Désirés, désirants, indésirables : corps et âges des femmes en littérature du Moyen Âge à nos jours

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen Normandie en janvier 2023, publiés par Camille Brouzes, Eva Le Saux, Lola Marcault, Anne-Claire Marpeau, Lucie Nizard, Charles Plet et Stéphane Pouyaud

Désirés, désirants, indésirables : corps et âges des femmes en littérature du Moyen Âge à nos jour

Désirés, désirants, indésirables : corps et âges des femmes en littérature du Moyen Âge à nos jours

Sorcière, entremetteuse, maquerelle et concubine : représentations de la figure de la vieille servante dans l’Histoire de Gérard de Nevers (Bruxelles, KBR, ms. 9631 et Paris, BnF, ms. fr. 24378)

Marielle Lavenus


Texte intégral

1LHistoire de Gérard de Nevers1 résulte d’une réécriture en prose d’un ancien roman du xiiie siècle, le Roman de la Violette. En dépit d’un titre qui ne mentionne que le héros, les aventures contées par le prosateur anonyme du xve siècle sont celles d’un jeune couple. Tout commence avec l’épisode de la gageure au cours duquel le héros éponyme relève le pari d’un méchant chevalier, Liziart. Tous deux misent leurs terres et leur titre sur la fidélité d’Euryant, la loyale amie de Gérard, un jeune et fougueux chevalier. Liziart ne parvient pas à séduire la demoiselle, mais obtient l’aide de la déloyale et vieille servante de celle-ci, Gondree. Grâce à cette dernière, il épie la demoiselle au bain et découvre sous sa poitrine une tache en forme de violette qu’il utilise comme preuve de l’infidélité d’Euryant. Gérard perd le pari et se sépare de son amie qu’il abandonne en forêt. Plus tard, il revient dans le comté de Nevers, désormais aux mains de Liziart, et déguisé en jongleur, apprend l’innocence de sa bien-aimée. Il part à sa recherche. Sa quête semble vouée à l’échec lorsqu’il boit un philtre d’amour concocté par la vieille servante d’Aiglentine, la fille du duc de Cologne, et que le mariage avec cette dernière est programmé. Finalement, Gérard recouvre la mémoire, retrouve Euryant, dévoile la vérité sur Liziart puis récupère son titre et ses terres.

2De ce roman d’aventures chevaleresques mis en prose au xve siècle, il n’existe que deux témoins. Le manuscrit Bruxelles KBR, ms. 9631 a été enluminé par le Maître de Wavrin, un enlumineur lillois qui travaillait seul et qui connaissait très bien les textes qu’il mettait en images, tous destinés à Philippe le Bon ou ses proches. Il est célèbre pour son style original, mais sa facétie et son humour s’avèrent être ce qui le distingue des autres enlumineurs de la même époque, tels que Loyset Liédet qui prit en charge l’enluminure du manuscrit Paris, BnF, ms. fr. 9631, second témoin de Gérard de Nevers. Les deux livres étaient destinés à la Grande Librairie de Bourgogne et comportent des cycles iconographiques équivalents : les images sont placées aux mêmes endroits, au début de chaque chapitre, et donnent souvent à voir les mêmes événements.

3Le manuscrit wavrinois était terminé avant la mort de Philippe le Bon. De son vivant, le duc a commandé un second manuscrit de l’Histoire de Gérard de Nevers. Ce dernier n’étant pas terminé en 1467, il a été confié, par Charles le Téméraire, à Loyset Liédet, un enlumineur de renom, véritable entrepreneur qui croulait sous les commandes et y répondait grâce aux peintres de son atelier2. Il semble peu probable que Liédet ait eu beaucoup de temps à consacrer à la lecture du texte. Il a vraisemblablement disposé d’un résumé ou d’une liste des scènes à représenter et utilisé le manuscrit wavrinois comme modèle3. En dépit de contenus textuels et iconographiques proches, les points de vue adoptés par les deux enlumineurs sont si différents que ce n’est finalement pas la même histoire que racontent les deux livres. Les représentations des figures féminines déterminent en grande partie la lecture qu’il faut faire de l’œuvre littéraire, où la question des rapports de genre constitue une thématique centrale.

4Dans le manuscrit de Loyset Liédet, on identifie les personnages grâce à leurs tenues, leurs coiffes et les couleurs utilisées. Dans les images schématiques du Maître de Wavrin, les femmes se distinguent par les tenues et les accessoires qu’elles arborent et constituent des catégories. Les demoiselles portent une robe ajustée et un voile démesuré. Dignes d’entrer dans le jardin d’amour, elles sont de jeunes femmes désirables et interchangeables, les interlocutrices idéales du jeune chevalier. Les épouses peuvent être jeunes et désirables ou vieilles et manipulatrices, selon le rôle qu’elles jouent dans l’intrigue. Les vieilles femmes, même si elles sont désirantes, ne sont quant à elles plus jugées dignes de s’adonner aux jeux de l’amour en raison de leur âge. Elles constituent une catégorie de « mauvaises » femmes qui, dans Gérard de Nevers, trouve une certaine visibilité. Elles sont identifiables grâce à leurs tenues qui diffèrent de celles des demoiselles et leurs silhouettes plus massives, et non par l’intermédiaire de la représentation d’un corps ou d’un visage âgé. Leur vieillesse est corrélative du rôle négatif qu’elles jouent. Dans les deux manuscrits témoins, les vieilles servantes sont, en dépit de leurs différences, des variantes d’une même figure archétypale, une figure nuisible et risible4. Nous allons analyser comment l’un et l’autre des enlumineurs les caractérisent en fonction des images mentales sous-jacentes à la réalisation d’images figurées et de la lecture qu’ils font du texte. Nous commencerons avec la vieille maîtresse sans nom avant de nous pencher sur les représentations de Gondree, dont le rôle est beaucoup plus développé dans le récit, puisqu’elle est à l’origine de la séparation des jeunes héros.

Une maîtresse sans nom

5Alors que l’épisode de Cologne est d’une grande importance sur le parcours de Gérard et que le rôle de la vieille servante d’Aiglentine est capital du point de vue de l’intrigue, cette dernière n’est pas nommée. Sa présence est limitée dans le manuscrit wavrinois où elle n’apparaît qu’une fois (Planche 1). Une rapide comparaison avec le manuscrit parisien suffit pour mesurer l’importance que Loyset Liédet donne à cette architecte de l’amour déloyal.

Planche 1 : La vieille servante sans nom et le philtre d’amour
(Bruxelles, KBR, ms. 9631)

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Figure 1 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Gérard boit le philtre d’amour,
Maître de Wavrin, 1460-1467 ;
Bruxelles, KBR, ms. 9631, folio 61 ro

6En effet, l’enlumineur de renom la fait figurer à quatre reprises (Planche 2), alimentant les images de stéréotypes et de préjugés misogynes. Dans la première image (Planche 2. Figure 2), il donne à voir, à gauche, une réunion entre femmes, où la vieille maîtresse fait figure d’autorité. Puis, à droite, il la représente au jardin, un couteau à la main récoltant les plantes nécessaires à la préparation du philtre d’amour.

Planche 2 : La vieille servante sans nom et le philtre d’amour
(Paris, BnF, ms. fr. 24378)

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Figure 2 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
La détresse d’Aiglentine et la fabrication du philtre,
Loyset Liédet, après 1467,
Paris, BnF, ms. fr. 24378, folio 84 (Source gallica.bnf.fr / BnF)

7L’insistance sur le couple exclusivement féminin que forment Aiglentine et sa maîtresse ainsi que la représentation de la cueillette constituent des références implicites aux pratiques féminines et, par extension, au monde de la sorcellerie5. Même lorsqu’il l’élargit au trio, Loyset Liédet met en scène le binôme dangereux que forment la vieille et la demoiselle et qui est associé à la préparation d’un poison et à la constitution d’un couple6. Or, ces éléments sont communs aux histoires et aux portraits de sorcières qui forgent les stéréotypes en matière de genre, même si ces derniers ne seront vraiment fixés qu’au cours des siècles suivants. On entraperçoit ici une conception de la sorcellerie comme « une affaire de femmes avec transmission d’un savoir féminin où l’éducation, le voisinage et les conversations de femmes sont essentiels7 ». La méchante femme prend de la place et l’influence qu’elle exerce est marquée : elle est l’instigatrice et la tête pensante d’un « conciliabule8 » féminin.

8Le rôle d’empoisonneuse de la vieille femme est mis en avant dans la miniature suivante (Planche 2. Figure 3).

Planche 2 : La vieille servante sans nom et le philtre d’amour
(Paris, BnF, ms. fr. 24378)

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Figure 3 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Gérard prend la coupe empoisonnée,
Loyset Liédet, après 1467,
Paris, BnF, ms. fr. 24378, folio 87 (Source gallica.bnf.fr / BnF)

9Elle occupe le centre de l’image, tendant le philtre à Gérard qui avance la main pour le saisir. Dans l’image correspondante du manuscrit de Bruxelles (Planche 1. Figure 1, supra), la composition met en évidence la prise de pouvoir d’Aiglentine qui s’impose entre la vieille et Gérard. L’orgueilleuse demoiselle instaure un déséquilibre qui éloigne le lecteur-regardeur de l’image mentale du couple féminin, recentrant l’attention sur la personnalité très humaine et très envahissante de la jeune femme qui prend le dessus sur la vieille maîtresse qui, même si elle est une figure d’autorité, est placée en retrait. Elle s’inquiète de la santé de la demoiselle et agit loyalement envers cette dernière : elle lui est clairement subordonnée. L’image du Maître de Wavrin est bien dans l’esprit du texte9 où le prosateur ne caractérise la vieille servante de manière dépréciative qu’à partir du moment où elle obéit à Aiglentine.

10Quand elle part chercher le poison demandé par sa jeune maîtresse, la fille du duc de Cologne, elle devient « vielle » (XXVIII, 15), puis « male vielle » (XXVIII, 16) quand elle se saisit du pot d’argent qui le contient. Gérard fait face aux deux personnages féminins arborant une attitude étrangement similaire et constituant un bloc, au sein duquel le corps de la servante fait fonction de contrefort pour celui d’Aiglentine, représenté tout en hauteur. À l’instar du chien bien dressé, la servante délimite l’espace auquel est restreint le jeune homme. Elle n’est que l’auxiliaire d’Aiglentine. Elle a certes recours à un procédé peu orthodoxe, mais ses intentions sont louables. Le Maître de Wavrin évacue l’image de la vieille maîtresse expérimentée comme celle de la femme experte en pharmacopée, qui sait « faire et appointier » (XXVII, 13) l’aphrodisiaque dont Aiglentine a besoin pour susciter l’amour de Gérard. Du point de vue de la narration, il circonscrit indirectement sa fonction à une seule action dont l’impact négatif est limité. Du point de vue symbolique, la figure de la servante ou de la chambrière qui tient ainsi une carafe est l’auxiliaire de la transgression amoureuse dont le secret est une composante essentielle10. La relation entre le jeune chevalier et Aiglentine n’est certes pas adultère, mais elle n’a pas encore été approuvée par le duc et se fait aux dépens d’Euryant. De plus, l’utilisation du philtre d’amour est bien répréhensible.

11Aux yeux du Maître de Wavrin, les aventures amoureuses de Gérard et le rôle d’Aiglentine sont plus importants que les tribulations d’une vieille maîtresse un peu sorcière. Son rôle est purement accessoire et sa présence vise à signifier le secret et l’intrigue amoureuse plutôt qu’à raconter chaque étape du récit. L’enlumineur met de côté les références misogynes sur lesquelles joue Liédet, mais ce n’est pas la stratégie qu’il adopte pour l’autre des deux vieilles femmes, Gondree.

Planche 2 : La vieille servante sans nom et le philtre d’amour
(Paris, BnF, ms. fr. 24378)

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Figure 4 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Gérard prend congé d’Aiglentine Paris,
Loyset Liédet, après 1467,
BnF, ms. fr. 24378, folio 90 (Source gallica.bnf.fr / BnF).

Gondree

12Dans le récit, le rôle de Gondree est plus largement développé, elle est un pivot de la narration, un « gond » au sens figuré en moyen français11, car elle est à l’origine de la perturbation de la situation initiale. Comme l’indique également son nom, elle est celle qui « grondit », qui murmure de mécontentement12. Son changement d’allégeance a des conséquences catastrophiques : la séparation du couple, le déshonneur d’Euryant, mais aussi la perte des terres et du titre de Gérard. Elle intervient à différentes reprises dans le récit et sa punition fait partie de la résolution finale.

13Mentionnée dès le chapitre III, elle est la « maistresse de la demoiselle » (III, 9). Mais le prosateur noircit très rapidement le portrait de cette vieille femme et fait d’elle une description à la fois physique et morale13, selon laquelle son apparence ingrate et corrélative de sa vieillesse l’associe immédiatement à la sorcière infanticide14. Il utilise des propos injurieux15 visant à l’humilier, à l’exclure du tissu social16, mais qui témoignent aussi d’un relâchement ou d’une détente et d’un potentiel comique17, car ils sont des invitations au rire, à un rire méchant et justifié. Quand le lecteur-regardeur tourne finalement la page du manuscrit bruxellois, il s’étonne de voir, dans la miniature qui accompagne le début du chapitre IV, la vieille femme armée d’une chignole et bien décidée à découvrir le secret de la jeune fille qui s’apprête à prendre son bain (Planche 3. Figure 5). La force comique de l’image repose sur des procédés mécaniques du rire déclenché par des stimulii visuels, mais elle prend également appui sur des préjugés et des stéréotypes.

Planche 3 : Stratagème de Gondree (Bruxelles, KBR, ms. 9631)

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Figure 5 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
La vieille servante creuse un trou dans le mur de la chambre d’Euryant,
Maître de Wavrin, 1460-1467,
Bruxelles, KBR, ms. 9631, folio 11 ro

Gondree servante

14La silhouette gracieuse de l’héroïne contraste avec celle beaucoup plus raide de la servante. À la poitrine ronde (et même inhabituellement ronde pour une demoiselle du Maître de Wavrin) et à la souplesse du mouvement de l’héroïne répond le mouvement mécanique de la chignole qui dicte le mouvement du corps de la vieille, simple prolongement de la machine. Cette dernière en est d’autant plus comique18.

15La robe relevée, et qui forme des plis autour de ses hanches, l’associe à la luxure. Ses manches remontées témoignent de l’ardeur qu’elle met à la tâche. L’utilisation d’un outil fait prendre à la figure de la vieille femme un tournant masculin et intrusif, les outils étant généralement associés aux hommes et à un savoir-faire masculin. Dans la langue parlée, ils peuvent, à l’instar des armes, renvoyer aux compétences sexuelles de ceux qui les manient, comme on « manie une femme19 ». Le mouvement continu et mécanique de la chignole, le bruit qu’elle produit et le but qu’elle sert fonctionnent comme autant d’allusions sexuelles20. Le comportement déviant et répréhensible de la vieille servante est mis en avant : elle s’adonne à une pernicieuse activité, véritable simulacre de pénétration sexuelle et viol symbolique.

16Tout cela concorde avec la conception répandue d’une vieillesse libidineuse plus incontrôlable chez les femmes que chez les hommes21 et d’une sexualité hors norme puisqu’elle enfreint les prescriptions de passivité imposées au genre féminin. Ici, le Maître de Wavrin se détourne des représentations où la vieillesse est synonyme de faiblesse physique et de perte de contrôle22. Ce décalage produit un effet comique : les pieds de Gondree bien ancrés dans le sol témoignent d’un aplomb et d’une force contrôlés, générés par la concupiscence et mis à profit pour la mission qu’elle s’est donnée.

17Dans la miniature suivante (Planche 3, Figure 6), la vieille femme prend cette fois une apparence féminine et courtoise, une apparence de dame (III, 5 et III, 6). Sa coiffe, sa ceinture haute et étroite ainsi que sa silhouette rectangulaire marquée de plis sont des signes de son statut de femme plus âgée qu’Euryant. Parce que la vieille expérimentée est l’instigatrice d’un plaisir sexuel23 pour celui qu’elle sert, sa robe est encore levée et ses deux mains, signe de transgression dans les miniatures wavrinoises, sont bien visibles.

Planche 3 : Stratagème de Gondree (Bruxelles, KBR, ms. 9631)

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Figure 6 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Liziart épie Euryant au bain,
Maître de Wavrin, 1460-1467,
Bruxelles, KBR, ms. 9631, folio 12 vo

18La position de ces dernières, l’une dirigée vers l’autre la paume ouverte, suggère que la vieille est celle qui explique, qui démontre, et cela dénote son ascendant sur l’inexpérimenté Liziart. En désignant de telle façon sa main droite avec la gauche, elle indique que le méchant chevalier lui est désormais redevable et doit la récompenser. À la manière d’une « entremetteuse24 » au sens de « maquerelle25 » donnant accès à l’étuve26, elle réclame son dû et n’attend pas comme dans le texte que Liziart lui promette « guerridon » (IV, 11), soit une récompense ou un salaire27. La figure de la vieille servante jouxte la représentation de la porte, dont l’ouverture n’est pas un symbole rassurant. La porte est par définition un « lieu de la contradiction28 », ni au-dedans ni au-dehors, et qui suscite l’angoisse. La servante est le personnage le plus proche de ce lieu de transition : elle est susceptible de passer ou de faire passer autrui d’un côté à l’autre. Le Maître de Wavrin donne bien à voir l’image de la « vieille de pute affaire » (LI, 18) évoquée par Gérard à la fin du récit. L’expression fait certes partie d’un répertoire d’injures et signifie déloyale, méchante ou de mauvaise conduite29, mais le sémantisme de « pute30 » reste d’autant plus présent à l’esprit quand l’expression est utilisée, que le personnage de Gondree est calqué sur la figure de la vetula. La figure de la vieille femme immorale et maquerelle trouve ses racines dans l’Antiquité, mais a fait fortune au Moyen Âge31 : on la retrouve dans le second Roman de la Rose32.

19Loyset Liédet s’appuie lui aussi sur la figure archétypale de la vetula, mais il ne représente que le moment où Liziart observe Euryant au bain et fait abstraction de la vieille creusant le trou (Planche 4). Cependant, il donne une vue d’ensemble de l’épisode. D’abord, il met l’accent sur la capacité de persuasion de la vieille femme qui, par la parole, soustrait des informations à Euryant, et, dans une scène contiguë, vient en aide à Liziart (Planche 4. Figure 7).

Planche 4 : Stratagème de Gondree (Paris, BnF, ms. fr. 24378)

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Figure 7 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Liziart et Euryant, Liziart et la servante, la servante et Euryant,
Loyset Liédet, après 1467,
Paris, BnF, ms. fr. 24378, folio 13 (Source gallica.bnf.fr / BnF)

20Ensuite, il donne à voir le rôle de Gondree en tant qu’intermédiaire, donnant accès à Liziart au trou percé à travers le mur, mais sans manquer, une fois encore, de montrer comment elle tente d’abord de convaincre Euryant d’accepter son aide pour le bain (Planche 4. Figure 8).

Planche 4 : Stratagème de Gondree (Paris, BnF, ms. fr. 24378)

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Figure 8 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Euryant au bain, espionnée par Liziart,
Loyset Liédet, après 1467,
Paris, BnF, ms. fr. 24378, folio 18 (Source gallica.bnf.fr / BnF)

21La parole est l’un des moyens par lesquels elle dispose d’un pouvoir de persuasion33. La narration plurielle, la représentation de trois scènes dans une seule image, et l’impression de symétrie qui se dégage des représentations de Gondree mettent en avant la duplicité de la vieille manipulatrice qui s’adresse à Liziart d’un côté et à Euryant de l’autre.

22L’impression générale qui se dégage de la séquence de miniatures est celle d’une répétition. L’œil du spectateur repère la silhouette bleue de Gondree, omniprésente. Le rôle de la vieille en tant que pivot de la narration est matérialisé par sa présence et sa culpabilité est mise en avant sur le plan de la narration, mais non sur le plan symbolique, en matière de profondeur psychologique ou de potentiel comique.

Gondree maîtresse

23Le rôle que Gondree joue dans la victoire de Liziart sur Gérard est motivé par la colère, la cupidité, le désir d’ascension sociale et la volonté de prendre le contrôle. En tant que servante, elle n’était pas parvenue à convaincre Euryant de la laisser assister au bain, ce qui avait déclenché sa fureur et son désir de vengeance envers la demoiselle. Elle trouve chez Liziart une personnalité plus malléable et avec laquelle elle peut user de ses attraits féminins. Quand il devient comte de Nevers, il ne manque pas de la récompenser en lui attribuant un statut nouveau et Gérard en est le témoin lorsqu’il se rend sur ses anciennes terres. Cet épisode fait l’objet de deux miniatures dans chacun des manuscrits. Gondree prend place à la table de Liziart et s’impose véritablement comme la nouvelle maîtresse des lieux, se substituant à Euryant. Dans le manuscrit de Paris, la servante est reléguée au second plan, son rôle dans l’action est encore une fois mis en avant par sa présence, mais cette dernière est manifestement définie par la présence masculine de Liziart dont elle n’est que l’auxiliaire (Planche 5).

Planche 5 : Visite de Gérard à Nevers (Paris, BnF, ms. fr. 24378)

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Figure 9 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Gérard et sa viole,
Loyset Liédet, après 1467,
Paris, BnF, ms. fr. 24378, folio 41 vo (Source gallica.bnf.fr / BnF)

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Figure 10 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Gérard entend le secret de Liziart
,
Loyset Liédet, après 1467,
Paris, BnF, ms. fr. 24378, folio 43 vo (Source gallica.bnf.fr / BnF)

24Dans le manuscrit wavrinois, le lecteur-regardeur est témoin d’une montée en puissance de la fausse vieille femme (Planche 6).

25Dans la première des deux miniatures (Planche 6, Figure 11), le Maître de Wavrin attire notre attention sur le couple que forment Gondree et Liziart, mis en valeur par un dais rouge.

Planche 6 : Visite de Gérard à Nevers (Bruxelles, KBR, ms. 9631)

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Figure 11 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Gérard en jongleur chante pour Liziart,
Maître de Wavrin, 1460-1467,
Bruxelles, KBR, ms. 9631, folio 26 vo

26Comme il le lui avait promis lors de l’épisode du bain, la fausse servante est devenue « dame et maistresse […] de touttes [ses] terres et seignouryes » (IV, 11). Notons que la vieille est ici représentée dans l’image qui accompagne un chapitre ne la mentionnant pas, mais où les termes vyole et vyoler ponctuent le texte34. Le premier est synonyme de vielle35, l’instrument de musique dont joue Gérard dans le chapitre XIV, mais il est aussi polysémique. Notons que le terme est employé pour faire référence à « [c]elle vieille [estoit] moult laide et rafrongnye » qu’est Gondree (III, 11) dès le début du récit. Le second terme, vyoler36, signifie jouer de la vyole. Parce qu’il est homonyme du verbe violer qui peut signifier « faire violence à une femme37 », l’activité à laquelle s’adonne Gérard alors qu’il se fait passer pour un jongleur fait, par le biais de la double-entente, écho à l’activité de perçage du trou de la chambre de la demoiselle par Gondree quelques chapitres plus tôt. En dépit de l’absence de mention du personnage de la vieille femme, elle est en quelque sorte présente dans le texte, comme cela est le cas dans l’image. Décalée du centre et presque en retrait, Gondree est liée à Liziart par le biais des couteaux. La symbolique de l’objet38 procède de sa forme phallique et de sa fonction, tout comme la chignole, il sert à percer, à transpercer39. Le couteau que tient Gondree est dirigé vers celui qui est désormais comte de Nevers et l’objet de son désir, comme il était l’objet de son regard au cours du chapitre III (III, 9 et III, 12). D’ailleurs, quoique la tête tournée de l’autre côté, celui-ci lui répond positivement, dirigeant son couteau vers elle. Les mains de Gondree, bien visibles, témoignent de sa disponibilité sexuelle et de son emprise sur Liziart, le couteau étant le moyen par lequel elle le « tient » ou le « manie ». La présence dans l’image d’une miche de pain évoque la locution « au pain et au couteau40 » qui suggère une proximité de l’ordre de l’intime entre la femme parvenue et le chevalier. D’ailleurs, le prosateur ne manque pas de mentionner la satisfaction de Liziart, « contempt », qui semble se conformer aux désirs de la « vielle », car « ce qu’elle ne voloit, il ne voloit » (VIII, 11). Du « [g]rant amour » qu’ils s’expriment l’un à l’autre, le lecteur retient surtout celui que lui porte Liziart, la protégeant du mauvais sort que lui réserveraient bien les gens du pays à cause des « malvaises coustumes, tailles et gabelle qu’elle avoit mys sus » (VIII, 12). Conformément aux idées reçues et en dépit d’un âge avancé, la vieille femme reste perçue comme désireuse et capable d’exercer un pouvoir sur les hommes, tout en restant en retrait41.

27La disposition asymétrique des éléments sur la table suggère une asymétrie entre les personnages. D’ailleurs, les bras de Gondree croisés devant elle, son regard fuyant ainsi que la silhouette gonflée de Liziart et l’effet miroir produit par la position des couteaux mettent en avant une inégalité entre la vieille et le nouveau comte de Nevers. Liziart exerce une domination sur Gondree en termes de statut, alors que la vieille exerce une domination en matière d’amour et de pratiques sexuelles42 sur le mauvais chevalier. Le couple est donc d’autant plus comique qu’il est inégal et repose sur l’amour vénal que développe la servante pour le comte qui s’en accommode43.

28La représentation de la vieille femme, aux côtés d’un homme qui ne la regarde pas, ne semble pas beaucoup différer de celle que Liédet donne à voir. Toutefois, dans le manuscrit wavrinois, Gondree ne reste guère longtemps en position d’auxiliaire. En effet, dans le texte, Liziart s’adresse toujours à elle en l’appelant « [d]ame44 », un terme impliquant un statut social ou matrimonial particulier réservé le plus souvent aux femmes de la noblesse, mais également associé à l’idée de domination ou de pouvoir exercé par la femme45. La vieille servante satisfait un désir exprimé plus tôt dans le récit, au moment de la genèse du stratagème de Liziart dont elle est l’architecte. En effet, elle n’a jamais douté de sa capacité à tenir le comte sous son emprise, comme le ferait une mère ou une épouse46 et l’image prouve qu’elle avait raison. Quand, dans la miniature suivante, le décor change et que la représentation de la cheminée suggère un contexte relevant de l’intimité du foyer (Planche 6. Figure 12), la silhouette de Liziart devient moins importante alors que s’agite une main de Gondree. De l’autre, elle tient toujours fermement son couteau, tandis que son complice a lâché le sien : la vieille servante reprend un pouvoir symbolique47.

Planche 6 : Visite de Gérard à Nevers (Bruxelles, KBR, ms. 9631)

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Figure 12 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Gérard entend la vieille parler de ses méfaits,
Maître de Wavrin, 1460-1467,
Bruxelles, KBR, ms. 9631, folio 28 vo

29Elle seule semble garder la maniance mentionnée plusieurs chapitres plus tôt48, à savoir les affaires dont elle a le maniement. L’étymologie du terme, qui vient du latin « manus », rend possible un certain nombre d’interprétations grivoises liées à l’idée de la main ou du maniement49, déjà mis en image avec la chignole et le couteau, et à celle de machination ou de manigance50. Ici, Gondree fait usage de sa main libre, avec vivacité et avec souplesse51, et l’on ne doute pas qu’elle soit en train de « manier52 » Liziart. La souplesse du mouvement de la main de Gondree s’applique également à la facilité avec laquelle elle prend la parole, rappelant au comte qu’il lui est redevable. L’image traduit bien le texte où il est précisé qu’elle « encommencha moult fierement a parler au conte Liziart » (XV, 2).

30L’excès qui se manifeste à travers la convoitise53 de la vieille est de trois ordres : le désir cupide d’ascension sociale, le désir concupiscent de prendre la place qu’Euryant refuse à Liziart, celle d’amante, et le désir castrateur d’une prise de pouvoir sur le masculin par la prise de parole féminine qui constitue une forme de transgression des normes genrées. Le portrait est conforme à celui de la maîtresse-maquerelle intéressée par le gain, de la vieille libidineuse, jalouse des amours des plus jeunes54, et de la compagne envahissante qui entend porter la culotte55. Le Maître de Wavrin propose pour Gondree une image qui évolue. À la fois servante, entremetteuse, maquerelle et concubine, la vieille est caractérisée par une identité mouvante et menaçante, mais bien humaine. Les images wavrinoises des vieilles femmes restituent les stéréotypes médiévaux, mais le rire qu’elles suscitent s’inscrit en porte-à-faux de la peur et « n’est pas réducteur56 ». La prise de distance dans laquelle s’engage la personne qui fait preuve d’humour et qui rit lui permet d’aborder les choses de la vie, même les plus terribles, d’une manière philosophique et avec un certain recul. Le rire fonctionne comme un révélateur, une porte vers la vérité, car il permet d’appréhender le monde « sous son aspect le plus joyeux et le plus lucide57 ». Le rire révèle l’artificialité du stéréotype sur lequel il repose et qui inclut la culpabilité de la vieille femme.

Gondree punie

31Puisque Gondree est à l’origine du stratagème qui a mené Gérard et Euryant à la rupture, il est naturel qu’elle en fasse les frais. Quand le héros dénonce et accuse Liziart à la fin du récit, il ne manque pas de mentionner, au roi en personne, le rôle de la vieille « de pute affaire » (LI, 18). Alors que la confession et la punition du méchant chevalier sont clairement rendues publiques, décrites et mises en image avec soin, la punition de Gondree n’est que brièvement évoquée par le prosateur et elle est totalement absente des images du manuscrit de Bruxelles. Dans le manuscrit parisien en revanche, le sujet a été développé et fait l’objet d’un chapitre58 et d’une miniature supplémentaires (Planche 7).

Planche 7 : Punition de Gondree (Paris, BnF, ms. fr. 24378)

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Figure 13 : Histoire de Gérard de Nevers (anonyme),
Gondree sur le bûcher,
Loyset Liédet, après 1467,
Paris, BnF, ms. fr. 24378, folio 178 vo (Source gallica.bnf.fr / BnF)

32Le fait que ce soit la dernière image sur laquelle s’arrête la lecture donne un impact encore plus grand à la représentation de Gondree sur le bûcher, point culminant du récit et dernier portrait de femme du manuscrit parisien. L’imagerie du bûcher, la peine réservée aux hérétiques, est très limitée dans les manuscrits juridiques59, ce qui suggère que, dans l’imagerie mentale, le bûcher relève d’une réalité plus symbolique que pénale. Les images médiévales ne sont pas conformes à la réalité historique, car les femmes y sont d’autant plus souvent jetées sans vergogne que la pudeur proscrit généralement la pendaison60. La scène du bûcher met clairement en avant la veine misogyne qui parcourt le manuscrit parisien. Certes, seule Gondree est punie, mais voir l’une des deux vieilles femmes sur le bûcher équivaut à visualiser la punition de l’autre, car toutes deux appartiennent à un même type de « mauvaises » femmes conforme à l’image mentale très négative de la « vieille », celui de « sorcière ». Notons que le Maître de Wavrin procède de la même manière. Voir le châtiment de Méliatir61, qui a tenté de violer Euryant et qui a assassiné sa compagne, équivaut à voir celui de Liziart. Cependant, il applique ce procédé aux hommes coupables de ce que l’on qualifierait aujourd’hui d’agression sexuelle62 et non aux protagonistes féminins comme le fait Loyset Liédet avec la punition de Gondree.

33La scène du bûcher du manuscrit parisien est tout à fait traditionnelle d’un point de vue iconographique63. Bien que Gondree soit vieille et que le prosateur l’ait caractérisée comme une femme laide et loin d’être désirable64, son corps reste féminin et érotique : son buste bien droit met en avant sa gorge blanche, sa poitrine et la rondeur de ses hanches. Son visage serein et son attitude souriante, habituels dans les représentations médiévales de condamnation au bûcher, signalent que la sentence porte ses fruits : elle exhibe le repenti des bienheureux65. De fait, le manuscrit parisien propose une version plus traditionnelle et conforme à la fonction officielle du manuscrit en tant qu’objet ostentatoire qui sert le pouvoir. L’accent est mis sur la norme ou le retour à la norme par l’exercice de la justice rendue de manière ostentatoire et la vision d’un corps féminin culturel et érotique. Le plaisir du spectateur, à la fois moralisateur et voyeur66, est double.

34Dans la version portée sur le rire et le sourire que le Maître de Wavrin propose et qui s’éloigne du conformisme des discours dominants de l’époque, aucune punition n’est nécessaire. La vieille Gondree est associée à la prostitution et à la fornication, elle exhibe les défauts féminins les plus acerbes et, en l’absence de châtiment, toute possibilité de rédemption est exclue67. Le portrait que fait le Maître de Wavrin des deux vieilles servantes est en adéquation avec l’importance symbolique qu’il leur attribue dans l’intrigue et sa lecture personnelle, mais approfondie du texte : elles restent des personnages de fiction qui servent le récit, d’une manière codifiée pour la maîtresse sans nom et d’une manière humoristique pour Gondree. Parallèlement, l’enlumineur met en doute la nécessité de rédemption ou d’un supposé retour à l’ordre : la servante, la maquerelle ou la concubine font partie du tissu social qu’il dépeint.

Conclusion

35En dépit des représentations de figures féminines qui s’ancrent profondément dans un type ou une catégorie, le Maître de Wavrin donne à voir des individualités plus marquées avec, d’un côté, la loyale maîtresse sans nom et, de l’autre, la déloyale Gondree. Alors que Loyset Liédet s’attache à représenter des personnages identifiables, il ne fait aucune différence de traitement entre les deux vieilles femmes, toutes deux vêtues d’une robe bleue tout le long du récit. Surtout, il résume finalement le portrait qu’il brosse d’elles à l’image de la femme en rouge sur le bûcher.

36Dans les miniatures wavrinoises, la figure de la vieille femme n’est pas systématiquement tournée en dérision68, comme le sont au contraire Méliatir ou Liziart. Les vieilles servantes sont des auxiliaires dont usent les méchants Liziart ou Aiglentine et elles font l’objet d’un traitement plus indulgent que ces derniers. Si l’image mentale de la vieille sorcière est bien présente dans la pensée de la fin du Moyen Âge et que les simples mentions de la préparation du philtre ou du bûcher sont susceptibles de l’évoquer, cela n’est pourtant pas une piste que le Maître de Wavrin choisit d’emprunter. Alors que l’occasion s’en présente à plusieurs reprises et qu’elles ont une fonction fantasmagorique qui suscite la peur et la fascination, Gondree et la servante sans nom ne sont pas diabolisées. La condamnation sans appel de Loyset Liédet, enlumineur « historien » qui s’attache à raconter des faits, mais des faits altérés par le miroir déformant de la misogynie ambiante, contraste avec la vision poétique et humoristique de l’enlumineur lillois. Parce qu’il joue sur les images mentales, les archétypes et les stéréotypes de son temps ou qu’au contraire il s’en abstient, le Maître de Wavrin produit un discours qui témoigne d’une pleine conscience de la distorsion de la réalité que provoque l’image mentale de la vieille femme et reflète une réalité plus complexe.

37En effet, le Maître de Wavrin inscrit la figure de la vieille femme dans la dichotomie du sérieux et du rire. Et, au bout du compte, le rire neutralise la dimension anxiogène et la conception a priori manichéenne de la figure de la vieille femme. Celle qui transparaît dans les images du Maître de Wavrin s’éloigne des stéréotypes de genre grâce à la prise de distance qu’inclut l’humour, par lequel on appréhende les peurs et la vie avec philosophie.

Notes

1 La mise en prose a fait l’objet d’une édition critique à partir du manuscrit Bruxelles, KBR, ms. 9631 : Histoire de Gérard de Nevers. Mise en prose du Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil, éd. Matthieu Marchal, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013. Les références qui apparaissent, pour plus de lisibilité, dans le corps du texte renvoient à la numérotation des chapitres de l’édition critique.

2 Il s’agit du manuscrit Paris, BnF, ms. fr. 24378. La pagination moderne, ajoutée au crayon dans le coin supérieur droit, ne correspond pas à la foliotation.

3 Marielle Lavenus, Lecture renouvelée des miniatures du Maître de Wavrin : l’Histoire de Gérard de Nevers du manuscrit Bruxelles, KBR, ms. 9631, thèse de doctorat d’histoire de l’art médiéval, Université de Lille, 26 novembre 2021, 1 vol., 782 p. (dactyl.), p. 62. Rosalind Brown-Grant met elle aussi en avant la connaissance qu’avait Loyset Liédet des versions de Gérard de Nevers et d’Olivier de Castille enluminées par le Maître de Wavrin (Rosalind Brown-Grant, « Personal Drama or Chivalric Spectacle? The Reception of the Roman d’Olivier de Castille et d’Artus d’Algarbe in the Illuminations of the Wavrin Master and Loyset Liédet », dans Text/Image Relations in Late Medieval French and Burgundian Culture, dir. Rosalind Brown-Grant et Rebecca Dixon, Turnhout, Brepols, 2015, p. 124).

4 « La vieille servante, un archétype risible », Marielle Lavenus, dans Lecture renouvelée…, op. cit., p. 620-658.

5 Les sources historiques sont porteuses d’informations relatives aux conceptions de l’époque à l’égard des figures de la sorcellerie. Claude Gauvard met en évidence la configuration « jeune+vieille », que l’on retrouve dans Gérard de Nevers avec les personnages d’Aiglentine et de la servante sans nom, quand elle note que quatre femmes accusées d’être des sorcières à la fin du xive siècle « se présentent par couples unissant une femme d’âge mûr à une autre plus jeune » (Claude Gauvard, « Renommées d’être sorcières : quatre femmes devant le prévôt de Paris en 1390-1391 », dans Milieux naturels, espaces sociaux, études offertes à Robert Delort, dir. Élisabeth Mornet et Franco Morenzoni, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 705). Voir aussi Marielle Lavenus, Lecture renouvelée…, op. cit., p. 622-623.

6 Ibid., p. 622-623.

7 Claude Gauvard, « Renommées d’être sorcières… », art. cité, p. 704.

8 Je remercie Emmanuel Bain pour sa lecture attentive et ses précieux commentaires, et plus particulièrement ceux concernant ce « conciliabule » de femmes.

9 Dans le texte, la vieille femme est décrite avant tout comme la « maistresse »(Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, XXVII, 7 ou XXVIII, 1).

10 Il existe, dans le Livre des amours du châtelain de Coucy et de la dame de Fayel, également enluminé par le Maître de Wavrin au cours des années 1460 (Lille, BM, Godefroy 50, fo 84), une figure féminine similaire et qui joue le même rôle dans la lecture symbolique qu’il est possible de faire des images (Marielle Lavenus, Lecture renouvelée…, op. cit., p. 89-90, 295 et 625-626).

11 « Gond », dans Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500), Atilf – CNRS et Université de Lorraine (DMF), en ligne sur Atilf, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/gond, page consultée le 30 juin 2023.

12 Pour rappel, elle est motivée par la méchanceté, la jalousie et la colère (IV, 4-5). Le substantif gondre, très proche phonétiquement du prénom Gondree, est associé à d’autres termes de la même racine : le verbe grondir et le substantif gronderie qui signifie un grognement, « Grondir », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/grondir, page consultée le 30 juin 2023 et « Grondir » et « Gondre », dans Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, 10 vol. (8 vol. et complément), Paris, Vieweg et Bouillon, 1881-1902, vol. 4, p. 366 et vol. 4, p. 308.

13 Elle est décrite comme étant « moult malingre » (III, 10), puis « celle vieille […] moult laide et rafrongnye » (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, III, 11).

14 Elle est immédiatement associée à une figure de sorcière célèbre, à laquelle elle n’a rien à envier, car « de sorcheryes savoit assés autant ou plus que oncques avoit fait Astarot » (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, III, 11). À l’instar de Médée la magicienne, elle est capable d’accomplir les actions les plus terribles : elle a jadis tué ses propres enfants (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, III, 11).

15 Le prosateur y fait référence en tant que la « tresordre vielle Gondree » puis la « vieille punaise » (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, III, 14 et III, 18).

16 Nicole Gonthier, « L’exclusion par l’injure au Moyen Âge », dans L’Exclusion au Moyen Âge, Actes du colloque international de l’Université Jean Moulin Lyon 3 (Lyon, 26-27 mai 2005), dir. Nicole Gonthier, Cahiers du Centre d’Histoire Médiévale, no 4, 2007, p. 389.

17 Philippe Ménard, « Le rire et le sourire au Moyen Âge dans la littérature et dans les arts : essai de problématique », dans Le Rire au Moyen Âge dans la littérature et dans les arts, Actes du colloque international de Pau (Pau, 17-19 novembre 1988), dir. Thérèse Bouché et Hélène Charpentier, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1990, p. 11. Voir Élisabeth Crouzet-Pavan et Jacques Verger, « Introduction », dans La Dérision au Moyen Âge : de la pratique sociale au rituel politique, Actes de la journée d’études Pratiques de la dérision au Moyen Âge (Paris-Sorbonne, 29 novembre 2003), dir. Elisabeth Crouzet-Pavan et Jacques Verger, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 8.

18 La représentation de la servante en fait un personnage que l’on pourrait qualifier de « risible » au sens où l’entend Bergson, « dans l’exacte mesure où ce corps nous fait penser à une simple mécanique » (Henri Bergson, Le Rire, Paris, Presses universitaires de France, rééd. 2012, p. 23, en italique dans le texte). Chez Bergson, le rire est envisagé comme un châtiment, une « correction immédiate » dans laquelle s’engage le spectateur. Il est une réaction naturelle face à une « raideur » (ibid., p. 14-16 et p. 66). Ici, la raideur de la vieille servante est double. La vieille refuse de se plier, de se conformer aux normes sociétales, qu’il s’agisse de la passivité à laquelle elle devrait se cantonner en tant que femme ou de la loyauté et de l’amour qu’elle devrait porter à sa jeune maîtresse qu’elle trahit. Elle donne en effet accès au corps de la pudique Euryant à Liziart et met en péril l’ordre établi en conduisant au déshonneur de la demoiselle. Le tracé angulaire de la plume de l’enlumineur exprime plastiquement cette raideur dans l’énergie que la vieille déploie à tromper sa maîtresse.

19 « Manier » et « manier une femme, un homme », dans Rose Bidler, Dictionnaire érotique : Moyen français, Renaissance, Montréal, CERES, 2002, p. 410.

20 Il ne s’agit certes pas d’une activité agricole, mais la tenue de la vieille est à l’image de celles des femmes que l’on peut voir travailler aux champs dans les calendriers. On observe toutefois une différence : la vieille manie un outil. En outre, le fonctionnement de la chignole n’est pas si éloigné de celui du moulin qui est bien lié au monde rural et agricole. Les analogies avec le symbolisme sexuel du moulin sont assez nombreuses. Sur cette question, voir Claude Rivals, Le Moulin et le meunier, vol. 2, Une symbolique sociale, Portet-sur-Garonne, Empreinte, 2000, p. 81-82.

21 Christa Grössinger, « The Foolishness of Old Age », dans The Playful Middle Ages: Meanings of Play and Plays of Meaning, Essays in Memory of Elaine C. Block, dir. Paul Hardwick, Turnhout, Brepols, 2010, p. 65.

22 Ibid., p. 64.

23 Dans le deuxième Roman de la Rose, Jean de Meung fait de la vieille l’avocate de l’amour libre et hors mariage, de la sexualité en général, mais surtout de la vénalité et de l’inconstance (Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. bilingue par Armand Strubel, Paris, Librairie Générale Française, 1994, vers 13017-13148). La vieille n’est pas modeste et la sexualité est un domaine dont elle a tout appris par la pratique : « Mais tant a que je ne finai / que la science en la fin ai, / Dont bien puis en chaiere lire », Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. citée, vers 12719-12281, nous avons utilisé la traduction p. 683.

24 Notons que Ménard ne considère pas la vieille servante Gondree du Roman de la violette comme une véritable entremetteuse, car son « métier n’est pas de vivre des amours des autres » (Philippe Ménard, Le rire et le sourire dans le roman courtois en France au Moyen Âge (1150-1250), Genève, Droz, 1969, p. 213), mais que le Maître de Wavrin souligne ici qu’elle est rémunérée pour son intervention. Le terme « entremetteur » n’existe qu’au masculin et sert à désigner la personne qui « s’entremet », qui sert d’intermédiaire ou de substitut (« Entremetteur », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/entremetteur, page consultée le 7 février 2023). Notons également que l’entremetteuse dont il est question ici n’est pas une adjuvante, mais une opposante. Puisqu’elle trahit sa jeune maîtresse, son rôle n’est pas de « corriger les injustices courtoises » comme cela est souvent le cas de la duègne (Julien Maudoux, La Vieille Femme dans la littérature médiévale : xie-xve siècles, thèse de doctorat en littérature française, francophone et comparée, Université de Bordeaux 3, 4 mars 2022, 1 vol., 949 p. (dactyl.), p. 611).

25 « Maquerelle », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/maquerelle1, page consultée le 27 juin 2023.

26 « [L]es étuves servent de maisons de rendez-vous et sont les centres d’une prostitution notoire et permanente », Jacques Rossiaud, « La prostitution dans les villes françaises au xve siècle », dans Sexualités occidentales. Contribution à l’histoire et à la sociologie de la sexualité, dir. Philippe Ariès et André Béjin, Communications, no 35, 1982, p. 68. L’étuve, en tant que lieu de prostitution et réponse à « [l]a nécessité d’une obscénité naturelle », contient une charge symbolique relative à l’obscénité dont elle assure le contrôle (Aurélie Levasseur, « Obscénité et droit au Moyen Âge », dans Obscène Moyen Âge ?, dir. Nelly Labère, Paris, Honoré Champion, 2015, p. 53). Ici, la vieille transforme l’intimité de la demoiselle en lieu de l’obscène.

27 « Guerredon », « Glossaire », Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, p. 353.

28 « Le thème de l’ouverture est lié à la notion de transition, de passage. L’ouverture est le contact rendu sensible du dehors et du dedans, le lieu de la contradiction », Jérôme Baschet, « Les conceptions de l’enfer en France au xive siècle : imaginaire et pouvoir », Annales. Économies, sociétés, civilisations, no 1, 1985, p. 193.

29 « Put-e », « Glossaire », Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, p. 372.

30 « Pute », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/pute, page consultée le 28 juin 2023. Le rapprochement entre la vieille femme et la prostitution est récurrent dans la littérature médiévale (Julien Maudoux, La Vieille Femme dans la littérature médiévale, op. cit., p. 436-437).

31 La vetula a fait l’objet d’un pseudo-poème ovidien, De Vetula, qui a été largement diffusé, ce dont témoignent les 49 manuscrits témoins ainsi que la traduction en vers, La Vieille de Jean Le Fèvre de Ressons (« De Vetula », Arlima, DOI : https://arlima.net/no/2114, et « Jean le Fèvre de Ressons », Arlima, DOI : https://arlima.net/no/1500, pages consultées le 4 janvier 2024). Au sujet de la vieillesse, voir Bernard Ribémont, « Sagesse ou folie ? Être vieux dans la littérature médiévale », dans Gérontologie et société, no 114, 2005, p. 139-140 et Vieillesse et vieillissement au Moyen Âge, Actes du 11e colloque du CUERMA, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1987. La thèse récemment soutenue par Camille Brouzes fait l’étude du vieillissement dans la poésie française de la fin du Moyen Âge, mais selon le prisme de ses représentations (Camille Brouzes, « De viel porte voix et le ton » : corps et masques du vieillissement dans la poésie en français des xive et xve siècles, thèse de doctorat en lettres et arts spécialité littérature française et francophone, Université Grenoble Alpes, 10 juin 2022, 1 vol., 533 p. (dactyl.). La figure de la vieille femme dans la littérature médiévale a fait l’objet des travaux de recherches doctorales de Julien Maudoux qui définit avec précision le terme vetula (Julien Maudoux, La Vieille Femme dans la littérature médiévale, op. cit., p. 233-240).

32 Heather Arden considère la figure de la Vieille du Roman de la Rose comme la « combinaison habile des quatre composants possibles du portrait de la vieille : gardienne d’une jeune femme, elle devient aussi entremetteuse, institutrice ès arts d’amours et autobiographe » (Heather Arden, « La vieille femme dans la littérature médiévale : sexualité et narrativité », dans Europäische Literaturen in Mittelalter, Mélanges en l’honneur de Wolfgang Spiewok à l’occasion de son 65e anniversaire, dir. Danielle Buschinger, Reineke, Verlag Greifswald, 1994, p. 6).

33 Le récit numéro 133 du recueil de sermons traduits et compilés par Albert Lecoy de la Marche, dont le titre fut ajouté a posteriori, fournit un exemple plein d’humour de cette capacité mise au service du diable lui-même (« La langue d’une vieille femme surpasse le diable en malice », Le Rire du prédicateur : récits facétieux du Moyen Âge, trad. Albert Lecoy de La Marche, éd. Jacques Berlioz, Turnhout, Brepols, 1999, p. 132-135).

34 Après deux occurrences successives à la fin du chapitre XIII (XIII, 11 et XIII, 12), vyole et vyoler apparaissent en alternance de manière continue, toujours au sens premier et en rapport avec la prestation musicale de Gérard (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, XIV, 15 et XIV, 9 pour la vyole et XIV, 3 et XIV, 11 pour vyoler).

35 « Vielle », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/vielle, et « Viole », DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/viole, pages consultées le 30 octobre 2023.

36 « Vieller », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/vieller, page consultée le 30 octobre 2023.

37 « Violer », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/violer1, page consultée le 30 octobre 2023.

38 « Couteau », dans Rose Bidler, Dictionnaire érotique, opcit., p. 175.

39 « Percer », dans ibid., p. 495.

40 L’expression signifie dans l’intimité (« Pain », dans ibid., p. 475).

41 Christa Grössinger, « The Foolishness of Old Age », art. cité, p. 72.

42 Le Maître de Wavrin joue intentionnellement sur les différents niveaux d’interprétation du texte et des images. Or, dès l’arrivée de Gondree à Nevers à la fin du chap. VIII, le prosateur met en avant la manière dont sont exaucés les désirs de la vieille, grâce à l’amour que Liziart lui porte : « [t]out ce qu’elle voloit, Liziars estoit contempt ; ce qu’elle ne voloit, il ne le voloit. Grant amour monstroyent l’un a l’autre »(Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, VIII, 11-12). L’enlumineur fait une lecture oblique du contenu textuel, axée sur la grivoiserie (à ce sujet, voir M. Lavenus, Lecture renouvelée…, op. cit., p. 103-123).

43 En gravure, le sujet du couple inégal (« Unequal Couple ») est un sujet populaire. Faisant à la fois la satire de la luxure et l’avidité, il est aussi souvent le fruit d’un amour vénal (« Mercenary Love ») (Christa Grössinger, « The Foolishness of Old Age », art. cité, p. 65). Les procédés utilisés par le Maître sont bien différents de ceux des graveurs du début de l’époque moderne, mais reposent sur les mêmes stéréotypes.

44 Voir Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, III, 15 et III, 16. Cela est encore la manière dont il s’adresse à elle au cours du séjour de Gérard à Nevers (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, XV, 4).

45 « Dame », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/dame1, page consultée le 28 juin 2023.

46 Cela est une idée qu’elle exprime directement quand elle dit : « Moult fort prist a regarder le conte sy pensa que tel service luy feroit, dont a toujours mais le terroit come sa mere ou sa femme espouzee » (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, III, 12).

47 La bataille des sexes ou la lutte pour la culotte est une thématique populaire dans le développement de l’humour par le biais de la gravure au début de la Renaissance.

48 Il est dit que « [d]u tout la vielle ot la manyance et governement de la conté de Nevers » (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, VIII, 11).

49 « Main », dans Rose Bidler, Dictionnaire érotique, opcit., p. 405.

50 « Manier », dans Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française, op. cit., vol. 10, p. 117. La parole est un des moyens par lesquels la vieille manipulatrice dispose d’un pouvoir de persuasion. Mais cela est surtout par le biais de machinations qu’elle parvient à ses fins, comme on peut le constater en lisant les sermons où apparaît la figure de la vieille femme (Le Rire du prédicateur : récits facétieux du Moyen Âge, éd. citée).

51 « Manier » signifie aussi « caresser, tâter, peloter », mais aussi « traiter », « maltraiter » ou « conduire » (« Manier », dans Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française, op. cit., vol. 5, p. 147).

52 « Manier un homme », dans Rose Bidler, Dictionnaire érotique, opcit., p. 410.

53 « Convoitise », dans DMF, URL : http://www.atilf.fr/dmf/definition/convoitise, page consultée le 28 juin 2023.

54 Christa Grössinger, « The Foolishness of Old Age », art. cité, p. 69.

55 À ce sujet, voir Christiane Klapisch-Zuber, « La lutte pour la culotte, un topos iconographique des rapports conjugaux (xve-xixe siècles) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 34, 2011, p. 203-218.

56 Dans leur étude sur l’utilisation de l’humour dans le discours religieux, Horowitz et Menache dédient un chapitre important à la question des images mentales des femmes et d’un humour supposément misogyne puisqu’il semble mettre en évidence les défauts féminins les plus stéréotypés et les plus acerbes (Jeannine Horowitz et Sophia Menache, « La femme médiévale au miroir réformant de l’humour », dans L’Humour en chaire. Le rire dans l’Église médiévale, Genève, Labor et Fides, rééd. 1994, p. 187-242). Elles en arrivent à la conclusion, que nous transférons ici à notre analyse du manuscrit KBR, ms. 9631 au regard des points communs entre ces deux sujets d’études et les manières dont sont convoquées les images mentales, que le rire est doté de « qualités [qui] ont, en définitive, rendu service à l’image de la femme » (ibid., p. 241).

57 Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, rééd. 1982, p. 101.

58 L’auteur du texte copié dans le manuscrit de Paris scinde une phrase à environ deux tiers du chapitre LIII (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, LIII, 9). La première partie de cette phrase constitue la fin du chapitre LIII et la deuxième partie de la phrase (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, LIII, 9) est utilisée et développée pour constituer la rubrique du chapitre LIV qu’accompagne la miniature de Loyset Liédet (Paris, BnF, ms. 24378, fo 178 vo). Étant donné le contenu du chapitre qui ne concerne pas Gondree, il est probable que l’ajout soit une insertion (ibid., note 3, p. 313).

59 Barbara Morel, Une iconographie de la répression judiciaire. Le châtiment dans l’enluminure en France du xiiie au xve siècle, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2007, p. 35.

60 Il est en effet problématique de « laisser le corps féminin à la vue de tous aussi longtemps, c’est pourquoi d’autres peines sont appliquées » aux femmes en raison de leur genre : le bûcher ou l’enfouissement (ibid., p. 342-343).

61 Bruxelles, KBR, ms. 9631, fo 107 vo.

62 Cela est particulièrement significatif puisque le Maître de Wavrin donne, tout au fil du cycle iconographique, une grande visibilité à la thématique du viol, réel ou symbolique (Marielle Lavenus, Lecture renouvelée…, op. cit., p. 450-457).

63 Gondree n’est pas vêtue de la tunique blanche qui caractérise généralement ce type de scène parce qu’elle est une femme. « Car de toute évidence, dans l’enluminure, la femme ne se présente pas au bûcher dans le dénuement habituel du condamné et demeure attractive », Barbara Morel, Une iconographie de la répression, op. cit., p. 337.

64 Gondree est décrite, rappelons-le, comme « moult laide et rafrongnye » (Histoire de Gérard de Nevers, éd. citée, III, p. 11).

65 Barbara Morel, Une iconographie de la répression, op. cit., p. 264-265.

66 Le corps féminin est à la fois « dévoilé et instrumentalisé » (ibid., p. 338). L’érotisme du motif est bien connu et dans son Décameron, Boccace souligne avec humour la manière dont les femmes accourent pour admirer Gian de Procida et les hommes pour Restituta, couple adultère exhibé sur le bûcher, mais gracié de justesse (Bocacce, Décaméron, traduction nouvelle, introduction et notes sous la direction de Christian Beck, Paris, Librairie Générale Française, 1994, p. 455-456). Dans le manuscrit de Bruxelles, l’épisode n’est pas considéré comme l’occasion de présenter un autre corps féminin érotique.

67 À ce sujet, voir Barbara Morel, Une iconographie de la répression, opcit.

68 Ces éléments sont développés à partir de la définition donnée en introduction des actes du colloque sur la dérision en 2003. La dérision consiste en « une moquerie non dépourvue de méchanceté cherchant non seulement à faire rire, mais à humilier, à discréditer, voire à annihiler, au moins symboliquement, celui ou celle qu’elle vise », Élisabeth Crouzet-Pavan et Jacques Verger, « Introduction », art. cité, p. 7.

Pour citer ce document

Marielle Lavenus, « Sorcière, entremetteuse, maquerelle et concubine : représentations de la figure de la vieille servante dans l’Histoire de Gérard de Nevers (Bruxelles, KBR, ms. 9631 et Paris, BnF, ms. fr. 24378) » dans Désirés, désirants, indésirables : corps et âges des femmes en littérature du Moyen Âge à nos jours,

Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen Normandie en janvier 2023, publiés par Camille Brouzes, Eva Le Saux, Lola Marcault, Anne-Claire Marpeau, Lucie Nizard, Charles Plet et Stéphane Pouyaud

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 31, 2024

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1728.

Quelques mots à propos de :  Marielle Lavenus

Université de Lille
IHRiS – UMR 8529