Sommaire
L’Air des livres. Respirations, inspirations
Les Carnets du vivant, n° 1
Volume publié sous la direction de Thierry Roger
- Politiques de l'air
- François Vanoosthuyse L’asphyxie des ouvriers.
L’enjeu de la respiration dans les enquêtes d’Eugène Buret, Flora Tristan et Friedrich Engels sur le prolétariat anglais - Valérie Stiénon Un air de fin du monde : les asphyxiés du futur. Anticipation sociale et poétique de la raréfaction
- Bertrand Guest Poly-caco-phonies pour catastrophes inodores. De Tchernobyl à Somaland
- Patrick Suter Crise et poétique de l’air à la lumière de l’exigence situationniste
- Pneumatologiques
- Thomas Augais Air et voix dans la poésie d’André du Bouchet
- Lydie Cavelier Pierre Chappuis et l’espace du poème : créer un appel d’air
- Christèle Couleau Colonnes d’air et vents contraires – les « éolivres » d’Alain Damasio
Pneumatologiques
Pierre Chappuis et l’espace du poème : créer un appel d’air
Lydie Cavelier
1Poète, essayiste, et critique littéraire, Pierre Chappuis (1930-2021) est né au cœur du Jura romand1. Il a publié vingt-cinq ouvrages, sans compter ni les livres d’artistes, ni les publications plus confidentielles. En France, Michel Collot2 fut le premier universitaire français à le distinguer, tandis qu’en Suisse diverses études ont été publiées sous la direction d’Arnaud Buchs et Ariane Lüthi3, notamment par Sylviane Dupuis4 et Antonio Rodriguez5. Toutes ces recherches ont étayé mon travail de thèse sur la poïétique dans la labilité dans l’ensemble de l’œuvre de l’auteur6.
2Dans ses recueils de notes et d’essais7, Pierre Chappuis aime à situer sa poésie sous le règne des éléments primordiaux, et c’est alors la fluidité qui occupe une place majeure. Mais, lorsqu’il réfléchit à la force lyrique de la poésie, c’est d’air et de respiration qu’il s’agit.
3L’analyse de cet espace respiratoire propre aux poèmes chappuisiens se décline en trois temps. Selon une perspective phénoménologique, j’indiquerai premièrement comment les motifs de l’air, du souffle et de la respiration spécifient une poétique du paysage, cette expression recouvrant à la fois une polarité thématique et un type de rapport aux lieux. Deuxièmement, la respiration sera étudiée selon une orientation figurale, comme un ensemble de processus textuels qui animent aussi bien le poème que le livre et que l’ensemble des œuvres de Pierre Chappuis. Enfin, je m’intéresserai au terroir poétique chappuisien car l’irrépressible souffle de l’intertextualité efface les démarcations entre l’air du lieu et l’air du livre.
Le vent et la respiration
4Le vent et la respiration sont des motifs très présents, que je convoque en cette première partie, non pas simplement pour étudier l’imaginaire de l’air, mais pour rendre compte d’une poétique expérientielle, d’un « paysage à vivre », d’après le titre de l’essai de François Jullien8. De fait, chaque évocation paysagère a trait à ce que Georges Didi-Huberman appelle une phénoménologie de l’air, c’est-à-dire une « phénoménologie des atmosphères, des flux, des intensités, des suspens et des événements impalpables9 ».
Le souffle du monde
5Notre poète-marcheur se trouve, comme Philippe Jaccottet, requis par la labilité du monde, par la « forme passagère d[e son] souffle10 ». Reste que la spécificité du locuteur chappuisien, c’est que celui-ci se figure comme étant littéralement aspiré par les flux paysagers. L’allégement qui en résulte n’est pas d’ordre ascensionnel mais il est avant tout marqué par l’intensité d’une pleine participation au courant de l’étendue, comme dans « Soleil levant » :
Débarrassé des brumes accumulées au pied de la colline, ne plus toucher terre, uni au vent.
À peine effleure-t-on la cime des arbres.
Étincellement : d’un coup de sabre, le chemin tranche dans le vif de la forêt.
Avec le soleil, dans la foulée11.
6Le développement bipartite du poème témoigne d’une double gradation touchant d’une part l’emportement des choses, et d’autre part le mouvement du locuteur dans l’étendue labile. Dans la première partie, ce sont l’infinitif et le pronom « on » qui suggèrent que le poète se volatilise et caresse l’étendue au cœur même de ce flux qui emporte les vapeurs brumeuses. Dans la seconde partie du texte, l’appel d’air est encore plus fulgurant : le deux-points suivant « étincellement » est explosif. Quant au « sabre », il dit la violence de l’insufflation dans le corps forestier – corps constitué d’un souffle si l’on en croit l’importance des fricatives en [ʃ], [v] et [f]. Notons que l’évocation de la « foulée » et du « chemin » font contrepoids à l’impulsion ascensionnelle, en réunissant les schèmes sémantiques de la percée et de la glissée, de la profondeur et de l’ouverture. L’influx poétique apparaît donc fondamentalement lié à celui de l’immédiat, à son imprévisibilité et à son intensité qui suspendent la durée. L’appel d’air est réitéré, dramatisé par la composition bipartite du poème ainsi que par celle de chacune de ses deux parties. Dans celles-ci, les énoncés seconds forment des échos retentissants et, selon la perspective respiratoire qui est la nôtre, ils peuvent être lus comme des resserrements systoliques après l’épanchement diastolique des précédents énoncés.
7En termes phénoménologiques, l’emportement dû au vent et le suspens respiratoire caractérisent un style d’immersion dans l’étendue. Par exemple, c’est « dans un souffle » que le promeneur se glisse dans les « mouvantes conjugaisons » des « ombres et ajours12 ». Par ailleurs, le marcheur confond « [S]on murmure, [s]on souffle / dans ceux de la pluie13 ». Dans son essai intitulé Vivre de paysage, François Jullien explique que, dans l’esthétique chinoise, le paysage est une force qui « ouvre de l’entre14 ». Pierre Chappuis ne revendique pas explicitement l’influence de cette esthétique15, cependant son écriture vise précisément à faire sentir ce souffle de l’entre, comme en témoigne le fonctionnement d’un poème comme « Ciel double » :
Là où de grands élans végétaux élèvent une haie de pépiements propres à favoriser (et les froissements d’ailes) la circulation de la lumière.
Au delà, en équilibre dans le suspens du temps et de l’immobilité spacieuse (ma respiration : pointe et replongée), deux ciels, deux étendues d’eau, deux étangs de nuages16.
8Le blanc typographique intermédiaire nous renvoie au Vide Médian de l’esthétique chinoise17 aussi bien qu’à ce que Merleau-Ponty conçoit comme l’« un des points de passage du “monde”18 ». C’est depuis cet intervalle, au point vélique de l’étendue – entre « Là » et « Au-delà » – que le locuteur aspire à un suspens respiratoire. « Là », les végétaux, le chant des oiseaux et les mouvements lumineux dessinent une aire ajourée, investie d’un souffle qui lui est propre, tandis qu’« Au delà », le sujet se projette, s’insuffle, créant ainsi de l’entre-deux. Dans cette dynamique respiratoire, le même et l’autre, les éléments du ciel et de l’eau s’échangent, tout en restant distincts ; ils s’espacent et se resserrent, tels deux ventricules cardiaques.
9L’aspiration de l’air engage aussi un style de savouration existentiel19. Par exemple, les « (aubépines en fleurs) » qui s’égaillent dans l’étendue, « [à] rire, courir, cheveux au vent », exhalent de « Juvéniles bouffées de blancheur20 ». Au bas de la page, en italique, entre parenthèses et en caractères inférieurs, le titre du poème semble lui aussi obéir à la labilité florale qui distend l’espace et le temps, emportant avec elle un locuteur échevelé. La gorgée d’air, l’introjection (des « bouffées ») spécifient tout à la fois le souffle d’un ravissement, d’une immersion dans le flux paysager et la sensation pénétrante de la revigoration. En ce sens, l’appréhension est d’emblée située du côté d’une réjouissance : dans l’instant même, la sensation déborde la logique chronologique aussi bien que la synesthésie des sens.
Respiration et insufflation : l’aura du paysage
10Le corollaire de cette phénoménologie aérienne, c’est que la poétique paysagère vise moins à décrire qu’à faire sentir la respiration du lieu, c’est-à-dire l’insufflation puis l’expansion spatio-temporelle d’une étendue labile qui se délie de ses coordonnées géographiques. Les approches phénoménologiques de François Jullien et de Georges Didi-Huberman rendent compte de cette propension à contester la représentation du paysage au profit de l’évocation de son « émanation », « [de] sa proximité matérielle et [de] sa distance à la fois21 ». Parce que les étendues paysagères chappuisiennes s’exhalent du lieu, à la fois par subtilisation et par recueil, la notion d’aura22 s’impose.
11Cette aura est faite de « vent à vivre23 », elle s’épanche dans la limpidité du jour, et se contracte alternativement dans une sorte de mobile immobilité. Il s’agit d’une circulation d’air dans une étendue à la fois close et ouverte. Infiltration et respiration y sont tout à fait sensibles, voire tactiles dans le texte suivant :
Midi fluide
que trouble ici et là une ombre.
Déjoint, tressaille à peine,
comme frôlé au passage
incognito.
Mur de verdure et de vent24.
12Ce qui singularise l’aura des étendues chappuisiennes, ce sont les dynamiques d’inspiration et d’aspiration réciproques qui animent les contraires, lumière et ombre, transparence et « verdure », suspens et mobilité, densité et perméabilité. Le poème fait entendre phonétiquement l’appel d’air qui porte les choses à s’aboucher en dépit de leur dualité. Ainsi, au deuxième vers, la claire assonance en [i] est rompue avec l’évocation de l’obscurité. Dans le dernier vers, la conjonction « et » vient accorder dans un même vers, dans un même souffle, la « verdure » et le « vent », c’est-à-dire deux éléments qui imprègnent indissociablement le paysage, tandis que, phonétiquement parlant, ils restent distincts.
13Par contraste, lorsqu’elle est d’ordre acousmatique, l’insufflation de l’étendue rend le lieu absolument indistinct ; elle s’impose de manière si brutale que son appréhension par le locuteur se dédouble, et même se réitère comme indéfiniment, durant (tel ?) « (midi en été) » :
Intermittents, aériens,
des ruisseaux bruissent,
et rejaillissent.
Soit une multitude de ruisseaux
qui s’enchevêtrent, hirsutes,
rétifs sous les coups de brosse du vent25.
14L’oscillation continue entre les chuintantes et les sifflantes, entre les allitérations en [R] et les assonances en [ɥi] traduit cette cinétique paysagère. Dans la seconde strophe, c’est grâce à l’emploi ambigu d’un « soit » aussi bien conjonctif qu’injonctif que les fluctuations acousmatiques vacillent entre réitération et renouveau, entre battement respiratoire et surgissement inaugural.
Effusion ou diffusion du « je »
15Par mimétisme avec le flux paysager, le « je » s’éprouve selon les modalités du murmure, de l’insufflation ou de l’évidement. Fréquemment, le vent emporte le contenu subjectif de la pensée, et parfois même de la mémoire. C’est par exemple au gré du vent que le « frémissement » des pavots dissémine la mémoire du poète :
Pavots héritiers du vent
désordonnés, frémissants,
qu’attise la fournaise de midi.
Une trace ; une ponctuation.
Mémoire à vif dans les blés,
éparse26.
16L’oblitération de soi ouvre sur une respiration fondamentale, sur une présence-absence aigue et sans attente. Le vent est donc l’instigateur d’une inspiration lyrique correspondant paradoxalement à un évidement marquant, à une reconnaissance sans signes : « Miroir de l’identité / rien », note par ailleurs l’auteur27.
17Partant, s’il est juste de parler d’effusion lyrique, c’est parce que le « je » n’a plus de cœur propre et que sa voix aspire à être avant tout « sensible au moindre souffle28 » dans l’étendue. L’affinité avec André du Bouchet qui affirme « [l]’absence […] tient lieu de souffle29 » est tout à fait notable. Non seulement le rapport à l’influx aérien est primordial, mais il infléchit les concepts de Stimmung, de coloration affective ou de « diffraction pathique30 ».
18Pour étudier comment Pierre Chappuis fait sentir ce souffle qui anime et le poème, et le recueil et l’ensemble des œuvres, il est nécessaire d’adopter une perspective figurale31.
L’appel d’air : le poème, le recueil et l’ensemble de l’œuvre
19La circulation d’air tient tout d’abord à ce que le poème prend « consistance de milieu en mouvement32 » (Didi-Huberman) sur la page. Le poème crée son air(e).
Le poème et son air(e)
20Le poète conçoit la page comme un « espace libre » dans lequel les mots « se meuvent […] en se jouant, soucieux de ménager assez de place entre eux pour leurs mouvements33 ». En effet, dans « Une explosion de givre34 », les termes des pages de droite sont notés en italique, les énoncés sont fragmentés, éparpillés et comme soufflés sur la page, devenue le répondant des mouvements nébuleux entrevus durant une traversée aérienne. L’effet est d’autant plus sensible que sur les pages de gauche, les énoncés sont stabilisés, inscrits en caractères romains et séparés par des blancs typographiques équivalents. Mais si le poème donne à sentir des courants entre les pages du livre, ce n’est pas uniquement dû à la disposition graphique des énoncés. En effet, dans l’air(e) de la double page ci-dessous représentée, la circulation des matières intéresse également les plans lexicaux, isotopiques et phonétiques :
21À gauche, le deuxième énoncé témoigne de l’« œuvre » du vent brassant, par le biais de l’énumération, divers matériaux géologiques. À droite, sur la deuxième ligne, les matières – fluides aussi bien que montagneuses – se diffractent et se recomposent, à la manière des « nuages ». Le mélange et la métamorphose des substances reposent sur la polysémie, les « séracs » désignant des blocs de glace fracturés sur le glacier aussi bien que des fromages savoyards. La métaphore culinaire est par ailleurs servie par le glissement paronymique entre « séracs » et « séracée » (le lait caillé dont on a séparé le petit-lait) ; et l’enroulement des « volutes » se décline selon une même contagion phonétique, celle des « voyelles » et ainsi que des allitérations en [v]. La circulation isotopique se fonde doublement, sur le sème commun de la blancheur et aussi sur l’aération des mots, soufflés ici et là sur une double page devenue le lieu d’une respiration poétique qui semble tout oblitérer : « l’œuvre du vent » s’impose au « [r]egard », dans le « silence » du livre. Quant au phénomène du trou d’air, il est rendu sensible, notamment grâce au rejet entre les verbes diviser et casser35.
22De manière mimétique, la disposition graphique du texte fait voir une circulation et une respiration poétiques dans l’air(e) de la page, tandis que, parallèlement, le travail sur les mouvements sémantico-syntaxiques du vers, de la phrase et du poème, suggèrent des allures36 aériennes, c’est-à-dire des cinétiques de fluctuations et de remous.
Les allures aériennes des textes
23Les allures aériennes mettent en jeu des effets rythmiques qui ne relèvent ni d’une étude syllabique, ni d’une perspective accentuelle. Elles engagent une « respiration » d’ordre poétique, que Pierre Chappuis oppose au « fil de la pensée37 ». Philippe Jaccottet le formule autrement au sujet de Joseph Joubert : « les espaces entre les pensées sont à la fois séparation et liaison, créant pour finir une vaste étendue poreuse, transparente, éminemment respirable38 ». Ces tensions entre cohésion et hiatus doivent être explorées car ce sont elles qui configurent les allures textuelles du vent.
24Le poème « Me reprend, m’excepte » est ainsi régi par une dynamique de battements respiratoires qui accordent le locuteur à l’étendue :
Me reprend ;
l’arbre de nouveau happé.
M’excepte ;
bandeau de soie sur mes yeux comme une aube.
Mouvant et mouvant, m’immerge39.
25Le va-et-vient de la brume impose au texte son allure de flux et reflux. Dans les strophes, deux dispositions s’affrontent selon que le poète est ou non avalé par la nappe de brouillard. Le jeu des antithèses entre « reprendre » et « excepter » participe d’un déploiement textuel fondé sur les revirements. De même, dans le dernier vers, la répétition de « mouvant » est prolongée par la pulsation allitérative en [m]. Comme l’explique Edmond Jabès, le regard devient ici « la confrontation de deux respirations » car, écrit-il, « l’œil a aussi un poumon, un cœur dont les battements nous permettraient de voir, d’entendre, d’agir, au rythme de l’univers ; de nous déplacer avec ce qui marche, de nous élever avec ce qui vole40 ».
26Si l’antithèse et le parallélisme sont des procédés relativement attendus pour figurer l’allure aérienne du revirement, le travail sur la labilité des images est quant à lui tout à fait singulier. Parmi tant d’autres, le diptyque suivant est représentatif de la poétique de Pierre Chappuis :
27Cet ensemble41 est précédé du poème « (à tes côtés) », évoquant in fine les nuages, auxquels le pronom initial « Leur » peut renvoyer. Mais c’est bien l’imprégnation réciproque entre les images qui est ici essentielle42, et elle tient précisément à la relative indétermination des pronoms, pouvant fonctionner de manière anaphorique aussi bien que cataphorique. Ainsi les titres peuvent-ils contribuer à démultiplier les superpositions métaphoriques, les nuages étant tout aussi bien comparant et comparé des « beaux jours », des « vagues » que des « mouettes ». Les vers de « (mouettes ou vagues) » font volte-face selon les flux et reflux d’un phénomène qui reste, non pas tant indéfini, qu’ouvert à d’autres associations d’images – dont celles des crêtes montagneuses qui « [v]iendraient […] l’une légèrement renflée, l’autre prête à s’aplatir, une vague, la suivante, et la suivante43 ». Dans cette double page, un effet de battement, de virevolte aérienne, est dû également à une conjonction de choix : la juxtaposition des déictiques du vers initial, la labilité des verbes pronominaux qui hésitent entre sens réciproque et sens réfléchi, le parallélisme et l’étirement syllabique des adverbes « inopinément / amoureusement », ainsi que les pulsations en [ã], en [u] et en [s] dans la seconde strophe. Plus fondamentalement, l’allure instable du poème dépend des images qui s’appellent les unes les autres par surimpression et qui, du fait des échos créés d’une page ou d’un livre à l’autre, s’interpellent, (s’)inspirent d’autres rapprochements. En effet, la « crête » est celle des oiseaux ou des vagues, mais elle peut renvoyer encore aux nuages et aux montagnes du poème précédent, intitulé « (premiers beaux jours) ». Précisément, dans le titre de bas de page, l’alternative crée un nouvel appel d’air pour l’image : ses versants se complexifient d’autant plus que la conjonction « ou » n’a pas nécessairement une valeur alternative exclusive. L’image des mouettes qui virevoltent et jouent dans les courants aériens se superpose à celle de leurs danses dans le flux et reflux des vagues. Ainsi, dans ce diptyque, les images circulent de manière tourbillonnaire : de cette manière, l’auteur offre au lecteur un espace de libre respiration poétique et il est de la responsabilité de ce dernier de laisser papillonner son imagination afin d’insuffler dans le texte d’autres images s’inscrivant dans le prolongement de celles suscitées par Pierre Chappuis. Autrement dit, le lecteur est invité à faire œuvre poétique en réponse aux images du poème.
28Les poèmes en prose reposent aussi sur des allures aériennes. Pour ce faire, l’auteur recourt notamment à des accumulations qui ouvrent la phrase aux quatre-vents :
Volontiers tirée à hue et à dia, prête à tout, simple accumulation d’éléments à la dérive plus propres – même semblables, même se suivant – à désarticuler une phrase qu’à la souder, incertaine de son terme autant que de sa forme, l’énumération pourrait – ou peut – se charger davantage à l’instar d’un ciel d’orage ou s’alléger au contraire, s’éparpiller, se défaire, sujette à des courants variables44.
29Aux « courants variables » du procédé accumulatif peuvent s’ajouter les insertions parenthétiques qui redoublent les remous et les appels d’air. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son titre – « Jusque là » – le terme de ce poème n’est pas d’ordre spatial. Son déploiement traduit au contraire une dissipation à l’air libre, au risque de verser dans le vide :
Jusqu’en cet endroit (le vent, la fraîcheur), prairie (l’herbe haute), clairière du jour (l’alouette amoureuse, dans le nuage) que traverse et ne traverse pas le chemin. Jusque là (elle maintenant perdue de vue)45.
30Les parenthèses fonctionnent comme des appels d’air qui ressurgissent à la surface du texte en coupant périodiquement le fil de la phrase. De fait, à peine le locuteur a-t-il désigné l’« endroit » que le « vent » s’insuffle ; à peine a-t-il précisé la nature du terrain (une « prairie ») que la bouffée tactile de la « fraîcheur » et celle, visuelle, des « herbes hautes » ouvrent une trouée parenthétique ; enfin, à peine a-t-il mentionné la lumière de la « clairière » que le regard est aspiré, « perd[u] » dans l’étendue nébuleuse. En dépit du signe typographique, la parenthèse ne démarque pas complètement le nom « nuage » de la subordonnée relative suivante ; c’est ainsi que le nuage devient une aire de battement respiratoire pour le chemin qui « traverse » et « ne traverse pas ». Quant à l’appel d’air du dernier énoncé parenthétique, il engage une absence-présence, une sorte de suspens vibratoire entre la plénitude et le vide.
31Des effets d’appel d’air spécifiques sont mis en œuvre à l’amorce des poèmes. Pierre Chappuis précise qu’il cherche à « immerger d’emblée le lecteur dans la réalité poétique46 » pour lui faire ressentir un souffle correspondant à celui de l’instant vécu. À dessein donc, il ouvre souvent ses poèmes sur l’insufflation d’éléments naturels ou sur celle d’une étendue, qui accomplie ou quasi accomplie, a pris de vitesse le locuteur au point de lui couper le souffle. À cet effet, les pronoms personnels sont régulièrement privés de référent endophorique, les verbes et les participes expriment une action dont l’agent reste indéfini. Parmi les poèmes précédemment évoqués, « (mouettes ou vagues) » et « Me reprend, m’excepte » sont de parfaits exemples. Insistons sur ce point : nombreux sont les textes qui s’ouvrent sur une fuite, sur un coup de vent, sur une explosion chromatique ou acousmatique, et tout aussi nombreux sont ceux qui nous projettent dans un souffle exclamatif ou dans un suspens interrogatif. Chaque fois le lecteur se trouve plongé au cœur d’un mouvement qu’il ne peut pas identifier, mais il éprouve vivement l’aspiration sentie par le locuteur.
32Mais l’effet d’appel d’air ne repose pas uniquement sur l’oblitération de l’actant. Dans un vers initial comme « Futaie ou fouillis. », la nomination met en jeu un ancrage référentiel d’autant plus labile que l’absence de déterminant rend compte de l’effet sensitif créé par le surgissement forestier. Le souffle court du vers – son caractère elliptique, l’allitération en [f] – témoigne de l’irruption furtive de la sensation paysagère, de son influx visuel et presque tactile puisque « fouillis » est, plus que le premier terme peut-être, d’ordre impressif et qu’il peut donc plus nettement être rapporté à un emploi métaphorique. À l’instar du poète, le lecteur est ainsi projeté, d’un seul coup, dans des perceptions paysagères visuelles et auditives en même temps que dans le bruissement de la langue. Dès lors, faire sentir le souffle de l’étendue et faire entendre l’appel d’air de l’écriture forment des enjeux indistincts : la labilité paysagère a pour revers celle de l’image impressive, et la dynamique de l’image obéit aussi à une logique poétique allitérative en l’occurrence.
33Parfois, l’influx paysager traverse le texte même pour le faire basculer du vers à la prose47 :
L’hiver, d’un coup.
Enjambant, mais sans effort, barrière après barrière (clôtures pour des nues), en dehors des chemins, brasser la neige dans le soir tôt venu que n’a pas déserté une réverbération égale, incertaine et, fervemment, ne plus toucher du pied le sol48.
[…]
34Du fait de sa brièveté, le premier énoncé est tout à fait comparable aux vers chappuisiens. Le souffle hivernal et l’appel d’air du poème se répondent selon une dynamique correspondante : de la fulgurance du vers à l’expansion de la phrase de prose, il n’y a plus qu’un pas. L’enjambée opère sur différents plans : elle correspond à la foulée de l’hiver, à celle du promeneur, et à l’oscillation entre vers et prose, deux régimes poétiques qui ont souvent été envisagés de manière binaire. En somme, à la faveur d’une insufflation dans le paysage, le poème devient un champ poétiquement ouvert.
L’abouchement entre poèmes : la respiration dans les recueils et dans l’œuvre
35À partir du poème « (Mouettes ou vagues) » nous avons montré comment la double page du livre se prête à la circulation des images, devenant un espace respiratoire ouvert à l’implication du lecteur. Dans les recueils, grâce aux diptyques, aux triptyques et aux suites poétiques, diverses allures aériennes sont créées : le brassage, le revirement antithétique ou encore l’insufflation. Pierre Chappuis cherche à susciter la sensation du « perpétuel présent d’un ciel changeant49 » et, réellement, la circulation et la variation des motifs paysagers rendent poreuses ces pages du recueil D’un pas suspendu50 :
36L’effet poétique doit être évalué en termes de respiration, les phénomènes d’échos étant voués à maintenir l’œuvre « ouverte, aérée de l’intérieur51 ». La lecture réactivant les résonances textuelles, le livre demeure toujours « en germe ». Le lyrisme s’infléchit vers l’en deçà du chant puisque les échos « perpétuerai[en]t, recréerai[en]t à chaque instant le même chant toujours en fuite52 ? » Ces dispositifs expriment la vertigineuse respiration du même et de l’autre, du passé, du présent et de l’à venir. Alors que dans la vie le temps s’écoule de façon linéaire et que les instants de plénitude fuient sans retour, les répercussions entre les textes instaurent une temporalité poétique circulaire. L’œuvre invente la « respiration du temps53 » (G. Didi-Huberman) qui lui est adéquate. En d’autres termes encore, ceux d’André du Bouchet, les échos poétiques permettent de manifester le battement d’une « mémoire réelle qui perd et possède, et perd pour respirer54 ». Tel est l’autre type d’appel d’air devant être abordé, celui de l’intertextualité qui insuffle les lieux aussi bien que la mémoire.
Les lieux et leurs souffles mémoriels : l’appel d’air de l’intertextualité
37Les lieux auxquels aspire le poète sont traversés par les souffles de la mémoire et de l’imagination, c’est ainsi qu’ils respirent poétiquement. Ancrés à des coordonnées géographiques qu’ils outrepassent néanmoins, les éléments paysagers plongent d’emblée le poète dans un appel d’air à la faveur duquel s’échangent les perceptions du lieu et les réminiscences littéraires, picturales, filmiques ou musicales. Pour le poète romand, les étendues qui s’éprouvent ainsi tiennent « tout leur sens du souffle qui, les traversant, les tient comme par miracle en équilibre55 ». Tout à la fois inspirée et polarisée par les souvenirs intertextuels et les sensations physiques, l’appréhension de l’étendue se renouvelle incessamment selon un mode respiratoire propre à leurs variations autant qu’aux inflexions de la conscience de l’auteur.
38Partant, aspiration et inspiration poétiques se répondent comme autant de battements cardiaques. L’alternative entre l’enracinement subjectif dans un lieu et la poésie intersubjective devient absolument obsolète. Ainsi l’expression « C’est dans l’air » revient-elle trois fois dans le livre Muettes émergences : l’énergie vibratoire, l’incessant appel d’air entre les œuvres des uns et des autres sont essentiels pour l’auteur. L’air du lieu et l’air des livres s’échangent dans une impalpable connivence, et ce en dépit de l’absence de communication de personne à personne.
Le souffle mémoriel et la redéfinition du terroir poétique
39Il convient premièrement d’expliquer comment le souffle mémoriel redéfinit l’appréhension du terroir. Les imaginaires de la terre et de l’air ne sont plus antithétiques : les éléments paysagers constituent un ancrage labile mais absolument nécessaire pour que s’insufflent les divers courants mémoriels auxquels se voue le poète. À lui seul le titre du texte « Une mémoire en broussaille » pourrait en rendre compte mais nous citerons toutefois un court passage évoquant une traversée de la forêt ardennaise. L’immersion de l’auteur est d’abord de l’ordre d’une inspiration immémoriale :
Une mémoire, une terre étrangères, ou dormant. Décloisonnées. Vastes autant l’une que l’autre, l’une ayant absorbé l’autre. De même la lumière, ou l’air confondu avec elle, si fluide ce matin, si limpide.
Immergé en même temps que nous, le passé tout le passé indistinctement, du plus ancien au plus récent ? Ayant eu lieu, non, ayant lieu ici, assoupi, participant de la respiration silencieuse de la forêt. Nous l’éprouvions ainsi, à nous abandonner à un lent et paisible engourdissement, toute joie, toute tristesse derrière nous, à nous perdre nous aussi dans la foule, dans les légions d’hommes et de femmes, venus et disparus par vagues avant nous56.
40L’air du lieu induit un saisissement temporel qui vacille entre résurgence et oubli, parce que le souffle mémoriel suscite un désir ambivalent d’évidement. Mais la respiration du lieu tient aussi au fait que toutes les choses et toutes les sensations s’abouchent. Le plus latent affleure ou resurgit brusquement pour déterminer un milieu ambiant, invisible et labile, un bercement léger qui renvoie dos à dos plénitude et disparition dans l’anonymat.
41Par la suite, la traversée conduira le poète de l’ère des mines à celle de la guerre, puis le cheminement mènera de la Seconde Guerre mondiale au Balcon en forêt de Julien Gracq et enfin le territoire réel sera rapporté au territoire des œuvres de Christian Hubin par le biais de diverses citations57. La forêt ardennaise s’apparente donc à un milieu conducteur selon l’acception magnétique du terme : une chambre d’échos s’édifie à mesure que la progression textuelle s’abandonne aux mouvements d’une mémoire proprement créatrice, c’est-à-dire poétique.
42De la sorte, le terroir devient une effervescence, une activation qui tient par exemple à « une certaine qualité de bleu58 » dont la puissance poétique est double :
Sans qu’il y ait à y penser, une certaine qualité de bleu – c’est dans l’air – me ramène à une première lecture des Amours, éveil d’une sensualité incertaine, diffuse, vaporeuse qui, au lieu de se fixer sur un objet, trouvait à s’épancher, se perdre, délivrée de toute profondeur, dans la lumière. Mieux que tout la résumait, toujours employé au féminin, l’adjectif angevine, non seulement à cause de Ronsard (« Petite pucelle angevine ») ou des Regrets, mais peut-être surtout pour ses sonorités diurnes […].
Bien avant les lieux eux-mêmes (tardivement parcourus), sonnets et chansons ont fait pour moi du pays de Loire un jardin d’amour, un pays de douceur et de réalité – ou d’irréalité – […] un pays de collines basses et voluptueuses qui aurait pu être, pour la dissipation des ombres, celui de Vermeer ou de Corot. […]
43L’ensemble de la prose, partiellement citée, consiste à penser un transport sensuel, émotionnel, mémoriel et artistique dont les inflexions tiennent à des spécificités paysagères et chromatiques cruciales mais néanmoins secondes : « – c’est dans l’air – » que réside leur principe, leur énergétique ; « – c’est dans l’air – » que s’instaure ce mouvement conducteur amenant l’énonciateur à s’émanciper de l’ici-maintenant d’un lieu par lequel il demeure néanmoins « aimanté59. » L’air instaure un foyer sensuel, une ardeur, un « courant poétique[s]60 » qui relie immédiatement le poète à une respiration existentielle qui s’est construite, indissociablement, dans la fréquentation des lieux réels et dans celle des recueils de Ronsard, de Du Bellay et d’Éluard, aussi bien que dans la contemplation des paysages de Vermeer ou de Corot, dont les noms sont évoqués par la suite. « [D]ans l’air » naît quelque chose comme un appel, faisant vibrer à l’unisson diverses couleurs et saveurs, ainsi que des réminiscences kaléidoscopiques inspirées notamment par les images chères à d’autres poètes : d’emblée la pointe d’Areuse résonne d’autres voix et d’autres poétiques des lieux. Grâce à cette bleuité, des lieux multiples s’abouchent pour ériger un foyer respiratoire, un cœur impressif fluctuant au gré de l’air des livres, dont les courants incessamment se recoupent et diffèrent. L’entrelacement des notations paysagères, poétiques et artistiques impose au texte une progression tout à la fois déliée et concentrique, car l’air neuchâtelois et l’air des livres vibrent indistinctement.
44L’air des livres permet donc au poète de s’enraciner dans un terroir de manière tout à fait remarquable : les réminiscences intertextuelles insufflent les lieux les plus familiers pour nourrir une énergie poétique propre à « assurer une relation au monde approfondie61 ». Sur ce point, il faut rapprocher la poétique de Pierre Chappuis et celle de Julien Gracq62, pour qui la littérature respire en acquiesçant au monde, cet accord n’existant que dans la mesure où un terroir culturel illimité l’imprègne.
45Le souffle poétique se définit comme une énergétique communicationnelle traversant le temps et les éléments paysagers pour instaurer un principe respiratoire au sein duquel s’attisent les affinités créatrices. En conséquence, le chant lyrique n’est plus tant le chant du monde ou le chant du poème que l’utopie d’un royaume de retentissements poétiques intersubjectifs : l’énergie lyrique consiste à « entrer en résonance63 ».
Entrer en résonance
46Ce royaume poétique auquel Pierre Chappuis aspire par le biais de la fréquentation des lieux, des livres et des tableaux ne se confond pas avec le poème, quand bien même il en dépend. Les proses de Muettes émergences, plus encore que celles d’autres œuvres, rendent sensible une insufflation lyrique transpersonnelle et intertextuelle. Elles font entendre le souffle d’un réseau poétique que le lecteur aura à « ouvrir de l’intérieur64 », prolongeant ainsi sur un autre versant le travail poétique amorcé par l’auteur. De toute évidence, le poème prétend insuffler au lecteur le désir de convoquer à son tour les œuvres et les lieux qui lui sont les plus chers.
47La respiration poétique présuppose d’« Entrer en résonance », d’entrer en sympathie avec l’autre, et cette vibration initie un royaume poétique qui, en lui-même, fait corps avec la réalité des paysages et des œuvres. Ajoutons dernièrement que l’auteur aspire à :
une présence à distance, jusque là où ne comptent plus les différences individuelles, où entrent en considération non plus l’angoissante question du moi, mais seulement les tendances, les courants qui circulent entre les êtres, qui nous agitent et nous émeuvent, s’impriment en nous ou ne font que nous traverser, sans nous appartenir65.
48Pour conclure, la perspective de l’air conduit à circuler entre des plans divers, qu’ils soient thématique, stylistique ou poétique. Nous avons cherché à appréhender une manière d’évoquer le paysage, et plus fondamentalement encore, un style d’immersion dans des étendues qui sont soufflées dans l’instant, ou bien qui s’animent au gré de mouvements systoliques et diastoliques. Puis, cette même orientation a guidé l’appréhension des dynamiques textuelles, des allures figurales, que la notion de rythme et que la démarcation vers / prose informent, mais sans pouvoir les embrasser pleinement. Enfin, tel que Pierre Chappuis le conçoit, l’appel d’air poétique infléchit et le chant et l’inspiration lyriques. Reste à noter que l’appel d’air peut œuvrer contre la lettre même du livre, ou lorsque le livre a été refermé. En effet, pour l’auteur, l’émotion se réveille « immanquablement » à la lecture de certaines pages, mais parfois « indépendamment même de leur contenu66 ».
49En définitive, si l’approche respiratoire est tout à fait pertinente au regard de l’œuvre chappuisienne, c’est que l’auteur ne s’attache pas simplement à exprimer des sensations d’insufflation mais qu’il cherche à les « réaliser67 », à les susciter chez le lecteur.
1 Dans le canton de Berne, mais Pierre Chappuis a résidé à Neuchâtel jusqu’à ses derniers jours.
2 Deux références primordiales sont dues à Michel Collot qui a rédigé l’entrée « Pierre Chappuis » dans le Dictionnaire de poésie : de Baudelaire à nos jours, publié sous la direction de Michel Jarrety aux Presses Universitaires de France en 2001, et qui a consacré au poète un chapitre entier dans Paysage et poésie : du romantisme à nos jours (Paris, José Corti, 2005, p. 355-369) ainsi que dans Le Chant du monde dans la poésie française contemporaine (Paris, Éditions Corti, p. 309-317).
3 Arnaud Buchs et Ariane Lüthi (dir.), Présences de Pierre Chappuis, Paris, Orizons, 2014.
4 Parmi les publications signées par Sylviane Dupuis, nous ne citons que deux références majeures : « Taire le « moi » – dire « Je » : Le lyrisme paradoxal de Pierre Chappuis », Revue de Belles Lettres, 1999, nos 3-4, p. 87-96, et « Une poétique de l’entre-deux », dans Présences de Pierre Chappuis, op. cit., p. 27-50.
5 Tout récemment, Antonio Rodriguez a dédié un chapitre à l’œuvre de Pierre Chappuis dans son essai intitulé Le paysage originel : changer de regard sur les poésies francophones (Paris, Hermann, 2022).
6 Lydie Cavelier, « La poïétique de la labilité dans l’œuvre de Pierre Chappuis », thèse de doctorat sous la direction de Marie-Françoise Lemonnier-Delpy, Amiens, Université de Picardie Jules Verne, 2021, 1 100 pages, En ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03624229, page consultée le 13 février 2024. En 2023, le numéro 80 de la revue NU(e) sera entièrement dédié à Pierre Chappuis.
7 Pierre Chappuis a publié plusieurs recueils réunissant des notes et des essais. Les références proposées concernent surtout : La Preuve par le vide, Paris, José Corti, 1992 ; Le Biais des mots, Paris, José Corti, 1999 ; Tracés d’incertitude, Paris, José Corti, 2003 ; La Rumeur de toutes choses, Paris, José Corti, 2007 ; Battre le briquet précédé de Ligatures, Paris, José Corti, 2018.
8 François Jullien, Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 2014.
9 Georges Didi-Huberman, « Air et pierre », Recherches en psychanalyse, 2005/1 (no 3), p. 127-130.
10 Philippe Jaccottet, Œuvres, Préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Tappy, avec Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2014, La Semaison, mars 1966, p. 391.
11 Pierre Chappuis, D’un pas suspendu, Paris, José Corti, 1994, « Soleil levant », p. 21.
12 Pierre Chappuis, Mon murmure mon souffle. Paris, José Corti, 2005, « (sur un chemin de nulle part) », p. 49.
13 Pierre Chappuis, Mon murmure mon souffle, op. cit., poème liminaire non titré.
14 François Jullien, Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, op. cit., 2014, p. 183.
15 Pierre Chappuis ne fait état ni d’une influence directe de l’esthétique paysagère chinoise sur son écriture, ni d’une connaissance théorique spécifique concernant les haïkus. Néanmoins, Bashô est mentionné à diverses reprises, notamment dans Battre le briquet précédé de Ligatures, op. cit., [p. 156] et dans La Rumeur de toutes choses, op. cit, p. 121. Quant à l’autrice japonaise Chiyo-ni (1703-1775), elle prête son nom au poème « (d’après Chiyo-ni) » dans Entailles (Paris, José Corti, 2014, p. 39).
16 Pierre Chappuis, « Ciel double », À portée de la voix, Paris, José Corti, 2002, p. 24.
17 Selon François Cheng dans Le Livre du Vide médian (Paris, Albin Michel, 2004), le vide est un élément dynamique et agissant. Il est lié à l’idée des trois souffles vitaux et à celle de l’alternance entre le Yin et le Yang. Dans cette pensée ternaire, le vide médian se rapporte au souffle qui maintient l’harmonie, qui préside aux transformations internes, et qui introduit le mouvement circulaire reliant le sujet à l’espace originel.
18 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1964, p. 281.
19 Le style existentiel est, selon Maurice Merleau-Ponty, un type de relation avec les choses. Voir La Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 1945, p. 471.
20 Pierre Chappuis, « (aubépines en fleurs) », Comme un léger sommeil, Paris, José Corti, 2009, p. 55.
21 Georges Didi-Huberman, Gestes d’air et de pierre. Corps, parole, souffle, image, Paris, Éditions de Minuit, 2005, p. 78-79. Nous déplaçons quelque peu le propos car l’auteur évoque par ces mots les réflexions de Pierre Fédida sur la parole ancestrale.
22 François Jullien se propose d’employer la notion benjaminienne d’aura pour désigner l’« évasif » qui dilue les antinomies liées au paysage, c’est-à-dire le visible / l’invisible, le proche et le lointain, etc. Situant l’aura du côté de l’atmosphère, de l’ambiance qui (se) dégage de (dans) l’étendue, le sinologue rejette le primat accordé à la vue et à la représentation visuelle du paysage (François Jullien, Vivre de paysage, op. cit., p. 132).
23 Pierre Chappuis, D’un pas suspendu, op. cit, « Vent à vivre », p. 17 : « Liquide verdure de mai (terre comme fleuve, ô Léthé) sur laquelle voguent les toits, que lisse de ses plumes amples et souples (le jour ! la caresse du jour !) un vent délesté de ses ombres. »
24 Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil, op. cit., 2009, p. 15.
25 Pierre Chappuis, Mon murmure mon souffle, op. cit., « (midi en été) », p. 50.
26 Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil, op. cit., p. 20.
27 Pierre Chappuis, Éboulis & autres poèmes précédé de Soustrait au temps, Moudon, Empreintes, 2005, « Absence exubérante », p. 117.
28 Pierre Chappuis, Mon murmure mon souffle, op. cit., p. 53.
29 André du Bouchet, Dans la chaleur vacante suivi de Ou le soleil, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1991, p. 36.
30 Dans Paysage et poésie : du romantisme à nos jours (Paris, José Corti, 2005, p. 53), Michel Collot renvoie à la définition d’Emil Staiger et place la Stimmung du côté de l’intrication du moi et du monde, la notion embrassant l’idée d’une « subjectivité diffuse qui circule » entre les pôles du moi, du monde et des mots. Antonio Rodriguez prolonge cette approche dans Le Pacte lyrique : configuration discursive et interaction affective (Sprimont, Mardaga, 2003), expliquant comment la vie affective de l’instance du sujet lyrique textuel tend à se répandre sur tous les éléments du paysage évoqué, grâce au jeu des personnifications, ou encore grâce au travail sur les colorations tonales. Je renvoie également à mon approche du lyrisme sympathique (voir Lydie Cavelier, « La poïétique de la labilité dans l’œuvre de Pierre Chappuis », op. cit., p. 306-333).
31 La notion de parole figurale a été développée par Laurent Jenny dans son essai sur La Parole singulière (Paris, Belin, 1990). Par opposition à la représentation mimétique, le discours figural fait résonner l’événement sensoriel. Jenny considère le discours figural comme un champ événementiel fondé sur des tensions sémantico-énonciatives telles qu’elles excluent une unification par l’interprétation. Enfin, l’approche figurale nécessite de se situer du côté de « l’énergétique discursive », c’est-à-dire comme un ensemble d’interférences rhizomatiques relançant des parcours de lecture toujours en devenir.
32 Georges Didi-Huberman, Gestes d’air et de pierre. Corps, parole, souffle, image, op. cit., 2005, p. 9.
33 Pierre Chappuis, Le Biais des mots, op. cit., p. 47.
34 Pierre Chappuis, Éboulis & autres poèmes précédé de Soustrait au temps, op. cit., p. 170-171.
35 Le soulignement n’est pas le fait du poète.
36 Les fondements théoriques de la notion d’allure sont présentés dans mon travail de thèse (op. cit.) et repris de manière très synthétique dans le Glossaire, p. 1025.
37 Pierre Chappuis, Le Biais des mots, op. cit., V, « Écarts, enjambements », p. 91.
38 Philippe Jaccottet, Œuvres, op. cit., La Semaison, Carnets 1954-1967, p. 1425.
39 Pierre Chappuis, Éboulis & autres poèmes précédé de Soustrait au temps, op. cit., p. 133.
40 Cité par Éric Bonnet dans « Fragments, seuils, silences. La peinture en dialogue avec Edmond Jabès » dans L’Appel : écriture poétique et inscription du dehors de René Char à Jacques Réda, dir. Franck Villain, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2004, p. 13-20. Par ces mots, Edmond Jabès évoque l’œuvre du sculpteur Eduardo Chilida.
41 Pierre Chappuis, Pleines marges, Paris, José Corti, 1997, p. 39.
42 La labilité des images est une dimension essentielle de l’écriture chappuisienne (voir Lydie Cavelier, « La poïétique de la labilité dans l’œuvre de Pierre Chappuis », op. cit., p. 422-465).
43 Pierre Chappuis, Entailles, Paris, Éditions Corti, 2014, p. 77.
44 Pierre Chappuis, Un Cahier de nuages, Fribourg, Le feu de nuict, 1989, p. 21.
45 Pierre Chappuis, Distance aveugle précédé de L’invisible parole, Paris, José Corti, 2000, p. 66.
46 Pierre Chappuis, Battre le briquet précédé de Ligatures, op. cit., « Valeur de signe », p. 54.
47 Sur ce point, je renvoie au chapitre « Vers et prose : phénomènes de “bord à bord” et de concurrence » dans « La poïétique de la labilité dans l’œuvre de Pierre Chappuis », op. cit., p. 466-588.
48 Pierre Chappuis, D’un pas suspendu, Paris, José Corti, 1994, « Pensées telles, vagabondes », p. 59.
49 Pierre Chappuis, Un Cahier de nuages, op. cit., p. 38.
50 Pierre Chappuis, D’un pas suspendu, op. cit., p. 23-24.
51 Pierre Chappuis, Battre le briquet précédé de Ligatures, op. cit., p. 109.
52 Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses, Paris, José Corti, 2011, p. 9.
53 Georges, Didi-Huberman, Gestes d’air et de pierre. Corps, parole, souffle, image, op. cit., p. 40.
54 André Du Bouchet, Aveuglante ou banale, essais sur la poésie, 1949-1959, Paris, Le bruit du temps, 2011, « Images à terme », p. 87.
55 Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses, op. cit., « D’année en année les mêmes élans », p. 167.
56 Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses, op. cit., « Une mémoire en broussaille », p. 56.
57 Les citations renvoient au poème « Lieu, non lieu » dans le recueil de Christian Hubin, Sans commencement (ouvrage collectif édité par la Bibliothèque municipale de Charleville-Mézières en 2007) aussi bien qu’au récit de Christian Hubin, Regarder sans voir (Genève, Puyraimond, 1979).
58 Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses, op. cit., « Le bleu, une certaine qualité de bleu », p. 130-131.
59 Ce lieu est géographiquement identifié à la toute fin de la prose : il l’embouchure de la rivière de l’Areuse dans le lac de Neuchâtel.
60 Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses, op. cit., « Le bleu, une certaine qualité de bleu », p. 133.
61 Pierre Chappuis, La Rumeur de toutes choses, Paris, José Corti, 2011, p. 157.
62 Pour Julien Gracq, une littérature qui respire cultive le « sentiment du oui », sentiment qui accorde l’homme « aux rythmes » des éléments naturels, c’est-à-dire à ce par quoi, profondément, « nous communiquons entre nous » (Julien Gracq, Œuvres complètes, éd. Bernhild Boie, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », tome I, 1989, « Pourquoi la littérature respire mal », p. 874). L’auteur écrit encore que « Tout livre […] se nourrit, comme on sait, non seulement des matériaux que lui fournit la vie, mais aussi et peut-être surtout de l’épais terreau de la littérature qui l’a précédé. Tout livre pousse sur d’autres livres […] »).
63 Pierre Chappuis, Le Biais des mots, Paris, José Corti, 1999, p. 37.
64 Ibid., p. 50 : « le poème est fermé, non exigu. Une fois dans la maison, on l’ouvre toute. Lumière et grand air aussitôt circulent. ».
65 Pierre Chappuis, Le Biais des mots, op. cit., p. 37.
66 Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses, op. cit., « Petites baies bien dodues, bien rondes », p. 104.
67 Pierre Chappuis, Le Biais des mots, op. cit., « Réaliser des sensations », p. 74.
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Les Carnets du vivant », n° 1, 2024
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Quelques mots à propos de : Lydie Cavelier
Université de Picardie Jules Verne
Membre du CERCLL