Sommaire
Corneille : un théâtre où la vie est un jeu
II. Jeux d’esprit et bons tours
sous la direction de Liliane Picciola
no 4, 2025

- Liliane Picciola Introduction
Des jeux de compétition et de hasard aux jeux d’esprit et aux bons tours - Myriam Dufour-Maître Le jeu de l’amour dans les comédies de Corneille : « conversation des honnêtes gens » ou « galanterie noire » ?
- Nina Ekstein Jeux de voiles : le tour de force de Corneille dans La Galerie du Palais
- Nina Ekstein Corneille’s tour de force in La Galerie du Palais
- Liliane Picciola Distraire de la peur : jeux d’assemblage, de manipulation et d’esprit dans Héraclius
- Yasmine Loraud L’héroïsme en mode mineur. Formes et effets de l’usage de l’ironie dans Nicomède, Agésilas et Pulchérie de Corneille
- Anissa Jaziri Jouer avec la vieillesse en contexte tragique : insolites fictions de mariage dans Sertorius
- Cécilia Laurin « Do I look like I’m joking? »
Proposition de rétrolecture spectaculaire de quelques jokers criminels de la tragédie cornélienne à travers la figure du Joker de Batman - Séverine Reyrolle Bourles d’honnêtes gens dans Le Berger extravagant de Thomas Corneille : entre jeux de rôles et entrées de ballet
Corneille : un théâtre où la vie est un jeu
Bourles d’honnêtes gens dans Le Berger extravagant de Thomas Corneille : entre jeux de rôles et entrées de ballet
Séverine Reyrolle
1Si, dans la production de Thomas Corneille, il est une pièce où le jeu, pris dans le sens de « joke1 » est roi, sans doute est-ce Le Berger Extravagant. L’amusement fantaisiste et les multiples tours joués à un jeune bourgeois se prenant pour un berger constituent en effet l’animation et la structure de cette pièce, publiée pour la première fois chez Guillaume de Luyne en 1653. En 1892, Gustave Reynier l’avait souligné dans son ouvrage intitulé Thomas Corneille, sa vie et son théâtre, puisqu’il présentait et résumait l’action en ces termes : « Il se trouve que le château voisin est habité par une compagnie joyeuse, qui rencontrant notre extravagant, s’amuse à lui jouer mille tours2 » (nos italiques). Thomas Corneille lui-même alertait sur cette spécificité lorsqu’il choisissait, dès la page de titre, de définir son œuvre, comme une « pastorale burlesque ». Avec pareille désignation, l’hispanophile qu’il était ne suggérait-il pas que, ni tragédie, ni comédie, ni même véritable pastorale, sa composition, échappant à toute règle de genre, méritait plutôt d’être entièrement placée sous le signe de la « burla3 » ? D’ailleurs ce terme espagnol4 avait bien alors un équivalent français, la bourle, employé par Molière5, et qui désignait une plaisanterie basée sur la mystification.
2Nous nous proposons d’explorer cette création afin de révéler toute la variété et la subtilité des badineries qu’y propose un Thomas Corneille n’ayant rien à envier à son illustre frère pour faire apparaître l’art de jouer des tours comme inhérent au mode de vie des jeunes gens bien nés, telle une facette de la « conversation des honnêtes gens6 ». Quoiqu’il emprunte le titre d’un « roman7 » de Sorel en le portant au théâtre, Corneille le jeune entend en effet visiblement faire rire agréablement mais non pas grossièrement. Il peuple la scène de personnages déguisés dont la proportion de nobles est bien plus élevée que dans le livre-source, ce qui a pour effet d’assurer un niveau de langage et de plaisanterie de bonne tenue.
3Par-delà l’utilisation première, effrénée et vertigineuse8 de la bourle comme principe dynamique de l’action, nous verrons donc que Thomas le cadet se plaît ici à jouer à tout moment avec les mots ainsi qu’avec le genre même de la pastorale : il pratique en quelque sorte l’anti-pastorale comme Sorel pratiquait l’anti-roman9. En se divertissant ainsi avec les codes de ce modèle littéraire un peu passé de mode au théâtre, mais auquel Tristan l’Hermite venait, avec Amaryllis10, d’offrir quelque regain de faveur, le jeune Corneille avec lequel, longtemps, la critique a pourtant été peu indulgente, le revisite finalement fort brillamment car s’il joue à l’anti-pastorale, il ne joue pas à l’anti-théâtre, bien au contraire. Il parvient même à proposer une pièce d’un nouveau type dans laquelle il offre à son spectateur un ultime et savant jeu scénographique qui décuple le plaisir pris à l’organisation des bons tours.
Une dramaturgie consacrée aux bourles
4Le Berger extravagant consiste en une accumulation et un enchâssement de bons tours joués à un citadin bourgeois. Au lever de rideau, on découvre un certain Lysis, de Paris, rendu fou par ses dernières lectures et qui s’est désormais retiré dans une forêt de la Brie voisine après avoir revêtu l’habit de berger. Des voisins de noble extraction, animés par le goût du déguisement et le désir de le faire revenir à la raison, ont choisi d’entrer dans sa folie, soit dans un premier niveau de « jeu dans le jeu ». Puis, très vite, d’autres adoptent à leur tour, et avec grand amusement, l’équipage pastoral. Ainsi, lors de son apparition, Clarimond, immédiatement pris par Lysis pour le Dieu Pan, ne se montre soucieux qu’un court instant11 de corriger l’erreur d’appréciation commise par Lysis. Il préfère céder aux joies entraperçues du divertissement et accepte volontiers l’occasion de prendre le visage d’un « gracieux berger » (v. 126), tout comme le reste de cette petite communauté qui s’est donné le mot. « Mais quelle illusion me surprend aujourd’hui / Que vois-je ? Tout le monde est-il fou comme lui ? » (v. 243-244), se demande en effet Clarimond à la vue d’Anselme, en habit pastoral. Ce dernier lui confirme cette petite « folie » collective dans les vers 267-272 :
C’est l’effet du pouvoir qu’Angélique a sur moi,
Et comme la servir m’est une douce loi,
Et que la pastorale a toujours su lui plaire
Je me suis fait berger et Charite Bergère,
Elle s’en mêle aussi, mais son rôle est plus doux,
Et lui donne le rang de nymphe parmi nous.
5De surcroît, Clarimond fait comprendre aux autres membres de la troupe qu’ils peuvent s’amuser à affiner le scénario de cette bourle pastorale12 et décider d’ajouter d’autres épreuves ou duperies à subir par leur ami occasionnel. Il endosse par exemple le rôle supplémentaire de rival de Lysis auprès de Charite et pousse cette mauvaise plaisanterie jusqu’à provoquer le pauvre berger en duel à l’épée. « Je veux, pour en tirer un plaisir sans égal, / Être aujourd’hui berger, et berger son rival, / À ce déguisement votre exemple me porte », avance-t-il en effet aux vers 263-265, avant d’annoncer de façon grandiloquente à Lysis : « Pour posséder Charite il faut m’ôter la vie. / Ne songe qu’à tuer » (v. 703-704) ! On notera qu’en plus du verbe « plaire », ci-dessus déjà mentionné, le terme « plaisir » surgit ici, suivi, encore un peu plus loin, par l’adjectif « plaisant ». Cette isotopie13 du plaisir ressenti souligne d’ores et déjà combien cette noble compagnie apprécie de jouer ce premier tour romanesque et pastoral à leur compère roturier mais aussi de l’élaborer : si l’on peut dire qu’elle « joue Lysis », on peut également dire qu’elle « se joue de Lysis », le « se » fonctionnant comme un datif d’intérêt et impliquant que la jouissance accompagne la tromperie. Il faut dire qu’à l’inverse de Lysis, qui ne fait preuve que de fugitifs moments de lucidité, les membres de cette micro-société mondaine n’adhèrent pas vraiment à leur rôle pastoral et se délectent donc toujours plus de leurs bourles et déguisements. La suite de l’action et des choix structurels de la pièce rend plus palpable encore la joie qu’ils prennent à s’amuser de manière concertée aux dépens de leur voisin.
6Au sein de cette première plaisanterie, Thomas Corneille prend en effet le soin, à l’instar de Sorel, de créer un second niveau dans les tours joués à Lysis : celui de tours qui reposent sur des métamorphoses et travestissements plus complexes. Plus grave de caractère que les autres, Hircan, un jeune cavalier de cette haute société improvise dans la fiction pastorale un rôle de druide-magicien, faisant alors preuve d’une inventivité théâtrale qui n’a rien à envier à celle de Clarimond. Comme ce dernier, il décide en effet de redoubler l’erreur du berger Lysis – « Secondons son erreur », lit-on au vers 778 – en faisant croire à Lysis qu’il l’a transformé en bergère pour pouvoir approcher de plus près celle qu’il aime, Charite. L’artifice ici est même encore plus savant que celui de Clarimond précédemment, et le « piège14 » plus complexe, puisque Hircan fait cette fois appel à des complices qui feignent aussi de prendre Lysis pour une fille et jouent des rôles supplémentaires. La sœur d’Hircan et Monténor le font d’abord instinctivement, all’improviso15. Puis, dans les scènes 4 et 5 de l’acte III, face à l’air timide de la jeune fausse jeune fille, ces derniers s’en donnent à cœur joie en la complimentant de façon plus élaborée sur ses atours. « Si belle et si parfaite il faut bien qu’on vous loue », dit par exemple Angélique au vers 947, pour parler de la « belle et chaste bergère » (v. 141) à qui Anselme et Clarimond ensuite décident de faire la cour et de baiser la main16, transformant ainsi cette seconde fiction dans la fiction, ou bien cette bourle dans la bourle, en une scène d’une délicieuse saveur comique. Cependant le climax consiste ensuite en ce que, à la scène 6, des gens du château appartenant à Monténor et circonvenus par lui, entrent en scène déguisés en satyres et accusent Lysis d’être impudique : ils lui demandent pour prouver sa chasteté de subir une rude épreuve physique consistant à toucher une platine brûlante, la pureté étant censée garantir de la brûlure. Lysis crie alors sa vertu à qui veut l’entendre ainsi que l’innocence de Clarimond, qui faisait mine de défendre en lui la chasteté de sa nouvelle amante. Mais en aucune façon l’extravagant ne se doute de la nouvelle supercherie ni ne renonce à sa fantaisie dans la fantaisie. Imperturbable, Lysis conserve toujours son masque semi-féminin si comique. Il ne sortira de cette seconde tromperie qu’un temps – encore sera-ce grâce à une nouvelle mystification, cette fois soigneusement préparée par Hircan, qui apparaît dans un char faussement magique17 – puis il se livrera à une troisième métamorphose, engendrant une nouvelle accumulation de plaisanteries : Thomas Corneille a opté pour une structure dramaturgique sérielle.
7À l’acte IV, dans la scène 7, Lysis tombe en effet dans un tronc creux et croit alors être métamorphosé en arbre. Il refuse de sortir de son nouveau refuge et de manger, si bien que de nouveau la compagnie de nobles qui l’entoure cherche gaiement à le sauver. Pour le faire sortir de la « souche pourrie18 » où il est tombé, ils décident de le livrer encore à sa folie et de le « jouer19 » grâce à un troisième tour en se déguisant de nouveau, cette fois, qui en nymphes bocagères, qui en dieu de rivière, qui en cyprès, afin de l’aider à se déraciner pour se greffer à un arbre du jardin de sa bienaimée Charite. « Faisons valoir la pièce20 » (v. 1720), dit en effet Clarimond, signalant ainsi cette troisième série de métamorphoses à vocation curative. « Comme de faux bergers devaient le guérir de la bergerie, ce sont de fausses divinités de la nature, assimilées à des arbres et à une rivière, qui s’efforcent de le tirer de son imaginaire état d’arbre pensant et souffrant21 », remarque ainsi Liliane Picciola.
8Ainsi, Thomas Corneille construit toute l’action de son Berger Extravagant sur trois séquences de tours joués à Lysis, trois illusions au cours desquelles les déguisements deviennent finalement de moins en moins vraisemblables et où les spectateurs se livrent à une fantaisie croissante, qui subsiste en fait jusqu’à la fin. Au tomber de rideau, Lysis n’est nullement guéri : tout au plus a-t-il changé de type d’arbre, passant, grâce une ultime mystification – et quatrième métamorphose –, de l’état d’arbre vert à celui d’arbre portant des fruits tout confits… Ce qui subsiste une fois la comédie achevée, ce sont donc encore et toujours les bourles que ces gens de belle compagnie relancent continuellement et ne voudraient, au fond, jamais faire cesser, comme le note Liliane Picciola :
Alors que dans le roman, les tours joués au berger sont surtout le fait de gens surpris par son attitude et qui improvisent, le Lysis du théâtre est entouré de jeunes gens qui se divertissent de manière concertée grâce à sa folie et s’amusent d’autant mieux qu’ils ne cessent eux-mêmes de jouer entre eux et qu’ils adoptent très volontiers le style et le mode de vie de la bergerie. On dirait qu’ils ont suivi Lysis en Brie pour que le fou, leur serve, paradoxalement, de garde-fou22.
9Dernière preuve de cette addiction à la mascarade : par-delà le jeu pastoral initial et les nombreuses métamorphoses des personnages nobles ci-dessus mentionnées, Thomas Corneille, à l’instar de Sorel, introduit dans la pièce un troisième type de bourle reposant cette fois principalement sur l’organisation de méprises. À la scène 5 de l’acte I, alors que Lysis tente de parler à l’Écho des bois23, Charite, qui s’est déjà amusée à l’enflammer, décide de jouer en plus l’écho, et de se divertir en le trompant. Après la didascalie « Charite, se coulant derrière les arbres », elle annonce en effet : « Servons ici d’Écho, la pièce sera bonne » (v. 290).
10À la scène 4 de l’acte IV, alors que Clarimond joue le rôle de rival de Lysis et courtise Charite, cette dernière, prétendument pour éviter Lysis entrant en scène, décide de simuler le sommeil et de jouer en plus, à son tour, le rôle bien connu de la belle endormie. « Pour le punir du mal qu’il semble vous causer, / En feignant de dormir, je le veux abuser. » (v. 1409-1410), déclare-t-elle à Clarimond. Puis, une didascalie nous indique : « Elle se couche sur des gazons, et feint de dormir24. » Cependant, lorsque Lysis entre en scène, après avoir loué la beauté de sa « Déesse » (v. 1424) en repos, il détecte un insecte sur son visage et lui donne un coup : « en voulant chasser la mouche il lui donne un coup sur le visage dont elle feint d’avoir été éveillée25 ». Cette didascalie, particulièrement inattendue, constitue une forme de paroxysme en matière d’enchâssement de tours ou de mécomptes en série. En effet, en voulant jouer un tour au sein même du tour joué à Lysis, Charite se trouve victime de son propre tour, Lysis ayant innocemment voulu protéger le sommeil feint de celle qui feint de l’aimer : c’est la contre-bourle à laquelle expose toujours une bourle…
11Ainsi, Le Berger Extravagant apparaît comme une pièce où le royaume de la bourle s’étend sur la dramaturgie entière. Nœud ou base de l’action principale, la bourle en est aussi le moteur permanent comme l’aboutissement : la pièce prend fin quand elle prend fin. Entre le jeu de rôle pastoral premier, celui de multiples métamorphoses, et les méprises comiques, aucun doute : la part donnée à la mystification dans la construction de la pastorale burlesque est tellement belle que l’on est tenté d’y voir une marque de fabrique ou une forme de signature « cornélienne ». Les multiples plaisanteries liées au langage présentes dans la pièce semblent aussi le confirmer.
Plaisanteries langagières en farandole
12Avec l’introduction d’une scène d’écho au cours de laquelle Charite flatte l’imagination de Lysis en faisant passer sa voix pour celle de la Nymphe, Thomas Corneille reprend un procédé souvent utilisé dans les pastorales les plus sérieuses, et notamment la Silvanire d’Honoré d’Urfé, dans la scène 7 de l’acte II, reconnaissable par tous les spectateurs cultivés du Berger extravagant. Daniela Dalla Valle note qu’une telle scène, figurant déjà dans le Pastor Fido de Guarini, (IV, 8), « est reprise dans 43 pastorales françaises avec toutes sortes de modifications et de variations26 ». Ici sa fin est de divertir.
13Charite brille alors, car non seulement, comme Anselme chez Sorel, elle rappelle à tous la scène de l’écho chez d’Urfé mais, à l’instar des bons auteurs dramatiques de pastorale, elle domine subtilement le langage, et parvient à répondre immédiatement aux questions de Lysis en répétant à chaque fois des syllabes choisies de manière à former des mots qui renvoient très adroitement et comiquement, tantôt au manège galant et aux badineries – comme « Danse » (v. 295), « Presse » (v. 299), « Cours » (v. 301), « Je mens » (v. 305) – , tantôt au lexique des passions tragiques – comme « Sa haine » (v. 307), « Meurs » (v. 309), « La corde » (v. 311) – afin d’effrayer Lysis. Comme, par un plaisant jeu de mots, Thomas Corneille le fait dire par Lysis, la fausse Écho « raisonne » (v. 289). Chez d’Urfé, Écho ne donnait à Fossinde que des réponses peu encourageantes, mais Charite, après avoir fourni à Lysis des conseils de stratégie amoureuse, cherche à le désespérer, attendant subtilement pour intervenir les occasions verbales susceptibles de soumettre le faux berger au régime de la douche écossaise. Son jeu est couronné de succès car Lysis, oublieux de la mythologie, finit par la traiter de sotte ; il n’en renonce pas pour autant à la bergerie.
14Si le jeu sur l’écho met en valeur la vivacité d’esprit de Charite, son assomption du rôle de la belle endormie permet à Corneille de se moquer non seulement des topoï de la poésie à la mode mais aussi de son langage spécifique et de ses figures de rhétorique.
15Alors que Charite feint de dormir, Lysis choisit en effet d’utiliser une synecdoque traditionnelle du langage amoureux et de louer ses yeux…, qu’il ne voit justement pas : « Que Morphée est heureux, ô beauté sans seconde, d’avoir pour son palais les plus beaux yeux du monde ! » (v. 1431-1432). Précédemment, de façon plus incongrue encore, dans les vers 568-570, Lysis a déjà vanté leurs mérites :
Lysis, à Lucide lui montrant Charite
Et nous parlions aussi
De cet œil rayonnant qui cause mon souci.
Oui, de ton œil divin la beauté charmeresse…
16Angélique souligne alors le ridicule d’un tel recours à la synecdoque par usage du singulier au lieu du pluriel attendu dans le discours amoureux (v. 567-570) :
Berger, un tel discours blesse votre maîtresse,
Voyez-la, de ses yeux l’éclat est peu commun,
Tous deux savent charmer, et vous n’en louez qu’un !
Par quel transport d’amour parler comme vous faites ?
17Lysis parvient ici à répondre sans se discréditer totalement puisqu’il évoque sa fidélité en langage des poètes27 d’une façon jugée « discrète » (v. 143) par son interlocutrice, c’est-à dire avisée. Néanmoins, il n’en est pas toujours ainsi. Rappelons que le premier portrait de la beauté de Charite que dressait Lysis, de façon éloquente, se terminait, lui, de façon de façon si plate qu’elle en était hilarante : « Enfin, figure-toi, Berger, qu’elle est fort belle » (v. 78) concluait en effet le berger extravagant, en poussant par deux fois, de surcroît, de ridicules cris d’admiration. Son « Ah ! » de la scène 4 de l’acte I, que Lysis expliquait par « un élan d’amour » (v. 276), lié à « la beauté des beautés de Charite » (v. 277), était en effet comiquement repris à la scène 4 de l’acte II, lorsque son amante paraissait devant lui. Dans la pièce de Thomas Corneille, le classique portrait poétique de l’aimée et la mention de la beauté de son regard se trouvent donc régulièrement moqués, grotesquement travestis et finalement dénoncés.
18Le maniement cornélien de l’antiphrase le confirme. De fait, le dramaturge saisit et détourne aussi ici cette autre figure incontournable de la poésie amoureuse et précieuse qu’est la louange systématique de n’importe quelle femme. Lorsque Lysis apparaît déguisé en fille barbue à la scène 4 de l’acte III, il suscite en effet à son égard de multiples et faux compliments, de plus en plus hyperboliques. À l’antiphrastique « La charmante personne » (v. 937), prononcé tout d’abord par Charite et au non moins ironique « Elle a beaucoup d’appas » d’Angélique (v. 938), qui ouvre la scène, s’ajoute en effet le savoureux échange des vers 941-948 :
charite
Non, non, que Philiris agisse en liberté,
Et qu’il rende justice à sa rare beauté,
Ce grand amas d’attraits mérite son hommage.
Voyez le vif éclat qui part de ce visage,
Quels beaux yeux jamais captivèrent un cœur !
lysis
C’est trop, belle bergère, épargnez ma pudeur,
Ou vous allez bientôt vermillonner ma joue.
angélique
Si belle et si parfaite il faut bien qu’on vous loue.
19On note qu’à l’accumulation d’adjectifs élogieux (« rare », « grand », « vif », « beaux ») et la réutilisation de la synecdoque des « beaux yeux » s’ajoutent ici, grâce à « vif éclat » et « vermillonner », deux mentions non moins canoniques du visage de l’aimée, concernant cette fois son éclat et sa couleur empourprée. Cependant, dans le même temps, la vision prosaïque du destinataire semi-travesti de cet éloge crée un fort contraste de tonalité qui dément immédiatement le discours précédent et invite encore le spectateur à se moquer hic et nunc des codes du langage poétique. En trahissant un usage mal adapté du lexique galant, le néologisme « vermillonner » (v. 947) achève de le confirmer. Tout comme « insoupirable » plus haut (v. 744) et bien d’autres inventions verbales de Lysis ensuite, il prête en effet aussi à rire et dénonce à son tour sans ambages le langage précieux.
20Enfin, l’ironie palpable à l’égard du discours poétique se perçoit également dans les moqueries insérées dans le dialogue à l’égard de la pratique de la louange hyperbolique. En effet, à la scène 2 de l’acte III, le dramaturge n’hésite pas à tourner en ridicule les héroïnes de la pastorale romanesque ou dramatique à travers Charite. Lorsque cette dernière s’amuse à jouer son rôle de bergère et qu’elle se mire dans l’eau, elle affiche la prétention non seulement de se rattacher aux modèles de beauté des poèmes et romans pastoraux qu’elle lit attentivement mais même de les surpasser ! On rit en entendant les vers 880-884 :
Enfin dans nos Romans trouvez qui me ressemble.
De ce qu’y peint de rare un pinceau pastoral
Ce ne sont que portraits, voici l’original ;
Dans ce déguisement je n’ai rien qui n’agrée,
Et je passe Philis si je ne vaux Astrée.
21Cette vantardise plaisante amène Angélique à entrer dans ce jeu en la ramenant à plus de modestie et en qualifiant son humeur d’« assez vaine » (v. 776). Toutefois, il n’est pas interdit de penser que ni Charite ni Angélique ne feignent, et que Thomas Corneille amuse à leurs dépens.
22Quoi qu’il en soit, l’on a affaire ici à une parodie précoce des paroles emphatiques et prétentieuses que l’on retrouvera aussi plus loin, aux vers 964-966, dans la bouche de Lysis-Amaryllis :
On m’appelait partout la belle Célimène,
Et sous ce nom fameux causant de doux transports
J’effaçai cent beautés qui parurent alors.
23Par-delà le surenchérissement produit par ce dernier vers, l’allusion déguisée à la célèbre Célimène de Rotrou28 – qui n’était pas à proprement parler une pastorale mais une comédie qui s’en rapprochait fort29 – est donc encore un troisième élément mis au service d’une critique du langage précieux ainsi que des modes littéraires et des postures qui l’accompagnent. Si enfin, à la scène 2 de l’acte IV, le sage Hircan, se voit violemment critiqué par sa sœur30 parce qu’il refuse de continuer à s’amuser, sans doute est-ce également une ultime façon pour Corneille de se railler des us et coutumes des salons en nous rappelant qu’en ces lieux, tout repli sur soi était très et surtout trop vite perçu comme une forme d’incivilité.
24Ainsi, les bourles qui constituent l’action du Berger Extravagant s’accompagnent de nombreux jeux sur le langage à travers lesquels le jeune Corneille se moque non seulement du langage poétique apprécié dans les salons mais aussi des mœurs et des modes génériques associés à ceux qui les fréquentent. Le travail de déconstruction que le dramaturge propose sur la pastorale est d’ailleurs bien plus vaste qu’il n’y paraît, si bien que l’on vient à se demander si ce ne serait pas à la pastorale elle-même que ce dernier voudrait surtout jouer un tour.
Élégances du tour joué au genre de la pastorale
25Habituellement, les pastorales présentent d’authentiques bergers appartenant à des époques incertaines, sinon aux ve et vie siècles, et définitivement retirés de l’agitation du monde. Ici, Thomas Corneille les remplace par des bergers provisoires qui décident de ne se soustraire que temporairement à la vie urbaine et courtisane du xviie siècle. Clarimond, en personne, souligne la brièveté du jeu de rôle pastoral auquel il s’adonne lorsqu’il avance (v. 227-234 ; nos italiques) :
Peut-être que huit jours guériront sa folie,
Et que ne trouvant pas au métier de berger
Les douceurs dont l’appas avait su l’engager
On aura moins de peine à lui faire connaître
L’Erreur qu’en son esprit ses livres ont fait naître
26Adrian semble réduire cette durée à quarante-huit heures lorsqu’il glisse subrepticement : « Donc pour un jour ou deux je vais vous dire Adieu » (v. 235). Puis, comme dans un jeu de surenchère, Clarimond compresse encore temporellement l’expérience bergère et la limite finalement à une seule journée. « Je veux, pour en tirer un plaisir sans égal, / Être aujourd’hui berger, et berger son rival / À ce déguisement votre exemple me porte » (v. 263-265), conclut-il en effet. Bien loin de respecter le vaste cadre spatio-temporel qui caractérise le genre pastoral31, Thomas Corneille met donc ici en scène des nobles contemporains qui se présentent soudain comme des bergers d’un jour32 et ce, de surcroît, non pas pour chercher à restaurer durablement les valeurs d’un mythique Âge d’Or, mais simplement pour faire revenir à la raison un roturier égaré par sa passion romanesque. Sans la folie de Lysis et le goût marqué pour la badinerie de ce groupe aristocratique, le repli vers la bergerie n’aurait en effet tout simplement pas lieu. Clarimond exprime d’ailleurs explicitement ce caractère ponctuel et exceptionnel lorsqu’il dit : « J’en crois le passe-temps aussi plaisant que rare » (v. 273 ; nos italiques). Le terme « passe-temps » est également soigneusement répété par Angélique au vers 853 : « Le rare passe-temps que vous nous préparez ! » Ainsi, Corneille le cadet s’affranchit doublement des codes temporels de la pastorale qui devient, alors, entre ses mains, un simple atour ou déguisement, dissimulant une pièce sans véritable appartenance générique.
27Ce qui corrobore aussi cette hypothèse, c’est que partout dans cette étrange pastorale, Thomas Corneille s’attache à renforcer cette nouvelle tonalité burlesque33 et parodique. Parfois, il ajoute ainsi aux modèles bucoliques dont il s’inspire des éléments franchement farcesques et, le plus souvent, en contraste, il accentue le caractère ou les pratiques aristocratiques de certains personnages.
28Ainsi, Lysis, le roturier, fait rire bien davantage que son homologue romanesque lorsqu’il arrive sur scène en jupe et avec une barbe. Là où son modèle sorélien était rasé, le Lysis cornélien a, lui, candidement écouté Hircan, qui lui a dit : « Demeure avec ta barbe, et n’appréhende rien. / Je saurai par mon art te donner le visage d’une jeune bergère au plus beau de son âge » (v. 806-807), si bien que, lorsqu’il surgit avec sa voix et ses manières féminines, l’aspect farcesque de son involontaire jeu dans le jeu est bien plus frappant ! « Vous en rirez » (v. 854), prévient d’ailleurs à juste titre Hircan avant que Lysis n’entre en scène, paré de la sorte. Face à cette apparition grotesque, Angélique demande aussi expressément à Charite de contenir ses rires : « Vous gâterez la pièce34 à rire davantage, / Que chacun se contraigne » (v. 924-925), ce qui sera plus nécessaire encore ensuite, lorsque Clarimond lui fera la cour et tentera d’embrasser « ses lèvres de rose » (v. 1090-1091) !
29Enfin, la gestuelle maladroite de la cour galante de Lysis, aux antipodes du schéma ovidien, le rattache aussi à la farce. Lorsque ce jeune amoureux s’appuie sur Charite comme pour se coucher avec elle à la fin de la scène 5 de l’acte I, ou lorsqu’il lui donne le coup sur le nez que nous avons mentionné plus haut afin de chasser une mouche sur le visage de sa belle faussement endormie, il travestit en effet non plus seulement le style épuré mais aussi les mouvements et actions typiques des pastorales. Il provoque non plus un sourire dans l’audience mais un rire franc.
30Dans le même temps, cependant, au cas où son lecteur / spectateur cèderait à la tentation de s’abandonner à la veine farcesque ou grossière dominant chez Sorel, Thomas procède à un véritable travail d’épuration et d’élévation sur son personnage de roturier. Bien que Lysis soit en jupe ou immobilisé dans un tronc d’arbre assez peu élaboré, Corneille supprime les tours triviaux qu’on lui joue dans le roman avec du potage à la citrouille35 ou même de l’urine36. L’équipage, la voix, et même certains propos amoureux de l’extravagant ne sont pas non plus systématiquement caricaturés puis moqués par Charite ou son entourage, alors que, dans le modèle sorélien, la femme de chambre rabrouait un Lysis dont l’aspect ridicule était constamment souligné37. Thomas gomme la goinfrerie du personnage puisque le Lysis de Sorel se mettait « à manger d’un si grand appétit qu’il semblait qu’il sortît d’une ville qui eût été longtemps assiégée sans avoir de munition38 », tandis que le Lysis de Corneille cesse de manger immédiatement et « sans répugnance » lorsque Clarimond arrive à la scène 2 de l’acte I. Il ajoute même de façon fort élégante : « ne dit-on pas / Qu’un gracieux devis vaut mieux qu’un bon repas ? » (v. 55-56). Son langage d’ailleurs est beaucoup moins vulgaire que celui du héros de Sorel et révèle une plus grande érudition que celle de son aïeul romanesque. Son maniement excessif des figures de rhétorique39 en témoigne, notamment lorsqu’il recourt à ce virtuose adynaton pour évoquer l’impossibilité de ne plus aimer Charite (v. 371-376) :
Plutôt que d’autres traits le puissent entamer,
Les fleuves révoltés n’iront plus vers la mer,
Leurs liquides palais se verront sans naïades,
Les bois sans aucun faune, et sans hamadryades,
et tout se gouvernant par des ordres nouveaux
Les loups contre les chiens défendront nos troupeaux.
31Ainsi, tout en plaçant son extravagant dans des situations cocasses et en conservant une gestuelle farcesque, Thomas Corneille parvient à la gageure burlesque de nous livrer un Lysis franchement plus raffiné que son modèle sorélien. Les honnêtes gens ne sauraient s’amuser avec des êtres trop infiniment inférieurs à eux… Au final, écrit ainsi Liliane Picciola, « Même si elle manque de la grandeur de l’illusion quichottesque, l’imagination pastorale du Lysis théâtral n’a en soi de franchement risible que ses excès et ses contradictions, qui signalent sa roture40. »
32C’est que les honnêtes gens ne peuvent pas se commettre avec n’importe qui. Gaël Chevalier caractérise le milieu que reflète assurément la compagnie de jeunes nobles animant Le Berger extravagant :
Le climat pastoral et mondain qui existe en 1652 est propice à Thomas Corneille […]. Tallemant des Réaux nous rapporte ainsi que le cardinal de Lyon, frère de Richelieu, se déguisait en berger tandis que les dames de son entourage incarnaient d’aimables bergères. Segrais nous conte que si Mlle de Montpensier n’allait pas jusqu’à se déguiser, elle essayait cependant d’occuper ses loisirs en vivant comme les personnages de L’Astrée, avec Mmes de Valençay, de Frontenac, de Fiesque, de Mauny et de Choisy, chacune prenant un nouveau nom. La même Montpensier trace dans une lettre à Mme de Motteville datée du 14 mai 1660 le tableau de vie pastorale qu’elle rêve de mener […].
33Et le critique de rappeler une donnée importante :
Ce programme idéal voulu par Mlle de Montpensier, Thomas Corneille se charge de le réaliser sur scène de façon parodique mais assumée : une représentation privée du Berger extravagant est donnée pour la première fois le 10 octobre 1652 chez la comtesse de Fiesque, amie de Mme de Montpensier41 […]
34Dans la même perspective, Charite apparaît ici comme une femme d’une condition fort éloignée de Catherine, la servante grossière dont est épris le héros de Sorel42. Lorsque Thomas Corneille lui fait jouer l’écho, il lui fait certes prendre le rôle de l’Anselme de Sorel mais il supprime nombre de rubriques vulgaires de façon à ce que la vivacité et la finesse d’esprit de la jeune fille ressortent. Dans le roman de « l’une des premières plumes du temps43 », Sinope et Lucide apparaissent comme des nymphes peu vertueuses et la seconde est même qualifiée de « galante » – le terme prend un sens péjoratif quand on l’applique à une femme – et qu’elle se montre capable aussi bien de vendanger que d’uriner sur Lysis pour lui jouer un tour. Dans la version de Monsieur de l’Isle, ces deux personnages féminins sont présentés comme des « demoiselles » dont la conduite aristocratique ne semble plus à revoir. Le magicien sorélien et ses compères Clarimond et Anselme perdent aussi leur aspect libertin avec leurs explications rationalistes sur le phénomène de l’écho afin de mieux se glisser dans une microsociété où l’atmosphère poétique et les propos d’amour prudents font régner une délicate harmonie. En d’autres termes, tous ceux qui entourent Lysis désormais apparaissent comme des honnêtes gens dont la délicatesse des sentiments est souvent sur le point d’éclipser le burlesque.
35Ainsi, en modifiant sa source sorélienne de façon à la rendre à la fois plus contemporaine, plus facétieuse parfois, et surtout plus aristocratique, le « petit Corneille », comme l’appelait D’Aubignac44, joue surtout un tour au répertoire dramatique d’un temps quasiment révolu et à ses catégories figées. Au genre de la comédie pastorale, il substitue sciemment45 une comédie d’un nouveau type : une parodie pastorale d’honnêtes gens dans laquelle l’intertextualité règne si puissamment qu’elle ne pourra que séduire l’élite d’un public averti en la matière46 et contribuer ainsi à s’assurer un avenir certain… D’autant plus que Thomas nous joue un dernier tour, scénographique cette fois, qui lui assurera un succès que nul ne démentira.
Des bons tours au tour de force scénographique
36Il convient enfin d’interroger les possibilités de représentation de la pièce démultipliée suggérées ici par Thomas Corneille. Comme le rappelait déjà Gustave Reynier47, Corneille le cadet avait en effet un haut sens du spectacle si bien qu’avant même ses opéras et pièces à machines ultérieurs, il l’utilise pour matérialiser sous nos yeux tous les tours qui rythment et composent Le Berger Extravagant. En d’autres termes, Thomas parvient aussi à s’inscrire dans la lignée de son illustre frère en réalisant ici un véritable tour de force scénographique pour le plaisir des spectateurs : l’illusion pour les yeux…
37L’étude des indications scéniques qui figurent dans cette pastorale burlesque marque tout d’abord chaque lecteur par son jeu entre extrême précision et omission. Tantôt les décors en sont indiqués méticuleusement et le tour de machinerie presque totalement dévoilé, tantôt ils disparaissent tout bonnement et laissent libre cours à notre imagination.
38Ainsi, Thomas Corneille savait que, pour que le char volant d’Hircan puisse nous surprendre et que nous croyions en l’illusion pastorale, le spectateur / lecteur devait imaginer un intérieur dans lequel un plafond dissimulerait une machinerie. Lorsqu’Hircan s’entretient avec Angélique dans la grande salle de la demeure de celle-ci, il prend donc le soin de lui faire dire : « Lors pour le secourir j’emploierai la machine, / Cette salle est commode à ce que j’imagine » (v. 859-860). Puis, il ajoute : « Pendant que les satyres mettent Clarimond hors du théâtre, on entend un bruit de tonnerre, et l’on voit des éclairs qui l’accompagnent. » Or, Sabbatini nous indique que, depuis les mystères, on maîtrisait des techniques pour figurer les éclairs et que depuis 1637, l’on utilisait aussi couramment un canal fait de planches dans lequel on faisait glisser des boulets de pierre ou de fer pour donner l’illusion d’un roulement de tonnerre. Dès lors, quand : « tout le monde fuit, et Hircan paraît dans un char volant au milieu de l’air […] faisant descendre son char jusque sur le théâtre48 », malgré son apparence probablement très imparfaite ou rudimentaire, le spectateur préalablement averti et préparé aux artifices scénographiques croit et en l’illusion du char volant et en le décor champêtre qui l’accompagne constitué par une ou des toiles peintes, avec différents accessoires s’y rapportant (gazon, fruits, panetières, fleurs).
39Pourtant, les brebis mentionnées par Lysis par exemple ne donnent lieu à aucune indication scénique précise. La pièce a beau commencer par « Lysis, en équipage de berger chassant un troupeau devant lui49 » et cette adaptation des premières lignes du roman de Sorel « Paissez, chères brebis, mes fidèles compagnes, / Paissez en liberté dans ces vertes campagnes / […] Pâturez, pâturez, mes chères brebiettes, / J’en vais sur l’herbe assis faire autant que vous faites » (v. 1-2 et 29-30), rien ne nous est indiqué de plus. Ce silence didascalique invite alors fortement à penser que ces brebis sont imaginaires ou simplement peintes et les rend donc bien moins crédibles que les ornements et machineries précédentes, sauf que, comme le suggère Liliane Picciola, « dans la mesure où l’on aimait les machines, il n’est pas impossible non plus que des brebis de bois ou de carton aient été actionnées comme des marionnettes depuis les coulisses50 » ! Dès lors, grande est la tentation de voir ici se dessiner un premier tour de type scénographique, dans lequel Thomas aurait voulu cette fois masquer tous les détails pour conserver l’art de la surprise cher également à son frère, et renforcer ainsi d’un degré supplémentaire l’illusion… En d’autres termes, les indications scénographiques portant sur le décor dans la pièce du Berger extravagant nous présentent donc au niveau scénographique un jeu très espagnol – l’on sait à quel point Thomas a aussi été influencé par le corpus des comedias et le maîtrisait51 – entre desengaño et engaño. Soit Thomas exhibe, soit il nous cache les mécanismes de ses machines à illusions afin d’augmenter la féerie de sa pièce que l’on pourrait presque qualifier de pièce à machines.
40De surcroît, Thomas Corneille apporte un grand soin aux costumes de ses acteurs lors de la mascarade finale : elle lui permet de nous jouer un second tour scénographique en renchérissant sur les détails apportés par le livre V du roman de Sorel et en rapprochant cette fois sa pastorale burlesque des représentations chorégraphiques de la nature qui sont familières au public relevé de la Cour. En effet, le cinquième acte de la pièce est marqué par l’entrée de deux nymphes, Clorise et Sinope qui sont « vêtues en nymphes des bois, avec des branches d’arbres au bout desquelles sont attachées quelques confitures sèches52 » ainsi que par l’entrée du Cyprès accompagnant le Dieu Fleuve (lui-même la tête couronnée de feuilles et de roseaux) caractérisée en ces termes : « Lysis, Sinope, Clorise, Monténor déguisé en Dieu de rivière avec une barbe fort longue, et un de ses gens ayant dans son déguisement force branches de cyprès et portant un luth53 ». Tout concourt donc à nous rappeler les nombreux personnages costumés en forêt ou en fleuve et dont, depuis le 30 janvier 1614, la Cour se régalait régulièrement : Ballet des dix verts cette année-là pour Anne d’Autriche et Louis XIII ; en 1654, ce seront Les Noces de Pélée et de Thétis et enfin la publication du recueil des Dessins originaux et croquis d’habillements, mascarades, scènes et décorations de théâtre, exécutés par les peintres et costumiers du roi pour les ballets et les divertissements de la cour, depuis Henri III, et pour l’Académie royale de musique, depuis son établissement en 1671, jusqu’à l’époque de Louis XVI. Clarimond, lui-même, voit dans ce choix scénographique de costumes une forme de tour. Lorsqu’il prononce les vers 1682-1685 :
Je plains seulement ces deux jeunes beautés
Qui brûlant de jouer un si fou personnage
Ont pris en vain l’habit de nymphes de bocage,
C’est fort mal rencontrer pour la première fois.
41Le terme « jouer » est bien à comprendre au sens de « jouer des tours à quelqu’un », comme l’indique la note de Liliane Picciola.
42À l’inverse, et comme précédemment, on s’étonnera du fait que rien n’est indiqué concernant le costume d’Hircan. Contrairement à Sorel, dont le roman indique que le mage est vêtu de noir, Corneille le jeune supprime ce détail et nous laisse pour ainsi dire suspendus à la surprise et l’événement de la représentation. Là encore, forte donc est la tentation de voir ici plutôt qu’un oubli, une volonté de surprendre et Hircan, rétif originairement à la supercherie, pourrait apparaître finalement dans un impressionnant costume de druide gaulois de ballet, adapté à son caractère un peu sombre, et peut-être plus étonnant encore que celui de ses homologues.
43Pourtant, scénographiquement parlant, Le Berger Extravagant apparaît finalement comme à mi-chemin entre une pièce à machines et un ballet, avec des aspects de féerie musicale dans laquelle la variété des instruments constitue une forme de gageure. Liliane Picciola écrit d’ailleurs :
Si toutes les éditions de la pièce la désignent comme une « pastorale burlesque », on pourrait aussi, dans la mesure où le caractère provisoire de l’action pastorale est souligné, la considérer comme une « Comédie mêlée d’ornements et de Musique », ce qui sera le cas de L’Inconnu, en 167554.
44De fait, à l’acte V, lorsque Sinope propose de chanter la métamorphose de Lysis en arbre, elle dit explicitement « Prêtez-moi votre luth, mon frère le Cyprès » (v. 1830). Aussitôt après, une didascalie indique encore qu’un Luth est présent et que Sinope l’utilise : « Elle prend le luth des mains du Cyprès et l’accordant avec sa voix, elle commence à chanter55. »
45À l’inverse, bien qu’aucun instrument ne soit mentionné lorsque Lysis entame un air de cour à la troisième scène de l’acte II56, rien n’interdit de penser qu’il était accompagné, comme dans le roman de Sorel qui l’inspire, par une guitare. Comme le rappelle aussi Liliane Picciola, la guitare, bien que plus populaire que le luth, était un instrument également couramment pratiqué par les nobles et finalement si habituel sous le règne de Louis XIV « qu’il est possible que sa présence n’ait pas été signalée en didascalie57 ».
46À la scène 5 de l’acte II, lorsque Clarimond entre en scène en tenue de berger, il est aussi fort probable qu’il soit accompagné, comme dans les divertissements pastoraux du moment, de la musette. Même si aucune indication en la matière ne figure, un faisceau d’indices invite à penser fréquemment cette présence instrumentale supplémentaire. Lysis évoque cette sorte de hautbois court dès le vers 166 : « Allant danser sous l’orme au son de nos musettes ». Puis, il le reconvoque ou le rappelle au vers 582 : « Silence, j’ois de loin le son d’une musette. » Enfin, la métrique, savamment étudiée par Liliane Picciola dans l’introduction à son édition de la pièce, semble à maintes reprises se transformer en récitatif et en vers chantés qui confèrent aussi implicitement à cette pastorale le costume d’une pièce musicale.
47Il convient aussi de ne pas oublier les percussions, qui doivent faire entendre le tonnerre quand Hircan apparaît dans les airs sur son char volant.
48Ainsi, toujours selon un savant jeu d’alternance entre précisions et omissions didascaliques ou scénographiques, Thomas Corneille nous joue toute une succession de tours visuels et auditifs qui transforment sa pièce au gré du moment, en pièce à machines, en pièce chorégraphique ou en pièce musicale d’une grande diversité instrumentale. À chaque fois, le lecteur / spectateur croit être face à un genre de représentation mais des éléments lui échappent, le surprennent soudain et lui font réviser son jugement et changer in extremis de genre. De là à voir en Thomas Corneille, si ce n’est un metteur en scène hors pair avant l’heure, du moins un magicien de la matière et des illusions scéniques égalant largement son frère, il n’y a qu’un pas, que nous nous permettrons aujourd’hui de franchir.
49En dernier ressort le « degré de virtuosité58 » de cette pièce tient moins à l’extravagance du berger Lysis qu’aux originales variations sur le thème du jeu que Thomas Corneille propose à travers elle. Sous sa plume, les tours se multiplient, dévient, changent de forme et nous font finalement sortir des règles génériques et des normes scénographiques du moment. Dans un autre genre dramatique que ceux qu’a cultivés son frère aîné, Thomas Corneille se distingue comme ce dernier par l’art de trouver des jeux dramaturgiques ou des stratagèmes scéniques capables de déjouer les règles en vigueur, faire un bon tour aux commentateurs et académiciens, et emporter unanimement l’approbation des parterres.
1 Selon la classification des divers jeux proposée par Roger Caillois dans Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1958 ; édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1967.
2 Gustave Reynier, Thomas Corneille, sa vie et son théâtre, Paris, Hachette, 1892 ; reprint électronique : Théâtre-documentation.com, dir. Michel Capus, Pézenas, 2016, cit. p. 250.
3 Dans l’introduction à son édition du Berger extravagant (dans Thomas Corneille, Théâtre complet, tome II, dir. C. Gossip, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 77, 2021, p. 9-204 ; nous suivrons cette édition du texte), Liliane Picciola rappelle le sens de l’épithète qui accompagne en première page la désignation générique de la pièce : « On pourrait donc dire que Thomas Corneille propose une sorte de pastorale qui n’est là qu’à titre de plaisanterie, de bon tour joué à quelqu’un, comme le souligne l’étymologie de son qualificatif, qui amène à l’espagnol et à l’italien burla » (p. 12).
4 Dans La Bourle et son interprétation. Recherches sur le passage de la facétie au roman, Espagne xvie-xviie siècles, Lille-Toulouse, Atelier de reproduction des thèses, France Ibérie Recherche, 1986, Monique Joly propose des réflexions stimulantes sur la notion de bourle, notamment concernant la synapse de la moquerie et de la tromperie qu’elle recèle. Elles s’appliquent, certes, aux romans espagnols mais on peut en tirer grand profit concernant d’autres genres, et surtout à l’occasion de cette « pastorale burlesque », dont l’origine est justement un anti-roman de Sorel qu’on pourrait qualifier de picaresque.
5 Le valet Covielle du Bourgeois gentilhomme explique à Cléonte son plan pour amener Monsieur Jourdain à accepter le mariage de ce dernier avec sa fille Lucile : « Il s’est fait depuis peu une certaine mascarade qui vient le mieux du monde ici, et que je prétends faire entrer dans une bourle que je veux faire à notre ridicule » (III, 13 ; nos italiques). Cette bourle consiste, rappelons-le, en le travestissement de Cléonte en grand turc et en la fameuse cérémonie au cours de laquelle Jourdain est fait Mamamouchi. Le mot paraît donc bien adapté à cette pastorale.
6 Sur cette expression, voir l’Examen de la Mélite de Pierre Corneille.
7 Dans la dédicace de son Berger Extravagant, Th. Corneille cite « un merveilleux original » dont il s’inspire. Il s’agit du roman de même titre composé par Charles Sorel et publié pour la première fois en 1627, soit près d’un quart de siècle auparavant. L’ouvrage est intentionnellement beaucoup moins long que les romans pastoraux qu’il dénonce.
8 Il y a dans cette accumulation incessante quelque chose de proprement vaudevillesque avant l’heure. Liliane Picciola rapproche cette organisation de l’action de la fuite en avant du théâtre de Labiche (op. cit., p. 30).
9 Ainsi se présenta la deuxième édition du roman de Sorel en 1633.
10 Par la bouche d’Adrian, oncle du protagoniste, Thomas Corneille rappelle, dans les vers 205-214, la désuétude du genre puis sa réanimation, due au succès de cette pastorale de Tristan. Au reste, quand Lysis, pour continuer de voir Charite bien qu’il soit tombé en disgrâce auprès d’elle, se travestit en fille à l’instar du Céladon de L’Astrée, il choisit le prénom d’Amaryllis. La pastorale de Tristan a été représentée en 1652. Il s’agit donc d’un clin d’œil en direction du public.
11 « Vous faites tort à Pan de me prendre pour lui, / Voyez bien, je ne suis, pour m’en faire la fête, / Ni fourchu par les pieds, ni cornu par la tête », dit-il en effet à Lysis, aux vers 117 à 119 (éd. citée, p. 86).
12 Lucide, par exemple, se fera plus tard séductrice d’un jour auprès de Lysis ; Charite, elle, feindra une connivence amoureuse avec Lysis. À l’arrivée de Lucide à la scène 3 de l’acte II, Charite dit d’ailleurs à voix basse à Lysis qu’« Il faut dissimuler » (v. 567, éd. citée, p. 114), ajoutant ainsi encore un jeu dans le jeu tout à fait savoureux.
13 On la retrouvera à de nombreuses reprises dans la pièce. Dans la scène 2 de l’acte II, Angélique avoue par exemple à Monténor et Lucide : « Certes, gentils bergers, ma joie est sans égale / de vous voir imiter si bien la pastorale » (v.437-438) et à la scène première de l’acte III, Hircan reconnaît aussi : « Et l’humeur de Lysis a pour moi tant d’appas […] Qu’un rôle de druide est plaisant à jouer » (v. 826-830, éd. citée, p. 130, [nos italiques]).
14 « Le voilà dans le piège », dit Hircan au vers 811.
15 « La transformation venait d’être achevée / Quand avec Monténor ma sœur est arrivée, / Qui d’abord d’un coup d’œil comprenant mes desseins / Dans cette occasion se sont si bien contraints / Que le traitant de fille, et cachant leur surprise, / Ils ont fait hautement réussir l’entreprise » (v. 847-852).
16 « Un éclat imprévu m’ayant frappé la vue / J’en ai les sens charmés, et l’âme toute émue. / Quelle est cette bergère », dit ainsi Anselme aux vers 1027 à 1029 tandis que Clarimond, s’adressant à Lysis, avance : « Oui, belle Amaryllis, la douceur de vos charmes, / Me force avec plaisir à vous rendre les armes, / Je romps mes premiers fers pour suivre votre loi » (v. 1082-1084) ; puis il tente plus audacieusement encore de lui baiser la main en se lamentant : « Mais, quand on meurt d’amour sait-on bien ce qu’on fait ? » (v. 1106).
17 « Oui, mais il sera mieux / Que par précaution tu te bandes les yeux », indique Hircan aux vers 1189-1190. Il recourt alors, comme l’indique une note de Liliane Picciola (op. cit., p. 151), à un procédé déjà utilisé dans la comédie du Feint Astrologue au détriment d’un ingénu à qui l’on joue un tour pour lui faire croire qu’il vole.
18 C’est ainsi que Monténor désigne, de façon burlesque, le bois sacré que croit être devenu Lysis au vers 1539 : « Quoi, tu veux habiter cette souche pourrie ? »
19 On note en effet la présence du terme « jouer » au sens de « jouer des tours à quelqu’un » dans la bouche de Clarimond aux vers 1682-1875 : « Je plains seulement ces deux jeunes beautés / Qui brûlant de jouer un si fou personnage / Ont pris en vain l’habit de nymphes de bocage ». Hircan utilisait déjà le verbe « jouer » à prendre dans ce sens au vers 855 (« Cependant, pour jouer la nouvelle bergère ») et au vers 1229 (« C’est trop jouer Lysis »).
20 Dans la langue familière, le terme « pièce » désignait un tour joué à quelqu’un.
21 Liliane Picciola, op. cit., p. 29.
22 Liliane Picciola, « Du personnage de roman au personnage de thé : le Lysis du Berger extravagant de Thomas Corneille, avatar de Don Quichotte », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 1996, no 48, p. 225-240, loc. cit. p. 233.
23 C’était aussi le cas chez Ovide (Les Métamorphoses, éd. Joseph Chamonard, Paris, Flammarion, « GF », 1966, livre III, p. 98.
24 Éd. citée, p. 164.
25 Ibid., p. 165.
26 Daniela Dalla Valle, « La pastorale dramatique au xviie siècle : influence italienne, succès français », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 1987, no 39. p. 49-61 (citation tirée de la page 54).
27 « C’est pour m’accommoder au langage des poètes, / Ce style de tout temps leur est particulier ; / Et comme eux, tout exprès, je parle au singulier / Mais sans dessein pourtant d’offenser ma bergère, / Car de ces deux soleils l’un et l’autre m’éclaire, / Et jurant qu’à charmer son bel œil est adroit / Je ne parle pas plus du gauche que du droit. », rétorque en effet Lysis (v. 574-580).
28 Rotrou, Célimène, [1636], éd. critique de Véronique Lochert, dans Jean de Rotrou, Théâtre complet, tome 6, Paris, STFM, 2003, p. 9-201.
29 Voir supra ainsi que la note 10 pour ce qui concerne l’Amaryllis de Tristan l’Hermite.
30 Conscient de son penchant pour Charite, Hircan refuse en effet de s’amuser et choisit, à l’inverse du débauché modèle sorélien, d’éviter la jeune femme. Lucide, sa sœur, condamne alors son choix en ces termes : « Enfin la solitude occupe tous ses soins, / Et son esprit rêveur souffre une peine extrême / De tous les passe-temps qui sont hors de lui-même. » (v. 1254-1256).
31 La pastorale, genre nouveau au xviie siècle, et n’affichant aucune volonté de vraisemblance, n’était en réalité pas soumise aux règles, mais Mairet en les appliquant avec zèle à sa Silvanire, représentée en 1630, s’était attiré et s’était décerné à lui-même beaucoup d’éloges.
32 En réalité, l’action dure vraisemblablement trois jours (voir la remarque de L. Picciola, op. cit. p. 30).
33 On se réfère ici à la définition de « burlesque » en matière de style – et non de poétique dramatique – donnée par Charles Perrault et sur laquelle nous nous baserons dans la suite du propos : « Or cette disconvenance se fait en deux manières l’une en parlant bassement des choses les plus relevées, et l’autre en parlant magnifiquement des choses les plus basses », dans Charles Perrault, Parallèle des Anciens et des modernes, Quatrième dialogue, Paris, Coignard, 1692 ; rééd. Eidos Verlag, Munich, 1964, p. 292.
34 Voir la note 20.
35 Chez Charles Sorel, lorsque Lysis croit être un arbre, on lui verse dessus de la soupe à la citrouille pour le nourrir. On se reportera à Charles Sorel, Le Berger extravagant, Paris, Toussaint Du Bray, 1627 ; Genève, Slatkine Reprints, 1972, avec une introduction d’H. Béchade, Livre V, p. 190.
36 Chez Sorel encore, Lucide urine sur Lysis pour le convaincre de la spécificité de sa divinité.
37 En plus de la laideur du visage de Lysis que soulignait Sorel (op. cit., p. 19), Adrian, dans le roman, se moquait de son « balai » ou de sa « râtissoire », voire de la fourche déformée qui lui servaient de houlettes (ibid., p. 27).
38 Sorel, op. cit., Livre I, p. 20. Néanmoins, comme le souligne Liliane Picciola, Lysis cesse tout de même de manger quand Anselme refuse de manger avec lui.
39 Liliane Picciola dit d’ailleurs : « L’extravagant berger vit dans un univers de combinaisons métaphoriques », op. cit. p. 51.
40 Ibid., p. 22.
41 Gaël Le Chevalier, « Un exemple de connivence culturelle : Le Berger extravagant de Thomas Corneille », dans Thomas Corneille (1625-1709) : Une dramaturgie virtuose, Mont-Saint-Aignan, PURH, 2014, p. 173-189 (citation tirée des pages 175-176). Disponible en ligne : http://books.openedition.org/purh/486, page consultée le 24 novembre 2025.
42 Comme le note Liliane Picciola, elle est aussi fort éloignée de la vulgaire Aldonza du Quijote dont s’inspire aussi Corneille le cadet (« Du personnage de roman au personnage de théâtre : le Lysis du Berger extravagant de Thomas Corneille, avatar de Don Quichotte », art. cité, p. 232).
43 Nous citons ici Thomas Corneille désignant ainsi, non sans fausse modestie, son modèle Charles Sorel dans la dédicace de la pièce.
44 Quatrième Dissertation de D’Aubignac (1663), dans Dissertations contre Corneille, éd. Nicholas Hammond et Michael Hawcroft, University of Exeter Press, 1995.
45 « Thomas Corneille a bien conscience d’avoir fait œuvre de création », indique L. Picciola (art. cité, p. 227).
46 À ce propos, Gaël Le Chevalier évoque trois formes de « connivence culturelle », qu’il s’agisse de la connaissance partagée des romans pastoraux, voire héroïques, de la lecture d’Ovide ou des jeux du théâtre (art. cité.)
47 « Nous arrivons à la partie des œuvres de Thomas Corneille la moins littéraire sans doute, mais la plus originale, la plus oubliée et la plus digne de ne pas l’être. […] trois pièces à machines assez semblables à nos modernes féeries, Le Triomphe des dames, La Pierre philosophale et La Devineresse ; voilà des ouvrages intéressants qui marquent chez Corneille une curiosité toujours en éveil, un désir de se renouveler, d’élargir le cadre trop étroit du drame classique, de faire enfin sa part à cet élément essentiel de l’art théâtral : le spectacle », écrit en effet Gustave Reynier dans son ouvrage consacré à Thomas Corneille, op. cit., p. 291.
48 Éd. citée, p. 150.
49 Ibid., p. 79.
50 Op. cit., p. 36.
51 Voir notamment le chapitre IV de l’ouvrage de Gustave Reynier consacré à Thomas Corneille intitulé « les comédies espagnoles », op. cit., p. 211-240.
52 Éd. citée, p. 184 (nos italiques).
53 Ibid., p. 189.
54 Op. cit., p. 31.
55 Éd. citée, p. 191.
56 « Mais je l’entends chanter » indique Monténor en annonçant l’entrée de Lysis au vers 480 de la scène 3 de l’acte II puis la scène 3 débute par « Lysis chante ; “Quand des douceurs d’une flamme discrète / L’Amour fait part à deux cœurs bien unis, / Ah qu’il est doux de porter la houlette ! Ah, qu’il est doux de garder les brebis ! / Ainsi chantait au bord d’une rivière / Certain berger d’amour tout enflammé, / Ah qu’il est doux d’aimer, belle bergère ! / Ah qu’il est doux d’aimer et d’être aimé” […] » (v. 485-492).
57 Op. cit., p. 32.
58 L’expression est de Myriam Dufour-Maître dans Thomas Corneille (1625-1709). Une dramaturgie virtuose, op. cit.
sous la direction de Liliane Picciola
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent », n° 4, 2025
URL : https://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/2138.html.
Quelques mots à propos de : Séverine Reyrolle
Université de Reims Champagne-Ardenne
CRIMEL, EA 3311
