Désirés, désirants, indésirables : corps et âges des femmes en littérature du Moyen Âge à nos jours

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen Normandie en janvier 2023, publiés par Camille Brouzes, Eva Le Saux, Lola Marcault, Anne-Claire Marpeau, Lucie Nizard, Charles Plet et Stéphane Pouyaud

Désirés, désirants, indésirables : corps et âges des femmes en littérature du Moyen Âge à nos jour

Désirés, désirants, indésirables : corps et âges des femmes en littérature du Moyen Âge à nos jours

Retour d’âge, retour de flamme. Lecture de La Conquête de Plassans

Éléonore Reverzy


Texte intégral

« La vie de la femme se partage en trois époques bien distinctes : la première commence au berceau et se termine à l’âge de la nubilité ; la seconde embrasse le temps pendant lequel une femme appartient au mariage ; la troisième s’ouvre par l’âge critique, sommation assez brutale que la Nature fait aux passions d’avoir à cesser. » (Balzac, Physiologie du mariage)

1L’étude des représentations n’a pas encore tiré tout le parti du discours médical du xixe siècle sur « la femme » : après la grande thèse de Jean-Louis Cabanès1, qui succédait aux travaux de Moïse Le Yaouanc2 et de Jean Borie3, après les recherches sur la folie et l’aliénisme4, les très nombreux travaux sur l’hystérie5, un domaine de la physiologie féminine a été délaissé ou insuffisamment cartographié : celui de la ménopause, cette invention du xixe siècle français. Les travaux en cours d’une collègue australienne devraient sur un plan historique remédier à cette lacune6 ; ceux d’une sociologue, Cécile Charlap7, ont récemment éclairé la construction dont relevait cette « découverte » et l’exploitation qu’un corps médical, évidemment masculin, en fit au xixe siècle, et continua d’en faire, sans demeurer masculin d’ailleurs, tout au long du xxe siècle en Occident.

2Si le xixe siècle voit la publication de deux cents ouvrages consacrés à la menstruation8, c’est, à dire vrai, avant tout du côté des jeunes filles qu’il regarde : soucieux d’éclairer les transformations qu’implique la puberté comme de s’assurer du bon devenir de la future épouse et mère, les médecins envisagent cette entrée dans l’âge adulte avec la plus grande attention, en notant selon climats et âges le moment de l’apparition, la continuité et la régularité, en mesurant l’abondance, en analysant les effets, en relevant la conjonction de la crise pubertaire avec les étapes de la formation religieuse. La cessation des menstrues chez la femme entre quarante et cinquante ans n’offre évidemment pas, à ce siècle conjugal, les mêmes promesses que celles que porte la jeune fille qui voit pour la première fois (selon une ancienne formule encore employée par les médecins au siècle de Zola), et partant ne suscite pas la même obsession prescriptive. En apparence du moins. Car la ménopause laisse craindre que, libérée des craintes de grossesse, l’épouse jouisse alors pleinement d’une vie sexuelle aussi riche que complète, et sans contrepartie. Or, l’Église qui lie arrêt des facultés reproductives et abstinence sexuelle, et la médecine progressiste et bourgeoise parlent à ce propos d’une même voix. On comprend alors pourquoi le docteur Charles Gardanne, le créateur du mot ménopause en 1821, accumule délibérément sur la femme atteinte par le retour d’âge les maux et les menaces de maux plus graves encore, ce qui ne fait que poursuivre la veine alarmiste du siècle précédent9. Il sera contesté par un certain nombre de ses confrères10, qui ironiseront sur tout ce qui, selon lui, peut frapper la femme à la ménopause (des maux rhinopharyngiques aux squirrhes, à la palatite et à l’hystérie), mais il sera fidèlement suivi par maints autres, qui assimileront cet âge à un « âge terrible11 ».

3Or le xviiie siècle, qui se souvenait d’Hippocrate et du mal des veuves, avait rappelé le lien entre âge critique et seconde jeunesse. C’est à Lord Fothergill, médecin anglais qui publie en l’an VIII ses Conseils aux femmes de quarante-cinq à cinquante ans, presque aussitôt traduit par le Dr Petit-Radel, qu’on doit ce développement sur les liens entre cessation des règles et regain amoureux – déjà présent, cela dit, dans le Traité général sur les maladies des femmes (1784) de Chambon de Montaux. Force est de supposer que lors même que s’impose une vision plus catastrophiste de la ménopause et de ses conséquences à partir des travaux de Gardanne, l’association ancienne entre regain amoureux et vieillissement perdure, en particulier dans la littérature où elle est possible tremplin à poétisation, en même temps qu’elle nourrit la satirisation sous-jacente12. Semblable ambivalence est révélatrice de l’attitude de romanciers, pris entre haine de la bourgeoisie et condamnation de la sacro-sainte famille (le Journal des Goncourt, la satire de la bourgeoisie dans Renée Mauperin), entre valorisation des amours infertiles (Maupassant, « Les caresses », « L’Inutile beauté » et passim) et traitement grotesque de personnages qui n’échappent jamais complètement au ridicule. Car la discordance des temps (un cœur et un désir jeunes dans un corps qui ne l’est plus) est bivalente : elle peut être satirique ou révéler une Didon chez la femme mûre. Dans le premier cas, elle affectera un personnage secondaire13 ; dans le second, elle porte une protagoniste et élabore, autour de la mémoire du corps, un corps qui a archivé des élans, dont bien souvent il n’a pas accompli la promesse, un scénario fertile, complexe et potentiellement générateur de situations romanesques. Dans le premier cas encore, elle sert la construction d’un type, celui de la quadragénaire sexuellement exigeante, parodie grimaçante de la femme de trente ans balzacienne ou réactivation du type comique de la veuve (la matrone d’Éphèse et ses avatars) ; dans le second elle est source de pathétique, inspire de la compassion, parfois de l’horreur, suscitant en tout cas chez le lecteur des émotions riches et variées – Germinie Lacerteux ou Adélaïde Fouque ont été ainsi perçues par la critique contemporaine.

Discours…

4On aimerait dégager ici quelques éléments des traités de la ménopause qui s’écrivent au long du xixe siècle, sans s’y attarder. D’abord le vieillissement a longtemps affecté de manière similaire l’homme et la femme, et Cabanis encore en 1805 ne genre pas précisément cette étape qui voit et la femme cesser d’être féconde et l’homme connaître peu après les premiers signes d’une perte de vigueur14. « L’époque n’est guère moins dangereuse pour les hommes, que celle de la cessation des règles […] ne l’est ordinairement pour les femmes ; c’est pour des deux sexes, un véritable âge climatérique15 », note-t-il en effet. Cependant la « gynécologie passionnée16 » qui caractérise le siècle va s’exprimer particulièrement dans la volonté d’identifier des « maladies de femmes » : cette médicalisation, qui affecte les deux principales périodes de la vie des femmes (la nubilité, le retour d’âge), s’impose tant sous la plume des médecins que des aliénistes. On ne s’étonne pas de trouver dans la liste des maux qui peuvent affecter la femme ménopausée, l’hystérie, ce mal féminin du siècle – quoi qu’on en dise –, parfois combinée à la mélancolie. Ensuite le retour d’âge, et le regain d’énergie sexuelle en particulier, pour être rappelé par nombre de médecins, fait l’objet d’une condamnation morale (la femme veut alors paraître jeune, elle adopte des toilettes, des fards pour dissimuler les ravages du temps au risque du ridicule car elle veut continuer de séduire, et pire encore goûter aux plaisirs charnels) qui s’assortit de vives menaces pour sa santé. C’est un âge où la femme doit en effet entrer, et définitivement, dans une vie calme : lire, s’occuper de sa demeure, éviter bals et spectacles, tout ce qui est susceptible de faire naître en elle trop d’excitation, au risque d’y perdre tout à fait sa santé. Ce dernier âge de la vie doit être, avant la grande vieillesse, l’occasion d’une retraite sentimentale qui implique une sociabilité active mais modérée et un repli sur l’intériorité. Enfin le discours de la pléthore sanguine, bien ancré puisqu’il remonte à l’Antiquité, est certes relayé en partie par celui de la pléthore nerveuse – c’est la thèse d’Adam Raciborski17 – mais le résultat est le même : la femme est du côté de l’excès, les émotions débordent en elle et la font déborder ; si physiquement la sanguine est marquée par l’embonpoint et la nerveuse par la maigreur, elles sont bien l’une et l’autre sous le signe du feu. Elles sont d’ailleurs les unes comme les autres soumises à la saignée.

5Rappelons encore deux points : la quadragénaire typique, ce personnage de second plan, relève le plus souvent du tempérament sanguin et sa pléthore est donc rendue visible par l’embonpoint comme par les rougeurs ou la suffocation, presque spectacularisée – c’est une femme rouge, telle la Rose Cormon de Balzac – ; l’héroïne est, elle, nerveuse, volontiers maigre, avec des yeux de flamme, comme si dévorée par le nervosisme, elle était d’abord consumée par un feu intérieur18. Esthétiquement, elle serait donc du côté de la distinction : de Germinie Lacerteux qui a « des nerfs de grande dame » selon Zola19 à Adélaïde Fouque, ou Jeanne Gervaisais ou encore Marthe Rougon, c’est un même type physique qui se dessine. Les noms de ces quatre figures ne sont pas jetés ici par hasard : elles sont toutes saisies, non sans doute pour la totalité de leur parcours romanesque mais au moins pour un moment de crise, à cet âge de la vie. Longtemps analysés au prisme de l’hystérie, ces personnages féminins, c’est notre hypothèse, doivent d’abord être abordés à travers la notion d’âge de la vie et en relation avec la période dite « critique. »

… et mise en fiction

6On s’aperçoit en effet que l’époque climatérique est associée à une acmé dans l’existence de ces personnages, à moins qu’il ne s’agisse d’un drame et d’une rupture : Germinie erre, « misérable et brûlante créature », à la recherche d’un amant lorsqu’elle affronte la quarantaine, ramassant « les amours qui s’usent en une nuit, ce qui passe, ce qu’on rencontre, ce que le hasard des pavés fait trouver à la femme qui vague20 » ; Adélaïde Rougon, maîtresse de Macquart, a précisément quarante-deux ans au moment de la mort de son amant, ce qui n’est bien entendu pas anodin : « enfoncée dans ses jouissances, mettant ses dernières énergies à se défendre elle-même, […] arrivée à une indifférence complète », elle vit sous le froid regard de son fils Pierre et n’a qu’un désir : fuir pour retrouver son amant, lorsqu’il est tué21. Elle bascule brutalement, alors qu’elle jouit de toute l’énergie de cette seconde jeunesse, oublieuse – ou presque – de son rôle de mère, dans le régime sec : la semence masculine lui est retirée. S’ouvre alors la sécheresse, tant sexuelle et humorale qu’affective, ce qui déterminera chez elle des épisodes cataleptiques dont on peut supposer qu’ils sont le souvenir des anciennes époques. Jeanne Gervaisais, veuve et mère d’un petit garçon, part soigner à Rome sa phtisie au moment du retour d’âge22 et est peu à peu gagnée par les sensations et les émotions que créent la ville et l’Église. L’intellectuelle goncourtienne retombe progressivement en enfance, sous la férule des prêtres et abandonne égoïstement tout ce qui n’est pas source de jouissances, abîmée dans un « onanisme de piété » qui la conduit à délaisser ses amis, puis son fils. Ce qui ressemble fort à un roman anticlérical dont les Goncourt eux-mêmes s’étonnent de l’avoir écrit aussi violent contre l’Église23, est aussi l’étude de la physiologie d’une femme quadragénaire qui « redescend sa vie ».

7Le lecteur l’aura compris, on souhaite ici reprendre à nouveaux frais ces représentations de la passion, amoureuse ou religieuse, en tenant compte de l’âge de ces personnages qui, jusqu’alors, n’a jamais été commenté. C’est à partir d’un corpus restreint, celui des Rougon-Macquart et plus précisément d’une étude de La Conquête de Plassans, ce roman de la folie raisonnante, de l’internement abusif et de la ménopause, qui est aussi, et par ces biais, un roman politique (les élections de 1863 en sont l’objet principal24) qu’on poursuivra une enquête engagée à propos de La Vieille Fille25. On tentera donc de démêler le complexe écheveau étiologique qui mêle dans le roman de 1874 hérédité, pathologie et manifestations de l’âge critique. Tout comme son aïeule, à laquelle elle ressemble trait pour trait, Marthe Rougon atteint en effet dans le récit l’âge pré-climatérique : âgée de 37 ans au début, elle a 40 ans à la fin et connaît, dans son énergie vitale retrouvée, une seconde jeunesse, compliquée de folie lucide. Si elle est l’outil de la conquête de la ville que l’abbé Faujas doit accomplir, quel rôle joue précisément cet état de femme dans ce projet politique ? Il semble bien qu’elle soit choisie d’après son âge et d’une « prédisposition naturelle26 » qui la rendent particulièrement vulnérable.

Un roman de l’entre-deux

8La Conquête de Plassans s’ouvre, au crépuscule, au début de l’automne, sur le personnage de Désirée dont le narrateur nous apprend qu’elle « était une enfant de quatorze ans, forte pour son âge, et qui avait un rire de petite fille de cinq ans27. » C’est d’emblée inscrire un trouble dans le temps et dans les âges de la vie (l’adolescente est restée une enfant) en même temps que situer la première apparition des personnages dans un entre-deux : entre deux saisons comme entre chien et loup28. C’est là un programme du roman qui se déclinera ensuite dans la seconde jeunesse de Marthe comme dans ses épisodes de folie lucide, soit qu’il s’agisse de conjoindre deux éléments contradictoires (la folie et le raisonnement, en vertu d’une addition qui fait oxymore), soit que se combinent deux temps éloignés (l’état de jeune fille et celui de mère de famille proche de la quarantaine29). Ces entre-deux temporels, qui s’incarnent dans les personnages, se complètent, dans la construction de l’espace romanesque, de la représentation de sites intermédiaires (le terrain neutre de l’impasse, l’église Saint-Saturnin comme nouvelle maison de la dévote), comme pour rendre plus perceptibles des états et situations qui participent d’un balancement, d’une tension ou d’une coexistence d’opposés qu’ils contribuent à figurer. Il peut s’agir de tendances politiques qui trouvent ainsi un lieu de rencontre comme de l’intersection du privé et du public : dans ces cas, plus que l’addition, on pointera la négation (le terrain n’est ni privé ni public, comme il n’est ni légitimiste, ni bonapartiste, ni républicain). Ou bien il s’agit de faire de l’église le pendant du foyer et le théâtre de scènes de ménage entre la pénitente et le ministre de Dieu, et prévaudra une relation de comparaison. Le chronotope du récit se définit donc par l’intermédiaire, qu’il se place sous le signe de l’addition (et peut-être de l’excès, voire du superlatif : la seconde jeunesse est plus éclatante que la première), de l’analogie ou de la négation (c’est alors le ni… ni qui s’impose).

9Les références aux saisons et au temps qu’il fait accompagnent les transformations de Marthe qui retrouve une belle énergie au printemps lorsqu’elle s’engage dans le projet de l’Œuvre de la Vierge en même temps qu’elle présente des signes caractéristiques de la puberté : les flots de larmes en présence de l’abbé, et les souvenirs de sa première communion. Comme l’écrit Charles Gardanne de la puberté, la jeune fille est alors « mobile dans ses idées, elle rit, elle pleure dans le même moment ; elle passe rapidement d’un objet à un autre, de la crainte à l’espérance, de la peine au plaisir30 », instabilité et impressionnabilité dont on pourrait dire qu’elles caractérisent la féminité dix-neuviémiste en général mais qui trouvent à certains moments, dans certaines occasions, à s’exprimer de manière plus spectaculaire – et partant plus intéressante. C’est bien cette émotivité que présente Marthe. Le prêtre est alors d’une efficacité d’autant plus redoutable que la mère de famille est revenue à ses émois pubertaires – la comparaison avec Jeanne Gervaisais est à ce titre éloquente. Comme au moment de sa première communion, toujours associée aux grandes confusions, notamment concernant le mystère de l’incarnation sous les traits d’un beau Jésus sulpicien, ou à la fascination pour les viscères du Sacré-Cœur, elle est désarmée, redevenue enfantine. Les regards scrutateurs que porte Faujas à plusieurs reprises sur Marthe, et ce dès les premières soirées sur la terrasse des Mouret, sans que le lecteur accède à ses analyses, laissent à penser que c’est bien ce retour qu’il repère31 : l’ennui de la femme au seuil de « l’hiver des femmes » et le désir de vivre encore.

Discordance des temps

10La transformation de Marthe est en effet rapidement visible :

Ce grand repos qu’elle avait d’abord goûté dans l’église, cet oubli du dehors et d’elle-même, se changeait en une jouissance active, en un bonheur qu’elle évoquait, qu’elle touchait. C’était le bonheur dont elle avait vaguement senti le désir depuis sa jeunesse, et qu’elle trouvait enfin à quarante ans ; un bonheur qui lui suffisait, qui l’emplissait de ses belles années mortes, qui la faisait vivre en égoïste, occupée à toutes les sensations nouvelles s’éveillant en elle comme des caresses. […] Elle souriait, elle redevenait belle, et jeune, et rougissante32.

11Le commentaire de M. Condamin (« elle est à l’âge des grandes passions et des grands bonheurs33… ») introduit, en pendant de l’indifférent et brutal Faujas, le regard d’un homme à femmes susceptible d’apprécier les promesses de ce rajeunissement. Selon Charles Menville, les femmes « acquièrent alors un embonpoint dont elles n’avaient jamais joui, qui redonne aux formes le poli de la jeunesse ; leur visage s’anime des couleurs les plus riches et souvent à des tourments et à des langueurs succède une parfaite santé – dont elles sont moins satisfaites que de ce nouveau retour d’attraits trompeurs34. »

12Le discours médical n’est pas seul en jeu ici : dans ce corps qui se souvient de sensations et d’élans anciens, s’inscrit une mémoire organique qui est à la fois celle d’un passé lointain et réfère à l’hérédité, et qui est propre au sujet lui-même. Marthe Rougon est la répétition de sa grand-mère35, ce qui renvoie à la loi dite de l’hérédité en retour (elle est comme le double de quelqu’un qui l’a précédée de deux générations), et une jeune fille, celle qu’elle a été et qu’elle retrouve, au moment du « retour de l’âge ». En elle se superposent trois femmes différentes et deux âges de la vie distincts. Significativement, elle se comporte comme Dide amoureuse, abandonnant le foyer familial pour vivre dans la masure de Macquart, laissant pousser ses trois enfants sans soin, ne s’occupant plus de son ménage ; Marthe, elle, délaissant son foyer et ses enfants, « vivait à Saint Saturnin36 ». Cette mémoire inconsciente dans la reprise de comportements vient illustrer ce que le discours du narrateur a énoncé avec autorité : les deux femmes ne se ressemblent pas simplement trait pour trait à des décennies de distance ; elles se comportent de même, à la même époque de leur vie, et leur passion, pour se porter sur des objets différents, se traduit dans le même oubli de la vie matérielle et domestique. La passion tardive peut varier dans ses objets, elle n’en est pas moins identique dans son origine, ses mécanismes et ses conséquences.

13Lorsque l’abbé Faujas lui laisse espérer sa direction, Marthe se met à vivre « dans cette espérance, avec des joies naïves de première communiante à laquelle on a promis des images de sainteté, si elle est sage. Elle croyait, par instants, redevenir enfant ; elle avait des fraîcheurs de sensation, des puérilités de désir, qui l’attendrissaient37. » Ce qui s’énonce sur le terrain de l’idéologie dans le roman (le pouvoir de l’Église sur une femme qu’elle infantilise) a bien en premier lieu une origine physiologique. Dans ce tableau physiologique, le motif du retour, de l’empreinte retient l’attention : la quadragénaire : la quadragénaire redevenue jeune fille, car son corps a archivé les sensations passées (en particulier les larmes, les émotions ressenties aux odeurs printanières), présente ainsi une discordance mais qui n’est pas sans cohérence. Le personnage gagne dans le retour de ce passé de sa chair, une épaisseur en même temps qu’une forme de poésie : « touchée jusqu’au cœur par l’odeur de toute cette verdure coupée », Marthe fond en larmes, ce que le narrateur commente : « Elle avait alors quarante ans et c’était sa jeunesse qu’elle pleurait38. »

14Entre nostalgie et désir d’autre chose, Marthe se trouve en tout cas proprement déconnectée du temps présent, en même temps, logiquement, que de ses rôles sociaux (la femme de François Mouret, la mère de trois enfants) :

C’est vous qui m’avez fait entrer dans une autre jeunesse… Ah ! vous ne savez pas quelles jouissances vous me donniez, dans les commencements ! C’était une chaleur en moi, douce, qui allait jusqu’au bout de mon être. J’entendais mon cœur. J’avais une espérance immense. À quarante ans, cela me semblait ridicule parfois, et je souriais ; puis, je me pardonnais, tant je me trouvais heureuse… Mais, maintenant, je veux le reste du bonheur promis. Ça ne peut pas être tout. Il y a autre chose, n’est-ce pas ? Comprenez donc que je suis lasse de ce désir toujours en éveil, que ce désir m’a brûlée, que ce désir me met en agonie. Il faut que je me dépêche, à présent que je n’ai plus de santé ; je ne veux pas être dupe… Il y a autre chose, dites-moi qu’il y a autre chose39.

15Tout comme elle l’est dans sa relation à l’espace où privé (intérieur) et public (église) ont échangé leurs valeurs respectives : la maison a cessé d’être la maison, les enfants, le mari l’ont désertée, la domus est envahie par des étrangers ; Marthe mourra dans la maison de ses parents, comme si elle avait remonté tout le cours de son existence – redevenue jeune fille en attente d’un mari.

Marthe : un personnage intéressant ?

16La réflexion de Martha Nussbaum sur la lecture comme activité éthique et bonne est grandement dépendante du personnage et du support qu’il constitue au cours de l’opération de la lecture40. Or, dans La Conquête de Plassans, comme dans maints autres romans de la période, le récit travaille à brouiller l’identification du lecteur avec le personnage ou à ne permettre qu’elle ne fonctionne que partiellement (cas François Mouret). Marthe est un personnage largement désaffectionné, et ce tout au long du récit, ce qui concourt à l’évidence à détacher le lecteur de celle qui occupe pourtant la première place41.

17De fait, le personnage de Marthe n’éveille pas la sympathie : le rôle de spectateur pathétique42 qu’occupe son mari lors de ses crises de folie lucide, ne sert pas de relais, court-circuité qu’il est par les commentaires de Rose et des Trouche, à l’origine de la légende qui court les salons et les rues de la ville, celle du mari qui assomme sa femme. C’est bien plutôt vers ce mari maniaque et chagrin, figure de l’autorité patriarcale dans toute sa splendeur, que se porte, assorti d’un sentiment de révolte et d’injustice pour le sort qui lui est fait, l’attention bienveillante du lecteur. Bien plus, la dévote qui abandonne égoïstement mari et enfants pour être tout à Dieu ou à son représentant, fait l’objet d’une condamnation, dont nous ne parviendrions pas, nous lecteurs du xxie siècle, à nous départir. En somme nous serions victimes des conventions d’un époque qui n’est plus la nôtre et nous lirions ce récit zolien à travers elles, entrant ainsi dans une communauté interprétative et ses valeurs, pour ainsi dire à notre insu ou plutôt malgré nous43.

18Effet de l’idéologie d’un roman dans lequel le romancier a plusieurs cibles : la politique impériale et l’immixtion de l’Église dans les affaires publiques, le rôle dévastateur du prêtre dans la cellule familiale (influence directe du grand pamphlet de Michelet : Du prêtre, de la femme, de la famille [1845]), les internements abusifs qui sont alors au cœur de l’actualité. Or François, républicain et opposant à l’Empire, résolument anticlérical, est un homme honorable et considéré dans sa ville pour son honnêteté : il marque ainsi toute une série de points décisifs, qui le dote d’un indéniable capital sur le plan axio-idéologique. Marthe, elle, est construite par le discours du narrateur, du médecin ou de l’expert en femmes qu’est Condamin44 qui oriente, voire verrouille le jugement. Mais les propos de Faujas interfèrent, ce prêtre dont le lecteur est appelé à se méfier du fait d’une misogynie presque professionnelle, et qui pourraient donc inviter le lecteur à la méfiance : qui doit-il croire ? que doit-il retenir de leur expertise contrastée ? Zola affectionne ces effets de polyphonie et de discours normatifs discordants, qui se neutralisent.

19Parfois traité avec une distance presque clinique, le personnage de Marthe paraît entrer dans la catégorie du cas médical, tandis que le roman anticlérical est bien lisible comme un roman à thèse. Construit sur ces deux systèmes autoritaires, le roman laisse peu de place à l’émotion, tout entier pris dans sa logique démonstrative ; c’est plutôt par « le drame » et ses images fortes (celle de l’incendie final en constituant l’acmé) que l’intérêt romanesque45 est porté. On est donc tenté de traiter les apparitions de ce personnage en termes esthétiques, dans cet entre-deux de lumière parfaitement en accord avec l’automne de sa vie : Marthe au crépuscule cousant sur sa terrasse, Marthe assise auprès de la lampe, Marthe à l’église, avant que toutes ces petites flammes qui l’éclairent, allégories sans doute de celles qui l’habitent, ne l/s’embrasent. Ce roman nocturne est une œuvre noire et rouge (le feu de l’incendie), ainsi que le fixe dans la mémoire du lecteur la vision finale de Marthe qui aperçoit « dans la clarté rouge, la soutane de Serge46 ».

20C’est aussi passer à un autre niveau ou envisager le roman comme le chapitre de cette œuvre-monde que constitue le cycle zolien. Car l’exemplarité dans le débat anticlérical est, c’est une évidence, à relier à une exemplarité politico-historique plus vaste, qui informe toute la matière romanesque des Rougon-Macquart. À ce titre, Marthe n’est pas seulement la victime des menées d’un prêtre qui a su stratégiquement profiter des potentialités de son âge, elle est la sœur d’autres héroïnes zoliennes qui présentent des formes diverses de détraquement (jeunes femmes, femmes de trente ans, quadragénaires, elles appartiennent à des milieux sociaux variés), et disent ainsi l’« étrange époque de folie et de honte » (Préface de La Fortune des Rougon) qu’est le Second Empire pour Zola. Le dénouement en forme de cataclysme entre en écho avec d’autres catastrophes qui, pour ne pas être causées par des femmes, traduisent aussi l’effondrement brutal du Second Empire47.

21Le corps de Marthe entre, lui, en résonance avec d’autres corps féminins, celui de Dide, de Renée, plus tard de Nana, et réinscrit ainsi, à sa manière, un état du corps de la nation, comme si Zola s’employait à décliner une même vision du Second Empire, en l’appuyant, cette fois, sur une nouvelle modélisation physiologique : la vision du régime impérial associé à l’éréthisme et à la folie, qui naît dans La Fortune des Rougon chez Dide pour se poursuivre en Silvère, qui traverse La Curée pour s’incarner dans les deux figures que sont Renée et son mari, Aristide, connait dans La Conquête de Plassans une nouvelle variation – Marthe tombe sous la coupe d’un prêtre après avoir vécu soumise à son mari, selon un scénario immédiatement identifiable comme micheletien48. Mais les manifestations de l’âge climatérique sont les mêmes que chez Dide, en qui « des crises nerveuses passaient […] C’était toute sa jeunesse de passion chaude qui éclatait honteusement49 », si bien que le corps de l’aïeule semble soumis à la loi de l’éternel retour, à cette même conjonction de deux états de femme. C’est cette répétition singulière qu’inscrit le corps de Marthe, corps-archive et corps-écho, et cette étude de l’involontaire qu’il permet de déployer. Et sans doute est-ce encore une autre manière pour Zola d’écrire l’histoire : toujours à travers un corps, plus volontiers un corps féminin, et sous la forme d’une répétition.

Notes

1 Jean-Louis Cabanès, Le Corps et la maladie dans les récits réalistes (1856-1893), Paris, Klincksieck, 1991.

2 Moïse Le Yaouanc, Nosographie de l’humanité balzacienne, Paris, Librairie Maloine, 1959.

3 Notamment Le Tyran timide. Le naturalisme de la femme au xixe siècle, Paris, Klincksieck, 1973 ainsi que Mythologies de l’hérédité au xixe siècle, Paris, Galilée, 1981.

4 Voir en particulier l’ouvrage de Juan Rigoli, Lire le délire. Aliénisme, rhétorique et littérature en France au xixe siècle, Paris, Fayard, 2001.

5 On renverra en particulier à Bertrand Marquer, Les Romans de la Salpêtrière. Réception d’une scénographie clinique : Jean-Martin Charcot dans l’imaginaire fin-de-siècle, Genève, Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », 2008.

6 Alison M. Downham Moore, The French Invention of Menopause and the Medicalisation of Women’s Ageing, Oxford, Oxford University Press, 2022.

7 Cécile Charlap, L’Invention de la ménopause, Paris, CNRS Éditions, 2019.

8 Voir sur ce point l’article d’Annick Tillier, « Un âge critique. La ménopause sous le regard des médecins des xviiie et xixe siècles » Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 21 | 2005, URL : http://journals.openedition.org/clio/1471, page consultée le 14 septembre 2022.

9 Voir en particulier Baptiste Jeannet de Longrois, Conseils aux femmes de quarante ans, Paris, chez Méquignon, 1787. Sur ces questions, on renverra au chapitre IV du livre de Nahema Hanafi, Le Frisson et le Baume : expériences féminines du corps au Siècle des Lumières, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017. Je remercie Lola Marcault de m’avoir signalé cette référence.

10 Voir la Dissertation sur la ménespausie d’Hubert Poirson, thèse soutenue devant la Faculté de médecine de Strasbourg le 2 mai 1827, dont l’auteur critique « la description tronquée de cinquante-huit maladies, parmi lesquelles figurent non-seulement celles qui paraissent former le cortège de rigueur de l’âge critique, mais encore trois fièvres essentielles, le scorbut, les scrophules [sic], la syphilis, le phlegmon, l’ophthalmie [sic], l’angine, la buccalite, la glossite, la palatite, l’amygdalite, la pharyngite, l’œsophagite, l’épiglottite, la laryngite , la trachéalite, la bronchialite » (p. 8). Autant traiter Gardanne de Diafoirus.

11 Voir Charles Gardanne, Dissertation sur les avis à donner aux femmes qui entrent dans l’âge critique, présentée et soutenue à la Faculté de médecine de Paris le 3 juillet 1812, Paris, Imprimerie de Didot jeune, 1812, Il s’agit de sa thèse qui précède De la ménopause, ou de l’âge critique des femmes (Paris, Méquignon-Marvis & Cordier) qui connaît trois éditions en 1821.

12 On peut faire le même constat au sujet des études sur l’hystérie car les médecins eux-mêmes, qui entendent arracher la maladie à son étiologie utérine pour en faire une maladie nerveuse, ne laissent pas de revenir à la conception hippocratique. Voir les travaux de Jean-Louis Cabanès précités.

13 Voir Éléonore Reverzy, « Troubles du sang, troubles du temps. La femme de quarante ans, un type nouveau dans la fiction réaliste », ConTEXTES. Revue de sociologie de la littérature [En ligne], 33 | 2023, https://journals.openedition.org/contextes/11348, page consultée le 22 mai 2024.

14 Cependant, comme le rappelle Nahéma Hanafi (op. cit.), tout un pan du discours des Lumières sur la femme traite bien la vieillesse féminine comme distincte, plus marquée et manifestement liée à l’arrêt de la fertilité. Voir notamment l’article « Vieillesse » de l’Encyclopédie, signé par Jaucourt.

15 Pierre-Jean Georges Cabanis, Rapports du physique et du moral de l’homme, t. I, Paris, Imp. Crapelet, 1805, p. 295. Quoiqu’elle ne cite pas Cabanis, Christine Théré apporte des éléments importants sur cette sexuation de la vieillesse. Voir Christine Théré, « Âge de retour et retour d’âge : l’asymétrie entre les sexes dans les discours médicaux en France (1770-1836) », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 42 | 2015, URL : http://journals.openedition.org/clio/12740, page consultée le 22 mai 2024.

16 Pour reprendre le titre du chapitre que Jean Borie consacre à Michelet dans Misérable et glorieuse, la femme du xixe siècle, présenté par Jean-Paul Aron, Paris, Fayard, 1980, p. 153-189.

17 Adam Raciborski, Traité de la menstruation, ses rapports avec l’ovulation, la fécondation, l’hygiène de la puberté et de l’âge critique, Paris, J.-B. Baillère et fils, 1868, p. XV et p. 263.

18 On nous opposera des exceptions : Gasparine Campardon, dans Pot-Bouille, maîtresse de l’architecte, est à l’évidence un personnage de second plan, qui fonctionne en couple avec Rose Campardon, sa cousine : « la cousine Gasparine s’était séchée, maigre, anguleuse, la mâchoire saillante, les cheveux durs ; et elle n’avait gardé que ses grands yeux superbes, dans son visage devenu terreux. Avec son front jaloux, sa bouche ardente et volontaire, elle le troubla, autant que Rose l’avait charmé, par son épanouissement tardif de blonde indolente. » (Pot Bouille, dans Les Rougon-Macquart, éd. Armand Lanoux, et Henri Mitterand, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléaide », 5 vol., 1960-1967, t. III, 1964, p. 17). L’âge des deux femmes n’est pas mentionné ; cependant Gasparine donnait des billes à Octave enfant (p. 11), qui a maintenant vingt-deux ans, et Rose souffre depuis ses couches, treize ans plus tôt, d’une maladie mystérieuse. C’est aussi de la catégorie de la nerveuse que relève la veuve Dubuc, première Madame Bovary dans le roman de Flaubert – sur l’appétit sexuel de laquelle le manuscrit se montrait assez explicite.

19 Émile Zola, « Germinie Lacerteux par MM. Ed. et J. de Goncourt », Le Salut public de Lyon, 23 janvier 1865, repris dans Edmond et Jules de Goncourt, Germinie Lacerteux, Paris, Classiques jaunes, « Littératures francophones », 2021, p. 269.

20 C’est l’objet du chapitre LIV du roman auquel on renvoie le lecteur. Les Goncourt ont lu l’Histoire médicale et philosophique de la femme de Charles-François Menville et en ont retiré un certain nombre d’observations (voir à ce propos les annexes de mon édition, Germinie Lacerteux, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 265). En particulier le lien entre ménopause et excitation des organes de la génération, « source de désirs vifs, impétueux », ainsi que la réactivation de la phtisie pulmonaire mise en sommeil depuis la puberté (Histoire médicale et philosophique de la femme, Paris, Amyot, 1845, 3 vol., t. I, respectivement p. 431 et 429).

21 La Fortune des Rougon, dans Les Rougon-Macquart, éd. citée, t. I, 1960, p. 52.

22 « L’amollissement des premières approches d’une foi la livrait à la séduction de ces sensations spirituelles, dont l’action est si agissante sur l’organisme d’une femme à l’âge où elle redescend sa vie. » (Madame Gervaisais, Paris, Gallimard, « Folio », 1982, p. 176). Au chapitre LXXXV, Mme Gervaisais « passait par ces malaises et ces tourments de certains cœurs élancés de jeunes filles auxquelles manque, pour Celui qu’elles adorent, la confiance adorante […]. » (p. 230).

23 « Nous, dont les sympathies de race et de peau penchent pour le pape, nous qui ne détestons pas l’homme qu’est le prêtre, nous voici à faire, poussés par je ne sais quelle force irrésistible qui est dans l’air, un livre méchant à l’Église », notent-ils dans leur Journal le 16 mai 1868 (Journal des Goncourt, éd. Cabanes, Paris, Champion, 2019, t. IV, p. 394).

24 L’Ébauche pose d’abord le « drame physiologique » : « l’étude de la parenté qui rapproche les époux et plus tard les met l’un en face de l’autre », puis le « drame social » : « Tableau d’une petite ville de province où l’empire trône en paix dans une bourgeoisie satisfaite, sous l’œil paternel d’un petit peuple de fonctionnaires. » On comprend que l’action naîtra de la collusion du « drame physiologique » (et de la mésentente du couple) et de la situation politique (l’Empire envoie l’abbé Faujas faire les élections). Le scénario qui s’esquisse dans ces premiers folios insiste sur le désir de vengeance des Rougon contre leur gendre Mouret, républicain, puis introduit l’abbé missionné par le pouvoir et en fait l’amant d’Agathe [Marthe] qui est devenue dévote par « une prédisposition naturelle » et du fait de « la vie que lui fait son mari ». Voir La Fabrique des Rougon-Macquart, t. II, éd. Colette Becker et Véronique Lavielle, Paris, Champion, 2005, p. 38-42 (fos 18/1-23/6).

25 « Que s’est-il passé en 1816 ? Lecture de La Vieille Fille de Balzac. Essai de gynéco-histoire », Nineteenth-Century French Studies, fall-winter 2019, p. 49-63.

26 La Fabrique des Rougon-Macquart, t. II, éd. citée, fo 22/5, p. 42.

27 La Conquête de Plassans, dans Les Rougon-Macquart, éd. citée, t. I, 1960, I, 1960, p. 899.

28 On peut signaler que Mme Hennebeau apparaît pour la première fois au lecteur « dans le demi-jour du vestibule » (Germinal, dans Les Rougon-Macquart, éd. citée, t. III, 1964, p. 1208). Une lecture attentive à ces jeux de lumière comme aux moments de l’année mériterait d’être conduite de manière précise.

29 Le personnage annonce à ce titre Mme Caroline dans L’Argent : « […] cette toison blanche, cette blancheur envolée de fins cheveux de soie, adoucissait sa physionomie un peu dure, lui donnait un charme souriant de grand-mère, dans une fraîcheur et une force de belle amoureuse. » (Les Rougon-Macquart, éd. citée, t. V, 1967, p. 57-58). Cependant Caroline Hamelin dont le mariage a été malheureux, n’a pas connu la maternité. Toutes les femmes de quarante ans ne se ressemblent pas chez Zola, même si elles présentent volontiers un élément qui renvoie à l’entre-deux. La masculinisation en est une autre déclinaison : Mme Caroline a un visage viril ; Mme Josserand mère tient son mari sous sa coupe ; Gasparine, la cousine de Rose Campardon, est consumée de désirs.

30 Charles Gardanne, op. cit., p. 50.

31 Voir à ce propos les interrogatoires auxquels il la soumet au sujet de sa résignation et de son ennui domestique (La Conquête de Plassans, éd. citée, p. 971).

32 Ibid., p. 1065.

33 Ibid., p. 1050.

34 Charles Menville, De l’âge critique chez les femmes, des maladies qui peuvent survenir à cette époque de la vie et des moyens de les combattre et de les prévenir, Paris, Germain Baillère, 1840, p. 151. Le passage est recopié mot pour mot de l’ouvrage de Gardanne (op. cit., p. 53).

35 « C’est comme moi, dit Marthe, j’entendais dire, quand j’étais petite : « C’est tante Dide tout craché. » (La Conquête de Plassans, éd. citée, p. 970).

36 Ibid., p. 1064.

37 Ibid., p. 1026.

38 Ibid., p. 1027.

39 Ibid., p. 1173.

40 Pour Martha Nussbaum, la lecture sollicite chez les lecteurs la « capacité à imaginer l’effet que cela fait de vivre la vie d’une personne qui pourrait, dans d’autres circonstances, être soi-même ou l’un de ses proches », en usant du partage des émotions et de la porosité des affects (Martha C. Nussbaum, L’Art d’être juste. L’imagination littéraire et la vie publique [1995], trad. française par Solange Chavel, Paris, Climats, 2015, p. 33).

41 Sur les questions de hiérarchie des personnages, voir Philippe Hamon et le chapitre « Héros, héraut, hiérarchies » dans Texte et idéologie, Paris, PUF, 1997, et plus précisément sa conclusion : « On passe ainsi d’une esthétique de l’intensité, de la concentration, de la focalisation idéologique sur un point unique, à une esthétique de la neutralisation normative, à une esthétique de la ponctuation dissonante, d’une écriture-monologique à une écriture-dialogique (Bakhtine) caractéristique, certainement d’une certaine “modernité” littéraire, d’une certaine “ère du soupçon” idéologique. » (p. 102).

42 Sur le spectateur pathétique, on renverra à Jean-Louis Cabanès (op. cit., p. 710).

43 Voir Stanley Fish, Quand lire c’est faire. L’autorité des communautés interprétatives [1980], trad. E. Dobenesque, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007.

44 Pour reprendre le point de vue qu’a brillamment exposé Fleur Bastin-Hélary dans son livre Zola et le roman viril, Paris, Champion, « Romantisme et modernité », 2014.

45 Sur l’intérêt romanesque, voir les travaux de Marie Parmentier : « L’intérêt : les tribulations d’une catégorie esthétique au seuil du xixe siècle », Romantisme, vol. 197, no 3, 2022, p. 131-143 et « Poétique de l’intérêt », Poétique, vol. 190, no 2, 2021, p. 231-251.

46  La Conquête de Plassans, éd. citée, p. 1212.

47  Voir Éléonore Reverzy, La Chair de l’idée. Poétique de l’allégorie dans Les Rougon-Macquart, Genève, Droz, 2007, p. 79-80.

48 Le roman, à plus d’un titre, met en fiction le pamphlet de 1845 : Du prêtre, de la femme, de la famille, où le troisième homme qu’est le prêtre, s’introduit au sein du couple pour voler la femme au mari et mettre la main sur l’éducation des enfants. Après Marthe, qui est aussi l’outil pour gagner les bourgeoises de Plassans, et donc sert ses visées politiques, Serge est une autre proie : il entre au petit séminaire à la fin du récit. Voir à ce propos Éléonore Roy-Reverzy, « La passion religieuse : les Goncourt, Zola et la question anticléricale », Romantisme, no 107, 2000, p. 59-70.

49 La Fortune des Rougon, éd. citée, p. 35.

Pour citer ce document

Éléonore Reverzy, « Retour d’âge, retour de flamme. Lecture de La Conquête de Plassans » dans Désirés, désirants, indésirables : corps et âges des femmes en littérature du Moyen Âge à nos jours,

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen Normandie en janvier 2023, publiés par Camille Brouzes, Eva Le Saux, Lola Marcault, Anne-Claire Marpeau, Lucie Nizard, Charles Plet et Stéphane Pouyaud

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 31, 2024

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1755.

Quelques mots à propos de :  Éléonore Reverzy

Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle
CRP19