Mazarinades et territoires

Premier numéro

Volume dirigé par Stéphane Haffemayer et Patrick Rebollar

Published by Stéphane Haffemayer and Patrick Rebollar

Mazarinades et territoires

La Muse dialectale (et frondeuse ?) de l’imprimeur-poète rouennais David Ferrand (1589-1660)

Jean-Dominique Mellot


Texte intégral

1Dans la vaste enquête à laquelle nous a invité(e)s le colloque Mazarinades et territoires tenu à Rouen, l’imprimeur et poète David Ferrand fait incontestablement figure de « régional de l’étape ». Nombreux sont ceux à Rouen qui connaissent au moins le nom de David Ferrand – dont une rue porte le nom rive gauche depuis 1899 –, voire même le titre de sa principale production, la Muse normande. Cette Muse, de fait, n’est pas sans importance pour le patrimoine de la Normandie : il s’agit en effet de la première œuvre non anonyme écrite et imprimée – pour sa majeure partie – en dialecte normand1. En l’occurrence le patois des ouvriers drapiers de Rouen, les purins (purin venant du verbe purer, « faire égoutter » les étoffes), un patois qui se rattache au cauchois et aux parlers normanno-picards en usage au nord de la fameuse « ligne Joret2 » partageant en deux groupes les dialectes de Normandie. Toutefois l’intérêt de l’œuvre de David Ferrand n’est pas, tant s’en faut, seulement linguistique. C’est également un exceptionnel matériau historique.

Origines et débuts d’un imprimeur-poète rouennais

2Aussi, avant de chercher à déterminer dans quelle mesure l’imprimeur-poète, à travers ses écrits, a pris part ou non à la « Fronde des mots », il est utile de resituer brièvement le personnage dans son contexte3. David Ferrand est un pur produit du monde artisanal rouennais et de l’espèce d’osmose confessionnelle qui caractérise les professions locales du livre entre édit de Nantes et Révocation4. Jusqu’à une date récente, les origines du personnage n’étaient pas établies avec certitude. Historiens et bibliographes, dont moi-même, l’avaient initialement fait naître en 1590 ou 1591 d’après l’âge qu’on lui donnait à son décès (environ 70 ans le 29 juin 1660) et le supposaient apparenté à un premier David Ferrand libraire5. Or on sait aujourd’hui qu’il a été baptisé le 7 juin 1589 dans la populeuse paroisse Saint-Maclou de Rouen6 et qu’il est bel et bien le fils d’un premier David Ferrand dit l’Aîné. Ce David I Ferrand, lui, avait reçu le baptême le 14 janvier 1564 au temple de Quevilly, lieu de culte des protestants rouennais, et s’était probablement converti par la suite au catholicisme, religion dans laquelle naîtront ses enfants. David I, qui exerce en qualité de libraire de 1594 à sa mort en avril 1637, n’est pas, à notre connaissance, le premier de la prolifique lignée Ferrand à faire carrière dans les métiers du livre rouennais7. Avant lui un Pierre (I) Ferrand est attesté imprimeur à Rouen entre 1579 et 1583, et un Jean Ferrand, né vers 1555, et frère aîné de David I, exerce jusqu’à sa mort en décembre 1605 – resté protestant à la différence de David I, ce Jean Ferrand est alors inhumé au temple de Quevilly. Au total, pas moins de 31 représentants masculins et féminins de la famille Ferrand vont s’illustrer dans la librairie rouennaise, du dernier quart du xvie siècle jusqu’à la Restauration, plus exactement jusqu’en 1821, date à laquelle la veuve de Jacques III Ferrand, Marguerite-Victoire-Dorothée Le Fresne, cesse d’exercer. Près de 250 ans d’imprimeurs et de libraires Ferrand, c’est un record à l’échelle de Rouen, où pourtant les grandes dynasties pluriséculaires n’ont pas manqué (Behourt, Besongne, Dumesnil, Lallemant, Le Boullenger, Machuel, Oursel, Viret8…).

3David II Ferrand (le nôtre), ne se distingue donc ni par l’originalité de son parcours professionnel ni par une quelconque mobilité. Il se caractérise au contraire par un solide ancrage local, familial et corporatif. Bien enraciné et estimé dans la corporation du livre, et établi à partir de 1621 rue aux Juifs, le long du Palais, principal centre de la librairie rouennaise à partir du xviisiècle, il n’est cependant pas l’imprimeur attitré d’une institution. Cela dit, à l’image de son père, on l’élit à plusieurs reprises garde de la communauté des imprimeurs, libraires et relieurs de Rouen – en l’occurrence en 1624, 1632, 1638 et 1652. Contrairement à ce qui a pu être écrit sur son compte, ce n’est pas à proprement parler un « petit imprimeur9 », en tout cas à l’échelle de Rouen. Durant ses 45 années de carrière, entre 1615 et 1660, il produit plus de 160 éditions, littéraires entre autres, dont la majorité il est vrai ne brille pas particulièrement par la qualité typographique ou ornementale10.

4Ce qui indéniablement signale David Ferrand à l’attention, c’est, outre son mariage avec la sœur du peintre rouennais Jean de Saint-Igny11, son goût pour les lettres et la poésie en particulier, tout à la fois en tant qu’éditeur et en tant qu’auteur. À la fin de sa vie, en tête de son Inventaire general de la Muse normande (1655), il prétendra : « Je ne suis qu’un ignorant / Qui n’a jamais eu nulle estude. » Mais cette assertion paraît fort suspecte. Elle est démentie d’abord par l’aisance avec laquelle, dans son œuvre, il manie l’art du pastiche, les références littéraires12, la mythologie gréco-romaine et le latin – en 1641, il est même l’auteur et éditeur des Figures des Metamorphoses d’Ovide sommairement descrites, en vers françois sous chaque figure13. D’autre part, les évocations, précises et bien senties, de la vie des collégiens et de leurs exercices abondent dans la Muse normande, ce qui laisse supposer que son auteur a fréquenté l’important collège des jésuites de Rouen, probablement même plusieurs années durant.

5À une époque où la maîtrise de la lecture et de l’écriture peut laisser à désirer jusque dans les métiers du livre, David Ferrand, qui est bien « frotté de lettres », occupe donc une position éminente. Il n’est certes pas le seul dans ce cas. À Rouen, parmi les professionnels les plus cultivés figurent Richard II (15..-1641) et Richard III Lallemant (1608?-1690), imprimeurs-libraires des pères jésuites, connus pour leur maîtrise du latin et des humanités. Plus notables encore sont Raphaël Du Petit Val (15..-1613) puis son fils David (159.?-1658), imprimeurs du Roi, éditeurs et amateurs de belles-lettres mais aussi poètes à leurs heures14. David Du Petit Val remporte même chaque année une récompense au concours de poésie des Palinods de Rouen entre 1624 et 1633. On sait qu’il préside également le jury d’examen de latin pour la réception des nouveaux apprentis15.

6En matière de poésie, David Ferrand brille dans un registre moins officiel que les Du Petit Val. À ses débuts, cela d’ailleurs lui vaut des démêlés avec la justice. Le 18 février 1616 – il est âgé de 26 ans –, le bailliage de Rouen le condamne à une lourde amende de 25 livres tournois pour avoir « composé et imprimé » le libelle Les Lucrèces à contrepoil, prétendument « rempli de paroles scandaleuses, lascives et deshonnestes ». Un an plus tard, le 15 mars 1617, il est à nouveau condamné à une amende, de 6 livres seulement « vu sa longue détention », pour Les Chardonnerettes plaintives, libelle diffamatoire à l’égard d’un sergent royal. Le 21 janvier 1620, le bailliage le met à nouveau à l’amende, en compagnie d’un autre libraire, pour la publication d’un occasionnel sans permission et paru sous la fausse adresse de « Prague16 ». Mais on le voit aussi, à la même époque et sur une base plus consensuelle, composer en 1615 une ode dédiée à l’auteur des Facesieuses Paradoxes de Bruscambille & autres discours comiques dans l’édition publiée par son confrère Thomas Mallard. En 1616, il écrit et imprime La Resjouissance de la Normandie sur l’heureux triomphe de la paix. Dediee aux douze capitaines de la ville de Rouen. Il s’est donc assagi et sait désormais éviter les satires virulentes qui peuvent lui attirer des ennuis. Il ira même jusqu’à prétendre, dans la Vingtiesme Partie de la Muse normande, en 1644 : « J’aymerez mieux perdre la vie / Que d’aver offencé queuqu’un. » Mais les poursuites qui ont émaillé ses débuts ne l’ont dissuadé ni d’imprimer ou de composer de la poésie, ni de s’intéresser à l’actualité, ni de célébrer sa patrie de façon originale, en l’occurrence avec une verve récréative et le plus souvent patoisante. C’est même ce qui va devenir sa marque de fabrique avec les livraisons successives de sa Muse normande à partir de 1625. Porté par la vogue du burlesque et du facétieux particulièrement en faveur dans l’édition rouennaise, il trouve là une forme idéale pour se faire le chroniqueur de sa ville et de son époque.

Des Palinods de Rouen au cycle de la Muse normande : le succès d’un burlesque critique et dialectal

7David Ferrand est déjà un poète connu sinon reconnu au plan local quand il commence, au plus tard en 1622, à participer au concours des Palinods ou « Puy de la Conception de la Vierge ». Cette fête littéraire, attestée depuis 1486 à Rouen, avait lieu le dimanche suivant la fête de la Conception de la Vierge ou « fête aux Normands », le 8 décembre. Elle était présidée par un « prince du Puy », haut personnage laïc ou ecclésiastique qui finançait les festivités, notamment le banquet final. Tout d’abord, un docteur choisi par le prince prononçait un discours en l’honneur de la Vierge, puis les lauréats de l’année précédente lisaient un poème en français ou en latin pour rendre grâce. Le concours s’ouvrait ensuite à 15 ou 16 candidats venus lire leurs compositions, les « chants royaux » (« cants ryaux » en normand) célébrant la Vierge et sa protection, sur une ligne palinodique (sorte de refrain) choisie par le prince. Un jury délibérait et attribuait des récompenses. Après quoi, la coutume permettait qu’aux chants royaux succèdent des poésies plus profanes et plus joviales – « la riseye », en normand. Le soir, un banquet était donné aux participants. Puis le lendemain lundi, les lectures de poèmes pouvaient se poursuivre. David Ferrand a fait mieux que se couler dans cette tradition profane. Et le succès de ses compositions facétieuses en langage purin, lues à la fin des Palinods, l’a bientôt incité à les constituer en recueil plus ou moins annuel, sur le modèle des pièces sacrées du même concours17. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, le poète n’oublie alors pas qu’il est imprimeur, et le voilà qui s’autoédite, gagnant par l’écrit imprimé un public bien plus large et pérenne que celui des seuls Palinods.

8De 1625 à 1653, il va publier pas moins de 31 parties en 28 livrets de la Muse normande ou Recueil de plusieurs ouvrages facecieux en langue purinique ou gros normand, soit un total de quelque 300 poèmes en 18 000 vers, de son cru pour la plupart. Il les condensera en 1655 en un Inventaire general de la Muse normande comptant 8 500 vers, après élimination de pièces redondantes ou portant sur des faits divers oubliés entre-temps. Dans ce vaste cycle, que trouve-t-on ? La critique bien-pensante du xixe siècle a voulu y voir surtout mauvais goût et grossièreté18 : thèmes bachiques, bombances et beuveries, crudité rabelaisienne, bagarres et grabus (grabuges, en normand), poésie grivoise19, voire parfois scatologique20 – ce qui pourtant n’était guère original avant l’âge classique. Le tout assaisonné d’un dialecte que certains ont pu croire, à tort, étranger au normand, artificiel21 et destiné à donner le change pour euphémiser la licence du propos.

9En fait, au-delà de l’anecdote très locale et du fait divers comique, ce qui alimente la Muse normande, c’est une certaine vision de l’actualité, y compris politique même si cela n’est pas nécessairement perceptible de prime abord. Comme le remarque Alexandre Héron dans son introduction à la Muse (t. I, p. XCVI), « David Ferrand est à la recherche de l’actualité », « aussi bien qu’un journaliste de notre temps », ajoute-t-il. De fait, étant l’un des éditeurs associés du premier périodique de Rouen, Le Courrier universel22, à partir de 1632, l’imprimeur-libraire Ferrand se tient particulièrement bien informé des événements de portée nationale et internationale. Il reste cependant fort circonspect vis-à-vis des gazettes qui monopolisent l’information. Plus d’une fois on le voit commenter ou même critiquer le contenu et l’influence jugée excessive de la Gazette de Théophraste Renaudot qui incarne le discours officiel. Il écrit par exemple en 1633 : « Mais je vais [i. e. vois] autrement sans aver de lunettes / Et juge à men chervel que pour estre yeuxstimé / Y ne faut maintenant que luire les gazettes. »23 Au discours de « Madame la Gazette », comme il la surnomme péjorativement à plusieurs reprises24, il oppose fréquemment le bon sens critique du quemun ou de la quemune, autrement dit du menu peuple, des gens du commun. Ceux dont il aime répercuter le fratel ou fretel (conversation, bavardage) tout au long de sa Muse. Ceux qui se retrouvent à la boise (banc public) du quartier Saint-Nicaise pour échanger nouvelles et idées25.

10Nombre de pièces de la Muse normande s’apparentent ainsi à une appropriation locale, ou plutôt à un « décryptage » local et dialectal de l’actualité nationale. Le narrateur est censé avoir reçu une information et y réagir à l’aune de « sen chervel » (sa cervelle) et avec la sincérité du parler populaire. Que ce soit pour célébrer les victoires des armées du roi contre l’Espagne, les défaites des Anglais à l’île de Ré et devant La Rochelle en 1628, les déboires des protestants, ou encore la paix de Westphalie en 1648. Quant à la couverture des événements relatifs à Rouen et à la Normandie, elle est d’autant plus précieuse dans la Muse qu’elle n’a pas son équivalent dans la Gazette de Renaudot ou dans les occasionnels officiels. D’où la fierté de l’auteur de la Muse normande qui présente « ce petit ouvrage » comme « un grand miroir où l’on peut voir toutes les actions du temps present26 ». Par exemple, lorsqu’il s’agit de la peste de Rouen en 1648-165027, de la cherté de telle ou telle denrée (vin, bois, chandelle, pain, charbon…), ou de l’« esmotion » (manifestation) des drapiers et d’un millier de leurs ouvriers contre les importations anglaises en 163028. David Ferrand n’a pas été surnommé sans raison le « burlesque Jérémie » de la Normandie par Amable Floquet, le fameux historien du parlement de Rouen29. Dans quantité de poèmes, l’auteur de la Muse normande se plaint à sa façon des calamités qui s’abattent sur la région. Il se fait l’écho des doléances du pauvre peuple des villes et des campagnes, accablé par le « Grand Party » des collecteurs d’impôts30 et en butte aux vexations de la « Soudrille » (la soldatesque, en normand) qui vient hanter le pays comme si ce dernier était conquis. Le poète cible parfois les deux fléaux dans une même complainte, ainsi en 1636 :

Et vous ossi povres manans qui estes
Le portefaix des guerres et debats,
Et le burin [i. e. le terrain] des sansuës secrettes
Qui vont suchant par phas et nephas
Journellement le labeur de vos bras :
Quand vo voyais toute la pillerie
De maints soudars, aveuq la mengerie
Qui se commet aux tailles et taillon
Et autres maux que je ne veux decrire31

11On pourrait en conclure que Ferrand tend à se faire le constant et truculent porte-voix de la contestation populaire. La chose est à nuancer très fortement, comme l’a fait jadis Alexandre Héron dans son introduction à la Muse normande, et comme l’a démontré plus récemment Catherine Bougy dans un article sur « La contestation du pouvoir dans La Muse normande de David Ferrand32 ». S’il se fait l’interprète de la misère du peuple et soutient sincèrement ses intérêts avec un langage qui est proche du sien, il n’est pas prêt à justifier n’importe quel grabus ou débordement. C’est flagrant lors de la révolte des Nu-Pieds, en 1639, où il est loin de prendre fait et cause pour les émeutiers. Voici ce qu’il écrit, et qui plus est non en purin mais en français ordinaire :

Que diroit-on de la mutinerie
De ces coquins le rebut et la lie
Des plus meschans et des plus factieux
Et qui n’aymant que la pillerie
Voudroient brouiller l’air, la terre et les cieux.
Je croy pour moy que je ferois offence
De mettre au jour toute leur insolence.
On doit leurs faits abolir plainement
Et les punir d’une peine exemplaire33.

12Il fait plus, en l’occurrence, qu’obéir au prince des Palinods de cette année-là, Jacques Des Hommetz, conseiller en la Chambre des comptes de Normandie, qui avait simplement recommandé aux poètes de ne pas faire mention du tumulte par crainte des conséquences34. En revanche, David Ferrand ne se privera pas l’année suivante de dénoncer les méfaits de la soldatesque mise en garnison à Rouen (pas moins de neuf régiments) par le colonel Jean de Gassion (1609-1647), envoyé par le chancelier Pierre Séguier en Normandie pour y réprimer sévèrement la révolte – « les Gassion, qui venest de l’Artois / Et où Dieu sçait comme a fut mal menée. / Depis, j’ay dit tousjours en mon patois : / J’ay tout perdu, ma povre asne est ernée [i. e. éreintée]35 ».

13David Ferrand se présente systématiquement comme un patriote et un loyal sujet. Il ne cache pas l’admiration et la confiance qu’il place dans le roi de France : « Sacré Louys, écrit-il, notte Erculle fidelle / Nou no fiquons souz l’abry de te z’elle », autrement dit « nous nous plaçons à l’abri de tes ailes36 ». Le roi apparaît dans la Muse comme l’ultime et sincère recours face aux abus, l’idée étant, assez classiquement, que la Cour et les responsables politiques qui l’entourent le tiennent éloigné des réalités locales. Or David Ferrand est aussi un Normand qui raisonne à l’échelle des intérêts de sa province et s’en remet prioritairement aux institutions qui en sont les plus proches. Outre la coutume de Normandie et la mythique « Charte aux Normands » du xive siècle37, ces institutions s’incarnent dans deux figures tutélaires : les magistrats du parlement siégeant à Rouen et le gouverneur de Normandie depuis 1619, le duc de Longueville, Henri II d’Orléans (1595-1663), grand féodal fort d’une très nombreuse clientèle, petit-neveu et filleul d’Henri IV et descendant du fameux Dunois, bâtard d’Orléans, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc. Ce sont ces pouvoirs de proximité qu’invoque la Muse normande lorsqu’il s’agit de résoudre une crise affectant Rouen et sa province38. Et ce, d’autant plus que les représentants de ces pouvoirs forment la clientèle et le lectorat de l’imprimeur-libraire Ferrand de même que le public du poète Ferrand aux Palinods. C’est là, me semble-t-il, l’une des clefs permettant d’expliquer la position apparemment fluctuante de David Ferrand pendant la Fronde et ses rebondissements successifs.

14Pour en juger, venons-en précisément à l’époque de la Fronde, dont on présentera ci-après chronologiquement la couverture qu’en a donnée la Muse normande.

La Muse normande en 1648 : rejet aussi bien de la Fronde parisienne que de la soldatesque cantonnée à Rouen

15En 1648, dans la Vingt-cinquiesme Partie de la Muse normande, le poète commence, dans la « Lettre de consequence du fieux Ytace enveyée à sen pere… »39, par se montrer à la fois très circonspect et très moqueur vis-à-vis de ce qu’il appelle l’Esmotion parisienne, autrement dit la journée des Barricades du 26 août 1648, dont son personnage d’étudiant livre un récit burlesque. Le parlement de Normandie étant tenté d’unir ses revendications à celles du parlement de Paris, la Muse montre bien un certain faible pour le conseiller Pierre Broussel : « Je le louais ainchi qu’astre de Republique. » Toutefois Ferrand ajoute aussitôt : « Mais je disez ossi : le Soleil est plus grand », comprendre le Roi-Soleil. De plus, déplore-t-il, « ch’est un horrible brit que d’une populace ». Quant au cardinal Mazarin, il est présenté par une périphrase flatteuse à la fin du même récit : « Mais mogré tous les vents […] / Sen pilote prudent en reste le plus fort. » Rien de frondeur là-dedans, même si l’auteur de la Muse normande vitupère un peu plus tard, dans sa ballade « Sur le temps qu’o veit ichite40 », contre les violences et dégâts commis par la soldatesque – en l’occurrence 22 compagnies du régiment du duc d’Orléans, logées à Rouen et à ses abords, en novembre et décembre 164841 :

[…] L’ennemy ne no pourret faire
Plus de peine & plus de travaux
Quand che vient le sair [i. e. soir] qui [les soudards] sont saux [i. e. soûls]
Y n’espargnent femme ny fille. »

16Et d’ajouter dans l’envoi final :

Plaise à Dieu qu’avant les Gattiaux [i. e. la galette des Rois]
Vienne Monsieur de Longueville
Pour punir comme criminiaux
Les grabus que font la Soudrille.

17Le message de la Muse est donc clair : si quelqu’un doit venir remettre de l’ordre à Rouen et aux alentours, c’est le gouverneur de Normandie – qui entre-temps a présidé aux négociations de la paix de Westphalie –, et non un général horsain mandaté par la Cour, comme le fut en 1640 Gassion, qui a laissé un si exécrable souvenir. La « Fronde ducale », décisive en Normandie comme l’a bien vu le regretté Alain Hugon42, trouve là sa justification.

1649 : l’incorrigible antimilitarisme de David Ferrand ?

18Dans la Vingt-sixiesme Partie de la Muse normande, datée 1650 mais portant sur l’année 1649, David Ferrand est visiblement plus mal à l’aise. Ce que l’on peut comprendre compte tenu des événements de cette année. Le fait que cette partie soit dédiée « au grand Beuvron, prince du Puy, / Afin qu’il serve d’appuy », contraint en quelque sorte le poète à sortir de sa réserve, car François II d’Harcourt, marquis de Beuvron (1598-1658), lieutenant général pour la Haute-Normandie, est un soutien du duc et de la duchesse de Longueville. En tête du chapitre, Ferrand prend cependant des précautions qui ne sont sans doute pas seulement oratoires et humoristiques :

J’avais arrestay de n’ecrire
Chen qui se passe dans Roüen.
Mais lugeant [i. e. troublant] me n’entendement
J’avais pur qu’o ne me vint dire
Hay qui l’est calleux [i. e. paresseux]43.

19Et un peu plus loin : « Le tout n’est pas de ma boutique / L’y en a queuqu’une de dehors. » Dans la suite de cette livraison, il évite soigneusement d’évoquer ce qui ressemble de près ou de loin à une guerre civile. D’où un certain nombre de diversions, comme les exploits burlesques du mouqueux de candelle (moucheur de chandelle), personnage récurrent de la Muse, l’inondation de Rouen en janvier 1649, l’abondance du vin, le correcteur du collège tourné en ridicule (« Le Fesseux fessay d’importance »), etc.

20Seule une pièce ose aborder les hostilités liées à la Fronde, en l’occurrence une opération ayant eu lieu entre le 8 et le 10 mars 1649 sur une boucle de la Seine, juste en aval de Rouen. Intitulée « La guerre de Moulineaux, ballade nouvelle », c’est une satire retraçant un épisode controversé de la confrontation entre l’armée normande du duc de Longueville, appuyé par le parlement, et les troupes royales du comte d’Harcourt, nommé gouverneur en lieu et place de Longueville – ces dernières troupes étant basées à Pont-de-l’Arche et empêchant toute communication de la Normandie rebelle avec la Fronde parisienne44. En fait il s’agit du récit d’un non-événement. Le duc de Longueville, après avoir massé des troupes pour marcher au secours d’Évreux, apprend entre-temps que le comte d’Harcourt fait mouvement vers Rouen. Il décide alors de se replier pour défendre sa capitale et se refuse à livrer bataille aux forces d’Harcourt qui s’avancent vers lui au village des Moulineaux, sur la rive gauche de la Seine, et menacent le rembarquement de l’infanterie et artillerie normandes à La Bouille – bourg que les hommes d’Harcourt finiront par saccager en représailles. La Muse normande présente sur le mode burlesque l’armée d’occasion des volontaires rouennais partis prêter main forte aux troupes frondeuses à La Bouille :

Le fils aisné de Magdeleine
Ayant en teste un carrapous [i. e. coiffure couvrant les oreilles]
Y couret à perte d’haleine
Su se n’espaule un poutoutoux [i. e. un mousquet]
Brimballant otour ses genoux
Sa rapiere pleine de roüille,
Et sieuvet sans crainte des lou[p]s
Les soudars allans à La Boüille […]
O son de la trompette tous
Y dancet coume la Gargoüille ;
Et ainchin reviendrent sans cou[p]s
Les soudars allant à La Boüille45.

21On reconnaît bien là l’antimilitarisme moqueur récurrent chez David Ferrand. Il n’a rien trouvé de mieux, pour célébrer la paix de Saint-Germain, conclue quelques semaines après cet épisode, que de se réjouir que les troupes d’opérette envoyées de Rouen pour renforcer l’armée rebelle n’aient pas eu à faire usage de leur attirail d’occasion. Dans l’envoi final toutefois, on sent qu’il cherche à tempérer le propos pour ne pas s’aliéner ses protecteurs frondeurs, le duc de Longueville, le marquis de Beuvron, prince du Puy cette année-là, et les magistrats du parlement : « Muse, retiens un peu ta veine / Ne provoque point en courroux / Ces soudars qui prennent la peine / D’aller pour & encontre nous… » « Pour & encontre nous », difficile de ne pas voir là une façon de ménager à la fois la chèvre et le chou, tout en ne se compromettant pas quant à l’issue des troubles. Comme si l’auteur de la Muse était pour ainsi dire contraint à une double allégeance embarrassante : d’une part vis-à-vis du roi, inconditionnellement légitime, et d’autre part vis-à-vis des institutions normandes qui ont pris les armes contre le gouvernement royal pour le bien de la province.

22David Ferrand est-il allé plus loin en cette année 1649 ? Plusieurs auteurs de référence en ont été convaincus. Amable Floquet dans son Histoire du parlement de Normandie46, Édouard Frère dans son Manuel du bibliographe normand47, et Léon de Duranville dans un article sur les mazarinades imprimées à Rouen en 164948 lui ont attribué sans sourciller une pièce de vers parue en français non dialectal et sans nom d’auteur, à Rouen puis à Paris la même année : Le Congé burlesque de l’armée normande. Alexandre Héron, dans son introduction à la Muse normande, est plus circonspect : « Il est permis, écrit-il, de ne voir dans cette attribution qu’une simple hypothèse49. » Quant à Célestin Moreau, dans sa Bibliographie des mazarinades, il a rangé cette pièce parmi les anonymes sans même soulever l’hypothèse Ferrand50. Et on peut comprendre une telle réticence car ce poème raille aussi sévèrement que savoureusement l’armée rebelle du duc de Longueville, en se réjouissant qu’après la paix de Saint-Germain, en avril 1649, le duc, réinvesti gouverneur de Normandie, ait eu à la renvoyer dans ses foyers.

Enfin la paix est de retour :
Adieu donc trompette & tambour
[…]
Adieu l’honneur de Normandie,
Son Altesse vous congedie,
Et vous donne licence à tous,
D’aller boire du sildre doux
[…]
Retirez-vous chez vos parents
[…]
Vos commandeurs vous licentient
Tous nos fauxbourgs vous remercient
[…]
Ou si vous regrettez la guerre,
Allez conquerir l’Angleterre
[…]
Vous paroissiez plus beaux
Quand vous fustes à Moulineaux :
Vantez-vous d’avoir fait merveilles,
Et d’avoir rompu nos oreilles
[…]
Drilles, vrays morpions de Mars,
Ignorans de tous autres arts,
Vieilles reliques de bataille
Où vous ne fistes rien qui vaille
Allez éplucher au soleil
Vos poux ennemis du sommeil
[…]
[Que] chacun retourne à son mestier
De chincher ou de savetier
[…]
Laissez en repos le marchand,
Cessez vos baons & bouteselles
Remettez le cul sur vos selles
[…]
Allez faire du bruit plus loing.

23L’« oracle des Palinods », comme le surnomme Floquet51, se serait-il permis de mettre si directement en cause l’armée d’un prince acclamé de tous à Rouen et célébré pour les résultats de sa « Fronde ducale », notamment la réduction (temporaire) des impositions52 ? Cela paraît improbable, surtout quand on sait que le duc de Longueville sera à nouveau prince du Puy en 1652 et qu’en 1655, en lui dédiant son Inventaire general de la Muse normande, Ferrand proclamera : « Car mon Prince, vous pouvez croire / Que cet ouvrage en son entier / Chante en cent endroits votre gloire. »

24Et pourtant cette satire d’une soldatesque vivant aux crochets de la province – alors qu’elle pourrait être plus utile ailleurs, en Angleterre par exemple où le roi Charles Ier vient d’être exécuté le 1er février 1649 – est tout à fait dans la manière et le registre qu’affectionne David Ferrand. Sans compter qu’il y fait allusion à la guerre des Moulineaux déjà caricaturée dans sa Muse normande cette même année. Enfin, comme dans l’ensemble de la Muse, où ils ont la prédilection du poète, de petits métiers urbains sont mis en scène, tels que les savetiers et les cordonniers, ou plus encore les « chinchers », mot typiquement normand pour désigner les marchands fripiers. Alors, l’incorrigible contempteur de la chose militaire se serait-il permis de dauber sur le ramassis de traîne-rapières infestant la Normandie ? On sait en effet que le duc de Longueville et le parlement de Rouen ont eu de la peine, entre avril et l’été 1649, à débarrasser la province des soldats licenciés et transformés en voleurs de grand chemin53. Il est donc possible que David Ferrand, interprète des misères du peuple, ait tenu à s’en faire l’écho. Mais non sans précaution. Et cela expliquerait que la pièce ait été publiée anonymement et qu’il n’ait pas jugé bon d’incorporer ce morceau dans la Muse. Car c’eût été oublier que ces mouvements de troupes de la Fronde ducale, si gesticulatoires qu’ils aient pu paraître parfois, avaient fait plier la Cour et Mazarin et servi les intérêts, non seulement du duc lui-même et des magistrats du parlement, mais aussi de la province, au moins provisoirement.

1650 : le temps de la « prudence critique »

25En 1650, pour la Vingt-septiesme Partie de la Muse normande54, le contexte diffère sensiblement et incite le poète à redoubler de discrétion. Depuis le 18 janvier 1650, le duc de Longueville, jugé dangereux par la Cour depuis qu’il s’est rapproché de son beau-frère Louis de Condé, a été arrêté sur ordre de Mazarin en compagnie des princes de Condé et de Conti55. Emprisonnés à Vincennes puis à Marcoussis, les trois personnages de marque seront transférés en novembre suivant à la citadelle du Havre. La duchesse de Longueville56, sœur du Grand Condé, qui a réussi à échapper à l’arrestation, tente de soulever la Normandie avec l’aide de nobles et de proches du duc. En vain : le parlement de Rouen oppose à la duchesse un ferme refus, en déclarant s’en tenir aux termes de la paix de Saint-Germain. Du 5 au 20 février 1650, le séjour du jeune roi et de sa mère à Rouen achève de consolider le loyalisme de la province. Le roi est acclamé partout et le parlement fait bon accueil à Mazarin lui-même. Mme de Longueville, déclarée rebelle en mai 1650, a dû s’exiler aux Pays-Bas puis à Stenay auprès du maréchal de Turenne. À la différence de la Guyenne notamment, où l’épouse du prince de Condé57 a réussi à gagner à sa cause le parlement et la population, la Normandie, mis à part quelques complots nobiliaires sporadiques, ne bouge étonnamment plus – comme l’a relevé à juste titre Alain Hugon58. La situation n’est pas pour autant idéale. Au duc de Longueville déchu de ses fonctions de gouverneur a succédé le comte d’Harcourt, dont les gardes multiplient les brutalités et les exactions « aux dépens du peuple » malgré les plaintes du parlement59. C’est peu dire que l’on regrette alors le duc de Longueville, gouverneur de Normandie pendant 30 ans. Néanmoins, rien n’est encore fait d’important afin d’obtenir sa libération et sa réhabilitation.

26La Muse normande, dans ces conditions, évite par tous les moyens d’aborder en 165060 des sujets ayant une quelconque répercussion politique. Quatre pièces seulement de cette livraison sont de David Ferrand, les six restantes étant prétendues « de divers autheurs ». Le grand sujet du moment, c’est la peste qui sévit à Rouen jusqu’en septembre 1650, et a « grippé toute liesse », déclare le poète dans sa Profache. Ferrand consacre aussi à l’épidémie la pièce suivante, en français ordinaire, une Complainte sur les miseres et afflictions de la ville de Rouen. On peut y lire in fine cette prière adressée à Dieu :

Dans ce siecle de malheurs
Pour effacer nostre souffrance
Et fermer l’ecluse à nos pleurs
Donne nous la paix dans la France.
Qu’elle vive sans faction
Dedans son ancienne union61.

27Vœu unanime et qui a le mérite de ne contrarier directement personne. Aucune des autres pièces ne se risque à un commentaire de l’actualité politique. La plupart abordent des thèmes anodins. Deux d’entre elles, une ballade due à la plume de David Ferrand et un « cant rial » composé par un autre poète, anonyme, font un sort au fait divers d’un condamné à mort échappant à la potence en s’enfuyant dans le dédale des rues de Rouen. Un autre « cant ryal », écrit par un tiers, met en scène deux chavetiers rouennais en désaccord sur la véracité d’une nouvelle. Comme souvent dans la Muse normande, c’est à l’interlocuteur invoquant la Gazette de Renaudot que le poète donne tort :

Ne me rompts la chervelle ;
Tu craque[s] [i. e. mens] pu qu’un arracheux de dents,
Je ne te crais [i. e. crois pas]
[…]
Quay ! pense tu aveuque ta Gazette
M’embrenesquer [i. e. souiller, polluer] tout les jours le musel ?
Palle toujour, je ne m’en fais que rire
Et ne dis pu jamais su vieux frestel [i. e. bavardage]62.

28Bien que Ferrand ne soit pas, officiellement du moins, l’auteur de ce texte, on retrouve là une idée particulièrement récurrente chez lui : celle de la nécessaire méfiance populaire locale vis-à-vis des informations sécrétées en haut lieu. En temps de troubles, cette méfiance, en quelque sorte, tient lieu de contestation ; elle relève d’une posture critique vis-à-vis d’un organe officiel d’information, sans pour autant compromettre politiquement le poète.

1651 : une confusion qui impose silence

29À la prudence que commandaient les incertitudes de 1650 succède une non moins grande prudence de la Muse face à la confusion de 1651. À Paris, la Fronde des princes s’est unie à celle du parlement. Le cardinal Mazarin doit céder à la pression et va lui-même au Havre libérer les princes, qui entrent triomphalement à Rouen le 14 février 1651. Mazarin, qui a pu croire un instant se les concilier, n’a fait qu’accroître son impopularité. La capitale a repris les armes. Proscrit par des arrêts des cours souveraines de Paris et de Rouen, le cardinal doit quitter le royaume. Mais le parlement de Normandie n’est pas pour autant décidé à verser dans une nouvelle Fronde. Il sévit contre toute forme d’agitation et, le 23 mars 1651, fait dissoudre les assemblées nobiliaires qui se prononçaient dans la province en faveur des princes63. Le duc de Longueville, rétabli dès le 18 mars 1651 en qualité de gouverneur, est accueilli avec ferveur à Rouen. Il inspire respect et confiance à la noblesse normande. Le parlement, toutefois, redoute que le duc se laisse entraîner dans le parti des princes, qui le courtisent. Mais Longueville, voyant que Condé, en septembre 1651, est prêt à conclure un traité d’alliance avec les Espagnols et à faire appel aux Anglais régicides, refuse de s’engager à ses côtés. Le désordre est à son comble lorsque, le 12 décembre 1651, Mazarin est rappelé par le jeune roi à la tête des affaires64.

30La Vingt-huictiesme Partie de la Muse normande, datée 1651, s’ouvre donc sur une épître « O luisart » particulièrement précautionneuse :

Ma Muse en langue purinique ;
Je te la baille à peu de frais,
De plusieurs sujets je l’assaisonne
Sans vouloir offencer personne
[…]
Je n’ay point voulu m’entre-mettre
D’y enclore, ny encore mettre
Aucunes affaires du temps 
J’ay trouvé qu’il s’en vaut mieux taire
L’y en a tousjours dans ce z’affaires
De contens & de mal contens65.

31Une caricature de sapience normande, en somme. Il n’empêche que le ton général de cette 28e partie n’est guère jovial, mis à part deux ballades récréatives. Deux pièces dans cette livraison prennent la forme d’une complainte. En premier lieu, un « cant rial », « Sur les regrets du bon temps jadis », très pessimiste, où l’on peut lire : « Où est la saison où vivest nos grands peres ? / Si revenest, y verrest à present / D’un siecle d’or un siecle de misere / No ne vait pu rien que chicanerie, / Que vol, larchin & supersticherie [i. e. supercherie, mauvaise foi]66. » La ballade qui suit porte sur les pénuries et la cherté de la vie et s’intitule très significativement « Le bon temps est dedans la biere ». L’humeur n’est décidément pas à la fête. Et ce d’autant moins que cette année-là, comme par hasard, le concours des Palinods est dépourvu de prince et par conséquent de banquet final. David Ferrand ne manque pas de le déplorer dans un autre « cant rial », « Sur la desollation de Naudin dans la disette du Palinot » :

Ch’etet bien mieux dans le festin antique ;
Pas un rimeux n’etet melancolique […]
Mais à present que ste fete publique
Faute de prinche67 est un ptiot mecanique […]
Aux Palinots Naudin a la pepie68.

32À deux reprises seulement la Muse normande de 1651 évoque l’actualité politique. Tout d’abord indirectement, à la faveur d’un « chant royal » en français intitulé « D’un petit bras une grande puissance ». À travers une allégorie de David venant à bout de Goliath, David Ferrand y suggère qu’en ces temps menaçants la seule véritable espérance réside dans le jeune roi, devenu officiellement majeur, à 13 ans, en septembre 1651 :

Mon Louys, grand roy qui tous les roys excelle,
Voy ton païs ; jusques à La Rochelle
Ton bras vaincra les monstres furieux
Dieu te promet une paix immortelle69.

33Un peu plus loin, dans un conte moralisant inspiré par un fait divers, un autre passage se rapporte à la situation du pays. Le poète y met en scène deux hommes du peuple dont la conversation – procédé de ventriloquie sociale dominant dans la Muse – traduit le trouble des esprits. Le premier exprime ses appréhensions :

Je crains coume à la Ligue une guerre civile
Que me n’ante [i. e. ma tante] jadis desrenglet [i. e. racontait] bout à bout,
Où ch’est que le soldat tuë, violle & pille ;
Le riche en devient povre, & le povre y perd tout.

34Ce à quoi son interlocuteur répond en invoquant sans le nommer le Grand Condé : « — Le Prinche à chen qu’o dict fait biaucoup de merveilles. » Réponse qui alarme le premier :

— Tais tay, en su lieu chy n’entame aintel discours ;
Les parais [i. e. les parois, les murs] (coume o dict) ont par fais de z’oreilles ;
Y peuvent s’accorder, ou hayr tous les jours70.

35La Muse se fait alors l’écho d’une population en plein désarroi et à qui la hantise de la discorde et de la guerre civile impose le silence.

L’éclaircie normande de 1652 : « Roüen en joüais, & Paris en tristesse »

36Après une telle confusion, l’année 1652, en Normandie du moins, apparaît comme une salutaire clarification. Il est vrai qu’en janvier 1652, le parlement de Rouen formule encore des remontrances sur le bien-fondé du retour de Mazarin aux affaires. Il est vrai également que l’attitude du duc de Longueville peut paraître ambiguë lorsqu’il continue à dialoguer avec les deux partis ou qu’il procède à des levées de soldats pour empêcher les troupes des uns et des autres de cantonner en Normandie et d’y causer des dommages. Dès janvier 1652, cela dit, il publie une lettre ouverte au prince de Condé71, imprimée tant à Rouen qu’à Paris, dans laquelle il reproche à son beau-frère de porter les armes contre sa patrie et contre son roi. Au fil des mois, la Normandie se montre de plus en plus ferme dans sa désapprobation de la Fronde princière. Entre mars et juin 1652, le parlement de Rouen et le duc de Longueville prennent des mesures énergiques pour contrer le duc de Beaufort, qui a entrepris des levées d’hommes en Normandie. Puis, en juillet suivant, le même parlement rompt avec celui de Paris en refusant de reconnaître Gaston d’Orléans comme lieutenant général de l’État. Condé, déconsidéré et de plus en plus isolé, quitte Paris en octobre 1652 pour se mettre au service de l’Espagne. En décembre suivant, le parlement n’a plus qu’à enregistrer les lettres patentes déclarant « rebelles et criminels de lèse-majesté » Condé et consorts. Le duc de Longueville, gouverneur respecté à la fois par le parlement et par le peuple, et chef de file de la nombreuse noblesse normande, a réussi à rassurer la Cour, tout en tenant la Normandie à l’écart des troupes royales comme de celles des princes72. Comme l’a bien discerné Alain Hugon, sa « prééminence [… en Normandie] présente un avantage considérable pour la monarchie : celui de réduire l’espace de la Fronde condéenne73 ».

37Le duc de Longueville est donc célébré comme le héros de l’année en Normandie, aussi bien aux Palinods de Caen qu’à ceux de Rouen. Ce n’est pas le fait du hasard si on le prie d’être en 1652 le prince du Puy. Directement ou indirectement, la Muse normande ne tarit pas d’éloges sur ce noble personnage et sur ce que la province lui doit. Floquet dans son Histoire du parlement de Normandie le souligne non sans raison :

David Ferrand, ce burlesque Jérémie, lui si infatigable d’ordinaire à déplorer en style purinique les calamités auxquelles la Normandie était trop souvent en proie en ces temps-là, saisit avidement une occasion si rare de la peindre paisible, heureuse, abondant de tous biens74.

38Ferrand consacre alors plusieurs chants royaux au duc. Dans le premier, le poète chante en français ordinaire la fin des troubles, sur le thème « D’un grand discord une grande concorde ». Et il dédie au gouverneur de Normandie l’envoi final :

Prince devot de royalle naissance
Qui va donnant par ta munificence
Un nouveau lustre à ce Puy glorieux
Ne vois-tu pas que cette defference
Te fait aymer du Souverain des Dieux75.

39Un autre chant royal, en langage purin cette fois, met en scène un couple de Parisiens rendant visite à leurs parents rouennais et

[…] s’esbaïssant de vair journellement
Roüen en joüais, & Paris en tristesse
Quay ! disest t’y en maillotin [i. e. parisien] langage
Qu’on z’este heureux de ne vair à mouchiaux [i. e. à foison]
Tous nos soudars & fendeurs de naziaux
[…]
Ils ont causay dans Paris la souffrette [i. e. la pénurie].

40Et le poète de conclure par un « envay » au prince :

Si Dieu veut, jusqu’à l’ennieullement [i. e. anéantissement]
May & mes vers vanteront Ton Altesse ;
Ch’est pour aver maintenu prudemment
Roüen en joüais, & Paris en tristesse76.

41Dans la même livraison, le « cant ryal » intitulé « Bourdigade de Paris » célèbre du même mouvement la prospérité revenue, l’abondance de vin et de cidre et l’éloignement des guerres civiles : « Vive bon temps ! Cachons [i. e. chassons] melancolie / Qui nous engendre une pure folie ; / Au Diable set la guerre & sen harnais77. » Et pour cette année enfin faste et paisible, c’est au prince du Puy, autrement dit au duc de Longueville, que la Muse rend grâce dans un dernier « cant rial » : « Prince du Pys, que le pays souhaitte […] Je sis Normand ; la province assurée / Sous ta grandeur ne dira nullement [sous-entendu : comme à Paris où sévit la disette] : / J’avon des poix, mais Dieu sçait queu [i. e. quelle] purée78. »

42David Ferrand ne rate pas non plus l’occasion de cultiver un thème qui est une constante de sa Muse : le soulagement d’être débarrassé de la soldatesque. Dans « Sur le depart de la Soudrille des faux-bourgs de Rouen », ses deux ventriloques sont cette fois deux femmes du peuple commentant l’évacuation des troupes :

Resjoüissons nou, ma commere Marie,
Notte malur ne prendra pu sen cours
[…]
Notte Bon Dieu qui veyoit nos miseres
[…]
A fait glicher (exauçant nos prieres),
Ces biaux soudars envayez de Paris.
Y no fezest chent milles [sic] algarades,
Quand y l’etest contre nou furlufez [i. e. enragés]
[…]
Y n’espargnest hommes, filles ny femmes ;
Y l’abatest & bruslest les maisons
No n’en a vu jamais de plus infames,
L’y en a oncor qui sont dans ces prisons
[…]
Je prie Dieu qui n’en revienne d’autre,
Et qu’en bref temps no pisse voir la paix79.

43Le poète a cependant conscience que la paix du royaume n’est pas encore gagnée et que la Normandie préservée jouit alors d’une situation exceptionnelle. Il se désole ainsi de voir s’embarquer sur le port de Rouen « ches biaux peupleux [i. e. colons] du Nouviau Monde », « Que la disette aveuq la Fronde / Faiset aller ainchin que viaux [i. e. ainsi que des veaux] » vers les rivages de la Nouvelle France80.

De la fin de la Fronde à la fin de la Muse normande : l’ordre puis la paix au prix du silence

44La XXXI. Partie de la Muse normande, parue à la fin de l’année 1653, voit le jour dans un environnement désormais pacifié, même si la guerre avec l’Espagne et Condé se poursuit aux frontières jusqu’en 1659. Le prince du Puy de cette année 1653 est un haut magistrat, Pierre de Becdelièvre, premier président de la cour des Aides. Hormis quelques faits divers locaux tournés en satire et une ballade célébrant les revers des Anglais (« pleins de desirs pernicieux, / Qui luquez notte Normandie / Ainchin qu’ont fait tous vo z’ayeux ») face à la marine néerlandaise81, plus aucune pièce de la Muse ne commente de faits politiques. Entre-temps, le cardinal Mazarin est revenu de son second exil, en février 1653. Il se sent désormais assez fort pour imposer sa politique et notamment rétablir en septembre suivant les intendants des généralités, dont l’envoi en province était pourtant l’une des causes de la première Fronde.

45Si la paix que David Ferrand appelait de ses vœux est en bonne voie, le poète pourtant n’a pas le cœur à la fête. La Fronde a entraîné bien des tourments pour les populations et bien des inconvénients pour le commerce, sans pour autant faire advenir les réformes attendues. La fiscalité, loin de se réduire durablement en Normandie, s’y est sensiblement alourdie en raison de l’état de guerre prolongé82. Le parlement de Rouen, bien mal récompensé de son loyalisme, sera bientôt, comme ses semblables, privé de son droit de remontrance (1667), après s’être vu interdire dès le 22 octobre 1652 « la connaissance des affaires générales de l’État et de la direction des finances ». Le gouverneur de la province, s’il a pu faire reconduire sa charge en faveur de ses fils, ne pourra empêcher qu’elle devienne honorifique et perdra son leadership naturel sur une noblesse normande en mal de considération83. Quant aux États provinciaux de Normandie, à nouveau réunis en 1655 après 12 ans d’absence, ils seront réduits à trois jours de séance de pure forme et frustrés de leur aptitude à consentir l’impôt – avant de disparaître définitivement en 1657. Cette époque marque aussi, comme l’a suggéré naguère Chloé Kurschner dans sa contribution sur « Les imprimeurs rouennais et la Fronde84 », la fin d’une « conjoncture éditoriale […] fortement liée à la position du parlement de Rouen » – une fois celui-ci mis au pas, les imprimeurs et libraires normands, David Ferrand au premier chef, perdent une protection essentielle à leur marge de manœuvre et à leur dynamisme.

46Comme en écho à ces déconvenues, le poète normand pousse une longue plainte lorsque, à partir de 1654, les Palinods de Rouen sont privés de prince puis de concours palinodique (jusqu’en 1669). « De dueil ma Muse est si attainte », se lamente David Ferrand, dans ses Adieux de la Muse normande aux Palinots, datés 1654. Il y salue une dernière fois son auditoire dans toute sa diversité : « Adieu princes devotieux […] hommes sçavans […] venerables docteurs […] poëtes […] serviteurs de la confrairie […] mes bons amis drapiers […] petits croque-migos [i. e. collégiens croqueurs de pommes] […] bourgeois & habitans… ». Il le fait avec d’autant plus d’émotion qu’en cette même année il ressent les premières atteintes sérieuses de la maladie qui finira par l’emporter six ans plus tard85.

* * *

47Malgré la fameuse sapience normande qui a permis de limiter et d’abréger la Fronde, cette crise a accéléré, en Normandie peut-être plus qu’ailleurs, le processus de tarissement des moyens légitimes d’expression propres à cette province, si fière de son particularisme et pourtant si proche de la capitale. Or « l’absence de canal d’expression est un des éléments centraux du malaise normand », comme l’a pertinemment noté Alain Hugon à propos de la période86. Certes les mazarinades proprement normandes ont été peu nombreuses, mais David Ferrand, sous les dehors volontairement modestes de sa Muse dialectale, s’est révélé l’un des porte-parole les plus talentueux et populaires de l’opinion locale. Une opinion certes pétrie de loyauté monarchique et d’attachement à l’ordre pacifique, mais faite aussi de revendication d’une représentation provinciale et d’esprit critique face aux dérives fiscales et militaires d’un État en marche vers l’absolutisme.

48Il est vrai qu’en définitive la Muse normande ne peut être véritablement tenue pour frondeuse – ce que du reste les usages mêmes des Palinods, où un prince-notable donnait la « ligne palinodique », n’auraient guère permis. Mais il faut bien reconnaître aussi que cette Muse n’a cessé durant la Fronde de distiller, au nom du bon sens provincial, une petite musique critique, voire contestataire, qui était déjà présente aux origines du cycle, dans les années 1620 et 1630. Petite musique que l’on discerne nettement quand il s’agit de dénoncer les ravages des troupes ou de prendre des distances avec le discours officiel de la Gazette, et que l’on retrouvera, atténuée, dans la dernière livraison parue du vivant de David Ferrand, les Estrenes de la Muse normande, en 1659. Le poète, en effet, ne manque pas de célébrer alors la paix des Pyrénées et le « grand roy » victorieux, mais il entend bien ne pas négliger pour autant ceux qui, s’ils n’ont pas voix au chapitre, lorsqu’il s’agit de décision politique, subissent néanmoins cruellement les effets de cette politique :

Le paysant semble jà qu’il oublie
Les tors receus dedans sa metairie
[…]
La paix luy fait r’animer son courage
De devenir riche dans son mesnage
Par le rabais de taille et du taillon ;
C’est le vray but où tend son esperance,
S’esjoüira en voyant tout de bon
La paix qui joint l’Espagne avec la France.
Sacré Louis à qui je fais hommage
Fais par le nœud de ton saint mariage
Qu’ayons secours en nostre affliction.

49C’est là pour ainsi dire le testament synthétique de la Muse normande : le vœu que la « grande politique » n’oublie jamais d’entendre les préoccupations qu’exprime dans son langage simple et sincère, dialectal dans le cas présent, le peuple des villes et des campagnes.

Notes

1 Voir notamment René Lepelley, « normand, livre en », Dictionnaire encyclopédique du livre, sous la dir. de Pascal Fouché, Daniel Péchoin, Philippe Schuwer et sous la responsabilité scientifique de Jean-Dominique Mellot, Alain Nave et Martine Poulain, Paris, éd. du Cercle de la Librairie, 2002-2011, 3 vol., t. III, p. 28-30 ; et aussi les études philologiques de Fernand Lechanteur, « La langue de Rouen au xviie siècle », Annales de Normandie, 1952, p. 229-242, et de Catherine Bougy, La Langue de David Ferrand, poète dialectal rouennais du xviie siècle, auteur de la Muse normande, thèse de doctorat sous la dir. de René Lepelley, université de Caen, 1992, dactylogr.

2  La ligne Joret est une isoglosse mise en évidence par le philologue normand Charles Joret (1829-1914) en 1883 et dont la validité a été confirmée depuis. Au nord d’une ligne partageant la Normandie approximativement de Granville au nord d’Évreux, les parlers présentent une spécificité consonantique propre au normand septentrional et au picard, notamment avec le maintien de la syllabe /ka/ (exemple : cat) du latin, alors que dans la majorité des dialectes d’oïl, il a évolué vers /ʃa/ (ex. : chat).

3  Pour une brève mise au point biographique, voir Jean-Dominique Mellot, « Ferrand, David », Dictionnaire encyclopédique du livre…, op. cit., t. II, p. 209-210.

4 Sur cette caractéristique de la corporation rouennaise du livre, voir Jean-Dominique Mellot, L’Édition rouennaise et ses marchés (vers 1600 – vers 1730) : dynamisme provincial et centralisme parisien, Paris, École des chartes, 1998, notamment p. 97-102 (« Intégration et esprit d’entreprise : le groupe protestant »).

5  Voir la première mise au point, due à Alexandre Héron, dans La Muse normande de David Ferrand publiée d’après les livrets originaux, 1625-1653, et l’Inventaire général de 1655, avec introduction, notes et glossaire, par A. Héron, Rouen, impr. Espérance Cagniard, 1891-1894, 5 vol., introduction, t. I, p. XIV ; ainsi que Georges Lepreux, Gallia typographica ou Répertoire biographique de tous les imprimeurs de France depuis les origines de l’imprimerie… t. III. Province de Normandie, Paris, Honoré Champion, 1912, 2 vol. ; et C. Bougy, La Langue de David Ferrand…, op. cit.

6  Nous devons ce renseignement aux dépouillements généalogiques rouennais d’Éric Pouillevet, qui a complété les nôtres et à qui nous adressons nos sincères remerciements.

7  David (I) Ferrand, « libraire », est inhumé à Rouen, paroisse Notre-Dame-de-la-Ronde, le 13 avril 1637.

8  On relève des représentants de la famille Behourt dans les métiers du livre rouennais de 1616 à 1811 ; de 1601 à 1792 pour les Besongne ; de 1601 à 1805 pour les Dumesnil ; de 1567 à 1790 pour les Lallemant ; de 1611 à 1795 pour les Le Boullenger ; de 1603 à 1791 pour les Machuel ; des années 1620 à 1796 pour les Oursel ; de 1570 à 1788 pour les Viret.

9  Dans Rouen en 1650 : carrefour des conflits (thèse pour le doctorat d’histoire, sous la dir. de Michèle Virol et Alain Hugon, université de Rouen, 2018, 3 vol., dactylogr.), Baptiste Étienne, qui a par ailleurs exploité avec beaucoup d’à-propos le matériau de la Muse normande de David Ferrand, qualifie un peu vite ce dernier de « petit imprimeur » à plusieurs reprises (notamment p. 144, 150-151 et 398).

10  Dans son introduction à La Muse normande de David Ferrand publiée d’après les livrets originaux, 1625-1653…, op. cit., t. I, p. LXIV, A. Héron constate que « les caractères hors de service et mal venus sur un papier plus détestable encore rendent difficile et […] peu agréable la lecture de la Muse normande. Quant à la négligence apportée à la correction des épreuves, elle semble avoir été habituelle dans l’imprimerie de Ferrand ».

11  En l’occurrence Madeleine de Saint-Igny (1597?-1675), épousée le 6 octobre 1619 paroisse Notre-Dame-de-la-Ronde, sœur du peintre et dessinateur Jean de Saint-Igny (1595?-1649?), lequel est surtout connu pour ses portraits et pour la décoration d’églises de Rouen et de Paris.

12  Y compris à des auteurs contemporains : Clément Marot, François Rabelais, Pierre de Ronsard, Paul Scarron…

13 BnF, bibl. de l’Arsenal [Réserve 8-BL-4789].

14  Cf. Roméo Arbour, « Raphaël Du Petit Val, de Rouen, et l’édition de textes littéraires en France (1587-1613) », Revue française d’histoire du livre, t. V, 1975, p. 87-141. Raphaël Du Petit Val a fait paraître au cours de sa carrière au moins 250 éditions dont 215 relevant des belles-lettres.

15  J.-D. Mellot, L’Édition rouennaise…, op. cit., p. 66.

16  Sur cette série de condamnations, voir La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. I, p. XV-XVI ; G. Lepreux, Gallia typographica…, op. cit., p. 173, et Archives départementales de Seine-Maritime, 5 E 485.

17  Voir Les Trois Siècles palinodiques ou Histoire générale des Palinods de Rouen, Dieppe, etc. Par Jos. André Guiot, de Rouen. Publiées pour la première fois d’après le manuscrit de Rouen, par l’abbé A. Tougard, Rouen, A. Lestringant ; Paris, A. Picard et fils, 1898, 2 vol.

18  Dans un article intitulé « Du rôle du grotesque dans les concours palinodiques. Le Festin des princes. David Ferrand et la Muse normande » (Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie, t. IV, 1866, p. 316-336), Eugène de Robillard de Beaurepaire (1827-1899) qualifie le langage de David Ferrand de « vulgaire et quelquefois cynique ; ses pensées dépourvues de délicatesse et d’élévation passent perpétuellement de la platitude à la prétention ». Il cite à ce propos l’historien normand Amable Floquet (1797-1881), pour qui David Ferrand « s’efforce de parler le langage purin et s’y étudie trop pour ne pas s’écarter fréquemment du naturel, du bon goût et de la décence. Parmi les purins, il a pris avec leur argot leur grossièreté cynique et ordurière ». À l’image de Floquet, Beaurepaire souligne toutefois l’intérêt documentaire du cycle de la Muse normande : « Sa chronique indiscrète et bouffonne est le journal populaire de la ville de Rouen pour la première moitié du XVIIe siècle » (art. cit., p. 335).

19  Les aléas et ébats amoureux des personnages étant un thème récurrent de la Muse normande, Catherine Bougy a pu consacrer, dans les Annales de Normandie (1995, 45-4, p. 393-404), une intéressante étude aux « Désignations du sexe dans la Muse normande de David Ferrand ».

20  Voir par exemple La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 264-266 (« Baladre », sur la ligne palinodique « Les cauches dans Robec perduës », Vingt-huictiesme partie de la Muse normande, 1651).

21 Voir Édélestand et Alfred Du Méril, Dictionnaire du patois normand, Caen, B. Mancel, 1849, p. XCVI-XCVII : « La Muse normande [est un] recueil satirique où Ferrand s’est efforcé d’imiter le patois purin que l’on parle encore […] à Rouen dans les quartiers Saint-Vivien et Martainville […] Ce singulier patois est trop essentiellement différent de celui du reste de la province. »

22  Entre 1632 et 1633 au moins, en association avec le fondateur de cette feuille, Claude Le Villain, et Jacques Cailloué, libraires pour lesquels il a peut-être continué d’imprimer ce titre sans y faire figurer son nom. Voir Gilles Feyel, La Gazette en province à travers ses réimpressions, 1631-1752, Amsterdam et Maarssen, APA-Holland University Press, 1982, p. 354-355.

23 23 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. II, p. 63 (« Stanches », Neufiesme Partie de la Muse normande, 1633).

24 En particulier ibid., t. III, p. 303 (« Un neveu fait visite à se n’ante à Paris, où il fut parlé des affaires du siecle. Cant rial », XXIX. et XXX. Partie de la Muse normande [1652-1653]).

25  Voir à ce propos dans la 1e et 2e partie de la Muse normande (t. I, « Le Bout de l’en de la boise », p. 39-44) sa vive réaction à l’annonce de la suppression de cette boise : « Pouvion-je aver un pu grand mal / Que de perdre le tribunal / De la verité toute pure ? »

26  La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 157 (premier « Cant rial », Vingt-cinquiesme Partie de la Muse normande, 1648).

27 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 222-232 (« Complainte sur les miseres et afflictions de la ville de Rouen », Vingt-septiesme Partie de la Muse normande, 1650).

28  La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. I, p. 153-157 (« Double Cant rial sur le grabus des drapiers », Sixiesme Partie de la Muse normande, 1630).

29 Amable Floquet, Histoire du parlement de Normandie, Rouen, Édouard Frère, 1840-1842, 7 vol., t. V, p. 524.

30 Voir à ce sujet l’article de C. Bougy, consacré principalement à la première partie de la Muse, « Le poids de l’impôt à Rouen au xviie siècle d’après la Muse normande de David Ferrand (1590-1660) », Bulletin de la Société de l’histoire d’Elbeuf, 1996, p. 97-107.

31 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. II, p. 133 (« Cant rial », Septiesme Partie de la Muse normande).

32 C. Bougy, « La contestation du pouvoir dans La Muse normande de David Ferrand », dans Images de la contestation du pouvoir dans le monde normand (xe-xviiie siècle). Actes du colloque de Cerisy-la-Salle (29 septembre – 3 octobre 2004), sous la dir. de Catherine Bougy et Sophie Poirey, Caen, université de Caen Basse-Normandie, 2007, p. 261-282.

33  La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. II, p. 181 (« Chant royal », Quinziesme Partie de la Muse normande, 1639). On est loin de l’écriture séditieuse et anonyme des tenants de la révolte des Nu-Pieds, écriture étudiée par Brice Évain dans « Raconter la révolte : l’exemple des Nu-Pieds de Normandie (XVIIe siècle-XVIIIe siècle) », XVIIe siècle, n°275, 69e année, n°2-2017, pp. 221-236.

34 Cf. A. Héron, introduction à La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. I, 1891, p. C.

35  Cité par A. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, op. cit., t. V, p. 35.

36 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. II, p. 141 (« Double Cant rial Sur le monopole du papier », Neufiesme Partie de la Muse normande, 1634).

37  Sur la référence à cette charte, voir C. Bougy, « La contestation du pouvoir dans la Muse normande… », art. cit., p. 278-279.

38  Par exemple en 1630, dans la Sixiesme Partie de la Muse normande (« Double Cant rial sur le grabuge des drapiers », t. I, p. 153-157), lorsqu’il s’agit de mettre un terme à l’« esmotion » des drapiers rouennais : « Note senat [i. e. parlement] de tout temps justicier / Promit garder les drets [i. e. droits] de leu metier. »

39 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 169-175 (Vingt-cinquiesme Partie de la Muse normande, 1648).

40 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 165-167 (« Sur le temps qu’o veit ichite [i.e qu’on vit ici]. Balladibus », Vingt-cinquiesme Partie de la Muse normande, 1648).

41  Voir à ce propos A. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, op. cit., t. V, p. 191, et surtout Paul Logié, La Fronde en Normandie, Amiens, l’auteur, 1951-1953, 3 vol., t. II, p. 26-30.

42  Alain Hugon, « Existe-t-il une Fronde normande ? », Images de la contestation du pouvoir dans le monde normand…, op. cit., p. 233-246, notamment p. 237-238.

43 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 187-188 (« O luysard », Vingt-sixiesme Partie de la Muse normande, 1650).

44  Voir le récit qu’en donne A. Floquet dans son Histoire du parlement de Normandie, op. cit., t. V, p. 321-327, penchant davantage pour une reculade due à l’irrésolution du duc de Longueville que pour un « brillant stratagème » ayant permis de détourner Harcourt d’autres théâtres d’opérations (en l’occurrence Harfleur, Montivilliers, Neufchâtel-en-Bray, Clères, passés aux mains des rebelles). Voir aussi Joseph-Léon de Duranville, « Quelques pages sur des mazarinades imprimées à Rouen en 1649 », Précis analytique des travaux de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, 1874-1875, p. 314-335, notamment p. 331-332, et bien sûr P. Logié, La Fronde en Normandie, op. cit., t. II, p. 149-154.

45 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 207-208 (« La guerre de Moulineaux ballade nouvelle », Vingt-sixiesme Partie de la Muse normande, [1649-] 1650).

46 A. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, op. cit., t. V, p. 388-389.

47 Édouard-Benjamin Frère, Manuel du bibliographe normand ou Dictionnaire bibliographique et historique…, Rouen, A. Le Brument, 1858-1860, 2 vol., t. I, p. 463.

48 J.-L. de Duranville, « Quelques pages sur des mazarinades imprimées à Rouen en 1649 », art. cit., p. 333-335.

49 A. Héron, introduction à La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. I, p. XXI.

50  Célestin Moreau, Bibliographie des mazarinades, Paris, Jules Renouard, 1850, 2 vol., t. I, n° 752.

51 A. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, op. cit., p. 388-389.

52 J.-L. de Duranville relève lui aussi cette contradiction apparente : « Toutefois n’était-ce pas une étrange manière de chanter la gloire d’un chef que d’insérer une pièce où l’armée de ce chef était tournée en ridicule ? Le descendant de Dunois n’avait-il pas quelque droit de recevoir la dédicace avec froideur ?... » (« Quelques pages sur des mazarinades imprimées à Rouen en 1649 », art. cit., p. 334-335.)

53 P. Logié, La Fronde en Normandie, op. cit., t. II, p. 194 et suivantes.

54  La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 221-250 (Vingt-septiesme Partie de la Muse normande, 1650).

55  Louis II de Bourbon-Condé (1621-1686), dit le Grand Condé, et Armand de Bourbon-Conti (1629-1666).

56  Anne-Geneviève de Bourbon-Condé (1619-1679) a épousé en juin 1642 Henri II d’Orléans (1595-1663), duc de Longueville, alors veuf.

57  Claire-Clémence de Maillé (1628-1694).

58 A. Hugon, « Existe-t-il une Fronde normande ? », Images de la contestation du pouvoir dans le monde normand…, op. cit., p. 240.

59  A. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, op. cit., t. V, p. 410-473 pour les événements de l’année 1650.

60 Le prince est cette année-là Odet d’Harcourt (1600?-1661), gouverneur de Falaise, marquis de Thury, a priori loyaliste.

61 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 232 (« Complainte sur les miseres et afflictions de la ville de Rouen », Vingt-septiesme Partie de la Muse normande, 1650).

62 Ibid., t. III, p. 240-243 (« Cant ryal », Vingt-septiesme Partie de la Muse normande, 1650).

63 Voir notamment à ce sujet B. Étienne, Rouen en 1650…, op. cit., p.  447.

64 Pour le détail des événements de Normandie en 1651, voir A. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, op. cit., t. V, p. 476-512, et P. Logié, La Fronde en Normandie, op. cit., t. III, p. 75-100.

65 La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 251-282 (Vingt-huictiesme Partie de la Muse normande, 1651).

66  Ibid., t. III, p. 256-258 (« Sur les regrets du bon temps jadis. Cant rial », Vingt-huictiesme Partie de la Muse normande, 1651).

67 Le « prinche » est ici le prince du Puy du Palinod, justement non désigné cette année-là.

68  Ibid., t. III, p. 261-264 (« Sur la desollation de Naudin dans la disette du Palinot. Cant rial », Vingt-huictiesme Partie de la Muse normande, 1651). Naudin est un personnage de porte-parole populaire récurrent dans la Muse normande.

69  Ibid., t. III, p. 253-255 (« Chant royal », ligne palinodique « D’un petit bras une grande puissance », Vingt-huictiesme Partie de la Muse normande, 1651).

70 Ibid., t. III, p. 267-278 (« Histoire plaisante & veritable d’un drolle de savetier & d’une damoiselle », Vingt-huictiesme Partie de la Muse normande, 1651).

71 Lettre de monseigneur le duc de Longueville, envoyée à monseigneur le prince de Condé sur les affaires presentes, touchant le retour du C. Mazarin, Rouen, 1652, 8 p.

72 P. Logié, La Fronde en Normandie, op. cit., t. III, p. 135.

73  A. Hugon, « Existe-t-il une Fronde normande ? », Images de la contestation du pouvoir dans le monde normand…, op. cit., p. 243.

74 A. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, op. cit., t. V, p. 523-525. À Caen, on a explicitement choisi pour sujet des Palinods « La Normandie préservée de la guerre ».

75  La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. III, p. 283-286 (« Chant royal », XXIX. & XXX. Partie de la Muse normande [1652-1653]).

76 Ibid., t. III, p. 296-298 (« Sur les mouvements de la guerre de Paris. Cant rial », XXIX. & XXX. Partie de la Muse normande [1652-1653]).

77  Ibid., t. III, p. 293-295 (« Bourdigade de Paris. Cant ryal », XXIX. & XXX. Partie de la Muse normande [1652-1653]).

78 Ibid., t. III, p. 303-305 (« Un neveu fait visite chez se n’ante [i. e. sa tante] à Paris, où il fut parlé des affaires du siecle. Cant rial », XXIX. & XXX. Partie de la Muse normande [1652-1653]). La phrase « J’avon des poix… » peut se traduire à peu près par « On a des ressources mais Dieu sait le gâchis qui en a été fait ».

79 Ibid., t. III, p. 289-291 (« Sur le depart de la Soudrille des faux-bourgs de Rouen », XXIX. & XXX. Partie de la Muse normande [1652-1653]).

80 Ibid., t. III, p. 305-307 (« Ballade », ligne palinodique « Ches biaux peupleux du Nouviau Monde », XXIX. & XXX. Partie de la Muse normande [1652-1653]).

81 Ibid., t. III, p. 343-344 (« Autre ballade », XXXI. Partie de la Muse normande, 1653).

82 P. Logié (La Fronde en Normandie, op. cit., t. III, p. 165) évalue à 13 à 14 millions de livres le total des impôts directs et indirects payés par la Normandie en 1650 ; en 1660, ce montant sera passé à 18 millions. Voir aussi B. Étienne, Rouen en 1650…, op. cit., p. 324 et 483-484.

83  Sur les prolongements et soubresauts de la Fronde nobiliaire en Normandie, voir B. Étienne, Rouen en 1650…, op. cit., notamment p. 449-454.

84 Chloé Kurschner, « Les imprimeurs rouennais et la Fronde : une étude des fonds normands de mazarinades », Histoire et civilisation du livre, XII, 2016, p. 111-123, citation p. 123.

85 Il est alors atteint de tremblements : « Je bransle, oüy, de corps, non des biens, ny d’esprit » (Adieux de la Muse normande, 1654, dans La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. IV, p. 28). Dès l’année suivante, dans son Inventaire general de la Muse normande, il déclare avoir été gravement malade : « Une nuict, deux heures sonnant, / Je vomis bien trois pots de sang […] / Pardy mes gens estimest morts / L’Autheur et la Muse normande » (cf. A. Héron, introduction à La Muse normande de David Ferrand…, op. cit., t. I, p. XXII).

86  A. Hugon, « Existe-t-il une Fronde normande ? », art. cit., p. 245-246.

Pour citer ce document

Jean-Dominique Mellot, « La Muse dialectale (et frondeuse ?) de l’imprimeur-poète rouennais David Ferrand (1589-1660) » dans Mazarinades et territoires,

Premier numéro

© Revue du GRHis, « Revue du GRHis », n° 1,2025

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/grhis/index.php?id=141.

Quelques mots à propos de :  Jean-Dominique Mellot

Archiviste paléographe, docteur en histoire, conservateur général à la Bibliothèque nationale de France (BnF), est spécialiste d’histoire du livre et des pratiques culturelles aux XVIIeet XVIIIesiècles. Outre de nombreux articles et contributions, il est l'auteur de L’Édition rouennaise et ses marchés : dynamisme provincial et centralisme parisien (vers 1600 – vers 1730) (1998) et le codirecteur de plusieurs ouvrages collectifs, dont le Dictionnaire encyclopédique du livre(2002-2011, 3 vol.) et La Bibliothèque municipale de Rouen : 200 ans d'histoires (2021).