« L’âge de détruire » : violence féminine et subversion des représentations de la jeune fille et de la femme vieillissante dans L’Amante anglaise de Marguerite Duras et Rouge dents de Pauline Peyrade

Nina Roussel


Texte intégral

1Un soir de décembre 1949, à Savigny-sur-Orge, une retraitée sans histoire du nom d’Amélie Rabilloud fracasse le crâne de son époux à l’aide d’un marteau, avant de découper son corps et d’en jeter les morceaux dans des trains de marchandises, du haut d’un viaduc situé à côté de son domicile. Ce qu’on désignera alors comme le « recoupement ferroviaire » permet rapidement à la police de retrouver le lieu de passage commun à tous ces trains et d’identifier la criminelle, qui s’avère incapable d’expliquer les raisons de son geste. L’horreur du crime et de la méthode employée pour dissimuler et disperser le corps démembré choque profondément l’opinion de l’époque, tout autant que le profil pour le moins inhabituel de la criminelle : une femme âgée d’une cinquantaine d’années1. De ce sordide fait divers, Marguerite Duras a tiré L’Amante anglaise, un texte d’abord accompagné du sous-titre « roman » lors de sa première publication en 1967, avant d’être remanié pour la scène. La pièce du même nom est créée par Claude Régy en décembre 1968 dans la salle Gémier du Palais de Chaillot, alors Théâtre National Populaire. Initiée dès le début des années 1960 autour d’une première pièce – Les Viaducs de la Seine-et-Oise2 – déjà inspirée du crime d’Amélie Rabilloud, la collaboration3 entre Marguerite Duras et Claude Régy se poursuivra bien au-delà de la création de L’Amante anglaise, dont le texte et la mise en scène continuent à évoluer pendant plus de vingt ans au fil des reprises du spectacle, jusqu’à l’ultime édition de la pièce en 19914.

2La pièce de théâtre L’Amante anglaise, qui transforme considérablement les faits qui l’inspirent, met en scène un double interrogatoire : celui du mari d’abord – « ressuscité » par Marguerite Duras qui modifie l’identité et le genre de la victime, devenue Marie-Thérèse Bousquet, une cousine sourde et muette qui vivait chez le couple – ; celui de la criminelle ensuite, renommée Claire Lannes. Les questions sont adressées aux deux protagonistes par un troisième personnage, quant à lui anonyme et réduit à sa fonction : l’Interrogateur. Marguerite Duras fait par ailleurs de cette femme vieillissante une sorte d’éternelle amoureuse, éprise d’un homme qu’elle a connu dans sa jeunesse, avec lequel elle a entretenu pendant deux ans une relation passionnelle dont les contours demeurent flous. Le désir de cette femme est pour ainsi dire inscrit dès le seuil, dès le titre de l’œuvre : au regard de L’Amant, publié seize ans après la création de la pièce, ce titre, L’Amante anglaise – parfois abrégé en L’Amante par Duras elle-même –, donne à entendre un déplacement décisif : le personnage féminin est d’emblée placé en position de sujet désirant. À travers un dispositif théâtral qui favorise l’introspection, L’Amante anglaise dresse le portrait d’un personnage complexe, qui défie les normes sociales attachées à son âge ; un âge proche de celui de Marguerite Duras au moment de la création de la pièce. Nous souhaiterions interroger cette représentation d’un entre-deux-âges – entre la maturité et la vieillesse – de la vie d’une femme, et confronter l’œuvre de Duras à une pièce plus récente de l’autrice française Pauline Peyrade, Rouge dents, qui explore un autre moment de transition entre deux âges, l’adolescence, et pose aussi mais autrement la question du désir, de sa place dans l’existence des femmes et de la place de ces dernières au sein d’une certaine « économie » des désirs.

3Rouge dents s’attaque aux normes qui régissent la socialisation et la représentation des jeunes filles, avec une subversion qui, là encore, se cristallise dans l’adoption par le personnage féminin d’un comportement violent. Cette courte pièce parue en 2019 – conçue pour s’adresser entre autres à un public adolescent – est le fruit d’une commande d’écriture passée à l’autrice par Pierre Cuq et la compagnie Les Grandes Marées, qui mettent en scène l’œuvre de Peyrade en 2022, en s’associant avec le chorégraphe Jérémy Tran. « Monologue à deux voix, à deux corps, pour une danseuse et une comédienne5 », la pièce propose une plongée dans l’espace mental d’une adolescente, Gwladys, engagée dans une quête désespérée pour correspondre à certains types ou stéréotypes et se rendre désirable à tout prix, mettant en lumière le visage contemporain d’un contrôle immémorial du corps des jeunes filles, sommées de se construire en objet de désir. Peu à peu néanmoins le personnage entre en résistance, affirme l’expression d’un désir propre, jusqu’à sa métamorphose finale en une sorte de figure bestiale, monstrueuse.

4Tantôt émancipatrice, tantôt destructrice et aliénante, la violence féminine constitue l’un des « fils rouges » de l’œuvre théâtrale de Pauline Peyrade, qui interroge aussi son ambivalence dans son premier roman L’Âge de détruire (2023)6. Quant à Duras, sa fascination pour les figures féminines meurtrières et pour les « ténèbres » qu’elles renferment est bien connue7. Dans le cadre de cette étude, nous nous intéresserons à la manière dont Rouge dents et L’Amante anglaise balaient un certain nombre de types associés respectivement à la jeune fille et à la femme vieillissante, à travers deux personnages féminins dont la rupture et l’émancipation paradoxale culminent dans un geste radical, qui signe leur entrée dans une forme de « sauvagerie ». Pour ce faire, seront convoquées deux propositions scéniques aux partis pris a priori opposés : là où la mise en scène de Pierre Cuq – qui mêle théâtre et danse – conduit une exploration en mouvements de la révolte du personnage féminin, le spectacle créé par Claude Régy mise bien davantage sur l’immobilité du corps de l’actrice, dont la parole – et les silences – sont placés au cœur d’un dispositif théâtral fondamentalement antispectaculaire8.

Crever les écrans, briser les icônes : échapper aux carcans liés à l’âge

5Rouge dents et L’Amante anglaise présentent en effet un jeu analogue autour d’une écriture stéréotypique de la jeune fille ou de la vieille femme, convoquée pour mieux être déjouée et détournée. Claire Lannes, tout d’abord, s’inscrit en décalage profond avec le caractère et le comportement attendu d’une femme de son âge à la fin des années 1960. Cet écart est rendu particulièrement saillant par le double regard masculin que le dispositif théâtral construit autour de Claire, significativement absente de la première partie de la pièce. Dans la mise en scène de Claude Régy, l’entrée en scène de Madeleine Renaud, qui a créé le rôle de Claire Lannes, n’intervient qu’après quarante-cinq minutes de spectacle. Durant ce laps de temps, Pierre Lannes (Claude Dauphin9), le premier à être interrogé, décrit longuement son épouse, ou du moins la perception qu’il en a, depuis un petit podium rectangulaire avancé dans la salle et adossé à la scène, fermée quant à elle par un rideau de fer. À ce premier regard porté sur le personnage féminin s’ajoute celui de l’Interrogateur, qui conduit l’entretien depuis le public au sein duquel il demeure dissimulé pendant la majeure partie du spectacle. Pendant plus de vingt ans, l’acteur Michael Lonsdale a interprété cette figure sans identité déterminée, guidée par un unique objectif : « Je cherche qui est cette femme, Claire Lannes, et pourquoi elle dit avoir commis ce crime. Le reste m’est égal10. » L’interrogatoire dresse la liste de ses étrangetés. L’une des toutes premières questions que l’Interrogateur pose à Claire consiste à lui faire confirmer qu’elle n’a jamais eu d’enfants, signalant aux lecteurs-spectateurs une première anomalie. Pierre insiste quant à lui sur le caractère dysfonctionnel de son épouse en tant que ménagère, situation qui a motivé le recours aux services de Marie-Thérèse Bousquet, véritable esclave domestique venue s’acquitter de l’entretien du foyer et de la préparation des repas à la place de l’épouse défaillante. « Elle ne s’occupait de rien », déclare Pierre à propos de Claire, avant d’ajouter : « Sitôt les repas terminés elle retournait dans le jardin ou bien dans sa chambre, ça dépendait du temps11. » À rebours de la figure de la bonne vieille qui se tient en retrait tout en veillant au confort matériel et affectif des siens, Claire Lannes est farouche, solitaire. À travers ce trait de comportement livré par Pierre, l’image de la femme vieillissante s’éclipse au profit de celle de la petite fille, impatiente de regagner sa chambre à la fin du repas, comme libérée de toute préoccupation matérielle. Cette dimension enfantine du personnage de Claire, qui caractérise bien des sujets âgés de l’univers durassien12, affleure régulièrement dans le dialogue : « c’était une enfant par certains côtés13 » affirmera d’ailleurs son époux. Pierre insiste également sur la jeunesse paradoxale de sa femme : « À bien y réfléchir, remarquez que je ne vois pas qu’elle ait beaucoup changé depuis que je la connais. Comme si la folie l’avait conservée jeune14. » Dans le même temps, surgit parfois l’image de la morte-vivante (« L’interrogateur : Qui étiez-vous dans le jardin ? / Claire : Celle qui reste après ma mort15. ») Au détour d’une réplique, Claire se dit centenaire16. Son mari décrit la sensation singulière d’un temps suspendu en la compagnie de sa femme. Ces images antithétiques creusent la distance entre l’âge réel du personnage et une multitude d’autres âges possibles, diversement vécus ou perçus.

6Claire Lannes apparaît ainsi comme une aberration temporelle, une figure établie hors du temps17. De cette impression participe l’image frappante créée par l’entrée en scène18 de Madeleine Renaud dans la mise en scène de Claude Régy. Après l’interrogatoire de Pierre Lannes, le diaphragme métallique fermant la scène s’ouvrait pour laisser apparaître l’actrice, alors éclairée à contre-jour. De cette manière, contrairement à l’Interrogateur et à son époux, Claire Lannes rejoignait le podium situé dans la salle depuis les profondeurs de la scène, comme venue, pour citer Régy, « de quelque obscurité originelle19 » ; elle qui affirme ne pas vivre du même « côté du monde20 » que la plupart des hommes. Claire Lannes gagnait ensuite la chaise que son mari avait laissée vide, pour s’y tenir assise jusqu’à la fin du spectacle, avec « la force et le calme d’une divinité21 », raconte un spectateur de l’époque. Le seul fait d’avoir confié le rôle de Claire à Madeleine Renaud est en soi révélateur du flottement qui entoure l’âge du personnage, car si l’actrice est âgée de soixante-huit ans à la création du spectacle, l’écart avec l’âge prêté par Duras au personnage – cinquante-trois ans – n’a cessé de se creuser au fil des reprises : dans la dernière d’entre elles, l’actrice a près de quatre-vingt-dix ans. On sait par ailleurs que Duras avait initialement songé à une double distribution, avec une alternance entre un couple jeune (Lonsdale et Loleh Bellon, qui aurait alors été âgée d’une quarantaine d’années) et un couple plus âgé (Madeleine Renaud et Claude Dauphin) pour interpréter les Lannes. Si le projet, commercialement risqué, a rapidement été abandonné, il témoigne là encore de la plasticité de la figure de Claire, comme si l’âge de son interprète importait peu.

7L’âge est donc l’un des « écrans22 » qui font obstacle à la compréhension du personnage. D’où sans doute l’échec relatif de l’entreprise de l’enquêteur, qui envisage successivement différentes pistes reflétant pour partie des préjugés relatifs à l’âge de cette femme. Ainsi par exemple des pistes d’une démence sénile ou d’une débilité mentale, qui ne résistent pas longtemps à l’interrogatoire de Pierre et de la criminelle, dont la folie côtoie une étonnante lucidité et une singulière intelligence. Claire ne semble pas non plus atteinte du désespoir lié à l’âge que soupçonne un temps l’Interrogateur, fidèle en cela à une conception traditionnelle du vieillissement qui laisserait les femmes dépouillées : « Elle ne souffrait pas de vieillir à votre avis ? » demande l’Interrogateur à Pierre : « Pas du tout. C’était son meilleur côté. Ça réconfortait quelquefois23. » La tentative de compréhension de l’Interrogateur achoppe donc sur l’infinie complexité de ce personnage, par l’intermédiaire duquel sont mis à distance plusieurs « types » de femme vieillissante, à commencer par celui de la vieille folle, idiote ou désespérée.

8Ce regard extérieur masculin se retrouve dans Rouge dents, intériorisé dans la psyché de la protagoniste, Gwladys, une lycéenne écartelée entre la volonté de se couler dans le moule de la jolie jeune fille, et le besoin de s’en libérer. Cette division intérieure est donnée à voir à travers un dédoublement du personnage en deux voix antagonistes. La première de ces voix s’apparente à celle d’une coach intransigeante, incarnée par l’actrice Rebecca Tetens, qui se fait l’écho des injonctions pesant sur le corps des jeunes filles, pleinement intégrées par Gwladys. À cette voix impérieuse s’oppose celle, indocile, portée par la danseuse Aurélie Mouilhade, qui ne s’impose néanmoins que progressivement. Dans la première moitié du spectacle, cette dernière demeure quasiment muette, réduite à un corps malléable qui exécute les commandements édictés par son double. Cet alter-ego tyrannique énonce en effet un certain nombre de normes, introduites par une formule qui revient comme un leitmotiv : « règle numéro un24 » ; toutes ces « règles numéro un » convergeant vers un même objectif : s’offrir au regard masculin en objet de désir et susciter la convoitise de ses congénères.

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De gauche à droite : la danseuse Aurélie Mouilhade et l’actrice Rebecca Tetens
© Virginie Meigné

9Sur le plateau, de grands miroirs mobiles offrent une image démultipliée du corps de Gwladys, comme pour mieux illustrer l’aliénation de l’adolescente, qui s’abîme dans des pulsions narcissiques et mimétiques. Durant la première moitié du spectacle, la synchronisation globale des gestes et déplacements des deux interprètes – d’ailleurs vêtues à l’identique – vient redoubler ces effets de spécularité et de symétrie entre le corps de la danseuse et son reflet dans le miroir.

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© Virginie Meigné

10La tentation mimétique de l’adolescente s’exprime avec force lorsqu’au cœur de la pièce, Gwladys s’adonne à une pseudo-séance d’essayage, au cours de laquelle elle tente d’enfiler différentes « peaux » de personnages qui sont autant de figures stéréotypées de jeunes filles. La première de ces figures souligne quelques-unes des qualités attendues chez la jeune fille : belle, discrète, douce, elle se veut elle-même étrangère à tout désir – si ce n’est celui d’être désirée :

Je suis la première de la classe. Je suis douce et discrète et les garçons tombent amoureux de moi. Je suis belle à la bibliothèque. Je suis belle sur les marches après les cours. Je rassure, on m’aime, je ne prends pas trop de place, ni trop peu, j’existe. Je suis rouge innocence, fantaisie, inoffensif. Je suis rouge enfance et château de sable, petite voiture, train électrique25.

11À travers ce véritable « dressage », le jeune personnage est sommé d’optimiser ce qu’il conviendrait de nommer un coefficient de désirabilité, ou plutôt, de « dévorabilité » : la pièce en effet multiplie les métaphores et comparaisons qui associent le corps de la jeune fille à un consommable, et son spectacle à une dévoration.

Règle numéro un, l’homme est un loup pour l’homme, tu sais ce que ça veut dire ? Ils te dévorent des yeux. Leurs yeux ont des dents. Leurs rêves ont des dents. Tu es une glace au chocolat, un gâteau à la fraise, une hydre. Plus on te croque, plus tu pousses, plus tu grandis26.

12Et la voix tyrannique de conclure, un peu plus tard : « Tu prends de la valeur, à chaque coup de leurs dents27. » Le vocabulaire économique, constamment mobilisé par le texte, pointe le rôle des stratégies marketing dans la réification toujours plus précoce des corps féminins quand, dans le même temps, l’image du loup qui dévore la jeune fille, réminiscence du Petit Chaperon rouge auquel la pièce fait référence à de nombreuses reprises, interroge le rôle des contes dans l’apprentissage tacite par les jeunes filles d’un certain nombre de normes genrées28. Plus encore, au-delà de la question du conte, la formule « Leurs yeux ont des dents » peut être lue comme une allusion explicite au male gaze, ce regard qui tend à érotiser le corps des femmes et – comme ici en l’occurrence – celui des jeunes filles ; à les hiérarchiser aussi, au sein d’un régime (le « grand marché à la bonne meuf29 » pour reprendre la formule de Virginie Despentes) où les corps jeunes se voient dotés d’une plus grande « valeur » et d’une plus grande visibilité, toujours fragiles néanmoins, car éphémères. Aussi Gwladys reçoit-elle cet avertissement en forme de carpe diem : « Tu devrais profiter du temps qu’il te reste. La jalousie, les crachats, ce n’est rien à côté de ce que tu vas devoir affronter. Le temps qui passe. La peau qui tombe. L’oubli30. »

13Sur scène, cette domestication du corps de l’adolescente trouve une image paroxystique à travers une séquence « marionnettique » au cours de laquelle la jeune fille (Aurélie Mouilhade) est manipulée par son double tyrannique, tel un pantin sans volonté propre. Cette sujétion du corps de l’adolescente à un désir extérieur est aussi symbolisée par un accessoire de mode dont Gwladys vient de faire l’acquisition au commencement de l’intrigue : des baskets rouges. Ces chaussures, portées par la danseuse pendant toute la première moitié du spectacle, convoquent le souvenir d’un autre conte, Les Chaussons rouges d’Andersen, qui met en scène une jeune fille condamnée à danser jusqu’à l’épuisement, pour avoir enfilé une paire de souliers rouges tapageuse. Dans ce conte cruel, la jeune fille est contrainte de se faire amputer pour se débarrasser des chaussures ensorcelées et trouver le repos. Dans Rouge dents, la transe de la jeune fille obsédée par son apparence prend fin d’une tout autre façon.

Désirantes, au point de se rendre indésirables : le parti de la sauvagerie

14C’est en prenant le parti de la violence que le personnage de Peyrade – comme celui de Duras – parvient à prendre ses distances vis-à-vis des schémas mortifères auxquels les représentations topiques des femmes de son âge semblaient la condamner. Significativement, dans Rouge dents, tout commence par le corps de la jeune fille qui, le premier, rejette la discipline qui lui est imposée : la danse – art de la discipline s’il en est – se dérègle peu à peu. Un corps-à-corps s’engage rapidement entre Gwladys et son double tyrannique, qui, en tentant de maintenir son emprise sur la jeune fille, lui arrache une chaussure. Comme désenvoûtée, décillée, Gwladys fait désormais entendre sa voix et interpelle l’imaginaire patriarcal qui a engendré les figures stéréotypées auxquelles elle a tenté de se conformer : « Tu m’inventes, tu me construis et tu me déconstruis tous les jours, mon corps est un parc d’attractions31. » Elle exprime désormais sa volonté en forme de refus massif : « Règle numéro un, mieux vaut vivre seule qu’enchaînée à un désir qui n’est pas le tien32. »

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Corps-à-corps et mue du personnage
© Virginie Meigné

15On assiste alors à la métamorphose fantasmatique de l’adolescente en bête sauvage : elle arrache ses vêtements, ses cheveux, court, crie, crache, mord, prenant le contre-pied de la restriction de mouvements qui, en tant que jeune fille, lui était imposée. Sur scène, la recherche d’une gestuelle gracieuse et sexy cède la place à des mouvements empreints de brutalité et d’étrangeté. Peu à peu, la danseuse se courbe, se recroqueville, gomme tout ce qui, dans son langage corporel, évoquait le « féminin », puis l’humain. Sa voix devient plus grave. Le jeu de lumières rend plus saillants encore les muscles de ce corps qui, bientôt, évolue au sol, évoquant une figure animale. La pièce se referme sur la vision de cette jeune fille devenue bête qui court, et que plus rien ne peut faire dévier de sa trajectoire. En somme, c’est presque un retournement de stigmate qui s’opère dans Rouge dents, puisque si le désir des jeunes filles a longtemps été lié à une forme d’excès obscène, ici la monstruosité qui en résulte est à la fois exacerbée, assumée et valorisée, en tant que puissance de sape du contrôle exercé sur leurs corps.

16Si le désir de la jeune fille est traditionnellement stigmatisé, celui de la vieille femme, présumée indésirable, l’est peut-être plus encore. D’où le caractère transgressif de la protagoniste de L’Amante anglaise, sur laquelle nous souhaitons revenir pour finir. Claire Lannes en effet, en dépit de son âge, s’affirme à plusieurs titres en femme désirante. D’abord parce qu’elle demeure amoureuse, non de son mari qu’elle déclare n’avoir jamais vraiment aimé, mais de celui qu’elle nomme l’agent de Cahors : leur liaison brève mais intense a été gâchée – raconte-t-elle à l’Interrogateur – par un mensonge de cet homme, qui a par la suite tenté en vain de reprendre cette relation devenue, selon elle, impossible. Elle ajoute pourtant : « Je n’ai jamais été séparée du bonheur de Cahors, il a débordé sur toute ma vie. Ce n’était pas un bonheur de quelques années, ne le croyez pas. C’était un bonheur fait pour durer toujours33. » Plus que l’expression d’une forme de nostalgie (retour douloureux vers ce qui n’est plus, qui suppose une distance vis-à-vis du temps regretté), cette image d’un « débordement » du passé sur le présent et d’une absence de « séparation » évoque la coprésence de différentes périodes de la vie de cette femme qui, là encore, témoigne d’un rapport au temps singulier. Madeleine Renaud insistait quant à elle sur la persistance du désir chez ce personnage, « qui mélange la folie et l’amour, l’amour qu’elle a eu dans sa vie, l’amour qu’elle est prête à avoir encore maintenant34 ». Le titre de la pièce se fait l’écho de cette intrication, puisqu’il est le produit d’un désordre orthographique, d’une confusion du personnage qui, voulant se renseigner sur la culture de la menthe anglaise, l’orthographie comme le féminin « d’amant ». Claire Lannes apparaît par ailleurs comme une femme radicalement indépendante, qui semble n’obéir qu’à elle-même, au point d’adopter des comportements jugés inappropriés, « bizarre[s]35 », pour reprendre le terme employé par son mari, qui raconte notamment à l’Interrogateur les journées que sa femme passait immobile sur le banc du jardin, plongée dans ses pensées. L’affirmation de ce désir émancipé de tout souci de se conformer à des normes culmine en quelque sorte dans la violence paroxystique à laquelle se livre Claire Lannes, qui finit de déjouer les attentes liées à son genre et à son âge. En témoigne son mari, qui la pensait « tranquille », forcément inoffensive : « on ne s’est pas méfié assez36 », déclare-t-il à l’Interrogateur. Or, si Claire Lannes s’avère incapable de donner des raisons à son geste, elle n’exprime ni regret, ni émotion à l’évocation de certains détails du crime qu’elle a commis : sur scène, Madeleine Renaud demeurait droite et imperturbable sur sa chaise37. C’est bien autour de cet obscur désir de tuer que gravite la pièce de Duras, qui écrira d’ailleurs, dans un petit commentaire rédigé en 1989, que le personnage de l’Interrogateur « découvre la personne de Claire Lannes et la parole de celle-ci, la force du vouloir de ce corps assassin38 ».

17Il convient donc de souligner toute l’ambivalence de ce personnage qui se rend indésirable aux yeux de son mari : à plusieurs reprises dans l’interrogatoire de ce dernier, on sent poindre la honte à l’évocation de certains comportements enfantins de sa femme âgée. Il mentionne même la mise en place d’une surveillance discrète de son épouse, justifiée par la crainte d’un suicide : « J’avais peur qu’elle fasse un scandale, qu’elle se supprime39. » Dans le même temps, le lecteur-spectateur peut éprouver une certaine jubilation en découvrant à quel point ce personnage a défié le scénario qui semblait lui être réservé en substituant au suicide qu’on lui prédisait (quelle autre fin possible après tout pour une vieille femme à moitié folle ?) un meurtre sanglant. La démesure de l’acte en lui-même suscite en outre une fascination ambiguë, qu’illustre la démarche de l’Interrogateur qui, à l’instar de Duras elle-même, cherche désespérément mais vainement à percer le secret de Claire ; aussi Duras se plaît-elle à peindre son personnage en véritable « auteur » de la pièce : « S’il y a ici un personnage identifiable à l’auteur, ce n’est pas lui [l’Interrogateur], c’est elle, Claire40. »

18Un scénario qui déraille : c’est aussi ce que donne à voir Rouge dents, à partir du moment où la jeune Gwladys entame sa métamorphose. Cette déviation vis-à-vis d’une représentation conventionnelle de la jeunesse au féminin est rendue particulièrement sensible lorsqu’à la toute fin de la pièce, les deux voix en présence – et en compétition – en viennent subitement à désigner Gwladys à la troisième personne, et à s’affronter autour de deux dénouements possibles pour le personnage – distingués sur la page par un jeu de variation typographique :

Elle tombe. Ses dents dans la terre. Elle mord.
La terre est du sucre, elle s’enfonce dans son ventre. Elle devient éclats de fraises, mousse au chocolat.
Elle avale la terre, elle croque les éclats d’écorce, les cailloux, les insectes.
Elle se relève. Sa peau scintille, on dirait de l’or, comme par magie. Une libellule la recoiffe.
La forêt dans sa bouche. Elle enfonce son nez, son visage dans la terre, elle se roule dans la boue.
Les oiseaux chassent la terre de ses jambes, de ses bras, de son ventre41.

19Tandis que la danseuse qui incarne physiquement la métamorphose de la jeune fille clame son ensauvagement, l’actrice incarnant son double soumis à la norme tente désespérément de la corriger en mobilisant des éléments traditionnels du conte de fée, en vain, puisqu’elle demeure sur scène reléguée à l’arrière-plan, et que sa voix est bientôt recouverte par la première. À travers cette alternance néanmoins, la transgression à l’œuvre s’expose.

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Fin du spectacle : la jeune fille devenue bête et son double relégué à l’arrière-plan
© Virginie Meigné

20Ainsi, et pour conclure, Rouge dents et L’Amante anglaise mobilisent des types liés à deux âges opposés de la vie des femmes : la jeune fille qui ne vit que pour satisfaire le désir d’un autre, au corps toujours offert, vulnérable ; la femme vieillissante, forcément indésirable, destinée à devenir folle tout à fait et attenter à sa vie, autant de types rapidement déjoués et pervertis. Dans la création de Pierre Cuq et Jérémy Tran, le jeu autour du double (double voix, double corps, double du miroir) permet de mettre en scène, à partir d’une situation initiale d’emprise et de soumission d’une jeune fille à la norme, la révolte d’un corps dont la force vitale reprend ses droits. Dans L’Amante anglaise, si le geste meurtrier, déjà accompli au commencement du spectacle, demeure significativement hors-scène, c’est aussi une force insoupçonnée qui émane du petit corps chétif de Madeleine Renaud et de la présence de celle-ci, qui vieillit avec le personnage de Claire Lannes qu’elle interprète pendant plus de vingt ans, les vingt dernières de sa carrière d’une longévité exceptionnelle. Finalement, à la passivité et à la réification du corps de la jeune fille, à l’effacement attendu de la femme vieillissante, Gwladys dans Rouge dents et Claire Lannes dans L’Amante anglaise apportent une réponse violente, une forme d’agentivité radicale qui les érige en uniques décisionnaires de leur destin comme de la conduite de l’intrigue des pièces dont elles sont le personnage central42.

Notes

1 L’affaire est couverte par plusieurs journaux de l’époque, mais c’est la chronique de Jean-Marc Théolleyre, rendant compte dans Le Monde du 1er mars 1952 du procès de la criminelle, qui attire l’attention de Duras sur le crime et surtout sur la figure d’Amélie Rabilloud. Dans les toutes premières lignes de cet article très théâtralisé, le journaliste décrit « l’entrée en scène » de l’accusée lors du procès, en insistant sur la « médiocrité » de cette femme, comme si elle n’eût pas été à la hauteur de son geste, ou de son rôle… Or, l’âge d’Amélie Rabilloud est au cœur de ce portrait, qui s’attarde sur la couleur grisonnante des cheveux de la criminelle, ou encore sur le manque de fraîcheur de son teint : « Sous la morne lumière de la salle des assises de Versailles, Amélie Rabilloud vient d’entrer. Elle n’a rien pour elle que son insignifiance. Tout est médiocre, pauvre, ingrat : les cheveux au teint de cendre, le regard passif sous des paupières épaisses, la joue sans relief, et sous la peau jaunâtre, contre l’oreille, ce muscle qui périodiquement se contracte comme un tic. » (Jean-Marc Théolleyre, « Amélie Rabilloud devant ses juges », Le Monde, 1er mars 1952, article reproduit dans Marguerite Duras, L’Amante anglaise : théâtre [Le Théâtre de l’Amante anglaise, 1991], éd. Arnaud Rykner, Paris, Gallimard, coll. « Folio théâtre », 2017, p. 183).

2 Cette première pièce est créée en 1960 par le Théâtre Quotidien de Marseille, dans une mise en scène de Roland Monod. En 1963, Claude Régy monte à son tour Les Viaducs, au Théâtre de Poche-Montparnasse, à Paris.

3 Sur la genèse complexe de cette œuvre et la collaboration entre Régy et Duras, voir Almuth Grésillon et Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Marguerite Duras / Claude Régy : L’Amante anglaise. Genèse d’une écriture, gésine d’un théâtre », dans Genèses théâtrales, dir. Dominique Budor, Marie-Madeleine Mervant-Roux et Almuth Grésillon, Paris, CNRS Éditions, 2010, p. 211-232.

4 L’Amante anglaise est significativement la seule de ses mises en scènes que Régy a accepté de reprendre régulièrement (1969, 1971, 1976, 1982-1983, 1989). L’ultime version de la pièce, parue deux ans après la dernière reprise du spectacle de Régy, est publiée sous le titre Le Théâtre de l’Amante anglaise. La pièce a néanmoins été rééditée en 2017 chez Gallimard par Arnaud Rykner qui, tout en conservant le texte de l’édition de référence de 1991, rétablit le titre originel, L’Amante anglaise (titre sous lequel la pièce montée par Régy a fait date dans l’histoire du théâtre ; titre sous lequel Duras elle-même continue de désigner sa pièce dans les différents textes liminaires de l’édition de 1991). C’est sous ce titre que nous nous référerons à la pièce.

5 Dossier du spectacle Rouge dents, p. 5, disponible sur le site internet de la compagnie Les Grandes Marées : https://www.lesgrandesmarees.com/_files/ugd/95fdd6_f0b11f2664564c1dbe21c99457e52354.pdf, page consultée le 22 mai 2024.

6 Le titre du roman, qui a inspiré le titre de cet article, est lui-même une citation de Virginia Woolf, placée en exergue de l’ouvrage de Peyrade : « L’âge de comprendre : l’âge de détruire… Et ainsi de suite. » Pauline Peyrade, L’Âge de détruire, Paris, Éditions de Minuit, 2023, p. 7; « The age of understanding: the age of destroying – and so on. » (Virginia Woolf, A Writer’s Diary : Being Extracts from the Diary of Virginia Woolf [1953], éd. Leonard Woolf, London, The Hogarth press, 1969, p. 247 ; traduit en français par Germaine Beaumont, Journal d’un écrivain, Paris, Éditions du Rocher, « 10/18 », 1977, vol. 2/2, p. 113.)

7 Voir déjà, dix ans avant L’Amante anglaise, le compte rendu du procès de Simone Deschamps rédigé par Duras (« Horreur à Choisy-le-Roi », France-Observateur, 6 juin 1957) et son plaidoyer pour la meurtrière : « Je crois qu’il faut admettre la “vérité” des ténèbres », repris dans Marguerite Duras, Outside  : papiers d’un jour, Paris, Albin Michel, « Illustrations », 1981, p. 141.

8 Régy a souvent désigné L’Amante anglaise comme son véritable début théâtral, comme un spectacle matriciel qui a déterminé bien des aspects de son esthétique.

9 Créé par Claude Dauphin, le rôle de Pierre Lannes fut interprété alternativement par Claude Dauphin et Jean Servais à l’occasion des diverses reprises du spectacle. Après la mort de Claude Dauphin en 1978, Pierre Dux reprit le rôle.

10 Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 54.

11 Ibid., p. 56.

12 Voir par exemple Madame Dodin, l’héroïne éponyme de la deuxième nouvelle recueillie dans Des journées entières dans les arbres, ou le personnage éponyme du roman Emily L.

13 Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 62.

14 Ibid., p. 96.

15 Ibid., p. 129.

16 Lorsqu’elle rapporte avoir mis des lunettes noires et éteint la lumière de la cave pour y découper sa cousine, Claire Lannes se justifie en ces termes : « Je l’avais assez vue depuis cent ans », Ibid., p. 153.

17 À l’image là encore de bien des personnages féminins durassiens (Anne-Marie Stretter, Lol V. Stein, etc.).

18 Entrée qui est en fait une sortie de scène puisque Madeleine Renaud sort de la scène fermée pour gagner le podium installé dans la salle… À propos de cette entrée, de la scénographie du spectacle de Régy et de son évolution, voir notamment Aurélie Coulon, « Entrer quand la scène est fermée. L’effet de profondeur dans les mises en scène de L’Amante anglaise réalisées par Claude Régy », Agôn, no 5 : L’Entrée en scène, 2012, p. 38-50 (en ligne : https://journals.openedition.org/agon/2409, page consultée le 4 mai 2024).

19 « Il est important de pouvoir illimiter l’espace. Il faut que l’on puisse […] disposer d’une vraie profondeur de champ. Même si l’on fait travailler les acteurs très près du public, comme je le fais en général […], les arrivées de loin, les ombres qui se créent dans le fin fond de la scène donnent l’impression que ça vient justement du début de l’humanité, ou de quelque obscurité originelle », Claude Régy, « Le théâtre qu’on fait dépend du lieu où on le fait », entretien réalisé par Chantal Guinebault-Szlamowicz, dans Théâtre/Public, no 177 : Scénographie : l’ouvrage et l’œuvre, 2005, p. 11.

20 « Ils vont dire que je suis folle maintenant. Qu’ils disent ce qu’ils veulent, eux ils sont de l’autre côté du monde. » Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 152.

21 Pierre Macabru, critique de L’Amante anglaise publiée dans le numéro du 28 janvier 1969 de France-Soir, cité par Arnaud Rykner, « Mises en scène », dans Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 203.

22 Pour A. Rykner, « Le premier de ces écrans est la folie même du personnage de Claire, folie dans laquelle on aura trop vite fait de l’enfermer pour mieux la simplifier et, pour ainsi dire, l’anesthésier. » (Arnaud Rykner, « Préface », dans Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 16.)

23 Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 66.

24 Cette kyrielle de règles assenées à l’adolescente évoque aussi les « règles » (menstruations), indirectement convoquées par l’omniprésence dans la pièce de la couleur rouge ; rouge qui est aussi bien celui du rouge à lèvres que le rouge des contes de fées (Le Petit Chaperon rouge, Les Souliers rouges) auxquels la pièce fait écho, et la couleur du sang. Le titre Rouge dents – dents du loup, dents de la jeune fille au sourire radieux, dents qui mordent et font jaillir le sang, appelé aussi bien par l’adjectif « rouge » que par la voyelle nasale de « dents » – fait la synthèse de ces diverses connotations. Sur l’homologie entre un supposé asservissement à la « nature » des personnes dotées d’un utérus et la vocation des femmes à obéir dans le régime social, on peut songer aux mots de Camille Laurens dans Fille : « Les filles doivent accepter la notion de cycle, de règles, être régulières. C’est la nature, point final. […] Les filles ont leurs règles et elles suivent les règles, c’est tout. » Camille Laurens, Fille, Paris, Gallimard, « Folio », 2022, p. 106. Voir l’article qu’Ariane Ferry a consacré au roman dans ce volume : « De l’indésirable à la désirante ou comment sortir de la malédiction du “naître fille” (Fille de Camille Laurens, 2020) » (page consultée le 4 juin 2024).

25 Pauline Peyrade, Rouge dents dans Portrait d’une sirène – Trois contes, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2019, p. 37.

26 Ibid., p. 38.

27 Ibid., p. 40.

28 On pourra songer aux mots de Vanessa Springora lorsqu’elle évoque, dans son « Prologue » au Consentement paru quelques mois après Rouge dents, sa défiance vis-à-vis des contes qui ont accompagné son enfance : « Aujourd’hui, c’est avec méfiance que je les observe. Une paroi de verre s’est dressée entre eux et moi. Je sais qu’ils peuvent être un poison. Je sais quelle charge toxique ils peuvent renfermer. » Vanessa Springora, Le Consentement, Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche », 2021, p. 10. Voir aussi l’analyse du Petit Chaperon rouge proposée par Jennifer Tamas, qui montre à quel point la version de Perrault – première version écrite du conte –, ses analyses ultérieures (psychanalytiques notamment), et dans une moindre mesure la version des frères Grimm, ont figé le personnage féminin dans la passivité et l’impuissance, et fait du Petit Chaperon rouge le conte d’avertissement qu’il n’a pas toujours été : en remontant aux sources folkloriques du conte, à partir notamment des travaux d’Yvonne Verdier, l’autrice insiste sur l’agentivité dont fait preuve la jeune fille dans certaines versions populaires du conte, transmises à l’oral (notamment par des femmes). Jennifer Tamas, Au NON des femmes : libérer nos classiques du regard masculin, Paris, Éditions du Seuil, « La couleur des idées », 2023, p. 63-102.

29 Virginie Despentes, King Kong théorie, Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche », 2007, p. 9.

30 Pauline Peyrade, Rouge dents dans Portrait d’une sirène, op. cit., p. 42.

31 Ibid., p. 44.

32 Ibid., p. 45.

33 Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 136.

34 .

35 Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 71.

36 Ibid., p. 57.

37 Voir les photographies de Roger Pic (1968) conservées à la BnF, département Arts du spectacle, cote 4-

38 Marguerite Duras, dactylogramme de 1989 conservé dans les archives de Jean Mascolo, reproduit dans Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 195.

39 Ibid.., p. 51.

40 Marguerite Duras, dactylogramme de 1989, reproduit dans ibid., p. 196.

41 Pauline Peyrade, Rouge dents dans Portrait d’une sirène, op. cit., p. 47.

42 Ce qu’illustrent assez bien, dans L’Amante anglaise, les mots de Pierre Lannes qui, interrogé au terme de son entretien sur le rôle qu’il a eu dans la vie de sa femme, se voit obligé de concéder – après un grand silence – qu’il n’en a eu aucun : « Je ne vois pas le rôle que j’ai eu dans sa vie », et de se reconnaître personnage secondaire de la vie de Claire comme de la pièce de Marguerite Duras. Marguerite Duras, L’Amante anglaise, op. cit., p. 82.

Pour citer ce document

Nina Roussel, « « L’âge de détruire » : violence féminine et subversion des représentations de la jeune fille et de la femme vieillissante dans L’Amante anglaise de Marguerite Duras et Rouge dents de Pauline Peyrade » dans ,

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude »,

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1762.

Quelques mots à propos de :  Nina Roussel

Université de Rouen Normandie
CÉRÉdI – UR 3229
Nina Roussel est agrégée de Lettres modernes et doctorante contractuelle en littérature comparée à l’Université de Rouen Normandie. Son travail de thèse, conduit sous la direction d’Ariane Ferry, porte sur les représentations de la violence exercée par les femmes dans les écritures dramatiques contemporaines depuis 1990 (Angleterre, France, Espagne, Portugal).