Résumé de thèse. De la gouvernance portuaire havraise vers la gouvernance de corridor : conséquences organisationnelles

Antoine Kauffmann


Texte intégral

1Ouvert en novembre 1519, à la suite d’une laborieuse construction lancée en mars 1517, le port du Havre entame aujourd’hui son sixième siècle d’évolution. Il est un acteur majeur de l’ouverture au commerce extérieur de la France, pays historiquement autonome et sachant vivre de son économie intérieure. Son histoire est marquée par une série d’évolutions de la gouvernance portuaire, initialement focalisée sur les entreprises commerçantes pour faire ensuite l’objet d’une série de manœuvres d’étatisation et de décentralisation. Ce processus consiste en l’adaptation régulière du système institutionnel de gouvernance, adaptation destinée à résoudre une perte de compétitivité des ports français (Desplebin et al., 2017). Ainsi, après des débuts principalement structurés par les commerçants et armateurs, le port du Havre passe directement entre les mains de l’Etat suite à la Révolution française pour ensuite passer à un régime d’autonomie (régime de 1920, puis régime de 1965, moins centré sur l’Etat) pour évoluer ensuite vers le régime de Grand Port Maritime avec la réforme de 2008. Aujourd’hui, la gouvernance portuaire havraise évolue encore, et ce d’une nouvelle manière : il s’agit de la stratégie de corridor logistico-portuaire sous la forme de partenariats entre ports maritimes et fluviaux d’un même axe géographique, telles une méta-organisation dont la structure administrative se base sur une association (cas de Medlink Ports sur l’axe Rhône-Saône) ou un groupement d’intérêt économique (cas de HAROPA, nom choisi par contraction du Havre, Rouen, Paris sur l’axe Seine). Cette évolution de la stratégie portuaire est une réponse à une multitude de défis actuels auxquels font face les ports de la Seine. Le premier défi est celui du renforcement du rôle des ports français dans la mondialisation, les ports belges, néerlandais et allemands drainant un flux de marchandises de plus en plus important, accentuant la concurrence entre ports de la façade nord (concentration des principaux ports européens alignés le long du littoral méridional de la mer du Nord, allant du Havre à Hambourg), partageant des portions d’hinterland1. Il s’agit pour Le Havre de conserver sa place face à la concurrence et de gagner des parts de marché au niveau européen. Le second défi est celui de la stratégie de massification de flux des grands armateurs maritimes, qui ont adopté une logique d’économies d’échelle en maximisant la taille des navires et en minimisant le nombre d’escales, renforçant la concurrence entre grands ports pour les attirer. Le troisième défi est celui de l’intégration croissante des chaînes logistiques : la communication entre entreprises de la chaîne logistique se développe, entraînant des mouvements d’internalisation et d’externalisation, et les ports, maillons clés des chaînes logistiques, ne sauraient ignorer ces dynamiques de plus en plus basées sur la gestion de l’information. Enfin, un quatrième défi est le défi environnemental, qui engendre une mutation vers une gestion écologique des chaînes logistiques, visant à privilégier l’utilisation de modes de transport jugés plus vertueux que le transport par camion (maritime, ferroviaire, fluvial) en termes d’émissions carbone.

2Dans ce contexte, les ports développent des stratégies de corridors logistico-portuaires qui consistent en la mise en place de structures coopératives entres les ports d’un même fleuve ou d’un même axe géographique. Dans le cas du Havre, il s’agit d’une structure coopérative élaborée entre les autorités des principaux ports de la vallée de la Seine : le Grand Port Maritime du Havre, le Grand Port Maritime de Rouen et le Port Autonome de Paris qui ont formé le groupement d’intérêt économique HAROPA en 2012. Ces structures rassemblent les ports sans les fusionner. Cette dynamique de corridor, généralement abordée d’un point de vue géographique, demande aujourd’hui à être caractérisée à l’aide d’un cadre théorique de gestion du point de vue de ses mécanismes de fonctionnement et de leur perception.

1. Aspects théoriques et problématisation

3En tant qu’ensemble d’acteurs mis en lien, les corridors logistico-portuaires tels que HAROPA en vallée de Seine sont une forme de réseau hybride entre marché et hiérarchie (Williamson, 1981). Parmi les différentes formes de réseau identifiées, la méta-organisation est la forme correspondant le plus aux corridors logistico-portuaires ; définissable comme une organisation formalisée (souvent à statut associatif ou à statut de groupements d’intérêt) dont les membres sont eux-mêmes des organisations, elle fait l’objet d’une littérature en émergence (Ahrne et Brunsson, 2008, Dumez, 2009, Gadille et al., 2013, Malcourant et al. 2014, Berkowitz, 2016). La méta-organisation présente la particularité de regrouper des organisations dans une structure présentant la quasi-totalité des caractéristiques d’une véritable organisation (constituée d’agents telle que l’entreprise ou l’Etat) mais sans l’existence d’une relation équivalente à la relation d’emploi ou à la relation de propriété, les membres restant indépendants, a fortiori sur le plan légal, ce qui implique une faiblesse du pouvoir de gouvernement. L’intérêt du champ théorique de la méta-organisation réside en particulier dans la capacité de la méta-organisation à implémenter des outils non-hiérarchiques pour organiser. C’est donc l’aspect phénoménologique de la méta-organisation qui demande à être abordé (Ahrne et al., 2016), étudiée grâce à la mobilisation et à la création de biens communs par la méta-organisation, aspect encore peu abordé par les théoriciens. Un bien commun est défini comme un bien accessible à plusieurs personnes physiques ou morales susceptibles d’en jouir d’une manière ou d’une autre mais sans qu’il soit la propriété individuelle de ces personnes (Ostrom, 2010). Les limites de cette action par les biens communs sont aussi abordées. Ainsi, notre travail répond à la problématique suivante : Quelles sont les caractéristiques de la contribution des biens communs à la performation du fait méta-organisationnel dans les méta-organisations territorialisées ? La performation est ici considérée en tant qu’extension aux sciences sociales de la notion introduite en littérature (Austin, 1962), qui considère comme performatif un acte qui réalise lui-même ce qu’il dit (cas d’un maire créant le mariage d’un couple en prononçant un énoncé) et reprise en art (un artiste performe une œuvre lorsque les gestes et opérations qu’il effectue pour créer l’œuvre font partie de l’œuvre). Dans l’extension de la notion que nous mobilisons dans ce travail, les organisations et les réseaux sont considérés comme étant performés par des actes et objets incarnant l’action collective par laquelle le réseau existe et constituant des traces de celle-ci (Callon et Latour, 2006). Dans le cas des corridors logistico-portuaires tels que HAROPA, nous nous intéressons à des documents, des éléments de droit, des innovations, des objets matériels ou des outils informatiques qui font exister le corridor et laissent des traces de son existence. Ces objets performent le corridor en créant les actions collectives qui en sont la substance et en constituant des traces de ces dernières.

2. Méthodologie mobilisée

4Afin d’appréhender le phénomène de construction du fait organisationnel via la mobilisation des biens communs dans les corridors logistico-portuaires, un ensemble d’analyses qualitatives a été mené sur deux sources de données différentes : les documents officiels stratégiques du corridor logistico-portuaire HAROPA (seul cas français pour lequel ces documents sont hautement détaillés et accessibles) et des entretiens conduits avec des managers d’autorités portuaires, administrations et entreprises de plusieurs cas de corridors logistico-portuaires français2. L’étude des documents officiels nous renseigne sur la stratégie souhaitée tandis que celle des entretiens nous renseigne sur le vécu. Dans chaque cas, l’analyse est conduite par une analyse lexicale (analyse visant à identifier la redondance de certains champs lexicaux) qui permet de dégager une structure conceptuelle, et par une analyse thématique (analyse interprétative du sens du contenu) basée sur la théorie de l’acteur-réseau, qui apporte des précisions supplémentaires. Plus particulièrement, la théorie de l’acteur-réseau pose comme cadre un enchaînement de phases par lequel tout réseau est sensé se constituer, enchainement qui sert de filtre à l’analyse thématique.

Tableau 1. Enchaînement-modèle de la construction d’un réseau selon la théorie de l’acteur-réseau (Latour, 2006)

Ordre

Enoncé de la phase

1

Identification des actants humains et non-humains du réseau et de leurs porte-paroles éventuels

2

Intéressement des actants

3

Simplification du réseau en gestation

4

Enrôlement et mobilisation des actants

5

Consolidation et pérennisation du réseau

3. Synthèse des principaux résultats

5Dans le cas des documents officiels, l’analyse lexicale a d’abord été réalisée à l’échelle du document stratégique du corridor logistico-portuaire HAROPA, qui constitue une trace de sa naissance, puis à l’échelle des documents stratégiques des ports membres (Le Havre, Rouen et Paris), parus ultérieurement et de manière synchronisée. Cela nous a permis de mettre en évidence le caractère fondateur du document de corridor en montrant son orientation axée sur l’éco-innovation, la diversification et la mise à profit du contexte économique dans lequel se trouvent les ports concernés. La forme documentaire constitue un élément d’unification, avec dans chaque cas, en décomposition macroscopique, un volet plutôt économico-opérationnel et un volet plutôt socio-environnemental. Nous observons une répartition des compétences souhaitée entre la méta-organisation HAROPA et ses membres : le document de la méta-organisation du corridor présente des groupes lexicaux liés à l’éco-innovation, à la communication publique et au tourisme peu abordés par les documents des membres, qui abordent plus spécifiquement des thèmes comme l’aménagement et l’impact écosystémique, davantage liés à l’identité des ports. Au vu des documents des autorités portuaires membres, cette répartition des compétences stratégiques entre corridor et ports membres présente quelques limites, en particulier sur le plan des actions concernant le développement du transport multimodal par rail ou fleuve depuis et vers les ports. Cet aspect, qui inclut naturellement la participation importante du secteur privé (armateurs, transporteurs, commissionnaires…) et des administrations compétentes en termes d’aménagement du territoire (Etat, régions…), est un domaine dans lequel autorités portuaires et autorité de corridor se montrent chacun comme étant en position de leadership, mais sans permettre de déterminer les rôles de chacun de ces deux types d’organisation dans le « comment » de ce leadership. La répartition des rôles est apparue comme floue.

6L’analyse thématique portant sur les documents officiels met en évidence le rôle de la fiction dans la phase d’initiation du processus d’incarnation du fait organisationnel. En effet, le document stratégique de corridor utilise une fiction projetant le lecteur en 2030 pour améliorer la visibilité et l’anticipation des changements de gestion, facilitant ainsi l’acceptation de ces derniers par les ports et entreprises, tout en supposant que la gouvernance du réseau soit flexible et ne rencontre pas d’oppositions. Nous avons également observé que des concepts assimilables aux biens communs autres que la fiction sont utilisés (portefeuille de transport et d’activités locales, instances de rationalisation, horizons harmonisés de travail, systèmes d’information, indicateurs, structures de projet...). Les biens communs identifiés tout au long de ce travail ont été catégorisés selon quatre types (infrastructurel et matériel, informationnel, institutionnel ou processuel) ainsi que selon la phase qu’ils concernent dans le processus-type de construction des réseaux défini par la théorie de l’acteur-réseau (voir exemples en tableau 2). Enfin, la répartition des compétences apparaît selon les spécialisations des ports en termes de marché : Le Havre se montre plus expert dans le domaine du conteneur tandis que Rouen a davantage d’expertise sur les céréales. Paris apparaît comme plus expert dans le domaine des trafics associés au BTP et dans celui du tourisme.

7Concernant la deuxième source de données, constituée par 31 entretiens, elle a révélé une incarnation du fait organisationnel axée autour des différentes caractéristiques structurelles et pratiques des organes de prise de décision. Sont apparues des incertitudes quant aux prises de décision à l’échelle du corridor et quant à la capacité de la méta-organisation de corridor logistico-portuaire à contribuer à la gestion des contraintes opérationnelles de transport. Autrement dit nous avons observé, à des degrés divers selon les types d’acteurs de la vie portuaire, une visibilité limitée des actions et du pouvoir de la méta-organisation de corridor logistico-portuaire.

8Pour cause de contrainte techniques, l’analyse lexicale n’a été effectuée que sur les catégories organisationnelles donnant une fiabilité d’analyse satisfaisante (la fiabilité dépend notamment de la longueur des données textuelles utilisées). Nous avons ainsi constaté que la perception du processus de performation du corridor logistico-portuaire (l’incarnation de son fait organisationnel) change énormément selon le type d’acteur. En particulier, nous observons une tendance des représentants du secteur public à adopter une vision de l’organisation du corridor très prospective et orientée projet tandis que les thématiques identifiées chez les représentants du secteur privé sont plutôt liées à leur fonctionnement opérationnel et à une forme d’attentisme sur le plan des contraintes administratives, contraintes ne dépendant pas toujours de la structure de corridor (Desplebin et Houllier-Guilbert, 2017).

9Dans l’analyse thématique des entretiens, ces différences de perception ont été mises en évidence avec plus de précision et ce en permettant d’aborder davantage de catégories organisationnelles, l’analyse thématique n’étant pas conditionnée par les mêmes contraintes techniques que l’analyse lexicale. Il en ressort que le fait organisationnel du corridor se manifeste au travers d’un ensemble d’outils assimilables à des biens communs et très variés (matériels tels que les infrastructures, informationnels tels que les systèmes d’information communautaires, institutionnels tels que la documentation et les programmes de financement et processuels tels que les groupes de travail permanents ou les structures de projets (voir tableau 2) mais sur lesquels la méta-organisation du corridor logistico-portuaire n’a pas toujours le contrôle : elle ne dispose pas de la compétence formelle de gestion et de pilotage. En effet, dans le cadre d’une politique de corridor, les projets et ambitions concernant les biens communs dépassent à la fois les limites des compétences de la méta-organisation et les limites des compétences des différentes parties prenantes (ports membres, régions, Etat, entreprises, fédérations, gestionnaires d’infrastructure…). Ce manque de contrôle freine le processus de performation et tend à rendre la perception du fait organisationnel du corridor plus floue. De plus, il est apparu que les biens communs des différentes catégories sont, dans certains secteurs, mal connus par les personnes interrogées, ce qui influe sur leur perception du processus et sur la perception positive ou négative des méta-organisations de corridor telles que HAROPA. Par exemple, les douanes développent une perception très positive tandis que le monde du transit et les fédérations patronales se montrent plus réservés. En outre, l’analyse thématique a montré un fort impact des échelles géographiques auxquelles les différents types d’acteurs raisonnent sur leur perception du phénomène de performation du corridor : les entités qui raisonnent à la même échelle géographique que le corridor se sentent davantage concernés et impliqués tandis que celles qui raisonnent à une échelle plus large ou plus petite se sentent nettement moins concernées.

Tableau 2. Exemples de biens communs identifiés et caractérisés lors des analyses thématiques

Enoncé du concept assimilable à un bien commun

Phase de la construction du réseau

Type de bien commun

Scénarisation des sources d’incertitude contextuelle

Identification des actants

Informationnel

Organes de réflexion collaboratifs thématiques permanents du corridor (Groupes de travail)

Enrôlement/mobilisation

Processuel

Mise en place d’objectifs de portefeuille à l’échelle du territoire

Intéressement

Institutionnel

Argent public et programmes de financement (ex : Réseaux transeuropéens RTE-T)

Intéressement

Institutionnel

Infrastructures de transport

Intéressement et enrôlement/mobilisation

Matériel

Outils de communication institutionnelle de corridor (sites, magazines dédiés, évènements…)

Intéressement et pérennisation

Processuel et institutionnel

Projets d’aménagement

Enrôlement/mobilisation

Processuel

Cargo community systems et systèmes d’information partagés liés à la marchandise

Simplification du réseau

Informationnel

Terminaux et foncier portuaire

Intéressement et enrôlement/mobilisation

Matériel

Chartes RSE

Pérennisation

Institutionnel

La méta-organisation du corridor elle-même

Toutes les phases

Institutionnel

Projets de filière

Intéressement et enrôlement/mobilisation

Processuel

Certifications et labels

Intéressement et pérennisation

Institutionnel

4. Apports académiques

10Un premier apport de cette thèse est la modélisation des méta-organisations territorialisées en tant que processus. Ce modèle a été construit à partir de la théorie de l’acteur-réseau et de la théorie des biens communs afin d’alimenter la théorie des méta-organisations. Nous avons pu observer que la concrétisation de l’organisation faite par l’action des structures telles que HAROPA repose sur un ensemble de biens communs aussi divers que l’infrastructure, les systèmes d’information, les groupes de travail, les projets, les acronymes et l’argent public. Nous avons aussi constaté que ces biens communs présentent des limites liées en grande partie à leur capacité à être perçus par les différentes catégories d’organisations mobilisées dans le processus de méta-organisation. Ainsi, nous avons pu voir que la gouvernance d’une méta-organisation repose davantage sur un ensemble de biens communs judicieusement coordonnés que sur une simple structure administrative. Une autre contribution est l’apport d’une cartographie des rôles montrant l’existence d’une forme de répartition des rôles entre méta-organisation (exemple : HAROPA), ports membres (exemple : le Grand Port Maritime du Havre) et environnement organisationnel proche (exemple : armateurs, compagnies ferroviaires), répartition obéissant au principe de subsidiarité sauf pour certaines tâches (notamment l’intermodalité et l’infrastructure) qui mobilisent à la fois la méta-organisation et les membres. Les biens communs de type institutionnel et processuel permettent à la méta-organisation de créer un intermédiaire entre bureaucratie et libéralisation pour développer un moyen d’organisation souple.

11En termes de mise en lien de la méta-organisation avec cet autre type de réseau qu’est la chaîne logistique, nous avons constaté un rôle d’initiation de la relation entre chaîne logistique, entreprises locales et territoires, notamment en permettant des opérations commerciales évènementielles conjointes. Ce volet de l’attraction des chaînes logistiques par le corridor est complété par le recours à une diversification de la valorisation du bien commun foncier, en particulier via l’éco-innovation, qui se manifeste ainsi au travers d’une contribution des groupements tels que HAROPA à l’évolution des pratiques, passant du supply chain management au green supply chain management (management des chaînes logistiques intégrant un objectif de faible impact environnemental).

12Enfin, une contribution est apportée simultanément à la théorie des biens communs et à la théorie de l’acteur-réseau par notre travail. En effet, si la théorie de l’acteur-réseau fournit un modèle de base du processus de formation d’un réseau (voir tableau 1), nous proposons à la lumière du cas des corridors l’ajout d’un élément à ce modèle : parmi les différentes phases de la formation d’un réseau, nous avons constaté que la phase d’enrôlement et mobilisation des actants interagit avec une phase de perception du processus et qu’il peut y avoir plusieurs allers et retours entre ces deux phases.

5. Apports managériaux

13Notre travail de thèse a permis de réaliser un certain nombre d’apports managériaux à l’usage des corridors logistico-portuaires et du monde politique. HAROPA ayant constitué le cas d’étude le plus abordé, ces apports sont tout à fait pertinents pour la place portuaire havraise et les ports de la vallée de la Seine. Ils portent en premier lieu sur la gestion de la gouvernance du groupement interportuaire, nécessittant un rapprochement de la structure de gouvernance avec les activités du secteur privé qui constituent un environnement proche de la méta-organisation. Concernant Le Havre et la vallée de Seine, cet élément prend actuellement une nouvelle dimension dans le cadre de la récente décision de fusion des autorités portuaires membres de HAROPA. La méta-organisation y apparaît désormais comme le vecteur de transition vers la fusion et un moyen d’en tester les modalités.

14Pour l’aspect Gestion de projet, nous avons observé l’importance de l’anticipation et les sources de blocage administratives et opérationnelles, anticipation actuellement peu présente, ainsi que la nécessité d’un dimensionnement judicieux des projets en vue de la captation de fonds européens.

15Au regard des points de vue des différents acteurs, nous proposons aussi, contrairement à la tendance actuelle de concentration des financements au détriment du local, l’inclusion des réseaux de transport ferroviaire et fluvial capillaires (canaux et lignes ferroviaires d’intérêt local périphériques aux corridors et connectant néanmoins des clients) et inter-bassins (liaisons entre corridors) dans le raisonnement de planification des financements car ces éléments alimentent les grandes infrastructures, ces installations contribuant à alimenter en flux les corridors. Il convient donc d’assurer par subsidiarité, des financements conjoints de ces installations complémentaires par les autorités locales ou régionales compétentes. D’une manière plus générale, sur le plan des financements infrastructurels, ces derniers devraient être associés à une bonne préparation de l’exploitation future.

16Un autre apport managérial est la mise en évidence du besoin de gestion de la perception de la politique de corridor par les entreprises et les administrations du territoire du corridor. L’enjeu est de détecter et d’éviter le développement de perceptions négatives peu ou mal fondées. Il s’agit ici d’un domaine où l’action risque d’être difficile tant le ressenti d’un évènement peut changer d’une personne à une autre.

17Enfin, la gestion de la multimodalité est contrainte non seulement par l’infrastructure (vision couramment admise), mais aussi par une certaine ignorance des logisticiens concernant les outils et méthodes mobilisables en la matière et par l’inertie des habitudes méthodologiques de supply chain management. Cela souligne un besoin majeur de formation des logisticiens en matière d’intermodalité. La gestion de l’information du suivi des flux gagnerait, quant à elle, à être davantage unifiée et complétée par des données externes pour permettre d’analyser des données au-delà du déclaratif (en allant vers l’optimisation collective et la gestion collective de données), ce qui impose une gestion neutre, pratiquée par la méta-organisation de corridor et une adaptation de la législation relative aux données d’entreprise face aux éventuels cas de litiges. Il s’agit là d’une innovation susceptible de marquer un tournant dans l’histoire portuaire havraise.

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Notes

1 L’arrière-pays ou l’hinterland est défini comme étant « la portion de l’espace terrestre dans laquelle le port vend ses services et, par conséquent, recrute sa clientèle » (Vigarié, 1979, p.171). En terme abstrait, le concept traditionnel de l’arrière-pays se conçoit comme la zone dont le contour est une ligne continue délimitant l’influence économique du port sur le rivage (Ferrari et al., 2011). Sous l’impulsion du développement des réseaux de transport terrestres, les ports sont de plus en plus, et depuis de nombreuses années, des points substituables dans un réseau global plutôt que des portes d’entrée et sortie d’un arrière-pays captif, en particulier pour le trafic stratégique des conteneurs.

2 Les ports sont constitués de plusieurs types d’acteurs : l’autorité portuaire, instance de gouvernance formelle instaurée par l’État et globalement en charge des infrastructures, de la sécurité et de la location d’un certain nombre de superstructures ; les entreprises, impliquées dans les prestations de service logistique ou clients de ces services (ex : industries) ; et un ensemble varié d’acteurs institutionnels et administratif (e.g. douanes). Pour rendre compte de cette diversité, un échantillon de top managers issu d’organisations variées a été interrogé.

Pour citer ce document

Antoine Kauffmann, « Résumé de thèse. De la gouvernance portuaire havraise vers la gouvernance de corridor : conséquences organisationnelles » dans © Revue Marketing Territorial, 7 / été 2021

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=640.

Quelques mots à propos de :  Antoine Kauffmann

Docteur en sciences de gestion de l’Université Le Havre Normandie, Antoine Kauffmann est maître de conférences au sein du département Gestion Logistique et Transport de l’IUT du Havre depuis 2019. Au sein du laboratoire NIMEC, il effectue des recherches focalisées sur la logistique et le supply chain management. Ses travaux portent principalement sur la gouvernance portuaire, le transport intermodal et l’étude de la supply chain durable. Ces travaux ont été présentés lors de colloques régionaux, nationaux et internationaux. Sa thèse s’intitule « La contribution des biens communs à la performation des méta-organisations : le cas des corridors logistico-portuaires ».