doit être lu alors non seulement à l’égard des formes de domination et d’oppression dont la violence est explicite, mais aussi en relation avec des pratiques contemporaines qui risquent, malgré elles et paradoxalement, de représenter une menace pour la diversité culturelle. Cela interroge la réplication du modèle européen dans d’autres parties du monde, encore trop peu étudié.
36Pour clore sur une note positive avec le constat de l’émergence d’une nouvelle forme de tourisme que ce monde des événements a contribué à produire, il s’agit du tourisme créatif. Si, jusqu’au début des années 2000, ces événements n’avaient pas encore la puissance communicationnelle nécessaire à atteindre le tourisme de masse, l’alliance entre le système des labellisations et celui du secteur touristique est à ce jour avérée29. Certaines labellisations attirent des flux de visiteurs parfois numériquement supérieurs aux publics du patrimoine, ce qui a amené à théoriser l’émergence d’un tourisme créatif qui privilégie l’aspect expérienciel sur la visite patrimoniale classique et qui s’affirme de plus en plus à côté et, dans une certaine mesure, à la place du tourisme traditionnellement culturel (Gravari-Barbas, 2003, 2013 ; Chaudoir 2007 ; Richards, 2014). Si dans plusieurs méga-événements on observe aussi un effet contreproductif sur l’affluence (les villes se vident, les habitants préfèrent louer leur logement et partir en raison des inconforts qu’ils projettent associés à l’événement), ce phénomène paraît être moins important dans les villes Capitales.
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1 C’est le cas des grands tournants dans la politique des CEC : de la reconnaissance de l’excellence historique (Athènes 1986, Florence 1986…) à la régénération urbaine (Glasgow 1990, Porto 2001, Lille 2004, Cork 2005…), à la fabrique territoriale (Essen-Ruhr 2010, Marseille-Provence 2013), l’implication des communautés (Matera-Basilicata 2019) et plus récemment l’attention aux « villes moyennes » (évidente dans la présélection des villes candidates CEC 2028 en France).
2 En 2024 on recense des capitales européennes du Sport, de l’Innovation, de la Jeunesse, du Bénévolat, de la Démocratie, de l’Inclusion et la diversité, de la ville pionnière du Smart Tourism, de Noël, de l’Accessibilité et du Vélo.
3 Cet aspect est mis en avant dans le Guide aux villes candidates 2020-2033 : parmi les « key early factors to consider » figure l’indication d’envisager « Not a tourist-led project. One of the objectives of the programme is to raise the international profile of a city through culture. Most ECOCs have experienced an increase in tourism; this is a success factor in many ECOCs. However the main focus of an ECOC programme is on the citizens, in particular those of the city, and their connection with culture and Europe » (p.12).
4 Dans le texte Capitali europee della cultura nel Mediterraneo : viaggio nelle città di mezzo (2020) je décris la résistance que j’ai pu observer sur le terrain chez plusieurs comités d’organisation des CEC face aux propositions de la scène artistique et culturelle locale, qui n’était pas considérée à la hauteur des expectatives d’un événement à l’échelle européenne et était donc tenue à l’écart de la programmation officielle même lorsqu’elle avait été à l’origine de la candidature (à Marseille-Provence 2013 et Matera-Basilicata 2019, par exemple).
5 En plus des cas traités en guise d’exemple, on évoquera en particulier les programmes portugais, slovaque, lithuanien, serbe, ugro-finnois, bielorusse à l’échelle nationale, et les programme valencien et catalan en Espagne, ou le programme vénitien en Italie, à l’échelle régionale. Pour un panorama le plus possible exhaustif, je renvoie au recensement annuel que Steve Green, ancien membre du jury de sélection et d’évaluation des CEC, publie depuis 8 ans sur son blog prasino.eu.
6 Le succès est mesuré en particulier en termes de nombre de visiteurs supplémentaires pendant l’année CEC, qui aurait effleuré les 10 millions en 2008 à Liverpool, et de retour sur investissement, quantifié en plus de 750 millions de livres sterling.
7 L’investissement du gouvernement britannique dans la UKCoC 2025 était établi à £10 millions, destinés à générer 6,845 emplois avant 2030 ainsi que des investissements pour £389 millions dans le développement de la ville. A ces £10 millions s’ajoutent également £5 millions de l’Arts Council England (ACE) lottery fund et £4.95 millions du National Heritage Lottery Fund (NHLF).
8 La décision que les villes britanniques ne pourraient plus candidater au titre de CEC fut prise en conséquence du referendum qui s’exprima pour le Brexit en 2016 et fut rendue officielle en novembre 2017, malgré une mobilisation importante des experts et des membres du jury de la CEC 2023 qui était alors en cours de sélection.
9 Telles que, par exemple, le Centre international de l'écriture, créé par le conseil municipal de Norwich en association avec l'Université d'East Anglia.
10 Comme dans les autres cas, cette subvention est complémentaire à celle des collectivités locales (environ 60% au total), du mécénat et sponsoring mobilisé pour l’événement (environ 15%) et aux recettes propres (billetterie, produits dérivés, coproductions).
11 A l’origine le seuil pour accéder était prévu à 50 000 habitants, mais fut revue à la baisse par la volonté du ministre de la Culture, pour permettre la participation des regroupements de communes rurales (Bernard Faivre d’Arcier, 2022).
12 Les populations d’Amiens, Bastia, Bourges, Clermont-Ferrand, Reims, Rouen et Saint-Denis sont comprises dans la tranche de 20 000 à 200 000, alors que seulement Montpellier (295 000) et Nice (343 000) la dépassent.
13 Les critères sont repartis en huit catégories : innovation artistique et culturelle ; transmission artistique et culturelle ; participation des habitants ; solidarité territoriale ; rayonnement et coopération internationale ; inscription dans la durée ; capacité de mise en œuvre ; accessibilité à l’égard des personnes en situation de handicap.
14 A côté du Pays de Montbéliard Agglomération, cinq autres étaient les agglomérations candidates : Bourg-en-Bresse et Grand Bourg Agglomération, la Communauté d'agglomération Territoires Vendômois, la Ville de Beauvais et communauté d'agglomération du Beauvaisis, la Ville d'Issy-les-Moulineaux et Alès Agglomération.
15 MP2018 - Quel amour ! a été une programmation artistique de 7 mois, cinq ans après la CEC 2013, comportant environ 200 rendez-vous festifs sur le territoire déjà mobilisé pendant MP2013.
16 C’est le cas, par exemple, de la Capitale verte (depuis 2006), de la Capitale de l’Accessibilité (depuis 2010), de la Capitale de l’Innovation (depuis 2014), de la Capitale du Smart Tourism (depuis 2019), de la Capitale de l’inclusion et de la diversité (depuis 2022), décernées par la Commission européenne, ou de la Capitale de la Jeunesse (depuis 2009), de la Capitale du Bénévolat (depuis 2013), labels respectivement attribués par le Forum européen pour la jeunesse et par le Centre Européen du Bénévolat.
17 Par exemple, Teresa Dieguez, Bruno Barbosa Sousa et José Maria Gomes (2021) attribuent à la labellisation de Braga comme Ville européenne du sport 2018 le fait qu’elle ait par la suite été nommée 2ème meilleure destination européenne en 2019 par l’association European Best Destinations. Dans mes recherches de terrain, j’ai pu constater la multiplication des candidatures portées par les collectivités locales de Gênes et de Marseille, qui a conduit à des labellisations très récurrentes dans les deux villes.
18 Report on the Capitals of Culture from 1995-2004: European Cities and Capitals of Culture, 2004.
19 Les services proposés par IGCAT sont : une visite de la région par quatre experts indépendants afin d'évaluer sa capacité à obtenir le titre, fournir des conseils, un soutien et des propositions pour l'obtention du titre ; des propositions pour de futures collaborations internationales ; des liens vers des ressources en ligne, des vidéos et des webinaires pour améliorer et implémenter la candidature ; un communiqué et une conférence de presse organisée par l'IGCAT afin de présenter la candidature de la région, ainsi qu’une campagne sur les médias sociaux mettant en avant les atouts de la région et la visite du jury.
20 Association Marseille Capitale de la mer, Projet de création d’un label Capitale européenne de la mer.
21 Le projet se fonde sur une conception étendue de la mer comme espace aquatique comprenant océan, mers, lacs, fleuves, rivières.
22 Source : entretiens de l’auteure.
23 Cette institutionnalisation peut contribuer d’ailleurs à expliquer la revitalisation des formes festives rituelles constatée à cette époque à travers l’Europe (Boissevain, 1992).
24 Voir par exemple les analyses de Laure Carbonnel au Mali (2020) ou de Pauline Guinard en Afrique du Sud (2013).
25 Capitales « gourmandes », dont le nom est associé à un produit agricole ou à une spécialité culinaire, artisanale ou industrielle, liées à un produit ou une production particulière.
26 Source : observations de terrain de l’auteure sur quelques programmes de capitales régionales et thématiques.
27 Par exemple, comme on l’a vu, l’implication des habitants, mais aussi l’usage d’espaces ou équipements urbains désaffectés, l’investissement des périphéries...
28 On notera que plusieurs de ces villes sont les mêmes qui ont réussi une candidature à Ville créative UNESCO, ou qui détiennent un titre de site patrimonial UNESCO : d’ailleurs, l’assimilation courante au sein des collectivités des labels UNESCO aux labels de Capitale a parfois amené ces dernières à sous-estimer les engagements nécessaires à maintenir l’attribution de ces titres pérennes et à les voir remis en cause par les commissions qui au sein de l’UNESCO en vérifient périodiquement le respect.
29 Voir par exemple Richards et Rotariu, 2009 sur Sibiu CEC 2007 ou Richards, Hitters et Fernandes, 2002 sur Porto et Rotterdam CEC 2001. Toute labellisation ne peut pas être traitée de la même manière et une même labellisation peut aussi avoir des effets différents dans des territoires différents. Par exemple, on constate une importante hétérogénéité dans l’effet de levier touristique qu’ont les Jeux Olympiques dans leurs différentes éditions (Delaplace, 2020).
Maria Elena Buslacchi, « Toute ville Capitale. L’essaimage des Capitales européennes de la culture » dans © Revue Marketing Territorial, 11 / été et automne 2023
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=998.
Quelques mots à propos de : Maria Elena Buslacchi
Chercheure post-doc à L'Observatoire des publics et pratiques de la culture, MESOPOLHIS (UMR 7064) Maria Elena Buslacchi a soutenu une thèse en anthropologie, en 2016 à l'EHESS - Centre Norbert Elias. Elle étudie les CEC et d’autres types de grands événements et fêtes, en particulier dans l’espace euro-méditerranéen. Elle enseigne dans les Départements de Sociologie et d’Anthropologie de la Faculté ALLSH d'Aix-Marseille Université et dans le parcours Villes et territoires durables de l'IUT d'Aix-Marseille.