Sommaire
Le numéro 0 de RMT regroupe un ensemble de textes commandés aux auteurs afin de circonscrire ce que recouvre le marketing territorial. Il n'y a pas d'évaluation en double-aveugle comme pour les autres numéros de la revue.
Les deux dernières rubriques sont entièrement rédigées par le rédacteur en chef sur ce numéro 0 car il s'agit de montrer les formats possibles pour les prochains numéros, ouverts à toute discipline et tout croisement disciplinaire.
1L’ouvrage ne propose pas une approche scientifique, aussi il est important, à la lecture, de tenir compte qu’il s’agit d’un texte fabriqué par un praticien, qui a l’avantage d’avoir plusieurs vies professionnelles et donc une richesse de prises de vue tout à fait intéressante, rendant la lecture fluide, le propos maîtrisé, avec une mission cachée qui est de convaincre le lectorat. Mais la démonstration scientifique n’est pas faite, bien que les nombreuses expériences rassemblées et très bien organisées (pas de redondance, vision large) donnent envie de croire à ce qui est écrit. Cette invitation est une philosophie de pensée intéressante pour un document hybride, à la fois plus approfondi que bien des livres de praticiens qui sont une succession d’études de cas ancrés sur peu de connaissances théoriques, et en même temps, il n’y a pas la volonté de proposer un nouveau paradigme de pensée mais bien de montrer de manière positive des pistes de développement du territoire. Paul Vermeylen est un consultant pour le développement urbain, un homme de terrain qui a parcouru de nombreuses villes en Europe au fil de sa carrière. Il essaie de restituer les actions métropolitaines vertueuses dans un ouvrage qui s’intéresse à des dizaines de villes d’Europe du Nord et de France. Il considère la métropolisation comme le phénomène qui forme l’enjeu stratégique au sein des jeux d’acteurs urbains et l’analyse systémique est le cadre de réflexion qui permet d’intégrer sa complexité. Le titre de l’ouvrage correspond à l’organisation en quatre chapitres qui reprennent chacun l’un des qualificatifs.
2S’il faut attendre la p.35 pour lire le terme « bonnes pratiques », ce sont bien des propos pour un objectif « gagnant-gagnant » qui sont recensés ici. C’est la faiblesse de cet écrit qui ne laisse aucune place à une dimension critique de l’action urbaine. On est loin du foisonnant ouvrage de P. Le Galès Le retour des villes européennes ou de celui d’E. Négrier La question métropolitaine qui sont basés sur des concepts solidement décrits. L’auteur ne tient pas compte du phénomène des idéologies territoriales, comme celui de la ville créative qui repose sur la notion de creativ class. Cette idéologie est progressivement remplacée par celle de la destination, qui vise, dans le cadre des mobilités grandissantes, l’apport de l’économie présentielle et du pan touristique de l’habitat polytopique et qui est tout aussi absente de l’ouvrage. Ces idéologies sont des situations opportunes pour des actions publiques qui se rapprochent des politiques néolibérales de plusieurs manières mais elles ne sont pas identifiées ici. L’absence de remise en cause de ce qui est observé s’explique d’une part par la posture professionnelle de l’auteur et d’autre part parce que les sources sont pour une trop grande part, outre son expérience, les sites web institutionnels des villes ou réseaux associatifs de villes, confrontés pour autant de manière intéressante aux chercheurs contemporains qui ont écrit des ouvrages vulgarisés. Rares sont les sources issues spécifiquement des revues universitaires, ce qui n’enlève rien à l’analyse globale et assez complète proposée, mais qui montre bien que la cible de cet écrit n’est pas les universitaires. Parce que l’auteur a côtoyé les élus, les directeurs de service et autres chargés de mission du développement urbain, son œuvre vise ce public souvent en attente de comparaison avec ce qui se fait ailleurs, dans les autres pays d’Europe. Cette approche benchmark marquée et aussi assumée en plusieurs endroits, n’est pas spécifiquement circonscrite aux métropoles européennes puisque d’inadéquats exemples sont utilisés comme les deux moyennes villes françaises Dreux et Guéret.
3Une part trop importante du texte sert à introduire les parties, à annoncer les exemples, à organiser le plan et ce, de manière récurrente, au détriment de l’approfondissement des multiples cas qui sont survolés. C’est la seconde faiblesse de cet ouvrage, mais qui ne va pas à l’encontre de son objectif qui est de saisir ce qu’est la « métropole exemplaire » à laquelle l’auteur croit de manière optimiste en tant que mode opératoire : toutes les villes citées sont bonifiées, exceptée Angers (pp.175-176). Présentés de manière ramassée, les exemples positifs invitent à mobiliser les forces locales en matière de coopération métropolitaine, de solidarité, d’implications citoyennes et de respect des ressources urbaines. Si l’ensemble des auteurs contemporains des études urbaines sont les références utilisées, surtout dans les deux premiers chapitres (plutôt dans le champ francophone : Davezies, Le Galès, Cattan, Halbert, Guilluy…) ainsi que d’autres auteurs plus généralistes (Godet, Rosanvallon, Harendt…), on peut regretter l’importance accordée à des sources comme la discussion avec Saskia Sassen lors d’un colloque ou bien les discours politiques de divers documents institutionnels à vocation communicationnelle. Bien que l’auteur semble trop peu se méfier de la performation puissante des discours politiques, l’ouvrage parvient à traduire de manière didactique plusieurs propos scientifiques très bien conjugués ici alors qu’ils sont plus difficiles à digérer dans leur forme originelle.
4Au fil des chapitres, sont appréhendés : l’agilité avec une approche multiscalaire pour laquelle on aurait aimé lire le cadrage de Martin Vanier ; la créativité basée sur ce que l’auteur appelle le « rizhome métropolitain » ; la solidarité, traitée via la proximité ; et la durabilité considérée à travers les systèmes territoriaux mais pour lesquels les exemples utilisés sont trop superficiels. Soulignons que le chapitre 3 peut difficilement poursuivre la vision optimiste de l’auteur, tant les inégalités et la ségrégation concernent de nombreuses métropoles. Considérant que les fonctions socles octroient un avantage métropolitain, l’idée défendue est que la concertation sociale doit se décliner à l’échelon métropolitain, ce que cinq cas de capitales européennes illustrent assez bien notamment car ils sont assez méconnus (Dublin, Sofia, Rome, Bucarest et Bruxelles) mais ils sont très courts (une page).
5Cette faiblesse de l’ouvrage perdure, avec une récurrence d’annonces tout au long de l’ouvrage (le prochain exemple… avec l’exemple à venir… quand nous parlerons de telle ville…) pour ne finalement découvrir que peu d’informations factuelles que l’on sait, pour l’essentiel, collecter sur les sites internet des villes en question (base majeure de la webographie de l’ouvrage). Ainsi, le chapitre 4, qui traite de thématiques intéressantes et bien ficelées autour de la ville durable, propose davantage une énumération d’exemples, voire même une liste, plutôt que l’étude pertinente de quelques cas. Organisé autour de l’agriculture en ville, la densification de l’immobilier, la transition énergétique et dans une moindre mesure la nature en ville et les mobilités douces, l’approche systémique y est de nouveau mobilisée avec l’étonnante absence d’auteur clé comme Thierry Paquot lorsque sont évoquées les tours dans la ville ou bien plus largement Cyria Emelianoff, spécialiste francophone de la ville durable. Mais surtout, cette partie semble inaboutie, peut-être parce que le terme durable est trop ambitieux, le chapitre aurait-il pu privilégier le qualificatif écologique ?
6En résumé, on peut féliciter l’auteur d’avoir relevé le défi de rassembler plusieurs cas urbains à l’échelon de l’Europe occidentale, offrant une culture des pratiques urbaines pour comprendre comment se positionnent les politiques publiques de Malmö-Copenhagen, Stuttgart, Eindhoven, Birmimgham, Glasgow-Edimbourg, Breda, Hambourg… et des villes françaises comme Nantes, Bordeaux, Lille ou Rennes. La nationalité belge de l’auteur lui offre une position centrale pour appréhender tous ces cas qui sont rarement mis en parallèle. Cette lecture est une opportunité pour tout étudiant francophone qui veut saisir les enjeux politiques des métropoles européennes, mais ce livre n’a que peu d’intérêt pour la communauté de chercheurs qui s’intéresse aux dynamiques métropolitaines. En effet, l’aboutissement est la notion de « métropole fertilisante », base de l’optimisme de l’ouvrage qui s’exprime sous une plume bienveillante en matière d’évolution des politiques métropolitaines, au détriment d’une vision alarmiste ou d’une quelconque dérive dénoncée, comme le font souvent plusieurs chercheurs dont c’est l’une des missions de service public. Aussi, nous confirmons que cet ouvrage de bonne facture est une bonne base pour les praticiens des métropoles et les étudiants futurs praticiens mais est insuffisant pour s’en référer en tant que démonstration scientifique, bien que plein de bonnes idées sont à piocher grâce à cet homme d’expérience qui apporte du bon sens sur les questions métropolitaines. Nous le recommandons pour une première approche qui invite ensuite à prolonger avec les écrits des chercheurs qui s’inscrivent dans une vision critique.
Charles-Edouard Houllier-Guibert, « Compte-rendu d’ouvrage : Le temps de la métropole. Agile, créative, solidaire, durable. Parcours en Europe » dans © Revue Marketing Territorial, 0 / printemps 2018
Le numéro 0 de RMT regroupe un ensemble de textes commandés aux auteurs afin de circonscrire ce que recouvre le marketing territorial. Il n'y a pas d'évaluation en double-aveugle comme pour les autres numéros de la revue.
Les deux dernières rubriques sont entièrement rédigées par le rédacteur en chef sur ce numéro 0 car il s'agit de montrer les formats possibles pour les prochains numéros, ouverts à toute discipline et tout croisement disciplinaire.
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=117.
Maître de conférences à l’université de Rouen en stratégie et territoire
Charles-Edouard Houllier-Guibert travaille sur la fabrication de l'image des territoires à l'échelle internationale, au fil des idéologies territoriales (durabilité, créativité, destination...). Il s'intéresse à la performation des discours, aux vecteurs de diffusion de l'image (événementiel, aménagement urbain, campagne de promotion et marquage des territoires), tant pour les villes que les régions ou les nations. En plus des effets d'image et de notoriété attendus par ces dispositifs, l'un des enjeux du marketing des territoires concerne la gouvernance d'ordre stratégique au sein des collectivités locales ou des agences de développement, ce qui inscrit son travail dans le management public.