Sommaire
0 / printemps 2018
le marketing territorial comme champ de recherche
Le numéro 0 de RMT regroupe un ensemble de textes commandés aux auteurs afin de circonscrire ce que recouvre le marketing territorial. Il n'y a pas d'évaluation en double-aveugle comme pour les autres numéros de la revue.
Les deux dernières rubriques sont entièrement rédigées par le rédacteur en chef sur ce numéro 0 car il s'agit de montrer les formats possibles pour les prochains numéros, ouverts à toute discipline et tout croisement disciplinaire.
- Éditorial
- Charles-Edouard Houllier-Guibert De nombreuses disciplines pour étudier le marketing territorial
- Articles
- Corinne Rochette et Charles-Edouard Houllier-Guibert Positionnement épistémologique et méthodologique du marketing des territoires comme champ de recherche
- Camille Chamard Le marketing territorial : un oxymore au service d’un défi scientifique et empirique
- Jean-Baptiste Le Corf Communication territoriale et technologies numériques : bilan provisoire et perspectives de recherche
- Bernard Pecqueur Un modèle productif de ressources territorialisées ?
- Synthèses
- Charles-Edouard Houllier-Guibert Proposition de cadrage définitionnel sur les marques Territoire françaises. Une question d’ambassadeurs
- Charles-Edouard Houllier-Guibert Compte-rendu d’ouvrage : Le temps de la métropole. Agile, créative, solidaire, durable. Parcours en Europe
Paul Vermeylen - 2014 - 290 pages - Charles-Edouard Houllier-Guibert Compte-rendu du symposium de Corfou 2018 sur le Destination branding – Place management.
- Image et Territoire
- Charles-Edouard Houllier-Guibert Le haut-lieu générique de Corfou
Le haut-lieu générique de Corfou
Charles-Edouard Houllier-Guibert
1De nombreuses destinations touristiques ont des emblèmes qui synthétisent la promesse du lieu. Ce peut être un monument, un fleuve ou une place qui est propre au territoire et pourrait servir à le « qualifier dans une description » comme l’écrit Raymond Ledrut (1977, p.79). La tour de Pise, le Grand Canyon ou la muraille de Chine sont des marqueurs connus dans le monde entier, qui justifient spécifiquement un voyage et offrent aux espaces alentours une activité touristique. Joël Bonnemaison évoque l’idée de géosymbole en tant que lieu, itinéraire, étendue qui, « pour des raisons religieuses, politiques ou culturelles prend aux yeux de certains peuples et groupes ethniques, une dimension symbolique qui les conforte dans leur identité (1981, p.251). Dans l’étude de cas qui s’ensuit, le marqueur territorial, identifié comme un haut-lieu générique, tient plutôt un rôle auprès des touristes qui ignorent tout de sa dimension symbolique, réduite à la beauté du panorama.
2Dans un premier temps, des éléments théoriques produits par des géographes permettent d’observer la sémantique encore aléatoire qui sert à évoquer la dimension symbolique de l’espace. Dans un deuxième temps, le cas de l’île de Corfou permet d’observer la construction d’un marqueur territorial et son rôle auprès des touristes.
1. Le cadre théorique autour des symboles des territoires
3Dean Mac Cannell envisage l’attraction touristique comme le point de rencontre entre le touriste, une vue et un marqueur (1989). Selon Antoine Bailly :
« un marqueur est à la fois un objet situé dans un espace, par exemple une montagne […] ou un village à caractère architectural, une forêt, et un signe symbolique connotant cet espace. La seule évocation du marqueur évoque des séries d’images véhiculées par les individus, même s’ils ne connaissent pas directement le marqueur […]. Le vecteur actif est l’homme ou le groupe culturel qui diffuse l’image du marqueur et lui donne une connotation positive. Le vecteur passif est représenté par la masse touristique qui vient voir un marqueur connu […] » (Bailly, 1991).
4Au fil des recherches des géographes sur cet objet, les marqueurs ont pu être identifiés comme des géosymboles (Bonnemaison, 1992), des icônes (Debarbieux, 2005) ou bien des totems (Le Bart, 2003). Michel Lussault parle d’emblème territorial en tant que « fraction d’un espace, en général un lieu ou un monument qui, par métonymie, représente et même signifie cet espace et les valeurs qui lui sont attribuées » (2003, p. 305).
5Bernard Debarbieux (1995) a développé l’idée de haut-lieu pour qualifier les lieux symboliques, en tant que constructions rhétoriques destinées à désigner par connotation le territoire et la collectivité sociale qui l’a érigé. Trois modalités permettent ce qu’il appelle la synecdoque territorialisante, c’est-à-dire une figure de rhétorique qui consiste à prendre la partie pour le tout ou bien le plus pour le moins. Il dissocie le Lieu attribut, le Lieu générique et le Lieu de condensation1.
6Le lieu attribut est l’un des plus notoires du territoire concerné. En guise d’acceptation commune dans la plupart des pays et des cultures, les monuments prennent souvent ce rôle de manière puissante, incarnant les symboles majeurs d’une métropole ou d’un pays. La signification est constante quel que soit le contexte dans lequel l’image est présentée. Dans le secteur touristique, ces lieux attributs qui font culture commune aboutissent à l’idée que plus vous voyagez, plus vous « devez » connaître les symboles nationaux ou métropolitains, le plus souvent des monuments, principalement des tours. Le secteur d’activité touristique utilise beaucoup ces emblèmes territoriaux afin d’incarner un pays ou divers lieux du monde à visiter. Les aéroports sont des espaces de forte fréquentation qui, dans le cadre du voyage, situent les nomades comme particulièrement réceptifs à ces objets et aux messages afférents. Ainsi, la publicité dans les aéroports repose fortement ses discours sur ces marqueurs.
Illustrations 1. La publicité dans les aéroports de Bangkok, Montréal et Istanbul
Crédits : Houllier-Guibert
7Par exemple, la compagnie aérienne Thai Airways a affiché les plus célèbres monuments des grandes villes du monde en fond des guichets d’embarquement de l’aéroport de Bangkok. A l’aéroport d’Istanbul, l’organisation du championnat du monde masculin de Basket Ball a été promu par une campagne publicitaire qui montre les haut-lieux urbains du pays à travers les monuments les plus célèbres alignés sur un ballon. A Montréal, c’est une entreprise privée de téléphonie qui cherche à incarner deux villes mondiales de manière immédiate grâce à leur totem urbain supposé être le plus connu.
Illustrations 2. Les vitrophanies de Roissy invitent à visiter les nombreux haut-lieux de France
Crédits : Houllier-Guibert
8Enfin, l’aéroport de Paris, connecté à la gare de Roissy, propose des vitrophanies qui montrent plusieurs lieux attributs de France. La signification des représentations de ce type de lieu est simple et sans ambiguïté selon Debarbieux, « l’usage abondant qui est fait de ces images stéréotypées fait que leur signification est connue de tous » (1995).
9La seconde catégorie, celle qui nous importe pour l’étude de cas, est celle du lieu générique. Par exemple, le territoire français peut être incarné par un petit village avec son clocher et son chêne, ou encore une mairie ou une école de village. Dans un premier temps, Debarbieux précise que : « à l'évidence, ce sont donc des attributs ; mais leur signification diffère sensiblement (…). Tout d’abord à la différence des tours de pierre ou de métal, penchées ou non, dont il était question, le lieu susceptible d’offrir cette image n’est pas unique. Au contraire, si la dualité des échelles signifiées existe, c’est précisément en vertu du caractère quasi ubiquiste de la forme à l’échelle du territoire. Son identité s’efface derrière la forme générique à laquelle il appartient (…). Convenons d’appeler cette forme un lieu générique » (1995).
10L’individu, dans sa fonction de touriste, s’inscrit dans l’altérité, ce qui lui fait observer le monde d’une manière telle qu’il cherche de nouvelles visions de ce monde. Le désir d’ailleurs incite les individus à voyager et ainsi découvrir de nouveaux lieux, de nouveaux espaces, de nouveaux territoires et alors se fabriquer les images afférentes qui constitueront son capital géographique. Antoine Delmas rappelle cette double production qui nous incombe pour l’étude de cas à suivre :
« ces représentations sociales émergent à la fois dans l’esprit des touristes eux-mêmes - via leur photographie, maintenant partagées sur les réseaux sociaux - et sont aussi encouragées par les décideurs qui créent parfois de toute pièce un territoire, un produit touristique. Face à une concurrence exacerbée entre les destinations, les collectivités territoriales et leurs partenaires se mobilisent pour créer une représentation idéale afin d’attirer les touristes. Les images (photographies, illustrations, vidéos, arts...) occupent une place de choix pour façonner, modeler la destination touristique. Dans les brochures, sur les sites internet, les spots publicitaires l’imagerie touristique est l’un des vecteurs principaux du succès d’une destination » (2012).
11Nous proposons dès lors, d’étudier un lieu générique tout à fait concerné par ce cadre théorique : l’invention d’un marqueur territorial au sein d’une île méditerranéenne.
2. Le marqueur publicitaire de Corfou
12Aller voir un marqueur connu, c’est manifester à la fois une curiosité et un désir d’échange à propos de la destination, lors de la restitution des vacances auprès de l’entourage. Une société qui a connaissance d’un marqueur éloigné attend que les membres qui s’y rendent le visitent ou au moins le voient pour pouvoir ensuite en parler. Il serait dommage d’être allé là-bas sans avoir vu le principal élément collectivement connu. Pour bon nombre de non-européen, aller à Paris, c’est visiter la Tour Eiffel. Parfois, plus qu’un lieu, c’est un parcours qui est l’expérience attendue ; ainsi se rendre à Las Vegas, c’est faire au moins le Strip avec le maximum d’hôtels à parcourir, ainsi que la Freemont Street Experience, ce qui ne permet pas de visiter l’« ombre des casinos » qu’est le reste de la ville (Nedelec, 2013).
13Ne pas visiter les lieux attendus peut être un choix volontaire ou parfois une situation involontaire. Ainsi, des touristes qui se déplacent à Niagara Falls dans le but premier de voir les célèbres chutes peuvent échouer à cause de la météo qui, parfois, rend brumeux le site en plus de la vapeur d’eau produite par le débit puissant de l’eau. En France, les récents aménagements autour du Mont Saint-Michel ont pour effet de cantonner une part des touristes loin du site, sur la vue panoramique située près du point d’arrivée de la nouvelle navette.
14L’île de Corfou, l’une des sept îles ioniennes de la Grèce, réputée pour son exotisme insulaire au regard du mode de vie continental, attire la population grecque pour un séjour de vacances. Un paysage tient le rôle de marqueur de l’île, que nous qualifions de lieu générique. Il s’agit de la vue panoramique de l’île de Vlachernes et de l’île de Pontikonissi. Bien que depuis plusieurs années ce paysage est la carte postale la plus vendue de l’île, la prise photographique de cet endroit bien précis est recherchée par les touristes. La carte postal ne suffit pas, il faut aller photographier personnellement ce panorama.
Illustration 3. La vue panoramique la plus médiatisée pour représenter Corfou
Crédit : Houllier-Guibert 2012
15La photographie est composée de deux îlots sur lesquels ont été construits les monastères de Vlachernes et de Pontikoníssi, encadrés par un paysage naturel. Au premier plan, l’île est reliée à la terre par un ponton, tandis que la seconde île, surnommée île de la souris à cause de sa petite taille, est accessible en barque. Son église du XIIIe siècle est peu visitée au regard du nombre de photographies produites à distance depuis le panorama. En arrière-plan, une colline boisée témoigne du caractère accidenté de Corfou qui apparaît luxuriante et peu urbanisée. La photographie exprime la promesse d’une destination à la fois paradisiaque (vaste espace maritime, insularité, faible urbanisation), paisible (eau placide, monastère) et authentique (religion, nature, petit port). Lussault considère qu’un emblème territorial doit être mis en avant, « via une imagerie suffisamment homogène et normée pour qu’elle soit comprise, appropriable par le plus grand nombre et diffusable, et mise en langages verbaux » (2003, p.305). Cette photographie répond à cette définition en faisant consensus sur la dimension authentique. La photographie est le rapport quasi-exclusif avec ces îles : la prise de vue se suffit à elle-même et le site est peu visité. En l’absence de médiations (ouvrages, guides locaux, panneaux ou expositions), la dimension historique ne constitue pas la découverte des touristes. Il n’existe pas de visite des îlots dont la teneur historique est faible. Il s’agit principalement d’un panorama considéré comme joli, comme le sont de nombreux panoramas d’espaces insulaires qui ne disposent pas d’épaisseur historique d’envergure. Ainsi, ce lieu apparaît comme générique au sens de Debarbieux, ne permettant pas de souligner une forme de différenciation territoriale. Au regard du littoral adriatique, ce paysage n’est pas particulièrement remarquable. D’autres aménités urbaines ou littorales auraient pu incarner l’image de l’île :
- Peuplée de 40 000 habitants, la ville de Corfou propose une architecture d’influence grecque, française et britannique dont la Spianada, l’ancienne forteresse vénitienne et l’église de Saint-Spyridon, forment les principales attractions de la ville. Ses fortifications qui datent de l’Antiquité offrent de quoi constituer de belles cartes postales. La résidence des gouverneurs britanniques est édifiée à proximité du Vieux-Fort, formant la zone de pouvoir local qui aurait pu être mise en avant comme emblème classique des destinations touristiques. Plus largement, dans la ville, les maisons blanchies à la chaux, les églises byzantines et le musée archéologique sont autant de bâtiments qui peuvent former la mosaïque de photographies de l’île à travers l’urbanisme de sa capitale. Des visites guidées recouvrent l’ensemble de ces sites historiques.
- De l’autre côté de l’île, la triple baie de Paléokastritsa est le premier lieu à avoir été mis en tourisme, grâce à son paysage remarquable. Les calanques sont dominées par un monastère qui jouit d’un point de vue notable. La tectonique faillée a façonné des falaises rocheuses qui plongent à pic dans la mer.
- Plus globalement, comme pour d’autres formes insulaires plus ou moins reconnaissables (en France : la Martinique, la Corse, la Réunion mais aussi l’île d’Yeu ou d’Oléron…) ; avec ses 58 km de long et 27 km au point le plus large, Corfou a une forme de faucille, récupérée sur le plan marketing pour être vendue sous forme d’objets, offrant une marchandisation du lieu assez diverse (pendentif, tee-shirt, dessous de plat…) basé sur sa silhouette.
- De nombreuses plages et criques encerclent Corfou dont la plage renommée de Glyfada ou le village de Sidari dont l’imaginaire repose sur la légende du Canal de l’Amour. Sur la côte ouest, le fort byzantin d’Angelokastro est accroché à un rocher de 160 m de haut, qui est entouré par la mer et n’est relié à la terre ferme que par un passage étroit, produisant une image singulière.
- La présence de l’Achilleion, ancienne résidence d’été de l’impératrice Elizabeth d’Autriche puis du Kaiser Guillaume II d’Allemagne, incarne l’architecture d’un palais néoclassique de style pompéien tout à fait illustre. C’est un site très visité qui ouvre au tourisme international par le vecteur des résidences princières.
Illustration 4. La première page en français de Google Chrome avec le mot clé « Corfou » (2018)
Ce que nous avons appelé les images premières du web (Houllier-Guibert, 2018) montre l’habituel vue des deux îles auprès du plan de Google map.
16Et pourtant, c’est cette prise de vue panoramique qui est le marqueur de Corfou. Certes, le lieu a l’avantage d’être proche des zones d’entrées de l’île (aéroport et port des paquebots), ce qui facilite les excursions lors des escales. Mais l’explication principale repose sur un phénomène particulier qu’est la médiatisation de masse. Selon Serge Gagnon :
« si l’on est attiré par un panorama, un paysage, il y a lieu de penser que le spectacle qui attire a été auparavant engendré par autre chose que les données naturelles et culturelles qu’il contient. Un paysage attire, par exemple, dans la mesure où quelque chose de plus, par rapport à ses contenus tangibles, a été investi. Ce quelque chose de plus, c’est une représentation symbolique, la plus généralement offerte par un ou des artistes » (2007).
17D’une part, la Grèce est une destination touristique ancienne, grâce à son climat, sa localisation géographique au cœur de la Mediterrannée et sa place dans la culture de la construction identitaire de l’Europe (Dritsas, 2006, p.29). Ainsi, la Grèce a été une étape du Grand Tour de l’aristocratie européenne, notamment lorsque les guerres napoléoniennes empêchaient d’accéder à certaines villes (Dritsas, 2002). D’autre part, dans le cas du marqueur corfiote, l’artiste a laissé la place à la publicité. Des campagnes publicitaires de la fin du XXe siècle ont soutenu la mise en tourisme de Corfou, à l’aide de cette photographie qui incarnait la promesse de la destination. Sa diffusion s’est effectuée en Grèce par les affiches des agences de voyage et la publicité télévisée. Sur le plan international, le support papier (essentiellement une production d’image sur catalogue et ponctuellement de l’affichage pour les pays limitrophes) n’est pas une diffusion aussi massive que le média télévisé. Pourtant, cette destination paysagère a été intégrée dans les programmations touristiques organisées : les croisiéristes et les caristes sont nombreux à proposer le passage sur le belvédère qui permet la prise de vue. Ainsi, des visiteurs étrangers se retrouvent sur un site, sans saisir le sens de leur présence. Pour eux, c’est le paysage sublime qui est donné à voir mais pas sa dimension historique ni culturelle via la publicité.
18Le belvédère, lieu des prises de vue, a été mis en tourisme de façon intensive avec quelques commerces encerclés par la nature : vendeurs de cartes postales, terrasses panoramiques de bars et de restaurants, répondent à l’accueil des nombreux cars qui peinent à se garer près du promontoire exigu. Un Starbucks Coffee, plus souvent implanté dans les concentrations urbaines, est ouvert, répondant aux standards internationaux du tourisme. La manière dont est aménagé le site laisse peu de place à l’espace public : seul un escalier permet un accès libre à la prise de photo, les autres points de vue sont situés sur les terrasses des débits de boissons ou de collations. Il faut donc payer pour prendre le temps de contempler.
Illustration 4. Le site touristifié de la vue panoramique
La recomposition du site grâce à une série de photographies permet d’observer la tentation d’une dépense sur un espace très privatisé afin de profiter pleinement du panorama.
Crédit : Houllier-Guibert, 2012
Conclusion
19Parmi les nombreuses possibilités de représentation emblématique de l’île, c’est une vue panoramique qui est proposée comme lieu générique, notamment aux croisiéristes étrangers qui ne visitent l’île que quelques heures. Grâce à son emplacement près des zones de transit et surtout son statut de marqueur, obtenu par la médiatisation massive des dernières décennies, ce panorama est l’emblème de l’île en tant que vecteur passif (Bailly, 1991). Finalement, ce marqueur fait partie de ces nombreux sites qui ont une notoriété nationale forte mais qui, sur le plan international, sont nettement moins connus. Pourtant, les touristes internationaux qui eux, n’ont aucun lien préexistant avec ce panorama, suivent les circuits prévus et photographient en abondance. Cette situation n’est pas rare dans les excursions touristiques, par exemple le panorama d’Étretat amène une situation similaire. Entre les sites phares que sont Paris et les plages du débarquement ou le Mont-Saint-Michel, certains itinéraires touristiques proposent un court arrêt pour admirer la falaise d’Étretat. Souvent utilisée comme une métonymie de la Normandie, là aussi c’est un site touristique assez méconnu des touristes internationaux qui est intégré dans l’itinéraire de leur voyage rythmé pour voir l’essentiel de la France en peu de temps.
20Retenons avec l’exemple corfiote que venir voir un marqueur territorial est signe d’une curiosité qui permet dans un second temps de partager avec le plus grand nombre une représentation commune sur la destination, dans la mesure où l’on fait pareil que les autres : avoir été sur le lieu où la masse se rend permet, lors du retour de voyage, de donner une réponse aux interlocuteurs qui écoutent le récit ; puis à un moment poseront la question : « C’est joli le Parc Güell ? » ; « Est-ce impressionnant Times Square ? », « il paraît qu’il est petit le Manneken Pis » ; « Si vous étiez dans le Gard, alors, vous avez vu le pont ! ». La réponse affirmative à ces questions tisse un lien avec l’autre lors du partage d’information sur les vacances. Une société qui a souvent entendu parler d’un marqueur éloigné attend que les congénères qui s’y rendent le visitent ou au moins le voient pour pouvoir ensuite en parler. La posture convenue est qu’il serait dommage d’être allé là-bas sans avoir vu le principal élément collectivement connu. C’est pourtant une situation qui arrive même sans le vouloir. Ainsi, des touristes qui se déplacent à Niagara Falls dans le but premier de voir les célèbres chutes peuvent échouer à cause de la météo qui parfois, rend brumeux le site en plus de la vapeur d’eau produite par le débit puissant de l’eau. En France, les récents aménagements autour du Mont Saint-Michel ont pour effet de cantonner une part des touristes éloigné du site en le contemplant depuis la vue panoramique près du point d’arrivée de la nouvelle navette alors qu’auparavant, le parking au pied du mont incitait la majeure partie des visiteurs à pratiquer le site. Plus largement, il serait intéressant d’identifier ces nombreux sites dans le monde qui ont une symbolique forte à l’échelle nationale, développée par les médias de masse locaux, sans pour autant bénéficier d’une notoriété internationale. Il semble que la frontière culturelle de la nation est un critère important pour catégoriser ce qui résulte de la connaissance nationale ou de la culture universelle.
Bailly A., 1981, « Percevoir l’espace – Vers une géographie de l’espace vécu », in Actes de la table ronde, université de Genève, Département de géographie
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Debarbieux B., 2005, « Attractivité et représentations ». Intervention lors du séminaire L’attractivité territoriale entre facteurs structurants et production d’images à Paris le 19 octobre 2005. Compte-rendu de l’Observatoire international de prospective régionale
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Delmas A., 2012, Les images comme mode d’appréhension des mondes touristiques, appel à communication, calenda.org
Dritsas M. 2002. “ Tourism in Greece: A way to what sort of development”. Actes du XIIIème Economics History Congress. International History Association, Buenos Aires, 22-26 juillet
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Gagnon S., 2007, « Attractivité touristique et « sens » géo-anthropologique des territoires », Téoros, 26-2
Houllier-Guibert C.E., 2018, « Les images premières des villes françaises sur le web : patrimoines historique et géographique comme socles identitaires de l’image de la ville », in Aquilina M., Maheo C. et Pugnière-Saavedra F. (dirs.), ouvrage La communication touristique : des mutations aux discours sur les représentations territoriales, Presse de l’université Laval
Houllier-Guibert C.E., 2013, « L’image de la ville de Détroit à travers le People Mover : ville perçue ou ville pratiquée ? », revue EchoGéo, en ligne
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Ledrut R., 1973, Les images de la ville, éd. Anthropos, 386 p.
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Nédélec P., 2013, Réflexions sur l’urbanité et la citadinité d’une aire urbaine américaine : (dé)construire Las Vegas. Thèse de Géographie, Université Lumière - Lyon II, 490 p.
1 Le lieu de condensation n’est pas traité ici, il est évoqué dans un autre texte (Houllier-Guibert, 2017, revue EchoGéo).
Charles-Edouard Houllier-Guibert, « Le haut-lieu générique de Corfou » dans © Revue Marketing Territorial, 0 / printemps 2018
Le numéro 0 de RMT regroupe un ensemble de textes commandés aux auteurs afin de circonscrire ce que recouvre le marketing territorial. Il n'y a pas d'évaluation en double-aveugle comme pour les autres numéros de la revue.
Les deux dernières rubriques sont entièrement rédigées par le rédacteur en chef sur ce numéro 0 car il s'agit de montrer les formats possibles pour les prochains numéros, ouverts à toute discipline et tout croisement disciplinaire.
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=219.
Quelques mots à propos de : Charles-Edouard Houllier-Guibert
Maître de conférences en Stratégie et Territoire à l’université de Rouen - Laboratoire NIMEC