Première partie : Lectures ésotériques des textes littéraires – Coord. scientifique : Frank Greiner

L’arithmosophie dans Lorenzaccio : pour une herméneutique du nombre ?

Caroline Legrand


Texte intégral

1« Je ne crois qu’au nombre ; c’est le signe, c’est la voix, c’est la parole de l’intelligence ; et comme il est partout, je le vois partout1. » Tel est en 1821 le jugement que formule Joseph de Maistre dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg, qui dit à sa manière l’intérêt du romantisme pour un objet que la postérité et la critique littéraires ont délaissé. Certes, on connaît la curiosité du romantisme pour le surnaturel et l’irrationnel, pour les théories illuministes2 ou, plus largement, pour les sciences occultes – le terme occultisme apparaissant d’ailleurs pour la première fois au début des années 1840 sous la plume de Pierre Leroux. Les sciences dites occultes, qui orientent fréquemment les sujets littéraires de ce vaste mouvement du xixe siècle, colorent encore, avec plus ou moins de netteté, son esthétique. Mais parmi les influences qui innervent le romantisme littéraire, il en est une qui, peut-être plus discrète ou plus ponctuelle, semble ne pas avoir fait l’objet de travaux critiques récents dans le cadre des études littéraires dix-neuvièmistes : la science des nombres. « Moyen de connaissance ésotérique ou suprarationelle3 » qui puise l’une de ses principales sources dans le pythagorisme4, cette dernière postule un lien entre le signe numérique et l’idée immatérielle. Elle affranchit dès lors le nombre de sa qualité et de ses fonctions purement arithmétiques pour le recouvrir d’une charge symbolique et interprétable. À la lumière de l’arithmosophie, les nombres deviennent, selon la formule d’Antoine Faivre, des « intermédiaires entre le sensible et le suprasensible, des enveloppes invisibles ou encore des supports de médiation permettant de saisir la relation des choses au Tout5 ». Pour Louis-Claude de Saint-Martin, le « Philosophe inconnu » qui donne son nom à l’une des principales branches françaises de l’Illuminisme, les nombres sont des « signes représentatifs de l’idée », qui doivent aider à lire les analogies qui unissent selon lui les ordres divin, spirituel et naturel : « l’arithmétique qui joue pour ce dernier, écrit-il, nous permettra de remonter, par analogie, aux deux autres6 ». La sympathie, si ce n’est l’adhésion que témoignent bien des auteurs romantiques au mouvement illuministe et au milieu franc-maçon7, sensible notamment à travers leur appropriation littéraire du principe des correspondances, semble pouvoir justifier la curiosité ponctuellement manifestée dans leur œuvre pour la science des nombres. De Gérard de Nerval, qui affiche dans Aurélia son intérêt pour la symbolique magique des chiffres8, à Victor Hugo qui dans Les Contemplations chante « Les Mages » en quête du « nombre où tout est contenu9 », la poésie et la prose romantiques semblent traversées d’interrogations arithmosophiques10 :

L’extrême considération [écrit Jean-Pierre Brach] dans laquelle les Romantiques (allemands, surtout) ont tenu les nombres, contrairement aux idées reçues, se voit à l’emploi qu’ils en ont fait pour expliquer analogiquement la structure du monde11.

2S’il semble donc s’agir avant tout pour ces auteurs de percer par l’interprétation des symboles numériques le mystère de Dieu, de l’univers mais encore de « l’homme, le chiffre élu12 », cette fascination pour la symbolique des nombres paraît aussi pouvoir constituer une grille de lecture à part entière de leur œuvre. Aussi Jean Richer se propose-t-il, en 1963, de relire entièrement celle de Nerval à la lumière de ses influences ésotériques et/ou occultes, dont l’arithmosophie13 (mais aussi l’astrologie et le tarot) tandis que Pierre Jean Jouve examine la structure et le sens du sonnet « Artémis » à l’aune du nombre treize14. Charles Bernard Renouvier remarque pour sa part, dès 1900, « l’aspect pythagoricien » de l’œuvre hugolienne. Les exemples étant nombreux, nous nous en tiendrons à ceux-ci.

3La présence de l’arithmosophie dans la prose et la poésie romantiques, et son intérêt à la fois herméneutique et critique sont ainsi attestés. Mais qu’en est-il du théâtre romantique ? Y peut-on déceler de même la présence de l’arithmosophie et faire de cette dernière une clé herméneutique de l’œuvre théâtrale ? Le drame Lorenzaccio, que Musset publie en 1834 dans le recueil Un Spectacle dans un fauteuil, nous semble à cet égard pouvoir être convoqué. Quand dans la scène 5 de l’acte V, un personnage de marchand tente de lire rétrospectivement le destin du tyran Alexandre de Médicis au prisme de ses récurrences numériques15, il semble en effet livrer, au détour d’un échange sibyllin et d’une scène a priori très secondaire, une clé de lecture possible de l’œuvre. Si Alfred de Musset ne partage certes pas directement la culture ésotérique d’un Hugo, Vigny, Dumas ou Nerval, sa quête désespérée du sacré16 mais surtout sa vaste culture vétérotestamentaire ainsi que sa culture antique peuvent toutefois permettre d’établir un lien avec celle-ci. Si « l’importance du nombre [ainsi que le souligne en 1844 le prêtre Lacuria] a été sentie dès la plus haute antiquité [et se] retrouve comme une énigme au fond de toutes les théogonies anciennes17 », l’œuvre biblique ne recèle pas moins de nombres dont la portée symbolique18 résonne avec l’inconscient collectif et a pu orienter le geste créateur du poète des Nuits. Aussi la tentation de supposer à ce dernier une intuition ou appropriation, si ce n’est une connaissance symbolique des nombres parait-elle pouvoir se justifier. Quoiqu’il en soit, ce passage énigmatique questionne et attire l’attention sur ce qui pourrait être perçu comme l’un des modes d’expression symbolique de ce drame mussétien, qui appelle la tentative herméneutique : qu’apporte cette scène à la compréhension que le lecteur du Spectacle dans un fauteuil peut avoir de la pièce ? Quel éclairage cette utilisation de la symbolique des nombres apporte-t-elle a posteriori sur la conduite de l’action, mais encore sur le couple que forment les personnages de Lorenzo et Alexandre ? La symbolique des chiffres portée par la voix des personnages trouve-t-elle un écho, un pendant ou un contrepoint structurel dans l’œuvre qui l’encadre, et qui permettrait d’en dévoiler ou rehausser le sens ?

Un cadre propice à l’imaginaire ésotérique et une conscience arithmosophique mussétienne ?

4La tentation de parler d’une conscience arithmosophique mussétienne dans Lorenzaccio semble pouvoir se justifier dès lors que l’on s’intéresse de près à la scène 5 de l’acte V de la pièce. Scène a priori très secondaire à l’échelle de l’œuvre, celle-ci voit se jouer un échange entre deux personnages également secondaires, l’orfèvre et le marchand, qui campent respectivement la posture du sceptique, dont la voix se fait l’écho du contexte matérialiste et empiriste de l’écriture, et celle, sinon du superstitieux, du moins du réceptif aux signes. Ce dernier expose à son interlocuteur les « combinaisons surnaturelles » qu’il pense avoir repéré dans le destin d’Alexandre de Médicis, assassiné par son cousin Lorenzo à la fin de l’acte précédent :

Observez bien ce que je dis, faites attention à mes paroles. Le feu duc Alexandre a été tué l’an 1536, qui est bien l’année où nous sommes – suivez-moi toujours. – Il a donc été tué l’an 1536, voilà qui est fait. Il avait vingt-six ans ; remarquez-vous cela ? Mais ce n’est encore rien ; il avait donc vingt-six ans, bon. Il est mort le 6 du mois ; ah ! ah ! saviez-vous ceci ? n’est-ce pas justement le 6 qu’il est mort ? Écoutez maintenant. Il est mort à six heures de la nuit. Qu’en pensez-vous, père Mondella ? voilà de l’extraordinaire, ou je ne m’y connais pas. Il est donc mort à six heures de la nuit. Paix ! ne dites rien encore. Il avait six blessures, à six heures de la nuit, le six du mois, à l’âge de vingt-six ans, l’an 1536. Maintenant, un seul mot. – Il avait régné six ans19.

5Plus loin, il ajoute que « six Six ont concouru à la mort d’Alexandre20 », référence au conseil décisionnel florentin des Huit, amputé de deux membres depuis le retrait de Rucellaï et Guicciardini à la première scène du même acte. Les libertés prises avec les données historiques dans ce propos (et plus largement, dans la pièce, malgré une assez grande fidélité aux dates) informent une démarche consciente de la part de Musset, dont on ne peut croire qu’il ait pu ignorer la date véritable de la mort d’Alexandre de Médicis quand on connaît le titre de la « Scène historique » que lui offre George Sand et qui constitue le canevas sur lequel il construit son drame : Une conspiration en 1537. Mort le 6 janvier 1537, le duc historique n’est alors pas âgé de vingt-six ans mais de vingt-sept, et n’a pas régné six mais cinq années (1532-1537). Ces modifications, aussi légères soient-elles, ne sont sans doute pas le fait d’approximations de la part de Musset mais s’apparentent davantage à autant de reconfigurations poétiques et symboliques, qui attestent un souci de synchronie de sa part. Peut-être peut-on y voir également une intention de faire correspondre les grands événements de la destinée du tyran de Florence avec l’identité symbolique de la famille Médicis, manifestée par son chiffre, six, central dans sa signature héraldique. Depuis Lorenzo le Magnifique, le blason de la famille des Médicis est en effet constitué de six tourteaux (boules) disposés en orle, dont cinq rouges (ou « gueules », pour reprendre la terminologie héraldique) et un azur chargée de trois lys d’or. En renforçant l’appartenance familiale du duc – dont la bâtardise est soulignée à de multiples reprises dans la pièce – et par extension, en renforçant celle de Lorenzo, Musset raffermit dans le drame l’ascendant d’un nom susceptible à lui seul de faire jaillir dans l’esprit du lecteur – a fortiori du lecteur du xixe siècle – un imaginaire occulte21. Le nom des Médicis fait en effet le jeu d’un large processus de caractérisation négative de la part des historiens, dramaturges et romanciers français du xixe siècle. Ces derniers cristallisent notamment les fantasmes collectifs autour de la figure de Catherine, mère de François II et de Charles IX, bien souvent dépeinte en reine empoisonneuse et nécromancienne. Outre ce nom, la Florence – et plus largement l’Italie – du xvie siècle s’impose, à l’âge romantique, comme un terreau favorable à la référence ésotérique, qui cristallise les légendes noires et les esthétiques hermétistes. Trois ans avant Lorenzaccio, l’Italie renaissante fournit déjà à Vigny l’héroïne de son drame La Maréchale d’Ancre : Léonora Dori dite « la Caligaï », épouse de Concini, sœur de lait de Marie de Médicis et brûlée en place de Grève pour sorcellerie. Femme « calculée et dissimulée à la façon des Médicis22 » selon Vigny, « presque fée23 » qui « consulte les cartes24 » selon les personnages qui l’entourent dans le drame, l’héroïne éponyme fournit l’un des premiers modèles de ce qui deviendra presque un archétype de la littérature romantique : la figure de la magicienne italienne, vers laquelle convergent notamment les diverses déclinaisons dumasiennes de Catherine de Médicis25. Ailleurs, la Florence renaissante donne encore à l’auteur de La Reine Margot le cadre du mélodrame L’Alchimiste, histoire de jalousie, d’amour, d’or et de meurtre sur fond de magie, écrite en collaboration avec Gérard de Nerval. Si l’on peut être tenté dans un premier temps de mettre en doute ou de nuancer l’idée d’une réflexion purement ésotérique de la part de Musset, le clin d’œil à cette culture dans Lorenzaccio semble en revanche peu contestable. Il est toutefois difficile de dire si celle-ci doit être appréhendée au premier degré ou si elle abrite plutôt une attitude critique et ironique de l’auteur vis-à-vis d’une mode et de pratiques auxquelles rien n’indique qu’il ait adhéré26 mais qui agitent et enthousiasment ses pairs romantiques. Toujours est-il que la récurrence numérique affichée dans la scène V, 5 semble assumée et peut faire signe, dans un premier temps, vers une arithmosophie d’influence chrétienne.

Du six au six-cent-soixante-six : une arithmologie chrétienne au service de l’énigme ontologique ?

6Si dans le propos du marchand la récurrence du chiffre six peut dans un premier temps faire signe, par concaténation, vers son multiple six-cent-soixante-six – nombre de la Bête selon l’Apocalypse de Jean27, obtenu cinq fois dans la première réplique – le senaire s’impose lui-même comme un chiffre ambivalent, lieu de cristallisation des antagonismes et des dichotomies. Nombre du péché dans l’Apocalypse de Jean, associé par ailleurs à la figure de Néron ou à celle de Judas, le six prend aussi une couleur positive et est conçu comme « celui de l’Hexaemeron biblique, assurent Jean Chevalier et Alain Gheerbrant : le nombre de la création, le nombre médiateur entre le Principe et la manifestation28 » qui dédouble le chiffre de la trinité et de la tri-unité de l’être vivant. Aussi le senaire s’apparente-il également à un chiffre parfait, « divin, assurent les martinistes29 » mais encore au chiffre de l’achèvement, du Salut30, et même de la Passion du Christ31. Cette ambivalence sémiotique du chiffre six en fait plus largement un symbole de l’épreuve entre le bien et le mal, ce qu’illustre L’Amoureux du Tarot qui lui est associé : lame de l’indécision, celle-ci implique de même un choix entre deux voies, voire une lutte entre vice et vertu. Le hiatus herméneutique né de l’ambivalence inhérente au senaire – mais aussi de la confrontation du versant positif de la symbolique du seul chiffre six, à celle de son multiple six-cent-soixante-six – semble vouloir orienter, en même temps qu’il la trouble, non seulement la compréhension du destin d’Alexandre, mais surtout, en creux, le sens de l’acte tyrannicide de Lorenzaccio. Plus largement, on peut y voir une manifestation symbolique et numérique de la nature double du héros éponyme, qui illustre par le chiffre l’énigme ontologique de celui qui ne sait plus qui du diable ou de Dieu lui est le plus directement apparenté et guide la mission tyrannicide dont il se sent investi. « Suis-je un Satan32 ? » questionne-t-il ainsi dans la troisième scène de l’acte III, interrogation qui trouve son pendant symétrique à l’acte suivant « Suis-je le bras de Dieu33 ? » Autrefois « pur[e] comme un lys », la personnalité du héros au contact du duc Alexandre s’est en effet progressivement avilie jusqu’à faire de lui le « modèle titré de la débauche florentine34 », pourvoyeur des plaisirs du tyran, amateur d’orgies, corrupteur de filles et sacrilège des statues de l’arc de Constantin dont il a décapité les huit têtes. Dans l’étude qu’il consacre à la pièce, Sylvain Ledda souligne le caractère luciférien d’un tel héros :

La fréquentation du mal a fait de lui un prince florentin des ténèbres, ce que signale l’utilisation récurrente du terme « Diable », employé à vingt-neuf reprises dans le drame, confirmée par l’isotopie de l’ombre et de la nuit. L’étymologie du terme « Diable » éclaire l’action de Lorenzo dans le drame : il divise, il sème la discorde35.

7Mais en filigrane de cette image diabolique de Lorenzaccio survit pourtant l’ange d’autrefois, le « Lorenzino » habité par le souvenir de sa jeunesse « pure comme l’or36 » et mu par une volonté philanthrope de sauver un peuple et d’élever l’humanité : « J’ai cru en la grandeur humaine comme un martyr croit en son Dieu » pose-t-il à l’acte III, scène 3. Aussi le personnage éponyme s’apparente-t-il à un ange déchu, tombé dans l’inframonde qu’est « l’océan des hommes37 » où il reçoit son baptême et rompt avec sa pureté originelle. Face à ce destin, le chiffre six prend tout son sens, dont l’ambivalence herméneutique semble le poser comme un relai symbolique à l’énigme qu’abrite le héros, et qui pose cette même question du choix, notamment identitaire, à laquelle se trouve confronté Lorenzaccio.

8De même le parcours d’Alexandre de Médicis, éclairé par le marchand à la lumière de cette arithmosophie, apparente-t-il le tyran assassiné à une sorte de figure christique, confirmée par la fonction de pharmacos que revêt le tyran dans le drame. La récurrence du chiffre six dans la vie et la mort du duc fait certes signe vers la Passion du Christ, qui serait intervenue le sixième jour de la semaine, tandis que la condamnation de Jésus par Pilate aurait été prononcée, selon Saint Jean, à la « sixième heure ». Mais ces analogies numériques qui unissent a priori les deux destins n’occultent pas une différence certes discrète mais néanmoins éloquente : les « six blessures » évoquées par le marchand et qui font signe, en même temps qu’elles les dévoient, vers les cinq plaies du Christ. Ajouter à ces dernières une sixième blessure, avec toute l’ambiguïté symbolique que revêt le chiffre six, peut-être vu comme une manière supplémentaire de brouiller le sens du sacrifice d’Alexandre et de rappeler les ambivalences du pharmacos que se choisit Lorenzo avant d’en devenir un lui-même. La mise à mort du tyran tisse une parenté avec les « Christs romantiques […] hétérodoxes [et] scandaleux » que repèrent Frank Lestringant et Esther Pinon38 dans l’œuvre de Musset. « Jésus n’est plus Dieu, mais un frère de souffrance39 » pose Frank Lestringant, mais aussi, dans le cas présent, de jouissance pourrions-nous ajouter, et surtout de souffrance dans la jouissance.

9Ces six blessures apparaissent d’autant plus surprenantes que la scène 9 de l’acte IV, scène du meurtre, ne voit frapper Lorenzo que deux coups d’épée dans le corps du duc, informés par les didascalies : « Il le frappe », « Il le frappe à nouveau40 ». On sait Musset suffisamment économe en matière d’indications scéniques pour que cette précision nous paraisse d’importance. Aussi cette incohérence entre les faits tels que les rapportent les didascalies et ceux énoncés par le bourgeois interroge-t-elle : le dramaturge suggère-t-il ici un travestissement volontaire des faits par le marchand en vue de satisfaire un scénario ésotérique séduisant ? Cette piste soutiendrait l’hypothèse d’une posture ironique de Musset vis-à-vis du sujet ésotérique et de ses adeptes, mais elle peine à convaincre dans la mesure où il s’agit du seul endroit où l’analyse du personnage s’affranchit des faits. Recourir à une telle déformation ne parait au demeurant pas essentiel à la mise en lumière de la récurrence numérique dans le destin du tyran, suffisamment éloquente en soi pour ne pas nécessiter d’étaiements factices. S’agit-il alors d’une simple étourderie mussetienne ? Ou bien d’une irrégularité intentionnelle, qui marque la volonté auctoriale d’attirer l’attention du lecteur sur cet autre chiffre qui, omniprésent dans la pièce (et dans toute l’œuvre), se lit tout d’abord en filigrane d’une thématique privilégiée, obsessionnelle de Musset : celle du double et de la dualité ?

« Un dans [Deux], [Deux] dans Un41 » ?

10Dans la scène du tyrannicide, Musset opère une transformation majeure par rapport au scénario initial de l’ébauche de George Sand sur laquelle il s’appuie et dans laquelle le maître d’armes Scoronconcolo égorge puis poignarde à de multiples reprises le duc, que Lorenzo ne fait qu’immobiliser42. Si l’enjeu pour le dramaturge ne consistait qu’à montrer le meurtre d’un tyran, la première version de Sand semblait suffisamment efficace pour être reconduite. Le choix de Musset, qui consiste à réduire la scène à deux personnages et à deux coups est probablement réfléchi et significatif : il permet d’orienter la lecture vers une dimension symbolique qui éclaire de façon nette les jeux de dualisme et de fusion qui traversent la pièce. Ces deux coups semblent venir actualiser les deux évanouissements dont Lorenzo est saisi dès la première scène de l’acte III, tandis qu’il répète le meurtre. Car c’est vraisemblablement, non seulement la mort d’Alexandre, mais encore la sienne propre, que Lorenzo figure dans cette scène, et que concrétisent les deux coups fatals portés au tyran : un coup pour toi, un coup pour moi, pourrait-on lire en filigrane des didascalies. Le dédoublement du geste se souligne d’ailleurs lui-même tandis qu’il encadre et ponctue cet ultime échange de répliques entre les deux personnages :

  LORENZO
Dormez-vous, seigneur ?
  Il le frappe.
  LE DUC
C’est toi Renzo ?
  LORENZO
Seigneur, n’en doutez pas.
  Il le frappe de nouveau.

11En filigrane de l’ultima verba du duc semble surgir une autre question, qui ne se fait entendre que si l’on retire à la phrase son premier phonème : « Et toi Renzo ? » demande alors le duc à celui qui le rejoindra bientôt dans le trépas : « Moi aussi, n’en doutez pas » semble répondre à mi-mots le héros. Et lorsqu’il assène le second coup, c’est la promesse de sa propre mort qu’il matérialise dans la chair d’Alexandre. Lu sous cet angle, le meurtre peut être interprété comme la tentative d’une conjuration : celle de la dualité, motif obsessionnel de la pièce. Musset, qui « [tient] toute dualité pour impureté43 » écrit Esther Pinon, partage en effet avec Nerval la hantise de l’impossible unité de l’homme :

Une idée terrible me vint[, écrit ce dernier] : – L’homme est double, me dis-je. […] Il y a en tout homme un spectateur et un acteur, celui qui parle et celui qui répond. Les Orientaux ont vu là deux ennemis : le bon et le mauvais génie. – Suis-je le bon ? Suis-je le mauvais ? me disais-je. En tous cas, l’autre m’est hostile… Qui sait s’il n’y a pas telle circonstance ou tel âge où ces deux esprits se séparent ? Attachés au même corps tous deux par une affinité matérielle, peut-être l’un est-il promis à la gloire et au bonheur, l’autre à l’anéantissement ou à la souffrance éternelle44 ?

12Un tel propos aurait pu être écrit par Musset lui-même, que l’on sait sujet aux crises d’autoscopie et qui fait du personnage de Lorenzo le réceptacle, sinon l’allégorie de son angoisse. Cette inquiétude ne saurait être désolidarisée de son pendant numérique : « Tous admettent […], écrit Auguste Viatte à propos des théosophes dont s’inspirent les écrivains romantiques, que deux marque une séparation de [l’]unité primordiale45 ». Aussi les traces du chiffre deux sont-elles nombreuses dans la pièce, parsemées sous forme de duos ou, plus angoissant, de phénomènes de dédoublements : celui de Lorenzo en Lorenzaccio, bien sûr, mais encore celui de Lorenzaccio que sa mère voit apparaître sous forme d’un spectre, qui croit reconnaitre alors son « Lorenzino d’autrefois46 ». Quoiqu’il en soit, le dramaturge donne du phénomène de binarité une interprétation angoissante, qui refuse le sens positif que peut recouvrir le chiffre deux. Car, si « [l]e binaire, ainsi que le confirme Jean-Pierre Brach, représente évidemment le premier dédoublement, le premier chaînon vers la création47 », celui-ci n’implique pas nécessairement la déchirure de l’unité mais peut aussi se voir comme « l’Unité véritable alliée à son reflet au sein de la multitude, l’expression d’une alternance dynamique dont le mouvement maintient toutes choses dans la vie et l’être48 ».

13Dans Lorenzaccio, le binaire est un signe mortifère permanent. En acte, il ne permet la fusion des doubles que sont le héros et sa victime que dans le geste meurtrier49. En puissance, on l’entrevoit à travers ces quelques duos de personnages qui traversent la pièce et orientent son dénouement funeste ou préfigurent un avenir à craindre. Si les deux enfants Strozzi et Salviatti, lorsqu’ils se querellent à l’acte V, rappellent que la paix revenue à Florence n’est que relative et couve en réalité des rancœurs dont l’ombre pèsera toujours sur la cité50, les personnages de Tebaldeo et Philippe semblent bien s’imposer comme le double ou le reflet l’un de l’autre, et échouent de concert à orienter Lorenzo sur une voie plus salutaire que celle qu’il emprunte51. L’effet de dédoublement entre les deux personnages dans Lorenzaccio est d’autant plus remarquable que les scènes dans lesquelles ils exposent respectivement leurs principes et croyances dédoublent elles-mêmes le numéro de l’acte qui les contient, faisant s’exprimer Tebaldeo dans la scène 2 de l’acte II, puis Philippe dans la scène 3 de l’acte III, dans une sorte de mise en miroir dramaturgique, symbolique, graphique et numérique.

Calculer les « combinaisons surnaturelles »

14Mais le propos du marchand ne se limite pas à un exposé de récurrences, et ce dernier s’emporte, face au déni impassible de son interlocuteur : « Comment ! comment ! vous êtes donc incapable de calculer ? vous ne voyez pas ce qui résulte de ces combinaisons surnaturelles que j’ai l’honneur de vous expliquer52 ? » En filigrane de cette réplique s’entend une invitation à l’opération mathématique, qui se perçoit d’autant plus nettement que le verbe « résulter » est répété à trois reprises dans l’ensemble de ce bref échange. Ainsi que le fait le marchand avec l’orfèvre, Musset invite peut-être le lecteur du Spectacle dans un fauteuil, plus qu’à observer une récurrence numérique, à se livrer à une démarche arithmétique active, à chercher par lui-même ce qu’il « résulte » des « combinaisons » qu’il lui expose. Or, additionner les six attachés aux différents faits évoqués aboutit au nombre quarante-huit, considéré par les illuministes, dans la lignée du behménisme53 comme le chiffre de « l’humanité divine », qui allie la matière (4) et l’esprit (8). S’il serait risqué de prêter à Musset une connaissance directe des conceptions behménistes, on peut toutefois lui supposer un accès détourné à ces dernières via sa lecture des romantiques allemands dont l’œuvre, à l’instar de celles de Tieck, Novalis ou encore Schelling, est traversée par l’influence du théosophe Jacob Boehme. Quarante-huit peut renvoyer par ailleurs au nombre des membres composant, depuis 1532, le Sénat florentin, chargé alors de garantir avec le « Conseil des deux cents » une relative démocratie. Si l’apparition d’un nombre faisant signe vers une institution démocratique, dans un drame où la démocratie est justement mise à mal et où la République est l’enjeu vers lequel convergent toutes les actions est peut-être un hasard, la coïncidence n’en est pas moins heureuse ni éloquente, qui passe par le symbole numérique pour charger la scène d’un sens politique et idéologique fort.

15Plus curieux encore, la répétition de chaque élément dans la première réplique du marchand, si elle s’apparente d’abord à un effet – ou à une lourdeur – rhétorique mobilisé par le personnage à des fins persuasives, peut être lue encore comme une invitation à doubler cette première somme. Le résultat ainsi obtenu, quatre-vingt-seize, peut d’abord s’analyser d’un point de vue purement graphique pour sa valeur miroir : les chiffres six et neuf s’apparentent visuellement à des doubles symétriquement inversés. En ce sens, ils peuvent évoquer l’étrange jumelage qui lie le héros éponyme au duc Alexandre de Médicis, antagoniste du pur « Lorenzo d’autrefois » et double de Lorenzaccio. Du point de vue arithmosophique, le novénaire contient en lui-même cette dimension symétrique et rejoue la partition antithétique déjà exprimée par le six : « Neuf est un des nombres des sphères célestes, écrivent Jean-Chevalier et Alain Gheerbrant. Il est encore, symétriquement, celui des cercles infernaux54. » Surtout, sa position ultime dans la série des chiffres fait du novénaire tout à la fois l’expression de la fin d’un cycle et d’un recommencement, que confirme dans la pièce le remplacement d’Alexandre par Côme de Médicis à la tête de Florence. L’intronisation de ce dernier, dans la scène de fermeture du drame, annonce la renaissance d’une tyrannie en tous points identique à la précédente. Le nombre sert et illustre en cela la vision pessimiste et itérative de l’histoire qui est celle de Musset.

Conclusion

16Pour complet que paraisse l’exposé arithmosophique du marchand dans la scène 5 de l’acte V, un six manque pourtant à l’appel, que la chronologie de la pièce ne permet pas au personnage d’évoquer mais que n’ignorait sans doute pas Musset : celui de la date de mort du Lorenzaccio historique, assassiné par deux hommes le 26 février 154855. La connaissance d’un tel élément rehausse encore l’intérêt symbolique de l’étonnant maillage de nombres qui traverse la scène et la pièce, en tissant un ultime lien entre les destins d’Alexandre et de son cousin fratricide. Avec Lorenzaccio semblent se révéler les signes de l’existence d’une arithmologie mussétienne personnelle, qui s’élabore en prenant appui sur un modèle chrétien dont elle s’éloigne parfois pour mieux résonner avec l’énigme du héros éponyme ou les angoisses métaphysiques et autres questionnements historiques de son créateur. Ce faisant, la symbolique des chiffres dépasse les genres poétiques et narratifs dans lesquels les auteurs romantiques l’illustrent plus fréquemment et gagne le champ dramatique, auquel elle offre un relai symbolique et une grille herméneutique de lecture. Si elle ne peut prétendre à l’exhaustivité et ne peut cheminer qu’avec précautions, cette proposition espère du moins avancer quelques-unes des pistes de lecture possibles que peut appeler le drame mussétien lorsqu’on l’éclaire à la lumière d’une des influences ésotériques du romantisme. Si, ainsi que l’exprime Louis Lafourcade, « les chiffres sont une substance poétique parfois inconsciente56 », l’étude de Lorenzaccio à l’aune de l’arithmosophie révèle qu’ils sont aussi un matériau dramaturgique possible, le lieu où se réfléchissent en petit toutes les ambigüités d’une des pièces les plus complexes du répertoire théâtral français.

Notes

1 Joseph de Maistre, Les Soirées de Saint-Pétersbourg [1821], Lyon, Librairie générale catholique et classique, 1892, t. 5, p. 103.

2 Voir notre article « Romantisme illuminé. Inspiration occulte d’un mouvement littéraire au xixe siècle », dans Mondes invisibles, dir. Sylvain Ledda, L’Herne, « Cahier de l’Herne », Paris, 2023, p. 226-229.

3 Antoine Faivre, « Arithmosophie », Encyclopedia Universalis, [en ligne] : Définition de arithmologie – Encyclopædia Universalis, page consultée le 8 mai 2022.

4 Pour le pythagorisme, chaque réalité est en effet représentable par un nombre.

5 Antoine Faivre, « Arithmosophie », art. cité.

6 Lettre de Louis-Claude de Saint-Martin à Kirchberger, citée par Auguste Viatte dans Les Sources occultes du romantisme [1929], Paris, Honoré Champion, t. 1, 1965, p. 56.

7 Sur ce point, voir l’ouvrage de Daniel Beresniak, Franc-Maçonnerie et romantisme, Paris, Éditions Chiron, « Janus », 1987.

8 Nerval s’attarde notamment sur le nombre sept, en lequel il voit le nombre de « l’harmonie générale », mais encore sur le chiffre deux, manifesté sous la forme angoissée du double et de la dualité. Voir Nerval, Aurélia. Les Nuits d’octobre. Pandora. Promenades et souvenirs, éd. Jean-Nicolas Illouz, Paris, Gallimard, « Folio classique », 2005, p. 135 et 150-151.

9 Victor Hugo, Les Contemplations [1856], éd. Ludmila Charles-Wurtz, Paris, LGF, « Le livre de poche », 2002, p. 478.

10 On pourrait aussi évoquer les « Vers dorés » de Gérard de Nerval, ou encore le roman de Senancour, Obermann.

11 Jean-Pierre Brach, La Symbolique des nombres, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1994, p. 107.

12 Victor Hugo, La Légende des siècles, [1859], éd. Claude Millet, Paris, LGF, « Le livre de poche », 2000, p. 381.

13 Voir Jean Richer, Nerval. Expérience et création, Paris, Hachette, 1963.

14 Pierre Jean Jouve, Apologie du poète, Paris, Le Temps qu’il fait, 2006, p. 20-21.

15 Alfred de Musset, Lorenzaccio [1833], éd. Florence Naugrette, Paris, Flammarion, « GF », 2012, acte V, scène 5, p. 207-209. Désormais, toutes nos citations renverront à cette édition.

16 Sur ce point, voir la thèse d’Esther Pinon, Le Mal du Ciel. Musset et le sacré, Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et Modernités », no 159, 2015.

17 Paul François Gaspard Lacuria, Les Harmonies de l’être exprimées par les nombres, Paris, Comptoir des imprimeurs unis, 1844, t. 1, p. 24.

18 « L’Ancien et le Nouveau Testament, […] où les nombres ne semblent jamais arbitraires, renferment une arithmologie très élaborée », pose Antoine Faivre dans son article « Arithmosophie », art. cité.

19 V, 5, p. 207-208.

20 Ibid.

21 Ainsi que le fit remarquer Gilles Polizzi après notre communication, l’omniprésence du chiffre six pourrait aussi faire songer au nom Médicis prononcé à la française. Un jeu de mots semble ainsi s’établir entre l’onomastique et le chiffre, dont on peut s’amuser à varier les combinaisons : « Maudit six », proposait Gilles Polizzi, mais aussi « Me dit six » ou « Médit de six ». Nous remercions Gilles Polizzi pour cette hypothèse herméneutique stimulante.

22 Alfred de Vigny, La Maréchale d’Ancre, dans Vigny, Œuvres complètes, éd. François Germain et André Jarry, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. 1, 1986, p. 627.

23 Ibid., p. 635

24 Ibid.

25 Alexandre Dumas (père) fait de Catherine de Médicis une figure aussi dangereuse et inquiétante que centrale dans des romans comme La Reine Margot ou des drames comme Henri III et sa cour.

26 Si l’ésotérisme ne semble certes pas un trait saillant de la culture de Musset, il n’est pourtant pas totalement absent de cette dernière. Dans son édition de La Confession d’un Enfant du Siècle, Sylvain Ledda rappelle ainsi que Musset, à l’instar de son personnage Octave, se livrait lui-même à la bibliomancie, sur le modèle des « sorts virgiliens ». Voir la note de bas de page de La Confession d’un Enfant du Siècle, éd. Sylvain Ledda, Paris, Flammarion, « GF », 2010 (rééd. 2020), Paris, p. 117. La possible appartenance du père de Musset à la franc-maçonnerie semble par ailleurs pouvoir corroborer l’hypothèse d’une sensibilité ésotérique à l’œuvre chez Alfred de Musset.

27 « Celui qui a de l’intelligence, qu’il interprète le chiffre de la bête, car c’est un chiffre d’homme : et son chiffre est 666 », Apocalypse, 13 : 18.

28  Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, « Six », Dictionnaire des symboles [1969], Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2019, p. 1027.

29 Auguste Viatte, Les Sources occultes du romantisme, op. cit., p. 57.

30 Jean-Pierre Brach, La Symbolique des nombres, op. cit., p. 101.

31 Jésus aurait souffert le sixième jour de la semaine. Le théologien Origène va plus loin encore, pour qui le Christ aurait été conçu au sixième jour du mois, serait né au sixième âge, et aurait été crucifié à nouveau au sixième jour du mois.

32 III, 3, p. 141.

33 IV, 3, p. 168.

34 I, 4, p. 58.

35 Sylvain Ledda, Lorenzaccio, Paris, PSN, « Un auteur, une œuvre », 2020, p. 47.

36 III, 3, p. 137.

37 III, 3, p. 139.

38 Voir Esther Pinon, Le Mal du Ciel, op. cit., p. 378-293.

39 Frank Lestringant, Alfred de Musset, Paris, Flammarion, 1999, p. 114.

40 IV, 9, p. 191.

41 Nous détournons ici la formule hugolienne : « L’Être resplendissait : Un dans Tout, Tout dans Un », énoncée dans La Légende des siècles, éd. Claude Millet, Paris, LGF, « Classiques de poche », 2000, p. 57.

42 Voir George Sand, « Une Conspiration en 1537 » dans Musset, Théâtre complet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1990, p. 851.

43 Esther Pinon, Le Mal du Ciel, op. cit., p. 379.

44 Gérard de Nerval, Aurélia, éd. citée, p. 150-151.

45 Auguste Viatte, Les Sources occultes du romantisme, op. cit., p. 56.

46 Acte II, scène 4, p. 97.

47 Jean-Pierre Brach, La Symbolique des nombres, op. cit., p. 100.

48 Ibid.

49 L’union des deux destins se réaffirme dans les instants qui suivent l’acte meurtrier et au cours desquels Lorenzo constate à son doigt la morsure infligée par Alexandre, qu’il assimile à l’alliance, garante d’une éternelle union : « Regarde, il m’a mordu au doigt. Je garderai jusqu’à la mort cette bague sanglante, inestimable diamant », IV, 11, p. 191.

50 V, 5, p. 211-212.

51 Au sujet de l’échec de Tebaldeo et Philippe auprès de Lorenzo, voir la partie « Faillite des guides initiatiques » dans notre étude « Lorenzaccio et Chatterton : deux drames initiatiques ? », Bulletin de l’Association des amis d’Alfred de Vigny, dir. Sylvain Ledda et Sophie Vanden Abeele, Paris, Classiques Garnier, no 3, 2021, p. 133-170.

52 Acte V, scène 5, p. 208.

53 Le behménisme est le courant illuministe inspiré par la figure de Jacob Boehme, théosophe allemand du xviie siècle, auteur du De signature rerum et dont la doctrine s’appuie sur ce qu’on pourrait appeler un ésotérisme chrétien.

54 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des synonymes, op. cit., p. 766.

55 Nous avons réalisé, quelques semaines après avoir prononcé cette communication, que le chiffre quarante-huit évoqué plus haut et obtenu par calcul pouvait aussi renvoyer à l’année de mort du Lorenzaccio historique. L’hypothèse peut d’autant mieux se soutenir que le chiffre quarante-huit se découvre dans la scène 5 de l’acte V, qui rappelle le chiffre des centaines de cette année fatidique. Musset, qui joue par endroits avec la vérité historique – il fait mourir son héros quelques jours après le meurtre, quand son modèle lui survécut en réalité près de onze ans –, semble la rétablir de manière symbolique et cryptée, en filigrane de l’action et des dialogues. Qu’il s’agisse du chiffre deux, du six, du cinq ou du quarante-huit, tous font finalement signe vers cette date : 26/02/1548, gravée dans le drame à défaut du marbre – Musset fait jeter le corps de son héros dans le fleuve, faisant s’exclamer Philippe : « Eh quoi ! Pas même un tombeau ? »

56 Louis Lafourcade, Puissance et symbolique des nombres : Notes de lecture. Vie du Cercle, Paris, Cahiers Laïques, no 201, 1986.

Pour citer ce document

Caroline Legrand, « L’arithmosophie dans Lorenzaccio : pour une herméneutique du nombre ? » dans Littérature et occulture,

Programme de recherche
Coordination scientifique : Frank Greiner, Sylvain Ledda et Catherine Douzou

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 29, 2023

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