11 / été et automne 2023
Les enjeux du label Capitale Européenne de la Culture pour le développement territorial

Les maisons Folie d’hier à aujourd’hui, instruments d’une transformation urbaine multiscalaire

Pauline Bosredon et Thomas Perrin


Résumés

Cet article analyse la création et le développement des maisons Folie, nouveau type d’équipement créé à Lille en 2004 lorsque la ville fut capitale européenne de la culture. Il s’agit de voir en quoi ces dispositifs ont contribué à renouveler l’aménagement culturel à plusieurs échelles, du quartier à la région métropolitaine transfrontalière. L’approche diachronique, depuis la mise en place des maisons Folie jusqu’à leur insertion dans le contexte culturel et sociopolitique actuel, permet de discuter de l’évolution des référentiels des politiques culturelles urbaines, et montre le rôle de levier ou de transition que les capitales européennes de la culture peuvent jouer dans cette évolution.

This article analyses the creation and development of the maisons Folie, a new type of cultural facility created in Lille in 2004 when the city was European Capital of Culture. The aim is to see how these facilities contributed to renew the cultural planning of the place on several scales, from neighbourhood to cross-border metropolitan region. The diachronic approach, from the setting up of the maisons Folie to their integration into the current cultural and socio-political context, enables us to discuss the evolution of urban cultural policy references, and shows the role of lever or transition that the European capitals of culture can play in this evolution.

Texte intégral

1L’expérience de Lille 2004 Capitale européenne de la culture fut marquante en ce sens qu’elle fut pensée, conçue, travaillée dès le départ dans la perspective d’une transformation urbaine pérenne. Les acteurs à l’initiative de la candidature de Lille CEC partaient d’un contexte de grandes difficultés sociales, économiques et urbaines lié à la désindustrialisation, mais aussi de la certitude que l’organisation d’un grand événement de portée internationale pouvait servir un objectif de développement territorial. L’atteinte de cet objectif était évidemment liée au changement d’image et à l’attractivité renouvelée, mais également pensée à travers l’impact urbain durable que l’événement allait avoir sur la métropole lilloise. Un objet en particulier est apparu emblématique de ces transformations : les maisons Folie (MF), des équipements culturels d’un genre nouveau installés de part et d’autre de la frontière à l’occasion de Lille 2004, dont la plupart existent toujours sous cette forme ou sous une autre près de vingt ans après.

2Cet article revient sur le développement des maisons Folie pour illustrer les liens entre politiques culturelles et développement urbain. Il s’agit de voir en quoi ces dispositifs créés à l’occasion de CEC 2004 ont marqué une évolution et une transformation de la vie culturelle de Lille. En quoi leur mise en œuvre a-t-elle instauré un rapport renouvelé entre politique culturelle et aménagement du territoire, combinant plusieurs facteurs tels que la réhabilitation d’un héritage bâti, le renouvellement urbain de quartiers anciennement industriels, ou encore la mobilisation des politiques et actions culturelles au service d’une dynamique de métropolisation et d’une tertiarisation de l’économie.

3Les maisons Folie sont un exemple d’autant plus intéressant pour traiter ces questions qu’elles ont eu un impact socio-territorial à plusieurs échelles : depuis l’édifice, le quartier jusqu’à la métropole et la région transfrontalière. Plus largement, l’exemple des MF montre comment l’événement CEC a agi sur un développement territorial multiscalaire relativement innovant quand on le replace dans son contexte d’origine. Lille fut, en effet, en 2004 une capitale culturelle pionnière pour avoir inscrit sa candidature dans un territoire qui dépasse le périmètre municipal et s’étend à toute une région métropolitaine transfrontalière (Giroud et Grésillon, 2011). Cet article est issu des travaux menés pendant dans le cadre du réseau européen Jean Monnet CECCUT1, offrant un état de l’art sur le sujet ainsi que différentes activités de terrain (ateliers, séminaires, stages de recherche). Sur cette base, le présent article mobilise la littérature scientifique relative à Lille 2004 (Werquin, 2006 ; Gravari-Barbas, Jacquot, 2007 ; Sacco et Tavano Blessi, 2007 ; Paris et Mons, 2009 ; Gravari-Barbas, 2009 ; Liefooghe, 2010 ; Paris et Baert, 2011 ; Giroud et Grésillon, 2011 ; Vidal, 2012 ; Bosredon, Gravereau, Grégoris, 2016 ; Autissier, 2018 ; Bosredon et Perrin, 2019 ; Dusseaux, 2020). Ce travail documentaire a été complété par de l’observation de terrain (participation à des événements, conduite d’ateliers d’urbanisme) comprenant une production iconographique originale. Enfin, l’article s’appuie sur une série de quinze entretiens semi-directifs menés lors d’un stage de master de trois mois (Lesage, 2022) auprès de responsables ou d’anciens responsables de maisons Folie (comme celles de Tournai, de Lambersart, de Tourcoing, de Wazemmes et de Moulins), et d’acteurs des politiques culturelles de la région métropolitaine transfrontalière (Eurométropole, festival Next, Ville de Courtrai…).

4L’article revient dans un premier temps sur la genèse des équipements appelés maisons Folie : le contexte de leur création, leurs références, les principes de leur fonctionnement (1). On s’attache ensuite à analyser les rôles des maisons Folie sur les transformations urbaines, à plusieurs échelles : les échelles de proximité du bâti et du quartier (2), puis les échelles élargies de la métropole et de l’eurorégion (3). Pour finir, l’article propose une discussion argumentée sur la pérennité et les mutations de ces équipements qui auront bientôt 20 ans et cherchent aujourd’hui un nouveau souffle, à l’heure d’une reconfiguration plus globale des politiques culturelles (4).

1. Les maisons Folie, une innovation aux références multiples

1.1. Lille 2004, le contexte de la création des maisons Folie

5Dans les années 1990, le contexte lillois est celui d’une ville du Nord de la France, située dans un ancien bassin industriel ayant subi de plein fouet la crise de la délocalisation des industries de main d’œuvre et ses conséquences socio-économiques et urbaines : un taux de chômage élevé, de nombreux emplois précaires, d’importantes friches industrielles jusque dans le cœur de l’agglomération et l’image dégradée d’une ville en déclin. Pour tenter de relever ces défis, est créé en 1993 le Comité du Grand Lille, groupe informel mais influent d’une grande variété d’acteurs de la société civile, entrepreneurs, décideurs politiques, acteurs culturels, universitaires : « Aucun statut, aucun pouvoir, juste des réunions régulières autour de thèmes comme le métropolisation, la notoriété, la qualité urbaine, l’unité territoriale, les défis de la mondialisation » (Liefooghe, 2010). L’organisation d’un grand événement est alors vue comme le moyen de fédérer l’ensemble de ces acteurs et plus largement la population, pour les mobiliser autour d’objectifs communs. Une première candidature de Lille pour les Jeux Olympiques de 2008 se solde par un échec mais le Comité Grand Lille se remobilise aussitôt autour de la candidature de Lille au dispositif « Capitale européenne de la culture », couronnée cette fois-ci de succès : Lille est désignée CEC en 2004.

6Les acteurs lillois mobilisés autour de Lille 2004 ont fait le pari de l’événementiel associé à la création d’équipement pérennes pour renverser l’image d’une ville post-industrielle en déclin, prenant en cela appui sur quelques célèbres modèles qui ont précédé Lille, comme Glasgow désignée CEC en 1990. Ces acteurs ont ainsi considéré que le grand événement est de nature à servir l’objectif de revitalisation par la culture d’un territoire en crise :

« La culture peut sembler être un luxe dans une région de tradition industrielle […]. Pourtant, l’aventure de Lille 2004 a mobilisé tous les acteurs et la population autour d’un projet qui s’affichait dès le départ comme un outil de développement économique et de régénération urbaine, puis s’est étoffé d’une justification en termes de lien social et de démocratisation de la culture » (Liefooghe, 2010, p.2).

7L’implication du monde socio-économique se retrouve dans le montant relativement élevé de financements privés dont a bénéficié Lille 2004, à l’époque parmi les plus importants jamais réunis pour une CEC. Le projet a recueilli 13 M€ de financement privé, en comparaison par exemple avec les 6,2 M€ pour Bruges en 2002 et les 5,5 M€ pour Cork en 2005. Cela représentait également une des plus importantes opérations de mécénat culturel jamais réalisées en France. Cette particularité doit beaucoup à l’implication personnelle de la maire de Lille, ancienne ministre capable de mobiliser ses réseaux nationaux pour promouvoir CEC ; et à travers elle la ville de Lille, au service de la consolidation de son assise politique locale (Liefooghe, 2010).

8La régénération urbaine est amorcée via la réhabilitation d’héritages bâtis emblématiques dont on attend des effets d’entraînement sur le quartier. Le développement économique est espéré à travers une attractivité nouvelle issue de l’année de la CEC. Quant à la démocratisation culturelle et au développement social, ils s’incarnent dans une attention particulière accordée aux publics traditionnellement les plus éloignés de l’offre culturelle, notamment par la création d’équipements au cœur de quartiers populaires. Cette double ambition de Lille 2004 (régénération urbaine et démocratisation culturelle) s’est inscrite plus largement dans la stratégie de métropolisation de Lille, en lien avec de grands projets de renouvellement urbain, dits « grands projets métropolitains », et une stratégie affichée de donner à la culture un rôle central dans la transformation urbaine et sociale des quartiers (Liefooghe et al., 2016). Cette stratégie n’est ni nouvelle, ni propre à Lille tant sont croissantes aujourd’hui les interférences entre la politique culturelle et la politique urbaine, renforcées par la nouvelle étape de la mondialisation qui a consacré la créativité comme instrument d’aménagement et de marketing urbain (Djament-Tran et San Marco, 2014).

9À Lille, la dynamique de métropolisation a été initiée dès 1967 avec la communauté urbaine de Lille, devenue en 1996 Lille Métropole Communauté Urbaine. Elle s’est consolidée à partir des années 2000 notamment par le biais des politiques culturelles, et s’est parallèlement déployé à l’échelle transfrontalière avec la structuration progressive de l’Eurométropole Lille-Courtrai-Tournai (Perrin, 2016). La commune de Lille stricto sensu, d’environ 230 000 habitants, est aujourd’hui au cœur de la Métropole européenne de Lille, intercommunalité créée en 2015, formée de 95 communes et peuplée de près de 1,2 millions d’habitants. Plus largement, l’influence de l’aire métropolitaine lilloise se prolonge vers le sud (anciens centres miniers de Béthune, Lens, Douai et Valenciennes) et au-delà, jusqu’à Arras, Cambrai et même Maubeuge. Un autre arc nord transfrontalier relie les villes belges de Tournai, Courtrai, Ypres. Ce territoire concentre près de 3,8 millions d’habitants vivant à environ 30-45 minutes de Lille, avec un nombre élevé de navetteurs quotidiens.

1.2. Maison et folie à la fois

10L’événement CEC est marqué à Lille par une programmation événementielle exceptionnelle, des métamorphoses urbaines prenant place de façon éphémère dans l’espace public, mais aussi la création d’un certain nombre d’équipements d’un genre nouveau qui s’installent pour leur grande majorité dans des édifices réhabilités : les maisons Folie, concept forgé par l’équipe organisatrice de Lille 2004, sous la houlette de son directeur général, proche de la maire2. Ce néologisme renvoie tout à la fois à l’innovation architecturale, aux échanges artistiques, et à la convivialité attendue dans une maison de quartier, tenue par un « maître de maison » responsable de sa bonne marche et un coordinateur de l'ensemble des activités (Bosredon et al., 2016). Le terme fait aussi référence aux « folies », maisons de villégiature construites entre les XVIIème et XIXème siècles par l’aristocratie puis la bourgeoisie, à la campagne mais à proximité des villes, pour le divertissement et le loisir3. L’appellation « folie » rappelle les extravagances architecturales et la fantaisie des jardins de ces résidences (Banlieues d’Europe, 2010). Le décloisonnement social, via le mélange des populations et la mixité des publics, est l’ambition première de ces MF comme le rappelle le directeur (Banlieues d’Europe, 2010) jusqu’en 2021 de celles de Wazemmes et de Moulins à Lille. Ce décloisonnement s’incarne aussi matériellement dans le projet architectural et urbain de la plupart de ces nouveaux équipements. Ainsi, la MF n’est pas un label doté d’un cahier des charges normalisé. Il s’agit plutôt d’un concept qui renvoie à un référentiel d’action, à un état d’esprit dans lequel on se reconnaît et qu’on contribue à faire vivre, sans cependant exclure les possibilités de s’en éloigner ou de le faire évoluer.

11Plus largement, on peut resituer les MF dans le contexte d’un intérêt croissant des institutions publiques pour le mouvement des friches culturelles qui émerge dans les 1970 et 1980, porté au départ par des collectifs issus de la société civile alors motivés par « des choix originaux de changement et de renouveau social et urbain sur le matériau des friches industrielles et portuaires » (Lucchini, 2013 ; 2016). Ces lieux alternatifs, créés en marge des institutions, furent légitimés pour la première fois en France au début des années 2000 par le rapport Lextrait sur les « nouveaux territoires de l’art » (Gonon, 2017). Dans ce rapport commandé par le secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sont décrit un certain nombre de lieux se revendiquant à la marge des politiques culturelles et refusant tout sorte de labellisation, mais aussi, déjà, des lieux portés par des acteurs publics comme la Condition publique, propriété de la Ville de Roubaix qui fera le choix en 2004 d’y installer une maison Folie.

12Les MF ont pour première vocation d’être des lieux de partage, accueillants pour tous : il s’agit avant tout de lieux d’échanges et de rencontres artistiques, devant favoriser « la convivialité, l’épanouissement individuel » (Banlieues d’Europe, 2010, p.14). Les pouvoirs publics attendent aussi que les MF accueillent des artistes en résidence, de façon à favoriser les liens avec le quartier et la proximité entre les artistes et les habitants. C’est le cas par exemple des deux MF lilloises qui sont des résidences et des lieux de création avant d’être des lieux de programmation et sont pionnières pour avoir placé l’action culturelle au cœur de leur projet. L’action culturelle et l’attention aux publics dans leur diversité, aujourd’hui devenues des incontournables de la politique culturelle, ne l’étaient pas tant que ça en 2004. Dans un entretien réalisé en février 2022, la responsable de la Ferme d’en haut, la MF de Villeneuve d’Ascq, explique aussi travailler étroitement avec les établissements scolaires, les crèches et les centres sociaux, et créer des synergies avec le tissu associatif du quartier, afin de toucher un public aussi large que possible. Car la mission centrale des MF est de fédérer les initiatives locales tout en proposant au public de côtoyer les formes artistiques contemporaines les plus variées, voire les plus inattendues (spectacle vivant, arts plastiques, design, art du jardin, cuisine, connections avec le monde)4.

13Les MF sont ainsi en 2004 des équipements d’un nouveau genre à qui l’on assigne une double vocation d’outil de démocratisation culturelle et de levier de la transformation territoriale, à plusieurs échelles comme nous allons le voir.

2. Les maisons Folie, un équipement culturel de proximité

2.1. Panorama des douze maisons Folie

14Au total, douze MF ont été créées en 2004, dont trois sont situées en Belgique et deux du côté français qui ne sont pas dans la métropole lilloise : cette multitude et sa dimension transfrontalière indiquent dès le départ une ambition de mise en réseau et un fonctionnement à une échelle qui déborde largement la seule ville de Lille. Cette cartographie est le résultat de processus et stratégies variés pour atteindre cette ambition en fonction des situations pré-existantes. Par exemple, pour le cas des MF situées en Belgique, si des collaborations entre Lille et Courtrai existaient de longue date, y compris au niveau politique, la ville de Tournai a dû être interpelée par l’équipe lilloise pour mettre en place une MF à l’occasion de la CEC. Le choix de Mons est quant à lui lié à la coopération Interreg entre le centre culturel montois et le théâtre de Maubeuge, dont le directeur est devenu le directeur général de Lille 2004.

Carte 1. Localisation des Maisons Folie

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2.2. Un outil de transformation territoriale à l’échelle du quartier

15Lorsque le projet des MF a été dessiné pour Lille 2004, il a rapidement été établi que ces équipements seraient installés dans des édifices anciens désaffectés à réhabiliter, hérités pour certains d’entre eux de l’histoire industrielle de la métropole et situés au cœur de quartiers populaires ou périphériques : l’objectif est alors que ces MF prennent en compte l’histoire urbaine et son héritage (Bou, 2014). Elles correspondent en cela à une forme de patrimonialisation alternative, où la valeur patrimoniale de l’héritage est reconnue et mise en valeur par le projet urbain et la requalification en équipement culturel, sans que l’édifice réhabilité et remis en fonction ne fasse nécessairement l’objet d’une protection plus classique par une forme de classement.

16La MF montoise en Belgique, les Arbalestriers, se trouve ainsi dans une ancienne école primaire, l’Hospice d’Havré à Tourcoing est un ancien couvent datant du 17ème siècle, la MF Moulins à Lille une ancienne brasserie, la Ferme d’en Haut rappelle le passé rural et agricole des villages qui sont à l’origine de Villeneuve d’Ascq, la MF de Courtrai est installée dans une ancienne brasserie de l’Ile Buda, le Fort de Mons à Mons en Barœul et la Porte de Mons à Maubeuge sont des édifices militaires appartenant à des fortifications Vauban, la MF de Tournai un ancien séminaire, la MF Wazemmes à Lille une filature textile, celle d’Arras est un hôtel particulier et, pour finir, la Condition Publique est à Roubaix un édifice créé en 1902 pour le conditionnement des matières textiles (laine, coton et soie). La seule maison Folie qui déroge à cette règle est le Colysée de Lambersart, construit ex-nihilo sur une plaine à vaches située à deux pas de la citadelle, au cœur de l’un des plus grands espaces verts de la métropole lilloise (figure 1).

Figure 1. Les Douze Maisons Folie

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17L’exemple de la MF Wazemmes à Lille est emblématique de la double ambition urbaine et sociale évoquée plus haut. En contribuant à la sauvegarde et à la réhabilitation de l’ancienne filature Leclerc, rachetée par la Communauté urbaine de Lille en 1995 et qui faillit d’abord être démolie pour laisser place à un nouvel axe routier, le projet de MF Wazemmes célèbre l’histoire industrielle lilloise. Confié à l’architecte Lars Spuybroeck de l’agence NOX, le projet respecte la sobriété première de l’édifice tout en créant un signal fort dans le quartier grâce à une façade ondulée faite d’un maillage métallique. Sur le plan urbain aussi la MF est conçue comme un lieu de croisement et de circulation, ce qui se traduit par la création d’une nouvelle rue (piétonne et intérieure) et d’une place qui constituent un nouvel espace public.

Figure 2. La Maison Folie de Wazemmes

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18Ces changements morphologiques accompagnent un renforcement de l’offre culturelle adossée au tissu associatif déjà existant dans le quartier : la Ville de Lille apporte ainsi son soutien à certaines fêtes de quartier, comme le festival de la soupe à Wazemmes, et développe dans ses MF une action orientée vers les cultures urbaines (le festival Hip Open Dance par exemple) et populaires (spectacles ou ateliers portant sur des sujets de société comme les communautés, l’altérité, la place des femmes dans la ville et les discriminations). La création de la MF Wazemmes renvoie ainsi à la fois à la valorisation d’un héritage industriel et à la célébration du « populaire » qui s’incarne dans les discours tenus par les pouvoirs publics à travers le mélange des populations, une vie sociale intense, une ambiance chaleureuse et festive :

« A Wazemmes, Martine Aubry précise le projet de reconversion de l’usine Leclerc en “Maison Folies”, occasion de présenter ce concept dont elle veut faire une réalisation forte de son mandat durant lequel Lille sera déclarée capitale européenne de la culture en 2004. Dans chacune des réunions, elle présentera longuement la politique culturelle décentralisée qu’elle entend promouvoir autour d’infrastructures culturelles et festives construites ou rénovées dans chaque quartier. Elle présente ces “Maisons Folies” comme une chance de renouer avec les sociabilités anciennes et de décloisonner les quartiers populaires : “Des gens de toute la ville, mais aussi de toute la région et même d’ailleurs viendront ici” (Martine Aubry, réunion publique, 2001) » (Ethuin et Nonjon, 2005, p. 181).

3. Les maisons Folie et la petite échelle de la ville : métropole et eurorégion

19À l’échelle métropolitaine, la stratégie de métropolisation de l’agglomération lilloise s’appuie depuis la décennie 1990 sur le renouvellement urbain et, de façon de plus en plus nette depuis 2004, sur la culture (Liefooghe et al., 2016). Le renouvellement urbain trouve son origine au début des années 1990 dans le cadre de l’élaboration du schéma directeur de Lille qui invente le terme de « ville renouvelée » dont la finalité est une réhabilitation physique des espaces accompagnée d’objectifs économiques, surtout en terme d’attractivité (Linossier et al., 2004). Il s’agit de refonctionnaliser un site, de l’intégrer à la nouvelle économie tertiaire et de le rendre attractif à de nouvelles populations : en cela, le renouvellement urbain s’inscrit bien dans une stratégie métropolitaine.

Lille 2004, dont l’ambition était de placer Lille sur la carte parmi les métropoles françaises et européennes, a été à ce titre propice à l’amorce d’un certain nombre de grands projets de renouvellement urbain. Cela a concerné notamment des sites en friche où la culture s’est révélée un puissant levier de transformation et de remise en fonction, par le biais de la patrimonialisation d’héritages industriels peu valorisés jusqu’alors, comme l’a montré l’exemple de la MF Wazemmes. Le renouvellement urbain par la culture a aussi entraîné l’arrivée de nouveaux usages culturels et de loisirs, ayant pour conséquence une fréquentation nouvelle des sites concernés pouvant dans certains cas aboutir à une transformation sociale du quartier. Cette transformation découle de l’objectif de mixité sociale, à la fois mot d’ordre et « vœu pieu » (Genestier, 2010) affiché par les pouvoirs publics municipaux et métropolitains (Bosredon et al., 2021). C’est surtout dans les MF qu’est affichée l’ambition sociale de la mairie, mais, vingt ans après leur création, ces dernières peinent à atteindre l’objectif et font l’objet de critiques sur leur appropriation progressive par des catégories de population plus aisées et plus mobiles, n’habitant pas nécessairement le quartier (Vidal, 2012) et entrant plutôt dans le cadre de la métropolisation des pratiques décrite en 2012 par l’Observatoire des politiques culturelles (Le Quéau et Guillon, 2012).

20L’échelle eurorégionale et transfrontalière est une autre singularité de Lille 2004, impliquant notamment le dispositif des maisons Folies. La dimension transfrontalière de Lille 2004 a été une ligne présente dès la conception de la candidature, fait assez novateur à l’époque5. La situation géographique de la ville et sa géohistoire ont été considérées comme des éléments particulièrement pertinents à mettre en avant dans le cadre d’un dispositif européen tel que les capitales culturelles. CEC a ainsi été vue comme un catalyseur de la dynamique transfrontalière déjà engagée dès les années 1990, par exemple dans le projet d’eurométropole (Perrin, 2016). 193 communes du Nord-Pas-de-Calais et de Belgique ont été associées à l’événement, ainsi que sept villes belges partenaires : Courtrai, Gand, Anvers, Comines, Mouscron, Mons et Tournai. Ces partenariats ont d’abord pris la forme d’une programmation culturelle partagée, 25% des événements environ prenant place à l’échelle transfrontalière. Les Maisons folies, instruments de mise en réseau et de maillage du territoire, sont apparues comme tout à fait indiquées pour mettre en œuvre cette dynamique transfrontalière. Trois MF sont installées en Belgique, en plus des neuf créées du côté français de la frontière : les villes de Courtrai, Tournai et Mons se saisissent de l’opportunité offerte par l’événement Lille 2004 pour lever des fonds leur permettant l’ouverture d’un nouveau lieu culturel grâce à la réhabilitation d’un édifice désaffecté.

21À Courtrai la création de la MF est liée à un projet urbain plus large de réaménagement de l’île de Buda. Elle occupe le lieu d’une maison de la culture et accueille par exemple des artistes en résidence pendant Lille 2004. Le bourgmestre de Courtrai, à cette période, a été un soutien important du projet et a assisté à l’événement de lancement de la capitale, collaborant de longue date avec les autorités lilloises, en particulier autour du projet d’eurométropole : cela a commencé même 15 ans avant Lille 2004 ; il a pendant plusieurs années été membre du conseil d’administration de Lille 3000 (événement prolongeant CEC 2004). À Tournai, la mise en place de la MF au séminaire de Choiseul a plutôt relevé d’une opportunité ponctuelle que d’une stratégie plus durable. Comme en témoignent les acteurs tournaisiens qui ont participé au dispositif, « Si cette MF est née c’est parce que la ville de Tournai a été interpellée par Lille pour participer à Lille 2004 ». La Maison folie a cependant mené des actions communes avec la Maison de la culture de Tournai qui existait depuis le début des années 1980, dans une sorte de « double emploi » qui ne s’est pas fait à l’avantage de la maison Folie. À Mons, la Maison folie installée dans une ancienne école primaire a été investie pour plusieurs événements culturels.

22Or, force est de constater qu’en dépit d’une volonté affichée de faire de Lille 2004 une capitale pionnière de la coopération culturelle transfrontalière, dans les faits la coopération entre les maisons Folies belges et françaises est restée marginale voire difficile à mettre en place. Les réunions régulières entre les différentes MF ont certes permis d’échanger mais pas de mener des projets communs significatifs au sein de la programmation CEC. Chacun est plutôt resté tourné sur son territoire, voire son quartier. La faible intensité de la dimension transfrontalière des MF s’illustre aussi par le devenir de deux maisons Folies belges après l’année 2004 : arrêt de tout projet à Tournai dès la fin de la CEC, abandon de la dénomination « maison Folie » à Courtrai dès 2005. À Mons, par contre, la structure continue de fonctionner comme lieu de diffusion après 2005, sous la gestion d’un centre culturel. En 2015, Mons fut à son tour désignée CEC (Leloup, Moyart, 2014) et la MF de Mons fut l’un des lieux phares du programme de Mons 2015, mais on constate de manière assez paradoxale qu’il n’y a pas eu de maintien de cette dynamique. La création de maisons Folies à l’échelle transfrontalière a donc surtout été un objet porté par la ville de Lille et possible grâce au soutien financier de CEC 2004. D’aucuns estiment que la mise en place de cette dynamique transfrontalière a principalement permis à la ville de Lille d’obtenir des fonds Interreg pour CEC. Entre occasion manquée et stratégie d’opportunité, les maisons Folies sont donc restées des instruments transfrontaliers plus déclaratifs qu’opérationnels.

23Ce maigre bilan transfrontalier n’a cependant pas empêché la coopération culturelle transfrontalière entre la France et la Belgique, à travers d’autres projets, précisément à l’aide des financements européens Interreg6. Par exemple pour la Maison de la culture de Tournai, « Lille 2004 a été un épisode dans un processus beaucoup plus long d’une dynamique transfrontalière ». Parmi les nombreux projets franco-belges on peut citer la longue collaboration entre les théâtres de Maubeuge et de Mons, moins active cependant depuis 2015. En 2022, Next, festival franco-belge des arts de la scène, a connu sa quinzième édition. Il est co-organisé par Schouwburg Kortrijk et le centre d’arts BUDA à Courtrai, La Rose des Vents, scène nationale de la Métropole européenne de Lille, l’Espace Pasolini et Le Phénix de Valenciennes. Chaque année l’événement cyclo-artistique La Caravane vanne se déploie sur un parcours transfrontalier. L’eurométropole cherche quant à elle à mieux structurer et approfondir la coopération notamment dans son Atelier Culture. Par ailleurs, l’installation, même éphémère, de maisons Folie a permis de diffuser le concept et par là même de promouvoir certains aspects essentiels des politiques culturelles, et parfois novateurs à l’époque, ce que corroborent plusieurs entretiens. On pense par exemple à l’implication des populations ou du tissu associatif, à l’inscription à la fois spatiale et sociale de l’équipement dans son territoire, et au travail de proximité au service du développement culturel. L’évolution des maisons Folie montre, près de vingt ans après, que ces éléments restent des fondamentaux au sens large de l’action culturelle.

4. Pérennité et mutations des maisons Folie

24Les pouvoirs publics lillois cherchent dès la construction du projet de Lille 2004 à en garantir la pérennité, c’est l’une des particularités de cette CEC. La pérennité est d’abord pensée matériellement à travers des opérations de requalification d’espaces publics (comme la rue Faidherbe qui relie la gare Lille Flandres à la Grand place de Lille), la réhabilitation d’édifices patrimoniaux classés (l’Opéra de Lille, par exemple) ou la création de nouveaux équipements culturels appelés à perdurer au-delà de 2004, à l’image du Tri Postal installé dans un ancien centre de tri situé à proximité des deux gares lilloises, ou des maisons Folie dont seules celles de Tournai, Arras et Maubeuge ont aujourd’hui disparu.

25La pérennisation de Lille 2004 est aussi celle de l’événementiel, assurée par l’association lille3000, émanation directe de la CEC qui est devenue le principal opérateur de la politique culturelle de la ville. Présidée par la maire de Lille, Lille3000 fédère un grand nombre d’acteurs publics et privés qui ont porté la dynamique initiale de Lille 2004 et organise tous les deux à trois ans une sorte de réplique de l’événement de 2004, sur plusieurs mois, comprenant une thématique centrale, une parade d’ouverture, de grandes installations dans l’espace public, des expositions... Les maisons Folie font partie, à chacune de ces occasions, des lieux phares de la programmation de ces saisons culturelles.

4.1. Disparition ou abandon de l’appellation « maison Folie »

26Certaines maisons Folie ont disparu dès 2005, sitôt achevée l’année CEC, faute d’un budget municipal consacré à les faire vivre dans la durée. La CEC a en effet permis en 2004 d’alimenter des budgets suffisants pour que les maisons Folie puissent fonctionner et assurer leur programmation. Les communes où elles étaient installées ont elles aussi participé au financement, mais dans une moindre mesure si l’on en croit les entretiens réalisés avec les anciens responsables des MF de Tournai ou de Mons. Lorsque Lille 2004 a pris fin, les aides financières de la métropole lilloise se sont interrompues, ce qui s’est révélé fatal aux MF que leur régie municipale n’a pas choisi de prolonger en leur affectant un budget et un personnel dédié, comme à Arras ou à Tournai. La MF de Maubeuge, éloignée géographiquement de la métropole lilloise, sans équipe dédiée à son fonctionnement, a logiquement souffert du manque d’ambition de la commune de Maubeuge à son endroit et a cessé son activité peu après 2004. Son ancien responsable témoignait en 2022, avec quelques années de recul, que cette MF n’avait été qu’une coquille vide n’ayant jamais réussi à devenir un véritable lieu de diffusion culturelle. Ces interruptions brutales mettent en lumière une des difficultés rencontrées par la plupart des MF : celle de la régie directe municipale et de ses lourdeurs. Tous les équipements qui sont demeurés des MF jusqu’à aujourd’hui ont en effet conservé ce statut et ce mode de fonctionnement, et sont restés directement dépendants de la volonté des élus de les faire vivre et se développer.

27D’autres structures ont fait le choix d’abandonner le nom de « maison Folie », actant l’arrêt de toute référence au concept et à Lille 2004. C’est le cas de La Condition Publique, devenue à Roubaix un établissement public de coopération culturelle et, comme on l’a vu, de l’Ile Buda à Courtrai. Affranchis de la régie directe, recentrés sur une identité propre, ces deux équipements connaissent aujourd’hui une pérennité à l’échelle du quartier, de la métropole voire à l’échelle internationale.

4.2. L’action culturelle métropolitaine aujourd’hui : des réseaux en évolution

28Les sept MF qui existent toujours du côté français de la frontière se sont articulées dans le réseau des fabriques culturelles créé en 2005 par l’intercommunalité et actuellement toujours porté et financé par elle, au côté de quatre autres équipements. L’ensemble des structures qui le composent sont réparties dans différents quartiers de la métropole : la MF Beaulieu à Lomme7 ; les MF Moulins et Wazemmes à Lille ; la MF Hospice d’Havré à Tourcoing ; la MF la Ferme d’en Haut à Villeneuve d’Ascq ; la MF le Fort de Mons à Mons-en-Barœul ; la MF le Colysée à Lambersart ; Le Nautilys, équipement de la ville de Comines consacré à la pratique et à la diffusion des musiques amplifiées ; le Vivat, scène conventionnée danse et théâtre d'Armentières ; les Arcades, centre musical de Faches-Thumesnil ; la Condition Publique de Roubaix.

Figure 3. Le réseau des fabriques culturelles de la MEL

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29L’objectif de ce réseau est la création de liens entre différents lieux afin de faire circuler les publics d’un équipement à l’autre, notamment via le réseau de transport en commun, ainsi qu’à faire circuler les œuvres et les artistes. Pour tout projet culturel ou artistique commun associant au moins deux structures du réseau appartenant à deux communes différentes, une subvention métropolitaine peut être obtenue. Un dispositif phare contribue à faire vivre le réseau dans la durée : le Tour de Chauffe accompagne les pratiques musicales amateurs, les groupes lauréats bénéficiant d’une résidence de création et de différentes formations professionnalisantes. Il se clôture chaque année par un festival organisé sur les scènes des différents équipements partenaires. Comme en écho à Lille 2004, l’événement a pris une dimension transfrontalière avec, depuis 2013, le soutien de l’Eurométropole Lille- Kortrijk-Tournai et la participation du Musiekcentrum de Courtrai et de la Maison de la Culture de Tournai. Malgré cela, la coordinatrice du réseau des fabriques culturelles à la Métropole, confie en entretien que les liens avec l’Eurométropole se sont distendus faute de forces vives et de moyens pour les conforter.

30À l’échelle lilloise, les deux maisons Folie ont aussi intégré un réseau municipal à l’occasion d’un changement de gouvernance : au départ coordonnées par deux équipes différentes, les MF de Wazemmes et Moulins ont d’abord été réunies avec le Flow, Centre eurorégional des cultures urbaines, sous une même direction (celle du directeur historique de la MF Wazemmes), avant d’être regroupées en 2022 avec le Grand Sud (centre culturel du quartier Lille Sud), la salle des fêtes de Fives, le Tri Postal et la Gare Saint-Sauveur. Ces « Lieux Culturels Pluridisciplinaires », selon la dénomination forgée par la Ville de Lille, sont situés dans des quartiers populaires (Fives, Lille Sud, Moulins, Wazemmes) ou péricentraux (Saint-Sauveur, gares) de Lille. Ils ont été réunis sous une même direction par la Ville de Lille dans l’objectif de favoriser l’accès au plus grand nombre à la culture et aux arts, sans qu’il ne soit possible pour l’instant de saisir précisément quelles orientations seront suivies.

4.3. Les maisons Folie, actrices et témoins de l’évolution des référentiels des politiques culturelles

4.3.1. À Lille, la culture durable

31En janvier 2022, la Ville de Lille s’est dotée d’une Mission Culture Durable (coordonnée par l’ancien directeur des MF Wazemmes et Moulins) dont l’une des premières concrétisations fut le lancement d’un « Appel à Agir, pour une culture moins carbonée et plus inclusive » signé par 23 villes, dont Lille, à l’issue du Forum Eurocities (28-30 septembre 2022). Cet appel repose sur deux piliers, déclinés en de multiples objectifs, dont la transition écologique et l’inclusion dans le secteur culturel. Les MF ont naturellement vocation à participer à cette ambition, elles qui prônent déjà une action de proximité, ancrée dans le quartier, au plus proches des habitants, notamment les plus précaires. Depuis leur création, les deux MF lilloises ont ainsi plusieurs fois tenté de diversifier leurs activités et d’adapter leurs pratiques aux demandes citoyennes. L’élargissement des horaires d’ouverture reste difficile car, bien qu’elles soient appelées des « maisons », les MF sont avant tout des lieux de création et de résidence d’artistes qui n’ont pas vocation à accueillir le public en permanence. On note aussi la création à Moulins d’un fablab et d’un musée numérique (dispositif national micro-Folie), ou encore le projet de salon ouvert à tous à Wazemmes, finalement avorté à cause de la pandémie de Covid.

4.3.2. Les cas de Villeneuve d’Ascq et de Mons

32À Villeneuve d’Ascq, la maison Folie cherche aussi à se transformer et à s’adapter aux enjeux d’une culture durable, notamment ceux qui relèvent de la transition écologique, tout en s’appuyant sur son héritage rural. Cela a mené l’équipement à travailler avec un collectif qui regroupe des architectes et des paysagers venus aider la Ferme d’en Haut à aménager et faire vivre ses espaces extérieurs. C’est ainsi que sont nés les carrés potagers mis à disposition des habitants par une association créée pour l’occasion et permettant que l’espace soit accessible largement, y compris lorsque l’équipe de la maison Folie est absente. Dans le même esprit ont été aménagés des bacs à compost collectifs et une distribution de légumes par une AMAP de la commune.

33La MF de Mons a connu des rebondissements depuis 2004. Un premier tournant a lieu en 2015, lorsque Mons est à son tour désignée CEC : la MF est alors un lieu très fréquenté et très actif, doté d’un restaurant, accueillant de multiples expositions. Cela est rendu possible par le budget conséquent apporté par la CEC. Or, à la suite de Mons 2015, il y eut ce que le régisseur général de la MF caractérise comme un « flop » pour la MF. Il fallut réfléchir à de nouvelles orientations pour l’avenir et c’est dans ce contexte qu’ont été imaginées les Biennales (portées par la fondation Mons 2025, créées sur le modèle de Lille3000), sorte de réplique, plus modeste, de la CEC organisée tous les deux ans dans différents lieux du Grand Mons, y compris la MF. Le festival « Demain » a quant à lui été créé sur le thème de l’écologie, suite à la sortie du film documentaire du même nom, dans l’idée de faire de la MF un lieu citoyen, largement ouvert aux enjeux du monde contemporain et pas exclusivement à la diffusion des arts. L’ambition de devenir une maison Folie 2.0 la positionne davantage comme un tiers-lieu qu’un équipement culturel à proprement parler. Si l’expression tiers-lieu désigne au départ un espace de sociabilisation alternatif à la sphère domestique et à celle du travail, elle est devenue aujourd’hui plus plastique, l’essor du numérique ayant entraîné celui des espaces de coworking et autres lieux collaboratifs (Gonon, 2017). Le régisseur de la MF de Mons conçoit quant à lui le tiers-lieu qu’elle pourrait devenir comme un espace réunissant trois fonctions essentielles : travailler, habiter et créer. En attendant la transformation de la MF, qui devrait peut-être changer de nom pour l’occasion, un de ses espaces, baptisé la maison du projet, a été ouvert au public de façon à ce que les envies de tous puissent s’exprimer. Ce qui ressort des idées récoltées auprès des habitants et usagers est que la MF tend à s’éloigner du champ artistique stricto sensu pour donner plus de place à la diversité des expressions comme la cuisine, le sport ou la couture.

Conclusion

34La création des maisons Folies a marqué une approche novatrice de l’équipement culturel, notamment dans leur dimension de réhabilitation de patrimoine industriel, dans la recherche d’un rapport de proximité avec le public, tant sur le plan physique que de la participation, et dans une recherche de rayonnement à plusieurs échelles, du quartier à l’eurorégion. Si ces approches peuvent paraître assez classiques aujourd’hui, elles sont à replacer au début de la décennie 2000, alors qu’émerge le concept de « nouveaux territoires de l’art »8 et la promotion de fonctions et de lieux alternatifs pour les équipements culturels. En ce sens les maisons Folies ont participé à ce renouvellement des référentiels des politiques culturelles. Ces équipements ont également eu un certain effet de levier pour promouvoir le travail en réseau et plus largement la coopération culturelle, là encore à différentes échelles, y compris à l’échelle transfrontalière qui a représenté une nouveauté pour une CEC. Certes, comme on l’a vu les maisons Folies n’ont pas toutes perduré, et la coopération transfrontalière en 2004 a été globalement d’assez faible intensité. Cependant, la création de ces équipements a contribué à normaliser l’intérêt à coopérer et souligne ainsi le rôle que peut jouer la culture dans la structuration d’un territoire, métropolitain et eurométropolitain. Comme on l’a vu, la Métropole européenne de Lille centre son action culturelle sur la mise en réseau des équipements, par le financement de projets collaboratifs. L’Eurométropole a quant à elle mis en place un Atelier pour soutenir et renforcer la mise en réseau et la coopération transfrontalière entre acteurs culturels.

35Au-delà du travail en réseau et de l’approche collaborative, l’évolution des maisons Folies montre une certaine plasticité des référentiels de l’action culturelle, dont l’interprétation et la mise en œuvre peuvent fluctuer selon l’évolution des priorités ou des décisions politiques du moment. Cette plasticité, parfois signe de superficialité ou d’inconsistance, peut aussi être vue comme une capacité d’adaptation en fonction d’évolutions plus larges. Malgré les transformations dont elles ont pu faire l’objet, les maisons Folies restent des équipements structurants pour la vie culturelle de l’agglomération lilloise. En ce sens, elles illustrent l’importance pour les politiques culturelles, et pour les équipements qui les portent, de refléter les évolutions sociales et de répondre aux enjeux qu’elles posent.

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Notes

1 CECCUT (Capitales européennes de la culture et cohésion urbaine transfrontalière) est un réseau pluridisciplinaire, cofinancé par le programme Erasmus+ de l’Union européenne, qui vise à analyser l'initiative Capitale européenne de la culture comme outil de cohésion urbaine dans les zones transfrontalières de l'Union européenne. Les travaux menés au sein de ce réseau se sont étalés entre 2018 et 2022.

2 Originaire de Valenciennes dans le Nord, ce même acteur est ensuite directeur du programme Lille 3000 de 2005 à 2015 (cf. infra partie 4). Il a plus tard contribué à la création des « Micro Folies », musées numériques modulables mis en place depuis 2017 sur l’ensemble du territoire national pour favoriser l’accès du plus grand nombre à des œuvres picturales, théâtrales, musicales, etc. (Lombard, 2020).

3 Voir notamment : Knox T., Les folies et fantaisies architecturales d’Europe, Paris, Citadelles et Mazenot, 2008.

4 Voir : POPSU Métropole lilloise, fiche Maisons Folie (extrait du tome 1 du rapport final), LACTH (ENSAP Lille) et TVES (USTL), septembre 2008.

5 « En 2004, Lille se veut capitale d’une culture sans frontières », Le Monde, 11 décembre 2002. « Lille 2004, une dynamique artistique à l’échelle de l’eurorégion », Les Échos, 25 juin 2003.

6 De 2000 à 2020, la base de données des programmes Interrreg recense 82 projets du programme Interreg France-Belgique dans les domaines thématiques « Cultural heritage and the arts » et « Community integration and common identity ».

7 La MF Beaulieu de Lomme ne fait pas partie des douze MF créées initialement en 2004. La ville de Lomme a néanmoins souhaité rejoindre le réseau des MF en inaugurant en 2009 ce nouveau lieu culturel qui s’est installé dans l’ancienne salle des fêtes de la Cité de la Délivrance, ancienne cité jardin de cheminots (Gravereau, 2014).

8 Selon le terme introduit en 2001 dans le rapport remis par Fabrice Lextrait à Michel Duffour, secrétaire d'État au patrimoine et à la décentralisation culturelle : Une nouvelle époque de l'action culturelle.

Pour citer ce document

Pauline Bosredon et Thomas Perrin, « Les maisons Folie d’hier à aujourd’hui, instruments d’une transformation urbaine multiscalaire » dans © Revue Marketing Territorial, 11 / été et automne 2023

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=953.