0 / printemps 2018
le marketing territorial comme champ de recherche

Le numéro 0 de RMT regroupe un ensemble de textes commandés aux auteurs afin de circonscrire ce que recouvre le marketing territorial. Il n'y a pas d'évaluation en double-aveugle comme pour les autres numéros de la revue.

Les deux dernières rubriques sont entièrement rédigées par le rédacteur en chef sur ce numéro 0 car il s'agit de montrer les formats possibles pour les prochains numéros, ouverts à toute discipline et tout croisement disciplinaire.

Un modèle productif de ressources territorialisées ?

Bernard Pecqueur


Texte intégral

1Les réflexions en sciences régionales sur la place et le rôle de l’espace dans l’économie productive ont beaucoup évolué ces dernières années dans le débat international. Cette évolution coïncide avec les mouvements structurels des économies vers plus de globalisation auxquels s’ajoutent l’accélération des mobilités des hommes et des entreprises et la considérable innovation dans les outils qui permettent une meilleure communication. Dans ce contexte, la science régionale dominée par les macro-économistes a dû s’adapter et tout particulièrement faire évoluer la notion de « région » vers celle de « territoire ». Les conséquences de ce glissement sont importantes à deux titres. Tout d’abord, le type d’espace habité et gouverné n’est plus donné ex ante et prédécoupé comme une section politico-administrative. En devenant « territoire », il devient la résultante d’une construction sociale beaucoup moins monolithique que la région. Le territoire n’est pas une notion figée une fois pour toute ni même vraiment stable, il n’est jamais abouti. En ce sens, on peut parler de processus de territorialisation ou encore de « territorialité »1 perpétuellement à l’œuvre, ce que l’on ne peut pas faire avec la notion de région. En second lieu, le passage de la Région au Territoire comme cadre spatial de la production interpelle directement les stratégies d’entreprises puisque c’est le modèle productif lui-même qui est ancré ou non territorialement. En effet, le surgissement de la question territoriale met en évidence qu’il pourrait y avoir des niveaux d’agrégation intermédiaires des acteurs, par affinités, par sentiment partagé d’appartenance ou par regroupement en vue de trouver une solution à un ou des problème(s) productif(s). Ainsi, il nous semble qu’un tel phénomène de construction d’entités spatiales s’affirme et s’impose à l’observateur, du fait même de la globalisation, comme des unités pertinentes de l’action économique. C’est ainsi qu’il faut entendre l’émergence des territoires.

2On cherchera ici à montrer tout d’abord comment mieux caractériser le phénomène d’agglomération partielle d’acteurs ancrés géographiquement, fondateur des processus de construction territoriale, pour en comprendre la portée. Dans un deuxième temps, nous montrerons les grandes évolutions de la notion d’espace construit, dans l’idée d’aménagement à travers diverses formes de systèmes locaux. Enfin, nous proposerons une lecture des tensions territoriales engendrées par la mondialisation et les stratégies d’adaptation qui en découlent. Nous conclurons sur l’ébauche d’un modèle productif territorial pour les entreprises.

1. A la recherche du territoire et de la territorialité

1.1. Définir territoire et territorialité

3La relation global/local s’impose dès lors que l’on cherche à retrouver la figure du territoire dans les dynamiques de développement économique. C’est ce qu’affirme C. Courlet (2001) pour qui le développement économique doit être « situé » et le territoire est une composante permanente du développement :

« La globalisation de l’économie ne peut pas être considérée comme une sorte d’étendue sans lieux, enserrée dans une structure universelle de flux. Le développement au niveau global est possible non par l’élimination des effets géographiques mais par l’apparition de structures de plus en plus différenciées des lieux de la spécialisation des échanges internationaux. (…) La globalisation qu’il ne faut pas confondre avec la banalisation, laisse aussi toute sa place à l’espace. Apparaît ainsi un nouveau clivage : le local et le global, l’économie monde étant vue comme un vaste archipel » (Courlet 2001, p.12).

4Une seconde approche du territoire est possible à travers la relation de proximité2 (Pecqueur et Zimmermann 2004) qui représente la modalité de coordination des acteurs dans la dimension locale. Cette approche des relations d’acteurs construites dans un processus historique long permet de dépasser quelques idées reçues de la théorie économique standard. On peut en effet :

  • Sortir d’une problématique d’allocation de ressources pour explorer celle de la création de ressources

  • Inscrire le local comme une modalité de fonctionnement du global et non pas comme un simple sous ensemble de ce global.

  • Ne pas opposer comme incompatibles la relation de coopération avec la relation de concurrence

5Dans cette perspective, la notion de proximité apparaît comme une catégorie pertinente pour rendre compte de la valorisation des ressources productives. Ces dernières se déclinent selon deux composantes majeures (Gilly et Torre 2000) : la proximité organisationnelle et la proximité géographique. La proximité organisationnelle regroupe les modèles de relations résultants des logiques d’appartenance (les acteurs qui appartiennent au même espace de vie ou aux mêmes réseaux…) et de ressemblance. La proximité géographique traite de la séparation et des liens dans l’espace en termes de distance. Le local s’élabore à l’articulation de ces deux types de proximité.

6On voit bien que local ne peut se contenter d’être synonyme de petit. Hors du macro et du micro, dans une approche triviale, le niveau méso-économique serait quelque part entre le micro et le macro, entre l’individu et la totalité (le système productif national). L’espace de référence du local ne peut pas être un intermédiaire de petit espace entre le global et l’individu-point. De même, le niveau méso-économique ne se définit pas seulement comme celui de la coordination de groupes d’acteurs, intermédiaire entre la coordination inter individuelle (micro-économie) et l’agrégation des choix dans un ensemble régulé (macro-économie). En effet, le groupe constitue bien l’instance collective, celle construite par les acteurs (organisations ou réseaux d’organisations), qui crée l’espace-territoire. Mais la coordination des groupes (en interne, entre eux, vis à vis du système productif global) ne suffit pas à déterminer le niveau méso-économique. Les groupes d’acteurs ont déjà été traités comme des individus dans une perspective micro-économique respectant le principe de l’individualisme méthodologique.

7C’est ainsi que se situe la théorie des clubs3 élaborée par l’école du Public Choice (Sandler et Tschirart 1980) mais aussi la démarche de M. Olson (1978). Celui-ci part du principe que l’on peut traiter des groupes comme s’il s’agissait de personnes même si le comportement du groupe peut différer du comportement (et de l’intérêt) d’individus appartenant au groupe. Ces approches sont renforcées par le fait que l’on raisonne sur des groupes homogènes (syndicats, partis politiques, firmes). On est donc amené à distinguer les grands groupes des petits groupes, ces derniers étant plus efficaces pour capter les externalités produites par les biens collectifs (Olson 1978). Dans notre perspective spatiale, un territoire lorsqu’il existe, est composé d’un groupe ni petit ni grand mais composite, dont les membres peuvent appartenir eux-mêmes à différents sous-groupes.

8Le caractère irréductible de l’opposition micro/macro entre l’individualisme méthodologique et l’holisme exclut qu’il puisse y avoir une approche intermédiaire supposant un quelconque compromis entre micro et macro. L’approche méso-économique, dont l’objet est la coordination des acteurs constitués en groupe, n’est donc pas intermédiaire entre l’individu et la totalité, elle est d’une nature différente et autonome vis à vis du dilemme micro/macro. Pour préciser cette nature on fera ici une hypothèse : l’approche méso-économique traite non pas du groupe en tant que tel, mais de l’émergence et de la formation (toujours en mouvement) des groupes d’acteurs engagés dans une stratégie économique de production ou de consommation. Une telle approche se distinguerait de la micro-économie pure qui traite de la coordination des individus et admet l’existence des groupes comme des acteurs ayant une stratégie propre mais unique et distincte pour chacun des groupes. Elle se distingue aussi de l’approche macro-économique dans la mesure où cette dernière traite des flux et du circuit engendré par l’agrégation de tous les acteurs.

9Les groupes peuvent avoir des mobiles et des processus très divers pour se regrouper en vue d’un avantage dont chaque membre serait bénéficiaire (groupe de pression, syndicat, entreprise). La sociologie institutionnelle a développé autour des stratégies identitaires des individus, les configurations constitutives des groupes. Or dans l’observation empirique des modes d’organisation des institutions économiques, ce qui frappe, ce sont les stratégies de coalition entre différents groupes autour d’une question productive.

10Ainsi, l’approche méso-économique de l’espace constitue-t-elle l’analyse des dynamiques de construction d’un « dedans » par rapport à un « dehors ». Le territoire va résulter de ce processus de discrimination. Un territoire (qui peut donc être provisoire et incomplet) est la conjonction de l’espace commun abstrait construit par des groupes et d’un espace physique lorsque ce dernier contribue à l’élaboration de la ressource qui fonde le « dedans » par rapport au « dehors ». Le territoire ainsi constitué a donc une fonction particulière de repoussoir des acteurs qui ne viennent pas de l’intérieur de ses limites. Le processus de discrimination agit comme un filtre cognitif qui permet de limiter autant que possible l’incertitude radicale subie par chaque individu. L’exemple des Appellations d’Origine Contrôlées illustrent aisément notre proposition (Pecqueur 2001, Delfosse 2011). Dans ce cas, un groupe de producteurs coordonné avec des institutions locales produit un avantage compétitif fondé sur la qualité et la spécificité de la production en délimitant les contours géographiques du territoire. Au terme de négociations parfois longues avec des organisations nationales régulatrices (INAO), les acteurs procèdent au mouvement de discrimination qui définit les bénéficiaires et les exclus de l’avantage. L’espace physique support de la délimitation géographique contribue à cette construction à travers la ressource naturelle qui y est attachée.

11La prise en compte de l’informel4 comme une donnée plus importante dans l’univers post-fordiste est également une nécessité puisqu’elle ne fait que refléter les risques mais aussi, plus profondément, les incertitudes (« uncertainties » selon F. Knight 2012) pour lesquelles un calcul de minimisation des risques n’est pas suffisant. Or, la manifestation principale de la réponse à l’incertitude est, dans notre hypothèse, la territorialisation des relations productives. Cette territorialisation agit comme un réducteur d’incertitude, améliore le « search » (au sens d’H. Simon 1997) des acteurs et produit des externalités. C’est dans cette production d’un bien public fait de connaissances techniques ou de savoir-faire, que l’on peut voir l’émergence d’une ingénierie des modes d’activité, de vie familiale et de vie sociale et politique. Elle renouvelle les politiques publiques à travers une action collective qui concerne les acteurs et notamment les entreprises.

12L’espace-territoire apparaît donc comme une rupture dans la perception de l’espace par les économistes qui l’avaient réduit à l’espace comme distance, source de coûts de transport. Les géographes ont pris un peu d’avance dans l’utilisation de la notion (Vanier 2008). La notice « territoire » dans le « dictionnaire de la géographie » (Lévy et Lussault 2003) ne comporte pas moins de neuf définitions différentes et laisse ainsi une marge de flou s’installer dans l’approche territoriale. G. Benko (2007), s’appuyant sur les travaux de R. Brunet, rappelle : « On appelle, en général, territoire ce genre d’espace qu’un groupe s’est approprié et qu’il a approprié à ses besoins, à sa structure ». On propose ici, de rappeler deux approches possibles et distinctes du territoire pour mieux en cerner les contours.

1.2. L’entrée par les échelles ou le territoire donné

13Le territoire se définit comme un plus petit par rapport à un plus grand. C’est l’infra national qui a longtemps défini l’espace régional. Ce type de territoire est postulé à l’avance, il est donné. Dans ce cas, la question environnementale et notamment la durabilité devient un problème périphérique car elle apparaît comme une contrainte à gérer où les politiques publiques dominent. Cela ne veut pas dire pour autant que la durabilité soit totalement minorée. Pour F. Mancebo (2008), il faut alors, une appropriation territoriale comme condition du succès des politiques environnementales. On est donc dans cette hypothèse, dans un cas de réintégration et de redistribution des coûts collectifs engendrés par l’occultation ou, simplement, la négation de ces coûts cachés. La figure centrale du territoire donné est alors le salarié, figure statique résultat de stratégies exogènes. Le salarié fait l’objet de politique de l’emploi ou du revenu qui sont indépendantes de l’appartenance au territoire. Il n’y a pas d’ancrage territorial des acteurs et le territoire agit plus comme référence géographique que comme base proactive de ces politiques.

1.3. L’entrée par les institutions ou le territoire construit

14Ici, le territoire résulte des constructions d’acteurs. Il n’est pas donné a priori. Ce type de territoire est construit, c’est-à-dire qu’il résulte des stratégies d’acteurs (stakeholders) qui sont véritablement parties prenantes. Comme l’indique C. Gagnon (2008), « l’approche territorialiste (néologisme créé par l’auteure) du développement durable plaide en faveur de l’introduction du territoire comme brique de base du DD ». Dans ce cas, la durabilité devient centrale car elle apparaît comme une solution aux problèmes et aux besoins des acteurs pour qui le « vivre ensemble » est le but de la construction territoriale. La figure centrale de l’espace construit est l’habitant, résultat de stratégies plutôt endogènes (Anquetin et al. 2008). L’habitant est une figure plus dynamique que le salarié puisqu’elle indique que le territoire ne se définit pas quantitativement par le nombre d’emplois avérés ou potentiels du lieu mais comme une communauté d’individus qui ont des objectifs de mieux vivre ensemble5. En définitive, le territoire apparaît essentiellement comme une combinaison de processus de construction et de base politico administrative. Pour nous, il y a territoire dès lors que des acteurs, dans un contexte géographique donné, se rencontrent, identifient et formulent un problème productif commun et mettent en place un projet pour le résoudre.

2. Clusterisation et systèmes productifs : récentes évolutions

15Ainsi, la constitution de regroupements spatiaux et de systèmes productifs organisés autour de relations de proximité s’est faite par étapes successives. On distinguera ici le modèle des pôles de croissance, le modèle des systèmes productifs localisés et le modèle des pôles de compétitivité.

2.1. Croissance polarisée et l’utopie de l’expansion linéaire

16L’après deuxième guerre mondiale fait apparaître des besoins impérieux de reconstruction (logements et infrastructures) qui font le lit des approches keynésiennes en justifiant le rôle de la dépense publique comme facteur de relance macroéconomique. Les efforts déployés dans l’Europe de l’Ouest semblent porter leurs fruits dans la mesure où les décennies qui suivent la guerre sont le temps de la forte croissance (les Trente Glorieuses). C’est dans ce contexte que va se développer l’idée d'une croissance polarisée. Le développement est déséquilibré. Selon l’expression de François Perroux :

« il se fait à partir de pôles, de foyers d’activités qui suscitent une série de déséquilibres économiques qu'il s’agit de transformer en un développement induit ordonné, par un aménagement conscient du milieu de propagation » (cité par Lajugie et al. 1985).

17Les effets d’entraînement espérés de la concentration en pôles de croissance sont à la fois en amont et en aval. Bien que non cités comme tels, ils ont été expérimentés par la Russie soviétique des années 1920 avec son modèle d’industrialisation qui privilégiait les activités d’amont (sidérurgie, métallurgie) susceptibles de produire de l’activité induite en aval. Ces effets sont considérés comme mécaniques et directement dépendants à la fois de la concentration de l’activité et de la nature de l’activité. Les conditions de concentration d’activités et des infrastructures désignent des « pôles naturels » déterminés par la présence de matières premières, de réseaux de communication, de ressources financières ou encore d’industries amont. En Europe, la Ruhr, la vallée du Pô ou encore l’axe Rhin-Rhône répondaient à ce schéma.

18L’autre déterminant de ces pôles tient à la nature même de l’activité. Ainsi, pour les zones qui ne disposent pas des atouts naturels, on peut concevoir une politique d’implantation d’activités dites motrices. Les pôles de croissance créés ex nihilo constituent la grande utopie développementiste de la période des Trente Glorieuses. L’aménagement du Mezzogiorno italien a donné lieu à l'installation de grands complexes d’industrie lourde (chimie, sidérurgie, mécanique...) à Naples, Bari, Cagliari ou Syracuse. En France, les figures de l’utopie se sont incarnées dans de grands projets gaullo-pompidoliens comme le programme nucléaire, la télécommunication, le Concorde, le complexe sidérurgique de Fos sur mer au bord de l’étang de Berre ou encore, plus tard de Sophia Antipolis près de Nice.

19Le bilan de ces politiques de pôles de croissance est mitigé. On relève de belles réussites mais aussi des difficultés d’intégration dans le tissu économique local. On a pu ainsi qualifier ces pôles de « cathédrales dans le désert ». Ils sont cependant parfaitement emblématiques d’un modèle industriel triomphant qui a modelé les économies avancées dans les trente années d’après-guerre. On peut résumer leurs caractéristiques ainsi :

  • Les pôles de croissance fonctionnent dans un contexte de croissance forte plutôt que comme moteurs de la croissance. Ils seraient ainsi davantage conséquences que causes des dynamiques de développement.

  • Le développement est fondé sur la productivité comme vecteur essentiel de la compétitivité. On cherche la performance sur des produits concurrentiels à l’échelle mondiale.

  • L’innovation est un processus exogène qui repose surtout sur la notion de transfert de technologies. Les ressources intellectuelles et cognitives ne sont pas puisées localement mais importées voire transplantées sur un mode standardisé en provenance des centres où se crée l’innovation. On se trouve dans une configuration décrite par l’américain R. Vernon (1971) avec sa théorie du Cycle du produit selon laquelle les productions à fort contenu technologique, en se décentralisant vers les périphéries, se banalisent en contenu technologique en même temps qu’elles élargissent leur marché.

  • Dans cette approche, l’espace n’est qu’un point sur une carte, lieu passif de projection d’un projet conçu hors de toute appropriation par les acteurs-habitants de l’espace en question. Les spécificités historiques et les ressources cachées (au sens d’Hirshman 1958) du territoire ne sont pas ici prises en compte.

20En définitive, cette mécanique des pôles de croissance a représenté un espoir de développement linéaire assez franchement utopique, prolongeant les courbes et extrapolant les « trends » de long terme vers un avenir forcément positif. En 1960, W.W. Rostow, conseiller du Président J.F. Kennedy, imagina une vision du développement décomposée en étapes, par où chaque nation devait passer, au nombre desquelles on comptait l’épisode crucial du découpage du décollage économique (take off) et menant à l’ultime étape : la consommation de masse. La crise des années 1970 est passée par là et les contextes ont changé. Il a fallu revenir des illusions des glorieuses. Les formes plus récentes d’organisation économico-spatiale vont profondément muter.

2.2. Croissance spécifique et l’adaptation à la mondialisation

21Ce que l’on a identifié comme la crise du pétrole, en 1974, constitue une véritable rupture et les trente années qui ont suivi ont à peine suffi pour dessiner les contours du monde d’après. La fin de la grande croissance modifie le rapport à l’espace. Celui-ci « bouge » et la production se contextualise au terme d'une évolution des années 1970 à la fin du XXè siècle : ce sont les trente mutantes, avec l’apparition de l’idée de construction de territoire par les acteurs. La théorie du développement local trouve sa place (Rowe 2009) et notamment l’articulation du local et du global (Le Héron 2009)6. De nouvelles formes d’organisation productives ont émergé progressivement.

22Au commencement, il y a la (re)découverte des districts industriels (DI) marshalliens par les économistes italiens autour de la figure de l’économiste G. Beccattini (1979). A. Marshall remarquait que dans le grand mouvement de concentration de l’activité industrielle du début du siècle, suite logique du jeu des économies d’échelle, on pouvait observer des anomalies dans le mouvement de croissance des firmes avec des concentrations de petites entreprises non dominées par une grande. Cet ensemble, par un effet d’atmosphère industrielle, produisait des externalités. La version italienne du DI met en évidence deux caractéristiques centrales de cette forme d’organisation : en premier lieu, les DI ont une remarquable capacité d’adaptation et une réactivité aux mouvements du marché dans un monde globalisé. La présence de multiples PME et TPE dans un espace restreint, exacerbe le double mouvement de concurrence-émulation et de coopération. En second lieu, les DI consacrent la rencontre des firmes et des hommes sur un espace concret. Dans le district, à l’inverse de ce qui se passe dans d’autres types d’environnement, comme par exemple les villes manufacturières, il tend à y avoir osmose forte entre communauté locale et entreprises. Ce sont donc des types particuliers de gouvernance territoriale qui se mettent en place dans une grande variété de forme (Pecqueur 2009).

23La littérature anglo-saxonne a également développé cette jonction entre espace local et développement. Ces externalités se concrétisent par des clusters (Porter 1998), notion plus englobante qui s’applique à des échelles d’espace très variables. On peut sans doute dire que la notion de cluster est la plus large, celle de DI est la plus stricte, le Système Productif Local (au sens où la DATAR l’a mis en place) propose une configuration intermédiaire, et le Milieu Innovateur (Camagni et Maillat 2006) insiste sur une donnée fondamentale : le territoire comme dispositif d’innovation. Enfin, l’ultime avatar des formes d’organisation territorialisées de la production est constitué par les pôles de compétitivité récemment mis en place en France (Cf. le rapport Blanc 2004). A cet égard, la vision de l’Etat est caractéristique en ce sens qu’elle reste sur un objectif de productivité avec un apport exogène des fonctions urbaines. Il s’agit de partir du phénomène de transformation des productions dans ce que l’on appelle communément l’économie cognitive, en montrant qu’elle incorpore une forte quantité de connaissance issue plutôt de la ville à travers ses institutions productrices de savoir (université, recherche publique et privée, start up…). N. Jacquet et D. Darmon (2005) disent en effet que :

« les économies industrialisées sont engagées dans une nouvelle ère : celle de l’économie de la connaissance, où l’augmentation de la productivité demeure le principal vecteur de croissance (…) l’avènement de l’économie de la connaissance provient du basculement des modes de production d’un système « tayloriste » (qui consiste à produire en grandes séries pour des marchés restreints, c'est-à-dire le plus souvent nationaux et protégés) à un système nouveau de différenciation et d’individualisation à l’extrême des produits, dans le but de mieux répondre aux attentes hétérogènes des consommateurs (ce qui revient à produire en petites séries pour des marchés devenus mondiaux et concurrentiels) ».

24Si nous comprenons bien l’idée de changement et la philosophie des pôles de compétitivité, il nous semble que ce n’est précisément pas sur la productivité que s’adosse la production urbaine des pôles de compétitivité (même si celle-là demeure largement une réalité) mais sur la notion de spécificité. Cette dernière représente la capacité des sites concernés à valoriser des ressources particulières à un lieu et donc profondément ancrées dans le patrimoine cognitif de ce lieu. Ce sont donc des ressources culturelles et cognitives qui constituent l’essentiel de ce qui distingue un pôle de compétitivité. Ces formes de regroupements productifs (clusters, disricts, SPL…) évoqués dans cet article, montrent que l’on passe d’une offre d’entreprises dans un contexte d’externalités urbaines à une offre de site où l’acteur-producteur ne se réduit pas à la somme des entreprises présentes mais s’étend à tous les acteurs, notamment le monde associatif, les regroupements de consommateurs ou d’usagers, les corps intermédiaires comme les syndicats… Une gouvernance fabrique alors le site urbain comme producteur collectif à de multiples contributions, y compris générationnelles puisque l’histoire longue compte.

25C’est sans doute dans le traitement de la connaissance que les modèles diffèrent le plus nettement. Les technopôles des années 1980 sont du type pôle de croissance. Elles visaient à concentrer du savoir dans un espace où les différents acteurs pouvaient se rencontrer, échanger et produire par la synergie ainsi créée, un avantage compétitif (ce que les économistes appellent une externalité), liée à la proximité physique des acteurs, la politique publique. Avec les clusters actuels, on a avancé d’un cran supplémentaire dans l’ancrage territorial. En effet, dans le cas des pôles de compétitivité, il ne suffit pas de concentrer des activités éventuellement venues de l’extérieur (comme cela a été le cas de Sophia Antipolis près de Nice), mais l’objectif est d’utiliser, en quelque sorte, le patrimoine cognitif collectif construit localement dans l’histoire longue. M. Grossetti, J.M. Zuliani et R. Guillaume (2006) parlent de « système local de compétences » qui a la vertu d’être le plus souvent plurisectoriel, ce qui permet de « s’affranchir de la dépendance vis à vis d’un secteur unique d’activités, et de réduire les incertitudes de l’activité économique » (p.23).

26Cette partie portait sur l’état des lieux avant mutations, depuis les trente glorieuses jusqu’à la période contemporaine. On y voit le triomphe des modes d’organisations spatialisés sous diverses formes réunies sous le terme générique de cluster. La notion de pôle a aussi évolué, passant du pôle de croissance au pôle de compétitivité. On reste cependant dans une représentation de sous ensemble des systèmes productifs nationaux : les territoires ou les régions suivant les terminologies. La partie suivante montrera que ces territoires subissent un découplage de fonctions et que la notion de système local complet et fermé est remise en cause.

3. Mutation des systèmes et mondialisation

3.1. La double déconnexion

27Ces dernières années ont vu une intensification des mutations spatiales visant ce que nous appellerons une « grande déconnexion » entre économie et société. D’une part, l’économie devient une abstraction dans laquelle les citoyens ne se retrouvent pas et d’autre part les territoires de fusion entre lieu de vie et lieu de travail se disloquent sous la montée des mobilités au quotidien. Françoise Choay (2011), dans un récent ouvrage évoquant « la terre qui meurt », montre ce lent décalage qui éloigne l’homme de son socle terrien. Pourtant, en potentiel, le lien reste fort. Comme elle le rappelle :

« sous les coulées de lave de l’urbanisation contemporaine, survit un patrimoine territorial d’une extrême richesse, prêt à une nouvelle fécondation, par des nouveaux acteurs sociaux capables d’en prendre soin comme d’un bien commun » (p.96).

28Dans la période dite fordiste, du travail à l’habitat, il n’y avait pas de longs espaces ni de longues distances. L’usine et le logement étaient proches. Le triomphe du système résidait dans le passage du salarié au statut de consommateur sur le même lieu. Ainsi, la représentation d’un territoire économique reste celle d’une micro nation dans laquelle on peut retrouver l’égalité comptable du modèle national selon laquelle, dans le cas étudié, tout ce qui est produit donne lieu à un revenu qui est entièrement dépensé, en consommation ou en épargne. Les territoires sont alors de petits systèmes productifs où les autres acteurs (consommateurs notamment) n’ont guère leur place.

29Aujourd’hui, quand l’observation se rapproche de la petite échelle, la superposition des lieux de production, de revenu et de dépense est de moins en moins pertinente. En effet, les trajets domicile-travail s’allongent considérablement. En d’autres termes, ce qui est bon pour l’entreprise n’est plus, a priori, automatiquement bon pour les populations qui accueillent l’entreprise en question. Il y aurait des territoires qui captent les revenus (résidentiels) et des territoires qui produisent les revenus (productifs). La superposition des deux n’est plus le cas général. Ces évolutions sont analysées dans les travaux portant sur l’économie présentielle qui explore notamment les conséquences à venir de cette disjonction (Talandier et Davezies 2009). On peut parler d’ubiquité moderne en considérant le fait que les acteurs/citoyens peuvent être de plusieurs territoires à la fois.

3.2. La spécificité comme réponse

30Cette réaction citoyenne passe par des actions et stratégies d’acteurs. Pour S. Sassen (2009), les dynamiques territoriales reflètent les luttes sociales de réappropriation des processus de globalisation, elles ont leur place. Ces types de pratiques politiques

« sont globaux grâce à la multiplication connue des pratiques locales (...). Ces formes n’ont pas à devenir cosmopolites au cours de ce processus ; elles peuvent fort bien rester centrées sur les luttes des ménages et des communautés globales tout en participant à la politique globale émergente » (Sassen 2009, p.222).

31Ainsi, les stratégies territoriales pour procéder (ou tenter de le faire) à la reconnexion, font émerger des ressources territoriales fondées sur la spécificité des productions.

32Une ressource spécifique est dépendante d’un processus de production et d’une origine géographique (avec son histoire et son paysage). Elle peut devenir une ressource territoriale (Gumuchian et Pecqueur 2007). A.J. Scott (2001) avance l’idée d’une forme en réseau qui structure l’espace de la globalisation. Il cherche à présenter « un panorama empirique général de l’essor et du début de consolidation d’un réseau global interconnecté d’économies régionales ». Ainsi, comme il l’avait déjà esquissé à propos des régions manufacturières, Scott dessine une structuration à la fois économique et politique de grandes régions en réseau se superposant aux découpages étatiques. Ces analyses prennent en considération l’émergence de modes d’organisation de la production qui sont ancrés dans un territoire, c’est à dire une construction d’acteurs encastrés et donc dépendants d’un contexte spatial. Elles en retiennent des formes géographiques nouvelles (la ville, la région) qui ont tendance à s’affirmer dans l’analyse de la géoéconomie en train de s’élaborer face aux nations qui ont façonné le monde moderne puis le capitalisme. Nous nous situons dans cette perspective pour analyser le jeu concurrentiel des villes. On se réfère également à Sassen (1991) qui situe la ville dans la globalisation et nous défendons l’idée selon laquelle les processus territoriaux et locaux qui font la construction de la ville, ne sont que la face inversée de la globalisation.

33Dans la compétition des villes, l’offre de services en direction des entreprises potentielles est cruciale. Dans le cas le plus trivial, un site va attirer l’activité en offrant des services reposant sur les dotations en facteurs les plus abondants : une main-d’œuvre non qualifiée et disponible avec un niveau bas de salaire ou encore une disponibilité en ressources naturelles... Souvent, la situation de ces ressources ou leur rareté va conditionner le type de développement du site comme le montre les zones dont le développement est resté très tributaire de la disponibilité en charbon, en acier ou encore de la proximité de la mer ou de la présence de terres fertiles. Cependant, l’offre peut reposer sur des dotations qui ne sont pas données a priori mais résultent soit d’un processus long d’accumulation de savoir-faire, soit d’une production de biens collectifs financés par la collectivité et appropriés par les seuls utilisateurs. Par exemple, une offre de main-d’œuvre qualifiée et spécialisée présente cette caractéristique d’offre de site dont vont pouvoir bénéficier les entreprises amenées à s’y implanter7. A chacun de ces types d’offre correspond une démarche stratégique, ce qui nous conduit vers la présentation d’une typologie des ressources des sites. Les ressources sont de natures différentes selon qu’elles sont données ou construites et leur typologie fera apparaître les enjeux stratégiques des offreurs de service que sont les villes. Ces dernières deviennent productrices de valeur et non plus seulement des espaces de consommation où seules les entreprises étaient créatrices de valeur.

34Pour clarifier la nature de ces ressources, on propose une double distinction : d’une part entre actifs et ressources et d’autre part entre génériques et spécifiques (Colletis et Pecqueur 1993). Les ressources représentent un potentiel pour le territoire en ce sens qu’elles ne sont pas en activité. Il convient ici de distinguer deux cas de figure. Le premier est celui où les ressources existent mais ne sont pas exploitables car leur coût d’exploitation est incompatible, du moins provisoirement, avec les conditions du marché. Le second cas concerne des ressources à révéler ou à organiser, c’est-à-dire n’existant pas comme telles, elles peuvent alors être qualifiées de virtuelles. Le marché ne saurait servir de base de référence ou de comparaison pour des ressources qui, en l’occurrence, n’ont pas d’existence actuelle.

Tableau. Typologie des ressources

Image 1000000000000359000001763DCEB80C.jpgLe tableau à double entrée présente quatre cas de figure et combine, en ligne le caractère soit générique soit spécifique et en colonne, la ressource ou l’actif.

35Les ressources sont des potentiels non encore transformés tandis que les actifs sont des facteurs en activité, réalisés sur un marché. Il peut s’agir de biens ou de services. La main-d’œuvre qui se présente effectivement sur le marché du travail constitue un exemple simple d’actif, tout comme la présence d’équipements ou d’infrastructures. Les ressources ou les actifs sont dits « génériques » lorsque leur présence est indépendante du processus de production ou de la dynamique sociale et entrepreneuriale. Le générique est donc une donnée exogène. A l’inverse, la ressource ou l’actif sont dit spécifiques s’ils résultent explicitement de stratégies d’acteurs et s’ils sont dédiés à un usage particulier.

36La convergence des stratégies des entreprises et des territoires est loin d’être automatique. L’entreprise peut choisir deux stratégies suivant le type d’actifs qu’elle privilégie :

  • La stratégie basse consiste à utiliser les actifs génériques, c’est-à-dire que l’entreprise soumet son implantation géographique aux conditions classiques de la localisation comme les bas coûts de production (main-d’œuvre peu chère, présence de matière première, infrastructures disponibles...) ou l’abondance de facteurs de production. Dans ce cas, l’entreprise s’engage le moins possible dans le territoire et elle pourra se délocaliser rapidement sans trop de frais. La forme et l’organisation de l’espace de localisation importent peu8.

  • La stratégie haute est plus impliquante pour l’entreprise, cherchant à structurer l’espace et contribuant à la constitution d’actifs spécifiques sur la base desquels peuvent apparaître des ressources spécifiques. Passer du quadrant 2 au quadrant 3, voire au quadrant 4 (tableau), c’est construire un réseau de proximité en développant des coopérations (marchandes ou non) avec les autres acteurs (firmes, établissements financiers, centres de recherche, centres techniques ou encore organismes de formation), en cherchant à bénéficier de quasi-rentes relationnelles dans un espace de proximité géographique.

37Face à ces deux possibilités, les institutions publiques locales ayant en charge la promotion des dynamiques territoriales ont toujours intérêt à rechercher la spécification des actifs pour deux raisons. En premier lieu, la présence d’actifs spécifiques (écoles d’ingénieurs, laboratoires de recherche, main-d’œuvre qualifiée...) permet de différencier le territoire et de l’identifier dans un contexte de concurrence spatiale forte. En second lieu, la présence de tels actifs freine la volatilité des entreprises c’est-à-dire leur propension à la délocalisation en fonction des coûts de production les plus bas possibles. En effet, les actifs spécifiques présentent un coût de réversibilité ou encore un coût de réaffectation. Cela signifie que l’actif perd une partie de sa valeur productive dans le cas où il est redéployé vers un usage alternatif. Il apparaît donc coûteux pour une entreprise de se délocaliser dans la mesure où elle ne peut trouver ailleurs, immédiatement, au même prix, le même actif. Ce frein à la réversibilité s’accentue avec le temps si l’on considère que l’entreprise améliore chronologiquement la qualité de ses relations de proximité (la confiance allège les coûts).

38Il convient enfin d’observer que la spécification des actifs est renforcée par le jeu éventuel des ressources spécifiques. En d’autres termes, la révélation de ressources spécifiques peut produire un résultat tangible sous forme de création d’actifs spécifiques nouveaux. Ceci n’est cependant vrai que dans les territoires où existe une réelle culture industrielle. Il existe donc deux problématiques des territoires urbains à partir des mutations que connaissent les systèmes productifs. Ces deux problématiques coexistent et constituent des arguments polaires. Du site le moins ancré territorialement et le moins dédié à une spécialité particulière jusqu’au système productif localisé du type Silicon Valley, il existe toute une palette de situations intermédiaires. Dans un contexte de forte croissance économique, le territoire urbain ne se révèle pas en tant que collectif d’acteur, mais quand la croissance, vécue comme exogène n’est plus au rendez-vous, les restructurations dans la division internationale du travail mettent en évidence les limites de cette économie a-spalisée et met en lumière l’avantage des stratégies de spécification des ressources comme une adaptation à la globalisation.

Conclusion : vers un modèle productif territorialisé

39Les caractéristiques du modèle de la production territorialisée impliquent l’instauration d’un rapport local/global renouvelé autour de l’articulation complexe entre l’ancrage et l’a-spatialité de la production. En d’autres termes, le territoire devient un espace central de coordination entre les acteurs cherchant à résoudre des problèmes productifs inédits. On est alors en présence d’une double combinaison entre activité ancrée et activité nomade des firmes. L’établissement d’une firme peut être considéré comme l’unité productive de base d’une économie. Il est :

« au carrefour d'une triple insertion : dans son groupe industriel, dans sa branche et dans son territoire. Les stratégies des firmes les amènent à qualifier respectivement chacun des trois modes d’insertion » (Zimmermann 1998).

40Face à ces choix où la firme privilégiera une insertion plutôt qu’une autre, en fonction de la nature des ressources qu’elle cherche à utiliser, on trouve les territoires d’implantation. Ceux-ci ne sont plus des espaces passifs d’accueil anonyme d’une activité productive. Le territoire est, comme nous l’avons vu, le résultat d’une construction par les acteurs. Dans ce cas, une première logique peut apparaître, celle des offres concurrentielles d’avantages génériques. On est alors confronté à une concurrence classique, mais aussi féroce, de territoires sur un marché des sites. Les territoires visent alors à valoriser des avantages triviaux (gratuité du foncier, niveau général des salaires bas, exemptions de taxes...). Cependant, l’exacerbation de ce type de concurrence, ajouté aux phénomènes d’innovation territorialisée par différents types de clusters ou par les villes, implique l’élaboration d’une offre spécifique de site qui doit l’être beaucoup plus encore et qui doit viser à échapper aux effets pervers de la concurrence des sites. Ainsi, lorsque la proximité organisée est associée à la proximité géographique, les rapports entre les différents agents économiques peuvent s’analyser au travers de la notion de SPL ou plus généralement d’économies de localisation. Une telle situation émerge localement lorsqu’il existe des relations de complémentarité entre les agents économiques pour créer des relations effectives qui peuvent être considérées comme des actifs spécifiques au territoire considéré (Colletis et Pecqueur 1993). Ce sont, donc bien deux modèles productifs encastrés qui apparaissent et cohabitent en fonction du type de combinaison noué entre la proximité organisationnelle et la proximité géographique, montrant ainsi l’irruption claire de la variable territoriale dans l’organisation du capitalisme contemporain.

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Notes

1 Voir Martin Vanier (sous la direction de), 2009, Territoires, territorialité, territorialisation, PUR. L’ouvrage reprend les principales interventions d’un colloque tenu à Grenoble et consacré à la question de la territorialité comme dynamique spatiale de caractérisation des territoires toujours en création/recomposition.

2 Un groupe de recherche francophone d’économistes, de sociologues et de géographes réfléchit depuis une vingtaine d’années sur cette notion d’économie des proximités. Cette réflexion se propose de reconsidérer la manière dont les acteurs se coordonnent.

3 La théorie des clubs fut énoncée dès 1965 par James Buchanan (prix Nobel de 1986) dans An Economic Theory of Clubs, puis étendue par T. Sandler et J. Tschirhart (1980). Le club est une association qui repose sur l’hédonisme et l’utilitarisme associés : la recherche du bonheur passe par la maximisation sous contrainte de l’utilité individuelle pour faire valoir un bien commun à plusieurs consommateurs. Autrement dit, j’ai plus intérêt à m’associer car j’atteindrai ainsi plus facilement ou plus rapidement mon but. De plus, cela s’applique à des biens de type publics c’est-à-dire qui peuvent être consommés en même temps par plusieurs consommateurs. C’est le principe de non rivalité des produits. Cette théorie permet de déplacer le calcul strictement individualiste pour envisager les situations de coopération. Si l’on considère que la dynamique des territoires est le mouvement qui réunit plusieurs acteurs dans un processus de solution à des problèmes communs, dans le cadre d’un référent spatial partagé, alors, les productions ou les ressources mobilisées par les territoires sont de type « biens de clubs ».

4 L’informel recouvre ici toutes les productions de biens ou de services qui n’apparaissent pas sur un marché officiel, mais aussi les services en particulier cognitifs qui ne font pas l’objet d’un échange marchand

5 En reconsidérant les indicateurs traditionnels de la croissance comme le produit intérieur brut (somme des valeurs crées dans un pays en une année) et en instituant un indicateur beaucoup plus qualitatif comme le Bonheur National Brut, on privilégie clairement la figure de l’habitant par rapport à celle de salarié (voir à ce propos autour d’A. Sen, les travaux sur de nouveaux indicateurs post PNB).

6 Dans l’ouvrage de Rowe et plus précisément dans la contribution de Le Héron, on montre que les théories du développement local, notamment dans la littérature anglo-saxonne, s’orientent non pas seulement comme une macroéconomie régionale mais vers des processus d’adaptation à la globalisation.

7 Pour une approche en termes de marché de sites, on se reportera à la thèse de Sylvie Bazin-Benoit, « Les politiques locales d’attraction d’entreprises : d’une logique concurrentielle à une logique organisationnelle ». Thèse de doctorat d’économie, Université de Lille, novembre 1996.

8 C’est ce type de stratégie qu’a suivi, il y a quelques années l’entreprise Hoover en délocalisant (ou en cherchant à le faire) un établissement situé à Dijon pour le relocaliser à Cambuslang en Ecosse. Pour l’entreprise, le coût salarial est supérieur de 37 % à Dijon pour trois raisons : un nombre de cadres plus important (+ 10 %), un écart de charges salariales (+ 12 %) et la dévaluation de la livre sterling (+ 15 %).

Pour citer ce document

Bernard Pecqueur, « Un modèle productif de ressources territorialisées ? » dans © Revue Marketing Territorial, 0 / printemps 2018

Le numéro 0 de RMT regroupe un ensemble de textes commandés aux auteurs afin de circonscrire ce que recouvre le marketing territorial. Il n'y a pas d'évaluation en double-aveugle comme pour les autres numéros de la revue.

Les deux dernières rubriques sont entièrement rédigées par le rédacteur en chef sur ce numéro 0 car il s'agit de montrer les formats possibles pour les prochains numéros, ouverts à toute discipline et tout croisement disciplinaire.

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=252.

Quelques mots à propos de :  Bernard Pecqueur

Professeur à l’université Grenoble Alpes et à l’UMR PACTE

Bernard Pecqueur est professeur à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine de l’université Grenoble Alpes. Ses recherches portent sur la géographie économique et analyse des processus de construction territoriale, le développement territorial (et économie du développement en particulier dans les pays du Sud), la théorie de la ressource territoriale (géographie culturelle et analyse du patrimoine) et l’aménagement du territoire.