0 / printemps 2018
le marketing territorial comme champ de recherche

Le numéro 0 de RMT regroupe un ensemble de textes commandés aux auteurs afin de circonscrire ce que recouvre le marketing territorial. Il n'y a pas d'évaluation en double-aveugle comme pour les autres numéros de la revue.

Les deux dernières rubriques sont entièrement rédigées par le rédacteur en chef sur ce numéro 0 car il s'agit de montrer les formats possibles pour les prochains numéros, ouverts à toute discipline et tout croisement disciplinaire.

Le marketing territorial : un oxymore au service d’un défi scientifique et empirique

Camille Chamard


Résumés


Cet article montre l’évolution qui a amené les organisations publiques à passer des principes du New Public Management (NPM) au marketing public, discipline dans laquelle le marketing territorial peut être inséré. Ensuite, les spécificités du marketing territorial sont présentées, permettant ainsi de saisir que tant dans les recherches académiques que dans sa mise en œuvre opérationnelle, ce domaine reste atypique et constitue véritablement un champ d’investigation prometteur en Sciences de gestion.

This article shows the evolution that has led public organizations to move from the principles of the New public Management (NPM) to public marketing, a discipline in which territorial marketing can be inserted. Secondly, the specificities of territorial marketing are presented, thus allowing to grasp that both in academic research and in its operational implementation. The topic of place marketing truly constitutes a promising field of investigation in management science.

Texte intégral

1Bien que très largement utilisés, les termes de « marketing territorial » ont-ils vraiment un sens aujourd’hui ? Associer « marketing » et « territoire » peut-il trouver une justification, un fondement théorique et scientifique, au-delà de certaines pratiques, aussi sophistiquées soient-elles ? Leur association puise-t-elle sa « force de frappe » dans l’oxymore qu’elle constitue ? Cet assemblage poursuit-il sa phase de reconnaissance et de légitimation qui feront de lui une référence en matière de développement territorial ou bien est-il voué à une existence éphémère ?

2Afin de comprendre comment le marketing territorial, tel que nous le connaissons aujourd’hui, s’est construit, nous reviendrons dans un premier temps sur l’intégration, discutée, du marketing dans la sphère publique pour présenter ensuite la démarche qui vise à développer l’attractivité et l’hospitalité des territoires. Nous terminerons par une discussion relative aux enjeux majeurs, tant par les chercheurs que par les praticiens, que représentent la mise en œuvre de démarches de marketing territorial toujours plus ambitieuses.

De l’émergence du marketing public à l’identification du marketing territorial

3Bien que très répandues aujourd’hui, les démarches de marketing public puis de marketing territorial ont connu une émergence à la fois lente et parfois contestée, notamment en France. Néanmoins, l’apparition des termes tels que « marketing de territoire », « attractivité », « concurrence territoriale » au sein des collectivités territoriales, et désormais au plus haut sommet de l’Etat (sommet « Choose France » tenu à Versailles en janvier 2018), témoigne d’un véritable changement de paradigme au sein de la sphère publique. Nous revenons dans un premier temps sur la transformation occasionnée par l’intégration des principes du New Public Management au sein des pratiques des décideurs publics. Ensuite, nous présentons ce que recouvre aujourd’hui les démarches de marketing territorial, dotées de spécificités et d’enjeux majeurs pour les collectivités qui s’en saisissent.

La nouvelle donne du New Public Management

4Le marketing public émerge dans un contexte où les principes mêmes des organisations publiques sont repensés. Le New Public Management peut être perçu comme une réponse au nouveau contexte social d’après Seconde Guerre Mondiale qui s’est poursuivi pendant la période de forte croissance économique des Trente glorieuses. Outre ces transformations économiques et sociales, l’essor du New Public Management semble également lié à quatre autres caractéristiques de l’évolution administrative du secteur public à partir de la fin des années 1970 (Hood, 1991; Osborne et Gaebler, 1992). La première volonté affichée a été de diminuer les dépenses publiques et notamment de personnel dans le secteur public. Cela s’est accompagné d’un mouvement de privatisation ou de quasi privatisation de certaines activités considérées comme subsidiaires (ménage, entretien du patrimoine immobilier, communication, notamment). Le secteur public a également développé l’automatisation dans la production et la distribution de services publics, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Une quatrième volonté a consisté à élargir l’horizon du secteur public en favorisant une ouverture internationale basée sur la coopération intergouvernementale et l’identification de problèmes communs de management public. Nathan (1995), quant à lui, retient huit orientations majeures de la « réinvention du Gouvernement » proposée par Osborne et Gaebler (1992) : la réforme du service public, la privatisation, la performance budgétaire, la décentralisation gouvernementale, le développement de démarches de management par la qualité totale, l’accroissement de la concurrence et de la dérèglementation, la promotion d’un leadership entrepreneurial orienté sur des missions et le renforcement du pouvoir des citoyens. Ces huit orientations ne seraient pas toutes intégrées car certaines présenteraient des conflits en cas de mise en œuvre simultanée (Nathan, 1995).

5Il est difficile de parler d’une unité de la doctrine du New Public Management. En effet, deux courants d’idées distincts en sont à l’origine (Hood, 1991). Le premier provient de l’économie néo-institutionnelle qui s’est développée avec la théorie des choix publics, des coûts de transaction et du principal agent. Ce mouvement a permis de créer un ensemble de doctrines relatives à une réforme administrative basée sur les principes de contestabilité et de choix pour l’utilisateur, ainsi que de transparence pour les autorités politico-administratives.

6Le second courant a favorisé la mise en place d’un management dans le secteur public qui s’inspirait fortement de celui du secteur privé. C’est le courant du management scientifique, prônant une utilisation la plus rationnelle possible des moyens de production, qui a été à l’origine de ces vagues successives. La mise à disposition d’un pouvoir discrétionnaire, d’une véritable capacité à décider pour les managers publics y est perçue comme indispensable à l’amélioration de la performance organisationnelle. Cela passe également par le développement d’une culture de management appropriée, des méthodes de mesure des résultats et des ajustements organisationnels.

7Ainsi, à partir du milieu des années 1980, les sciences de gestion intègrent, à la suite du droit, de l’économie, de la science politique et de la sociologie des organisations, le champ du management public (Bartoli, 2009). Parmi les fonctions de gestion habituellement présentes dans une organisation privée, celle qui a vraisemblablement le plus de difficultés à se doter d’une légitimité dans la sphère publique est indéniablement le marketing.

Le marketing public : « aboutissement » ultime du New Public Management

8Les principes du NPM conduisent les acteurs à mobiliser les concepts et les pratiques du marketing dans leurs organisations publiques. Au cours des 30 dernières années, nous sommes les témoins de cet intérêt grandissant pour l’intégration de la démarche marketing, complète ou partielle, ainsi qu’à un accroissement des recherches académiques portant sur le marketing public au sens large. Les évolutions majeures, insufflées par l’intégration des principes du NPM, concernent la prise en compte de l’usager dans les décisions de la collectivité et dans ses évaluations, ainsi que l’acceptation d’une logique de marché concurrentiel qui s’applique également à la sphère publique. L’un des objectif affiché du NPM était de « mettre les clients dans le siège du conducteur » afin de « satisfaire les besoins du client et non de la bureaucratie » (Osborne et Gaebler, 1992). Les organisations concernées ont commencé à mettre en place des instruments marketing afin d’affronter ce nouveau cadre concurrentiel dans les activités de plus en plus différenciées (Pasquier 2006). Cette tendance s’est fortement développée à travers l’expérience britannique qui visait à transformer l’environnement du secteur public afin de le rendre plus compétitif1. L’objectif était notamment d’insuffler un esprit entrepreneurial qui nécessiterait le recours à des stratégies marketing jusqu’alors peu développées dans ces types de services (Day, Reynolds, et Lancaster, 1998).

9A l’intérieur de ce champ de recherche que constitue le marketing public s’intègrent de nombreuses déclinaisons du marketing en fonction de la sphère publique concernée et de l’activité étudiée.

10La fonction publique d’Etat s’est principalement saisie des outils marketing pour organiser son action en distinguant notamment les attentes des usagers, des actions à mettre en œuvre : définition des services, communication, gestion de la relation usager. En France, la mise en place en 2003, de la charte Marianne par imitation de la « Charter Mark » britannique, témoigne de cette préoccupation. Sur la base de 5 engagements affichés2, les services de l’Etat fixent des objectifs opérationnels à atteindre au sein des cellules en contact avec les usagers. Cette charte devient un référentiel accompagné en 2016, d’un « baromètre de la qualité de services publics ». Ces dispositifs mettent en lumière une véritable mobilisation autour de la fonction marketing des services publics (Meyronin et Valla, 2006).

11Les entreprises publiques quant à elles ont intégré la fonction marketing et ses préoccupations au fur et à mesure que la concurrence se faisait sentir. En effet, les situations de perte de monopole ou de privatisation progressive ont conduit ces organisations à modifier fondamentalement leur vision du marché et leur structuration interne. Les cas de France Télécom, d’EDF ou de la SNCF sont éloquents à ce sujet.

12La fonction publique hospitalière s’est dotée d’une démarche davantage ouverte vers le patient et ses attentes, transcrite dans une charte du patient par exemple, et tenant compte de la mise en concurrence réelle sur un territoire donné. A cet égard, les outils d’information disponibles sur le site internet de l’agence régionale de santé permettent de dresser une carte nationale de l’offre de soins et de l’activité hospitalière. Il est ainsi possible d’identifier les concurrents actuels et potentiels sur un territoire donné en fonction des pathologies traitées.

13Enfin, la fonction publique territoriale a subi des mutations profondes dans ses missions et s’est donc réorganisée. Depuis la loi de décentralisation du 2 mars 1982, renforcée par celle du 13 août 2004, les Régions n’ont cessé d’accroître leurs missions et se trouvent désormais en charge de la gestion interne d’un territoire (marketing interne) mais également en position concurrentielle, au plan national comme au plan international, vis-à-vis d’autres régions sur ses missions économiques ou toutes celles qui ont trait à l’attractivité du territoire (marketing externe). La loi du 7 août 2015, portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République, redéfinit les compétences de chaque collectivité territoriale. Cette loi fait suite à celle de janvier 2014, redéfinissant le statut des métropoles, et précède celle de 2016, actant le nouveau découpage des régions métropolitaines françaises. Ainsi, l’ensemble des échelons territoriaux ont été affectés, jusqu’aux communautés, de communes ou d’agglomérations, qui ont en charge la gestion locale. L’application des outils du marketing s’est donc progressivement développée au sein des collectivités territoriales qui voient leurs périmètres d’actions, tant géographique qu’en matière de prérogatives, fréquemment redéfinis.

14Ces transformations externes et internes ont renforcé la nécessité de réformer le secteur public afin de favoriser le passage d’une ancienne à une nouvelle administration publique (Dunleavy et Hood, 1994). Certains reconnaissent la difficulté à mettre en œuvre le marketing dans un secteur public où la présence d’un acteur multi-facettes rend la relation organisation-acteur plus complexe. En effet, un citoyen peut exprimer des attentes très diverses, voire antinomiques, vis-à-vis de la collectivité locale. Les approches de citoyens clients s’orientent alors vers la prise en compte de citoyens partenaires plus impliqués dans une co-production publique (Vigoda, 2002). Parallèlement à ces transformations institutionnelles et à la modernisation des modes de gestion mobilisés, les territoires se sont interrogés sur leur attractivité, leur hospitalité, allant jusqu’à bâtir des stratégies de compétitivité territoriale.

15Leur plus grande autonomie de gestion place les collectivités territoriales face à de nouveaux défis : développer l’attractivité (marketing externe) et l’hospitalité (marketing interne) du territoire dont elles ont la charge. Le marketing territorial se présente alors comme une démarche permettant à une collectivité territoriale, mais aussi à un Etat, de devenir acteur de sa stratégie d’attractivité et d’hospitalité.

Le marketing territorial : un domaine de recherche et une démarche à circonscrire

16Le marketing territorial, en tant que domaine de recherche, est atypique parce qu’il ne semble pas aujourd’hui délimité, défini, identifié. En effet, au-delà de certains travaux qui portent sur des applications liées à des marques territoriales, ou bien à des cas particuliers, peu de connaissances fondamentales s’inscrivent dans le champ de la recherche en marketing territorial. Quant à sa mise en œuvre au sein des collectivités territoriales, elle se caractérise par un spectre très large de compétences à mobiliser : urbanisme, économie, aménagement du territoire, sociologie, démographie... Nous proposons donc de dresser un état des travaux scientifiques portant sur le marketing territorial afin d’en extraire une synthèse annonciatrice de travaux futurs. Puis, nous présentons une méthodologie de mise en œuvre de la démarche de marketing territorial, avec comme objectif de cerner l’étendue des missions que nous pouvons placer sous le vocable de marketing territorial.

La recherche académique en marketing territorial en quête de sens

17Si la marque créée pour la ville de New York dans les années 1970 fait figure de pionnière, la recherche académique en marketing territorial commence seulement à se structurer depuis les trois dernières décennies. En 2013, Giovanardi et al. parlaient de « cacophonie » pour qualifier l’impression couramment ressentie par les chercheurs en matière de marketing territorial.

18Plusieurs revues de littérature (Gertner 2011 ; Lucarelli et Berg 2011 ; Lucarelli et Brorström 2013 ; Chan et Marafa 2013 ; Andersson 2014, Chamard et al. 2014 ; Oguztimur et Akturan 2015 ; Acharya et Rahman 2016) ont été réalisées, aboutissant au constat d’une véritable confusion conceptuelle au sein du domaine scientifique que constitue le marketing territorial. En 2016, Vuignier poursuit cette même quête par une revue systématique des 1172 articles en anglais portant sur le sujet. Sa contribution remarquable par son exhaustivité met également en lumière les nécessités de clarifier conceptuellement ce qu’est le marketing territorial, tant d’un point de vue scientifique qu’empirique. Les principaux thèmes étudiés par les chercheurs en marketing territorial s’articulent autour de l’image des territoires, l’identité, les effets de la marque territoriale, le rôle des parties prenantes, les réseaux sociaux et les événements (Vuignier 2016). Ce qui fait défaut au cœur de la démarche de marketing territorial est bien une assise conceptuelle telle qu’il en existe habituellement dans les recherches en marketing.

19Ces états de l’art semblent bien être caractérisés par l’extrême diversité des approches, des terrains d’études, allant jusqu’à donner l’impression d’un assemblage de cas particuliers, voire « d’anecdotes » et réclamant la mise en évidence d’une théorie intégrée (Vuignier 2016). Les méthodologies qualitatives utilisées, le plus souvent des études de cas, ne permettent pas d’accéder à une validité externe des résultats obtenus. Une succession de cas cliniques menés sur des territoires d’échelles variées (quartier, ville, département, région, pays…) accroît la perception du manque d’un cadre conceptuel, mais également celle d’une confusion sémantique, les réalités décrites étant tellement diverses.

20Dans la littérature anglo-saxonne, malgré des distinctions classiques entre branding et marketing, les vocables « place marketing » (Gertner 2011a ; 2011b) et « place branding » (Skinner 2008) sont désormais utilisés pour faire référence à la démarche de marketing territorial. Néanmoins, comme le rapporte Vuignier (2016) dans son travail de synthèse, les termes « place branding » ont supplanté progressivement ceux de « place marketing » dans les titres des articles académiques consacrés au domaine entre 2005 et 2015. S’agit-il d’une simple modification sémantique ou bien alors d’un changement profond de l’objet d’étude, passant du marketing au seul branding ? Vraisemblablement, un peu les deux à la fois. Sur le plan sémantique, la notion de branding est devenue plus employée parce qu’elle recouvre, au sens anglo-saxon du terme, une conception plus large que la seule stratégie de marque. De plus, au regard de l’objet scientifique même, bon nombre de travaux se sont focalisés sur des enjeux liés au branding (Braun 2008 ; Kavaratzis et Asworth 2005) plus que sur ceux liés au marketing. « Le branding territorial fait référence au développement de marques pour des territoires, tels que des régions, des villes ou autres collectivités, dans l’optique de provoquer des associations positives et distinctives par rapport aux autres territoires » (Eshuis et Klijn 2012)3. Dans ce prolongement, « Les marques territoriales sont des constructions symboliques visant à ajouter du sens et de la valeur aux territoires. Les marques constituent des signes qui identifient les territoires et suscitent des associations dotées d’une portée culturelle. » (Braun 2008, p.43).

21Il est à noter que dans cette volonté de clarification scientifique, la notion de territoire est absente des débats sémantiques. Il semblerait plutôt que la définition du territoire ne fasse pas consensus parmi les chercheurs, qu’elle soit très teintée culturellement alors même que ce concept constitue un réel apport à la compréhension de ce qu’est le marketing territorial.

22En effet, depuis les premiers écrits anglo-saxons en marketing territorial (Kotler et al. 1993), le paradigme dominant a été celui du marketing traditionnel, intégrant le territoire comme un objet d’application parmi d’autres. Dans cette optique, la mission du marketing territorial consiste à adapter les outils de marketing de grande consommation à un univers particulier, celui des « villes, des Etats ou des Nations » (Kotler et al. 1993). Cette traduction du marketing territorial semble réductrice au regard de la complexité de ce terrain d’application du marketing qu’est le territoire.

23L’origine étymologique du mot, « terre » (terra qui a donné territorium), confère une réalité physique à ce que nous appelons « territoire ». Au-delà de cette signification élémentaire, le territoire est défini par trois dimensions complémentaires (Laganier, Villalba et Zuindeau 2002) : matérielle (propriétés naturelles, réseaux urbains), organisationnelle (acteurs sociaux et institutionnels), et identitaire (nom, patrimoine, histoire, représentations collectives). Ainsi, la notion de territoire est polysémique et multidimensionnelle.

24Il apparaît également que le territoire est un objet en mouvement perpétuel, façonné par ses utilisateurs et bénéficiaires. « Le territoire est une œuvre humaine. Il est un espace approprié […] : propre à soi et propre à quelque chose » affirmait Brunet (1991). Pour Di Méo (1996), le territoire est « une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale, donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire ».

25Dans une lecture dynamique et historique de la conception du territoire, Pourtier (2005) met en relation les groupes humains et l’espace pour décliner l’évolution qui accompagne la prise en compte du territoire. Cette conception paraît tout à fait pertinente au regard des territoires communautaires qui sont créés au-delà des territoires physiques et naturels traditionnellement considérés. Le territoire entre en interaction avec une multitude de partenaires, de territoires voisins ou lointains, afin de s’enrichir et de s’insérer dans un éco-système qu’il juge profitable à son propre développement. Ainsi, Zardet et Noguera (2013) considèrent qu’ « en gestion, la notion de territoire est un périmètre de vie, de production ou de consommation, représentant une certaine cohésion géographique, sociale, économique et culturelle. C’est un espace vécu par des acteurs individuels et collectifs, publics, privés et associatifs caractérisés par des statuts multiples et avec des enjeux variés et des rationalités différentes. Ces acteurs locaux […] envisagent de développer des coopérations multipartenaires et de créer des synergies visant à mettre en œuvre des projets de développement du territoire ».

26Dans le paradigme dominant en France, le territoire est perçu comme un bien commun co-construit par différents acteurs et usagers du lieu. Le territoire est alors défini comme un système complexe (Moine, 2006), associant un sous-système de représentations mentales, un sous-système d’acteurs et un sous-système spatial. Le territoire constitue donc à la fois l’objet et le sujet du développement.

27A la croisée d’une conception anglo-saxone du marketing-branding et d’un paradigme du territoire à la française, le marketing territorial doit tenir compte de cette transversalité d’approches pour être analysé, structuré, défini, pratiqué. Le marketing territorial constitue donc un processus itératif et piloté de transformation accélérée du territoire visant à accroître l’attractivité (marketing externe) et l’hospitalité (marketing interne) de ce dernier en vue de poursuivre un développement territorial harmonieux aux yeux de l’ensemble des parties prenantes.

Le marketing territorial : un processus accéléré de transformation territoriale

28Le territoire, quelle que soit sa localisation sur le globe, évolue sans cesse. Il connaît des transformations naturelles et physiques comme des évolutions provoquées par les pouvoirs publics ou la main de l’Homme. Cette mutation se produit, avec ou sans marketing territorial. Pourquoi donc s’intéresser à cette pratique si son intérêt n’est pas démontré ? Pourquoi prôner son utilité alors que certains territoires, pourtant développés, l’ignorent ?

29Le marketing territorial rassemble plusieurs caractéristiques qui font de lui un processus de transformation d’une part, complexe d’autre part. Ce processus comporte de nombreuses spécificités liées à la diversité des acteurs en présence, à la nature non marchande de certains échanges, à la complexité de ce que constitue un territoire ou encore à la nécessaire mais délicate implication de la population dans la démarche menée. Par conséquent, la démarche de marketing territorial exige de prendre en compte ces éléments pour se structurer.

30Plusieurs auteurs se sont intéressés à l’élaboration d’une méthodologie de la démarche de marketing territorial. Ainsi, Houllier-Guibert (2012) propose une progression en 3 étapes : phase analytique, puis stratégique et enfin opérationnelle. Rochette (2012) et Pecqueur (2005) se focalisent quant à eux sur la notion de ressources en vue d’analyser la trajectoire des territoires étudiés sous l’angle de la variation du volume de ces ressources, de leur nature et de leur organisation.

31Considérant la démarche de marketing territorial comme un processus itératif et piloté, 5 étapes, regroupées en 2 phases, sont nécessaires. La première phase, dite amont, se compose de toutes les étapes qui précèdent la mise en œuvre à proprement parler du marketing territorial. Dans notre contexte, elle se révèle particulièrement longue et parfois fastidieuse mais elle revêt un rôle essentiel dans la démarche globale puisque toutes les décisions fondamentales, parfois irréversibles, seront prises au cours de cette phase.

32Plus précisément, trois étapes se succèdent : dresser un état de l’existant, faire émerger un projet partagé et élaborer une stratégie territoriale dotée d’un pilotage. A ce stade seront décrites de manière formelle, les orientations de la stratégie territoriale à mettre en œuvre dans la phase aval. Cette phase amont est donc le temps de la réflexion, la discussion, la mobilisation, la décision et la formulation.

33La deuxième phase, dite aval, conduit à piloter la mise en œuvre du projet de marketing. Elle consiste à décliner l’offre et à évaluer la transformation engendrée. L’offre territoriale regroupe tout ce que le territoire et ses acteurs proposent en matière de biens et de services aux publics bénéficiaires. La vocation de la démarche entreprise étant d’accroître l’attractivité et l’hospitalité du territoire, il est nécessaire de procéder régulièrement à l’évaluation d’un tel projet. Mise en œuvre, action, adhésion, évaluation apparaissent comme les maîtres mots de cette phase aval.

34Le territoire n’est donc pas un espace figé, objet d’une campagne marketing éphémère, mais un système social dynamique qui, en tant que sujet, conditionne toute tentative de marketing territorial. Par ailleurs, la réussite d’une démarche ne se trouve pas dans la campagne marketing menée mais dans la nature et l’ampleur de la transformation territoriale occasionnée.

Perspectives prometteuses pour un marketing territorial scientifique

35Le marketing territorial apparaît comme un domaine de recherche prometteur en sciences de gestion tout comme une pratique vouée au succès au sein des acteurs territoriaux. Scientifiquement, ce champ de recherche doit parvenir à se structurer pour mettre en évidence ses singularités. Certes, il s’agit d’une spécialité au sein des sciences de gestion et plus précisément du marketing, mais il est primordial de considérer qu’intrinsèquement le marketing territorial est pluridisciplinaire et transverse. De nombreux champs de l’économie, de la géographie, de la sociologie, de l’urbanisme, du droit seront mobilisés pour cerner en profondeur les enjeux et les perspectives de cette sphère récente qui ne peut se limiter à une application au territoire des concepts du marketing. S’il est vrai que pour certaines applications la transposition du marketing moderne au marketing territorial est possible, cela ne pourra constituer les avancées majeures du marketing territorial de demain. Par conséquent, le premier défi pour les recherches académiques qui porteront sur l’attractivité et l’hospitalité des territoires se situe dans la compréhension des leviers de transformation d’un territoire. Il s’agit donc d’élaborer des clefs de lecture nouvelles permettant de cerner ce qu’est un territoire aujourd’hui, doté tout autant d’une matérialité que d’une virtualité, dans le but d’agir sur le processus de mutation territoriale.

36La deuxième perspective concerne particulièrement la méthodologie de management de projet territorial. En effet, au-delà des particularités de chaque territoire, une interrogation permanente demeure : quel management de projet faut-il adopter pour une démarche aussi ambitieuse que celle de transformer le territoire4 ? S’il n’existe pas de « recette miracle », il semble nécessaire de capitaliser sur les nombreuses expériences entreprises dans le monde pour en faire émerger des invariants qui conduiront les chercheurs à assoir une véritable méthode de management de projet territorial, au service des praticiens.

37Le troisième enjeu porte sur la mesure des impacts d’une démarche de marketing territorial. Comment travailler sur un processus de transformation territorial sans en mesurer les effets ? En reprenant notre première perspective, adopter une vision large et pluridisciplinaire des impacts nous semble incontournable. Certains indicateurs économiques peuvent être suivis de manière longitudinale et font d’ores et déjà figure de mesure robustes : taux de chômage, nombre de nouveaux établissements sur le territoire, nombre d’embauches sur une période... Mais, l’analyse de la transformation territoriale se situe bien au-delà. Le Cube d’Evaluation et d’Analyse de la Transformation Territoriale (CEATT) proposé récemment (Chamard et Sclenker 2017) tente de synthétiser quatre volets de la transformation territoriale : le territoire lui-même, les représentations, les infrastructures et les pratiques. A l’aide de quatre approches de l’évaluation : les indicateurs clés de la performance, la veille concurrentielle, l’opinion à l’égard du territoire et le suivi en temps réel, la transformation territoriale peut être identifiée et mesurée. Au-delà de la pertinence de l’outil, la nécessité de la mesure de l’impact devrait désormais être intégrée à toute démarche de marketing territorial.

38L’ensemble des acteurs et des collectivités locales partagent un défi majeur dans la construction et l’analyse des démarches de marketing territorial : leur mode de collaboration et de gouvernance. L’élaboration d’une démarche conjointe entre les acteurs privés et publics au sein d’un territoire constitue la clef de voûte de la réussite d’un projet de transformation territoriale. Si l’impulsion initiale revient fréquemment à une collectivité territoriale, la cogestion dans le management du projet de marketing territorial devient aujourd’hui une nécessité et une réalité. Les perspectives de travaux d’analyse portant sur les modalités de collaboration et de gouvernance entre acteurs privés-publics sont nombreuses.

Conclusion

39Le marketing territorial existe depuis moins de cinquante mais il intrigue et séduit plus que jamais les praticiens tout autour du globe. Les chercheurs en marketing, notamment en France, ont certes intégré cette terminologie dans leur classification par mot clefs mais sans pour autant considérer véritablement qu’il y avait matière à structurer un champ de recherche spécifique. Au regard des enjeux et des perspectives identifiés, l’évolution est palpable. Le nombre croissant de thèses et d’articles académiques portant sur le marketing territorial témoigne d’une véritable émergence de ce domaine scientifique. L’attente de la part des praticiens est immense et se manifeste par une volonté d’être accompagnés dans leur démarche afin d’accéder à des méthodes, des analyses et des outils qui leur permettent d’accroître la probabilité de succès dans leur processus de transformation territoriale. La mission de la recherche académique est donc double : rendre intelligible les mécanismes d’action de l’attractivité et de l’hospitalité des territoires et être force de proposition pour optimiser les démarches de marketing territorial menées conjointement par les acteurs publics et privés en charge du développement territorial.

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Notes

1 Le Royaume-Uni a développé des approches de « Compulsory Competitive Tendering », notamment à partir du début des années 1980 où elles ont été étendues aux autorités locales. Elles visent à introduire, de manière parfois statutaire, des logiques concurrentielles de marché dans les modes de fonctionnement des services publics : contractualisation externe, privatisation.

2 Un accès plus facile aux services, un accueil attentif et courtois, une réponse compréhensible aux demandes et dans un délai annoncé, une réponse systématique aux réclamations, une écoute des usagers pour progresser.

3 Traduction proposée par les auteurs « Place branding refers to the development of brands for geographical locations, such as regions, cities or communities, usually with the aim of triggering positive associations and distinguishing the place from others. »

4 « Donner une forme nouvelle » au sens étymologique du terme

Pour citer ce document

Camille Chamard, « Le marketing territorial : un oxymore au service d’un défi scientifique et empirique » dans © Revue Marketing Territorial, 0 / printemps 2018

Le numéro 0 de RMT regroupe un ensemble de textes commandés aux auteurs afin de circonscrire ce que recouvre le marketing territorial. Il n'y a pas d'évaluation en double-aveugle comme pour les autres numéros de la revue.

Les deux dernières rubriques sont entièrement rédigées par le rédacteur en chef sur ce numéro 0 car il s'agit de montrer les formats possibles pour les prochains numéros, ouverts à toute discipline et tout croisement disciplinaire.

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=181.

Quelques mots à propos de :  Camille Chamard

Docteur en Sciences de gestion de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Maître de conférences au sein du Centre de Recherche et d’Etudes en Gestion de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (IAE Pau-Bayonne), Camille Chamard est spécialiste des questions relatives à l’attractivité, à l’hospitalité des territoires et au marketing territorial. Auteur de nombreux articles sur ce sujet, il accompagne régulièrement des collectivités territoriales et des organisations professionnelles dans leur démarche de marketing territorial.