Deuxième partie : Cartes et tarots : imaginaire et représentations littéraires – Coord. scientifique : Sylvain Ledda

Présentation

Sylvain Ledda


Texte intégral

La Treizième revient… C’est encore la première ;
Gérard de Nerval1

1Par-delà leur fonction ludique, cartes et tarots sont considérés comme des livres ouverts sur le passé et l’avenir. Cette dimension ésotérique explique leur usage divinatoire depuis la fin du xviie siècle et toute la mythologie qui s’est élaborée autour des pratiques de divination à partir des cartes à jouer. Depuis leur création au xve siècle en Italie, les tarots fascinent les imaginations, et en particulier celle écrivains. De Rabelais à Stephen King, le tarot et les cartes intriguent, permettent de déchiffrer des situations de manière analogique, ou de suggérer qu’un sens caché est à l’œuvre. Avant de servir de supports à la divination, les cartes et les tarots sont avant tout des jeux. Le passage du ludisme vers l’ésotérisme, qu’on situe à la fin du xviie siècle, nous informe sur la double signification sémiotique et anthropologique qu’on leur attribue. Qu’elles apparaissent dans les scènes de divination ou permettent de produire un discours symbolique à l’intérieur d’un système narratif ou dramatique, elles font entrer une part du mystère de l’ésotérisme dans le régime de la fiction.

2Dès le xvie siècle, Rabelais y fait référence dans Gargantua. Dans son ouvrage, Histoire naturelle de la parole (1776), Antoine Court de Gébelin décrit le voyage du tarot depuis l’Égypte ancienne jusqu’au siècle des Lumières. Au xixe siècle, la divination par les cartes envahit l’imaginaire littéraire, favorisé par le goût du fantastique, dont l’une des réussites majeures est La Dame de Pique de Pouchkine. Balzac, qui croyait en la cartomancie, invente le personnage de madame Fontaine sur le modèle de la célèbre Mlle Lenormand, dont les consultations sont restées légendaires – Dumas en fait un personnage historique dans La Comtesse de Charny. Le charme opéré par les cartes, les tarots et ceux qui les pratiquent nourrit la pensée des créateurs, en l’ouvrant sur une vision magique du monde dominée par la loi des analogies. Au temps d’Auguste Comte et du positivisme, les cartomanciennes et leurs pratiques, ont été aussi l’objet d’évocations satiriques, visant à travers elles la permanence du vieil obscurantisme. Ainsi dans un vaudeville de 1848, La Tireuse de cartes, toutes les superstitions liées aux significations des quatre couleurs des cartes donnent lieu à des variations cocasses : si d’aucuns veulent des cœurs (l’amour), au siècle de Guizot (« Enrichissez-vous »), on préfère les trèfles (l’argent). Croyance mêlée d’ironie, la prédiction par les cartes donne ainsi lieu à de nombreuses séquences, qu’elles soient méditations sérieuses ou satires comiques.

3Au xxe siècle, l’usage des tarots et des cartes dans la fiction évolue et s’enrichit de nouvelles perspectives. On le voit, par exemple, pactiser avec le surréalisme (André Breton, Arcane 17), se transformer en « machine narrative combinatoire » (Italo Calvino, Le Château des destins croisés), s’immiscer dans le polar ésotérique, sous-genre à succès du roman policier (Kate Mosse, Sépulcre) ou devenir une voie à la poésie spirituelle (Christian Gabrielle Guez Ricord, Maison Dieu). La critique a pu également employer le tarot comme une clé herméneutique de l’œuvre littéraire – Jean Richer en se fondant sur les arcanes majeurs du tarot de Marseille avait ainsi jadis proposé une interprétation ésotérique des Chimères de Nerval, non sans susciter de vives réactions de réprobation2. En France, rares sont les travaux récents qui « osent » considérer les tarots comme un livre qui ferait parler les autres livres.

4Comment expliquer le pouvoir de séduction qu’exercent les cartes, les tarots sur les écrivains ? Dans quelle mesure leur intégration dans l’œuvre littéraire introduit-elle une méditation sur le Hasard ou la Providence ? Quelle sémiologie implique leur utilisation ou, pour le dire autrement, offrent-elles une vision du monde réglée par les correspondances ? Comment l’objet-carte, à la forte charge symbolique, alluvionne-t-il les récits, la poésie et le théâtre ? Quels liens les créateurs entretiennent-ils avec celui-ci dans une perspective ésotérique, occulte, voire magique ? Chargées de leur force allégorique, les cartes sont-elles seulement un prétexte pour susciter l’émerveillement ?

5Si les tarots s’inscrivent dans une tradition herméneutique, ils alluvionnent aussi l’imaginaire littéraire et leur présence comme « grille de lecture du monde » ou comme objet signifiant oriente toujours le sens de la fiction. L’exemple d’Italo Calvino dans Le Château des destins croisés montre à quel point la poétique du récit peut bénéficier du réseau symbolique des tarots. Leur valeur descriptive, le sens que produisent les analogies visuelles et ésotériques peut participer à la construction des récits. Les séquences qui font intervenir les cartes et la cartomancie ont également une valeur diégétique, qu’examinent les articles du présent recueil. Enfin, dans une perspective d’étude de genre, les tarots et les cartes, avec leurs figures masculines et féminines, avec leurs représentations de la jeunesse (le Bateleur) ou de la maturité (l’Empereur) suggèrent un autre mode de construction des personnages de fiction.

Notes

1 « Artémis », Les Chimères, 1855.

2 Voir en particulier son essai Nerval, expérience vécue & création ésotérique, Paris, Guy Trédaniel, 1987, passim ; voir également Les Chimères, éd. Jeannine Moulin, Genève, Droz, 1969, p. 8-12.

Pour citer ce document

Sylvain Ledda, « Présentation » dans Littérature et occulture,

Programme de recherche
Coordination scientifique : Frank Greiner, Sylvain Ledda et Catherine Douzou

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 29, 2023

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1805.

Quelques mots à propos de :  Sylvain Ledda

Université de Rouen Normandie
CÉRÉdI – UR 3229