Pneumatologiques

Colonnes d’air et vents contraires – les « éolivres » d’Alain Damasio

Christèle Couleau


Texte intégral

1L’air est présent sous de multiples formes dans les romans d’Alain Damasio. Le vent, bien sûr, celui qui souffle avec violence sur l’étrange pays de La Horde du Contrevent, et dont les héros cherchent l’origine. Mais aussi l’oxygène nécessaire à la respiration des habitants de Cerclon, cité construite sur un astéroïde proche de Saturne, balayé de vapeurs de méthane et d’ammoniac, où se déroule l’action de La Zone du Dehors. L’air, c’est encore l’espace de propagation des ondes, saturé de données et de sons, qui tient une grande place dans l’environnement et l’intrigue des Furtifs.

2Ces représentations seraient bien sûr à situer dans une histoire des imaginaires, mais il s’agira surtout ici d’en étudier les résonances intérieures et de montrer comment la sollicitation de cet imaginaire aérien structure profondément le discours et le style de Damasio. En effet, si La Zone du Dehors expose surtout une politique de l’air, La Horde du Contrevent en propose davantage une éthique et une poétique. Ces trois fils entremêlés se prolongent dans Les Furtifs, faisant de l’air, plus qu’un thème, une véritable matière romanesque.

Politique de l’air

3Politique, l’air l’est tout d’abord en tant qu’il constitue une ressource stratégique. Cette perspective est particulièrement importante pour les habitants de Cerclon : l’air qu’ils respirent est produit artificiellement, et plus encore que les habitations ou les infrastructures routières, ce sont les turbines à oxygène qui délimitent le pourtour de la ville, séparant la zone habitable, à l’intérieur, et la « zone du Dehors », sauvage et inhospitalière. D’un côté « notre bonne ville de Cerclon, avec sa gravité constante, son oxygène bleu qui suintait des turbines […], Cerclon, petite enclave sur astéroïde inhabitable, petit miracle technologique pour vie humaine possible1 ». De l’autre, un espace « que l’on ne coloniserait jamais », où « quelques sinueuses se bousillaient les projecteurs à serpenter dans l’ammoniac2 », un endroit, explique un personnage, « où ils disent qu’on ne respire plus sans avaler du feu, que ça flambe à l’intérieur, que ça te tapisse les bronches de Nox et que tu cales en spasme3 ».

4Cette frontière entre le vivable et l’« invivable4 », entre l’ox et le nox5, n’est cependant pas aussi nette que la partition de l’espace et la variation de la nature de l’air le laisseraient à penser. D’une part, l’oxygène est au sein même de la colonie une ressource mal partagée. Si les habitants des beaux quartiers de la ville bénéficient d’un air de qualité, à la température et à l’humidité contrôlée, dont ils peuvent profiter dans de grands parcs artificiels6, dans les quartiers pauvres respirer s’avère plus aléatoire. Dans le secteur 5, le moins favorisé, souvent, « les turbines à ox déconnent, et […] le nox, il fait des boules dans les cratères7 ». L’air y est non seulement plus rare, mais surtout plus pollué. Là s’ouvre en effet un espace à l’habitat dispersé, la « radzone », qui tire son nom des radiations émises par « le Cube8 », un immense réservoir à déchets, où sont largués tous les détritus en provenance des autres colonies. Ce territoire désolé, où sont relégués les exclus du système, est parsemé de cratères de météorites, de carcasses de vaisseaux que les habitants désossent au péril de leur santé, et de cuves de produits toxiques qui se répandent çà et là9. Cette inégalité d’accès à un air sain est la principale raison de l’engagement de Slift, l’un des héros du roman :

Moi je me bats d’abord pour le peuple, pour les gars comme moi […], pour les mômes qu’ont comme horizon l’antirade et le Cube toute leur putain de vie et qui bouffent des radiations comme toi des frites10.

5Ce caractère vital de l’accès à l’air forme en quelque sorte le premier cercle d’un pouvoir centralisé, qui donne à son obsession du contrôle les dehors de la nécessité. Déjà dans La Cité des asphyxiés, de Régis Messac, l’oppression passait par la raréfaction volontaire de l’air11. Mais Alain Damasio vise plus précisément une dérive insidieuse qui nous guette : celle de la privatisation des « communs », ces ressources vitales qui devraient être à la portée de tous, et plus largement celle de la gestion différenciée des accès, qui attribue à chacun, selon des critères précis, le droit de circuler plus ou moins librement… L’air, parce qu’il est nécessaire à la vie, mais aussi parce qu’il est par excellence ce qui circule, symbolise parfaitement ces enjeux politiques. Cette réflexion se poursuit dans Les Furtifs12 : l’action s’y déroule dans un futur plus proche (2040 au lieu de 2084), mais décrit une réalité comparable13. De nombreuses villes ont été privatisées (sur le « marché des villes libérées », Orange, où se passe l’action, a ainsi été rachetée par l’entreprise du même nom), et seuls les porteurs de bagues « premium » ou « privilège », numériquement identifiés, peuvent s’y déplacer librement, profitant de perspectives urbaines dégagées et d’espaces verts où respirer en paix. Tandis que les enfants des « über-riches » peuvent jouer sur des « balançoires ailées » au son des harpes d’un « jardin éolien », « les squares pour standards de la ville avaient leurs toboggans en plastoc brisés, trois buissons de base, puaient la pisse et saturaient de mômes14 » : des espaces différenciés, dans lesquels on ne respire donc pas le même air. La pollution n’est pas également partagée, le citoyen « standard » étant aussi amené à vérifier régulièrement si une entreprise « s’est acheté pour la journée un droit à polluer dans son quartier15 ».

6La pollution de l’air n’est d’ailleurs pas qu’une question de chimie ou de particules fines. Avec l’avènement des « smart cities16 » et de l’internet des objets, l’air devient avant tout un espace saturé d’ondes. Comme l’explique, dans le récit, une intelligence artificielle conçue pour converser avec les passagers des taxis :

Au niveau écologie, il y a tellement d’objets connectés partout que ça crée un smog électromagnétique. […] Et je parle pas de la pollution lumineuse ! Et je parle pas de la pollution sonore ! […] On vit dans un micro-ondes géant, monsieur17 !

7Au-delà de la perspective environnementale, il s’agit de la transformation d’une ressource naturelle en ressource économique et communicationnelle. Se déplaçant dans le centre-ville d’Orange, Lorca, le héros des Furtifs, « traverse la vapeur pailletée de l’infog18 ». Ce mot-valise associe le fog, brouillard toxique, et l’information, traitée par l’informatique et portée par les ondes aériennes. L’expression pointe, sous les paillettes, la pollution des cerveaux19. Et cette matérialisation du cloud, de l’informatique dans les nuages, transforme de manière visible l’air en un espace de pouvoir. La circulation des données, associée à l’internet des objets, forme un écosystème artificiel dont l’enjeu est d’assiéger la volonté du passant par une multitude de sollicitations commerciales personnalisées, alertes, vidéos, jingles, qui se déclenchent à son passage dans les vitrines et les dalles numériques. Le héros s’insurge de ces méthodes étouffantes : « Clairement, traverser en homme libre l’avenue Origami est un défi pour qui veut, à mon instar, échapper au harcèlement20 ». L’enjeu n’est pas seulement la tranquillité d’esprit du piéton. C’est « l’économie de l’attention », telle que la définit Yves Citton21, qui étend son emprise à l’environnement tout entier, transformant l’individu en consommateur pour mieux étouffer son sens critique et ses rebellions22. Les effets de cette pollution mentale sont tout aussi réels que ceux des autres toxiques véhiculés par l’air : Sahar, la compagne de Lorca, le constate lorsqu’elle enseigne, « Chez cette génération, la tranche d’attention continue avoisine les trente secondes23 ». Dans La Zone du Dehors, l’avancée concertée du marketing et des sciences a d’ailleurs permis d’affiner ces techniques de manipulation des individus, en jouant notamment sur la composition, l’odeur ou la température de l’air24. Ce sont les méthodes de « l’affecting », correspondant à une « gestion biopolitique25 » des individus et de l’air :

On ne pense pas pareil quand il fait toujours 22°C partout, quand on boit gazeux, quand les turbines pulsent ce qu’il faut d’oxygène pour nous euphoriser… On pense avec le corps, les amis26 !

8assène Kamio, l’un des activistes de la Volte. Au sommet du système, P, le président de Cerclon, souligne le lien étroit qui relie les principes du capitalisme à la « société d’omnicontrôle27 » qu’il gouverne : « Il est évident que l’accroissement du conformisme que la consommation induit est pour nous une bénédiction. Le capitalisme est une bénédiction. Et je me figure mal une démocratie de nos jours s’en passer28. » Le pouvoir s’exerce d’une manière insidieuse et incorporée que l’idée de respiration traduit parfaitement.

9Face à ces systèmes politiques dévoyés, la reconquête de l’air devient donc un enjeu. Dans Les Furtifs, de nombreux mouvements alter sont mis en scène, les plus spectaculaires étant sans doute « la Céleste » et « l’Inter », qui se réapproprient les hautes couches urbaines. Une militante l’explique à Lorca en ces termes : « […] notre bitume, il serait bleu. Ce serait l’air29. » Refusant de s’inscrire dans les normes d’une ville pensée depuis le sol, pour les voitures, ils décident de chercher « des obliques, des traçantes », lancent « des ponts de singe, des tyroliennes », utilisent des « parapentes » et des « autogyres », suspendent des « cocons » ou des « maisons sac à dos » aux immeubles. Ils investissent les toits, pour y instaurer d’autres modes de vie, communautaires et autonomes. Ce choix de l’air libre, contre le circuit fermé du lavage de cerveaux, se manifeste également dans la pratique de la « proferrance » : Sahar est enseignante mais n’appartient pas à la « multinationale de l’enseignement30 », Éducal, filiale d’Orange31, et elle doit pratiquer un enseignement nomade, illégal, un enseignement de plein air, son écran accroché entre deux arbres sur la place d’une cité cernée par le smog32. L’air ne porte pas ici les ondes des connexions à distance, des applications interactives qui délivrent une éducation formatée, mais forme l’espace d’une véritable rencontre, dans lequel se déploient la voix et l’émotion, au service d’un « Savoir transmis “en chaire et en os”, par un être vivant33 ». Cette vibration des ondes sonores, et la portée politique qu’elles acquièrent lorsqu’elles contestent les normes et les discours officiels ou médiatiques, est mise en scène également dans La Zone du Dehors, lorsque les leaders de la Volte s’adressent à la foule. La Volte est un mouvement « volutionnaire » (et non révolutionnaire, car il s’agit moins de lutter contre le système que d’inventer de nouvelles manières de vivre). Leur démarche, anarchiste et maïeutique, vise une prise de conscience, fondée sur un rapport personnel immédiat – dans une société qui est, elle, surmédiatisée. Aux discours officiels et aux voix synthétiques générées par des intelligences artificielles, les activistes opposent des « clameurs », de brefs enregistrements de voix humaines, tenant des propos intrigants et poétiques, qui se déclenchent quand survient un passant : les messages prennent la voie des airs, « la ville parle34 », pour mieux « aérer le crâne des gens35 ». Dans un même esprit, Kamio monte sur sa chaise dans un centre de rencontres pour héler les clients et les hôtesses, et sa « voix semble, en scandant, déchirer le velours de leurs oreilles36 » ; Capt organise ses cours à l’université comme des « concertos » dans lesquels plusieurs voix se mêlent ; et le discours fondateur d’Anarkhia, tenu par les meneurs de la Volte, prend la forme d’une polyphonie prononcée en plein vent depuis les dunes. Si l’air est le vecteur privilégié de l’information qui formate, il peut aussi devenir porteur de voix qui libèrent.

10Un même renversement s’opère avec le réseau d’oxygène37 que j’évoquais au début de cette partie. Le projet de fondation d’Anarkhia I, supposant d’investir un Dehors réputé inhabitable, se heurte très vite à des problèmes d’approvisionnement en oxygène. Slift est le personnage le plus conscient du problème, et mène une véritable « guerre de l’air38 » :

Le blème, c’était qu’on n’avait pas d’usine à ox à nous ! Et qu’on n’en aurait pas avant un bout de temps ! On dépendait toujours des turbines de Cerclon qui nous refilaient de l’air usé, qu’avait déjà été respiré par cent mille gogos qui t’y soufflaient leurs miasmes et du CO2 en veux-tu en voilà39 !

11Non seulement il faut du temps pour mettre en place les infrastructures, mais le gouvernement organise sciemment un service a minima, tablant sur les nombreux décès par asphyxie pour décrédibiliser la viabilité du projet40 : significativement, au bout de quelques mois, apparaissent « les premiers signes d’essoufflement de la fougue volutionnaire41 ». La Volte n’inversera le rapport de force qu’en inversant justement le sens de circulation de l’air : la toute nouvelle usine à oxygène du Dehors est utilisée pour propulser dans le bâtiment gouvernemental ce gaz enflammé qui le fait exploser. L’air, dans sa fluidité et sa réversibilité même, est donc à la fois l’enjeu et l’espace d’un combat politique concret, qui pose la question de l’intérêt général et des communs, tout en s’inscrivant à chaque instant aux creux des corps, dans l’intimité de la respiration.

Éthique de l’air

12C’est sans doute parce qu’à chaque respiration nous l’incorporons, mettant en relation notre environnement et notre intériorité, que l’air devient également chez Alain Damasio l’une des métaphores privilégiées de notre conscience et des forces auxquelles elle se confronte, une matérialisation de ce qui nous anime et se construit par notre rapport au monde, dans un effet de modelage réciproque.

13Cette métaphore prend, dans La Horde du Contrevent, les dimensions d’un monde. C’est pour Alain Damasio l’une des caractéristiques de l’écriture de science-fiction telle qu’il l’entend : prendre au pied de la lettre une image et lui donner vie, la « réeliser » en en faisant l’univers familier de ses personnages42. Dans ce roman, un vent à l’origine mystérieuse souffle continûment sur une bande de terre large de quelques milliers de kilomètres, le reste de la planète étant pris par les glaces. La vie tout entière s’est adaptée à ce phénomène : les animaux, l’architecture, les moyens de transport, l’écriture même, sont revus à l’aune de ce paramètre – les méduses vivent dans les airs, les navires sont des « drakkairs » flottant dans le vent même, les signes de ponctuation permettent de noter les variations du vent. Vingt-trois personnages composent la 34e Horde, chargée, à la suite des précédentes, de « tracer » contre le vent, c’est-à-dire d’inventer le chemin qui leur permettra de remonter à sa source, vers un mythique « Extrême-Amont ». Ils marchent depuis leur enfance, et progressent lentement, dans des territoires hostiles et de plus en plus vierges de présence humaine, et surtout ils vivent dans un corps à corps permanent avec l’élément aérien – c’est ce qu’ils appellent « le contre ». À leur formation initiale, sélective et violente, cette quête ajoute donc un modelage permanent par l’environnement et par les éléments, qui leur permet d’affiner conjointement leur perception, leurs connaissances et leurs valeurs :

Une horde n’avait que la valeur de son contre, que son corps à corps au vent et à la terre. Lui retirer la Trace, c’était l’empêcher de mûrir, d’apprendre et de savoir43.

14Cette expérience se cristallise peu à peu dans une éthique, dont on peut mettre en avant deux aspects : le lien avec les autres et le dépassement de soi44. Lien tout d’abord, car l’air, portant dans sa matière-même – odeurs, humidité, vibrations – l’empreinte des autres vies et du paysage environnant, tisse les personnages dans la trame du vivant45. Reliés ainsi au monde, ils sont aussi liés entre eux, tant la violence des rafales exige du groupe dans son ensemble une complémentarité et une solidarité sans faille. Le dépassement de soi s’actualise de manière collective, à travers le positionnement dans le groupe comme à travers la succession des hordes cherchant à aller à chaque génération un peu plus loin ; et de manière individuelle, puisque, comme l’explique le personnage de Caracole, c’est « l’effort physique, la tension des fibres face au vent, [qui] rend possible cette force, même si elle reste essentiellement mentale – sentie-mentale46 ». Leur expérience prolonge en cela celle vécue par les colons des cités alternatives d’Anarkhia, quittant le confort « amollissant » de Cerclon pour confronter leurs corps et leur volonté à la raréfaction de l’air47, et cette continuité s’entend d’ailleurs dans la proximité des dénominations qui les désignent, des Hornautes48 à la Horde… C’est bien le « dehors » qui résonne dans ces deux mots, avec ses promesses et ses exigences. Mais si la liberté des premiers était menacée d’« essoufflement » par le rationnement de l’air, les seconds vont au bout de leur quête, car, dit Caracole : « Le cosmos est [leur] campement49. »

15Cette exigence éthique, qui lie le dépassement de soi à un endurcissement, une ascèse, une épreuve de la souffrance, est chez Damasio directement puisée à ses lectures philosophiques, et notamment à celle de Nietzsche, tant la figure du « surhomme » allie immanence et transfiguration de l’existence. Les termes employés par Barbara Stiegler pour évoquer le philosophe soulignent cette parenté. Chez Nietzsche, écrit-elle :

La vie haute, la vie supérieure, ouverte au milieu cosmique le plus vaste, et parce qu’elle est la plus excitable et la plus blessée d’entre toutes, est aussi la plus forte, la plus capable de guérison50.

16Le concept qui intéresse le plus Damasio, et qu’il « trace » à son tour dans l’histoire de la philosophie, est celui de « puissance ». Il s’en explique en ces termes :

Puissance, donc, au sens de Spinoza et Nietzsche, au sens de Deleuze perché sur leurs épaules : puissance de persévérer dans son être, d’aller au bout de ce qu’on peut. De ne plus être coupé de ce qu’on peut51.

17Les textes de Damasio, comme les discours et les actions de Capt à Cerclon, cherchent toujours à nous arracher à notre « démission d’être hommes52 », et mettent en scène des personnages capables au contraire de vitalité, de dépassement créatif, de ce qu’il appelle, plus récemment, un « empuissantement53 ». Même s’ils représentent aux yeux de quelques-uns un combat dépassé, les hordiers sont admirés par le plus grand nombre pour ces valeurs qu’ils incarnent – et ce verbe, « incarner », est à prendre au sens propre, tant leur éthique se traduit moins par des discours que par les postures qu’ils adoptent. C’est ainsi par leurs actes, par leur positionnement dans l’espace, par leur rapport particulier à l’élément aérien, que les hordiers se distinguent au jour le jour de ceux qu’ils nomment péjorativement « les abrités ». Lorsqu’ils sont représentés fuyant le refuge sécurisant des villages les jours de « furvent », car « Quitte à mourir le ventre troué par un morceau de bois, ils préféreront toujours que ce soit en plein vent54 », il faut glisser de l’éthique, comme morale systémique, à l’ethos tel que le définit Bourdieu, à savoir un ensemble de « principes à l’état pratique55 », qui s’inscrivent dans les corps : « Le courage pour eux a cessé d’être un mot, il est devenu une certaine consistance de sang, un acte quotidien, une certaine qualité d’os56. » Les hordiers habitent donc le vent, et le vent les habite. Cette incorporation du vent, que matérialise la respiration, investit les personnages d’une force particulière, d’un « empuissantement » qui se traduit par trois effets complémentaires : elle les renforce, elle les aère, elle les anime.

18Premier effet, du côté de la force : Damasio file la métaphore de la « colonne d’air ». Ce phénomène physiologique, qui permet de chanter et de parler à voix haute, suppose une certaine tenue dans la posture – il faut être « droit », se tenir « debout57 », vocabulaire à double entente, à la fois physique et moral, qui caractérise les héros mis en scène dans les romans. Un réseau lexical se tisse ainsi de manière surprenante mais finalement très cohérente entre le vent et l’« os », que l’on a repéré dans la dernière citation : la colonne d’air devient colonne vertébrale, et nous enjoint de ne pas plier. Ainsi Kamyo, dans La Zone du Dehors, s’apprêtant à prendre publiquement la parole alors qu’il est recherché, réfléchit en ces termes : « la vertébrale colonne en moi – la colonne a refusé de plier. […] J’ai su qu’il faudrait aller au bout désormais, et j’irai58. » Dans La Horde du Contrevent, ce double champ lexical entremêlé du squelette et du souffle est omniprésent. Un personnage l’incarne tout particulièrement : il s’agit de Te Jerkka, vieux sage maîtrisant les techniques du « nèphesh59 », un art des pouvoirs de la voix. Son corps porte l’empreinte du vent qui l’habite : « un vortex le travaillait en puissance du dedans, […] tordait ses os et ses muscles […] courbait la colonne vertébrale60. » Mais surtout, sa respiration phénoménale fait de sa colonne d’air une force qui non seulement le redresse, mais donne à sa parole une fonction performative. Cette parole est sculptée par chaque élément du circuit de la phonation pour devenir non pas « un véhicule à mots », mais « une force et une arme61 ». C’est cette même force qu’Alain Damasio met en scène sur un mode collectif dans Les Furtifs, lorsque la musique vibrante de l’olifant de Saskia, soutenue par tout l’orchestre de vents, de cordes et de percussions des manifestants, et par les échos des furtifs, met en résonance matériaux et mobiliers urbains, jusqu’à l’effondrement littéral du quartier d’affaires de Marseille62.

19Deuxième effet, cet empuissantement collectif s’élève contre ce que Capt nomme l’« aérodynamisme63 » du pouvoir, c’est-à-dire sa « capacité de pénétration », à la fois dans l’espace de l’inconscient collectif et dans l’intime des convictions individuelles. On voit se mettre en place une nouvelle séparation dedans / dehors : c’est le Dehors, avec une majuscule, et les valeurs qui y sont associées (puissance, liberté, créativité), qui peuvent pénétrer nos dedans, nos intériorités, et les « aérer ». Aérer les cerveaux, c’est le rôle que se donnent les activistes de la Volte. La métaphore est récurrente64 lorsqu’il s’agit d’expliciter leurs intentions : non pas bourrer les crânes d’idées alternatives, mais aider les individus à reprendre possession d’eux-mêmes, et rétablir une libre circulation des idées dans les esprits « saturés » d’intox et de publicité. Alain Damasio reprend volontiers à son propre compte cette idée, et lorsqu’il est, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007, à l’initiative de l’écriture d’un collectif alertant contre les possibles dérives en cas de victoire sarkozyste, ce n’est sans doute pas un hasard si le recueil s’intitule Appel d’air65. Voici en quels termes il le présente :

C’est un appel d’air, enfin, pour qu’au cœur de l’acier plein des slogans, du bois brut libéral dont ils ont fait une langue, une ouverture se fasse qui libère un peu de vie, de fraternité, d’échanges généreux et de métissages66.

20En sous-bassement de la prise de position partisane, l’air que véhiculent ces micro-fictions veut inspirer une éthique plus globale. Vie, ouverture, métissage : c’est précisément ce réseau de notions qui se déploie dans le roman qu’il commence à la même époque. Les Furtifs qui donnent son titre à l’ouvrage sont en effet des êtres incarnant « la vie à sa plus haute puissance67 » : toujours en mouvement et en perpétuelle métamorphose, ils métabolisent leur environnement et s’hybrident continuellement. Pour entrer en contact avec eux, les humains doivent accepter cet appel d’air, comme Lorca en fait plusieurs fois l’expérience :

Je me suis senti déċroċher douċement, ċomme si je passais enfin la main à quėlqu’un d’autre, que je m’ouvrais une porte entre mes deux épaulės, tout seul, pour laisser entrer un pote, ou le vėnt. Quelqu’un qui taperait déliċatement sur la butée de mon sternum — entrez ! j’ai fait, entrėz68 !

·· Ça · a explọsé. En mọi. D’un ċọup. Explọsé. Un séisme.
Ċe dọnt je me sọuviens est ċette sensatiọn d’un sylphė qui venait de survọler mọn ċrâne… mọn ċrâne lọurd à ċrever. D’un sọuffle, il en avait ėnlevé la plaque d’éġọut en fọnte qui l’éċrasait. Ŀ’air a reċọmmenċé à passer69.

21Rétablir la circulation de l’air, c’est remettre en mouvement la pensée, les émotions, la créativité, rendre à nouveau pleinement vivant – déjà dans La Zone du Dehors, franchir les limites de la ville, c’est pour Capt faire entrer en soi « l’intime vent », qui remet tout en mouvement : « ça vit70 ».

22Troisième effet : dans sa postface au Dehors de toute chose, significativement intitulée « La Zone du dedans. Réflexions sur une société sans air », Damasio suggère de ne pas attendre qu’une telle bourrasque arrive de l’extérieur : « L’air ne se trouve pas [dit-il], il se crée. Il vient du dedans. […] On le forge avec nos souffles71. »

23Non content de renforcer ceux qui l’inspirent, et d’aérer le cerveau de ceux qui s’ouvrent à son flux, l’air anime également les êtres qu’il habite. Le verbe « animer » est à prendre au sens fort, tant l’enjeu est ici de décrire une sorte d’âme immanente, qui caractériserait les êtres pleinement vivants. Cette conception traverse l’ensemble de l’œuvre en se modulant d’un texte à l’autre, et Damasio l’attrape par des noms divers : le « mû », le « vif », le « frisson ». Des personnages hors du commun incarnent tour à tour ces trois entités. Si le Barf n’emprunte au vent que sa harpe éolienne, Caracole et son fils Barouf en font leur texture même. Ce sont en effet des autochrones, des tourbillons de vent ayant pris progressivement forme humaine, le second offrant aux regards « sa boule souple de vent clair qui parfois s’humanisait, prenait un visage et une peau, croisait en passant le pli d’un sourire72 », tandis que le premier ne révèle qu’au moment de sa disparition « l’architecture admirable de vent qui le soutenait depuis des dizaines, depuis des centaines d’années peut-être73 ».

24Mais si Caracole et barouf « sont » le vif, chaque être est susceptible d’en former un, selon ce qui constitue dans la quête des hordiers la huitième forme du vent. Oroshi le détaille longuement à la fin du livre :

[…] c’est une sorte de pelote, de pelote de vent pur, grosse comme un grand poing à peu près. La pelote peut avoir une infinité de formes. […] Le nœud est le trajet que fait le vent dans l’espace pour revenir à son point de départ. Ce trajet est nécessairement bouclé sur lui-même comme tu le sais, puisque c’est la boucle qui assure la compacité du vif74.

25Le « vif » symbolise et concentre dans sa forme aérienne les différentes caractéristiques éthiques de l’individu : la force vitale opposée à l’adversité, la capacité à ressentir, l’aptitude à se lier aux autres déterminent la présence, la complexité et la persistance du vif. Et le vent qu’il fait surgir du dedans se nourrit de métamorphoses et de créativité.

Poétique de l’air

26Si Alain Damasio occupe une place à part dans la science-fiction française, c’est sans doute en raison de la complexité particulière de son style, qui se déploie avec beaucoup de variété notamment dans ses nouvelles, et semble s’accentuer de roman en roman. Dans le dernier, Les Furtifs, il n’hésite pas à se situer par moment à la limite de la lisibilité, tant son travail sur la langue et ses matériaux englobe conjointement phonèmes, rythmes, syntaxe, conjugaison, ponctuation… L’épigraphe des Furtifs est d’ailleurs un hommage à Valère Novarina, dont il admire l’écriture expérimentale et poétique, et même s’il ne revendique pas, pour sa part, une radicalité de principe75, il ne cache pas son amour des exercices à contrainte, d’inspiration oulipienne, qu’il pratique notamment dans le cadre du groupe Zanzibar76, et dont il donne quelques exemples dans les joutes verbales insérées dans ses récits77. Dans cette perspective d’ensemble, l’air apparaît à nouveau comme une porte d’entrée privilégiée.

27Tout d’abord, parce que l’imaginaire qu’il suscite s’accompagne d’une grande créativité verbale. Damasio est connu pour ses néologismes. Cette propension est l’une des caractéristiques de la science-fiction en général : pour décrire un univers inédit, désigner les éléments inconnus qui le caractérisent (le « novum78 »), il faut inventer des mots. C’est ainsi que dans La Horde, l’omniprésence du vent se traduit dans le texte non seulement par la prégnance du champ lexical de l’air, mais aussi par une efflorescence de termes neufs qui viennent enrichir la métaphore globale et lui donner une consistance poétique79. Cette créativité lexicale repose sur une grande variété de procédés, dont voici quelques exemples majoritairement tirés de ce récit :

28Onomastique : Porte d’Urle, Tour d’Ær, Alticcio, Virevolte, la Céleste
Préfixation : éolivres, aéroglyphes, aerudits, airpailleur, hélibarques, oxographique oxoduc, vélivélo, vélichar
Suffixation : drakkairs, pharéoles
Abréviation + dérivation : ox, nox, parnox
Homonymie : matiair, ailices, aéromaîtres, hiboos
Approximation phonique : éolière, babéoles, fréoles
Mots valises : Fleuvent, canardairs, hélicornes, abricots
Adjectifs ou compléments : Globes à charbon ventilé, cerf hélicé
Transposition : Lit du vent, port de plein vent, adduction d’ox, réflecteurs de vent, ressac
Importation : slamino (slovène), crivetz (roumain) blaast (néerlandais)
Réactivation de syntagmes figés : « Par les vents vieux », « Vents du ciel », « Bordel de vent », « Par le Vent diable », « par le saint Vent », « à vau vent »
Réactivation de sens : air incubé, abrités, contre, la Haute, Tourangeaux, barcarolle, vif, frisson, Hauts Parleurs, Altos

29À l’effet de cohésion de l’univers imaginaire, à la dimension ludique et poétique qu’implique cette créativité s’ajoute à nouveau une perspective politique : à rebours des novlangues commerciales ou idéologiques, cette langue neuve, revitalisée, réveille notre attention, crée un appel d’air. Dans la nouvelle intitulée Les Hauts® Parleurs®, Damasio imagine un langage privatisé, dont la plupart des mots sont payants. Le narrateur, Spire, résiste en pratiquant ce qu’il appelle « le style torse », qui ressemble par certains points à ce que nous venons d’observer :

Il s’agit du style torse. Beaucoup d’artistes le confondent avec le néologique quoiqu’il soit très différent. Il consiste à tordre le langage commercial, à plier et à découper les mots, à préfixer et à suffixer, à verbaliser des noms, substantiver des verbes, transformer des conjonctions en adjectifs. Il consiste au fond à imprimer, par des flexions, une force de résistance à l’intérieur du langage pour le rendre inapte à toute récupération80.

30Or on retrouve à propos de ce langage les mêmes métaphores repérées plus haut :

Des ouvreurs de crâne, des jeteurs de mots par poignée, des gens qui apporteront avec eux de quoi libérer le lexique partout où on l’empêche de respirer.
— Quelque chose comme une nouvelle façon de truffer. D’insinuer des poches d’air, une sorte de dehors au cœur même du système clos officiel où tout est catalogué et payant. Nous allons insuffler un style […]81.

31Alain Damasio place cependant au-dessus de cette approche lexicale, la mobilité-même du langage, sa labilité, sa capacité à se réinventer lui-même, aussi bien dans ses sonorités, sa syntaxe et sa typographie que dans ses mots. Dans Les Furtifs, c’est le personnage de Louise Christophol, fondatrice de l’Institut des langues exotériques, qui souligne cette propriété de la « matière la plus métamorphique pour notre part, que nous avons à offrir, à savoir notre langage. Notre langage et sa flexibilité infinie, ses morphes permutants, ses mues inouïes82. » Damasio exploite largement cette dimension métamorphique, jouant sur la ponctuation et la typographie, hybridant les mots, bousculant l’ordre de leurs lettres, modifiant les caractères d’imprimerie. Si tous ces procédés relèvent d’une même volonté de faire « respirer » le texte, de lui « insuffler un style », je ne vais en décrire ici que quelques-uns, qui entretiennent avec l’air des rapports plus étroits83.

32Le premier est le travail qu’il mène sur le son. À la sortie des Furtifs, Damasio a expliqué comment son exploration de la phonétique, notamment à travers les travaux d’Henri Morier, ont marqué une nouvelle phase dans l’évolution de son écriture84. Il s’est intéressé notamment à la manière dont la prononciation des consonnes intervient sur la « colonne d’air », la travaille par des effets de rupture, d’explosion, d’assourdissement, de chuintement… S’il fait le rapprochement avec la peinture, et la possibilité d’exploiter les couleurs du langage, on pense aussi à la sculpture, en se souvenant de Te Jerkka configurant des blocs d’airs. Ce prodige verbal trouve un écho plus quotidien dans cette idée formulée dans Les Furtifs : discuter, « c’est sculpter de l’air ensemble85 ». L’expressivité des phrases ainsi conçues est liée à une dimension physiologique, l’air incorporé est mis en forme par les organes, il traverse les corps86. En cela, l’écrit est constamment traversé par l’oral. Dans le passage déjà évoqué où manifestants et furtifs font fusionner leurs musiques respectives pour faire vibrer les murs de la cité d’affaires marseillaise, cette vibration est présente dans le texte-même, à travers le jeu des consonnes qui explosent et qui vibrent, et des voyelles nasales qui résonnent :

Tous entendons vrombissement charpente béton, ces basses de ſrelon, ſaux-bourdon, de rhombe. Sommes maintenant dans sorte caveau noir comme ſour, grotte de boue ou goudron. Bougonnements parois sonnent lugubres, trop graves en ſréquence, ça peut rompre, animaux tremblent. Gong de bronze là-haut, coups de canon à nouveau… répondent un oliſant, troupe de trompes et tromblons, plus lourds encore, plus proſonds… ça s’estompe… se dissout… goutte d’encre dans charbon87

33L’imaginaire et le discours sont ainsi portés par cette matérialité sonore de la langue. J’y ajouterais que cette façon d’écrire met en valeur les voix des différents personnages. C’est d’autant plus important que ses romans sont des écrits polyphoniques – 23 narrateurs dans La Horde ! Aux habituelles fiches décrivant leur histoire ou leur profil psychologique, Damasio dit avoir ajouté, pour Les Furtifs, un « bloc stylistique », comprenant syntaxe, registres, couleurs phonématiques et typographie88. Chaque voix est ainsi très précisément incarnée dans la matière même du texte. Et c’est sans doute ce qui permet aux performances vocales qu’il réalise sur scène depuis plusieurs mois de passer aussi bien la rampe89 : dès sa conception, le texte prend l’air pour matière (« matiair »).

34Un deuxième aspect stylistique est associé à l’air par Damasio : il s’agit du rythme. Le vent, dans La Horde, est caractérisé, avant tout, par son rythme, et c’est ce rythme que le scribe est chargé de noter, plus que la force du souffle ou l’orientation du flux, par exemple. Il utilise pour cela des éléments de ponctuation et des signes diacritiques90 : un accent grave, par exemple, désigne une bourrasque, deux points noteront un grain, les guillemets une rafale, le point d’exclamation un blaast. Ainsi un vent assez doux et régulièrement rythmé, comme le slamino, sera représenté comme suit :

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35Alors que le vent violent qu’affrontent les héros au début du récit, le « furvent », est représenté ainsi91 :

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36C’est aussi en termes de rythme que Damasio définit le vif et ses avatars : ruptures (mû), flux (vif), pulsation (frisson). Le rythme est ainsi associé à l’identité la plus intime de l’individu, ce qui le caractérise et éventuellement lui survit. Voici par exemple comment il note la pulsation propre d’un vif lors de sa séparation du corps – ici la mort d’Oroshi :

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37Le rythme, dans ces exemples, est pure pulsation, marqué uniquement par des signes qui ne se prononcent pas. Mais il peut aussi s’inscrire dans une musique ou dans les phrases elles-mêmes. C’est ce que suggère Caracole, lorsqu’il propose une retranscription qui intercale entre les signes des lettres, pour forger des mots, une phrase. Il ajoute : « Avec un peu de recherche, on pourrait tout à la fois décrire le souffle, par les signes, et l’ambiance, grâce aux mots. Ou raconter une histoire92… » La portée métatextuelle de la remarque est transparente. Damasio admire le travail du rythme aussi bien dans le théâtre de Novarina que dans le rap d’Eminem, et ce n’est sans doute pas un hasard si l’un des vents qui soufflent dans La Horde dérive directement du Slam (le slamino). Une double parenté se dessine, avec la poésie et la musique. Poésie d’abord : La Zone du Dehors a été adaptée en vers libres par Benjamin Mayet, par un simple effet de découpage (il s’est contenté, dit-il, d’« architecturer » certains passages du texte). Musique ensuite, pour La Horde : le livre était d’ailleurs accompagné, dans sa première édition, d’un CD musical réalisé par Arno Alyvan, présenté comme « la bande originale du livre93 ». Ce prolongement transmédiatique est reconduit avec les Furtifs, accompagné d’un album mis en musique par Yann Péchin94. Il est intéressant de noter que cette fois l’auteur paye de sa personne, puisque c’est lui qui performe les textes ; et surtout que contrairement à l’opus précédent, le texte n’est pas retravaillé pour la mise en musique, mais déclamé tel quel – signe qu’il a été conçu, d’emblée, pour porter en lui ce rythme.

38Dans la diégièse, des riffs de « chrome brut » écoutés par Capt au « jazz fusion » produit lors de la manifestation des Furtifs, des jeux déclamatoires de Caracole à la berceuse de Sahar, nombre de scènes sont hantées par un air musical, qui met souvent en jeu un phrasé personnel. Cette représentation est à relier à une référence, assez ancienne chez Damasio, mais qui est particulièrement prégnante dans Les Furtifs, à « la ritournelle », telle que la définissent Deleuze et Guattari dans Mille Plateaux. C’est de ce chapitre qu’était tirée l’épigraphe de La Horde95, et dans Les Furtifs il est explicitement cité par un personnage :

Je la suivais en me répétant une phrase de Deleuze et Guattari sur la ritournelle […] : « Un enfant dans le noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Il marche, s’arrête au gré de sa chanson. Perdu, il s’abrite comme il peut, ou s’oriente tant bien que mal avec sa petite chanson. Celle-ci est comme l’esquisse d’un centre stable et calme, stabilisant et calmant, au sein du chaos. Il se peut que l’enfant saute en même temps qu’il chante, il accélère ou ralentit son allure ; mais c’est déjà la chanson qui est elle-même un saut96. »

39L’air est cette fois celui que l’enfant chantonne pour essayer de se rassurer. Deleuze et Guattari en font un opérateur de transition, un tremplin : entre le rassurant et le nouveau, le territoire personnel et celui qui s’ouvre, le minuscule et le cosmique. La ritournelle est en cela liée à la métamorphose de soi qu’est le devenir. Rappelant la boucle de vent qui formait le « vif » des personnages de La Horde, cette boucle sonore forme le « frisson » des Furtifs – pour Tishka, il s’agit d’une berceuse. C’est le cœur battant de son identité originale et ouverte. Il n’est dès lors pas étonnant de voir apparaître, sur le memento de la fiche personnage auquel j’ai fait allusion tout à l’heure, la syntaxe et le rythme propre, le phrasé de chacun. Pour le personnage de Nèr, par exemple, il s’agit d’un phrasé très haché et très dense, constitué de la juxtaposition de phrases nominales ou télégraphiques, de listes, de questions/réponses rapides, dont la rigidité s’harmonise avec les effets typographiques (barres obliques inversées, lettres raturées horizontalement ou en diagonale), les ponctuations fortes et les consonnes dures :

\ Cɵrrecŧ. \ \ Le \ verdicŧ de mɵn inŧechŧe esŧ : déŧecŧiɵn insecŧicide, biɵcide eŧ pesŧicide dans ł’air. Suspecŧiɵn répułsif à furŧif. Siŧe infesŧé. Acidiŧé éłevée. Diagnɵsŧic : menace prɵphyłaxie niveau 6. IA sur disŧricŧ : efficaciŧé ŧacŧique pɵłice 7/10. Aŧŧaques racisŧes ɵu fascisŧes : 68. Séquesŧraŧiɵns : 104. Expułsiɵns : 120. Ŧraces furŧives, sans arŧefacŧ ni pisŧes facŧices : 72. Effacer. Effacer. Inspecŧer agencemenŧ spaŧiał. Cadasŧrage panɵpŧique. Resŧiŧuŧiɵn ŧemps réeł97.

40On voit dans cet exemple que plusieurs couches stylistiques (phonétique, syntaxe, rythme, ponctuation) se superposent pour obtenir un effet d’identité. Mais ces caractéristiques ne sont pas stabilisées une fois pour toute dans le roman, car chaque personnage évolue, voire, dans le cadre de ce récit, s’hybride. En effet, lorsqu’un furtif perd son corps, il peut se réfugier dans celui d’un humain, par un phénomène que Damasio nomme de manière significative une « invocation », un terme qui semble indiquer que l’on fait entrer une voix à l’intérieur de soi. La ritournelle personnelle s’en trouve modifiée. Ainsi lors de la fusion qui s’opère entre Tishka et son père, c’est une langue commune qui est créée, associant le vocabulaire et la syntaxe complexe de l’adulte et les mots déformés de l’enfant, combinant la présence de points sur les lettres, qui caractérise typographiquement les phrases de Lorca, et les lettres interchangées à l’intérieur des mots, propres à Tishka :

Dans la nuée de furtifs qui nous accompaġnent, bruissant parmi les bateaux, souvent nous préċèdent, parfois nous cuivent, je n’entends maintenant que l’éclat réfracté des A dans l’architecture des ċorps et des os, dans le bois des pattes et des ailes, sur les peaux éċaillées et la chitine des paracaces. Ŀa vibrance en est assimilée et relancée aussi sec, plus animale, bien plus mate, répercutée vers l’avant et projetée par vaġues et ressac sur le barraġe des derniers cars de ġandermes. Ŀà-bas se détachent déjà les pare-pierres des ġourfons, les boulons roulent, l’asphalte même commenċe à se fendre sous les roues comme la ġlace d’un sérac. Ŀ’orchastre clavance encore, raġeur, les A ġiclent, des tam-tam et des ċymbales, la fanfare rattaque au sax et fait bramer les cuivres comme on forġe une épée de braise éċarlate98.

41Le texte traduit ainsi dans sa matière même le mixage des flux de conscience, et donne à entendre les différents airs qui le composent.

42Ce lien profond fondant le style sur le souffle est particulièrement souligné dans l’incipit de La Horde du Contrevent99. C’est une page qui est à la fois alpha et oméga, dans la mesure où la numérotation des pages est inversée, la première étant aussi la dernière. Et Damasio y décrit, d’une manière indirecte qui ne trouvera une explicitation que beaucoup plus loin dans le texte, la naissance de l’écriture.

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43Au commencement était, non pas le verbe, mais le vent, le rythme. Mallarmé déjà suggérait cette prééminence dans l’écriture de la prose, et ne plaisantait sans doute qu’à demi en affirmant : « je préfère selon mon goût, sur page blanche, un dessin espacé de virgules ou de points et leurs combinaisons secondaires, imitant, nue, la mélodie — au texte, suggéré avantageusement si, même sublime, il n’était pas ponctué100. » Dans La Horde, c’est ainsi sur cette première partition aérienne, représentée par le paragraphe initial uniquement constitué de marques typographiques, que viennent s’écrire les quatre paragraphes suivants, dans un palimpseste précis, puisque chaque strate est superposable aux autres. Cette façon de procéder annonce la suggestion de Caracole quant à la manière d’écrire une histoire à partir du vent. Et chacun des paragraphes est lisible et fait sens, en lui-même et en résonance avec l’ensemble du livre. Mais dans cette adresse au lecteur se dévoile aussi toute l’épaisseur du texte, tout ce qui se trame dans cette prose poétique, que l’auteur espère avoir « tissée de vents ».

44L’imaginaire de l’air, si prégnant dans La Horde du Contrevent, mais dont on a vu qu’il se disséminait largement dans les autres œuvres d’Alain Damasio, apparaît donc, au terme de ce parcours, comme un ferment essentiel de son écriture – métaphore structurante, vecteur d’enjeux politiques et de valeurs, source du souffle et du rythme. Ses trois romans, bien que très différents, en explorent et en creusent chacun à leur manière la riche matière, et à chaque fois c’est un « éolivre101 » qu’il remet sur le métier. Rappelons-nous qu’à l’école des scribes d’Aberlaas, « l’apprentissage à proprement parler de la narration » n’est dispensé qu’à « ceux qui ont su capter, en son tissage cadencé, le phrasé du vent102 ».

Notes

1 Alain Damasio, La Zone du Dehors [2007], Paris, Gallimard, coll. « Folio SF », 2015, p. 15. L’air qu’on respire a dans cet espace une présence particulière : « Un léger bruissement d’oxygène montait de la ville » (p. 13).

2 Ibid., p. 38. Les « sinueuses » sont des drones-caméras.

3 Ibid., p. 16.

4 Ibid., p. 38.

5 Le nox est le nom que les habitants de Cerclon donnent aux vapeurs et vents toxiques qui arrivent par rafales du Dehors, par opposition à l’ox, l’oxygène que produit la ville.

6 Ibid., p. 103.

7 Ibid., p. 203.

8 Ibid., p. 102.

9 Ibid., p. 123. Dans cette périphérie urbaine, c’est l’ensemble des protocoles d’habitabilité artificielle qui se détraque : « Le générateur aléatoire de climats, avec ses peureuses pondérations pluie/soleil – qui faisaient l’objet d’un vote annuel –, ses gels rares, sa chaleur printanière et sa neige de Noël, n’avait plus, dans ces terres excentrées, réellement cours. Les pluies tombaient quand elles le voulaient, trop ou trop rarement, le brouillard montait du Dehors, l’ox hoquetait dans les turbines, pompée par les secteurs aérivores (le 1 et le centre surtout) et le tout se mêlait au vent cosmique qui soulevait les toits de tôle : c’était là leur climatisation. » Les turbines mal protégées y sont la cause d’accidents, et les plus désespérés s’y suicident parfois, « radieux en bout de course qui se shootaient à mort sur les grilles et dont on retrouvait le corps bleui au petit matin… » (ibid., p. 222).

10 Ibid., p. 148, et en écho p. 121.

11 Régis Messac, La Cité des asphyxiés, Paris, La Fenêtre ouverte, coll. « Les Hypermondes », 1937. Voir l’article de Valérie Stiénon dans ce dossier.

12 Les Furtifs, Clamart, La Volte, 2019.

13 Dans la postface à la deuxième version de La Zone du Dehors, datée de 2007, Alain Damasio constate à quel point la réalité a vite rattrapé sa fiction sur de nombreux points (La Zone du Dehors, p. 649).

14 Les Furtifs, op. cit., p. 213.

15 Ibid., p. 37.

16 Ibid., p. 274.

17 Ibid.

18 Ibid., p. 45.

19 Le procédé est de prime abord séduisant : « Leur chef-d’œuvre : la double couche. Une couche réelle, saturée de capteurs enfouis dans le mobilier urbain, qui répond à une couche virtuelle, toute d’ondes, que les designers ont rendue visible par de petits volumes de brume luminescente, qui flottent à fleur de tête » (ibid.).

20 Ibid., p. 46.

21 Yves Citton (dir.), L’Économie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ?, Paris, La Découverte, 2014.

22 C’est cette sensation que cherche à nous faire vivre MOA, My Own Assistant, une application de réalité augmentée créée par Charles Ayats à partir de l’univers des Furtifs.

23 Les Furtifs, op. cit., p. 69.

24 La Zone du Dehors, op. cit., p. 260-261.

25 Ibid., p. 261 – il s’agit bien sûr d’une référence à Foucault.

26 Ibid.

27 Ibid., p. 376.

28 Ibid., p. 377.

29 Les Furtifs, op. cit., p. 220.

30 Ibid., p. 48.

31 Ibid., p. 53.

32 Ibid., p. 38.

33 Ibid.

34 Ibid., p. 242. On trouve cette même exigence dans la nouvelle intitulée Les Hauts® Parleurs® (Alain Damasio, Aucun souvenir assez solide, Clamart, La Volte, 2012) : « Un Haut Parleur ne s’adressait jamais aux autres par média interposé. Il parlait directement, avec porte-voix si besoin, aux gens » (p. 29).

35 La Zone du Dehors, op. cit., p. 248.

36 Ibid., p. 240.

37 Ibid., p. 377.

38 Ibid., p. 590.

39 Ibid., p. 600.

40 Ibid., p. 601.

41 Ibid., p. 602 (je souligne).

42 Alain Damasio, « Écrire vif », entretien réalisé par Christèle Couleau, revue Tête-à-tête, 12, éditions Rouge profond, 2022, p. 102-140 – voir notamment p. 125-127.

43 La Horde du Contrevent [2004], Paris, Gallimard, « Folio SF », 2019, p. 574.

44 Je rejoins sur ce point les analyses que développe Colin Pahlisch, dans La Croisée des souffles, ouvrage consacré à La Horde du Contrevent, et coécrit avec Stéphane Martin (Archipel Essais, volume 18, Université de Lausanne, 2013, p. 67-76). Je n’ai pu prendre connaissance de cette belle étude qu’après la rédaction de cet article, et je signalerai plus loin d’autres points de convergence.

45 C’est tout particulièrement le cas d’Oroshi, l’aéromaîtresse de la Horde, grâce à sa « perception hypertrophiée du vent dans laquelle, outre son esprit, la totalité de sa sensualité vibratoire et thermique, tactile, auditive, visuelle et olfactive était engagée » – impossible pour elle de « se défiler de la trame vibratoire et mélodique », elle est « tissée à même le vivant » (La Horde du Contrevent, op. cit., p. 79 et 75).

46 Ibid., p. 548.

47 Dans La Zone du Dehors, les fondateurs des nouvelles cités font à la fois l’expérience de cette vie plus haute, « les mains libres et le front au vent » (p. 355), et de la solidarité qu’elle réclame : « la puissance des rafales de Nox eût tôt fait de favoriser les regroupements sans lesquels le simple fait de respirer fût devenu impossible. La soif d’espace le céda donc aux exigences de la survie et de l’entraide » (op. cit., p. 589).

48 La Horde du Contrevent, op. cit., p. 588.

49 Cette phrase de Caracole (ibid., p. 621) forme aussi le titre du chapitre III.

50 Barbara Stiegler, Nietzsche et la biologie, Paris, PUF, 2001, p. 41-42.

51 « La Zone du dedans. Réflexions sur une société sans air », postface de l’ouvrage Le Dehors de toute chose, d’Alain Damasio, architecturé par Benjamin Mayet (d’après le spectacle créé à Lyon en octobre 2014), Clamart, La Volte, 2016, p. 61. La « puissance » dessine une autre voie que celle du pouvoir, toujours suspecte. Sur le rapport à Nietzsche, voir Colin Pahlisch, La Croisée des souffles, op. cit., p. 69 et 84, et Alain Damasio, « Écrire vif », entretien cité, p. 106-107.

52 La Zone du Dehors, op. cit., p. 235.

53 Sur la notion d’empuissantement, voir Alain Damasio, « Écrire vif », entretien cité, p. 113-114.

54 La Horde du Contrevent, op. cit., p. 698.

55 Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1984, p. 133. On pourrait aussi penser à Barthes, dont le vocabulaire fait sens ici, lorsqu’il définit l’ethos comme les « airs » que l’on se donne (« L’Ancienne Rhétorique », Communications, 16, 1970, p. 212).

56 La Horde du Contrevent, op. cit., p. 596.

57 Ibid., p. 699. « Tous d’équerre, debout, d’aplomb ».

58 La Zone du Dehors, op. cit., p. 239.

59 La Horde du Contrevent, op. cit., p. 440.

60 Ibid., p. 458.

61 Ibid., p. 453. « Le plus fascinant restait sa respiration et sa voix… Lorsqu’il commença sa première phrase, il aspira autour de lui un tel cubage d’air et de pluie, avec une si calme férocité, qu’un hurlement d’olifant lui perfora les bronches. Il ferma les yeux et la bouche, encaissant l’effort très vite sans le marquer, et il se redressa aussitôt. La voix qui sortit alors de sa gorge était différente de celle qu’il utilisait pour la conversation ordinaire. Elle semblait faite de blocs d’air comprimé, calibrés du ventre puis burinés à coups de glotte, de palais dur, à coups de dents – des blocs rauques qui explosaient dans l’espace un par un, détachant pour l’oreille chaque syllabe et chaque onde. […] chaque mot qu’il prononça m’ébranla physiquement » (p. 457). Il « explose » en un cri, « bombé à craquer de gaz, du ventre jusqu’aux poumons » (p. 443).

62 Tout le passage fonctionne sur une progressive montée en puissance de l’orchestre, « des cordes se sont ajoutées aux cordes, très doucement, osant à peine, et des vents aux vents » (Les Furtifs, op. cit., p. 672), « distordant ses souffles » pour se mêler aux cris des animaux et des furtifs (p. 672), si bien qu’on « l’entend pervibrer dans les rails du tram et ébrécher les poutres des apparts du quartier » Euroméditerranée (p. 662), et provoquer finalement l’écroulement de l’autoroute et de la tour de Jean Nouvel.

63 La Zone du Dehors, op. cit., p. 193.

64 Il est par exemple question d’« aérer le crâne » des gens (ibid., p. 248), de « percer des claires-voies dans les cerveaux clos des Cerclonniens » (p. 247), de trouver, en tant qu’orateur, « l’énergie qui bourrasque la salle et traverse l’épaisseur des corps » (p. 258), d’agir avec « l’espoir de [nous] évaporer » (p. 262), « pour que la vie siffle dans nos viscères » (p. 266).

65 « Appel d’air contre la narcose Sarkozy », 26 avril 2007, en ligne : https://files.nekoblog.org/uploads/html/divers/damasio-2007-sarkozy.html, page consultée le 13 février 2024.

66 Ibid.

67 Les Furtifs, op. cit., p. 619.

68 Ibid., p. 191. Lorca rencontre ici ce qui est présenté comme un « balian », un esprit du rite balinais, retenu dans une « maison à vent » : « Il dit que Kala est aspiré par les courants d’air, qu’il apprécie les carrefours et qu’il vient se tenir là, aux aguets. Alors le balian lui parle » (p. 194).

69 Ibid., p. 599.

70 La Zone du Dehors, op. cit., p. 41-42 : « Le Dehors, c’est l’intime vent, court, vif, qui flue au fond de nos tripes. Il circule en nous, il serpente entre tous nos atomes de matière, accélère, décélère, jaillit, donne du rythme, agite ! Et la matière cherche à le calmer, à le mettre en cellule, veut le bloquer, le fait buter. Elle fixe. Elle assigne. Si elle bouge, c’est comme le sang, par les réseaux établis. Alors que le Dehors, qui vient de nulle part, eh bien va partout, court-circuite les réseaux, il lie ce qui ne l’a jamais été : les reins aux seins, la bouche aux mains, les mains au monde… Il nous aère. Il nous troue le ventre, le cœur. Creuse le crâne. Et chaque fois qu’un vide se fait, que ça se déchire du dedans pour s’ouvrir, même un tout petit peu, alors passe un vent, quelque chose fuit, qui fait appel d’air, ça vit. Ce que je viens chercher ici, c’est cette sensation que l’espace prolifère en moi, comme un cancer qui ferait sa propre place, avec de l’air. Le Dehors entre, m’ouvre, il météorise, il oxygène et ainsi se forme la pensée, ainsi la sensation, lorsqu’elle est neuve ou inouïe. »

71 « La Zone du dedans. Réflexions sur une société sans air », op. cit., p. 60.

72 La Horde du Contrevent, op. cit., p. 14.

73 Ibid., p. 122-121 : il n’avait « à cet instant-là plus assez de vélocité interne, plus assez de vitesse pour fermer convenablement le nœud d’accélération qui assurait leur compacité – et c’était un spectacle absolument unique et époustouflant que de le regarder mourir à quelques mètres devant moi, sans même paraître souffrir, juste fatigué au flussang, juste incapable de soutenir l’effroyable décélération que lui avait insufflée l’air liquide et qui touchait à présent sans doute son esprit, et qui engourdissait à rebours son inhumain brio dont la pelote de lueur pourtant, présente longtemps à hauteur du visage, jetait autour d’elle un bleu d’outremer si intense qu’elle fut la dernière à être dispersée par la brutalité abjecte du vent linéaire. »

74 Ibid., p. 76.

75 Sur ce point voir Alain Damasio, « Écrire vif », entretien cité, p. 135-136.

76 Le groupe Zanzibar est un collectif d’auteurs de science-fiction, connu notamment pour l’élaboration de « protokools », des protocoles d’écriture collective proposés à tous. Ils présentent leur projet et leurs réalisations sur leur site : http://www.zanzibar.zone, page consultée le 12 février 2024.

77 Voir notamment, dans La Horde du Contrevent, les épreuves opposant Caracole à Sélème le Stylite – palindromes, monovoyelle, stylibre, cappizzano, escalettre (op. cit., p. 327-294), et les discours en style « monomonène », « version maniaque » de Spassky, qui mêlent homophonies et calembours, dans la nouvelle Les Hauts® Parleurs® (op. cit., p. 19-20 et p. 29).

78 Ce terme est employé par Darko Suvin, pour désigner les éléments constitutifs d’un univers de science-fiction qui n’ont pas d’équivalent dans le nôtre, et qui sont présentés dans le récit selon le principe de « cognitive estrangement » (Metamorphoses of Science Fiction. On the Poetics and History of a Literary Genre, Peter Lang, 2016).

79 Sur l’importance de la métaphore, voir Alain Damasio, « Écrire vif », entretien cité, p. 125-128.

80 Les Hauts® Parleurs®, op. cit., p. 18.

81 Ibid., p. 34-35.

82 Les Furtifs, op. cit., p. 651.

83 Stéphane Martin en analyse également plusieurs aspects, à propos de La Horde du Contrevent, dans La Croisée des souffles, op. cit., p. 29-56.

84 Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1961. Alain Damasio raconte cette découverte dans un entretien accordé à Ernest, « La littérature est une machine à susciter le désir », en ligne : https://www.ernestmag.fr/2019/04/19/damasio-la-litterature-machine-a-susciter-le-desir/, page consultée le 12 février 2024.

85 Les Furtifs, op. cit., p. 683.

86 Damasio y voit tout d’abord une modification de notre rapport à la lecture, et notamment à ce que pourrait être la lecture de romans de science-fiction engagés : « On ne véhicule plus du sens mais des sensations » (« La littérature est une machine à susciter le désir », entretien cité).

87 Les Furtifs, op. cit., p. 665.

88 Alain Damasio, « Écrire vif », entretien cité, p. 138.

89 Alain Damasio a réalisé en duo avec le guitariste Yann Péchin une série de concerts, Entrer dans la couleur, Rock fiction poéthique, spectacle créé à Aix-en Provence en mars 2020 au festival « Avec le temps » (Ulysse Maison d’Artistes).

90 « Il existe en tout vingt et un signes de ponctuation, tous empruntés à l’écriture courante et qui suffisent à décrire exhaustivement le vent. – Qui a inventé ce système ? – Le scribe de la 8e Horde, Focc Noniag. Il n’a quasiment pas bougé depuis » (La Horde du Contrevent, op. cit., p. 646). Stéphane Martin en dresse la liste complète dans La Croisée des souffles, op. cit., p. 55.

91 La Horde du Contrevent, op. cit., p. 633-632.

92 Ibid., p. 641-640.

93 La Horde du Contrevent, bande originale du livre, musique d’Arno Alyvan, textes d’Alain Damasio, Luciole Records, 2005.

94 Entrer dans la couleur, musique de Yann Péchin, textes et voix d’Alain Damasio, Jarring Effects Label et La Volte, 2019. Cette réflexion sur le rythme, et le lien qu’il tisse entre texte et son, a trouvé une expression très intéressante, traduisant visuellement les intentions sonores associées au texte par le compositeur, dans le livret réalisé par Laëtitia Pitz et Benoit Di Marco : L’Oratorio FURTIF, Clamart, La Volte, 2024.

95 « Et pourtant l’une était déjà dans l’autre, la force cosmique était dans le matériau, la grande ritournelle dans les petites ritournelles, la grande manœuvre dans la petite manœuvre. Seulement on n’est jamais sûr d’être assez fort, puisqu’on n’a pas de système, on n’a que des lignes et des mouvements. »

96 Les Furtifs, op. cit., p. 481.

97 Ibid., p. 664.

98 Ibid., p. 668.

99 La Horde du Contrevent, op. cit., p. 703. Stéphane Martin en propose une analyse détaillée dans La Croisée des souffles, op. cit., p. 37-42.

100 Mallarmé, Divagations, Paris, Eugène Fasquelle éditeur, 1897, p. 340. Dans ce passage Mallarmé s’amuse de la réponse, mi-« oracle », mi-« verbiage », qu’il pourrait fournir à un journaliste venu lui demander ce qu’il pensait de la ponctuation. Merci à Thierry Roger de m’avoir suggéré cette référence.

101 La Horde du Contrevent, op. cit., p. 268.

102 Ibid., p. 643.

Pour citer ce document

Christèle Couleau, « Colonnes d’air et vents contraires – les « éolivres » d’Alain Damasio » dans L’Air des livres. Respirations, inspirations,

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Les Carnets du vivant », n° 1, 2024

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1581.

Quelques mots à propos de :  Christèle Couleau

Université Sorbonne Paris Nord
Pléiade