La femme de trente ans : un personnage de la première moitié du xixe siècle

Véronique Samson


Texte intégral

1En 1840, dans l’introduction du recueil de physiologies Les Français peints par eux-mêmes, Jules Janin fait l’énumération de tous ces nouveaux êtres du siècle qui auraient besoin d’être consignés. Parmi eux, de nouvelles femmes : « nous avons de nos jours tant de femmes que le siècle passé ne comprenait même pas, » écrit-il, « à commencer par ces femmes de génie en vieux chapeaux et en bas troués, à finir par cet être nouvellement découvert, qu’on appelle la femme de trente ans1 ». Il va sans dire que les femmes des siècles précédents connaissaient la trentaine ; mais le xixe siècle en aurait fait un moment déterminant de la vie féminine. Autrement dit, il en aurait inventé le type. La « femme de trente ans » précèderait dès lors dans les esprits, dans le discours, les femmes réelles ayant atteint cet âge, devenues visibles, situables, reconnaissables. Avec le xixe siècle, à en croire Jules Janin, le milieu de la vie féminine aurait acquis une existence sociale – et littéraire.

2C’est à cette « découverte » de la femme de trente ans que cet article voudrait s’attacher. Malheureusement, l’Encyclopédie morale du xixe siècle ne tient pas les promesses de l’introduction de Jules Janin et ne contient aucune physiologie de la femme de trente ans2. Cependant, plusieurs romans contemporains, au cours de la première moitié du siècle, témoignent de la circulation du type, tout en contribuant à en tracer les contours, avec des personnages féminins au milieu de leur vie ou à la fin d’une première jeunesse. Dans son étude du roman d’apprentissage, Franco Moretti a remarqué que le roman européen du xixe siècle prend le jeune pour héros : ce serait la jeunesse qui représenterait ce siècle qui cherche son sens dans le futur plus que dans le passé, et ce seraient donc les premières années de vie qui s’institueraient comme le temps du roman3. Or, force est de constater que cette observation s’applique avant tout aux protagonistes masculins, et qu’une grande partie des personnages féminins – plus exactement, une grande partie de ces personnages qui constituent l’intérêt amoureux d’un jeune protagoniste – sont plutôt d’âge moyen dans la première moitié du siècle.

3Le type de la femme de trente ans interroge tout particulièrement « l’intérêt romanesque » en ce qu’il se situe dans ce qu’Honoré de Balzac décrit comme le second âge de la vie de la femme, celui du mariage, entre les deux seuils problématiques que sont la puberté et la ménopause. Dans sa Physiologie du mariage, le romancier offre un condensé maintenant bien connu du discours social de son temps sur les âges féminins.

La vie de la femme se partage en trois époques bien distinctes : la première commence au berceau et se termine à l’âge de nubilité ; la seconde embrasse le temps pendant lequel une femme appartient au mariage ; la troisième s’ouvre par l’âge critique, sommation assez brutale que la Nature fait aux passions d’avoir à cesser4.

4La première époque, selon le romancier, irait jusqu’à dix-huit ans, la deuxième de dix-huit à quarante ans, la troisième enfin de quarante ans à la mort – tripartition qui enferme la femme dans son statut d’épouse et de mère, ou plus précisément dans la physiologie qui la destinerait tout naturellement à ce statut. Ce sont effectivement les seuils entre ces parties qui ont fini par intéresser davantage les écrivains et écrivaines au fil du xixe siècle : la jeune fille ou la femme de quarante ans sont saisies dans le moment de leur transition, ou dans une transition problématique5. La seconde période, où la physiologie de la femme recoupe le rôle que lui assigne la société, semble produire moins de personnages principaux, même si elle a tout de même droit dans la première moitié du siècle à une certaine représentation romanesque, qui sera explorée ici.

5À partir de La Femme de trente ans de Balzac (publié dans sa version actuelle en 1842 après plusieurs publications fragmentaires) et de Lélia de George Sand (publié en 1833, puis en 1839 après réécriture6), nous tenterons de suivre les incarnations de cette « femme de trente ans », une figure qui ne se nomme pas toujours mais offre aux romans de semblables possibles narratifs. Il s’agira d’abord de décrire le type posé par Balzac, en évoquant des représentations apparentées chez d’autres romanciers, puis de comprendre ses fonctions dans les récits.

Une femme au long passé

6Lorsque s’ouvre La Femme de trente ans de Balzac, le personnage éponyme ne correspond pas encore au type qui sera le sien, se situant plutôt à l’orée de la vie : « jeune fille » à la « beauté mignonne », « petite personne », « enfant » encore (FTA, p. 44-45), Juliette d’Aiglemont s’apprête à élire son époux. C’est après le mariage et ses désillusions que celle-ci deviendra « femme de trente ans ». Dans la section centrale du roman, justement intitulée « À trente ans », le narrateur s’efforce de ramener l’héroïne à un type féminin, au moment même où une nouvelle histoire d’amour se présente à elle en la personne de Charles de Vandenesse.

7La femme de trente ans est opposée à la jeune femme, et le narrateur tranche en faveur de la première, qui, elle, connaît le prix de l’amour, car elle a un passé qui s’étire derrière elle. C’est le temps qui définit avant tout la femme de trente ans – non pas l’appartenance au temps historique d’une génération, mais la position tardive qu’elle occupe dans un temps strictement biographique, biologique7. Comme se le dit Charles de Vandenesse, Juliette d’Aiglemont est « une femme attachée à des souvenirs » (FTA, p. 184) : le narrateur la compare quant à lui à Mnémosyne (FTA, p. 183). Les souffrances et déceptions amoureuses qu’ont traversées la femme de trente ans, font de celle-ci une « vivante énigme » : la présence des souvenirs donne une profondeur à sa physionomie, jette un voile sur son regard, qui donneraient envie de « deviner les mystères de la perpétuelle réaction qui se faisait en elle du présent vers le passé » (FTA, p. 171 et p. 170). En plus de piquer la curiosité, le long passé de la femme de trente ans augmenterait également la valeur de l’amour qu’elle choisit de donner : si la jeune fille se livre sans réfléchir, la femme de trente ans possède la pleine conscience de ce sacrifice d’elle-même, un « savoir presque toujours chèrement payé par ses malheurs » (FTA, p. 175). Une beauté particulière serait associée à cet âge moyen, composée des « harmonies de la tristesse » (FTA, p. 182), qui permettrait aux femmes de se débarrasser des ornements et de la coquetterie de leurs premières années. Cette vision de la femme de trente ans hante encore les successeurs de Balzac. Gustave Flaubert, notamment, la remobilise dans le portrait qu’il fait de Mme Arnoux dans L’Éducation sentimentale (1869). Alors que la relation avec le jeune Frédéric Moreau s’épanouit, le narrateur nous dit en termes très balzaciens qu’« elle touchait au mois d’août des femmes, […] où la maturité qui commence colore le regard d’une flamme plus profonde, quand la force du cœur se mêle à l’expérience de la vie8 ». Assez avancé dans l’année, marquant la fin de l’été, le mois d’août est tout de même le moment des moissons – moment d’abondance, de richesse. La femme de trente ans, sorte de fruit parfaitement mûri, apparaît alors comme une synthèse idéale des forces de la jeunesse et de l’expérience de la vieillesse : le milieu de la vie devient chez Balzac une « sommité poétique de la vie des femmes » (FTA, p. 183). Ainsi, dans sa lecture du roman, Michel Delon propose que Juliette d’Aiglemont soit l’exemple d’une « plénitude féminine », d’une puissance qui est « aussi une maîtrise du temps9 » : en d’autres mots, l’héroïne de Balzac réalise pleinement son sexe, en appartenant à tous les âges à la fois, comme en équilibre au milieu de sa destinée de femme.

8Cette position au faîte de la vie féminine se traduit dans l’ambivalence des descriptions physiques de la femme de trente ans, dont l’apparence suggère à la fois le vieillissement et la jeunesse. Dans La Femme de trente ans, Juliette d’Aiglemont est « frêle de formes et d’une excessive délicatesse », a la taille élégante, la peau « parfaitement blanche », quoique pâle, et d’une rare finesse ; ses gestes paraissent « dus à d’enfantines habitudes » (FTA, p. 169-171). La femme de trente ans n’est pas loin de la jeunesse, elle en a toujours les apparences. Comme le précise le narrateur, « la femme de trente ans peut se faire jeune fille » (FTA, p. 176), c’est un rôle qu’elle est encore en mesure de jouer dans l’amour. En même temps, la description de Juliette d’Aiglemont porte les traces du temps qui s’accumule en elle et pointe vers la vieillesse : « le laisser-aller de son corps fatigué mais souple, qui paraissait élégamment brisé dans le fauteuil, […] ses mouvements pleins de lassitude », tous ces traits montrent une femme « qui se courbe sous les fardeaux dont l’accable sa mémoire » (FTA, p. 171-172). La description en contre-point révèle l’équilibre précaire d’une usure toujours attirante, d’une fatigue toujours agréable à contempler, qui seraient le propre de la femme au milieu de la vie. Chez d’autres romanciers, cette ambivalence est parfois poussée très loin, vers une sorte de réversibilité, qui permettrait à la femme de trente ans de basculer de la vieillesse à la jeunesse et vice versa. La deuxième époque de la vie féminine serait bien moins stable qu’elle ne peut le sembler dans la Physiologie du mariage. Pensons au portrait qui est tracé de la duchesse de Sanseverina dans La Chartreuse de Parme de Stendhal (1839), cette femme qui entame sa vie romanesque à trente et un ans : soudainement vieillie dans ses moments de souffrance, elle paraît en même temps rajeunie par son amour pour Fabrice, qui lui rend, comme elle le dit, « les beaux jours de la jeunesse10 », au point où elle peut paraître à un moment « aussi jeune » que Clélia Conti, qui a à peu près la moitié de son âge11. Dans son apparence, la femme de trente ans possède ainsi une étrange capacité à remonter le temps, à le parcourir dans les deux sens. Difficilement situable, contrairement à ce que le type pourrait laisser croire, elle n’est pas figée dans le déterminisme de son âge : elle a tous les âges et aucun âge à la fois, occupant un entre-deux hésitant, au beau milieu de la deuxième « époque » de la vie féminine. En ce sens, si la femme de trente ans peut être à la fois fraîche et usée, peut vieillir et rajeunir en un soir, il faut en conclure que la jeunesse et la vieillesse sont détachées de l’année de naissance, de l’âge réel. On retrouve dans ces romans une conception du temps romantique – plus que sociale ou physiologique –, où ce sont les illusions qui définissent la jeunesse et la désillusion qui entraîne la vieillesse. L’âge, autrement dit, témoigne des illusions plus que des années : la femme de trente ans sert en fait à révéler que la jeunesse est avant tout une « jeunesse d’âme » (FTA, p. 144), pour le dire comme l’auteur du roman La Femme de trente ans.

9Le roman de Balzac ne fait pas que décrire un type : ces descriptions suggèrent que le type de la « femme de trente ans » est indissociable du rôle qu’elle joue dans le récit. En effet, la femme de trente ans s’intègre le plus souvent à ce qui est en réalité l’histoire d’un protagoniste masculin, ce jeune homme sur le seuil de l’existence dont Franco Moretti fait la définition suffisante du personnage romanesque du xixe siècle. En tant qu’intérêt amoureux, la femme de trente ans est un personnage que l’on pourrait dire relatif, qui prend sens par rapport à l’âge de son amant, dans l’écart entre leurs âges respectifs (et en ce sens, son âge exact, qui n’est pas toujours précisé, la définit moins que cet écart). Autrement dit, plus que la femme de trente ans, c’est peut-être l’amour de la femme de trente ans qui constitue le stéréotype – ce dont Frédéric Moreau donnera plus tard la preuve dans son désir pour Mme Arnoux et Mme Dambreuse. Les deux femmes, si elles s’opposent tout à fait dans les valeurs et possibilités qu’elles incarnent pour le jeune homme, se rejoignent pourtant dans leur âge, qui participe de leur charme. Ainsi, lorsque Mme Dambreuse interroge Frédéric sur les « jeunes personnes » qui ont attiré son attention lors de la première soirée passée dans son salon, celui-ci fait une réponse habile : « Il n’en avait remarqué aucune, et préférait, d’ailleurs, les femmes de trente ans12. » Le roman de 1869 révèle la conscience ironique qu’a gagnée le romancier sur ses propres goûts de jeunesse13, mais aussi le cliché qu’était l’amour des femmes de trente ans dans la première moitié du siècle.

10Mais comment se définit cette relation stéréotypée ? Forte de son expérience, la femme de trente ans gagne un certain pouvoir sur le jeune homme qui croise son chemin. Comme l’a noté Michel Delon, celle-ci sert souvent d’initiatrice14, épaulant l’apprentissage du jeune premier qui a encore à choisir sa voie dans la vie. La femme de trente ans non seulement est souvent définie par la maternité (elle est réellement mère, ou en âge d’être mère), mais elle agit comme une mère pour son jeune amant, au sein de la relation amoureuse. Contrairement à la jeune fille, qui ne peut rien apprendre au jeune homme, la femme de trente ans « nous instruit, nous conseille à un âge où l’on aime à se laisser guider, où l’obéissance est un plaisir » (FTA, p. 175), écrit Balzac dans le roman de 1842. Consciente du temps, elle s’occupe de l’avenir de son amant comme de celui d’un enfant. Les termes – mère, enfant – reviennent d’ailleurs sans cesse dans ces romans. La Confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset (1836), par exemple, relate les amours entre Octave et Brigitte Pierson, une veuve de trente ans : ici, l’enfant du siècle se fait « enfant » aux yeux de son amante, qui voudrait, grâce à l’expérience de son long passé, veiller sur lui « comme une mère15 ». La relation filiale s’établit également dans l’œuvre de Flaubert, notamment dans la troisième partie de Madame Bovary (1857) où Emma, approchant les trente ans sans tout à fait les atteindre, se met à appeler Léon « enfant » à répétition alors que leur écart d’âge n’avait pas, jusque-là, été noté16, tout en se comportant « comme une mère vertueuse17 » auprès de lui.

11Ce décalage des âges va parfois jusqu’à entraîner un bouleversement des rôles genrés, faisant étrangement sortir la femme de trente ans de la féminité qu’elle devrait pourtant pleinement réaliser dans la deuxième époque de sa vie. Déjà chez Balzac, la femme de trente ans est présentée comme celle qui « vous oblige à des combats perpétuels », celle à qui l’on finit par céder, celle qui ne se soumet jamais comme la jeune fille : elle « ordonne », « obéit », « commande », bref fait montre de plus de force que la « faiblesse » de son sexe pourrait le laisser croire (FTA, p. 175-6). L’amour prend la forme d’une lutte dont les femmes plus mûres sont toujours « maîtresses », d’un combat dont le danger est certain pour le jeune homme qu’interpelle directement Balzac à certains moments de ce chapitre, comme pour souligner l’avertissement18. Chez Flaubert, les femmes de trente ans ont presque toutes un léger duvet noir au-dessus de la lèvre supérieure, mais c’est dans Madame Bovary que cette masculinité de la femme de trente ans s’affirme le mieux, tout en prenant un caractère plus trouble, dans les derniers temps de la relation avec Léon. Le clerc reconnaît en son amante « toutes les épreuves de la souffrance et du plaisir » par lesquelles « elle avait dû passer », mais cette longue expérience de la femme de (presque) trente ans a perdu l’attrait qu’elle avait encore chez Balzac : « Ce qui le charmait autrefois l’effrayait un peu maintenant. […] Il en voulait à Emma de cette victoire permanente19. » Tout à fait dominé par Emma, il devient, aux yeux de cette dernière, « plus mou qu’une femme20 ». La femme de trente ans, par son âge même, gagnerait ainsi quelques-uns des traits qui étaient habituellement associés aux hommes : tout en incarnant la « sommité » de son sexe, elle finit par le dépasser.

Un amour sans avenir

12Cette vision de la femme de trente ans, malgré ses côtés plus troubles plus tard chez Flaubert, présente dans la première moitié du siècle un idéal féminin. Cependant, son inscription dans le récit, son entrée dans le temps narratif, ne vont pas de soi. La relation de Juliette d’Aiglemont et de Charles de Vandenesse en donne l’exemple : la femme de trente ans apparaît effectivement sans avenir, comme au bout de ce que pourrait être sa vie amoureuse (même si, prétend le narrateur de Balzac, le monde offre beaucoup d’exemples de telles relations). Dès les premières tentatives de Charles de Vandenesse, Juliette d’Aiglemont le repousse, prétextant la perte de trop de bonheurs dans le passé et la nécessité de demeurer « fidèle à [s]es souvenirs. » (FTA, p. 182) Ce refus d’exister au présent, pour habiter uniquement le passé trop long qui s’étale derrière elle, est davantage motivé lorsqu’elle aborde la question de son âge. Il serait impossible, à trente ans, de se laisser emporter par les illusions de la jeunesse, et ce serait trahir Charles que de le prétendre. Il est, en somme, trop tard pour l’amour.

– Je suis déjà vieille, dit-elle […]. D’ailleurs il faut aimer, dites-vous ? Eh bien, je ne le dois ni ne le puis. […] Puis serait-il bien généreux à moi d’échanger un cœur flétri contre un jeune cœur, d’accueillir des illusions que je ne puis plus partager, de causer un bonheur auquel je ne croirais point, ou que je tremblerais de perdre ? (FTA, p. 188)

13Juliette d’Aiglemont sera ébranlée par l’échange, ce qui permettra à la passion de se frayer un chemin en elle malgré tout. Cette scène n’est pas unique : au contraire, elle se voit reprise par plusieurs romanciers dans la première moitié du siècle et même au-delà. À son tour, Brigitte Pierson, dans La Confession d’un enfant du siècle, utilisera son âge pour mettre fin à la relation avec Octave : « Je suis plus vieille que vous de quelques années, et je vous demande de ne plus me revoir21 », écrit-elle dans la lettre qu’elle lui fait remettre. Si, comme dans La Femme de trente ans, les amants vont finir par passer outre l’écart d’âge, l’avertissement résonne encore quelques pages plus loin dans le récit de leurs joies. Brigitte se dévoue à Octave avec la conscience que leur temps est compté, « qu’elle venait d’avoir trente ans, qu’elle n’avait pas longtemps à être aimée22 ». L’âge intervient encore chez Stendhal, notamment dans les commencements de la relation entre Julien Sorel et Mme Rênal, cette « femme de trente ans sincèrement sage, occupée de ses enfants23 », qui s’inquiète de sa vieillesse. « Hélas ! j’ai dix ans de plus que vous ! comment pouvez-vous m’aimer ! lui répétait-elle sans projet, et parce que cette idée l’opprimait. […] Ah ! se disait-elle, si j’avais connu Julien il y a dix ans, quand je pouvais encore passer pour jolie24 ! » L’âge de l’amour, l’âge de la beauté, serait plutôt le début de la vingtaine, ce seuil entre les première et deuxième époques de la vie féminine. L’idée est également intériorisée chez Gina Pietranera au début de La Chartreuse de Parme, même si Fabrice viendra bientôt relancer ses aventures : « Comme elle avait trente et un ans, elle se croyait arrivée au moment de la retraite25. » Tout au long du roman, le sentiment du trop tard l’habite, la rendant, selon elle, incapable d’aimer comme plus tôt dans sa vie. Au comte Mosca, elle répète : « je serais trop heureuse d’aimer aujourd’hui, à trente ans passés, comme jadis j’aimais à vingt-deux ! Mais j’ai vu tomber tant de choses que j’avais crues éternelles26 ! » Madame Bovary rejoue encore la scène lors des retrouvailles nostalgiques d’Emma avec Léon dans la troisième partie du roman, où l’amour semble impossible à Emma suite aux réminiscences du clerc.

Madame Bovary, en l’écoutant, s’étonnait d’être si vieille […].
– Qui nous empêche donc de recommencer ?…
– Non, mon ami, répondit-elle. Je suis trop vieille… vous êtes trop jeune…, oubliez-moi ! D’autres vous aimeront…, vous les aimerez27.

14Encore en 1857, la femme de (presque) trente ans émet les mêmes protestations : chez Flaubert, elles peuvent apparaître comme un souvenir de lecture d’Emma, une scène autorisant la relation avec le clerc par la répétition même du stéréotype.

15Au-delà du jeu de l’influence romanesque, ce dont témoigne la reprise fréquente de ces scènes est un certain discours social concernant la femme de trente ans, qui se manifeste aussi dans les recueils de physiologies contemporains. Comme nous l’avons mentionné, ces recueils ne donnent à lire aucun portrait de la femme de trente ans, mais il reste que cet âge apparaît comme une frontière délimitant la fin de plusieurs carrières typiquement féminines. Selon Les Français peints par eux-mêmes, les modistes et couturières « vivent jusqu’à trente ans » ; la nourrice, quant à elle, « clôt sa carrière » à trente ans ; « Toutes les institutrices du monde ont de vingt-cinq à trente ans : jamais moins, rarement plus28. » Paris, ou Le livre des cent et un présente les grisettes de la même manière, faisant de trente ans le terminus : « La grisette a un âge fixe. C’est-à-dire qu’une grisette ne saurait avoir ni moins de seize ans, ni plus de trente. Avant seize ans, c’est une petite fille ; après trente ans, c’est une femme. Le nom de grisette ne lui est applicable que dans l’intervalle qui sépare ces deux âges29. » Cette vision des trente ans, qui se superpose aux âges de la vie féminine présentés par Balzac dans sa Physiologie du mariage, accentue le sens de la fin dans les scènes évoquées ci-dessus, qui marquent toutes la naissance de l’amour. En ce sens, si les scènes de protestation à propos de la vieillesse féminine n’empêchent pas la relation, elles peuvent tout de même anticiper sur la fin à venir du bonheur amoureux (un échec qui est donné à lire surtout chez Musset et chez Flaubert).

16Ces perspectives bouchées qu’incarne la femme de trente ans, malgré le rôle d’initiatrice qu’elle peut jouer, sont nettement énoncées au début du siècle dans Adolphe de Benjamin Constant (1816). L’ami du père du protagoniste fait apparaître Ellénore, de dix ans l’aînée d’Adolphe, comme un « obstacle insurmontable » sur la route du succès. Il avertit Adolphe : « vous la soignerez dix ans encore ; elle sera vieille ; vous serez parvenu au milieu de votre vie, sans avoir rien commencé, rien achevé qui vous satisfasse30. » S’il refuse de se laisser ébranler par ces prévisions, le jeune homme prend toutefois conscience de ce qui est sa réalité depuis sa liaison avec Ellénore (qui, à ce moment-ci de l’intrigue, a atteint les trente-six ans, tandis qu’Adolphe en a vingt-six) : « j’étais oppressé de mon inaction […]. Ce n’était pas une carrière seule que je regrettais : comme je n’avais essayé d’aucune, je les regrettais toutes31. » Ainsi, la femme de trente ans, plus qu’une nouvelle aventure romanesque, représente ici un épuisement des possibilités pour le jeune homme.

17Chez Balzac, la femme de trente ans a encore un potentiel amoureux – et donc un avenir romanesque. Pourtant, le chapitre « À trente ans » s’interrompt au tout début de la relation entre Juliette d’Aiglemont et Charles de Vandenesse, dont le premier baiser est lui-même interrompu par l’entrée du mari, sans que ne soit développée la suite. Le chapitre suivant fait un bond dans le temps, vers une époque située quelques années plus tard, après qu’un enfant soit né de cette relation adultère, pour raconter la mort de ce dernier, comme une expiation. Nous ne voulons pas insister sur la morale de l’histoire, mais plutôt sur la difficulté de mettre en récit au-delà des trente ans la vie de cette femme. La suite du roman est marquée par une discontinuité, qui provient certes de la composition fragmentaire de cette œuvre sur plusieurs années32, mais qui suggère du même coup la difficulté de faire durer la vie romanesque de la femme de trente ans. Ainsi la femme de trente ans, en tant que personnage romanesque, semble souvent choisie non pas pour ce qu’elle permet comme intrigue, pour les possibilités qu’offrent son âge, mais plutôt pour dire ce qui est devenu impossible avec elle. La narration tend à insister sur le fait que cette femme est rencontrée trop tard, à un moment où l’amour ne peut plus réellement se déployer avec le jeune homme, et le roman devra se tourner vers les aventures de la fille de Juliette d’Aiglemont pour se prolonger. Contre les apparences, le doute est jeté sur la jeunesse intérieure de l’héroïne après la perte du jeune Anglais, mort d’amour pour elle auparavant : « Jeune encore par ses désirs, elle n’avait plus cette entière jeunesse d’âme qui donne à tout dans la vie sa valeur et sa saveur. » (FTA, p. 144) En d’autres mots, Charles de Vandenesse – comme nombre de protagonistes masculins dans d’autres romans contemporains – ne coïncide pas, dans le temps, avec son amour : on pourrait dire qu’il est né trop tard dans un monde trop vieux, ou né trop tard pour cette femme trop vieille. En même temps, en transposant cette vieillesse historique sur l’amante (plutôt qu’en la faisant endosser par le protagoniste lui-même), Musset, Stendhal ou Flaubert peuvent faire vivre un certain temps l’espoir du jeune homme, son attente, ses projections – en d’autres mots, lui donner du temps dans le roman.

Lélia et le « roman impossible »

18Les protestations de vieillesse de Juliette d’Aiglemont se retrouvent dans la bouche d’une des héroïnes de Sand, sur laquelle nous nous arrêterons plus longtemps pour son usage particulier du type. Dans Lélia, en effet, la protagoniste reprendra ces protestations comme un leitmotiv tout au long du roman, contre le « jeune poète » Sténio qui lui reproche de ne pas l’aimer. Contrairement à Juliette d’Aiglemont, elle ne cédera pas et la relation, tout en se maintenant sur des années, ne se nouera jamais réellement. Sand, dans ce roman rédigé alors qu’elle approchait elle-même l’âge de trente ans, ne donne pas explicitement à lire une « femme de trente ans ». Or, si elle évite le langage généralisant du type, il est tout de même possible de reconnaître ce dernier dans la forme narrative stéréotypée qu’est la relation entre un jeune homme et une femme plus âgée. L’écart d’âge entre Lélia et Sténio est constamment souligné, notamment par la reprise des termes d’« enfant » et de « mère » que nous avons trouvés ailleurs dans le roman du xixe siècle33. Au moment d’écrire sa propre « femme de trente ans », cependant, Sand opère un renversement qui nous intéressera ici : dans Lélia, c’est bien la « femme de trente ans » qui se retrouve au premier plan et qui donne son nom au roman, au lieu de se tenir dans les marges de la fiction. Tout en permettant ce recentrement féminin, le choix de Sand a néanmoins pour effet d’accentuer l’impasse narrative que nous avons identifiée, installant le couple – et le roman tout entier – dans une stase dont il ne sort jamais tout à fait. Dès le début du roman, Sténio se demande s’il est aux commencements ou à la fin déjà : « Ai-je commencé la vie avec toi, ou l’ai-je quittée pour te suivre dans la mort ? » (L, p. 262) La vie romanesque du personnage semble en jeu dans sa rencontre de la femme mûre, et la suite du roman tend à donner raison à l’hypothèse de la mort.

19Notons d’abord que le personnage de Lélia tire le type balzacien de la « femme de trente ans » du côté de l’enfant du siècle de Musset : son âge est présenté comme une vieillesse innée, qui ne situe pas la femme dans les époques de sa vie, mais plutôt dans une génération historique, née trop tard dans un monde trop vieux où les illusions sont devenues impossibles34. Elle se considère en effet « vieille comme si [elle avait] mille ans » (L, p. 347), le cœur « flétri avant d’avoir vécu » (L, p. 375), ayant « oubli[é] d’être jeune » (L, p. 377). On assiste, dans ce roman, à une littéralisation : l’enfant du siècle, en se faisant femme de trente ans, n’est plus enfant mais s’incarne dans le corps de Lélia, qui a atteint « la moitié de son terme » et s’est déjà épuisée (L, p. 347). Sa beauté, tant vantée, ne serait « qu’un masque trompeur » (L, ibid.). Tout en réunissant jeunesse et vieillesse comme Juliette d’Aiglemont, la femme de trente ans chez Sand, contrairement à chez Balzac, ne trouve pas l’équilibre entre les deux. Sa jeunesse physique, son état encore dans la fleur de l’âge, ne sont qu’un leurre dissimulant une vieillesse intérieure véritable : l’apparence de la femme de trente ans serait trompeuse, non pas idéale. La vieillesse va parfois jusqu’à la mort, comme lorsque Sténio accuse Lélia d’être un cadavre se promenant au milieu des vivants, froide comme le marbre : ce vocabulaire morbide, typique du romantisme, s’attache à elle tout au long du roman35.

20Il arrive néanmoins que la vieillesse déjà acquise de naissance de l’enfant du siècle soit plutôt présentée comme le résultat du temps, l’aboutissement des années accumulées en Lélia. Il devient dès lors possible d’explorer une lecture littérale de la vieillesse de l’héroïne, en tant que femme de trente ans. Trenmor, sorte de double de Lélia, également au-delà de la vie, lui rappelle ce temps qui la distingue de Sténio dès le début du roman, sous forme d’avertissement (en reprenant l’épithète qui ne quitte pas l’héroïne) :

Songez aux siècles qui vous séparent de lui ? Vous, fleur flétrie, battue des vents, brisée ; vous, esquif balloté sur toutes les mers, échoué sur toutes les grèves, vous oseriez tenter un nouveau voyage ? Ah ! vous n’y songez pas, Lélia ! Aux êtres comme nous, que faut-il à présent ? Le repos de la tombe. Vous avez vécu ! […] Il est facile de vieillir, nul ne rajeunit.
Encore une fois, laissez l’enfant croître et vivre, n’étouffez pas la fleur dans son germe. Ne jetez pas votre haleine glacée sur ses belles journées de soleil et de printemps. N’espérez pas donner la vie, Lélia : la vie n’est plus en vous, il ne vous en reste que le regret ; bientôt, comme à moi, il ne vous en restera plus que le souvenir. (L, p. 293-194)

21Au début du roman, Lélia est déjà trop vieille, mais cette vieillesse est présentée ici comme un processus, comme un fait biologique : Lélia a vécu, contrairement à Sténio, ce qu’elle confirme dans la seconde version du roman en faisant référence au moment où « j’étais jeune comme lui » (L, p. 541). L’avertissement de Trenmor touche encore à un autre aspect de la femme de trente ans : elle ne peut donner la vie, comme si elle avait déjà dépassé le terme de la seconde époque de la vie féminine selon Balzac. La phrase est métaphorique : Lélia ne peut donner vie à une relation amoureuse. Elle peut cependant s’entendre au sens propre : la femme de trente ans bascule alors dans la troisième période de la vie féminine, période de stérilité, de mort des passions et du désir, de sortie des fonctions de son sexe. Ce roman, qu’on a souvent lu comme une histoire de frigidité féminine, d’amour spirituel ne pouvant prendre chair36, pose cependant à plusieurs reprises le problème de la relation amoureuse en termes d’âge (surtout suivant la version de 1833). La prise de conscience de Sténio, à la fin du roman, suggère ainsi que ce roman de la frigidité pourrait aussi être un roman de la vieillesse féminine :

à mesure que mon âme s’est flétrie, l’image de Lélia s’est flétrie aussi. Aujourd’hui, je la vois telle qu’elle est, pâle, la lèvre terne, la chevelure semée de ces premiers fils d’argent qui nous envahissent le crâne, comme l’herbe envahit le tombeau, le front traversé de cet ineffaçable pli que la vieillesse nous imprime. (L, p. 483)

22Cette description subtile d’une maturité en train de s’installer sans tout à fait accabler l’héroïne, n’est pas sans rappeler la femme de trente ans de Balzac tout comme ses variations chez Flaubert.

23À cette femme déjà vieillie, sans avenir, correspond un roman à la progression bloquée – son effet sur le récit étant d’autant plus marqué qu’elle se retrouve au cœur de l’intrigue. Dans les dernières pages, la mort de Sténio laisse penser à une évolution du personnage sur la durée du roman, à une entrée dans le temps qui le mènerait vers la mort : le « jeune poète », l’« enfant » de Lélia, se laisse aller à la déchéance et finit par considérer que Lélia a « flétri [s]a jeunesse dans sa fleur » (L, p. 435). « Me voici vieux et plein d’expérience », ajoute-t-il (L, p. 436). Malade, il devient même « pâle spectre » (L, p. 457) à son tour, sorte de mort-vivant à l’image de Lélia. Cependant, il devient à la fin du roman évident que les « irréparables ravages de la débauche » (L, p. 568, version de 1839) ne sont pas si irréparables et que l’entrée dans le temps ne s’est pas tout à fait accomplie. Dans son cercueil, il apparaît à Lélia comme un « frêle adolescent » (L, p. 511). Ses « boucles gracieuses » reviennent, ses mains sont encore « blanches et pures », son âme est « restée vierge », bref sa beauté d’enfant reparaît à travers l’usure de la débauche et de la maladie. Lélia le retrouve alors « comme elle l’avait connu » (L, p. 510-511). Elle exprime son soulagement devant cette mort, qui lui permet d’éviter de vieillir Sténio en l’aimant : « je t’aurais appauvri, flétri, desséché » (L, p. 513) – conditionnel passé qui témoigne du fait que, plusieurs centaines de pages plus tard, rien ne s’est toujours passé pour eux. La deuxième version du roman, datant de 1839, anticipe sur cette scène finale par une autre scène où Sténio s’introduit dans la chambre de Lélia, devenue abbesse d’un couvent. À ce moment, Lélia s’interroge sur le temps passé depuis leurs premiers amours : « Est-ce que tant de jours, tant de maux, ont été subis depuis cette matinée sereine où je t’ai rencontré comme un jeune oiseau ouvrant ses ailes tremblantes aux premières brises du ciel ? » Elle le voit identique à lui-même, anticipant les termes de la visite au cercueil finale : « Te voilà, comme tu étais alors, frêle adolescent » (L, p. 624). Le jeune poète et son amante semblent alors fixés dans leurs âges respectifs, dans cet écart temporel qui rend leur amour impossible. Lélia se lit ainsi comme une réécriture de La Confession d’un enfant du siècle, mais qui recentrerait la femme de trente ans pour faire fusionner ce qui était, chez Musset, scindé en deux personnages, Octave et Brigitte : une femme basculant définitivement dans le trop tard, à rebours du type balzacien, avec pour effet d’immobiliser le récit. La forme de Lélia – un roman d’idées, lourd en discours direct (qu’il soit épistolaire ou en présence), faisant peu de place aux péripéties – retient toute progression, comme en témoigne le dénouement. La version de 1839, tout en intégrant davantage de péripéties (entre autres avec l’entrée de Lélia au couvent) et tout en faisant mieux sentir le passage des années, ramène tout de même les lecteurs et lectrices au point de départ de la relation amoureuse dans ses dernières pages. Cette « héroïne impossible37 » qu’est Lélia, pour le dire comme Isabelle Hoog Naginski, a tout l’air de produire ce qu’on pourrait appeler un « roman impossible ».

Conclusion

24En somme, malgré le type défini par Balzac, qui pose la femme de trente ans en équilibre au sommet de la vie féminine, l’existence romanesque d’un tel personnage pose problème. C’est sans doute ce qui explique qu’elle occupe rarement un rôle central dans les romans, rôle plutôt dévolu à la jeunesse qui, elle, a encore du temps devant elle. Le plus souvent, c’est un terminus qu’elle en vient à incarner, pour le jeune homme avec qui elle entre en relation, voire pour le roman en général, comme en témoigne Lélia.

25Plus près de nous, l’œuvre de deux autrices québécoises suggère que cette association de la trentaine à un terminus continue de s’imposer dans la conscience féminine – malgré les assurances prodiguées par les magazines féminins, à savoir que « trente ans est le nouveau vingt ans » (c’est-à-dire « thirty is the new twenty »). Dans Folle, Nelly Arcan rappelle qu’elle a pris, le jour de ses quinze ans, la décision de se tuer le jour de ses trente ans, âge où elle ne se voyait plus aucun avenir38. Malgré la nature autofictionnelle de l’œuvre, le suicide de l’autrice quelques années après ses trente ans donne une triste réalité à cette fin annoncée. Plus récemment, l’autrice Marie Darsigny s’est inscrite dans une évidente filiation avec Nelly Arcan au moment de composer le journal de l’année de ses vingt-neuf ans : Trente prend pour point de départ l’impossibilité de continuer à vivre au-delà de son prochain anniversaire, date à éviter comme on évite un accident de route39. Malgré la « féminité moins désespérante40 » que Michel Delon voit, avec justesse, dans La Femme de trente ans de Balzac, il est possible de penser que l’imaginaire romanesque du xixe siècle a contribué à fixer un type, et à inscrire dans ce type même la crainte de la désuétude au sein de la vie féminine.

Notes

1 Jules Janin, « Introduction », dans Les Français peints par eux-mêmes, Paris, Philippart, 1876 [1840], t. I. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57320553/texteBrut, page consultée le 22 mai 2024.

2 Les autres recueils de physiologies consultés n’en font pas plus : Le Diable à Paris [1845-1846] et Paris, ou Le livre des cent et un [1831-1834]. La recherche serait à poursuivre dans d’autres recueils.

3 Voir Franco Moretti, Le Roman de formation, traduction de Camille Bloomfield et Pierre Musitelli, Paris, CNRS Éditions, « Culture et société », 2019, p. 3-5.

4 Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, dans Études philosophiques et études analytiques, Œuvres complètes, Paris, Plon Frères, 1846, t. XVI, p. 359.

5 Voir notamment les travaux de Lucie Nizard, qui note une abondance de littérature sur les jeunes filles dans la seconde moitié du siècle, parlant même d’une véritable « obsession » pour cet « être de transition ». « Les âges du désir féminin dans les discours littéraires et médicaux du second xixe siècle », site de la SERD, 2019, p. 4. URL : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2181/files/2019/02/Lucie-Nizard_Les-%C3%A2ges-du-d%C3%A9sir-f%C3%A9minin.pdf, page consultée le 22 mai 2024. À ce sujet, voir aussi Marie Scarpa, L’Éternelle jeune fille, une ethnocritique du Rêve de Zola, Paris, Honoré Champion, 2009. À l’autre extrême, voir les travaux d’Éléonore Reverzy sur les représentations de la ménopause : « Que s’est-il passé en 1816 ? Lecture de La Vieille Fille de Balzac : essai de gynéco-histoire », Nineteenth-Century French Studies, nos 1-2, 2019-2020, p. 49-63.

6 Honoré de Balzac, La Femme de trente ans, édition de Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2016. George Sand, Lélia, dans Romans, édition de José-Luis Diaz et Brigitte Diaz, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2019, t. I, p. 253-642. À partir d’ici, la référence à ces deux œuvres se fera dans le corps du texte, entre parenthèses, en utilisant les abréviations FTA et L respectivement.

7 En opposition aux femmes plus âgées, souvent situées par rapport à l’Ancien Régime chez Balzac : par exemple la comtesse de Listomère-Landon, un de ces « [p]ortraits septuagénaires du siècle de Louis XV » (FTA, p. 70).

8 Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, édition de Pierre-Marc de Biasi, Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche classiques », 2002, p. 406.

9 Michel Delon, « “La femme de trente ans” ou Mnémosyne », L’Année balzacienne, 2007/1, no 8, p. 21-31.

10 Stendhal, La Chartreuse de Parme, éd. Mariella Di Maio, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2003, p. 71.

11 C’est le comte Mosca qui en fait l’observation plus tard dans le roman, tout en remarquant sa capacité à vieillir tout aussi soudainement : « il fut atterré à la vue de la duchesse… Elle a quarante ans ! se dit-il, et hier si brillante ! si jeune !… Tout le monde me dit que, durant sa longue conversation avec Clélia Conti, elle avait l’air aussi jeune » (ibid., p. 372).

12 Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, éd. citée, p. 263.

13 Flaubert lui-même, près de vingt ans auparavant, avait avoué la même préférence dans la célèbre lettre à Louis Bouilhet du 4 septembre 1850 où il proclame que « la bêtise consiste à vouloir conclure ». Il y énumère tout ce qu’il y a de bon, selon lui, dans l’existence – toutes les raisons de ne pas chercher à conclure trop vite : « est-ce qu’il n’y a pas le soleil (même le soleil de Rouen), l’odeur des foins coupés, les épaules des femmes de 30 ans, le vieux bouquin au coin du feu et les porcelaines de Chine ? » Gustave Flaubert, Correspondance, éd. Jeanne Bruneau, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, t. I, p. 680.

14 « À la différence d’âge traditionnelle entre un homme plus mûr et une femme naïve, qui doit lui être soumise, a succédé au xviiie siècle le couple de la femme maternelle et du jeune homme, en quête d’initiation, mixte de masculinité et de féminité, d’audace et de timidité. La relation peut être traitée de manière libertine ou sentimentale. » Voir Michel Delon, art. cité.

15 Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, éd. Sylvain Ledda, Paris, Flammarion, 2010, p. 258.

16 Voir Gustave Flaubert, Madame Bovary, éd. Jacques Neefs, Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche classiques », 1999, p. 398.

17 Ibid., p. 420.

18 Voir FTA, p. 178 : « Après vous avoir donné le droit de lutter avec elle, tout à coup, […] elles ferment le combat, vous abandonnent, et restent maîtresses de votre secret, libres de vous immoler par une plaisanterie, libres de s’occuper de vous. »

19 Gustave Flaubert, Madame Bovary, éd. citée, p. 420.

20 Ibid., p. 418. Pensons aussi au « caractère féminin » de la beauté de Sténio dans Lélia (L, p. 613, version de 1839), moins péjoratif, qui lui permet de passer pour une femme et de pénétrer dans le couvent de l’héroïne.

21 Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, éd. citée, p. 208.

22 Ibid., p. 228.

23 Stendhal, Le Rouge et le Noir, éd. Anne-Marie Meininger, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2000, p. 88.

24 Ibid., p. 151-152.

25 Stendhal, La Chartreuse de Parme, éd. citée, p. 71.

26 Ibid., p. 164-165. Il est intéressant de constater que la frontière du « trop tard » semble bouger au fil du roman. Plus tard, la Sanseverina suggère que l’on peut aimer passionnément jusqu’à trente ans et que ce qui suit est une sorte de mort du cœur : « Non, cher ami, je ne vous dirai pas que je vous ai aimé avec cette passion et ces transports que l’on n’éprouve plus, ce me semble, après trente ans, et je suis déjà bien loin de cet âge. […] Les temps sont finis, lui dit-elle ; je suis une femme de trente-sept ans, je me trouve à la porte de la vieillesse, j’en ressens déjà tous les découragements, et peut-être même suis-je voisine de la tombe. » (ibid., p. 373-374)

27 Gustave Flaubert, Madame Bovary, éd. citée, p. 361-362.

28 Voir Léon Gozlan, « L’homme du peuple » ; Amédée Aghard, « La nourrice sur place » ; Louise Colet, « L’institutrice », dans Les Français peints par eux-mêmes, op. cit.

29 Ernest Desprez, « Les grisettes à Paris », dans Paris ou Le livre des cent et un, Paris, Ladvocat, 1831-1834, t. VI, p. 216.

30 Benjamin Constant, Adolphe, éd. Daniel Leuwers, Paris, Flammarion, « GF », 1989, p. 124 et p. 123.

31 Ibid., p. 125-126.

32 Au sujet de la genèse complexe de ce roman, voir Stéphane Vachon, « La Même histoire d’une femme de trente ans », site de l’ITEM. URL : http://www.item.ens.fr/articles-en-ligne/la-meme-histoire-dune-femme-de-trente-ans-jai-corrige-lediti/, page consultée le 22 mai 2024.

33 Voir, notamment, le passage suivant : « je n’ai jamais été mère, mais il me semble que j’ai pour vous le sentiment que j’aurais eu pour mon fils. » (L, p. 323) L’idée est répétée devant le cercueil de Sténio à la fin (L, p. 510) et encore autrement dans la version de 1839 : « J’aurais voulu être ta mère et pouvoir te presser dans mes bras sans éveiller en toi les sens d’un homme. » (L, p. 624)

34 Dans l’Histoire de ma vie, Sand évoque ses trente ans comme une prise de conscience, un moment où, ses yeux s’ouvrant enfin, la réalité du monde social lui est apparue dans la désillusion qui a suivi la révolution de Juillet. « C’est sous le coup de cet abattement profond que j’écrivis Lélia, à bâtons rompus et sans projet d’en faire un ouvrage ni de le publier. » Voir George Sand, Histoire de ma vie, éd. Brigitte Diaz, Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche classiques », 2004, chap. XXX.

35 Voir, notamment, L, p. 289-290. Sténio la décrit encore comme « pâle, froide et morte » (L, p. 324). Pour une analyse de cet imaginaire, voir Nigel Harkness, « “Ce marbre qui me monte jusqu’aux genoux” : Pétrification, Mimésis et le Mythe de Pygmalion dans Lélia (1833 et 1839) », dans George Sand. Pratiques et imaginaires de l’écriture, dir. Brigitte Diaz et Isabelle Hoog-Naginski, Caen, Presses universitaires de Caen, 2006, p. 161-171.

36 Pour une discussion du corps féminin dans Lélia, voir François Kerlouégan, « Désir, délire et dolorisme. Les mises en scène du corps dans Lélia », dans Écriture, performance et théâtralité dans l’œuvre de George Sand, dir. Catherine Nesci et Olivier Bara, Grenoble, UGA éditions, « Bibliothèque stendhalienne et romantique », 2014, p. 153-165. Béatrice Didier précise que le drame de Lélia est d’avoir « séparé le corps et l’âme ». Voir « Le corps féminin dans Lélia », Revue d’histoire littéraire de la France, 76e année, no 4, août 1976, p. 636.

37 Isabelle Hoog Naginski, « Lélia, ou l’héroïne impossible », Études littéraires, vol. XXXV, nos 2-3, été-automne 2003, p. 87-106. La critique, qui présente certains arguments des détracteurs contemporains du roman, explique que c’est l’abstraction de Lélia qui en ferait un personnage impossible.

38 Voir Nelly Arcan, Folle, Paris, Seuil, « Points », 2005, p. 13. Elle explique : « Quelque chose en moi n’a jamais été là. Je dis ça parce que ma tante n’a jamais pu voir mon futur dans ses tarots » (p. 12).

39 Marie Darsigny, Trente, Montréal, Remue-ménage, 2018.

40 Michel Delon, art. cité.

Pour citer ce document

Véronique Samson, « La femme de trente ans : un personnage de la première moitié du xixe siècle » dans ,

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude »,

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1753.

Quelques mots à propos de :  Véronique Samson

Cégep du Vieux Montréal
Véronique Samson enseigne la littérature au cégep du Vieux Montréal, après avoir mené des recherches postdoctorales à l’Université de Cambridge et plus récemment au CRP19, à l’Université Sorbonne Nouvelle. Son livre Après la fin. Gustave Flaubert et le temps du roman est paru en 2021 aux Presses universitaires de Vincennes. Ses recherches actuelles sont principalement consacrées au temps dans le roman du xixe siècle ainsi qu’aux personnages porteurs de temps, comme la femme de trente ans ou les êtres anachroniques. Elle a codirigé avec Marie-Astrid Charlier le dossier « Temps vécus, temps racontés » (dans la revue KOMODO 21, en 2022) et avec Mathieu Roger-Lacan le dossier « 1848 et la littérature » (dans les pages Fabula / Les colloques, en 2021).