Pirandello et la création d’un « acte de vie » sur la scène

Silvia De Min


Texte intégral

I

1En 1935, un an avant de mourir, Luigi Pirandello écrit l’Introduction au théâtre italien, un essai qui n’a pas encore été traduit en français, bien qu’il s’agisse d’une référence fondamentale dans les réflexions consacrées à la dramaturgie et aux processus de création. Pirandello y reconstruit l’histoire du théâtre italien, en s’arrêtant sur des moments-clés où la vie des personnages, « avec tout ce qu’il y a de changeant, de fluide, de contradictoire, de momentané1 », est mise en avant par rapport à la construction de la trame. Si le rapport entre auteur et acteurs est au cœur des nombreuses réflexions de Pirandello sur le théâtre, l’écrivain était surtout obsédé par la nature du personnage.

2Dans les pages qui suivent, nous étudions l’effet théâtral obtenu quand, au lieu d’un système logique de causalité qui fait bouger l’intrigue, l’œuvre théâtrale repose sur l’autonomie du personnage. Comment décliner les notions de hasard et de nécessité à partir de cette perspective ?

3Mettre au centre de la réflexion la vitalité imprévisible des personnages signifie tout d’abord s’interroger sur la forme textuelle qui pourrait la contenir, sans l’étouffer dans les supposées exigences de l’écriture dramatique. Au xxe siècle, du reste, le théâtre du texte s’est de plus en plus confronté à l’exigence de faire oublier la prétendue pesanteur de la parole écrite une fois que celle-ci monte sur scène. « Il ne faut pas que ça “fasse texte” » : c’est l’expression paradoxale qui, selon Joseph Danan, régit la création théâtrale occidentale2. L’essai de Pirandello reformule cette question en la posant selon une perspective historique.

4Homme du livre et homme de la scène, Pirandello est un dramaturge qui occupe une position médiane entre la plus haute tradition littéraire du grand théâtre occidental et la conscience que, au cœur du théâtre, il y a le moment de la représentation. En effet, dans ses essais comme dans ses dramaturgies, Pirandello n’arrête pas de s’interroger sur la nature mobile de chaque acte créatif, sur la tension entre l’immobilité du texte fixé sur la page – une partie écrite qui contient une promesse de théâtralité – et la mobilité infinie de la parole théâtrale qui l’interprète – partie aléatoire qui réalise cette promesse. C’est une tension que nous pouvons reformuler comme étant située entre nécessité et hasard et, dans les pages du dramaturge sicilien, elle fait appel au rôle du personnage.

5En 1935, Silvio d’Amico, critique de théâtre et journaliste, demanda à Pirandello d’écrire l’Introduction d’un volume consacré à l’histoire du théâtre italien qu’il allait éditer. Pirandello récupère un texte qu’il avait écrit un an auparavant à l’aide de son fils Stefano3. Dans l’analyse qui suit, nous ne nous attarderons pas sur la propagande nationaliste sous-jacente à l’écriture d’un essai dans lequel Pirandello veut se montrer favorable à la fondation d’un Théâtre d’État, soutenant la primauté du théâtre italien dans le monde. Nous ne lirons pas non plus l’essai pour voir comment l’écrivain valide le poids de sa propre production en l’insérant dans le socle d’une tradition théâtrale qui, de la Commedia dell’Arte, en passant par Goldoni, trouverait sa nouvelle gloire avec lui. Dans le cadre de ce recueil d’études sur l’implication de la tension entre hasard et nécessité au théâtre, nous voudrions plutôt insister sur ce qui, dans l’histoire du théâtre italien, pour Pirandello, constitue un écart par rapport à la norme. En effet, pour l’auteur, celle du théâtre italien est une histoire de déviations, d’irrégularités, des mouvements aléatoires qui surprennent la logique conventionnelle de l’écriture théâtrale. Et pour montrer cet écart par rapport à la norme, Pirandello saisit quatre moments de cette histoire : la naissance du drame sacré, la Commedia dell’arte, le théâtre de Goldoni, pour terminer avec son propre théâtre.

II

6Le tout premier phénomène qui représente un écart par rapport à une norme compositionnelle nous plonge à l’époque des drames sacrés du Moyen Âge :

En rapprochant de la vie quotidienne les grands Personnages dont [la poésie religieuse appropriée à une structure dramatique] exalte les actions et les sentiments pour les offrir au public comme exemple et réconfort, et non plus comme exercice artificiel de louange, elle réunit autour d’eux, en toile de fond de l’action mythique, une foule de personnages du présent, vivants, conservant leurs noms et prénoms, leurs mœurs, leur vie intérieure et toutes ces limites qui en font des caractères. C’est l’irruption de la vie dans un schéma4.

7La formulation est dense. Pirandello emprunte l’idée du schéma à l’art pictural. Comme dans la peinture de la même époque, le drame sacré médiéval fait se côtoyer les gestes des Saints et la vie du peuple. Dans les tableaux du Moyen Âge, les miracles des Saints pouvaient être transformés en épisodes aux couleurs locales, avec la représentation des mécènes en premier plan et une foule de figurants sur le fond. Ce même processus donnerait vie aux drames sacrés, lorsque la poésie religieuse s’incarne dans un contexte spectaculaire. Pirandello passe ainsi rapidement aux comédies qui, pour « adhérer à la vie », « forcent leur schéma classique pour accueillir une foule de personnages jamais vus, dangereusement mal éduqués, empêtrés dans les imbroglios les plus étranges5 ».

8Le premier signe d’une renaissance du théâtre italien est donc lisible dans l’irruption de l’inattendu dans le continuum canonique de la structure dramatique. La vie qui envahit le théâtre, et même le théâtre qui évolue à partir de la poésie religieuse, vient des figures des marges :

Le théâtre italien naquit dès qu’il fut possible de représenter en acte, sans soutien narratif, devant les citoyens rassemblés, les nouvelles aventures humaines, romanesques, comme les ressentait, déjà et surtout, le peuple6.

9Le romanesque est ici conçu comme la libération des schémas de composition dogmatiques, et il se manifesterait là où la logique narrative se retire pour laisser place à l’imagination7. Mais continuons :

La divine providence, qui est restée ce qu’elle est aussi longtemps qu’elle a régi point par point une vie qui ne bougeait plus, desserre les carcans de son gouvernement absolu ; le hasard qui agite très souvent à l’aveuglette les créatures humaines refait surface ; les aléas qui les jettent dans les aventures reviennent aussi ; et ce n’est que dans la conclusion heureuse ou tragique de la représentation que la Providence peut encore être considérée comme l’étoile polaire dont la lumière, a posteriori, par le raisonnement, apporte la morale de tout ce qui est advenu entre ces hommes presque livrés à eux-mêmes, qui ont agi selon l’éthique naturelle plus que selon des préceptes, et selon leurs sentiments plus que par une crainte imposée qui les freine. Lope de Vega et Calderon en tiendront compte pour conférer de la vigueur, du mouvement et une émotion humaine à leurs drames religieux8.

10L’« éthique naturelle » s’oppose aux « préceptes », ainsi que les « sentiments » s’opposent à la « crainte imposée ». La vie qui envahit le théâtre vient du « hasard ». La « nécessité » – que Pirandello définit en termes de « Providence divine » – semble pouvoir être déterminée seulement par une lecture des faits a posteriori. Il est important de souligner que Pirandello ne parle pas, simplement, des manières différentes d’être au monde, mais qu’il recourt à des mots-clés qui révèlent des principes de composition dramaturgique.

11Nous allons faire à présent converger la réflexion de Pirandello vers deux catégories fondamentales, le destin et le caractère, que nous évoquerons ici en faisant appel à l’essai de Walter Benjamin, Destin et caractère9. Selon Benjamin, normalement, le destin et le caractère sont conçus comme liés : le destin déterminerait un certain caractère, dans la mesure où quelqu’un qui a un caractère donné finirait sans doute par avoir tel destin. Benjamin, dans son essai de 1919, tente de démêler ce lien de causalité. Le caractère serait l’expression de l’autonomie de la volonté, tandis que le destin est présenté comme un cycle dans lequel l’idée de culpabilité et de vengeance exerce une suprématie sur les sujets, la vie et la possibilité de choix. Pour ne pas réduire le caractère à une lecture éthique (le bon et le mauvais caractère) qui finit par le lier au concept du destin, Benjamin suggère de comprendre son signifié dans le contexte de la comédie, là où le caractère d’un personnage n’est pas jugé moralement mais traité pour ce qu’il est :

Dans le rôle principal de la comédie de caractère se trouve assez souvent un individu que nous qualifierions de coquin, si nous étions confrontés dans la vie à ses actes […]. Mais sur la scène de la comédie, ses actes ne prennent d’autre intérêt que celui que leur confère l’éclairage du caractère, et celui-ci est dans le cas classique l’objet, non d’une condamnation morale, mais d’une grande hilarité. […] Si le destin déroule l’immense complication de la personne livrée à la culpabilité, s’il expose la complication et le pouvoir contraignant de sa faute, le caractère apporte à cet asservissement mythique de la personne dans l’horizon de la faute la réponse du Génie. La complication devient simplicité, le fatum devient liberté10.

12Comme dans la citation précédente de Pirandello, le lien entre caractère et destin semble se révéler seulement a posteriori. Démêlant ainsi le nœud qui voulait que destin et caractère soient dépendants l’un de l’autre, les personnages de caractère se libèrent, faisant irruption dans l’histoire, tout en sortant du récit.

13Dans la première partie de son Introduction, Pirandello semble insister sur le fait que les premiers moments de renaissance du théâtre italien se réalisent quand les personnages de caractère côtoient les personnages de destin, quand les personnages « du hasard » côtoient les personnages qui courent vers une fin déterminée.

III

14Après la tradition des drames sacrés, Pirandello s’attarde sur la Commedia dell’arte. À une époque où des interprétations mystifiantes étaient répandues, il relit le phénomène selon une perspective qui cherche à en valoriser les fondements historiques. L’auteur soutient que cette tradition n’est pas née de simples acteurs, prodigieusement inspirés et doués pour l’improvisation, mais de véritables auteurs :

Il est donc absurde de voir dans la Commedia dell’arte une simple trouvaille d’acteurs. Il suffit de connaître un peu comment se déroule le travail de l’acteur sur les planches de la scène, de connaître les soutiens qui lui sont nécessaires pour faire un pas à droite plutôt qu’à gauche, pour comprendre que l’idée de jouer à l’impromptu ne pouvait pas naître chez des acteurs. La Commedia dell’arte naît en revanche, grâce à des auteurs qui s’approchent tant du Théâtre, de la vie du Théâtre, qu’ils deviennent eux-mêmes acteurs et qu’ils commencent à écrire les comédies qu’ils jouent, des comédies tout de suite plus théâtrales, parce que non composées dans la solitude d’un bureau de lettré, mais presque devant le souffle chaud du public11.

15Les auteurs deviennent acteurs et, une fois sur scène, ils finissent par créer leurs textes au moment même où ils vivent la pièce : c’est l’idée, qu’on trouve dans un autre passage de l’Introduction, de « représenter en acte, sans soutien narratif ». Pirandello dira de son théâtre que chaque personnage sur scène doit y avoir sa propre voix et que le texte doit donner l’impression qu’il a été écrit par plusieurs plumes : une proposition renvoyant à la pluralité auctoriale que l’on retrouve précisément dans cette conception de la Commedia dell’arte. Chaque comédien dell’arte aurait fini par se concentrer sur son propre personnage et, à travers la concertation d’un capocomico, les histoires prenaient vie :

Ce ne sont plus des auteurs, mais ce ne sont pas non plus, au sens propre du terme, des acteurs. Alors que sont-ils ?
Chacun est désormais devenu un type, avec sa vie scénique totalement prédéterminée ; jusqu’à la convention qui veut qu’avec dix d’entre eux […] on puisse créer un spectacle varié et complexe12.

16Dans Moyens sans fins, Giorgio Agamben nous aide à comprendre ce potentiel innovant de la Commedia dell’arte quand il écrit que l’intrigue était conçue « afin de pouvoir créer des situations dans lesquelles un geste humain soustrait aux pouvoirs du mythe et du destin pouvait finalement avoir lieu13 ». Ainsi, l’intrigue ne serait rien de plus qu’un prétexte pour permettre aux personnages de se manifester14.

17Quand un auteur-acteur se consacre à un seul personnage et non pas à une intrigue, en effet, ce personnage peut être transporté après dans des mondes qui ne sont pas le sien. Le personnage de Zanni, par exemple, ce « paysan balourd, en même temps naïf et rusé », se retrouve « engoncé dans ses vêtements caractéristiques, précisément sur les planches d’une scène de théâtre, alors qu’on jouait… la comédie d’un autre15 ». Cependant, le revers de la médaille ne tarde pas à apparaître. En fait, la Commedia dell’arte, qui naît sous les formes de l’expressivité la plus spontanée et la plus libre, finit par se figer dans des formes typées répondant, tout d’abord, à une nécessité productive. Du reste, la créativité propre aux comédiens dell’arte contient en elle-même sa propre fin, car le processus de focalisation sur le personnage, selon Pirandello, finit par sécher la sève des comédies :

Peu à peu, tous les personnages – en réalité tous les types désormais – se retrouvèrent sur cette scène, dans cette même situation, et les comédies d’où ils venaient étaient toutes présentes : toutes et aucune. Parce que la passion du Théâtre qui voulait qu’elles soient toutes là, pour faire du spectacle, avait flétri et desséché leur sève et, dans le même temps, avait consumé leur forme. Il n’en restait, concentré dans les types, que le mouvement pur16.

18L’expérience de la Commedia dell’arte se termine et Pirandello identifie en Goldoni le successeur de cette tradition, se distançant de l’idée répandue à l’époque qui faisait de l’auteur vénitien le briseur de cette tradition. Goldoni aurait donné forme humaine aux masques de la Comédie, réintégrant l’élément vital qui s’était perdu, en le mettant en valeur sous une toute nouvelle forme. Le dramaturge vénitien, en effet, substitua aux anecdotes abstraites des anecdotes réalistes, il cacha derrière la vitalité du style romanesque la complexité de personnages qui vivent des vraies crises identitaires et des vraies progressions psychologiques17. Pirandello écrit :

Il revint certes à Goldoni la gloire d’avoir arraché les masques à leur mécanique rigide et à leur rire désormais factice, pour redonner aux muscles du visage humain, à nouveau libérés, le rire naturel d’une vie cueillie dans le jeu le plus vivant, et en même temps le plus exquis, d’une grâce inégalable.

19Mais surtout :

Le vrai, le grand auteur se manifeste en réalité à travers les personnages secondaires, dont l’un, la servante, devient tout à coup, avec Mirandolina, le centre d’une comédie. Et de multiples autres naissent, désormais seuls et libres, pour faire du barouf à Chioggia.
Qu’est-il arrivé ?
[…] Goldoni a dépassé le caractère et il a trouvé avec un bonheur exceptionnel, avec une légèreté de ton qui étourdit, tout ce que la vie en action a de changeant, de fluide, de contradictoire, de momentané, il a ainsi ouvert, d’un coup de baguette magique, la veine du Théâtre contemporain sur le rocher où les « caractères » du théâtre baroque étaient à peine ébauchés, plus grossiers que grands, comme ils nous apparaissent18.

20Dans le contexte foisonnant de La Locandiera, la servante Mirandolina devient inopinément protagoniste d’une pièce qui révèle, derrière les échanges plaisants avec ses prétendants, les nuances de son caractère : la fragilité qui contrebalance la force, l’hésitation par laquelle est voilée la confiance ostentatoire. Selon Pirandello, le caractère qui s’était figé en perdant en vitalité a été ainsi dépassé par Goldoni. Mais il ne faut pas oublier que la vie que Goldoni a ramenée au théâtre provenait aussi d’un travail de collaboration étroite avec les acteurs, comme un vrai capocomico. Une collaboration à laquelle rêvait Pirandello, lorsqu’il ouvra son Teatro d’Arte à Rome en 1925, là où un groupe stable – la compagnie – donna vie à ses pièces, reproduisant le système de création artistique qui était propre à la Commedia dell’arte. Dans ce contexte, Pirandello élabore une méthode pour les répétitions qu’il résume dans l’idée de « faire répéter non les acteurs mais les personnages19 ». À travers cette pédagogie de l’acteur, il s’agissait de rendre les personnages vivants, soumis au potentiel hasard du plateau ; il s’agissait de faire en sorte que les acteurs ne jouent pas un rôle figé, piégés par les nécessités de la dramaturgie. L’Introduction au théâtre italien semble être la reconstruction de l’histoire d’une tradition théâtrale nationale à la recherche des moments où ce processus s’est mis en marche : des comédiens dell’arte au début de leur expérimentation sur la mise en valeur d’une profondeur psychologique de personnages issus des marges, comme la Mirandolina de Goldoni. Pirandello aspirait à cela : que le personnage vive et ne soit pas vécu par un acteur. Une anecdote : Marta Abba, l’interprète préférée de Pirandello, avait l’habitude d’accrocher à la porte de son vestiaire non pas son propre nom, mais le nom du personnage qu’elle allait jouer.

IV

21Des drames sacrés aux comédiens dell’arte jusqu’à Goldoni, Pirandello conclut l’essai en faisant allusion à son époque et à son propre théâtre :

Parce que l’œuvre d’art, au théâtre, n’est plus le travail d’un écrivain, qui peut par ailleurs toujours être sauvegardé, mais un acte de vie à créer, instant après instant, sur la scène, avec le concours du public qui doit en faire ses délices20.

22La vie de l’œuvre écrite, telle qu’elle apparaît dans l’imagination de son auteur, doit trouver une égale vivacité dans le moment de son existence scénique. Pour Pirandello, cela ne peut se faire que par une collaboration étroite, coude à coude, entre l’auteur et les interprètes. Cette création partagée, qui est un partage de l’essence de la vérité présente dans l’œuvre d’art, est un moment de profonde adhésion à la vie. Les « personnages de caractère », au sens benjaminien du terme, sont sur scène en dehors des mailles rigides du récit, parce qu’ils sont soumis au hasard, à la mutabilité incontrôlée et incontrôlable de leur être dans le monde. Ainsi le théâtre peut

tenter l’expression directe et libre des sentiments réels, présents, qui bataillent dans l’âme de chaque être humain, sans avoir peur de toutes les contradictions inhérentes à ces sentiments, ni de celles propres à l’imagination et à la volonté, jusqu’ici scrupuleusement éliminées parce que non conformes à la structure morale et esthétique du personnage21.

23De cet essai nous tirons une idée simple mais fondamentale concernant la conception de la création théâtrale pour Pirandello : le personnage est au centre de la création artistique et il se charge de l’initiative du processus créatif. L’œuvre semble ainsi résulter des mouvements du hasard.

24Après avoir parcouru l’Introduction au théâtre italien, il peut être intéressant, à présent, de regarder de plus près la pratique de quelques-unes des dramaturgies pirandelliennes, pour essayer de soumettre les idées de l’essai à l’épreuve de la pratique théâtrale.

V

25En se focalisant sur l’évolution de la nature des personnages dans le théâtre italien, Pirandello insiste sur le fait que c’est le caractère des personnages qui détermine l’intrigue et non l’inverse. Et quand il s’agit de ses dramaturgies, ce caractère, bien évidemment, est très complexe. À côté d’une réflexion sur la création artistique, en effet, l’écrivain élabore une réflexion sur la crise de l’individu en termes de désagrégation de l’identité. Le malaise vécu par les hommes et les femmes de son époque ne pouvait pas être réduit à la crise de la société de la fin du xixe siècle. Cette crise révélerait au contraire un état propre aux humains de tous les temps, un état qui aurait tendance à ne pas se manifester dans les époques les plus sereines. Selon Pirandello, l’être humain est donc désagrégé par nature, il est incapable de se réduire à un principe absolu et son esprit est intrinsèquement contradictoire.

26Ainsi, la désintégration et le conflit sont introduits par l’écrivain au cœur de la forme dramatique, dans le tissu verbal des personnages, qui ne peuvent pas s’accrocher à une seule identité, qu’elle soit sociale, familiale ou artistique. Toute la production dramaturgique de Pirandello interroge la complexité de l’individu. Entre la fin des années 1920 et les années 1930, les pièces construites autour de ce principe sont de plus en plus nombreuses : on peut par exemple citer Quand on est quelqu’un (1933), Se trouver (1932), ou encore Comme tu me veux (1929). On s’attardera un moment sur cette dernière pour donner un exemple concret22.

27Pirandello écrit la pièce en 1929, à Berlin. La protagoniste, l’Inconnue, est un corps sans nom : danseuse de cabaret et maîtresse d’un célèbre écrivain qui vit dans la capitale allemande, elle est reconnue sous le nom de Lucia, une femme disparue dix ans auparavant de la Vénétie pendant la guerre. Malgré les pressions des autres personnages qui veulent absolument connaître la vérité, l’Inconnue ne s’accroche pas à une identité :

Je suis là, je suis à toi. […] Fais-moi comme tu me veux ! […]
Être ? Être n’est rien ! Ce qu’on est, c’est ce qu’on fait de soi23 !

28Pirandello imagine donc une histoire sans histoire, une intrigue déterminée par l’impossibilité de s’accrocher à une certitude. Claudio Vicentini écrit :

Le personnage n’est plus un individu unique […] ; il contient plusieurs modèles distincts de comportement psychique. Et lorsqu’il est soumis à une pression émotionnelle particulière, ces différents comportements apparaissent soudainement, l’un après l’autre, souvent sans aucune nuance de transition24.

29L’Inconnue met en crise le dialogue, en l’empêchant de suivre la logique qui ferait progresser une discussion ; l’intrigue avance à peine et, à la fin, elle ne trouve pas de vraie solution. La pièce semble être complètement assujettie au hasard du tourment du personnage. Lisons, par exemple, la fin du premier acte de la pièce. Salter, l’écrivain allemand, a tenté le suicide face aux menaces de l’Inconnue qui supporte mal sa jalousie ; Boffi, l’émissaire de la famille vénitienne qui veut faire revenir l’Inconnue en Italie, essaie de convaincre la femme – Lucia pour lui – de le suivre et menace de la mettre face à son premier mari ; Mop, la fille de Salter amoureuse de l’Inconnue – Elma pour elle –, fait tout son possible pour qu’elle reste à Berlin :

Boffi : Vous, maintenant, vous allez venir avec moi.
Mop, appelant depuis le bureau : Elma, Elma, viens ici !
L’inconnue, à Boffi : Non, où voulez-vous que j’aille, maintenant ?
Boffi : Mais, Lucia…
Mop, apparaissant sous l’arche : Elma !
L’inconnue : Elle m’appelle Elma, vous entendez ?
Boffi : Alors je vais le faire venir, lui !
Mop : Tu ne penses tout de même pas t’en aller –
Boffi : – après qu’il l’a menacée toute la soirée ? –
Mop : – mais justement parce qu’elle voulait s’en aller !
Boffi, prenant l’Inconnue par le bras : Je vais revenir avec lui, Lucia ; et je suis certain qu’à peine vous le verrez…
Mop, venant la prendre par l’autre bras : Viens, viens, Elma ; il t’appelle : il te veut toi !
Boffi hausse les épaules, contrarié, et sort d’un pas résolu.
L’inconnue, à Mop : Vas-y, vas-y : j’arrive…
Mop s’éloigne, indécise, se retourne : Tu vas t’en aller…
L’inconnue : Non, j’arrive, j’arrive… Vas-y, ne le laisse pas seul…
Mop sort. Restée seule, l’Inconnue presse longuement les mains sur son visage, puis soudain les écarte pour se les passer sur les tempes, chacune d’un côté comme pour soutenir sa tête, la tenir désespérément droite, et elle ferme les yeux pour dire :
Un corps sans nom ! sans nom25 !

30Ainsi, sur scène, en même temps que de désintégration de l’identité, les didascalies nous parlent de désintégration du corps. L’écriture de Pirandello suit ce processus à travers un fort déséquilibre entre des dialogues de plus en plus saccadés et des longs monologues où la protagoniste semble pouvoir développer la complexité du discours autour de son identité, sans pour autant parvenir à la définir.

31Le caractère de l’Inconnue, un caractère changeant et sujet au hasard de son tempérament, nous donne vraiment l’impression de déterminer l’intrigue. Du reste, la première didascalie que Pirandello lui consacre nous la présente ainsi, au moment où elle rentre chez Salter après une soirée festive :

L’Inconnue a dans les trente ans, très belle. Un peu ivre elle aussi, elle ne parvient pas, comme elle le voudrait, à donner à ses sourcils l’expression du regard noir qui montrerait sa volonté de se ressaisir, par le mépris de tout et de tous, de ne pas se laisser aller à l’abandon désespéré où semble se déliter son âme dévastée par les tempêtes de la vie. Sous une mantille très élégante, elle porte l’un de ces costumes splendides et étranges caractéristiques des danses de son invention26.

32Avant que le personnage ne s’impose sur la scène, c’est l’auteur qui le présente non seulement comme instable, mais incapable de maîtriser sa propre instabilité ou l’expressivité de son corps. La didascalie que nous venons de citer fait partie des didascalies initiales consacrées à la description des personnages, un espace d’écriture où l’auteur peut s’exprimer librement, sans être sujet au dynamisme du plateau. Et ici, dans presque toutes ses pièces, Pirandello laisse entendre qu’il a pleine conscience de la complexité du caractère de son personnage et, finalement, qu’il est capable de le dominer sur le plan de l’écriture dramatique. Nous y reviendrons.

VI

33Dans l’Introduction, on le rappelle, Pirandello écrit que l’œuvre théâtrale « n’est plus le travail d’un écrivain […] mais un acte de vie à créer, instant après instant, sur la scène ». Derrière cette phrase, on reconnaît sa conception de la création dramatique, qui consiste non pas dans le résultat de l’inspiration, mais qui est le fruit d’une rencontre entre l’auteur et un ou plusieurs personnages qui demandent à être réalisés27. La réflexion sur le statut du personnage est imbibée des connaissances et des intérêts théosophiques et spiritistes de Pirandello. En résumé, le personnage qui se présente dans l’esprit de l’auteur vit, après cette rencontre, une vie à lui seul, plus ou moins durable, une vie qui sera pour Pirandello le centre de la création artistique.

34Le drame qui incarne clairement cette idée de la force vitale et créatrice de l’imagination artistique est Six personnages en quête d’auteur (1921). Six personnages, créatures de la fantaisie, se présentent comme la « matière du roman » qui éprouve le besoin d’être transformée en action scénique : Pirandello y entrevoit la possibilité de penser le plateau comme la visualisation de l’espace mental de l’auteur, un espace envahi par des êtres autonomes et apparemment imprévisibles. Mais leur histoire est déjà advenue et le pari scénique consiste à réaffirmer que cela continue à arriver, que cela arrive toujours.

35On ne le souligne pas assez, mais la pièce réalise aussi sur scène la condamnation de la matérialité du théâtre : quand les six personnages, abandonnés par leur auteur, se présentent à un capocomico et à sa troupe, ils comprennent rapidement que les limites du jeu des acteurs condamnent à l’échec les tentatives de réaliser leur histoire familiale. Du reste, les personnages ne peuvent pas vivre à travers les acteurs parce qu’ils sont déjà vivants et Pirandello, comme nous l’avons bien compris en lisant l’Introduction au théâtre italien, vise l’idéal de la « dramaturgie “en action” ». D’où lui vient cette ambition ? Elle regarde la Commedia dell’arte et Goldoni. Il n’est donc pas étonnant que les Six personnages soit le texte le plus tissé de références à la Commedia dell’arte. Lisons par exemple ce passage, qui évoque la concertation des acteurs :

Le Père. – Comprenez-le bien : la pièce est à faire ; (au Directeur) mais si vous le voulez et vos acteurs aussi, on va concerter ça tout de suite entre nous !
Le Directeur, agacé. – Concerter ! Concerter ! Sur cette scène, on ne donne pas ce genre de concerts ! Sur cette scène, on joue des drames et des comédies !
Le Père. – Bien sûr ! C’est précisément pour cela que nous sommes venus vous trouver !
Le Directeur. – Où est votre manuscrit ?
Le Père. – Il est en nous, monsieur. (Les Acteurs rient.) Le drame est en nous ; c’est nous ; et nous sommes impatients de le représenter, comme nous y pousse la passion qui est en nous28 !

36La pièce simule le contexte de l’improvisation, mais il vaudrait mieux dire de création, de la Commedia dell’arte, comme s’il s’agissait d’une « dramaturgie en action » faite par les auteurs-acteurs. Les six personnages sortent de toute logique narrative parce qu’ils la précèdent mais, en même temps, ils sont condamnés à ne pas vivre l’histoire qui est la leur. D’autre part, cette condamnation est une nécessité contraignante qui les enferme tous dans le caractère dicté par le « sentiment fondamental » qu’ils portent. Lisons à ce propos la didascalie qui introduit les six personnages :

Celui qui voudrait tenter une traduction scénique de cette pièce devrait s’employer par tous les moyens à obtenir pleinement que ces Six Personnages ne se confondent pas avec les Acteurs de la Troupe. […] Le moyen le plus efficace et le plus adéquat sera l’utilisation des masques spéciaux pour les Personnages. […] Les Personnages en effet ne devront pas apparaître comme des fantômes, mais comme des réalités créées, des constructions immuables de l’imagination : donc, plus réels et plus consistants que le naturel changeant des Acteurs. Les masques contribueront à donner l’impression de la figure créée par l’art et figée immuablement dans l’expression de son propre sentiment fondamental, qui est le remords pour le Père, la vengeance pour la Belle-fille, le mépris pour le Fils et, pour la Mère, la douleur, avec des larmes de cire fixées dans les orbites livides et le long des joues comme on en voit sur les images sculptées et peintes de la Mater dolorosa des églises29.

37L’expression du sentiment fondamental rend visible le caractère des personnages sur scène, un caractère finalement figé30. D’autre part, le destin tragique des personnages consiste dans l’impossibilité de sortir de la dynamique relationnelle qui les enchaîne à la scène31. Voici donc le paradoxe de la pièce : le hasard de la création, qui est confiée aux personnages et dont l’écriture essaie de suivre les mouvements, coexiste avec la nécessité pour ces mêmes personnages de coïncider avec leur « masque ». Leur destin est l’impossibilité d’échapper à un caractère figé et, au même temps, de vivre jusqu’au bout ce caractère. Dans cette forme d’emprisonnement paradoxale réside le sentiment de martyre qui conduit beaucoup d’entre eux presque à l’aphasie.

38Pirandello, dans l’Introduction, construit sa pensée autour de deux axes, le schéma et l’élément vital, que nous avons renvoyés aux catégories de destin et de caractère. L’apport extraordinaire de Pirandello au théâtre du xxe siècle, comme le dit Nino Borsellino, est la création d’un personnage à « la conjonction du caractère et du destin32 », sans pour autant que caractère et destin soient liés par un lien de causalité. Nous avons associé le caractère à l’élément vital, assujetti au hasard, bien au-delà des interprétations qui le voient comme une figuration limitée à une qualité éthique ou psychologique qui détermine un comportement (le jaloux, l’avare, le misanthrope). Cependant, le contexte de la création artistique finit par déterminer le destin des personnages des pièces de Pirandello, leur donnant un cadre de nécessité.

39Si le caractère, libéré de toute prédétermination de l’individu, introduit l’élément vital dans le schéma artistique, l’espace de l’écriture dramatique reste seulement une apparence d’improvisation.

Conclusion

40Pirandello, évidemment, détermine entièrement le déroulement de ses pièces et l’improvisation est seulement apparente. Mais ce qui nous intéresse est que cette apparence d’improvisation coïncide ainsi avec le destin des personnages. Pour mieux comprendre ce passage, faisons appel à un autre texte, Ce soir on improvise (1929). Ici, le docteur Hinkfuss répète avec sa troupe d’acteurs une commedia a soggetto, une comédie élaborée à travers l’improvisation. Hinkfuss, comme metteur en scène moderne, a donné aux acteurs le canevas qui trace l’histoire de la ruine de la famille sicilienne La Croce. Nous voyons, en même temps, le développement de l’histoire et le processus de construction du spectacle qui nous la raconte. Hinkfuss incarne le pouvoir du metteur en scène qui veut tout définir. Mais, à cause de son intrusion constante sur le plateau qui interrompe la fluidité du travail des acteurs, la représentation ne peut pas se faire. C’est seulement quand il reste à sa place, derrière les coulisses, chassé par les acteurs, que la pièce semble enfin démarrer. Ainsi, les acteurs improvisent et donnent vie à une action qui semble vivre d’une nature et d’une vérité uniques : les personnages se révèlent.

41Mais le final de la pièce nous montre quelque chose de différent : en interprétant une scène qui lui tient particulièrement à cœur, la première actrice fait un malaise à cause de son investissement dans le personnage, qui a pris le dessous sur sa personne. C’est là qui réside la nécessité du texte écrit, réclamé à grands cris par les acteurs de la compagnie du docteur Hinkfuss : sans la médiation du texte et de l’auteur, l’acteur serait submergé par le personnage.

42Nous comprenons ainsi que pour Pirandello, l’interprète ne doit pas disparaître derrière le personnage, comme le voulait le théâtre naturaliste. L’acteur doit se vider, se libérer de sa propre personnalité et, à travers son jeu, il doit évoquer le personnage. On retrouve ainsi la dimension rituelle de l’incarnation du personnage : ce n’est pas l’acteur qui prend possession du personnage, mais c’est le personnage qui s’approprie l’acteur. Le texte demeure pour cela fondamental, car il est le lieu de ce passage et c’est le lieu qui rend possible la domination du personnage de la part de l’interprète.

43Pirandello ne renonce pas à l’écriture, même lorsqu’il envisage l’improvisation, parce que son théâtre naît de la volonté de faire revivre sur un plateau une vie déjà présente, sous une autre forme, une forme imaginative – et pourtant réelle – dans le texte. L’écriture est donc le fondement de sa vision du théâtre comme « un rite proprement religieux » ou comme « un acte de vie » qui rassemble les spectateurs « dans la réalité créée par le poète pour exalter leurs sentiments33 ». Pour cela, la collaboration entre auteur et acteurs est indispensable.

44Si dans l’Introduction au théâtre italien, Pirandello insiste sur l’« acte de vie » à créer sur scène, dans le moment de la représentation, cet acte de vie a une double nature. D’une part, il est l’expression de tout le changeant, le fluide, le contradictoire, du momentané qui relève du hasard et qui est la vie du personnage ; d’autre part il existe parce que l’écriture détermine la nécessité – et le contrôle – de son existence.

45L’espace textuel qui nous semble rendre évidente cette tension et cette coexistence entre hasard et nécessité est l’espace textuel où les didascalies présentent les personnages : didascalies détaillées, littéraires, précises et ambitieuses. Il s’agit d’une piste d’analyse que nous comptons poursuivre ailleurs : les didascalies nous semblent présenter avec précision extraordinaire des personnages qui, au contraire, ont du mal à se définir. Les personnages désagrégés de Pirandello sont certes des personnages de caractère, mais dont le caractère consiste à vouloir être des personnages de destin. La force attractive des pièces de Pirandello joue aussi sur cette apparente contradiction entre la précision didascalique et la confusion identitaire du personnage, la complexité de son caractère.

Notes

1 La traduction de l’Introduction de Pirandello, par l’autrice de cet article et Lucie Comparini, paraîtra prochainement. Tous les passages cités en français dans cet article sont tirés de ce travail en cours de réalisation. Nous indiquerons, néanmoins, la référence bibliographique de l’édition italienne.

2 Voir Joseph Danan, Absence et présence du texte théâtral, Arles, Actes Sud, 2018, p. 13. De la dernière décennie du xixe siècle à la première du xxe siècle, au cœur du débat théâtral nous trouvons justement la question de savoir dans quelle mesure la représentation scénique dépendait du texte écrit. Craig, Stanislavski, Meyerhold, entre autres, ont élaboré à ce propos leurs théories.

3 Le texte a été probablement écrit entièrement par Stefano Pirandello à l’issue des conversations avec le père. Ce dernier aurait relu et validé le texte dans sa version finale. Pour l’histoire de l’écriture de l’Introduction au théâtre italien, voir les informations collectées par Ferdinando Taviani aux pages 1601-1602 du volume Saggi e interventi, dans lequel l’essai est publié. Voir Luigi Pirandello, Saggi e interventi, éd. F. Taviani, Milan, Mondadori, 2006.

4 Pirandello, Introduzione al teatro italiano, dans Id, Saggi e interventi, op. cit., p. 1523 [nous traduisons].

5 Ibid., p. 1524.

6 Ibid., p. 1526.

7 Pirandello écrit : « Ouvrir l’esprit au sens du romanesque sera une manière d’ôter de la voix à la logique pour la donner à l’imagination », ibid., p. 1529.

8 Ibid., p. 1526.

9 Walter Benjamin, Destin et caractère, dans Œuvres I, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000.

10 Ibid., p. 206-207.

11 Pirandello, Introduzione, op. cit., p. 1530.

12 Ibid., p. 1531.

13 Giorgio Agamben, Mezzi senza fine, Note sulla politica, Turin, Bollati Boringhieri, 1996, p. 65 [nous traduisons].

14 Nous paraphrasons ici le passage du discours que Rafael Sanchez Ferlosio prononça à l’occasion du Prix Cervantes 2004. Le discours a été publié en ligne sur le site de la Radiotélevision Espanola (https://www.rtve.es/rtve/20141024/discurso-rafael-sanchez-ferlosio-premio-cervantes-2004/1035023.shtml, page consultée le 9 avril 2025). On lit : « el argumento no era más que un soporte pretextual destinado a dar pie para que los personajes se manifestaran. »

15 Pirandello, Introduzione, op. cit., p. 1531.

16 Ibid.

17 Andrea Fabiano écrit à ce propos : « Arlequin, Pantalon, la soubrette, ne sont pas confinés à l’expression d’une typologie fixe, d’une ébauche psychologique mécanique et stéréotypée, mais ils peuvent être investis de la représentation de véritables caractères dans leur plénitude psycho-morale […]. Cette opération d’investissement caractériel est concevable dans un horizon d’attente qui accepte les personnages masqués comme sujets porteurs d’un pacte entre une constante typologique, un schème, procuré par leur cheminement théâtral d’emplois, et leur actualisation dans l’histoire en tant que rôles individualisés et vraisemblables ». Andrea Fabiano, « Comédie de caractère » (notice), dans Dictionnaire Goldoni, dir. A. Fabiano et Lucie Comparini, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 40-43.

18 Pirandello, Introduzione, op. cit., p. 1534.

19 La Mise en scène di Pirandello, « L’Arte drammatica », 5 septembre 1925, dans Saggi e interventi, op. cit., p. 1274.

20 Pirandello, Introduzione, op. cit., p. 1535.

21 Ibid.

22 Le drame revient d’ailleurs sur un certain nombre de thématiques déjà présentes en À chacun sa vérité (1917).

23 Luigi Pirandello, Comme tu me veux, traduit de l’italien par Stéphane Braunschweig, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2021, p. 102-103.

24 Claudio Vicentini, Pirandello. Il disagio del teatro, Venise, Marsilio, 1993, p. 164 [nous traduisons].

25 Pirandello, Comme tu me veux, op. cit., p. 56-57.

26 Ibid., p. 19-20.

27 Trois nouvelles, Personaggi (1906), La tragedia di un personaggio (1911) et Colloqui coi personaggi (1915), introduisent la thématique : l’auteur a l’habitude de recevoir en audience, dans son bureau, des personnages qui, avec des motivations différentes, tentent de le convaincre à les ramener à la vie.

28 Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, trad. de l’italien par Michel Arnaud ; trad. révisée, avant-propos et notes par Gérard Luciani, Paris, Gallimard, coll. « Folio bilingue », 1997, p. 121.

29 Ibid., p. 103. Cette didascalie figure dans l’édition du 1925, la troisième et dernière. Dans cette édition, Pirandello explicite la nécessité de séparer les personnages des acteurs : contrairement à l’édition de 1921, qui voit les personnages distingués par un simple jeu de lumière, celle du 1925 envisage une « typification » majeure des personnages à travers le recours aux masques.

30 Comme l’écrit Piermario Vescovo, l’insistance sur l’utilisation des masques indique le désir de Pirandello de ne pas faire tomber les Six personnages dans une lecture de dynamiques psychologiques familières (voir Szondi, Théorie du drame moderne, Lausanne-Paris, L’Âge de l’homme, 1983), renvoyant plutôt à cet archaïque, cet arcane, ce mystérieux, où s’inscrit aussi sa conception du destin, présent dans ses écrits. Voir Piermario Vescovo, « “Già, come i comici dell’arte !” Piandello, la finzione del soggetto (e Goldoni) », Pirandelliana: rivista internazionale di studi e documenti, 13, 2019, p. 105-123.

31 Giovanni Macchia écrit : « La cruauté de Pirandello consiste à interdire à ses personnages la tragédie, la voie de la tragédie, contre le destin ou contre les hommes, et dans ce refus se trouve l’un des signes de sa modernité ». Voir G. Macchia, Pirandello o la stanza della tortura, Milan, Mondadori, 1981, p. 94 [nous traduisons].

32 Nino Borsellino, Il dio di Pirandello, Palerme, Sellerio, 2004, p. 131 [nous traduisons].

33 Pirandello, Introduzione, op. cit., p. 1535.

Pour citer ce document

Silvia De Min, « Pirandello et la création d’un « acte de vie » sur la scène » dans ,

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude »,

URL : https://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/1952.html.

Quelques mots à propos de :  Silvia De Min

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