Plaidoyer pour l’étude du thermalisme et des stations thermales

Marie-Eve Férérol


Texte intégral

1Avec ce titre paraphrasant volontairement Germaine Veyret, nous souhaitons insister sur l’intérêt que constituent, comme objets d’étude, le thermalisme et les stations thermales. Depuis 1956 et la publication d’un numéro de La Documentation Photographique par J. Beaujeu-Garnier, rares sont les articles et ouvrages de géographes centrés sur ces thématiques. À l’opposé, les plus prolifiques sont sans conteste les historiens ou les médecins (cf. le Portail Persée). Les premiers centrent leurs recherches sur l’Antiquité ou sur les années fastes du thermalisme tandis que les seconds confirment leur mainmise sur cette activité depuis l’après-guerre.

Une recherche lacunaire

2Malgré la carence des écrits, évoquons brièvement ceux des géographes dont nous avons connaissance et mettons en lumière les propos les plus saillants, qui entrent en résonnance avec l’actualité. 1947 est un tournant majeur dans l’histoire du thermalisme. Dans la lignée de la création de la Sécurité Sociale, les cures vont désormais être remboursées car assimilées à un médicament et la durée du séjour strictement limitée. Les médecins reprennent la destinée des villes d’eaux entre leurs mains. Les années 1950 et 1960 marquent donc le début du thermalisme social. Dans un premier temps, cette mise en avant de la médicalisation a pu paraître de bon augure puisque les effectifs des curistes explosent : de 1958 à 1988, ils passent ainsi de près de 340 000 à plus de 635 000 (Graphique). Cette nouvelle clientèle est toutefois beaucoup moins nantie que la première ; les aristocrates, stars de cinémas et autres aventuriers attirés par la vie mondaine désertent en effet les villes d’eaux. En revanche, des couches de plus en plus diversifiées de la population y affluent pour se soigner.

Graphique. L’évolution de la fréquentation thermale en France (1958-2019)

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Source : Jamot jusqu’en 1982 puis CNETh et RVE.

NB : Pour 1985, erreur de frappe vraisemblable dans les statistiques car cette année-là il n’y eu aucune crise conjoncturelle à la différence des trois précédentes (1959, 1968 et 1977).

3En 1955, R. Balseinte dresse dans la RGPSO une étude de géographie typique de cette époque. Elle se révèle ainsi très descriptive avec simplement la répartition des stations, le nombre de curistes Assurés Sociaux (AS) dans chacune d’entre elles, les possibilités d’attraction que donnent les moyens d’accès et les données climatiques illustrées de diagrammes ombro-thermiques. Cinq ans plus tard, une note de l’INSEE complète le travail en abordant l’activité thermale d’un point de vue économique, teinté d’un certain enthousiasme, même si cet intérêt ne se résume qu’à un paragraphe pour tout un article.

« Les sources thermales, par leur nombre qui dépasse 1 200, la diversité des affections qui s’y traitent, représentent une richesse de la France ; chaque malade peut trouver sur son territoire la station qui convient au mal dont il souffre » (Sauvy, 1960 : 1053).

4En 1975, un autre géographe, F. Reitel, se lance dans une « contribution à la géographie médicale et l’aménagement du territoire ». Comme celui de R. Balseinte, l’article est décevant pour des chercheurs d’aujourd’hui par rapport au titre prometteur. Après un bref historique, Reitel insiste sur les difficultés du thermalisme social qui commence à apparaître eu égard à la dépendance à la Sécurité Sociale et la trop grande saisonnalité de l’activité. Il enchaîne ensuite avec les caractéristiques physiques des eaux et la présentation des « provinces » thermales. Quant à la référence à l’aménagement du territoire, elle se résume à 6 mini-monographies (Vichy, Chaudes-Aigues, la Bourboule, Barbotan, Prats de Mollo et Luchon). Malgré tout, sa conclusion est intéressante :

« Il ressort de cette brève étude que le thermalisme, dont la pratique est pluri-millénaire, s’oriente vers une situation nouvelle. Activité stabilisatrice pour les communes rurales et les petites villes, elle permet de donner à toutes une image de marque favorable. Le thermalisme est important, surtout, pour les agglomérations montagnardes. Toutefois, on assiste à une véritable stagnation du nombre des usagers depuis 1965. Ce phénomène est inquiétant. Car il s’agit d’une richesse sans cesse renouvelée et qu’un pays n’exploite pas rationnellement. Enfin, sur le plan de l’aménagement régional, il conviendrait de prendre en considération les stations thermales qui devraient se voir confier un rôle plus important dans le domaine des services » (Reitel, 1975 : 32).

5Deux points importants sont à retenir : la fragilité du thermalisme social et le rôle de certaines stations en termes de structuration territoriale.

6En 1988, est publiée la thèse de C. Jamot. Ouvrage de géographie économique et sociale, cette thèse est une véritable référence (« ouvrage de base », « mine d’informations ») selon la recension de M. Chevalier (1989) et ce, malgré des lacunes certaines (cartographie et iconographie très pauvre, urbanisme thermal pas assez approfondi, bibliographie datant d’avant 19841). De son doctorat, C. Jamot tire plusieurs conclusions. La première, fondamentale dans l’aménagement du territoire, est que les stations thermales ne sont pas des kystes.

7« La ville thermale apparaît comme une ville touristique particulière, par son aptitude au contact avec les autres villes et les milieux ruraux de sa région. Son influence lui confère de grandes facilités d’insertion dans les hiérarchies régionales et lui permet d’intégrer les réseaux locaux. Cette observation remet en cause la vision traditionnelle de la ville touristique, coupée de son support géographique local, "ville kyste" ou "ville intrusive" » (1988 : 331).

8La deuxième est que le thermalisme a créé des villes originales par leur organisation spatiale, fonctionnelle, leur urbanisme... La troisième, relevée par M. Chevalier, est que le thermalisme est un révélateur des autres formes de tourisme. Enfin, le chercheur clermontois assène que « la conception même du thermalisme médical, étriquée, étrangle tout développement des stations » (1988 : 475). Cette dernière conclusion sera son credo pendant plusieurs années (Jamot, 1996 ; 2008). Mais les acteurs du monde thermal ne l’entendront que fort tard. Comme le disait M. Chevalier, cette ignorance de la part des décideurs et agents économiques pouvaient condamner à plus ou moins long terme la géographie (avec des études scientifiques non prises en compte). Mais leur aveuglement va surtout être fatal pour leur profession.

9Quand la thèse de C. Jamot est publiée, la crénothérapie vit en effet ses dernières heures de prospérité (du moins en apparence). 636 439 curistes affluent en 1988 dans les stations thermales, mais ces effectifs, après quelques années de stagnation, vont vite s’effondrer. Commence une crise structurelle et conjoncturelle sans précédent aux causes multiples (Conseil National du Tourisme, 2011). En 2009 est atteint le chiffre le plus bas depuis les années 1970 : 486 723 AS (Graphique). Du fait de cette crise et de ses effets dans le temps, les stations thermales n’ont plus l’image « rassurante et séductrice autour d’un produit commercial attractif » (Toulier, 2004 : 17). Les descriptions sont beaucoup moins flatteuses, en lien notamment avec la doctrine médicale qui s’est abattue sur elles après la seconde guerre, « cette monoculture médicale qui a décharné les stations thermales » (De Monbrison, 2004 : 25). Les stations perdent de leur prestige (Weisz, 2002 ; Jazé-Charvolin, 2014) et apparaissent comme des villes de vieux du fait de l’âge de la clientèle et de la population permanente. Elles sont vues comme des villes ennuyeuses, aux animations désuètes. En outre, elles deviennent des communes banales, noyées dans la masse. Les villas prestigieuses des siècles passés sont divisées et deviennent des meublés pour correspondre à la nouvelle clientèle. Les palaces et les hôtels de prestige sont vendus sous forme d’appartements. Quant au système distractif, il est complètement délaissé. Les hippodromes, les courts de tennis, les casinos sont inadaptés à une clientèle sociale. Dans les années 2000, « l’atmosphère n’est pas une atmosphère très positive. Parfois il y règne une forme de tristesse et un look un peu vieillot qui pose problème quant à la qualité de l’image touristique » (De Montbrison, 2004 : 24). Des friches thermales, hôtelières, se multiplient telles des verrues dans le tissu urbain.

10Côté recherche, une chape de plomb s’abat sur le thermalisme. Aucun article scientifique ne s’y intéresse2. Cette mauvaise image a-t-elle été un repoussoir pour les chercheurs ? Ont-ils eu peur que le milieu scientifique trouve leur recherche ringarde à l’image d’une activité qui apparaissait comme d’un autre temps ? Avant la reprise de 2009, nous avons pourtant eu l’intuition que cette activité ne devait pas être négligée et que la thèse de C. Jamot était sur certains points à réactualiser. De plus, l’objet station thermale pouvait ouvrir des perspectives de recherche, aussi bien en géographie urbaine qu’en géographie du tourisme, mais également en marketing territorial.

11En 2021, une thèse de belle envergure tout autant qu’isolée, s’est intéressée à comparer 17 sites en France et en Belgique, exploitant les Eaux minérales naturelles (EMN) tant pour les eaux embouteillées que via les stations thermales. En étudiant la conjugaison de ces deux voies économiques pour le développement local, les résultats de la thèse de G. Pfund sont particulièrement abondants en matière de marketing territorial, de fabrication de marque commerciale basée sur les toponymes ou à propos des paniers de biens. L’étude des jeux d’acteurs locaux autour d’une eau présentée comme une ressource territoriale (Pecqueur, 2018) dans le cadre d’une économie de proximité qui rayonne à l’international (notoriété et exportation) montre que les stratégies collectives nécessaire au développement local ne fonctionnent pas pour tous les cas étudiés. La domination d’acteurs publics ou privés selon les 17 cas, montrent des situations qui ne convergent pas vers un modèle à suivre. À propos de cette ressource spécifique qu’est l’EMN, G. Pfund pose la question :

« Est-ce un bien public qui appartient à tout le monde ou un bien marchand à mettre en valeur sur le plan économique ? Au travers de différents territoires, nous avons identifié une large palette de modes de valorisation en France (...). Au-delà d’une conception idéologique propre aux lobbyings contre la marchandisation de l’eau, la mise en valeur d’une ressource d’EMN par un usage marchand permet aux territoires de se créer une source de revenu, principalement grâce à la surtaxe sur l’embouteillage, une ressource territoriale en cas de valorisation spécifique, et une attractivité dont l’aspect qualitatif est souligné par le classement en station » (Pfund, 2021 : 713).

12Au regard de tous ces travaux, nous maintenons les hypothèses que les stations thermales sont des laboratoires intéressants pour étudier les enjeux touristiques, urbains et aménagementaux contemporains et que le thermalisme est un thème à investiguer en lien avec les besoins en santé publique. Pour cela, le Massif central est idéal pour confronter nos hypothèses à la réalité du terrain.

Le Massif central et la Route des Villes d’Eaux : un terrain propice à la recherche

13Le Massif central, et surtout l’Auvergne qui en constitue le cœur, est la région thermale qui a le plus pâti de la crise des années 1990-2000. Les statistiques sont sans appel. De 20% du marché français en 1983, l’Auvergne ne représente plus que 9% (Tableau). Au-delà des raisons de ce marasme (Jamot, 2008), le plus important est d’analyser quelles solutions la région a imaginées pour tenter de revenir au premier plan ou du moins renouer avec une relative attractivité.

Tableau. La répartition de la fréquentation thermale

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Source : CNETh ; regroupements régionaux personnels.

14Ce graphique ne reprend pas les découpes administratives afin de faire ressortir le déclin de grands territoires thermaux comme l’Auvergne ou a contrario l’émergence de nouvelles destinations thermales (stations charentaises notamment). La Nouvelle Aquitaine a également été divisée en deux afin de distinguer le Sud-Ouest autour du système dacquois.

15Lors de sa création en 1998 sous l’égide de la DATAR, la Route des Villes d’Eaux (RVE) s’est vue confier une mission principale : changer l’image trop médicalisée des stations. Cet organisme, comme les stratégies adoptées, vont être une source d’inspiration pour réfléchir à des problématiques de recherches. D’ores et déjà, le nom même de la structure peut interpeller. Ici la Route est imagée et a pour vocation d’unir et d’insister sur le lien qu’entretiennent les stations éparpillées dans le Massif. Ensuite, la création d’une route touristique n’est pas un fait anodin, elle « apparaît comme un élément de reconnaissance et de valorisation territoriale, touristique, culturelle et sociale » (Fagnoni, 2003). De cette réflexion a débuté notre travail avec cette RVE (Férérol, 2015) reconnue à l’international et prise pour exemple, grâce à nos recherches, par la chaire Tourisme Transat de UQAM dans son étude « État de la situation et recommandations pour un développement stratégique des routes touristiques du Québec » (2019)3.

16Après avoir construit une offre basée sur le bien-être, la RVE valorise le patrimoine thermal (Illustration). Réunissant plusieurs anciennes Reines des Eaux, elle a à sa disposition un patrimoine remarquable, épargné par la crise des années 1990. Délaissées par les investisseurs et échappant de cette manière à des rénovations de quartiers, les villes d’eaux du centre de la France ont vu les bâtiments anciens préservés de la destruction et devenir au fil du temps un patrimoine précieux architecturalement et économiquement.

« Un effet de fossilisation nous livre en 2008 des stations telles qu’elles étaient en 1890 ! […] Une fraîcheur patrimoniale ne demande qu’à être réactivée » (Jamot, 2008 : 13).

17En lien avec l’évolution de la société, cette valorisation du patrimoine thermal peut s’étudier, entre autres, sous l’angle du tourisme créatif et numérique. Depuis les années 1990, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ont en effet modifié le comportement des touristes et révolutionné les usages. L’industrie touristique, dans son ensemble, a pris conscience de ces bouleversements. Elle a été « l’une des premières à utiliser les nouvelles technologies pour concevoir de nouvelles campagnes de promotion des destinations ou des activités de loisirs, les rendant très attractives et plus compétitives dans un secteur très concurrentiel » (Leroux et Pupion, 2014). Comme M. Aquilina et al. (2018 : 7), nous nous sommes donc demandé si « à l’heure de l’hyperconcurrence des destinations touristiques, du cybertourisme et du m-tourisme, les moyens classiques de communication sont encore pertinents ». La RVE a encore été un cas d’école (Férérol, 2020).

Illustration. L’identité et le patrimoine thermal au cœur de la démarche des villes d’eaux

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Source : Route des Villes d’Eaux.

18Cette association continue d’être au cœur de nos recherche avec sa stratégie de marketing territorial.

« La désirabilité territoriale devient le socle de mobilisation des acteurs locaux, l’identité territoriale servant de levier d’action » (Houllier-Guibert, 2017).

19Cela s’est vérifié pour la RVE. Consciente de son attrait moindre pour les curistes AS et de la nécessité de compléter son offre touristique, elle va se lancer dans une marque territoriale à des fins d’attractivité. Pour se faire, elle va réfléchir à l’identité de ses stations thermales, leur singularité et va déposer, en 2017, à l’INPI, Les Accros du Peignoir, marque reposant sur les deux registres d’action classiques : un registre rationnel et un registre émotionnel. Ce sont ces derniers (donner envie, faire rêver, faire aimer, s’identifier) qui conditionnent le fait de partir. Par ailleurs, elle a choisi le registre de l’humour et de la dérision, tendance à l’œuvre en marketing territorial (Meyronin, 2015), pour contrebalancer l’image ringarde du secteur thermal. Cette marque n’étant qu’à ses débuts, elle va être pertinente pour étudier son rôle réel en termes d’images, en termes d’évaluation d’une politique touristique, ou encore en termes de parties-prenantes car l’une des premières lacunes que nous avons pu identifier est le lien encore trop ténu entre tous les acteurs du système thermal autour de cette marque (Férérol, 2020).

Les angles de recherche, des sujets d’actualité

20S’intéresser au thermalisme d’une manière plus large permet aussi de s’interroger sur les thématiques-phares de la recherche scientifique de ces dernières années. Premier exemple avec les clusters, dès lors que les destinations touristiques sont envisagées comme des systèmes d’acteurs (Fabry, 2009 ; Botti, 2011 ; Clergeau et Violier, 2013). Plusieurs chercheurs ont montré l’utilité de cet outil pour gagner en performance et en compétitivité grâce notamment à la notion de coopétition, coopération entre acteurs concurrents d’un même domaine. Les clusters montrent qu’une mise en réseau des acteurs permet d’aller chercher de nouveaux marchés et de créer de nouveaux produits et ce, que ce soit au niveau industriel ou touristique. Or, loin de leur image d’inaction, les stations thermales n’hésitent pas à utiliser cet outil. Né en 2009, le cluster AquiOThermes est le premier du genre. En 2013, les stations d’Auvergne font de même et crée Innovatherm. Ces deux cas permettent d’étudier les thèmes de gouvernance, d’innovation, dans un secteur très concurrentiel. L’étude du cas d’Innovatherm interroge la capacité des acteurs thermaux (médecins, propriétaires d’établissements thermaux...) à collaborer ensemble et à redéfinir le thermalisme du XXIe siècle (Montargot et Férérol, 2018). Le temps n’est plus aux actions individuelles du côté des établissements thermaux, aux luttes intestines pour les médecins et aux soins collectifs pour les curistes. Aujourd’hui, les entreprises thermales ont tout intérêt à travailler de concert, les médecins thermaux à s’allier avec leurs collègues de la recherche fondamentale tandis que les soins se font plus personnels et participatifs. Dans la même veine, mais d’une manière beaucoup plus approfondie, S. Ramon Dupuy (2017) a analysé AquiOThermes avec cette thèse sur « le capital social : un déterminant des coopérations inter-organisationnelles territorialisées le thermalisme dans les Landes ».

21Deuxième exemple avec, depuis les années 2000, des chercheurs francophones qui se penchent sur la question du genre (Antomarchi et de La Barre, 2010).

« Le tourisme apparaît comme le produit d’une société genrée. Le développement du tourisme reflète bien les relations entre les sexes ainsi que leurs variations dans le temps et dans l’espace » (Antomarchi et de La Barre, 2010 : 90).

22Cette lacune de la recherche commence à se combler grâce notamment aux travaux de V. Coeffe, d’E. Jaurand ou encore de J.-F. Staszak qui ont mis l’accent respectivement (et entre autres) sur le corps et les normes dans l’espace public, la culture gay et l’imaginaire touristique autour de la sexualité, affichée comme devinée. Or les stations thermales sont également des lieux idéaux pour étudier cette question tant du point de vue des visiteurs que des visités. C. Carribon avait commencé à aborder cette question en 2009 et nous l’avons approfondie en 2021 à l’occasion des Rendez-Vous Champlain. Enquêter dans le milieu thermal permet d’explorer les quatre domaines privilégiés des études sur le genre (Jaurand, 2017) : l’expérience touristique et le rapport au corps ; la dynamique du thermalisme en référence à la clientèle masculine et féminine ; le développement des espaces touristiques et la fabrique de lieux ; la communication et le marketing autour des stations et des établissements thermaux.

23Enfin, au-delà des préoccupations scientifiques du moment, investiguer le thermalisme et les stations thermales est essentiel dans le sens où les études mettent en lumière le rôle économique et sociétal de cette activité et le rôle dans l’aménagement du territoire des cités thermales. On en revient à la conclusion de F. Reitel 45 ans plus tôt. Une des raisons de la remontée des effectifs s’expliquent déjà par l’engouement actuelle de la population pour les médecines naturelles, sans effet secondaire. D’ailleurs, les stations thermales doivent être le fer de lance du développement du tourisme de santé :

« Au-delà des questions purement médicales et à l’image de ce que commence à mettre en place Atout France, il faut davantage miser sur le tourisme de santé. Destination très attractive pour les touristes, la France dispose de villes d’eaux, de spas et d’infrastructures hôtelières développées. Elle doit promouvoir ses régions comme destinations de bien-être et de détente sous le prisme de la santé, d’autant que ce secteur ne risque pas de déstabiliser le système public de soins. Il y a là une filière appelée à devenir attractive, avec le vieillissement, les maladies chroniques, les problèmes de santé liés au stress et la volonté croissante de prévenir les maladies » (Marguerit et Reynaudi, 2015 : 8).

24Il sera donc intéressant de refaire un point dans quelques années, d’analyser la place du thermalisme dans l’offre du tourisme médical de la France et de vérifier si la tendance actuelle s’ancre dans la durée.

25Toujours en lien avec la santé, nous pouvons légitimement interroger le rôle des stations dans le bien-vieillir. N’est-il pas alors opportun d’envisager le vieillissement de la population (évolution naturelle de la population permanente et venue de nouveaux seniors) non pas comme un drame mais comme une opportunité économique en lien avec l’accroissement de la consommation locale et la création d’emplois inhérents et ce, dans l’optique d’un positionnement sur la fonction résidentielle ? Pourquoi ne pas se servir des savoir-faire des stations en la matière pour en faire de véritables pôles de santé au sein de leur bassin de vie ? Des sociologues, réfléchissent à approfondir cette question en lien avec l’accueil de touristes ou curistes seniors (Sonnet et al., 2017 : 70).

26En ce qui concerne l’aménagement du territoire, force est de constater le dynamisme des lieux thermaux qui ont candidaté en nombre aux programmes Actions Cœur de ville (Dax, Digne, Lons, Rochefort et Vichy) et Petites Villes de Demain (les 2/3). Là encore, il serait intéressant de se pencher aux termes des six ans sur les opérations qu’ont choisies les édiles et leurs conséquences. La revitalisation des centres-villes va-t-elle accentuer l’attractivité dont bénéficient déjà certaines stations, dans un contexte de recherche de verdure, d’espaces et de prix modérés ? 70% des lieux thermaux de plus de 2 000 hab. bénéficient déjà d’un solde migratoire positif (Férérol, 2021). À l’opposé, quid des petites communes thermales dans lesquelles l’établissement thermal est le premier pourvoyeur d’emploi, notamment lors des crises ?

27Pour conclure, nous avons intitulé cet article « Plaidoyer pour l’étude du thermalisme et des stations thermales » afin d’insister sur les champs de recherche potentiels qui s’ouvrent aux chercheurs intéressés mais également pour s’alarmer du poids que prennent les cabinets privés au regard de la place secondaire qu’occupent quelquefois les universitaires par rapport aux professionnels. Deux éléments en témoignent. Premièrement, il est surprenant que le numéro spécial de la revue Espaces consacré au renouveau du thermalisme (n°349, 2019) comporte uniquement des contributions de professionnels, excepté l’article de P. Vicériat, président de l’AFEST (Association francophone des Experts et Scientifiques du Tourisme). Deuxièmement, un cabinet privé pilote un observatoire de l’Economie des stations thermales4. Nous regrettons que les chercheurs de l’enseignement supérieur ne puissent pas apporter leur expertise. Est-ce dû au fait que notre profession ait tourné le dos au thermalisme et aux stations thermales dans les années 1990-2000 comme nous l’avons rappelé précédemment ?

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Weisz, G. (2002). Le thermalisme en France au XXe siècle. Médecine/Sciences, 18 (1), 101-108.

Notes

1 Ce reproche à C. Jamot est exagéré car comme nous l’avons dit, les sources scientifiques étaient rares.

2 Une communication se repère : celle d’O. Bessy en 1992 dans laquelle il traite du thermalisme et de la thalassothérapie.

3 La RVE est le seul exemple français aux côtés d’exemples venant du Nouveau-Brunswick, des Etats-Unis, Norvège, Irlande, Australie, Espagne et Finlande.

4 Nomadéis est chargé en 2020 par la Banque des Territoires et la Fédération Thermale et Climatique de monter et diriger un Observatoire de l’Économie des Stations Thermales et il a été mandaté en octobre 2021 par l’ANEM (Association Nationale des Élus de la Montagne) pour mener une étude « visant à accompagner les stations thermales de montagne dans la définition d’un nouveau concept de destination touristique articulé autour de la notion de bien-être, et à développer une stratégie collective nationale de transition des communes vers cette nouvelle offre ».

Pour citer ce document

Marie-Eve Férérol, « Plaidoyer pour l’étude du thermalisme et des stations thermales » dans © Revue Marketing Territorial, 9 / été 2022

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=857.

Quelques mots à propos de :  Marie-Eve Férérol

Qualifiée maître de conférences en géographie-aménagement, elle est l’auteure d’une thèse sur les petites villes du Massif central et de l’ouest de la Meseta espagnole. Ses travaux actuels portent sur la durabilité et l’attractivité des lieux, qu’ils soient touristiques ou non.