2 | 2022
Corps, normes, genre. Discours et représentations de l’Antiquité à nos jours

Ce numéro de la revue électronique de l’ERIAC Synthèses & Hypothèses est le point d’arrivée d’un séminaire qui s’est poursuivi sur deux années (2017-2019), dans le cadre du Programme 2 de l’ERIAC : « Formes, expériences, interprétations », et des deux Journées d’étude qui l’ont conclu (en 2018 et 2019), sous le titre « Corps, normes, genre : discours et représentations de l’Antiquité à nos jours ». Les séances de séminaire ont donné la parole à des enseignants-chercheurs, de l’Université de Rouen Normandie et d’autres Universités, à des doctorants ou de jeunes docteurs, à des étudiants de Master, spécialistes de différentes périodes historiques et de questions très variées (le corps dans l’Antiquité, le roman mexicain contemporain, la vie des femmes indiennes, les pratiques sportives aux États-Unis, etc.), dans une approche résolument transdisciplinaire, qui correspond au profil de notre unité de recherche.

  • Catherine Baroin et Anne-Florence Gillard-Estrada  Introduction

Discours et images sur la nudité, le masculin et le féminin

Des corps nus, athlétiques et féminins dans l’imagerie attique classique. Déconstruire le genre ou décliner des discours conventionnels grecs sur la vraie beauté ?

Florence Gherchanoc


Résumés

Dans les sociétés grecques de l’Antiquité, la nudité des hommes, jeunes et adultes (les citoyens et leurs enfants qui ont le loisir de s’entraîner), est valorisée et conduit à l’élaboration de discours sur la « vraie » beauté, une beauté nue, virile et athlétique qui se construit au gymnase et s’exhibe, et dont seraient dénuées les femmes en raison de leur statut et de leur genre. Néanmoins, curieusement, des textes et des images font référence à des exercices féminins au gymnase et à la participation de femmes, le plus souvent des jeunes filles, à des compétitions, aussi bien dans le domaine du mythe (Atalante) que de façon effective dans quelques cités, en Laconie (Lacédémone), en Élide (Olympie) et en Attique à Brauron. Cet article explore les conceptions d’une telle nudité au féminin et sa singularité, en circonscrivant le dossier par l’analyse d’une vingtaine de vases de banquet attiques, coupes à boire et autres objets du symposion datés de la fin du VIe siècle au IVe siècle, sur lesquels sont figurées des femmes jeunes et nues, au corps bien ciselé et athlétique, autour d’un λουτήριον, un bassin, une vasque. Ces scènes dites de « toilette », construites comme le miroir d’une iconographie où de jeunes et beaux garçons se lavent après l’entraînement, conduisent à s’interroger sur le statut de ces figures féminines (épouses athéniennes, étrangères lacédémoniennes, hétaïres, … ?), ainsi que sur les normes de beauté rapportées à un corps athlétique et sur leurs représentations sous l’angle du genre, avec une référence, plus ou moins affirmée, au gymnase. En d’autres termes, qu’est-ce que la nudité athlétique quand on est fille et/ou femme ? De quels discours cette mise est-elle le support ? Des corps féminins musclés et virils ainsi exposés sont-ils considérés comme « véritablement » beaux et dans quelle mesure ?

Texte intégral

Merci à François Lissarrague.

1« Si nudité et citoyenneté font […] bon ménage et manifestent la kalokagathia des Grecs face aux barbares, le statut des femmes dans la cité ne doit pas être étranger à la différence qui se manifeste dans leur rapport au corps nu »1. En effet, dans les sociétés grecques de l’Antiquité, la nudité des hommes, jeunes et adultes (les citoyens et de leurs enfants qui ont le loisir de s’entraîner), est valorisée, à condition qu’elle soit athlétique et réponde aux prescriptions de la cité et à ses valeurs dans des contextes bien définis, ainsi qu’à des canons de beauté spécifiques – même si ces derniers restent théoriques2.

2La beauté du corps est, en effet, normée et fondée sur la juste mesure. Et ce modèle idéal et aristocratique trouve au ve siècle son expression dans la statuaire avec le dit canon de Polyclète qui définit le beau corps bien musclé et ciselé, autrement dit de la bonne façon, à la mesure juste, comme le formule Lucien (iie s. n.è.) :

Quant au corps, il faut, à mon avis, qu’il soit calqué sur le modèle de Polyclète, il ne doit pas être trop grand, ou allongé au-delà de la mesure (μήτε γὰρ ὑψηλὸς ἄγαν ἔστω καὶ πέρα τοῦ μετρίου ἐπιμήκης), ni réduit et minuscule de nature (μήτε ταπεινὸς καὶ νανώδης τὴν φύσιν), mais exactement dans la moyenne (ἀλλ᾽ ἔμμετρος ἀκριβῶς) ; ni trop bien en chair, ce serait invraisemblable (πολύσαρκος, ἀπίθανον γάρ), ni mince à l’excès, car il paraîtrait squelettique et cadavérique (οὔτε λεπτὸς ἐς ὑπερβολήν : σκελετῶδες τοῦτο καὶ νεκρικόν)3.

3L’harmonie générale du corps et l’équilibre sont centraux. Ainsi que l’énonce le médecin Galien au iie s. de n.è., en raison de sa symétrie, de sa juste mesure et de sa bonne santé, un tel corps apparaît « au toucher, ni mou, ni dur, ni chaud, ni froid (ὡς ψαυόντων μὲν μήτε μαλακὸν φαίνεσθαι, μήτε σκληρόν, μήτε θερμόν, μήτε ψυχρόν) et, à la vue, ni velu, ni glabre, ni gros, ni maigre, ni [ne doit] présenter quelque autre trait de déséquilibre (ὁρώντων δὲ μήτε λάσιον, μήτε ψιλόν, μήτε παχύ, μήτε ἰσχνόν, ἤ τινα ἑτέραν ἔχον ἀμετρίαν) »4. L’« homme ainsi défini apparaît ‘correctement charnu (εὔσαρκος)’, parfaitement équilibré en chaleur, froid, sècheresse et humidité, ni dur, ni mou, sans autres traits plus concrets »5.

4Aussi les discours des Anciens opposent-ils, généralement, le corps masculin nu, équilibré et viril au corps féminin aux chairs molles tel que le théorise Hippocrate6, un corps « artificialisé », couvert de tissus, empaqueté, maquillé et orné7. À cet égard, un passage du Gorgias de Platon est éloquent et témoigne d’un discours caractéristique qui se développe depuis, au moins, la fin du ve siècle, en particulier à Athènes :

À la gymnastique correspond de la même façon le maquillage, chose artificielle et trompeuse, vile, indigne d’un homme libre, qui produit l’illusion par les attitudes, les couleurs, le polissage et les vêtements, si bien que la recherche d’une beauté empruntée fait négliger la beauté naturelle / familière que donne la gymnastique8.

5L’entraînement au gymnase qualifie une activité de (futurs) citoyens. Platon défend ici une vision aristocratique de la vraie beauté, à la fois virile, nue et désirable. Ces corps masculins entraînés ne sont ni falsifiés ni trompeurs ; leur beauté n’est pas empruntée, étrangère, comme celle des femmes.

6Dans la plupart des cités grecques, ces dernières sont, en effet, en raison de leur statut et de leur genre, exclues de pratiques où les corps virils s’exhibent, des exercices sportifs et des compétitions athlétiques (celles qui débouchent sur l’obtention d’un prix, d’une récompense : ἆθλον ; pluriel : ἆθλα). Les femmes, filles et épouses de citoyens, ont pour destin le mariage et la maternité, ce à quoi les préparent leur éducation et les activités auxquelles elles s’adonnent en particulier dans le domaine familial (tissage, transformation des grains) et dans la cité (lors des fêtes, dans les sanctuaires, en participant aux chœurs, etc.). En outre, les représenter nues est chose rare, et correspond à des situations « liminales »9.

7Néanmoins, curieusement, des textes et des images font référence à des exercices féminins au gymnase (lieu où, par définition et en principe, l’on s’exerce nu) et à la participation de femmes, le plus souvent des jeunes filles, à des compétitions, aussi bien dans le domaine du mythe (Atalante) que de façon effective dans quelques cités, en Laconie (à Lacédémone), en Élide (à Olympie) et en Attique à Brauron. Concernant Sparte, la Constitution des Lacédémoniens de Xénophon, datée de 378-377, mentionne l’établissement, par Lycurgue, d’exercices physiques pour le sexe féminin, aussi bien que pour le sexe mâle, l’institution de courses et des épreuves de force entre les filles comme entre les garçons. Ces éléments sont repris et enrichis par Plutarque dans le bios (Vie) consacré au législateur mythique de la cité10. En Élide, d’après Pausanias, à l’occasion des Héraia d’Olympie :

[D]es jeunes filles s’affrontent à la course. Cependant, elles ne sont assurément pas toutes du même âge. Ainsi, les plus jeunes courent en premier, puis, après elles, les filles d’un âge plus avancé, et enfin, en tout dernier, vient le tour des plus âgées. Voici comment elles courent : leur chevelure est dénouée, leur tunique s’arrête juste au-dessus du genou et elles dévoilent leur épaule droite jusqu’à la poitrine11.

8Leur nudité est donc partielle. Quant à Brauron, des cratérisques (petits vases rituels archaïques à figures noires) témoignent de courses féminines à différents âges de la vie des filles (de l’enfance à l’adolescence, ou plus exactement, avant le mariage) et dans des tenues variées, en χιτών court, avec ou sans manches, en « bikini » ou encore nues12.

9Si l’on peut, bien sûr, s’interroger sur les contextes dans lesquels se déploient ces spectacles agonistiques féminins exceptionnels et étonnants, sur leurs destinataires, également sur la façon dont les Anciens les ont appréciés et jugés, enfin sur l’imaginaire forgé et véhiculé autour du « sport » au féminin, il est également possible de s’arrêter sur les conceptions d’une telle nudité au féminin et sa singularité. En d’autres termes, qu’est-ce que la nudité athlétique quand on est fille et/ou femme ? De quels discours cette mise est-elle le support ? Des corps féminins musclés et virils ainsi exposés sont-ils considérés comme « véritablement » beaux et dans quelle mesure ?

10Pour ouvrir et circonscrire ce dossier, je discuterai principalement une petite série constituée d’une vingtaine de vases de banquet attiques, coupes à boire et autres objets du symposion, datés de la fin du vie siècle au ive siècle, sur lesquels sont figurées des femmes jeunes nues au corps bien ciselé et athlétique, autour d’un λουτήριον, un bassin, une vasque13. Elles font leur toilette14. Ces images, pour certaines, semblent construites comme le miroir d’une iconographie où de jeunes et beaux garçons se lavent après l’entraînement. Je me focaliserai sur celles qui proposent des jeux d’images avec ouverture de figures féminines vers l’univers masculin du gymnase. Qui sont ces figures féminines ? Doit-on nécessairement les penser en relation à un statut social (épouses athéniennes, étrangères lacédémoniennes, hétaïres, …) ? Ce corpus permet ainsi d’interroger les normes de beauté rapportées à un corps athlétique et leurs représentations sous l’angle du genre, avec une référence, plus ou moins affirmée, au gymnase.

11Sur un premier groupe d’images, des jeunes femmes au corps totalement nu et bien ciselé sont figurées en groupe, dans des espaces où des marqueurs font référence au gymnase : λουτήριον et paquetage15.

Image 100002010000019B000001D5C951EFD7.png

Figure 1 — Cratère attique à colonnettes, f. r., Myson, vers 480 ; Hansjörg Bloesch, Greek Vases from the Hirschmann Collection, Zurich, H. Rohr, 1982, vase no 35, p. 74-75, 103 (BAPD 352503).

12Un premier cratère à colonnettes, daté vers 480 (fig. 1) montre ainsi autour d’une vasque trois figures féminines (ce qu’attestent leur poitrine et l’absence de pénis). L’une a les cheveux dénoués et les mains dans le λουτήριον. Les deux autres, les cheveux relevés en chignon : la plus proche de la vasque, au pied de laquelle est posée une hydrie, tient une petite botte dans sa main gauche, sa main droite étant dans le λουτήριον ; l’autre, le dos tourné, replie des vêtements. Dans le champ de l’image, un paquetage d’athlète est suspendu : un strigile, une éponge et un aryballe (petit vase à panse globulaire).

Image 10000201000001900000017A380C5217.png

Figure 2 — Cratère attique, f. r., proche du peintre de Göttingen, vers 490-480 ; Bari, Museo archeologico civico, 4979, (BAPD 202270).

13Des éléments comparables se trouvent sur le cratère de Bari, daté vers 490-480 (fig. 2), où l’une des jeunes femmes, non loin du λουτήριον, se racle le dos à l’aide d’un strigile et enlève ainsi le γλοιός, ce mélange crasseux d’huile et de poussière qui couvre le corps des athlètes après l’entraînement. Au-dessus d’elle, une éponge est suspendue. Une colonne, à droite, la sépare de ses deux compagnes placées autour de la vasque : la première y plonge une main ; la seconde tient une hydrie et verse de l’eau à l’intérieur ; au-dessus d’elles, on voit à l’arrière-plan une oinochoe, un récipient qui sert à puiser et verser du vin.

Image 10000201000001900000012A84EC34BC.png

Figure 3 — Cratère attique à colonnettes, f. r., Peintre de Tarquinia 707, vers 460-450 ; Vienne, Kunsthistorisches Museum, 2166 (BAPD 214702).

14Sur un troisième cratère, daté vers 460-450 (fig. 3), la colonne, marqueur d’espace, supporte un paquetage d’athlète. À sa gauche, une femme nue porte néanmoins une parure de tête, un σάκκος, une coiffe que l’on associe généralement aux hétaïres. À droite, comme souvent, un collectif de trois femmes se tient autour du λουτήριον. La première, cheveux dénoués, a les mains plongées dans la vasque. Face à elle, la seconde, porte également un σάκκος et tient dans sa main droite un strigile, tandis que la gauche est posée sur la paroi extérieure du λουτήριον. Enfin, la dernière, les cheveux relevés en chignon, lève la main droite et tient de la gauche une étoffe.

15Ces scènes s’apparentent à des images peintes sur de la vaisselle de banquet datées de la 1ère moitié du ve siècle où sont figurés de jeunes garçons dans des postures et des situations comparables, le plus souvent seuls, comme en attestent les trois exemples suivants16.

Image 10000201000001900000019BAFAA65E6.png

Figure 4 — Coupe attique, f. r., attribuée à Onesimos, vers 500-490 ; Paris, Louvre, G291, (BAPD 203286).

16Ainsi, sur ce premier fond de coupe datée vers 500-490 (fig. 4), un jeune homme nu presse à deux mains une éponge au-dessus d’un podaniptère (vasque destinée au lavage des pieds), sur lequel est écrit καλός (beau), un adjectif très fréquent sur les images et renvoyant tout autant à la beauté des lieux, de la scène ou de l’objet inscrit qu’à celle du garçon sur lequel le regard se focalise, et/ou encore à une adresse du peintre, peut-être à une parole de spectateur (cf. infra)17 ; à droite, dans le champ de l’image une paire de sandales, à gauche une canne et un paquetage (aryballe et strigile) faisant référence, d’une part, au statut de citoyen18, d’autre part, au gymnase et à l’entraînement des corps19.

Image 10000201000001900000018622E67A28.png

Figure 5 — Peliké attique, f. r., type du Peintre de l’Amphore de Munich, vers 480-470 ; Berlin, Antikensammlung, Berlin, Schloss Charlottenburg, 4560 (BAPD 202464).

17Sur une peliké de Berlin, datée vers 480-470 (fig. 5), à côté d’un λουτήριον, sur lequel on lit καλός, un jeune homme, nu, avec un bandeau autour des cheveux, a la main gauche plongée dans la vasque tandis que, de l’autre, il tient un strigile ; au-dessus, sont représentés un paquetage et une sandale. Sous la vasque, il y aurait, de plus, peut-être, un doublon miniature et accroupi du garçon qui tient de la main gauche la deuxième sandale et dans la droite une éponge20.

Image 10000201000001900000012CCA2E307E.png

Figure 6 — Coupe attique, f. r., Peintre de Heildelberg, vers 440 ; Aléria, Musée Archéologique, 67.402 (B67) ; J. & L. Jehasse, op. cit., Pl. 65, vase no 1838 (BAPD 276044).

Image 10000201000001900000012C22EF4C78.png

Figure 7 — Kylix attique, f. r., Peintre de l’École de Douris, vers 480 ; Aléria. Musée archéologique, 68.148.2360 ; J. & L. Jehasse, op. cit., Pl. 41, vase no 2192 (BAPD 9447).

18Enfin, sur l’intérieur d’une première coupe du musée d’Aléria, datée vers 440 (fig. 6), un jeune homme nu se tient devant une vasque, un strigile dans la main droite et sa gauche posée sur la hanche21 ; sur la seconde datée de 480 environ (fig. 7), un garçon nu plonge ses mains dans le λουτήριον, au pied duquel est posée une amphore ; juste derrière lui, un τέρμων (borne) fait référence à la course et à l’espace de la palestre ; dans le champ, en sens inverse, est inscrit l’adjectif καλός.

Image 1000020100000190000001857F9F34DC.png

Figure 8 — Kylix attique à f. r., Peintre de Télèphe, vers 470-460 ; Boston, Museum of Fine Art, 01.8033 (BAPD 210114).

19En revanche, sur le fond d’une kylix de Boston, datée vers 470-460 (fig. 8), le jeune homme, posté entre une vasque et un τέρμων vers lequel il tourne la tête et le long duquel on lit καλός, est habillé d’un ἱμάτιον (manteau) dégageant son épaule droite et s’appuie sur un bâton orné d’une bandelette.

20Qu’ont en commun avec ces images celles de figures féminines qui semblent évoluer dans un univers viril et qui, comme leurs correspondants masculins (sauf dans le cas de la figure 8), sont nues et dotées d’une belle musculature, campées autour d’une vasque dans un décor associé à d’autres marqueurs de l’espace du gymnase (paquetage de l’athlète ; τέρμων), avec une ou deux bottines en main ou ces chaussures disposées sur le sol ? Pour les garçons, le lien entre nudité athlétique (parfois d’un jeune homme à proximité d’un λουτήριον), objets du gymnase, chaussures (plutôt des sandales) et érotique s’impose facilement22. Cette association est plus ténue si l’on s’attache aux personnages féminins ainsi figurés autour d’une vasque. Certains ont ainsi interprété ces situations comme des scènes de toilette à mettre en relation avec des préoccupations liées à la « santé, beauté et harmonie des corps » 23. Ces images feraient dès lors référence à des exercices à but hygiéniste. D’autres ont pensé qu’ils s’agissaient de Lacédémoniennes telles qu’elles étaient perçues, peut-être par les Athéniens24. Prolongeant cette idée, Andrew Stewart voit sur ces vases des femmes fantasmées dont la nudité, s’exposant dans un lieu public, stimulerait en quelque sorte le voyeurisme des banqueteurs avec en arrière fond la référence à Sparte ou à Atalante25. Enfin, pour Jennifer Neils, ces images sont l’écho d’une forme de voyeurisme masculin et de plaisanteries sur les fesses des Lacédémoniennes26. Que faire de ces propositions, comment choisir – s’il y a un choix à faire – entre scènes de toilette, évocation de Lacédémoniennes, figurations de doublons d’Atalante, de femmes fantasmées nues, et entre voyeurisme et blagues sur les mœurs des femmes de Sparte ?

21Je ne m’attarderai pas sur une éventuelle référence à des scènes de toilette avec ablutions dans un intérieur domestique et féminin. Rien ne permet de supposer, en effet, que ces scènes renverraient à une activité liée à la palestre dans une maison à Athènes.

22Que dire maintenant de ces images et de leur possible connexion à l’univers lacédémonien et aux discours athéniens relatifs aux épouses et filles de citoyens de Sparte et au sport, des discours parfois admiratifs, parfois très critiques à l’époque classique ? Lacédémone est déjà réputée pour ces belles femmes dans l’épopée27. Plus tard, dans la comédie d’époque classique, Lysistrata d’Aristophane, jouée en 411, Lampito incarne les femmes de Sparte : elle est louée pour sa « beauté (τὸ κάλλος) resplendissante », sa « belle carnation / εὐχροεῖς » et son « corps vigoureux / σφριγᾷ τὸ σῶμά » qu’elle doit à des exercices physiques réguliers dont la βίβασις (une danse qui conduit à l’action de toucher ses fesses avec ses talons, en sautant). Ces caractéristiques feraient d’elle une belle victime sacrificielle (ἱερεῖόν)28.

23Toutefois, les femmes, en particulier les plus jeunes, sont également qualifiées de « montre-cuisses » (φαινομέριδες). Comme le rappelle Pélée à Ménélas au sujet de son épouse Hélène dans un dialogue d’Andromaque, une tragédie d’Euripide jouée en 424 :

Une fille de Sparte, même si elle le voulait, comment deviendrait-elle sage (σώφρων) ? Avec les jeunes garçons, désertant leurs demeures, cuisses nues et robes flottantes (γυμνοῖσι μηροῖς καὶ πέπλοις ἀνειμένοις), elles partagent pistes et palestres. C’est intolérable! Faut-il s’étonner si vous ne formez pas de sages épouses ?29

24Cela appelle trois remarques. Il existe un lien entre la pratique du sport, l’exercice physique et la beauté du corps. Cependant, la nudité des Lacédémoniennes n’est que partielle, ce qui n’est pas le cas des jeunes filles figurées sur les vases attiques décrits précédemment. En outre, si l’on considère les sources littéraires, seul un poème de Théocrite, plus tardif, daté du iiie siècle fait référence à une nudité athlétique totale et de surcroît virile, à propos d’Hélène et de ses compagnes de même âge, en donnant la parole à l’une d’elles :

[F]rottées d’huile comme les hommes, nous nous exercions à la course au même lieu près des ondes de l’Eurotas, quatre fois soixante jeunes filles, tout un peuple de femmes ; de nous, aucune, aucune n’est tout à fait l’abri du reproche, si on la compare à Hélène30.

25De plus, les quelques figurines de bronze, datées des vie et ve siècles, que nous connaissons, représentent généralement des jeunes filles à la nudité partielle : ainsi, une statuette de bronze du vie s. (fig. 9), de production laconienne, montre une fille au χιτών très court qu’elle soulève de la main gauche pour signifier le mouvement et la course31.

Image 100002010000011700000170C462C8B1.png

Figure 9 — Figure de bronze ; Athènes, Musée national archéologue, Collection Karpanos, no 24 ; vers 575-550. Coureuse spartiate de Dodone.

26Enfin, une relation est établie entre le comportement dévoyé des filles de Lacédémone, adultères comme Hélène chez Euripide et dotées d’une sexualité débridée chez Aristophane32, et la pratique d’exercices physiques.

27Aussi les connexions iconiques entre des filles athlétiques figurées autour d’un λουτήριον avec paquetage dans le champ de l’image et les Lacédémoniennes sont-elles loin d’être évidentes.

28L’association entre ces figures féminines autour d’une vasque et la mythique Atalante serait-elle plus pertinente au regard de ces jeux d’images construits par les peintres attiques ?

29Pour rappel, personnage exceptionnel, Atalante, devenue adulte, participe notamment à la chasse au sanglier de Calydon ; elle prend même part aux jeux en l’honneur de Pélias, où elle combat Pélée et le vainc. Puis, suivant le récit du mythographe Apollodore (ier-iiie siècle de n.è.) :

[Q]uand elle eut découvert qui étaient ses parents, son père voulut la convaincre de se marier ; alors Atalante se rendit dans le stade [600 pieds] et planta en son centre un pieu haut de trois coudées ; c’est de là qu’elle commençait à courir, en armes, après avoir concédé à ses prétendants quelques longueurs d’avance. Qui se laissait rattraper mourait ; qui ne se laisserait pas rejoindre l’aurait comme épouse. Ils étaient nombreux désormais ceux qui avaient trouvé la mort ainsi, quand Mélanion, qui était amoureux d’elle, participa à la course en portant trois pommes d’or, don d’Aphrodite. Et comme elle le poursuivait, il les jeta. La jeune fille s’arrêta pour les ramasser, fut battue, et Mélanion put l’épouser33.

30Avant de rentrer dans le droit chemin et de s’accomplir dans le mariage et la maternité, destin commun des filles grecques, l’héroïne se distingue donc lors de deux compétitions : la lutte et la course. Apollodore ne s’arrête pas sur ses atours. En revanche, avant lui, les peintres attiques, ont usé de diverses stratégies de figuration qui nous permettent de comparer son corps et ses attributs à ceux des filles disposées autour d’un λουτήριον sur les vases athéniens décrits plus haut.

Image 1000020100000101000002102915C4C8.png

Figure 10 — Lécythe attique à fond blanc, Douris, vers 500-490 ; Cleveland Museum of Art, DSC08209 (BAPD 275976).

31Contrairement aux images d’époque archaïque lesquelles représentent Atalante, le corps bien musclé et légèrement couvert, combattant Pélée à la lutte34, celles produites à l’époque classique sont plutôt focalisées sur la course. Ainsi, sur un lécythe à fond blanc daté de 500-490 (fig. 10), le peintre fait une allusion aux prémices de cette course35 (la jeune fille est en mouvement comme le suggèrent la position de ses jambes et le pan de tissu qu’elle soulève de la main gauche) et à ses liens avec le mariage attendu comme le suggèrent les trois Erotes (présentification du désir, au pluriel ici) qui l’entourent36. L’héroïne, dotée d’une curieuse coiffe composée d’un filet sur lequel repose un tissu, sorte de foulard crénelé posé perpendiculairement sur sa tête, est là vêtue d’un χιτών à manches, long et transparent à partir des cuisses, laissant les jambes nues, une autre façon de penser la nudité athlétique au féminin ; sur cet ensemble est ajusté une sorte d’ἱμάτιον qui s’enroule autour de la taille.

Image 100002010000017A0000018D22C4B717.png

Figure 11 — Coupe attique, f. r., Peintre Euaion, vers 470-460 ; Paris, Louvre, CA2259 (BAPD 209846).

32Plus proche des « femmes athlètes » figurées autour d’un λουτήριον, Atalante est représentée le corps bien ciselé de face et le visage de profil, sur un fond de coupe à pied, daté vers 470-460 (fig. 11). Elle porte un caleçon du type διάζωμα et un soutien-gorge ou brassière duquel la poitrine déborde, peut-être pour renforcer sa féminité, et sur sa tête le bonnet de l’athlète. Son corps n’est pas totalement nu. Des éléments font référence à la course et à la pratique de l’exercice physique : le τέρμων, la pioche pour ameublir le sol qu’elle tient dans sa main droite et le paquetage dans son champ de regard.

Image 1000020100000190000001AD69AFFBEA.png

Figure 12 — Kylix, f. r., Peintre d’Aberdeen, vers 450-430 ; Ferrara, Museo Nazionale, 1340 [T991] (BAPD 211175).

33Sur une autre coupe datée vers 450-430 (fig. 12), cette fois, la jeune fille identifiable grâce à ses parures a le torse nu et les seins bien mis en valeur. Ses seuls habits sont le διάζωμα et le bonnet de l’athlète. Tandis qu’elle tient une pioche, elle est postée face à un beau jeune homme au corps nu et athlétique. Puis, sur les deux images suivantes, le λουτήριον constitue un marqueur d’espace où Atalante est de nouveau en interaction avec un garçon nu bien musclé.

Image 10000201000001900000013CB707BE56.png

Figure 13 — Coupe attique, f. r., Peintre d’Aberdeen, vers 450-430 ; Boston, Museum of Fine Art, 03.820 (BAPD 211173).

34Sur la première, une coupe datée vers 450-430 (fig. 13), le peintre semble davantage insister sur leur relation érotique : devant la vasque, le jeune homme tient un strigile de la main gauche face à l’héroïne, cette fois assise et portant un caleçon joliment décoré et un σάκκος, non plus le bonnet de l’athlète. Pour autant, sur les deux faces externes de la coupe, se déploient des scènes en relation avec le gymnase, avec à chaque fois deux hommes vêtus de l’ἱμάτιον, un manteau leur laissant l’épaule droite découverte et dont l’un tient un bâton comme les arbitres : d’un côté, on voit un discobole et un strigile suspendu ; de l’autre, un athlète sur le point d’exécuter un saut en longueur.

Image 10000201000001870000011B12B1D795.png

Figure 14 — Coupe attique, f. r., attribuée au Peintre de Jena, vers 390-370 ; Bibliothèque nationale de France, De Ridder.818 [Luynes.730 (Inv.116)] (BAPD 230979).

35Sur la seconde, une coupe datée de 390-370 (fig. 14), devant un λουτήριον, l’héroïne nue, ici, debout, tenant sa tête penchée en arrière, comme dans un geste de séduction, est face à Pélée (les deux sont nommés par une inscription). La lutte a fait place à une scène à caractère érotique où les deux protagonistes sont totalement dénudés37. Sur la face externe, un garçon en ἱμάτιον sépare deux jeunes gens nus. Il est tourné, la main droite levée, vers celui qui tient un rhyton (vase à boire en forme de corne), tandis que derrière lui, regardant dans la même direction, serait figuré un athlète, avec un strigile dans sa main droite.

36Ces images montrent les associations construites entre la beauté athlétique de corps entraînés au gymnase et l’érotique, voire le mariage dans le cas d’Atalante, ainsi que le passage possible de l’univers du gymnase vers celui du banquet. Cependant, sauf exception, Atalante n’est, jamais nue38, comme le sont les figures féminines peintes sur les premières céramiques présentées ; et si référence à l’héroïne il y a, celle-ci reste somme toute assez lointaine.

37Dès lors, comment comprendre ces représentations figurées, après avoir écarté une allusion à des scènes domestiques avec entretien du corps dans une perspective hygiéniste, une association aux femmes « athlètes » lacédémoniennes ou encore à Atalante ?

Image 10000201000001900000011FEE2A512D.png

Figure 15 — Hydrie attique, f. r., attribuée au Peintre de Kleophrades, vers 490 ; Londres, British Museum, E201 (1844,0614.1) (BAPD 201723).

38Revenons aux premiers vases décrits et à la combinaison jeunes femmes nues bien musclées (parfois parées d’un σάκκος), λουτήριον et paquetage (et, dans certains cas, aussi bottine[s]). En poursuivant leur mise en série et les variantes proposées par les peintres, la question centrale qui émerge semble être celle de la beauté nue et de la séduction au gymnase. Ainsi, sur une hydrie datée de 490 (fig. 15), la scène encadrée par deux étoffes symétriques montre deux femmes cheveux longs et nues autour du λουτήριον. La première à droite a ses deux mains plongées dans la vasque ; le long de son dos et de ses jambes court l’inscription érotico-esthétique κ(α)λος. La seconde, à gauche, regardant vers l’arrière, tient une éponge de sa main droite et a le pied gauche levé vers l’arrière ; sous son bras droit, en direction de la vasque, on lit de nouveau καλος. Ces adjectifs masculins singuliers sont-ils une adresse au(x) buveur(s) ou un qualificatif des personnages féminins figurés39 ? Des bottes sont posées au sol. Au-dessus, le paquetage est présent mais, là, l’alabastre (vase à parfums) qui renvoie aux bonnes odeurs, à la séduction au féminin, à la beauté, au désir érotique, à la sexualité et éventuellement à la préparation au mariage, a été substitué à l’aryballe40. C’est une forme d’érotisation du monde féminin du même ordre que celle qu’a mise en valeur Françoise Frontisi-Ducroux à propos de l’esthétisation de la femme au miroir ou de la figure de la fileuse41.

Image 100002010000019000000118B4EED4EE.png

Figure 16 — Pyxide attique, f. r., Peintre d’Athènes, vers 450-400 ; Berlin, Antikensammlung, 3403 (BAPD 220538).

39Ce type d’érotisation du corps féminin est, de nouveau, manifeste sur une pyxide, un objet typiquement féminin, daté de 450-400 (fig. 16). On y voit de part et d’autre d’une vasque, à droite un Éros qui tient un aryballe qu’il tend à une figure féminine à la chevelure retenue par un gros chignon, vêtue d’un justaucorps et parée d’un collier, de boucles d’oreilles et de bracelets. Cette dernière, la main gauche posée sur le λουτήριον, présente un strigile à une autre femme totalement vêtue et assise derrière elle vers laquelle elle est tournée. Il y a bien un jeu, ici, du gymnase à l’érotique, puis au mariage, comme le suggèrent également les scènes figurées sur les autres faces de ce même objet : Éros au milieu de jeunes femmes habillées et parées de bijoux dans un univers végétal (l’une d’elle tient un alabastre) ; jeune femme avec miroir ; femme qui porte un coffre. Sur le couvercle, on voit Hermès, peut-être Apollon ainsi qu’Éros entre une fille et un garçon qui jouent avec un cerceau.

Image 100002010000018600000190B0B5D9CD.png

Figure 17 — Stamnos attique, f. r., Groupe de Polygnotos, vers 440-430 ; Boston, Museum of Fine Art, 95.21 (BAPD 213650).

40Cette ambiguïté des espaces, des contextes et de la figuration de corps féminins ciselés plus ou moins nus, avec ou non, selon les cas, les mentions de καλος ou κάλη, est volontaire. On la retrouve aussi sur un stamnos (cruche pour le vin) daté de 440-430 (fig. 17). Sur la face A, on voit trois femmes autour d’un λουτήριον et une colonne. L’une d’elles, un bandeau sur la tête et coiffée d’un chignon, a les mains dans la vasque. Les deux autres tiennent un strigile de la main droite, tandis que la gauche est posée sur le rebord du λουτήριον ; la première, face à sa comparse, porte un σάκκος ; la seconde est tournée vers une servante, figurée avec un tissu sur son épaule gauche, qui tient un vase à parfum (πλημοχόη) de la main droite. Dans le champ de l’image, aux deux extrémités, deux miroirs renvoient à la beauté au féminin42. Ainsi, dans la même scène, « autour de la vasque, le miroir qui préside à la toilette des femmes » et, lui faisant généralement écho, le « paquetage [ici seulement les strigiles] de l’athlète, pour les soins corporels masculins »43 sont réunis. Sur l’autre face, une scène de séduction hétérosexuelle est peinte : une bandelette, dans le champ de l’image, sépare un jeune homme imberbe portant le manteau et le bâton du citoyen de deux femmes totalement vêtues qui lui font face ; la première se distingue par un σάκκος sur la tête, l’autre tient un miroir. Les deux faces de ce vase se répondent manifestement.

Image 100002010000015A000001903DF697B4.png

Figure 18 — Cratère attique à colonnettes, f. r., Peintre de la Centauromachie du Louvre, vers 450-430 av. n. è. ; Bologne, Museo Civico Archeologico, 261 (BAPD 214616).

41Sur un cratère à colonnettes daté de 450-430 (fig. 18), les éléments figurés sont un peu différents. Autour de la vasque, sur laquelle on lit κάλη, se trouvent trois femmes : celle de gauche tient un miroir ; au centre, la femme, tête de profil, au torse de face, brandit un alabastre ; enfin, contrairement aux deux autres, celle de droite est vêtue et soutient une botte de la main droite. Ces objets font référence à la séduction et à l’érotique ; ils ont remplacé le strigile, l’aryballe et l’éponge. Sur l’autre face du vase à boire est figurée une scène de séduction homoérotique, cette fois, avec des garçons bien enveloppés dans leur manteau. La question de la beauté se décline ici du féminin au masculin, du nu au vêtu, de la toilette (ou du gymnase ?) au banquet44.

42Sur d’autres coupes attiques, étudiées par François Lissarrague et Jean-Louis Durand, hommes (adultes accomplis et éphèbes) et femmes sont couverts d’étoffes, de l’ἱμάτιον et du bâton pour les premiers, d’un χιτών, recouvert d’un manteau et du σάκκος pour les secondes45. Seuls le paquetage de l’athlète et le λουτήριον font référence à l’univers du gymnase.

Image 1000020100000190000001288C9B122E.png

Figure 19 — Coupe attique à f. r., Peintre des bottes, vers 460 ; Varsovie, Musée national, 142313, Goluchow, Czartorski, 83 (BAPD 210164).

43D’autres images proposent des dispositifs plus complexes encore dans les associations d’objets et de contexte ; pour autant, la question posée reste celle des déclinaisons de la beauté et du désir en lien avec des activités : gymniques, domestiques, intellectuelles, sexuelles. Ainsi, sur la coupe de Varsovie datée vers 460 (fig. 19), on voit trois femmes totalement nues. La première a les mains plongées dans le λουτήριον. Les deux autres, plus loin, portent un σάκκος sur la tête et s’attellent à plier du linge ; l’une d’elles est accroupie46. Dans le champ de l’image, cette fois, et de gauche à droite : le paquetage de l’athlète, un panier du symposion, un écritoire et du linge47.

44Ce sont là des images complexes qui, sur de la vaisselle de banquet, proposent clairement une esthétisation et une érotisation des corps féminins nus. Ces corps bien ciselés et musclés sont, en effet, des corps désirables que l’on pourrait prendre plaisir à regarder comme à toucher, dans le cadre du gymnase comme du symposion.

Image 1000020100000189000000D78E398505.png

Figure 20 — Stamnos attique, f. r., Peintre des Sirènes, vers 480 ; New York, Shelby White & Leon Levy Collection, New York, market, Sotheby’s, Texas, Hunt Collection, 12 (BAPD 5343).

45Ainsi, sur un stamnos daté vers 480 (fig. 20), autour d’une vasque, un entraîneur tripote en le soupesant le sein droit d’une femme athlétique et totalement nue, une façon peut-être d’évaluer la qualité des chairs ; à côté d’elle, une autre figure féminine, σάκκος sur la tête, se dirige dans une autre direction. Un geste comparable est mis en scène, dans le contexte du banquet, dans un fond de coupe daté vers 520 : celui d’un banqueteur en direction d’une joueuse d’aulos [hautbois] (fig. 21).

Image 10000201000001900000013A9C680D47.png

Figure 21 — Kylix attique, f. r., Gales, vers 520 ; Yale University Art Gallery New Haven, 1913.163 (BA 200308).

46Un texte d’Alciphron écrit aux iie-iiie siècles qui met en scène une Athènes fictive du ive siècle avant n.è. avec des hétaïres comme protagonistes principales, témoigne également des liens durables et complexes entre banquet, beauté, désir, sexualité et gymnase. Il y est question d’une terrible compétition entre Thryallis et Myrrhinè, à propos de leurs fesses, pour savoir laquelle des deux pourrait montrer les plus belles et les plus délicates :

Myrrhinè, d’abord, délia sa ceinture (elle avait une petite tunique en soie) ; elle se trémoussa sous sa tunique et fit onduler ses reins qui ballottaient comme du flan au miel ; elle se retourna pour regarder le mouvement de ses fesses et soupirait doucement comme si elle était en train de faire l’amour – et moi, par Aphrodite, j’étais toute frappée de stupeur, à la fois d’admiration et de crainte. Mais Thryallis ne s’avoua pas vaincue ; elle la surpassa même en indécence. « Je ne vais pas lutter (ἀγωνίσομαι) derrière un manteau, dit-elle, ni faire la prude. Ce sera comme au gymnase (ἐν γυμνικῷ) ; la compétition (ἁγών) ne souffre pas les feintes. » Elle quitta sa petite tunique et, creusant légèrement les reins : “Regarde la couleur de ma peau, Myrrhinè, comme elle est fraîche (de première jeunesse), intacte, pure (ὡς ἄκρηβες, Μυρρίνη, ὡς ἀκήρατον, ὡς καθαρόν) ! et cette nuance rosée des hanches ! et la courbe des cuisses, ni trop grasse, ni trop maigre ! et ces fossettes, au sommet !” Elle ajouta, avec un petit sourire : « Et, par Zeus, ça ne tremble pas comme celles de Myrrhinè ! » Elle remua les fesses en un déhanchement si simple, les faisant tournoyer au-dessus des reins, comme si elle ondulait, que nous applaudîmes toutes et déclarâmes que la victoire allait à Thryallis. Il y eut aussi des comparaisons de hanches et des concours de seins […] mais aucune de nous n’osa confronter son ventre à celui de Philoumenè : elle n’a pas eu d’enfant et elle est dans toute sa fraîcheur (pleine de sève : σφριγῶσα).48

47Le concours de beauté porte sur la capacité des courtisanes à la μαχλοσύνη (lascivité). La première, aux chairs aussi tendres qu’un flan, a une beauté corporelle ultra féminine. La seconde à la beauté nue présente des chairs équilibrées, ni trop grasses ni trop maigres, et fermes, ce qui est attendu et célébré, qu’il s’agisse des cuisses, des fesses ou du ventre ; leur couleur est un indice supplémentaire de leur qualité – la peau est pure, sans tâche à la nuance rosée –, d’un corps plein de sève, donc jeune et beau49. Elle les surpasse toutes : sa beauté nue, sans artifice, comme au gymnase, est celle d’une athlète. En d’autres termes, la plus belle l’est au masculin, suivant un modèle viril, en particulier dans le contexte du gymnase, où les corps qui s’exposent doivent susciter du désir parce qu’ils sont agréables au regard. Aussi un corps aux formes équilibrées et aux justes proportions désigne-t-il la plus désirable et la plus belle. C’est précisément, d’ailleurs, de cette façon que les peintres de l’époque classique ont figuré les hétaïres, dotées d’un corps athlétique et aux belles formes50.

48La nudité athlétique au féminin et ses représentations, principalement sur de la vaisselle de banquet, sont sujettes à de subtiles variations : de la nudité totale, à la nudité quasi totale avec σάκκος sur la tête, au bikini, au caleçon ou au justaucorps. Ces corps féminins musclés et bien ciselés, ainsi virilisés et idéalisés, aussi bien nus, partiellement nus que couverts, dans des scènes dites de toilette, sont, de plus, accompagnés d’objets qui rappellent les liens entre le gymnase (paquetage, strigile et aryballe, éponge), la séduction, le désir, l’érotique (alabastre, miroir, sandales et bottines) et le banquet. Ces corps et ces objets avec lesquels les peintres jouent en modifiant des associations attendues et supposées conventionnelles permettent le passage ou des interactions entre univers féminin et masculin, du gymnase au symposion, et deviennent les supports d’un possible discours sur la beauté véritable : envisageable au féminin, si toutefois ce féminin est caractérisé par sa jeunesse et virilisé par l’aspect du corps comme par des objets. C’est pourquoi il n’est probablement pas nécessaire d’associer ces jeunes femmes figurées aux Lacédémoniennes, à Atalante ou encore à des hétaïres, même si ces figures féminines athlétiques permettent de déployer un imaginaire social riche, ni non plus d’associer ces images à des formes de voyeurisme. En effet, l’analyse succincte de la série d’images considérée et de ses variations suggère qu’il y a, de la part des peintres, une invitation destinée aux banqueteurs spectateurs ou banqueteuses (si ce sont des hétaïres) qui regardent ces images à penser la beauté nue ou semi-nue, la séduction, le désir et la sexualité, au féminin ou plus exactement à partir de modèles féminins jeunes et virilisés, peut-être « contre nature »51.

49Ces images sont, ainsi, produites pour le plaisir des yeux, ceux des citoyens sur la vaisselle de banquet, ou encore des hétaïres, mais peut-être aussi pour le plaisir des épouses de citoyens sur d’autres supports (hydries, lécythes, pyxides)52. Elles agissent comme des connecteurs. Elles permettent à partir d’un fond culturel commun d’enclencher un discours, une réflexion sur la vraie beauté, c’est-à-dire sur la beauté nue façonnée par l’exercice au gymnase et sur ses liens avec la séduction, le désir et l’érotique, aussi bien au gymnase qu’au symposion. Dans ce contexte, il semblerait que la plus belle et désirable le soit forcément au masculin. La beauté féminine totale ne serait concevable, en effet, qu’au masculin, sur un modèle défini comme viril, conforme aux normes liées au statut (appartenance au groupe des citoyens), à l’âge (être jeune et plein de sève), au genre et à un discours aristocratique caractéristique, en particulier, de l’époque classique à Athènes. Pour autant, ces corps atypiques figurés autour du λουτήριον et articulés à des objets masculins féminisent l’espace du gymnase ou de la palestre, déconstruisant ainsi les normes de genre.

Notes

1 Corinne Bonnet et Vinciane Pirenne-Delforge, « ‘Cet obscur objet du désir’. La nudité féminine entre Orient et Grèce », Mélanges de l’École française de Rome, 116-2, 2004, p. 827-870 [850]. En l’absence de précision, les dates sont antérieures à notre ère.

2 Sur la morphologie des corps entraînés, voir Harold Arthur Harris, Greek Athletes and Athletics, Westport, Hutchinson, 1964 ; Valérie Visa-Ondarçuhu, L’Image de l’athlète d’Homère à la fin du ive siècle avant J.-C., Paris, Les Belles Lettres, 1999, et eadem, « L’athlète grec et la recherche de la minceur », dans E. Galbois et S. Rougier-Blanc (dir.), Maigreur et minceur dans les sociétés anciennes. Grèce, Orient, Rome, Bordeaux, Ausonius éditions, 2020, p. 247-268 ; Pierre Brulé, « Le corps sportif », dans Francis Prost, Jérôme Wilgaux (dir.), Penser et représenter le corps dans l’Antiquité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 263-287 ; Jean-Paul Thuillier, « Le corps de l’athlète », dans Marie-Hélène Garrelli, Valérie Visa-Ondarçuhu (dir.), Corps en jeu de l’Antiquité à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 339-350 ; Karine Karila-Cohen, « Les gourmands grecs sont-ils bien en chair ? », dans Karine Karila-Cohen, Florent Quellier (dir.), Le Corps gourmand d’Héraclès à Alexandre le Bienheureux, Rennes-Tours, Presses universitaires de Tours, 2012, p. 109-132 [113-116] ; sur la nudité athlétique, voir notamment Florence Gherchanoc, « Nudités athlétiques et identités en Grèce ancienne », dans Florence Gherchanoc et Valérie Huet (dir.), S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens, Mètis, N. S. 6., 2008, p. 75-101. Sur la beauté du corps dans l’Antiquité, Nicholas Vlahogiannis, « Disabling Bodies », dans Dominic Montserrat (dir.), Changing Bodies, Changing Meanings. Studies on the Human Body in Antiquity, Londres et New York, Routledge, 1998, p. 13-36 ; Richard Hawley, « The Dynamics of Beauty in Classical Greece », dans D. Montserrat (ed.), op. cit., p. 37-54 ; Ineke Sluiter, Ralph Mark Rosen (dir.), Kakos. Badness and Anti-Value in Classical Antiquity, Leyde-Boston, Brill, 2008 ; Catherine Baroin, « La beauté du corps masculin dans le monde romain : état de la recherche récente et pistes de réflexion », dans Florence Gherchanoc (dir.), L’Histoire du corps dans l’Antiquité : bilan historiographique, Dialogues d’histoire ancienne, 41/1, Supplément 14, 2015, p. 31-52 ; David Konstan, Beauty. The Fortunes of an Ancient Idea, Oxford, Oxford University Press, 2015 et Id., « Beauty », dans Pierre Destrée et Penelope Murray (dir.), A Companion to Ancient Aesthetics, Malden, Wiley-Blackwell, 2015, p. 366-379 ; Florence Gherchanoc, Concours de beauté et beautés du corps en Grèce ancienne. Discours et pratiques, Bordeaux, Ausonius éditions, 2016. Sur la πολυσαρκία, l’ὑπερσαρκία et l’εὐσαρκία, voir K. Karila-Cohen, art. cité ; sur la juste mesure : Florence Gherchanoc, « De beaux corps, ‘ni trop maigres’, ‘ni trop gras’, en Grèce ancienne », dans E. Galbois et S. Rougier-Blanc (éd.), op. cit., p. 113-124.

3 Lucien, De la Danse, 75 (trad. Muller-Dufeu 2002, no 1157). Sur le canon de Polyclète et les statues athlétiques, voir entre autres, Pierre Amandry, « À propos de Polyclète : statues d’olympioniques et carrières de sculpteurs », dans Konrad Schauenburg (dir.), Charites. Studien zur Altertumwissenschaft. Festschrift E. Langlotz, Bonn, Athenäum, 1957, p. 63-87 ; Richard Tobin, « The Canon of Polykleitos », AJA, 79.4, 1975, p. 307-32 ; Andrew Stewart, « The ‘Canon of Polykleitos’ : A Question of Evidence », JHS, 98, 1978, p. 122-131 ; Gregory Vincent Leftwich, Ancient Conceptions of the Body and the Canon of Polykleitos, Ph.D. dissertation, Princeton, 1987 ; Herbert Beck, Peter Cornelis Bol et Maraike Bückling, Polyklet : Der Bildhauer der griechischen Klassik, Mayence, Ph. von Zabern, 1990 ; Thuri Lorenz, « Der Doryphoros des Polyklet : Athlet, Musterfigur, politisches Denkmal oder mythischer Herld ? », Nikephoros, 4, 1991, p. 177-190 ; Warren G. Moon (dir.), Polykeitos, The Doryphoros, and Tradition, Madison, University of Wisconsin Press, 1995 ; Gregory Vincent Leftwich, « Polykleitos and Hippocratic Medicine », dans W. G. Moon (dir.), op. cit., p. 38-51 ; Adolf H. Borbein, « Polykleitos », dans Olga Palagia, Jerome Jordan Politt (dir.), Personal Styles in Greek Sculpture, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 66-90 ; Claude Rolley, La Sculpture grecque, 2, Paris, Picard, 1999, p. 26-53.

4 Galien, Art médical, xiv, 6. Sur la συμμετρία, cf. aussi Galien, Art médical, xiv, 5 (trad. V. Boudon-Millot, CUF, Les Belles Lettres, Paris, 2000).

5 Véronique Boudon-Millot, « Galien de Pergame face au mirage de la beauté parfait », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, fasc. 1, 2006, p. 127-141 [141]. Voir également Édouard Felsenheld, « Images du corps athlétique chez Galien », dans Marie-Hélène Garrelli et Valérie Visa-Ondarçuhu (éd.), op. cit., p. 303-318.

6 Hippocrate, Des Maladies des femmes, i, 1 : « La femme a la chair plus flasque (ἀραιοσαρκοτέρην) et plus molle (ἁπαλωτέρην) que l’homme » (trad. É. Littré, J. B. Baillière, Paris, 1853).

7 Voir Lydie Bodiou, Florence Gherchanoc, Valérie Huet, et Véronique Mehl (dir.), Parures et artifices : le corps exposé dans l’Antiquité, Paris, L’Harmattan 2011.

8 Platon, Gorgias, 465b (trad. légèrement modifiée d’A. Croiset, CUF, Les Belles Lettres, 1997) : τῇ δὲ γυμναστικῇ κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον τοῦτον ἡ κομμωτική, κακοῦργός τε καὶ ἀπατηλὴ καὶ ἀγεννὴς καὶ ἀνελεύθερος, σχήμασιν καὶ χρώμασιν καὶ λειότητι καὶ ἐσθῆσιν ἀπατῶσα, ὥστε ποιεῖν ἀλλότριον κάλλος ἐφελκομένους τοῦ οἰκείου τοῦ διὰ τῆς γυμναστικῆς ἀμελεῖν.

9 C. Bonnet et V. Pirenne-Delforge, art. cité, p. 866.

10 Xénophon Constitution des Lacédémoniens, I, 4 ; Plutarque, Lycurgue, xiv, 3. Voir Paul Cartledge, « Spartan Wives : Liberation or Licence? », Classical Quarterly, n. s. 31/1, 1981, p. 84-109 [91-93] ; Sarah B. Pomeroy, Spartan Women, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 12-19 ; Aleksander Wolicki, « Women and Sport in Classical Sparta. Myth and Reality », dans Ryszard Kulesza et Nicholas V. Sekunda (dir.), Studies on Ancient Sparta, Akanthina, no 14, Gdańsk, Gdańsk University Press 2020, p. 29-56.

11 Pausanias, v, 16, 2-8. Voir Thomas Francis Scanlon, « The Footrace of the Heraia at Olympia », Ancient World, 9.3, 1984, p. 77-90 ; Nancy Serwint, « The Female Athletic Costume at the Heraia and Prenuptial Initiation Rites », American Journal of Archaeology, vol. 97, no 3, 1993, p. 403-422 ; Matthew Dillon, « Did Parthenoi attend the olympic games? Girls and women competing, spectating, and carrying out cult roles at greek religious festivals », Hermes: Zeitschrift für klassiche Philologie, 128/4, 2000, p457-480 ; Dolores Mirón « The Heraia at Olympia: Gender and Peace », American Journal of Ancient History, 3-4, 2004-2005 [2007], p. 7-38 ; Donald G. Kyle, « Greek Female Sport. Rites, Running, Racing », dans Paul Christesen, Donald G. Kyle (dir.), A Companion to Sport and Spectacle in Greek and Roman Antiquity, Malden, Wiley-Blackwell, 2013, p. 258-275, [264-266] ; Flavien Villard, « Des jeunes filles qui courent : le concours des Heraia à Olympie », La camera blu, 17, 2017 : DOI : 10.6092/1827-9198/5379.

12 Voir Lilly Kahil, « L’Artémis de Brauron. Rites et mystère », Antike Kunst, 20, 1977, p. 86-98 ; Pierre Brulé, La Fille d’Athènes. La religion des filles à Athènes à l’époque classique. Mythes, cultes et société, Paris, Les Belles Lettres, 1987 (Annales littéraires de l'Université de Besançon 363), p. 250-257.

13 L’analyse d’un corpus parallèle produit en Grande Grèce prolongerait ce dossier. Sur le λουτήριον, la façon dont il construit et polarise l’espace, sa polyvalence symbolique, voir Jean-Louis Durand et François Lissarrague, « Un lieu d’images ? L’espace du louterion », Héphaïstos, 2 1980, p. 89-106 (repris dans Christian Jacob, Frank Lestringant (ed.), Arts et légendes d’espaces. Figures du voyage et rhétoriques du monde, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1981, p. 125-148). Sur cet espace, comme milieu féminin et lieu de rencontre possible avec des hommes, Susanne Pfisterer-Haas, « Mädchen und Frauen am Wasser. Brunnenhaus und Louterion als Orte der Frauengemeinschaft und der möglichen Begegnung mit einem Mann », Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts, 117, 2002, p. 1-79, en particulier p. 40-57.

14 Sur la toilette, voir René Ginouvès, Balaneutikè, Recherches sur le bain dans l’antiquité grecque, Paris, De Boccard, 1962.

15 Sur cette rencontre « avec le monde masculin du sport » (p. 272) autour de trois éléments (la nudité, le λουτήριον et le paquetage de l’athlète) et l’évocation d’un « monde à rêver » (p. 276) à propos de la beauté des corps, voir Hélène Guiraud, « Représentations de femmes athlètes (Athènes, vie-ve siècle avant J.-C.) », Clio. FGH, 23, 2006, p. 269-278. Pour une analyse des objets, qualifiant « les personnages plutôt que les lieux » (§ 27) et de leur permutation autour du λουτήριον, ainsi qu’une articulation entre cet espace et celui du banquet, voir Noémie Hosoi, « Des femmes au louterion. À la croisée d’une esthétique masculine et féminine au travers des objets », Images re-vues, 4, 2007. Sur le strigile et l’univers aristocratique masculin, Ellen Kotera-Feyer, « Die Strigilis in der attisch-rotfigurigen Vasenmalerei: Bildformeln und ihre Deutung », Nikephoros, 11, 1998, p. 107-136.

16 A contrario, cf. Londres, British Museum, E83, vers 430 (trois éphèbes autour d’un podaniptère).

17 Voir François Lissarrague, « Publicity and performance: kalos inscriptions in Attic vase-painting », dans Simon Goldhill, Robin Osborne (dir.), Performance culture and Athenian democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 359-373, et idem, « La place des mots dans l’imagerie attique », Pallas, 93, 2013, p. 69-79.

18 Voir Pierre Brulé, « Bâtons et bâton du mâle, adulte, citoyen », dans Lydie Bodiou, Dominique Frère, Véronique Mehl (dir.), L’Expression des corps. Gestes, attitudes, regard dans l’iconographie antique, Rennes, 2006, p. 75-84.

19 Sur les faces externes de la coupe, on voit entre autres plusieurs jeunes hommes se raclant le corps munis d’un strigile, après l’effort, des paquetages, un bâton, des haltères ; l’un d’entre eux a puisé de l’eau, ce qui, comme le note Ginouvès (op. cit.), « associe bien la cuvette aux opérations du bain à la palestre » (note 10, p. 128). Sur un autre fond de coupe (Paris, Louvre, G 297), un homme barbu nu se penche au-dessus d’un podaniptère, avec derrière lui le paquetage et le bâton.

20 Sur l’autre face de la coupe, le même jeune homme portant le manteau du citoyen est appuyé sur un bâton devant une demi-colonne décorée d’une bandelette, et, au-dessus, le paquetage de l’athlète.

21 Cf. également Aléria, Musée archéologique, 67.338 (2200a) ; Jean & Laurence Jehasse, La Nécropole préromaine d’Aleria (1960-68), Paris, CNRS, 1973, Pl. 76, vase no 1775, vers 425-375 (BAPD 10602).

22 T. F. Scanlon, op. cit., p. 199-273 ; sur la connotation érotique de ces scènes autour du λουτήριον, p. 190-198. Sur la valeur érotique de la sandale dans le cadre du banquet, voir J.-L. Durand et F. Lissarrague, art. cité, p. 137. Plus récemment, sur les chaussures et ses liens avec l’érotique, voir Sally Waite et Emma Gooch, « Sandals on the wall : the symbolism of footwear on Athenian painted pottery », dans Sadie Pickup, Sally Waite (dir.), Shoes, Slippers and Sandals. Feet and Footwear in Classical Antiquity, Londres-New York, Routledge, 2019, p. 17-89 [47-48].

23 Claude Bérard, « L’impossible femme athlète », AION, 8, 1986, p. 195-202 [199].

24 Giampiera Arrigoni, « Donne e sport nel mondo greco », dans G. Arrigoni (dir.), Le Donne in Grecia, Bari, Laterza, 1985, p. 55-201.

25 Andrew F. Stewart, Art, Desire and the Body in Ancient Greece, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 120-122.

26 Jenifer Neils, « Spartan Girls and Athenian Gaze », dans Sharon L. James, Sheila Dillon (dir.), A Companion to Women in the Ancient World, Malden, Wiley-Blackwell, 2012, p. 153-166, p. 158. De même, pour Adrian Stähli (« Nackte Frauen », dans Stefan Schmidt et John Howard Oakley (ed.), Hermeneutik der Bilder. Beiträge zur Ikonographie und Interpretation griechischer Vasenmalerei, Corpus Vasorum Antiquorum, 4, Munich, Beck, 2009, p. 43-51), ces images sont un medium par lequel la forme féminine peut être offerte au regard masculin, cependant sans lien avec le monde athlétique. Comme le remarque Caroline Vout (« La “nudité héroïque” et le corps de la “femme athlète” dans la culture grecque et romaine », dans Florence Gherchanoc, Valérie Huet, Vêtements antiques. S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens, Arles, Errances, 2012, p. 239-252 [240]), cela laisse de côté la « problématique de la visibilité féminine », de la nudité et de l’athlétisme, des modèles homologues masculins et, enfin, de « la convention artistique de la nudité féminine et masculine ».

27 Homère, Odyssée, xiii, 412 : « Lacédémone aux belles femmes (καλλιγύναικα) ».

28 Aristophane, Lysistrata, 78-84. Voir S. B. Pomeroy, op. cit., p. 27 sur la pratique de la βίβασις, et p. 53 et 147 ; également Jean Ducat, Spartan Education. Youth and Society in the Classical Period, Swansea, Classical Press of Wales, 2006, p. 230231. Cf. Pollux, iv, 102.

29 Euripide, Andromaque, 595-601. Cf. Ibycos de Rhégion (vers 525 av. J.-C.), Fragment 58 et Sophocle, fr. 872 Radt cités respectivement par Plutarque, Numa, XXV, 6 et XXV, 8. Voir F. Gherchanoc, « Nudités athlétiques… », art. cité, p. 94-96.

30 Théocrite, Idylles xviii. Épithalame d’Hélène, 23-25 : χρισαμέναις ἀνδριστὶ παρ᾽ Εὐρώταο λοετροῖς, /τετράκις ἑξήκοντα κόραι, θῆλυς νεολαία,/τᾶν οὐδέν τις ἄμωμος, ἐπεί χ᾽ ῾Ελένᾳ παρισωθῇ.

31 Cf. également Londres, British Museum, 1876,0510.1 (ici, le χιτών est plus long et le sein droit dénudé, comme les filles lors des Héraia à Olympie décrites par Pausanias, v, 16, 2-8) ; Paris, Louvre, BR171 (ici, le χιτών est long, la femme semble en pleine course et porte le bonnet de l’athlète sur la tête).

32 Lampito étranglerait un taureau. Or le ταῦρος désigne également le membre viril (πέος), avec lequel elle pratiquerait une sorte de lutte « sexuelle » (Aristophane, Lysistrata, 80) ; voir Jean Taillardat, Les Images d’Aristophane. Études de langue et de style [1962], Paris, Les Belles Lettres, 1965, no 91, p. 72.

33 Apollodore, Bibliothèque, iii, 9, 2. Sur Atalante, voir entre autres Judith M. Barringer, « Atalanta as Model: The Hunter and the Hunted », Classical Antiquity, 15, no 1, 1996, p. 48-76 ; Thomas Francis Scanlon, Eros and Greek Athletics, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 175-198 ; C. Vout, art. cité, p. 242-244 ; Émilie Druilhe, Farouche Atalante. Portrait d’une héroïne grecque, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

34 Ainsi, sur une hydrie chalcidienne à figures noires datée de 540-530 (Munich, Staatliche Antikensammlungen, 596), son corps bien musclé est couvert par une sorte de justaucorps ou tunique très courte s’arrêtant sous ses fesses. Sa peau est blanche, ce qui rappelle qu’elle est femme. Dans le champ de l’image, une hure évoque le souvenir de la chasse à laquelle l’héroïne a participé. Sur une amphore attique à figures noires attique, datée de 500-490 (Munich, Staatliche Antikensammlungen 1541 n2 [= J 584]), l’épisode représenté est le même. La carnation d’Atalante est blanche ; cependant, elle porte uniquement un διάζωμα, une ceinture, qui cache le sexe, ce qui, d’après Thucydide, est caractéristique des athlètes des anciens temps et des barbares de l’époque classique quand ils combattent à la lutte et au pugilat (Thucydide, i, 6, 3-6). Cf. également le col d’une amphore à figures noires datée vers 500-475 : Berlin, Staatliche Museum (Schloss Charlottenburg), F1837 (BADP 305527). Enfin, sur une coupe attique à figures rouges, datée vers 525-475, elle est vêtue d’un διάζωμα et d’un σάκκος, tous deux joliment décorés, un peu comme sur la figure 13 infra ; sur l’autre face, Héraclès combat le lion de Némée (Bologne, Museo Civico Archeologico, 361 ; BADP 200549).

35 Voir Diana Buitron-Oliver, Douris: A Master-Painter of Athenian Red-Figure Vases, Mainz am Rhein, Ph. von Zabern, 1995, p. 18.

36 Sur les liens entre course et mariage, voir F. Gherchanoc, « Nudités athlétiques… », art. cité, p. 82, 86 et 88.

37 Sur cette rencontre entre palestre et érotique, voir J.-L. Durand et F. Lissarrague, art. cité, p. 139-140.

38 La nudité, en effet, ne construit généralement pas son identité ; sans l’inscription, il serait impossible de l’identifier, ni d’ailleurs Pélée (voir C. Vout, art. cité, p. 243). La coupe est, en outre, de date tardive, du début du ive siècle, un siècle où se développe plus largement le dévoilement du corps féminin, avec en premier lieu l’Aphrodite de Praxitèle vers 350 (voir Christine Mitchell Havelock, C.M., The Aphrodite of Knidos and Her Successors : A Historical Review of the Female Nude in Greek Art, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1995 ; C. Vout, art. cité, p. 243).

39 Sur ces adjectifs, καλος au masculin et κάλη au féminin (cf. infra à propos de la figure 18), en lien avec une esthétisation des corps dans un « contexte androcentriste et andromorphiste » où la femme ne serait qu’une variante de l’éromène, l’objet aimé, mâle d’abord », et dont la beauté se mesurerait « à l’aune du masculin » (p. 181), voir Françoise Frontisi-Ducroux, « Kalé : le féminin facultatif », Mètis, 13, 1998, p. 173-185. URL : https://www.persee.fr/doc/metis_1105-2201_1998_num_13_1_1081), en particulier p. 176-177.

40 Sur l’alabastre, voir Panayota Badinou, La Laine et le parfum, Epinetra et alabastres, forme, iconographie et fonction, Recherche de céramique attique féminine, Louvain-Dudley, Peeters, 2003, p. 65-72 ; Isabelle Algrain, L’Alabastre attique. Origine, forme et usages, Bruxelles / Paris, CReA-Patrimoine / De Boccard, 2014 (Études d’archéologie 7), p. 159. Sur une autre coupe attique à figures rouges attribuée à Makron (Godalming, Charterhouse School Museum 1960.74), le personnage féminin, cheveux relevés, nu, dos à un podaniptère, tient deux bottes dans ses mains, au-dessus desquelles sont suspendus un paquetage avec alabastre ; on lit κάλη, une inscription la qualifiant peut-être ou bien une exclamation destinée aux spectateurs / spectatrices de l’image et signalant le plaisir que celle-ci doit susciter.

41 Voir Françoise Frontisi-Ducroux, Dans l’œil du miroir, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 88-91 et 111.

42 Ibid.

43 Ibid., p. 84.

44 Les éléments sont comparables sur le cratère de Dresde daté vers 475-425 (Staatl. Kunstsammlungen, Albertinum ZV797) : l’inscription κάλη sur le λουτήριον ; deux femmes nues, dont l’une, au centre le torse de face, tient une large bandelette, l’autre, vêtue de longs voiles et d’un σάκκος sur la tête, tient un miroir ; strigile et aryballe sont dans le champ de l’image. Sur l’autre face, de jeunes hommes sont emmitouflés dans des étoffes ; des haltères sont figurées en haut et à gauche dans le champ de l’image. Voir également le skyphos de Bruxelles daté vers 470 (Musées royaux A11), où sur l’une des faces, des femmes empêtrées dans des étoffes se tiennent autour d’un λουτήριον ; l’une tient un miroir. Sur l’autre face, à l’extérieur, on voit un arbre sur lequel est suspendu un paquetage athlétique. Devant, autour d’un λουτήριον, se font face un jeune garçon emmitouflé et un adulte lui aussi enveloppé dans son manteau ; on a là une scène de séduction homoérotique.

45 J.-L. Durand et F. Lissarrague, art. cité, p. 132-133 : fig. 11 = Londres, Sotheby, 12-61967, no 132 ; fig. 12 = Varsovie 142 313 (CV Goluchow 1, pl. 36).

46 Cette posture est également celle d’une femme avec σάκκος sur la tête figurée entre, à gauche, un paquetage d’athlète, et, à droite, un podaniptère, sur une kylix attique à figures rouges du peintre de Triptolème : elle soutient de sa main gauche un ballot d’étoffes pliées et tient de l’autre une πλημοχόη (Galerie Nefern Ancient Art, Zürich, Auktion 5, 1987, no 10 = Ulla Kreilinger, « To Be or not to Be a Hetaira : Female Nudity in Classical Athens » dans Silvia Schroer (dir.), Images and Gender : Contributions to the Hermeneutics of Reading Ancient Art, Fribourg, Academic Press, 2006, p. 229-237, pl. 14, fig. 1).

47 Pour d’autres variantes, cf. une peliké attique, datée vers 500-450 (Syracuse, Museo Arch. Regionale Paolo Orsi, 20065) avec une figure féminine nue, σάκκος sur la tête, les mains dans un cratère cloche, et derrière elle, un tabouret où sont posés un ballot d’étoffes et deux bottines, avec de part et d’autre, dans le champ de l’image une éponge et un strigile ; sur l’autre face, sa réplique, ὄλισϐος (godemiché en cuir) en main, saute dans un panier rempli de phallus. Les univers du banquet et du gymnase associés à la dimension sexuelle s’interpénètrent. Cf. Corinna Reinhardt, « Schaleninnenbild und Betrachter – Präsentation weiblicher Nacktheit am Ende der Archaik und Beginn der Klassik in Athen (ca. 520–460 v. Chr.) », dans Lars Allolio-Näcke, Jürgen van Oorschot, Ute Verstegen (dir.), Nacktheit – transdisziplinäre anthropologische Perspektiven, Münster, LIT Verlag, 2019, p. 77-104, p. 96, fig. 16a-b et Paris, Louvre, G14 (vers 525-455).

48 Alciphron, Lettres de pêcheurs, de paysans, de parasites et d’hétaïres, iv, 14 (trad. A.-M. Ozanam légèrement modifiée, La Roue à livres, 1999).

49 Voir F. Gherchanoc, « De beaux corps… », art. cité, p. 121-122.

50 Sur les hétaïres en images, voir entre autres Pauline Schmitt Pantel, « Les femmes grecques et l’andron », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 14 | 2001, 155-181. URL : http://journals.openedition.org/clio/109, p. 173 sq. et la bibliographie citée ; p. 133 sq. ; Elke Hartmann, Heirat, Hetärentum und Konkubinat im klassischen Athen, Frankfurt-New York, Campus, 2002, p. 147-157 ; cf. par ex. Munich, Antikensammlungen, 2421 (ARV2, 23, 7), vers 510. Cependant, comme le note François Lissarrague (« Femmes au figuré », dans Georges Duby et Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident. IL’Antiquité, Paris, Plon, 1991, p. 159-251 [239]), dans les représentations de l’époque archaïque, il est difficile de préciser le statut de ces femmes : hétaïres, libres ou esclaves. Voir aussi, U. Kreilinger, art. cité, qui, pour les images d’époque classique, discute de l’identification de ces jeunes femmes à la toilette, nues, belles, attractives et désirables : hétaires, divinités et possiblement futures épouses.

51 Voir C. Vout, art. cité, p. 246.

52 F. Frontisi-Ducroux, Dans l’œil du miroir, op. cit., p. 91.

Pour citer ce document

Florence Gherchanoc, « Des corps nus, athlétiques et féminins dans l’imagerie attique classique. Déconstruire le genre ou décliner des discours conventionnels grecs sur la vraie beauté ? » dans « Corps, normes, genre. Discours et représentations de l’Antiquité à nos jours », « Synthèses & Hypothèses », n° 2, 2022 Licence Creative Commons
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International. Polygraphiques - Collection numérique de l'ERIAC EA 4705

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/eriac/index.php?id=915.

Quelques mots à propos de :  Florence Gherchanoc

Florence Gherchanoc est professeure d’histoire grecque à l’Université de Paris (ex. Paris Diderot). Elle appartient à l’équipe de recherche ANHIMA, UMR 8210. Spécialiste de l’histoire de la famille, ses travaux de recherche portent plus spécifiquement depuis une quinzaine d’années sur le corps et le vêtement en Grèce ancienne dans une perspective d’anthropologie historique. Elle a notamment publié L’oikos en fête. Célébrations familiales et sociabilité en Grèce ancienne aux Publications de la Sorbonne, à Paris, en 2012 et Concours de beauté et beautés du corps en Grèce ancienne. Discours et pratiques, aux Éditions Ausonius, à Bordeaux, en 2016.