Sommaire
2 | 2022
Corps, normes, genre. Discours et représentations de l’Antiquité à nos jours
Ce numéro de la revue électronique de l’ERIAC Synthèses & Hypothèses est le point d’arrivée d’un séminaire qui s’est poursuivi sur deux années (2017-2019), dans le cadre du Programme 2 de l’ERIAC : « Formes, expériences, interprétations », et des deux Journées d’étude qui l’ont conclu (en 2018 et 2019), sous le titre « Corps, normes, genre : discours et représentations de l’Antiquité à nos jours ». Les séances de séminaire ont donné la parole à des enseignants-chercheurs, de l’Université de Rouen Normandie et d’autres Universités, à des doctorants ou de jeunes docteurs, à des étudiants de Master, spécialistes de différentes périodes historiques et de questions très variées (le corps dans l’Antiquité, le roman mexicain contemporain, la vie des femmes indiennes, les pratiques sportives aux États-Unis, etc.), dans une approche résolument transdisciplinaire, qui correspond au profil de notre unité de recherche.
- Catherine Baroin et Anne-Florence Gillard-Estrada Introduction
- Ambiguïté sexuelle et normes de genre : fictions et pratiques
- Isabelle Gassino Le corps paradoxal de l’orateur antique : l’exemple de Favorinos d’Arles
- Christelle Ha Soon-Lahaye Transgression de la norme chez Maxine Hong Kingston
- Pauline Doucet La binarité des sexes à l’épreuve du Corps naufragé d’Ana Clavel
- Peter Marquis Protégées mais surveillées. Les débats sur la mixité sportive au prisme des normes de féminité pour les compétitrices cisgenres, intersexuées et transgenres.
- Discours et images sur la nudité, le masculin et le féminin
- Florence Gherchanoc Des corps nus, athlétiques et féminins dans l’imagerie attique classique. Déconstruire le genre ou décliner des discours conventionnels grecs sur la vraie beauté ?
- Ginette Vagenheim Nudité et mixité dans le De arte gymnastica (1573) de Girolamo Mercuriale. Le dilemme du médecin humaniste et du chrétien
Le corps mis en images et en scène
Le corps dans La Passion selon Sade de Sylvano Bussotti
Pietro Milli
Dans La Passion selon Sade, l’une des œuvres les plus remarquables et transgressives du compositeur Sylvano Bussotti (1931-2021), la question du corps et des normes qui le régissent se manifeste non seulement dans un florilège hardi d’évocations musicales, littéraires et visuelles (les Passions de Bach, les personnages sadiens de Justine et Juliette, un poème de Louise Labé…), mais aussi dans le traitement de ces matériaux hétérogènes. En nous appuyant sur sa partition, sur les écrits du compositeur, ainsi que sur les documents relatifs à sa création italienne (1965, Teatro Biondo de Palerme) et française (2017, Théâtre de Nîmes, mise en scène d’Antoine Gindt), nous nous attacherons précisément à montrer en quoi cette œuvre, défiant certaines catégories esthétiques traditionnelles, fait du corps un champ des possibles et un lieu de désirs, où l’histoire continue de s’écrire.
1Dans une comédie perdue du poète athénien Phérécrate, dont un dialogue ancien1 nous restitue une longue citation, une femme incarnant la Musique se présente face à la Justice (Dikaiosunè) pour dénoncer des compositeurs l’ayant corrompue. Mélanippidès, Cinésias, puis Phrynis l’auraient en effet violentée en introduisant des innovations musicales, comme l’ajout de cordes à la lyre ou l’utilisation de modulations discordantes. Le corps de la Musique, tout maltraité, aurait enfin subi les exactions d’un dernier compositeur, appelé Timothée : « Il a introduit des fourmillements monstrueux, hors de toute harmonie, des notes suraiguës et illicites, des fioritures, il m’a remplie tout entière de chenilles comme une rave… et quand il me rencontrait par hasard me promenant seule, il me déshabillait et me mettait en pièces avec douze cordes »2. Si la philosophie grecque, on le sait, a établi une doctrine de l’ethos3, qui explique comment la musique peut influencer l’âme, les comportements, voire la santé physique de l’être humain, cette scène nous présente un renversement singulier : la Musique, incarnée par une femme, subit la violence de compositeurs transgressant des normes esthétiques. Une fois corrompue, la Musique ne peut que s’en remettre à la Justice, garante du nomos dans sa triple signification (coutume, loi et mode musical). En somme, la Justice est censée rétablir une unité perdue, celle qui permet à l’ordre musical et social de se pérenniser. Dans un tout autre contexte, La Passion selon Sade4, mystère de chambre du « compositeur, interprète, peintre, lettré, décorateur, réalisateur, costumier et acteur »5 Sylvano Bussotti (Florence, 1931 – Milan, 2021), interroge précisément la manière dont la musique, mais aussi la littérature et les arts visuels deviennent des corps. Corps sensuels, dérangeants, choquants, dont une seule loi ‒ celle du désir ‒ peut délimiter les contours.
La passion des corps chez Bussotti
2Créée le 5 septembre 1965 au Teatro Biondo de Palerme6, l’œuvre connaît rapidement un succès international, dont témoigne sa reprise au Théâtre de l’Odéon à Paris en 1966, lors du Festival Le Domaine Musical organisé par Pierre Boulez, puis à Stockholm et à New York en 19687. À l’occasion de la création italienne et française, son titre a tout de même dû être amputé. En Italie, le mot « Passion » fut remplacé par un astérisque (* selon Sade) pour éviter le blasphème et « ne pas heurter la susceptibilité du Cardinal de Palerme »8 ; en France, c’est le nom de Sade qui fut remplacé par un X (La Passion selon X), car les héritiers du Marquis s’étaient opposés, selon Bussotti, à l’utilisation de son nom pour toute représentation publique, notamment à la suite de la création de la pièce Marat/Sade de Peter Weiss à Berlin, en 19649.
3Par ce titre provocateur, l’œuvre évoque des références musicales et littéraires hétérogènes. Sur le plan musical est bien présent le souvenir de la Passion selon Saint Jean et de la Passion selon Saint Matthieu de Bach, dont le nom apparaît en dessous de celui de Sade dans le livret de l’œuvre. Mais la passion, au sens étymologique de « souffrance », s’exprime aussi dans le rapport entre la voix de mezzo-soprano, incarnant le personnage sadien de Justine/Juliette10, et l’ensemble instrumental, constitué d’un orgue, deux pianos (ainsi qu’un célesta et un harmonium), deux harpes, des percussions, une flûte, un hautbois, un hautbois d’amour, un cor et un violoncelle. Le chant est en effet « comprimé, serré, presque emprisonné et victime »11 de tous ces instruments, évoquant ainsi les supplices subis par les héroïnes sadiennes. Si, dans La Philosophie dans le boudoir, Dolmancé narre de manière blasphématoire la Passion du Christ12, aucun des textes de Sade n’a été mis en musique dans cette œuvre. En dépit de ce que l’on pourrait croire au premier abord, le compositeur, qui a qualifié cette œuvre d’« oratorio laïc »13, n’a pas eu l’intention de faire une critique de la religion chrétienne, même si le sujet abordé est irrévérencieux, ni de rendre hommage au personnage de Sade, dont les idées étaient désormais à la mode à cette époque14. Bussotti a « consommé le Péché de se référer à Sade pour affermir un choix », consistant à « exhiber en public, peu à peu, quelques stations d’un drame sans fond, privé d’action, modeste en sous-entendus, expressément corseté dans les formes usées de la musique de chambre mise à nu dans son action »15. C’est donc par cette progressive mise à nu musicale, qui laisse néanmoins transparaître la grande fascination du compositeur pour le caractère transgressif de Sade, que le mystère de chambre se dévoile.
4Le matériau littéraire de l’œuvre de Bussotti tient en deux pages. Le « générique »16 contient « titres, sous-titres, nomenclatures des personnages et des instruments, suite des scènes, signature et attestation de l’auteur, etc. »17. C’est ici qu’apparaissent les titres de deux œuvres de Sade : Les Cent Vingt Journées de Sodome, ou l’École du libertinage et La Philosophie dans le boudoir. Au début du spectacle, tous ces mots sont prononcés à voix haute par l’ensemble de la troupe, qui reste invisible au public. Quant au « livret »18 (Fig. 1), il est constitué d’un collage verbal élaboré à partir d’un sonnet de Louise Labé (1526-1566). Cette poétesse lyonnaise, cultivée et passionnée de musique, était sensible à la condition des femmes, comme en témoigne la préface de ses œuvres19, qualifiée de « premier manifeste féminin en littérature »20. À son poème ont été ajoutés quelques verbes à l’impératif (« tiens », « prends-le »), ainsi que les noms de Sade, de Bach et du musicologue Heinz-Klaus Metzger21, auquel l’œuvre est dédiée. Le véritable matériau littéraire est donc représenté par le poème de Louise Labé, qui mérite d’être lu dans son intégralité et dans la langue de la Renaissance :
Ô beaus yeus bruns, ô regards destournez,
Ô chaus soupirs, ô larmes espandues,
Ô noires nuits vainement attendues,
Ô jours luisans vainement retournez :
Ô tristes pleins, ô desirs obstinez,
Ô tems perdu, ô peines despendues,
Ô mile morts en mile rets tendues,
Ô pires maus contre moi destinez.
Ô ris, ô front, cheueus, bras, mains et doits :
Ô lut pleintif, viole, archet et vois :
Tant de flambeaus pour ardre une femelle !
De toy me plein, que tant de feus portant,
En tant d’endrois d’iceus mon cœur tatant,
N’en est sur toy volé quelque estincelle.22
Figure 1 — La Passion selon Sade de Sylvano Bussotti, livret © 1965 by Casa Ricordi S.r.l., tous les droits réservés pour tous les pays, reproduit avec l’aimable autorisation de Hal Leonard Europe S.r.l. (Italie).
5Comme l’a souligné Françoise Charpentier, dans ce poème « Louise énumère amoureusement, délicatement, tous les lieux du corps où se manifeste l’amour, où peut battre le désir, dans une indistinction voulue de son corps et du corps de l’autre »23. Aussi le désir du corps se donne-t-il dans sa matérialité, « lavé de tout alibi spiritualiste »24. Dans ce cadre, la référence aux instruments de musique n’est pas fortuite. Labé a consacré l’un de ces sonnets au luth25, instrument qui a chez elle une valeur symbolique : « érotiquement associé à son corps, et métonymie de tout corps à caresser et faire vibrer, il est aussi sa voix et la manifestation même de sa vie »26. De son côté, Bussotti a réparti les mots de ce poème dans des rectangles de différentes tailles, selon des critères sémantiques (« désirs », « peines ») ou phonologiques (« tristes » et « pleins », suivis par « tems » et « perdu »). Seul le douzième vers (« Tant de flambeaus pour ardre une femelle ! ») est resté inchangé. Si le sonnet de Labé brise la perception unitaire de l’être aimé par la désignation de différentes parties du corps (« beaus yeus bruns », « regards destournez », « front, cheueus, bras, mains et doits »), contrebalancée néanmoins par la rigoureuse structure formelle du texte, Bussotti poursuit le démembrement du corps en segmentant le texte en plusieurs unités hétérogènes dépourvues de liens syntaxiques.
6L’intérêt pour l’aspect spatial et visuel, qui caractérise l’œuvre de Bussotti27, apparaît non seulement dans le livret, mais aussi dans la partition. Réunissant indications musicales et de mise en scène, esquisses de costumes, dessins, ainsi que notes et portées, la partition de La Passion selon Sade est à la fois un support pour l’interprétation et une œuvre graphique, où chaque élément fait partie d’un système de correspondances, comme l’explique très clairement Roland Barthes28 :
Lorsque Bussotti dispose sa page et d’un trait plein, noir, calligraphié, la couvre de portées, de notes, de signes, de mots et même de dessins, il ne se contente pas de transmettre aux exécutants de son œuvre des opérations à effectuer, comme le faisait l’ancien manuscrit musical ‒ dont la forme janséniste, si l’on peut dire, a été assez bien représentée par la basse chiffrée ; il construit un espace homologique, dont la surface ‒ puisque la page est condamnée à n’être qu’une surface ‒ veut être avec rage, avec précision, un volume, une scène, striée d’éclairs, traversée de vagues, rompue de silhouettes ; ou encore, tout en même temps (et c’est là le pari) : d’une part un grimoire de signes multiples, raffinés, codés avec infiniment de minutie, et d’autre part une vaste composition analogique, dans lesquelles les lignes, les emplacements, les fuites, les zébrures ont à la charge de suggérer, sinon d’imiter, ce qui se passe réellement sur la scène de l’écoute : c’est, d’un même mouvement, très secret et très manifeste. Un manuscrit de Bussotti est déjà une œuvre totale29.
7À ce propos, on peut remarquer que la partition de cette œuvre est sans doute la première de l’histoire de la musique occidentale à contenir la représentation de corps, en l’occurrence ceux de deux femmes, incarnant le personnage sadien de Justine / Juliette (Fig. 2). À gauche, elle apparaît de dos, « dans des vêtements, attitudes, lumières sexy, vulgaires et crues »30 ; à droite, elle est de face et une indication est inscrite sur son corps : « Ensuite les lumières, les vêtements, les attitudes la déshabillent toujours plus, le corps, voluptueux, émerge des dentelles et tremble »31. Ce corps aguicheur et double est censé entonner les multiples « Ô » du poème de Labé, qui renvoient à leur tour à la passion charnelle du roman érotique Histoire d’O32 de Pauline Réage. Dès lors, les plans visuel et sonore se confondent pour rendre palpable la matérialité du corps : « Cette passion du signe sur la page résonne d’une passion du geste violent et d’une passion du signe, sadien, sur la chair »33.
Figure 2 — La Passion selon Sade de Sylvano Bussotti, Chiffre 7 © 1965 by Casa Ricordi S.r.l., tous les droits réservés pour tous les pays, reproduit avec l’aimable autorisation de Hal Leonard Europe S.r.l. (Italie).
8Lors de la création italienne, le rôle de Justine/Juliette34 fut incarné par Cathy Berberian (Fig. 3), qui deviendra l’une des plus importantes interprètes du répertoire contemporain et la muse de nombreux compositeurs, dont Luciano Berio, qu’elle épouse en 1950. Avec l’humour quelque peu outrancier qui lui est propre, Bussotti évoque ainsi sa première rencontre avec la cantatrice : « Quand j’ai connu Cathy, j’étais en train d’aider Luciano Berio à écrire un morceau, comme un petit scribe. Luciano l’exhortait à aller en cuisine pour s’occuper des pâtes aux haricots. Cette voix incroyable n’avait pas encore été découverte. Et je peux dire que cette découverte a été faite surtout grâce à moi, à l’occasion de la création de La Passion selon Sade à Paris »35. Quel que soit le mérite de Bussotti dans la « découverte » musicale et sadienne de Berberian, son interprétation de Justine/Juliette a fait date, à la fois pour sa virtuosité vocale et pour sa présence scénique, à laquelle ont contribué de somptueux costumes. Intéressée par la haute couture, dont elle discute à maintes reprises avec Bussotti, Berberian exige pour son rôle la perruque portée par Gina Lollobrigida dans le film Vénus Impériale36, sorti en 1962. Pour la représentation new-yorkaise, elle choisit aussi de porter un collier en plexiglas, constitué de plusieurs triangles pointus, empêchant quiconque de s’approcher de son visage. Des objets en menacent pourtant l’intégrité. Outre deux têtes d’aigles, un grand miroir, des candélabres, deux portraits imaginaires de Sade (jeune et vieux) et une tapisserie représentant les ruines du Château de Lacoste, où séjourna le Marquis pendant plusieurs années, les indications de mise en scène prévoient également des fouets, des cravaches et des instruments de torture. Tout cela s’inscrit dans un décor qui doit s’inspirer du répertoire opératique romantique et du début du xxe siècle (« un canapé de La Traviata, un lit d’Otello, un agenouilloir de Don Carlos »37).
Figure 3 — Cathy Berberian dans La Passion selon Sade © Cathy Berberian Collection, Paul Sacher Foundation, Bâle, reproduit avec l’aimable autorisation de Cristina Berio.
9Si le décor doit éviter toute référence à la modernité, le langage musical de La Passion selon Sade révèle l’influence des avant-gardes. Suivant la leçon de John Cage, Bussotti privilégie une écriture aléatoire, qui contraste avec la méticulosité de la notation. Ainsi le compositeur se détache-t-il du sérialisme pour regagner des espaces sonores de liberté, où il peut exprimer avec brio son inspiration. Néanmoins, Bussotti semble vouloir rendre hommage avec ironie à ses prédécesseurs et à ses contemporains, par exemple lorsqu’il demande au pianiste de garder des notes tenues et de compter mentalement jusqu’à douze, chiffre fétiche de la musique dodécaphonique et sérielle38. De plus, il utilise un procédé cher à l’histoire de la musique occidentale, consistant à associer les lettres d’un mot à des notes. Les noms de Bach, de Sade et de Heinz-Klaus Metzger, qui figurent dans la partition juste après le générique (Fig. 4), doivent en effet être lus selon la nomenclature musicale anglo-saxonne : si bémol, la, do, si (B, A, C, H) ; mi bémol, la, ré, mi (S39, A, D, E) ; si, mi, la, mi bémol, mi, sol, mi (H, E, A, S, E, G, E40). Par ce procédé, qui a aussi été employé par Bach, Bussotti métamorphose ces trois figures en un matériau musical à part entière, tout en s’inscrivant dans une tradition ancienne41. Aussi l’aléa n’est-il pas un prétexte pour éviter la confrontation avec ses prédécesseurs : « Ouverture, happenings, musiques gestuelles et surtout graphie musicale suspendent certes la définition structurale de l’œuvre, mais plus encore, réintroduisent chez Bussotti l’Histoire »42. Non seulement le compositeur ne cède pas à la tentation des retours en arrière postmodernes, mais il est aussi conscient du fait que l’histoire de la musique s’inscrit dans l’histoire du pouvoir. « Il est bon de croire dans les grands révolutionnaires », affirme-t-il, « Il y en a qui ont réussi à l’être toute leur vie, sans passer par l’enseignement d’un Conservatoire contre lequel ils avaient jeté auparavant leurs encriers, par exemple Beethoven, Sade, Gramsci sont les morts sur la brèche »43. Avec Foucault, Bussotti aborde plus précisément la question du corps comme un objet du pouvoir, car son œuvre interroge, d’une part, les désirs licites et illicites qui le traversent, d’autre part, les moyens de le maîtriser, voire de le punir, jusqu’à lui ôter toute forme de liberté.
Figure 4 — La Passion selon Sade de Sylvano Bussotti, Chiffre 4 © 1965 by Casa Ricordi S.r.l., tous les droits réservés pour tous les pays, reproduit avec l’aimable autorisation de Hal Leonard Europe S.r.l. (Italie).
10Bussotti ne défend pas pour autant l’idéal d’un art engagé, à la différence d’autres compositeurs italiens de sa génération, comme Luigi Nono44 et Giacomo Manzoni, engagés à cette époque dans le Parti Communiste Italien. Pour ces derniers, le compositeur a le devoir de contribuer, par son œuvre, au renversement des rapports de domination, qui dépendent, en dernière instance, de la structure économique de la société capitaliste ‒ Simone de Beauvoir45 et le féminisme postmarxiste46 se chargeront précisément de critiquer cette forme de réductionnisme économiciste. Selon eux, la musique est donc une superstructure qui peut agir concrètement sur sa base matérielle, dans la mesure où elle devient un moment de réflexion politique et sociale et s’oppose aux formes du pouvoir dominant. Voilà pourquoi Manzoni n’a pas considéré l’œuvre de Bussotti comme novatrice, si étonnant que cela puisse paraître. Dans sa critique des Extraits de concert de La Passion selon Sade, créés au Teatro Angelicum de Milan le 28 février 1966, il la compare au contraire à une Suite de Lully :
Mis à part le fait que la partition ne contient même pas une ligne de Sade, il faut dire que la version de concert de cette pièce, née à l’origine pour le théâtre, est ce qu’il y a de plus chaste et anti-blasphématoire. En réalité, après tout ce que nous avons lu et entendu sur Bussotti, il est étrange d’être confronté aujourd’hui à un travail qui n’a rien de destructeur, à un travail poli et maîtrisé en chaque détail, calibré dans l’alternance entre la voix et les différents instruments, non dépourvu d’idées, mais avec quelques longueurs, exactement comme pourraient l’être une Suite de l’aulique Lully, ou un Ballet de cour d’une époque non moins lointaine. Bussotti utilise ‒ parfois avec une ironie réussie ‒ certaines découvertes du langage d’aujourd’hui, les canalise dans un discours cohérent, les encage en une lucide mosaïque, mais il est clair qu’il conclut définitivement une période, sans en ouvrir une autre47.
11Si cette critique montre bien que cette œuvre totale, une fois privée de sa mise en scène, n’a pas la même portée subversive, elle tait le fait que la musique de Bussotti se satisfait davantage de la chair du son, abritée par des passions vocales et instrumentales, que de son utilisation à des fins, sociales et politiques, qui la dépassent.
12Selon Bussotti, la musique est l’art qui sublime davantage l’éros, la sensualité, le sexe. L’impalpabilité du son peut faire perdre à l’auditeur, voire à l’interprète, le contact avec son aspect matériel. Le risque que l’on encourt est alors de devenir le « profil racorni d’homo musicus, si loin du sexe ‒ de la vie ‒ car immergé complètement dans une sorte d’adrénaline sonore, drogue qui l’hébète quotidiennement »48. À l’encontre d’une musique dépossédée de sa dimension matérielle, le compositeur se plaît alors à entreprendre la désublimation du son, ou du moins à suggérer que l’on ne peut faire abstraction de sa chair sans le vider de ce qui le constitue le plus profondément. Aussi les instruments de musique deviennent-ils des corps, dont l’interprète peut jouir. Bussotti ne se limite pas à choisir un instrument comme le hautbois d’amour, évoquant l’éros à la fois par son nom et par sa sonorité sensuelle49. Dans la section intitulée « Happening », il demande au violoncelliste de mimer sur son instrument « un rapport sexuel verdien »50. De plus, à la toute fin de la partition, les deux hautboïstes et un corniste doivent retenir leur souffle à trois reprises sur des notes de plus en plus longues, jusqu’au maximum de leurs capacités. Puis, le tempo devient lentissimo et la pièce s’achève avec l’indication « jusqu’à l’extinction du souffle »51, signifiant le moment où le corps, ainsi que la musique, font défaut. Quant au personnage de Justine/Juliette, lorsqu’elle ne déploie pas des vocalises sensuelles, elle doit par exemple s’allonger sur le piano, ou bien « s’incorporer à la harpe florale »52, l’envoûter, puis la caresser.
Échos contemporains
13Le 23 février 2017, La Passion selon Sade est créée au Théâtre de Nîmes, sous la direction de Léo Warynski et dans une mise en scène d’Antoine Gindt53, puis elle poursuit sa tournée à Strasbourg, Paris, Grenoble et Caen. Si cette œuvre protéiforme appelle à une réappropriation continuelle de ses matériaux, les choix musicaux et scéniques qui ont été pris à cette occasion se détachent de manière assez nette de l’original, dont ils développent certains contenus implicites. Dans une note d’intention, Gindt affirme avoir conçu une mise en scène « qui échappe totalement à son auteur et rompt avec les usuelles (et frustrantes) versions “de concert” »54. L’un des principaux écarts par rapport à la version de Bussotti consiste dans la présence, aux côtés de Justine/Juliette, d’un nouveau personnage : le Marquis, « homme de pouvoir, politique, manipulateur, auteur et acteur de sa propre fantasmagorie »55. Au début du spectacle, il est habillé en costume-cravate et se trouve devant les drapeaux français et européen. Il prononce alors, en véritable homme politique, un discours composé d’extraits du célèbre texte « Français, encore un effort si vous voulez être républicains », issu de La Philosophie dans le boudoir. Après cette introduction, les interventions vocales du Marquis sont très réduites, mais sa présence scénique demeure fondamentale. Une fois débarrassé de ses habits d’homme politique, jusqu’à la complète nudité, il met une robe de chambre et un pantalon : ainsi sa vie publique s’efface-t-elle à mesure que surgit sa vie privée. Le Marquis révèle alors ses instincts et ses désirs les plus bas, qui se manifestent notamment dans sa relation avec Justine/Juliette. Les interactions entre les deux personnages suivent en effet un rituel sadomasochiste, qui débute avec des coups de cravache portés sur une musicienne (au moment même où l’ensemble instrumental, caché derrière le rideau, est rendu visible au public) et qui se termine par la strangulation du Marquis par Justine/Juliette. L’homme politique suit donc un itinéraire le menant progressivement à sa chute morale et physique, son corps renversé gisant nu sur le sol à la fin du spectacle. Si le Marquis représente à la fois un personnage double et le double de Justine/Juliette, de sorte que le spectateur est finalement confronté à quatre personnalités différentes, cette symétrie se rompt précisément lorsqu’il succombe. On peut supposer alors une critique de la duplicité de l’homme politique, mais aussi des rapports de domination entre homme et femme, critique qui, à bien des égards, entre en résonance avec l’esprit et les problématiques des années 2010.
14À ce sujet, le choix d’ajouter un discours du Marquis, composé d’extraits de La Philosophie dans le boudoir, est particulièrement révélateur. Au tout début de l’œuvre, son discours évoque d’abord la question de la religion, à laquelle il faudrait préférer l’athéisme : « La religion est incohérente au système de la liberté », affirme-t-il, avant d’ajouter que « Jamais l’homme libre ne se courbera près des dieux [du christianisme], jamais ses dogmes, jamais ses rites, ses mystères ou sa morale ne conviendront à un républicain »56. Dans ce passage, la référence au christianisme a été écartée afin de solliciter de manière plus générale les enjeux du monde contemporain, comme celui de la sécularisation du religieux. De même, la Révolution française ou la Rome antique, pourtant évoquées dans le texte de Sade, ne sont pas mentionnées. En revanche, le Marquis clôt son discours sur une réflexion concernant un supposé droit naturel de jouissance des corps des hommes et des femmes, qui devrait être imposé par la loi :
Tous les hommes ont donc un droit de jouissance égal sur toutes les femmes ; il n’est donc aucun homme qui, d’après les lois de la nature, puisse s’ériger sur une femme un droit unique et personnel […]. Si nous admettons, comme nous venons de le faire, que toutes les femmes doivent être soumises à nos désirs, assurément nous pouvons leur permettre de même de satisfaire […] tous les leurs ; nos lois doivent favoriser sur ce point [« cet objet » dans le texte de Sade] leur tempérament de feu57.
15Recherchant tantôt la distanciation du public, tantôt son adhésion, comme au moment où le Marquis défend l’abolition de la peine de mort, ce discours a donc été savamment ficelé dans le but de faire réfléchir les spectateurs sur des questions d’actualité, laissant ainsi une place beaucoup plus importante aux contenus politiques qui se trouvaient de manière embryonnaire chez Bussotti. On remarquera par ailleurs que le souci de rendre le discours du Marquis le plus actuel possible se reflète dans les quelques modifications apportées au texte original, dont les expressions inusitées aujourd’hui ont été remplacées.
Figure 5 — La Passion selon Sade, Théâtre de Nîmes, © Sandy Korzekwa, reproduit avec l’aimable autorisation d’Antoine Gindt et de Sandy Korzekwa.
16La plus grande partie de l’action se déroule sur une scène épurée, en opposition totale avec les indications de mise en scène de Bussotti. La couleur verte, traditionnellement interdite à l’opéra et au théâtre, y prédomine, suggérant ainsi une analogie entre la transgression des codes moraux et des codes esthétiques. « Nous sommes ici au théâtre au moins autant qu’à l’“opéra” »58, affirme pourtant Gindt, qui veut évoquer par cet intérieur un cabinet de psychanalyse ou une chambre d’hôtel anonyme, lieux où se dévoilent des interdits psychiques et charnels. Cette double référence se traduit par la présence de trois objets : d’une part, un canapé et un fauteuil et, d’autre part, un petit frigo, où sont rangées des bouteilles d’alcool, ainsi qu’un crucifix. À la fin du spectacle, une tête de sanglier, allégorie animale du Marquis nu et étranglé, fait aussi son apparition. C’est alors que Justine/Juliette se rhabille, couvre le corps du Marquis et met du rouge à lèvres. La passion est éteinte, mais on devine presque la satisfaction de la victime qui prend sa revanche sur son bourreau.
17Cette version de La Passion selon Sade présente également des éléments de nouveauté du point de vue musical. L’œuvre de Bussotti est précédée et suivie par deux citations qui l’inscrivent dans le prolongement de l’histoire de la musique et qui enrichissent son tissu homologique. Sur les derniers mots du discours du Marquis se greffe, en tuilage, le début de la Sonata erotica (1919) d’Erwin Schulhoff (1894-1942), compositeur tchèque qui fut la cible de la barbarie nazie en raison de son origine juive, mais aussi de son engagement en faveur du communisme, de son homosexualité et du style avant-gardiste de son œuvre. Cette pièce, où une voix de femme seule imite les ébats d’un rapport sexuel, contraste à la fois avec la solennité du discours de l’homme politique et avec les notes jouées par l’orgue (instrument de l’église s’il en est) au tout début de la version originale de La Passion selon Sade. Interprétée ici par la voix hors scène de Justine/Juliette, elle permet ainsi de plonger progressivement l’auditeur au cœur de l’ambiance érotique du spectacle. En guise d’épilogue, peu après la mort du Marquis, Justine/Juliette entonne aussi l’incipit de l’aria Blute nur, du liebes Herz (« Saigne, ô tendre cœur »), extrait de La Passion selon Saint-Matthieu de Bach. À l’origine, cet aria évoque la trahison du Christ par Judas. Est ainsi suggéré un parallèle impliquant, d’un côté, Justine/Juliette et Judas, de l’autre côté, le Marquis et le Christ. Le jugement moral sur les personnages reste alors suspendu, puisque l’homme politique crapuleux est assimilé à une figure christique. C’est en somme par l’introduction de nouveaux matériaux que l’œuvre de Bussotti acquiert ici une plus vaste portée. L’assemblement de ces matériaux hétérogènes ne mène pas pour autant à un nivellement historique. S’établit en effet un rapport dialectique entre passé et présent, ayant pour finalité une réflexion contextualisée et non pas (ou pas seulement) une écoute hédonique.
Conclusion
18Dans La Passion selon Sade, le son, le signe, l’objet, le mot, tout peut devenir corps. La matière, ce en quoi est faite l’œuvre, est transmuée en un lieu de désir ou de souffrance, ou plus simplement d’une passion. Ainsi un poème peut-il être démembré, un violoncelle devenir un objet charnel, une voix s'abandonner à la jouissance sensuelle et musicale. Le corps, tel un aimant, devient le signifiant premier, régissant tous les matériaux éclatés de l’œuvre. Comment s’opère alors le changement d’état qui mène de la matière au corps ? Aléa, allusion, homologie et détournement font partie des moyens qu’a utilisés le compositeur pour ouvrir des possibilités inédites à la matière, pour la réarticuler, voire pour la déstabiliser. Dans le geste créateur, cela s’accompagne bien souvent de la transgression d’une norme, qui aboutit finalement à la production de nouveaux corps. De même que la matière, la norme n’est pas une donnée brute, qui se donnerait partout et tout le temps de la même manière. Elle s’inscrit dans une histoire, qui est celle, en l’occurrence, du langage des arts. Avec cette œuvre, Bussotti a donné à cette histoire une direction inexplorée, faisant preuve d’une inventivité qui n’a sans doute pas été égalée dans ses compositions ultérieures. Plus de cinquante ans après sa création palermitaine, La Passion selon Sade demeure une œuvre inclassable, énigmatique, dérangeante. En explicitant la dimension politique de l’œuvre, latente dans sa version originale, la plus récente création de cette œuvre a certes pris le risque de surcharger une composition déjà baroque et exubérante, mais elle est aussi venue prouver, comme un théorème, que le corps, dont il est question ici, est à la fois le sujet et l’objet d’un pouvoir, qui se donne dans les formes de la violence publique et privée.
19Si le personnage de la Musique, dans la comédie de Phérécrate, montrait que la violence se produit aussi lorsqu’il y a écart à une norme esthétique, à Antonin Artaud, auteur cher à Bussotti, d’affirmer : « Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n’est pas possible »59. Et c'est précisément en repoussant un peu plus loin les limites de l'impossible que cette cruauté, sublimée et créatrice, a fait de La Passion selon Sade une œuvre toujours actuelle.
1 Il s’agit du dialogue De la musique, attribué à Plutarque, mais dont la paternité est incertaine.
2 Plutarque, De la musique, 16, § 303, traduit du grec ancien par Henri Weill et Théodore Reinach, Paris, Ernest Leroux, 1900, œuvre numérisée : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/musique.htm site consulté le 30/03/2020.
3 Cette doctrine a été exposée notamment par Platon et Aristote, respectivement dans la République et dans la Politique. Pour une présentation succincte des théories concernant l’ethos musical, voir Fabien Delouvé, « Aspects de l’ethos musical dans l’antiquité grecque », Intersections, 2009, vol. 29, no 2, p. 52-65 (en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/is/2009-v29-n2-is1473076/1000039ar/, site consulté le 30/03/2020).
4 Le sous-titre de l’œuvre est « mystère de chambre avec Tableaux vivants précédé de Solo, avec un couple de Rara et suivi d’une autre Phrase à trois ». L’œuvre est composée entre New York et Rome en 1965-1966. En 1965, Bussotti a composé aussi Extraits de concerts (de “La Passion selon Sade”), pour voix et ensemble.
5 Ainsi se présente Bussotti sur son site personnel. Voir http://www.sylvanobussotti.org/biografia.html, site consulté le 30/03/2020. Sauf mention contraire, toutes les traductions ont été réalisées par nos soins. Les citations longues sont accompagnées du texte original.
6 Lors de la création palermitaine, Bussotti a assuré la mise en scène et la réalisation, alors que Salvatore Sciarrino a eu le rôle de répétiteur.
7 Signalons que l’œuvre a été créée aussi au Staatstheater de Karlsruhe, en 1969. Dans une lettre adressée à Bussotti, Theodor W. Adorno s’excuse de ne pas pouvoir s’y rendre : « Je vous dirais combien je vous souhaite toutes sortes de succès, je veux dire celui intentionnellement scandaleux, si l’on ne devait pas expressément protéger ces vœux, en une forme de superstition contre le rigoureux Sade » (« Non starei a dirle quanto le auguro ogni successo, voglio dire, quello intenzionalmente scandaloso, se non si dovesse espressamente difendere tali auguri come una forma di superstizione contro il rigoroso Sade »), Theodor W. Adorno, lettre à Sylvano Bussotti du 15 janvier 1969, dans Sylvano Bussotti, Disordine alfabetico, Milan, Spirali, 2002, p. 220.
8 Antonino Titone, cité dans Luigi Esposito, Un male incontenibile. Sylvano Bussotti, artista senza confini, Milan, Bietti, 2013, p. 125.
9 Ibid., p. 126.
10 Dans les romans de Sade, Justine et Juliette sont deux sœurs incarnant respectivement la vertu et le vice.
11 « [Il canto è come] stretto, serrato, si vorrebbe dire imprigionato, e vittima », Sylvano Bussotti, notice du CD La Passion selon Sade. Extraits de concert, p. 4-5.
12 « Il n’écrit rien vu son ignorance, parle fort peu vu sa bêtise, fait encore moins vu sa faiblesse, et lassant à la fin les magistrats, impatientés de ses discours séditieux, quoique fort rares, le charlatan se fait mettre en croix après avoir assuré les gredins qui le suivent que, chaque fois qu’ils l’invoqueront, il descendra vers eux pour s’en faire manger ; on le supplicie, il se laisse faire ; monsieur son Papa, ce Dieu sublime, dont il ose dire qu’il descend, ne lui donne pas le moindre secours », Sade, La Philosophie dans le boudoir, Paris, Flammarion, 2007, p. 37.
13 Sylvano Bussotti, « À propos de La Passion selon X » [1966], Festival d’Automne à Paris, 1989.
14 Rappelons, à titre d’exemple, l’essai Faut-il brûler Sade ? [1953] de Simone de Beauvoir, dans Faut-il brûler Sade ?, Paris, Gallimard, 1972, p. 11-82. Dès les années 1950, Jacques Lacan fait aussi référence aux idées de Sade, qu’il met en relation avec l’éthique kantienne : « Si l’on élimine de la morale tout élément de sentiment […] à l’extrême le monde sadiste est concevable ‒ même s’il en est l’envers et la caricature ‒ comme un des accomplissements possibles du monde gouverné par une éthique radicale, par l’éthique kantienne telle qu’elle s’inscrit en 1788 », Jacques Lacan, Le Séminaire. Livre vii. L’éthique de la psychanalyse [1959-1960], texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Le Seuil, 1986, p. 134.
15 S. Bussotti, « À propos de La Passion selon x », art. cité.
16 S. Bussotti, La Passion selon Sade, « Générique », op. cit.
17 S. Bussotti, « À propos de La Passion selon x », art. cité.
18 S. Bussotti, La Passion selon Sade, « Libretto », Milan, Ricordi, 1965-1966.
19 « Étant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux sciences et disciplines, il me semble que celles qui ont la commodité doivent employer cette honnête liberté, que notre sexe a autrefois tant désirée, à icelles apprendre, et montrer aux hommes le tort qu’ils nous faisaient en nous privant du bien et de l’honneur qui nous en pouvait venir », Louise Labé, « Préface », dans Œuvres poétiques, précédées des Rymes de Pernette du Guillet, édition présentée, établie et annotée par Françoise Charpentier, Paris, Gallimard, 2006, p. 93.
20 F. Charpentier, « Préface » à Louise Labé, Œuvres poétiques, art. cité, p. 24.
21 « C’est lui qui m’a proposé un jour d’écrire une “messe noire”, d’être le musicien de la révolution […]. Je n’ai pas voulu le faire, je n’en ai pas eu le courage, de toute évidence. J’ai décidé alors d’écrire une passion blasphème, une représentation marquante, rituelle, provocatrice » (« Fu lui che un giorno mi propose di scrivere una “messa nera”, di essere il musicista della rivoluzione […]. Io non volli, non ne ebbi il coraggio, evidentemente. E allora decisi di scrivere una passione blasfema, una rappresentazione forte, rituale, provocatoria »), Sylvano Bussotti, entretien avec Luigi Esposito du 25 avril 2004, cité dans L. Esposito, Un male incontenibile, op. cit., p. 99-100.
22 Pour une transcription de ce poème selon l’orthographe moderne, voir Louise Labé, Œuvres poétiques, précédées des Rymes de Pernette du Guillet, op. cit., p. 110. Il s’agit du deuxième poème appartenant au recueil Sonnets.
23 F. Charpentier, Préface, art. cité, p. 29.
24 Ibid.
25 Il s’agit du sonnet xii. Voir Louise Labé, Œuvres poétiques, précédées des Rymes de Pernette du Guillet, op. cit., p. 120.
26 Ibid., p. 27.
27 Signalons que Deleuze et Guattari, afin d’illustrer leurs propos, ont inclus dans Mille plateaux (Paris, Éditions de Minuit, 1980) un extrait de Piano Piece for David Tudor no 4 de Bussotti, appartenant au cycle Pièces de chair ii (1958-1960), pour voix et instruments.
28 Entre 1956 et 1958, Bussotti suit les cours privés de Max Deutsch à Paris, où il effectuera de nombreux séjours. Il y rencontre aussi Roland Barthes et Michel Foucault, dont il fournit dans ses écrits le portrait suivant : « Philosophes et Différents tous les deux, Roland et Michel sont assis aux coins opposés du petit salon empli de pédales, de prostitués, d’éphèbes, d’ours, de cariatides et de calvities couronnées […]. Quelle finesse dans la pipe toujours allumée de Barthes et quelle noire élégance dans l’habit en cuir que porte Foucault, traversé par les zips, orné de clous et empoussiéré juste assez pour évoquer des incursions nocturnes dans le Bois de Boulogne, ou pire, au fond de forêts malfamées » (« Filosofi e Diversi entrambi, Roland e Michel siedono ad angoli opposti nel salottino pullulante di checche, marchettari, efebi, orsi, cariatidi e calvizie incoronate […]. Quanta finezza nella pipa perennemente accesa di Barthes e quale nera eleganza nell’abito in pelle che porta Foucault, sciabolato di zip, borchiato e impolverato quel tanto da evocare notturne scorribande al Bois de Boulogne, o peggio, nel folto di foreste malfamate »), S. Bussotti, Disordine alfabetico, op. cit., p. 57-58.
29 Roland Barthes, « La partition comme théâtre » [1976], Œuvres complètes, Paris, Le Seuil, 1995, tome 3, p. 387.
30 S. Bussotti, La Passion selon Sade, Chiffre 7, op. cit.
31 Ibid.
32 Pauline Réage, Histoire d’O, suivi de Retour à Roissy [1954], Paris, Lgf, collection Le Livre de Poche, 1999.
33 Laurent Feneyrou, « Sylvano Bussotti. Parcours de l’œuvre », http://brahms.ircam.fr/sylvano-bussotti#parcours, site consulté le 30/03/2020.
34 Outre Justine/Juliette, la partition prévoit d’autres personnages, qui ont surtout un rôle scénique : un figurant qui doit mimer des actions, une petite figure (« Figurina », incarné par un ou une enfant, ou bien par une poupée mécanique), un « célèbre chef d’orchestre » et un maître de chapelle.
35 « Quando conobbi Cathy stavo aiutando Luciano Berio, come un piccolo amanuense, a scrivere un pezzo. Luciano la esortava ad andare in cucina e occuparsi della pasta e fagioli. Non era ancora stata scoperta quella voce incredibile. E posso dire che quella scoperta avvenne soprattutto grazie a me, in occasione della realizzazione di La Passion selon Sade a Parigi », Sylvano Bussotti, entretien avec Ricciarda Belgiojoso (21 novembre 2005), dans Ricciarda Belgiojoso, Note d’autore. A tu per tu con i compositori d’oggi, Milan, Postmedia, 2013, p. 29-30.
36 Voir Un male incontenibile, op. cit., p. 127.
37 S. Bussotti, La Passion selon Sade, « Schema per la scena », op. cit.
38 Voir S. Bussotti, La Passion selon Sade, Chiffre 1, op. cit.
39 En allemand, la note mi bémol s’écrit Es.
40 Seules certaines lettres du nom d’Heinz-Klaus Metzger peuvent être converties en notes musicales.
41 Par ailleurs, la pièce pour flûte solo intitulée RARA, faisant partie de La Passion selon Sade, est constituée d’une sorte de rébus. Les lettres du titre, qui renvoient aux initiales de Romano Amidei, compagnon à l’époque de Bussotti, sont en effet associées à différents modes de jeu : doux, rauque, murmuré, etc.
42 L. Feneyrou, « Sylvano Bussotti. Parcours de l’œuvre », art. cité.
43 « È bene credere nei grandi rivoluzionari, vi sono coloro che sono riusciti ad esserlo tutta la vita, senza passare all’insegnamento di un Conservatorio contro il quale avevano un tempo lanciato i loro calamai, ad esempio Beethoven, Sade, Gramsci sono i morti sulla breccia », Sylvano Bussotti, entretien avec Gioacchino Lanza Tomasi [1965], cité dans L. Esposito, Un male incontenibile, op. cit., p. 109.
44 En 1977, Nono rédige un article pour défendre Bussotti, qui était la cible de critiques relatives à sa direction artistique du Teatro La Fenice. Sur son compte, Nono affirme : « Ce musicien, reconnu dans le monde entier comme une présence culturelle d’une intelligence provocante, d’une créativité pleine de fantaisie et d’une participation humaine généreuse, a quitté le cabinet de l’humaniste pour travailler avec les hommes, dans le contrôle et la transformation de soi-même, et pour pratiquer la “science sociale moderne” », Luigi Nono, « Nono défend Bussotti » [1977], dans Écrits, textes traduits de l’italien et de l’allemand par Laurent Feneyrou, Genève, Éditions Contrechamps, 2007, p. 426.
45 Voir Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe [1949], Paris, Gallimard, 1976, p. 107. Un chapitre entier (p. 98-108) est consacré à l’étude des problématiques que soulève le matérialisme historique.
46 « La critique majeure du féminisme postmarxiste vise l’incapacité du marxisme à penser la spécificité de l’oppression des femmes ; ou, pour le dire autrement, il vise la réduction systématique du patriarcat au mode de production capitaliste », Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités, Paris, PUF, 2018, p. 15.
47 « A parte il fatto che di Sade la partitura non contiene nemmeno una riga, bisogna dire che la versione concertistica di questo pezzo originariamente nato per il teatro è quanto di più casto e antiblasfemo si possa pensare. In realtà fa uno strano effetto oggi, dopo tutto quello che abbiamo letto e sentito su Bussotti, trovarci di fronte a un lavoro che di sovvertitore non ha proprio nulla, a un lavoro ripulito e controllato in ogni particolare, dosato nelle alternanze tra voce e vari strumenti, non privo certo di idee ma anche con qualche lungaggine, esattamente come potrebbe esserlo, poniamo, una Suite dell’aulico Lully, o un Balletto di corte di tempi non meno lontani. Bussotti utilizza ‒ a volte felicemente ironizzandoli ‒ certi ritrovati del linguaggio di oggi, li convoglia in un discorso coerente, li ingabbia in un lucido mosaico, ma è chiaro che egli conclude definitivamente un periodo senza aprirne un altro », Giacomo Manzoni, « Passione secondo Sade di Bussotti all’Angelicum » [1966], dans Musica e progetto civile. Scritti e interviste (1956-2007), sous la direction de Raffaele Pozzi, Milan, Le Sfere, 2009, p. 183.
48 « inaridito profilo d’homo musicus così lontano dal sesso ‒ dalla vita ‒ perché del tutto immerso in una sorta di adrenalina sonora, inebetante droga quotidiana », S. Bussotti, « L’Homo Musicus » [1981], Disordine alfabetico, op. cit., p. 297.
49 « Le hautbois d’amour est un instrument rare, on peut le comparer vaguement aux voix ambiguës dans la tessiture du mezzo-soprano et de l’alto, ou à la voix d’un garçon qui mue. Dans Passion [La Passion selon Sade] il a un poids très considérable, sa sonorité pénétrante est plus ou moins semblable à celle du hautbois, mais proche de celle de la trompette ; et en même temps sa sonorité a du corps » (« L’oboe d’amore è uno strumento raro, è paragonabile lontanamente a quest’ambiguità tra mezzosoprano e contralto delle voci, alla muta della voce nel ragazzo. In Passion ha un peso notevolissimo, ha una penetrazione di suono più o meno affine a quella dell’oboe, ma vicina a quella della tromba; e allo stesso tempo il suono è corposo »), Sylvano Bussotti, entretien avec Luigi Esposito du 12 février 2005, dans L. Esposito, Un male incontenibile, op. cit., p. 111.
50 S. Bussotti, La Passion selon Sade, Chiffre 18 (« Happening »), op. cit.
51 Ibid., Chiffre 23.
52 Ibid., Chiffre 10.
53 La scénographie est confiée à Élise Capdenat, les lumières à Daniel Levy et les costumes à Fanny Brouste. Concernant les interprètes, Raquel Camarinha a incarné Justine/Juliette et Éric Houzelot le Marquis, accompagnés par l’Ensemble Multilatérale.
54 Antoine Gindt, « Note d’intention », https://lapassionselonsade.wordpress.com/note-dintention/, site consulté le 30/03/2020.
55 Ibid.
56 Sade, La Philosophie dans le boudoir, op. cit., p. 131-132.
57 Ibid., p. 153 et 155.
58 A. Gindt, « Note d’intention », art. cité.
59 Antonin Artaud, « Le théâtre de la cruauté (Premier manifeste) » [1932], Le Théâtre et son double, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2019, p. 173.
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Quelques mots à propos de : Pietro Milli
Pietro Milli est chercheur associé au Groupe de Recherche d’Histoire (laboratoire GRHis, Université de Rouen Normandie). Après des études en musicologie à l’Université Ca’ Foscari de Venise, à la Sorbonne et à l’EHESS, il a soutenu une thèse sur l’œuvre et la poétique de Giacomo Manzoni sous la direction de Pierre-Albert Castanet et de Laurent Feneyrou. Ses recherches portent notamment sur la musique italienne de l’après-guerre et sur les écrits de compositeurs. Il contribue régulièrement à des revues et à des projets en ligne (Transposition, Lectures, Dictéco, Itamar…), ainsi qu’à des ouvrages collectifs.