Mazarinades et territoires

Premier numéro

Volume dirigé par Stéphane Haffemayer et Patrick Rebollar

Published by Stéphane Haffemayer and Patrick Rebollar

Mazarinades et territoires

Déterritorialiser les mazarinades pour étudier la variation du français classique

Antonella Amatuzzi


Texte intégral

Introduction

1Les mazarinades, le « déluge de libelles diffamatoires » de l’époque de la Fronde1, ont été peu explorées par les linguistes, exception faite pour les travaux remarquables de Wendy Ayres-Bennett2 et d’Anthony Lodge3. Cette réticence d’ordre épistémologique à aborder ces textes, intéressants parce qu’ils contiennent des variétés de langue non standard, souvent basses ou triviales, peut être imputée au fait qu’ils ne sont pas l’expression directe et spontanée du peuple mais plutôt l’imitation, souvent à des fins satiriques et parodiques, de la langue vernaculaire, dont certains traits peuvent être exagérés ou stéréotypés.

2Le développement de la sociolinguistique historique, qui acquiert un profil propre dans le domaine francophone à partir des années 1990, a toutefois montré l’importance de tracer une histoire du français qui ne se base pas uniquement sur les œuvres transmises par le canon littéraire et sur la variété haute de la langue.

3Visant à prendre en compte l’usage réel de la langue en contexte social ainsi que le jugement des locuteurs sur leurs propres pratiques langagières, l’approche variationniste est désormais reconnue, consolidée4, et jugée pertinente pour endiguer des états passés de la langue, même si « identifier les documents du passé qui se prêtent à une lecture sociolinguistique et [de] les constituer en corpus5  » reste un défi.

4Mon objectif est donc de montrer que les mazarinades, par leur vastité et par la multiplicité de leurs formes, représentent un matériel précieux qui peut contribuer à saisir la complexité et le dynamisme de l’ambiance sociolinguistique de la France des années centrales du xviie siècle.

5Je commencerai par quelques réflexions portant sur les obstacles auxquels toute investigation de sociolinguistique historique est confrontée et sur les précautions à prendre, notamment dans le cas des mazarinades. J’expliquerai ensuite la démarche utilisée, qui consiste à interroger in extenso et sans fixer préalablement de critères restrictifs (provenance géographique, typologie textuelle ou autres) tous les documents numérisés et rendus disponibles par l’équipe RIM (Recherches Internationales sur les Mazarinades), sur le site web http://mazarinades.org/ (dorénavant mazarinades.org), à savoir un corpus de 2 709 pièces de la collection conservée à la Bibliothèque de l’Université de Tokyo. Les résultats illustrés et commentés, mettront en évidence l’étendue du phénomène de la variation dans les mazarinades, écrites au moment crucial de l’histoire du français où une codification rigide est établie, en prenant comme modèle la cour parisienne.

1. Mazarinades et sociolinguistique : problématiques et enjeux

6L’étude du phénomène de la variation en diachronie soulève des problématiques et nécessite des précautions. C’est ce que William Labov définit comme « art of making the best use of bad data6 ».

7Tout d’abord il faut affronter la question de la non-authenticité des sources, particulièrement délicate dans le cas des mazarinades, qui ne sont pas des documents produits par des provinciaux, des peu lettrés, ou des personnes situées en bas de l’échelle sociale, mais des textes émanant de milieux cultivés qui contiennent délibérément des reproductions de la langue populaire7.

8Il n’y a pas un véritable souci d’authenticité de la part des auteurs et il se peut donc que certains traits soient excessivement caricaturés ou surabondants quantitativement8.

9Un autre problème majeur concerne la transcription de la variété orale de la langue, souvent introduite dans les mazarinades comme exemple d’usage bas. Le passage obligé à l’écrit se heurte inévitablement aux limitations du code graphique qui, par ailleurs, était loin d’être fermement établi à l’époque9. À cela s’ajoute le fait que, pour les libelles de la Fronde, généralement publiés dans des conditions de surprenante liberté éditoriale, le respect des codes orthographiques n’était pas une priorité.

10Pour faire face à ces difficultés et avoir la probabilité d’obtenir des résultats fiables, il est recommandé de constituer un corpus ample qui comprenne plusieurs typologies textuelles, des registres de langue variés et qui provienne d’auteurs et d’aires géographiques diversifiés.

11Le corpus mazarinades.org, qui rassemble un nombre considérable de mazarinades de nature différente, rend possible ce type d’investigations à vaste échelle.

12D’autre part, pour apprécier la portée des résultats obtenus et estimer la véritable diffusion des variantes linguistiques au sein de la société, il est opportun d’interpeller le phénomène de saillance, que les sociolinguistes regardent comme un des facteurs favorisant le changement linguistique10 : c’est la constatation que certaines variables, produites de manière inattendue, attirent l’attention des locuteurs qui, souvent, les perçoivent comme émanant d’une communauté ou d’un groupe social spécifique et les stigmatisent.

13Cette notion permet d’affirmer que, bien qu’elles soient plus ou moins artificiellement construites du point de vue linguistique, les mazarinades témoignent de la sensibilité que les Français du milieu du xviie siècle pouvaient avoir envers la variation. En effet, les auteurs ne visent pas forcément une représentation réaliste du parler vernaculaire mais s’attachent à la valeur sociale des variantes, certaines attribuées à la cour, d’autres à la ville ou à la province, certaines réservées au style noble, d’autres au style familier ou grossier. Or, ces variantes ne sont pas déterminées par des propriétés structurales ou esthétiques inhérentes à la langue, mais par des attitudes conventionnelles, par l’imaginaire linguistique des locuteurs à l’égard des groupes sociaux qui les emploient.

14Puisqu’on peut supposer, avec Lodge11, que le succès des mazarinades « exigeait que les variantes aient un sens que le public contemporain soit en mesure de reconnaître », il est clair que les auteurs partagent les mêmes normes évaluatives envers le langage que la plupart de la société.

15Vu que les attitudes linguistiques « jouent un rôle central dans la diffusion de changements linguistiques à travers la communauté de locuteurs12 », qui a tendance à accueillir plus ou moins favorablement des formes ressenties et interprétées comme socialement marquées, l’enjeu sociolinguistique des mazarinades se révèle évident.

2. Méthodologie : pourquoi déterritorialiser

16Pour atteindre mon objectif de faire émerger le phénomène de la variation tel qu’il ressort de l’ensemble des mazarinades, j’ai décidé de les interroger en les déterritorialisant.

17Cela signifie pour moi consulter le corpus mazarinades.org de manière extensive et inclusive, sans établir à priori des distinctions entre formes scripturaires, lieux ou appartenance politique ou sociale des auteurs. Je vais donc appréhender le corpus dans son intégralité, puisqu’il s’agit d’une production textuelle ayant une nature disparate – souvent intentionnellement disparate – qui occupe des espaces et des territoires pas toujours bien délimités, où l’on trouve la langue commune mais aussi la langue littéraire, des expressions dialectales mais aussi la langue du parlement parisien.

18Les mazarinades étant pour la plupart des écrits qui mettent en question le pouvoir et dénoncent l’idéologie royale, elles ne renoncent pas à aller contre le bon usage linguistique prôné par la cour et présentent une dynamique intéressante du point de vue sociolinguistique entre centre et périphérie, entre l’emploi de la norme élitiste et la mise en scène d’une variété basse de français.

19Déterritorialiser peut donc être une bonne stratégie pour saisir le potentiel de ces libelles qui souvent bouleversent ou parodient les genres traditionnels et pour lesquels les catégories et les paradigmes habituels risquent d’être peu fonctionnels.

20Le parti pris de déterritorialiser comporte méthodologiquement un parcours inverse par rapport à celui qui a été suivi par Ayres-Bennett et Lodge qui avaient circonscrit un nombre restreint de mazarinades choisies pour la grande quantité de traits non standard (variétés dialectales, régionales ou propres à la langue orale) afin de les analyser.

21J’ai, au contraire, identifié préalablement les traits pertinents à rechercher dans le corpus pour détecter la variation, comme par exemple les variables particulières associées à des groupes sociaux ou à des registres de langue. Pour ce faire, j’ai eu recours à des textes métalinguistiques du xviie siècle (notamment l’ouvrage de référence fondamental pour l’établissement du bon usage, c’est-à-dire les Remarques sur la langue française de Claude Favre de Vaugelas13), mais aussi aux travaux déjà cités de Lodge et à un article de lexicologie de Takeshi Matsumura14.

22Afin de mieux faire ressortir la spécificité des mazarinades, là où il a été possible et opportun, j’ai comparé les résultats avec ceux obtenus par l’interrogation d’un corpus de contraste que j’ai constitué en sélectionnant dans la base textuelle Frantext (https://www.frantext.fr/) tous les textes disponibles couvrant la période allant de 1630 à 1660. Cela m’a permis d’élargir l’enquête à toute la partie centrale du xviie siècle et d’avoir un corpus de 6 403 240 mots, quantitativement comparable à celui du corpus mazarinades.org qui, une fois éliminées les mazarinades qui y sont présentes plus d’une fois, contient environ 7 000 000 de mots. Évidemment, dans la lecture des résultats, il faut tenir compte de la distribution chronologique des occurrences : celles relatives aux mazarinades sont condensées dans les années 1648-1653 et sont donc proportionnellement très notables.

3. Analyses et résultats

23Les investigations dans le corpus mazarinades.org, dont je présente ici les résultats, ont porté essentiellement sur le lexique, l’aspect de la langue qui, plus que d’autres, marque les divisions sociales et qui est donc plus facilement susceptible de refléter la variation. Quant à la morphosyntaxe, il a fallu se confronter avec les limites des outils informatiques : les documents inclus dans le corpus n’étant pas encore tagués, je n’ai pu procéder qu’à quelques interrogations ponctuelles, parfois peu productives, relatives à des formes verbales non standard.

3.1 Le lexique

3.1.a Les archaïsmes

24Au xviie siècle, les archaïsmes peuvent être attribués à deux variétés linguistiques opposées : d’un côté ils sont considérés comme un trait typique de la langue des classes populaires, réputée en retard sur celle des élites et, de l’autre, ils figurent comme caractéristiques de la langue de Palais (le technolecte employé dans les domaines de l’administration et de la justice).

25Mon hypothèse de départ est que les mazarinades sont susceptibles de contenir un taux élevé d’archaïsmes, d’une part parce que les auteurs s’en servent pour reproduire le langage et, d’autre part, parce qu’un nombre important de libelles est construit selon le style judiciaire et parfois chicaneur.

26Dans les Remarques de Vaugelas j’ai sélectionné les mots et expressions suivants :
ains (pour mais) : « qui a esté en vsage autrefois mais qui ne l’est plus15 ».
loisible (dans le sens de permis) : « il sent le vieux16 ».
meshuy (signifiant désormais, tantôt) : « il n’est plus en usage parmy les bons escrivans, ny mesme parmy ceux qui parlent bien17 ».
mesmement (à la place de même) : « cet adverbe qui passoit desja pour vieux il y a plus de vingt-cinq ans et jamais les bons escrivains ne s’en servoient, ils disoient tousjours mesmes18 ».
prouesse : « ce mot est vieux et n’entre plus dans le beau style qu’en raillerie19 ».
à qui mieux mieux (au lieu de à l’envy) : « cette locution est vieille et basse et n’est plus en usage parmy les bons auteurs20 ».
d’abondant (avec la signification de de plus) : « a vieilli et l’on ne s’en sert plus dans le beau style21 ».
premier que (pour avant que) : « façon de parler ancienne22 ».

27Les chiffres relatifs à leurs occurrences dans le corpus mazarinades.org et dans Frantext sont récapitulés dans le tableau suivant :

ARCHAÏSMES

Occurrences dans 

Mazarinades.org

Frantext

ains

206

98

loisible (= permis)

39

4823

meshuy (= desormais, tantost)

3

2524

mesmement (à la place de mesmes)

39

16

prouesse, prouesses, proüesse, proüesses

32

24

à qui mieux mieux (= à l’envy)

19

0

d’abondant (= de plus)

19

7

premier que (= avant que)

6

1925

3.1.b Les mots bas

28Les mazarinades, textes le plus souvent satiriques et polémiques, sont supposées contenir des mots vulgaires ou qui s’éloignent de la variété haute de la langue.

29Vaugelas, dans ses Remarques, juge certaines formes lexicales ou locutions mauvaises ou basses. J’ai retenu les suivantes :
ambitionner : « ce n’est pas du bel usage26 ».
au preallable, preallablement : « nous n’avons gueres de plus mauvais mots en nostre langue27 ».
bestial (au lieu de bestail) : « tous deux sont bons mais bestail est beaucoup meilleur [sic]. Il semble que bestial est plus dans l’usage de la campagne et l’autre plus de la ville et de la Cour28 ».
compagnée pour compagnie : « barbare29 ».
entaché (pour taché, souillé) : le considère « extremement bas30 ».
des mieux (avec le sens de fort bien) : « très basse et nullement du langage de la Cour, où l’on ne peut la souffrir31 ».
du depuis : « façon de parler […] vicieuse et barbare32 ».
faire pièce (= causer un dommage, faire un affront) : « mauvaise », « désagreable », « un cruel supplice33 ».
pour l’heure à la place de pour lors : « façon de parler bonne mais basse34 ».

30Le tableau suivant signale la présence de ces mots et expressions dans le corpus mazarinades.org et dans Frantext :

MOTS BAS

Occurrences dans 

mazarinades.org

Frantext

ambitionner

21

4

au preallable / au prealable / au préalable / au préallable

preallablement / prealablement / préalablement / préallablement

20

23

10

6

bestial (à la place de bestail)

10

4

compagnée (à la place de compagnie)

1

1035

entaché (à la place de taché, souillé)

5

8

des mieux (= fort bien)

6

8

du depuis

197

20

faire pièce (= causer un dommage ; faire un affront)

7

5

pour l’heure (≠ pour lors)

5

1236

3.1.c Les néologismes 

31Le contexte historique et social conflictuel de la Fronde peut constituer une condition favorable à l’émergence de néologismes. Pour manifester la colère, la rage et l’irrévérence, les auteurs de mazarinades cherchent à sortir des schémas et exploitent toutes les potentialités de la langue, en inventant parfois des mots inattendus, moqueurs et percutants.

32Comment repérer ces néologismes ou attestations précoces et rares en déterritorialisant les textes, c’est-à-dire non pas en lisant attentivement certaines mazarinades susceptibles d’en contenir mais à travers l’interrogation de tous les textes contenus dans le corpus informatisé ?

33Puisque actuellement le moteur de recherche du Projet Mazarinades ne permet pas d’interrogation complexe sur des lemmes ou des catégories grammaticales, j’ai exploité une fonctionnalité disponible, celle des caractères de substitution, « .* » (astérisque précédé d’un point, équivalant à toute série de caractères), que j’ai fait suivre, sans espace, des suffixes susceptibles d’être productifs et d’avoir donné naissance à des mots nouveaux37.

34Cela a fait ressortir tous les mots qui se terminent par ces suffixes, au singulier et au pluriel, parfois au masculin et au féminin, soit un nombre très élevé d’occurrences, comme le montre le tableau qui suit :

suffixe

nombre d’occurrences

.*age / .*ages

15561 + 6211 = 21772

.*aille / .*ailles

2139 + 1574 = 3713

.*airie / .*airies

49 + 27 = 76

.*eau /.*eaux

7705 + 4806 = 12511

.*erie / .*eries

2753 + 1242 = 3995

.*esque / .*esques

2088 + 458 = 2546

.*ette / .*ettes

24722 + 1086 = 25808

.*euse / .*euses

.*eur / .*eurs

6375 + 2685 = 9023

83199 + 43020 = 126219

.*ien / .*iens

.*ienne / .*iennes

37959 + 7679 = 45638

2484 + 706 = 3190

.*ique / .*iques

7805 + 3871 = 11676

.*isme / .*ismes

355 + 207 = 562

.*issime / .*issimes

266 + 13 = 279

.*ois

.*oise / .*oises

31016

1167 + 190 = 1357

.*ste / .*stes

1962 + 647 = 2609

35Le tri à faire pour isoler les éventuels néologismes s’avère donc particulièrement chronophage et nécessiterait une évaluation critique approfondie des résultats. Je l’ai effectuée pour 6 des 14 suffixes considérés et les néologismes identifiés sont notés dans ce tableau :

Suffixe

Néologismes et/ou attestations précoces ou rares

.*aille / .*ailles

bourdifaille, bougraille, grimaille

.*erie / .*eries

muguetterie, trigauderie, badauderie

.*esque / .*esques

cardinalesque

.*isme / .*ismes

mahometisme, machiavelisme

.*issime / .*issimes

ignorantissime, potentissime, grandissime, doctissimes, celebrissime, faquinissime, scientissimes, intelligentissimes, clarissimes

.*ste .*stes

babilonistes, machiaveliste, monopoliste

36Ces résultats seront commentés ci-après (partie 3.3).

3.2 La morphosyntaxe

37Pour ce qui est de la morphosyntaxe, l’enquête se complique. D’un côté, les textes métalinguistiques sont moins riches d’informations efficaces pour déterminer des traits attribuables à des usages non standard. D’autre part, du point de vue opérationnel, il est plus difficile de relever ces traits automatiquement dans le corpus mazarinade.org. J’ai tout de même procédé à quelques sondages exploratoires en me focalisant sur les formes verbales.

38Parmi les variables indiquées par Lodge dans ses travaux comme étant caractéristiques de la variété basse et dialectale du français, il a été techniquement irréalisable de lancer la recherche pour :
– présence du « i » dans la terminaison du passé simple (ex. :
fallit pour fallut ; baillirent pour baillèrent).
– terminaison de la 3
e personne du pluriel du présent de l’indicatif en -es (ex. : voulles pour veulent ; donnes pour donnent ; dises pour disent).

39Pour une autre, la terminaison de la 3e personne du pluriel du présent de l’indicatif en ons ou on ou ont (ex. : ils portons / ils porton / ils portont, les trois orthographes étant possibles), j’ai interrogé le corpus en utilisant les caractères de substitution « .* » et en choisissant l’une après l’autre les deux options disponibles dans le moteur de recherche : « Termes dans une même expression » et « Termes séparés par 2 mots » (2 étant le nombre pertinent pour cette recherche). Le nombre de résultats obtenus étant très élevé dans le cas de la désinence ont (parce que le système saisit les formes ont et sont des auxiliaires être et avoir et toutes les formes du futur), j’ai procédé à un dépouillement manuel pour les autres graphies prises en considération. Le tableau suivant indique que le nombre d’occurrences pertinentes est très faible :

Terminaison de la 3e personne du pluriel du présent de l’indicatif en ons, on ou ont

occurrences totales

occurrences pertinentes

ils .*ons

Termes dans une même expression

5

1

ils .*ons

Termes séparés par 2 mots

0

0

elles .*ons

Termes dans une même expression

14

0

elles .*ons

Termes séparés par 2 mots

40

0

ils .*on

Termes dans une même expression

10

0

ils .*on

Termes séparés par 2 mots

0

0

elles .*on

Termes dans une même expression

4

0

elles .*on

Termes séparés par 2 mots

64

0

ils .*ont

Termes dans une même expression

7886

ils .*ont

Termes séparés par 2 mots

11273

elles .*ont

Termes dans une même expression

1024

elles .*ont

Termes séparés par 2 mots

1451

40La seule attestation de terminaison de la 3e personne du pluriel du présent de l’indicatif en -ons rencontrée (ils avons) est tout de même très intéressante : elle provient du Courrier burlesque de la guerre de Paris enuoyé à Monseigneur le Prince de Condé, pour diuertir son Altesse durant sa prison et se trouve significativement dans un passage où est reproduit le discours direct de la « populace » de Paris38.

41Cet exemple inclut un autre trait qui devait être ressenti comme populaire ou dialectal : l’emploi du pronom personnel je devant les formes verbales en -ons pour la première personne du pluriel, que Lodge avait repéré dans un texte de 164439.

42Pour cette variable, l’interrogation du corpus se révèle plus fructueuse car le nombre relativement réduit d’occurrences a permis d’effectuer plus aisément un tri manuel. J’ai tenu compte de différentes orthographes possibles, comme le montre le tableau suivant :

je + -ons (pour la 1ère pers. du plur.)

occurrences totales

occ. pertinentes

je .*ons

Termes dans une même expression

0

0

je .*ons

Termes séparés par 2 mots

9

0

ie .*ons

Termes dans une même expression

55

31

ie .*ons

Termes séparés par 2 mots

0

0

j .*ons

Termes dans une même expression

0

0

j .*ons

Termes séparés par 2 mots

2

0

i .*ons

Termes dans une même expression

37

32

i .*ons

Termes séparés par 2 mots

74

38

je .*on

Termes dans une même expression

4

0

je .*on

Termes séparés par 2 mots

63

1

ie .*on

Termes dans une même expression

38

28

ie .*on

Termes séparés par 2 mots

0

0

j .*on

Termes dans une même expression

1

1

j .*on

Termes séparés par 2 mots

29

1

i .*on

Termes dans une même expression

30

10

i .*on

Termes séparés par 2 mots

361

15

43Je signale que les occurrences sont contenues dans un nombre assez restreint de textes, pour la plupart rédigés en patois ou qui insèrent des passages reproduisant des sociolectes spécifiques. En voici quelques exemples :

Encore que ie ne sçache pas escrire i’ay prié le Clerc d’vn Procureur noustre voisin de m’escrire ce que ie luy diray, pour escrire à vostre Maiesté, puisque la necessité m’y contrainct. Vous auez fait assieger Paris, & ie ne sçauons pas prequoy si ce n’est pre satifaire à vn homme qui a pris tout l’argent des cofres du Roy, des voutre & de noutre aussi, cependant il faut que ie patissions de tout cela, & que à cause de ce braue homme ie mourions quasi de faim40

Pierrot, Iaquet, Thibaut, Clement
Allons bouter la velle o vent ;
La Barque est toute preparée,
I’allons zauer bonne marée,
Cha vite apporte no filets,
No tire auant crampons & rets, […]
Ie ferons vne bonne queste,
En su temps chy de la tempeste, […]
Ie pequeron du haren frais,
Que sallerons pour le Caresme41;

Dame Pacquette, O laissons là tout le mauuais temps, & parlons vn petit des affaires de l’Estat, il faut bienque i’en parlions, puisque tout le monde en parle. […]
Dame Georgette. I’auons assez deuisé des affaires d’Estat, i’auons bien merité de boire chacune vn coup, aussi-bien vouest auiourd’huy la Micaresme42;
Mais il ne veullent pas nous entendre de peur que ie ne leur monstrions que sont de beaux esprits aupris de nous43.

44Pour ce qui concerne les formes verbales qui constituent des lieux de variation diachronique (formes anciennes), j’ai interrogé le corpus mazarinades.org, en me basant sur l’analyse effectuée par Ayres-Bennett44. Les résultats sont résumés dans le tableau suivant, où j’ai également indiqué la date de la dernière occurrence présente dans Frantext.

FORMES ANCIENNES

Occurrences dans 

mazarinades.org

dernière occurrence dans Frantext

print

prinrent

prindrent

15

1

8

1637

1624

1631

tindrent

8

1646

vindrent

51

1664

3.3 Commentaire

45Les données obtenues permettent d’observer que dans le corpus mazarinades.org, on enregistre une quantité d’archaïsmes et de mots bas plus élevée que dans Frantext, d’autant plus significative lorsqu’on considère que les occurrences sont concentrées dans un espace temporel réduit. C’est surtout au niveau des locutions, beaucoup plus fréquentes que dans la production littéraire contemporaine, que la langue des mazarinades s’éloigne le plus de la norme.

46Pour ce qui est des néologismes et des attestations précoces et rares, ils sont quantitativement nombreux, ce qui dénote fécondité, vivacité et effervescence dans le français du xviie siècle. Si on les examine du point de vue qualitatif et en se demandant comment ces formes ont été forgées, on remarque que – contrairement à ce qu’on pourrait supposer – celles qui sont construites à partir de mots bas ou populaires sont assez rares et minoritaires ; c’est le cas, par exemple, de bougraille, dérivé de bougre (sodomite), attesté comme injurieux au xvie siècle45. La plupart de ces formes dérivent de mots d’usage commun ou appartenant à un registre soutenu qui, transformées et innovées par le biais de suffixes dépréciatifs, prennent une acception négative, jusqu’à devenir des insultes (ex. : cardinalesque, monopoliste, machiaveliste, doctissimes, scientissime). Cela peut être expliqué par le fait que les auteurs de mazarinades n’appartiennent pas à la classe populaire mais à un milieu cultivé.

47Tous ces mots manipulés, extravagants, qui vont à l’encontre des règles mériteraient d’être inclus dans les bases de données à disposition des linguistes car il s’agit de l’un des rares témoignages qui nous soient parvenus d’un français qui ne rentre pas dans la norme.

48Pour avoir un cadre plus précis de la variation au niveau de la morphologie, les enquêtes devront être multipliées. Il semblerait que, dans son ensemble, elle soit conforme au français de l’époque et que les traits non standard soient en grande partie insérés volontairement et de manière plutôt stéréotypée surtout dans des mazarinades burlesques ou écrites dans les langues régionales.

4. Conclusion

49Bien que malheureusement limités par l’impossibilité d’interrogations lexicométriques avancées, les résultats des sondages menés sont significatifs et prometteurs.

50Les mazarinades sont indéniablement un réservoir privilégié d’usages linguistiques non standard qui complètent et dépassent le canon littéraire.

51Elles nous renseignent à propos de l’imaginaire linguistique de la France : on constate qu’au moment de la Fronde, il y avait la perception d’une distance existante entre une variété normée et prestigieuse de la langue imposée par le pouvoir et l’idéologie politique, et une autre variété, basse, vernaculaire, triviale46. Cette dernière variété, stigmatisée par les grammairiens et les remarqueurs47, est attribuée, par les auteurs des mazarinades, qui la reproduisent, à des espaces géographiques et sociaux périphériques. Cette émergence de la parole excentrée ne doit cependant pas être interprétée comme l’expression directe de la conscience du peuple : en cette période de conflit et de littérarisation du politique, les libellistes font parler les gens communs parce que leur propre langue, la langue centrale, polie et élégante pratiquée dans les milieux gravitant autour de la cour parisienne, est sans doute ressentie comme peu efficace à fustiger le pouvoir.

52Pour ce qui est de l’histoire du français, les mazarinades occupent une place de relief car elles amènent à nuancer la conviction répandue selon laquelle l’évolution du français vers le classicisme s’est faite par un mouvement de codification sévère, de purisme rigide et par l’élimination de toute variation.

53Elles prouvent qu’il existait aussi une tension opposée, contraire à l’ordre : une vague de fantaisie et de vitalité qui a conféré à la langue une puissante force de frappe et l’a sans doute aidée à progresser vers les idéaux classiques de justesse et de rigueur.

Notes

1 L’expression « un déluge de libelles diffamatoires », provenant de la mazarinade du pamphlétaire frondeur François Davant, La Balance stable de la veritable de la Fronde ([M0_560], p. 5), a été reprise par Hubert Carrier dans La presse de la Fronde (1648-1653) : les Mazarinades. La Conquête de l’opinion, Genève, Droz, 1989, p. 55.

2 En particulier : Wendy Ayres-Bennett, Sociolinguistic Variation in Seventeenth Century France, Cambridge University Press, 2004, dans lequel est analysé un corpus choisi de 10 mazarinades.

3 Entre autres : Anthony Lodge, « Histoire sociolinguistique du français de Paris », dans Paris, Université de tous les savoirs, dir. Y. Michau, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 257-285 ; id., A Sociolinguistic History of Parisian French, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; id., « La sociolinguistique historique et le problème des données », dans D. Aquino-Weber, S. Cotelli, A. Kristol (éd.), Sociolinguistique historique du domaine gallo-roman : enjeux et méthodologies, Bern, Peter Lang, 2009, p. 199-219, qui prennent en considération essentiellement des mazarinades écrites en patois.

4 En plus des travaux cités aux notes 2 et 3, pour le xviie siècle on peut signaler les travaux de France Martineau sur le français du Canada, véhiculé dans le continent américain par des locuteurs appartenant aux couches moyennes ou inférieures de la société française (notamment : « À distance de Paris : usages linguistiques en France et en Nouvelle France à l’époque classique », dans D. Aquino-Weber, S. Cotelli, A. Kristol (éd.), op. cit., p. 221-242) ou l’analyse menée par Andres Kristol du journal de Jean Héroard, médecin du futur Louis XIII, qui documente les comportements discursifs du jeune « enfant royal » et de son entourage (Andres Kristol, « Sociolinguistique historique et analyse de la conversation : une nouvelle approche du Journal d’hygiène de Jean Héroard », Vox Romanica, n° 68, 2009, p. 169-186).

5 Andres Kristol, art. cit., p. 169.

6 William Labov, Principles of Linguistic Change: Internal Factors, Oxford Blackwall, 1994, p. 11. Pour la langue française, cf. plus précisément Wendy Ayres-Bennett, « Socio-historical linguistics and the history of French », French Language Studies, n° 17, 2001, p. 159-177.

7 Par « langue populaire » à l’âge classique, il faut entendre, selon Roger Lathuillère : « celle qui est étrangère à la langue des honnêtes gens et des doctes » et / ou celle « écartée des grandes œuvres par souci du bon et du bel usage » (« Pour une étude de la langue populaire à l’époque classique », p. 279-286 dans Mélanges de langue et de littérature offerts à Alice Planche, éd. Ambroise Quefellec, Paris, Éd. les Belles lettres, 1984, 2 vol. : n° spécial des Annales de la Faculté des lettres et sciences humaines de Nice, n° 48, vol. 2, respectivement p. 279-280 et p. 286).

8 W. Ayres-Bennett écrit à ce propos : « the exploitation of literary representations of substandard usages requires extreme caution since frequently caricature is employed in order to achieve immediate recognition of the type by the audience » (art. cit., p. 164).

9 Les problèmes concernant l’identification et le traitement des sources du français parlé au xviie siècle sont discutées par Wendy Ayres-Bennett, « Voices From The Past: Sources of Seventeenth-Century Spoken French », Romanische Forschungen, n° 112 (3), 2000, p. 323-348.

10 Selon Péter Rácz : « a segment is salient if it has a large surprisal value when compared to an array of language input. A variable that has cognitively salient realisations can, in turn, be a marker of social indexation, becoming socially salient for the members of the language community. » (Salience in sociolinguistics. A quantitative approach, Berlin/Boston, De Gruyter Mouton, 2013, p. 37). Peter Trudgill affirme qu’une variante est saillante, entre autres, si elle est « overtly stigmatized in a particular community » (Dialects in Contact, Oxford, Blackwell, 1986, coll. « Language in Society », p. 11).

11 A. Lodge, « La sociolinguistique historique … », art. cit., p. 212.

12 Ibid., p. 213.

13 C. F. de Vaugelas, Remarques sur la langue françoise utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, Paris, Camusat et Le Petit, 1647.

14 T. Matsumura, « Sur quelques dérivés du nom Mazarin » dans L’exploration des mazarinades / マザリナード探求 [Mazarinādo tankyū], édité par Tadako Ichimaru, textes traduits en japonais par Yuko Nakatsumi, [actes du colloque du 3 novembre 2016 à l’Université de Tokyo], Tokyo, Projet Mazarinades, déc. 2021, 193 p., p. 118-126 ; également en ligne à l’adresse : http://mazarinades.org/2019/06/colloque-tokyo-2016-takeshi-matsumura/

15 Vaugelas, op. cit., p. 568.

16 Ibid., p. 242.

17 Ibid., p. 171.

18 Ibid., p. 244.

19 Ibid., p. 403.

20 Ibid., p. 224.

21 Ibid., p. 230.

22 Ibid., p. 111.

23 Dont 42 occurrences antérieures à 1647.

24 Vingt occurrences se retrouvent chez le même auteur (Nicolas-Claude Fabri de Peiresc) et sont antérieures à 1636 ; quatre sont dans des textes burlesques de Charles Coypeau d’Assoucy de 1648.

25 Toutes les occurrences sont antérieures à 1642, à l’exception d’une occurrence en 1654 et une en 1656.

26 Vaugelas, op. cit., p. 346.

27 Ibid., p. 484.

28 Ibid., p. 377.

29 Ibid., p. 335.

30 Ibid., p. 542.

31 Ibid., p. 123.

32 Ibid., p. 173-174.

33 Ibid., p. 316-318.

34 Ibid., p. 192.

35 Toutes les occurrences sont dans le même texte : Jean-François Senault, De l'usage des passions, Paris, veuve J. Camusat, 1641.

36 Onze occurrences sont antérieures à 1646.

37 Ils ont été choisis essentiellement, mais pas uniquement, d’après les travaux de T. Matsumura, art. cit.

38 « Surquoy messieurs furent criez / Par l’insolente populace, / qui les poussoit auec menace, / Disant tout haut ie sons vendus, / Ie serons bien tost tous pendus / S’il plaist au bon Dieu ma commere, / C’est grand pitié que la misere : / Ils auons signé nostre mort : / C’est fait de Monsieur de Beaufort : / guerre & point de paix pour vn double. », Saint-Julien [?], Le Covrrier bvrlesque de la gverre de Paris…, [M0_814, partie 1], 1650, p. 27.

39 Nouveaux Complimens de la place Maubert, des halles, cimetière S-Jean, Marché neuf, et autres places publiques. Ensemble la résjouissance des harengères et poissonnières faite ces jours passés au gasteau de leurs Reines, Paris, 1644. Cf. A. Lodge, « La sociolinguistique historique … », art. cit., p. 211.

40 Plaintes d’vne Frvictiere, et d’vne Harangere enuoyées à la Reyne,1649, [M0_2786], p. 3.

41 Les maltotiers,ov les peschevrs en eav trovble, En vers Burlesques, langue Normande, 1649, [M0_2344], p. 3.

42 La micaresme des harangeres, ou leur entretien sur les affaires de l’Estat,1649, [M0_2466], p. 4 et p. 8.

43 Dialogve d’vn Batelier, d’vn Vigneron, et d’vn Savetier sur les affaires du temps present, 1650, [Cote Tokyo D_2_23], p. 7.

44 Wendy Ayres-Bennett, Sociolinguistic Variation in Seventeenth Century France, op. cit., p. 201-208.

45 Voir le Dictionnaire du Moyen Français (http://zeus.atilf.fr/dmf/), s. v. Bougre1.

46 Selon Lodge : « Les moments de conflits sociaux intenses font souvent naître une conscience accrue des différences de parler entre les divers groupes en présence » (« La sociolinguistique historique … », art. cit., p. 203).

47 Les remarqueurs sont les auteurs d’observations sur la langue qui enregistrent les particularités de l’usage réel. Ils se distinguent des grammairiens car il ne se soucient pas de donner un caractère ordonné à leurs ouvrages ni de conceptualiser ou rationaliser leur discours. Voir au moins Philippe Caron (dir.), Les Remarqueurs sur la langue française du xvie siècle à nos jours, Rennes, P.U.R., 2004 ; voir aussi Wendy Ayres-Bennett et Magali Seijido, Remarques et observations sur la langue française : Histoire et évolution d’un genre, Paris, Classiques Garnier, 2011.

Pour citer ce document

Antonella Amatuzzi, « Déterritorialiser les mazarinades pour étudier la variation du français classique  » dans Mazarinades et territoires,

Premier numéro

© Revue du GRHis, « Revue du GRHis », n° 1,2025

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/grhis/index.php?id=121.

Quelques mots à propos de :  Antonella Amatuzzi

Professeure de français à l’Université de Turin, spécialiste de l’histoire de la langue française des XVIè et XVIIè siècles, s’intéresse notamment aux genres textuels brefs (correspondances, fables, pamphlets), à la lexicographie historique (dictionnaires) et à l’histoire de l’enseignement des langues (grammaires).