Corneille : un théâtre où la vie est un jeu

Jeux de voiles : le tour de force de Corneille dans La Galerie du Palais

Nina Ekstein


Texte intégral

Version française de l’article « Corneille’s tour de force in La Galerie du Palais »

1La Galerie du Palais (1631-1632), une des premières pièces de Corneille, est connue surtout pour la présence innovante et réaliste des marchands à leur travail1. L’intrigue se concentre, pourtant, sur autre chose : un quadrille d’amoureux. Dorimant est épris d’Hippolyte qui se languit d’amour pour Lysandre, qui aime Célidée qui, quoiqu’elle fréquente Lysandre depuis deux ans, tombe subitement amoureuse de Dorimant. Ma brève description de la pièce devrait suffire à démontrer que Célidée est différente des trois autres personnages par son infidélité. En effet, le change – l’abandon de l’amant, typiquement, pour un autre – constitue un crime grave dans la France du dix-septième siècle2. Célidée n’est certes pas le seul personnage des comédies de Corneille coupable de change, mais c’est la seule femme du groupe de ses cinq comédies de jeunesse qui remet en question sa « foi » en perdant soudainement intérêt pour son fiancé. Cette perte d’intérêt est motivée par son désir pour Dorimant. Bien que le désir manifeste chez un personnage féminin soit plus répandu que le change chez Corneille, ni l’un ni l’autre n’est perçu à l’époque comme convenable pour une jeune femme3.

2Ce qui nous intéresse ici, ce ne sont pas les infractions de Célidée en elles-mêmes, mais plutôt la façon dont Corneille joue avec son personnage. Elle reste – ou reprend le statut de – la jeune première malgré un comportement qui ne cadre nullement avec ce rôle. Entre les deux années de fréquentation sans heurt et la conclusion qui unit définitivement Célidée et Lysandre, une déviation inattendue est empruntée. Nous voudrions suggérer que Corneille s’est mis lui-même au défi de voir à quel point, en s’amusant à égarer le spectateur, il pourrait sortir son héroïne des normes du rôle de jeune première, tout en arrivant à la réhabiliter à la fin de la pièce4. Dans les pages suivantes, nous proposons d’examiner la manière dont Corneille fait voir les transgressions de Célidée, tout en en détournant pourtant l’attention.

3Traditionnellement, dans la comédie du xviie siècle, le bonheur du couple se trouve menacé par une force extérieure, ce qui est en partie le cas dans cette pièce (du fait d’Hippolyte, l’amie intrigante de Célidée) ; ici pourtant, il résulte surtout des deux transgressions de Célidée : le désir et le change. Le désir et le change ne sont nullement spécifiques à La Galerie du Palais. L’expression du désir amoureux chez les femmes est plutôt bien représentée dans les comédies de jeunesse de Corneille. Dans Mélite, l’héroïne éponyme tombe amoureuse de Tircis et lui révèle ses sentiments. Dans La Veuve, Clarice déclare son amour à Philiste et lui donne un bracelet de ses cheveux comme signe de ses sentiments (II, 4). Dans la même pièce, Doris se plaint de ce que l’on ne tienne pas compte de ses désirs à elle, mais elle n’arrive pas à exprimer son inclination personnelle ; autrement dit, elle n’en a pas (IV, 9). Dans La Place Royale, Angélique exprime ouvertement son amour pour Alidor.

4En ce qui concerne le change, dans Mélite, Cloris accuse l’héroïne de change à cause des fausses lettres adressées à Philandre et mises sur le compte de Mélite, mais c’est Philandre qui est le coupable, ayant abandonné Cloris dans l’illusion que Mélite pourrait l’aimer. En fait, Philandre, figure masculine, est le seul autre personnage des comédies de jeunesse à combiner la double infraction du change et du désir amoureux. Amarante dans La Suivante, en revanche, est à plusieurs reprises la victime du change des autres ; son propre désir ne va pas plus loin que n’importe quel homme respectable qui l’épouserait. Dans la même pièce, Daphnis craint que son père ne lui impose un change, mais c’est plutôt Théante qui s’en rend coupable lorsqu’il abandonne Amarante5. Dans La Place Royale, le change et le désir jouent un rôle plus important que dans toute autre de ces pièces, mais d’une façon bien différente de ce que nous trouvons dans La Galerie du Palais. Quoiqu’Angélique soit une femme désirable, chez Alidor le désir de la liberté est plus fort que celui qu’il éprouve pour elle. En effet, c’est lui le maître du change : deux fois il rompt cruellement avec Angélique, puis il cherche à se réconcilier avec elle encore une fois. Angélique est aussi coupable de change, mais il s’agit plutôt d’un point de détail : dans un moment de chagrin après avoir été abandonnée par Alidor, elle accepte l’offre insistante de mariage de Doraste : un engagement qu’elle n’honore pas. Le comportement d’Angélique est clairement le résultat du traitement abusif qu’Alidor lui inflige.

5La méthode dont Corneille se sert principalement pour compromettre moralement, puis racheter Célidée, c’est la dissimulation assurée par la mise en place de multiples voiles. Mais avant de considérer exactement comment ces voiles arrivent à dissimuler le désir et le change de Célidée, il nous faut regarder de plus près ses transgressions spécifiques. La nécessité d’une telle démarche, ainsi que l’efficacité des nombreux voiles que nous décrirons en détail, viennent du fait que la très grande majorité des commentaires portant sur cette pièce ignore, nie ou récupère d’une façon ou d’une autre les transgressions de ce personnage. Habituellement, Célidée est décrite de manière positive6. Néanmoins, la critique littéraire reconnaît en elle un personnage exceptionnellement complexe (voir les analyses de G. Couton7, L. Picciola8, Th. Litman9).

6Le désir de Célidée pour Dorimant se révèle pour la première fois dans l’acte II, scène 5, lorsqu’elle apprend qu’Hippolyte n’accueille pas favorablement l’intérêt que ce jeune homme lui porte. Célidée réagit avec surprise et admet sa propre attirance vers lui (II, 5, v. 505-508) :

                                  Dorimant t’importune,
Quoi ? J’enviais déjà ton heureuse fortune,
Et déjà dans l’esprit je sentais de l’ennui,
D’avoir connu Lysandre auparavant de lui10.

7C’est dans une courte scène, dans laquelle elle tombe sur Lysandre et Dorimant, sur le point de se battre, que le désir de Célidée se laisse voir le plus directement. Elle s’exclame : « Ah perfide [Lysandre], sur moi décharge ton courroux, / La mort de Dorimant me serait trop funeste » (V, 3, v. 1560-1561), sans qu’il soit certain que l’un ou l’autre des deux ait entendu ce qu’elle dit, car elle vient d’entrer en scène. Mais au moment où Dorimant s’en va, sa prière est claire (V, 3, v. 1563 : « Arrête, mon souci »), révélant ainsi explicitement ses sentiments devant Lysandre.

8D’autres expressions du désir s’allient avec le change. Lorsque Célidée discute de Dorimant avec Hippolyte, on perçoit une nuance de désir dans sa déclaration : « Ô Dieux ! si je pouvais changer sans infamie ! » (II, 5, v. 569). Essayant d’empêcher un duel entre Dorimant et Lysandre (celui-là croit que celui-ci lui a pris Hippolyte), Célidée propose à Dorimant un échange mathématiquement élégant où il pourrait se venger en l’acceptant, elle, à la place d’Hippolyte (IV, 3, v. 1149-1156). Le fait que Dorimant rejette immédiatement l’offre de Célidée montre la futilité humiliante du désir féminin dans cet univers dramatique11. En 1660, des décennies après la première représentation de la pièce, Corneille critique lui-même cette manifestation inconvenante du désir de son héroïne : « Célidée particulièrement s’emporte jusqu’à s’offrir elle-même12. » L’auteur poursuit assez longuement, excusant d’abord Célidée au titre du dépit qu’elle ressent lorsque Lysandre semble la rejeter, puis défendant son droit, en qualité d’auteur, de présenter des personnages imparfaits13. Corneille admet à la fin que « cela va trop avant, et passe trop la bienséance et la modestie du sexe, bien qu’absolument il ne soit pas condamnable14 ».

9Le désir est un angle mort fréquent dans les lectures critiques de la pièce. Quoique le change constitue probablement une plus grande transgression, le désir féminin non sanctionné est apparemment plus troublant. D’une part, un nombre surprenant de lectures de cette pièce ne reconnaissent pas le désir de Célidée pour Dorimant (cas de Th. Litman15, C. Kerr16, O. Nadal17, M.-O. Sweetser18, S. Doubrovsky19), et, d’une autre, plusieurs analyses estiment que ce désir n’est qu’une réaction face à la fréquentation d’Hippolyte par Lysandre (notamment celles de M. Margitic20 et J. Hubert21). Néanmoins le désir de Célidée pour Dorimant est manifestement présent dans la pièce bien avant le manège galant entre Hippolyte et Lysandre. Ce désir semble donc bien échapper à la vue, pourtant pénétrante, de nombreux lecteurs. Il n’en est pas de même en ce qui concerne le change. Cette transgression-ci est largement mise en avant (par H. Verhœff22, O. Nadal23, M.-O. Sweetser24, Cl. Abraham25), bien que certains ne l’estiment pas problématique (comme Litman26), ou la récupèrent en la banalisant. Claude Abraham la décrit comme « fickleness27 » et Georges Couton parle de l’« inconstance naturelle28 » de Célidée ; Jean Rousset trouve qu’il s’agit d’une espèce de trait de caractère : « non pas qu’un autre l’attire davantage ; simplement l’immobilité ne lui est pas naturelle29. » Corneille a évidemment bien camouflé les transgressions de Célidée.

10La Galerie du Palais fournit une analyse assez approfondie du change et des problèmes posés par ce dernier. Célidée est en effet attirée par le change (II, 5, v. 512 : « Mon cœur a de la peine à demeurer constant »), mais elle est partagée entre son désir pour Dorimant (II, 5, v. 573 : « De quelque doux espoir que le change me flatte »), sa compréhension implicite de la désapprobation sociale qu’entraîne le change (II, 5, v. 569 : « si je pouvais changer sans infamie »), une perte d’intérêt pour Lysandre (II, 5, v. 515 : « Lysandre me déplaît de me vouloir du bien ») et une confusion généralisée (II, 5, v. 576 : « Tant mon esprit confus a d’inégalités »). Lysandre reconnaît tout de suite comme change la froideur de Célidée à son égard dans la scène 6 de l’acte II, lorsqu’elle lui dit : « mon cœur n’est plus dans vos liens » (II, 6, v. 600) et il la sermonne sur les conséquences sociales d’une telle conduite : « Évitez-en [du change] la honte, et fuyez-en le blâme » (II, 6, v. 621) ; « Un reproche éternel suit ce trait inconstant30 » (II, 6, v. 623). Plus important encore, nous saisissons le problème central posé par le change : si l’on change une fois, comment empêcher qu’on change de nouveau ? Hippolyte et Lysandre insistent sur ce point essentiel, à des moments différents de la pièce (III, 5, v. 943-945 et IV, 4, v. 1217-1220, respectivement), soulignant ainsi la valeur centrale de la fidélité, une valeur respectée par tous les personnages principaux, sauf Célidée. Jusqu’à la fin de la pièce tout ce que fait Hippolyte est motivé par sa passion indéfectible pour Lysandre. La cour que celui-ci fait à Hippolyte est brève, peu convaincante, et manifestement une ruse pour faire revenir Célidée à lui par jalousie. Dorimant ne montre pas d’intérêt pour qui que ce soit hormis Hippolyte. Donc, seule Célidée est présentée comme passible de change. Selon ce que la pièce démontre, comme selon les commentaires des personnages, le change est à la fois répréhensible et imprudent. Même le bref change feint par Lysandre a des conséquences malheureuses, car Dorimant est ainsi convaincu de la déloyauté de son ami. Pourtant la colère de Dorimant et la menace de duel énoncée par celui-ci constituent des répercussions beaucoup plus graves que celles que Célidée doit affronter, ce qui nous ramène à la question des voiles derrière lesquels Corneille cache les méfaits de son héroïne.

11Nous définirons par le terme « voile » tout élément qui sert à cacher, à camoufler ou à détourner l’attention de quelque chose ; spécifiquement ici, ceux qui nous font oublier que Célidée est une femme qui agit en dehors des normes et des attentes sociales. Une femme capable de rompre la promesse faite à un homme et en même temps capable de désir sexuel est dangereuse dans le monde dépeint par Corneille. Les voiles qui servent à cacher ses infractions à la règle sont nombreux et variés.

12Le premier voile consiste en la galerie même, avec ses commerçants et ses marchandises. Les scènes qui se déroulent à ce marché en vogue (I, 4-9 ; IV, 10-13) permettent à Corneille de discuter du théâtre et de la littérature à travers ses personnages et à créer un contexte dans lequel Lysandre et Dorimant émettent des théories au sujet de l’amour. De plus, ces scènes suggèrent d’autres préoccupations thématiques en attirant l’attention sur la nature transactionnelle des relations aussi bien que des pratiques douteuses (l’offre faite par la lingère d’un pot-de-vin à Florine rappelle la conduite générale d’Hippolyte). Il reste pourtant vrai que, en dépit des us et coutumes que la galerie dépeint, de telles scènes ne sont quasi nullement intégrées à l’intrigue de la pièce31. La galerie fonctionne comme un voile car elle détourne de Célidée l’attention du public ; elle est le seul des personnages principaux à ne jamais apparaître dans une scène de galerie. La galerie constitue donc un pôle d’intérêt qui rivalise avec Célidée et ses actions.

13Les parents servent aussi de voile. On essaie de se cacher derrière eux pour dissuader un soupirant inopportun. Célidée a un père, Pleirante, et Hippolyte a une mère, Chrysante. Les deux jeunes femmes proclament, bien que de façon peu convaincante, que leur choix de mari sera conforme à la volonté parentale (Célidée en I, 2 et Hippolyte en III, 8 et V, 8). Dans les deux cas, le désir que Célidée et Hippolyte ressentent pour un homme précis n’a absolument rien à voir avec la volonté de leurs parents. La situation de Célidée est particulièrement incongrue. Dans la deuxième scène de la pièce, elle se retrouve avec son père qui accorde son suffrage à l’homme qu’elle fréquente depuis deux ans, Lysandre. Au lieu de réagir avec joie, la jeune fille déclare (I, 2, v. 37-41) :

J’aime son entretien, je chéris sa présence,
Mais cela n’est aussi qu’un peu de complaisance,
Qu’un mouvement léger qui passe en moins d’un jour.
Vos seuls commandements produiront mon amour,
Et votre volonté de la mienne suivie…

14Le « mouvement léger qui passe en moins d’un jour » détonne dans le contexte de sa relation longue et intime avec Lysandre et suggère également la possibilité de change. Célidée essaie de dissimuler sa répugnance à s’engager sous une obséquiosité à l’égard de son père, mais Pleirante est décidé. Bien qu’indulgent et tendre, il reste le pater familias et il ordonne à Célidée : « Engage-lui ta foi32 » (I, 2, v. 47) ; il réitérera l’ordre dans la scène 8 de l’acte V après avoir explicitement promis sa fille à Lysandre.

15Pleirante sert aussi de voile d’une autre façon. Lorsque Célidée s’oppose à l’ordre de son père d’épouser Lysandre, Pleirante pense que sa fille est entichée d’un autre homme : « Quelque nouveau venu vous donne dans les yeux, / Quelque jeune étourdi qui vous flatte un peu mieux » (IV, 8, v. 1391-1392). Sa formulation minimise le côté sérieux du désir potentiel et le change chez sa fille. Qu’il conjecture facilement que celle-ci puisse être sensible à un « nouveau venu » est tout de même curieux par ses implications ; tout au moins il voit en elle une simple enfant.

16Lysandre et Dorimant fournissent eux aussi un voile à Célidée. Les deux hommes se parlent sur scène pendant assez longtemps33. Le premier détournement qu’ils offrent est lié au change. La possibilité que chacun des deux soit capable de change est envisagée, mais se révèle fausse. Lysandre croit à tort que Dorimant est tombé amoureux de deux jeunes femmes en deux jours, mais celui-ci lui explique qu’il s’agit de la même personne, à savoir Hippolyte (II, 3, v. 414-415). Plus tard, quand Lysandre fait la cour – ouvertement, mais sans sincérité – à une Hippolyte ravie, Célidée l’accuse d’infidélité, mais le spectateur sait qu’il n’en est rien. Si Lysandre et Dorimant se montrent incapables de change contrairement aux apparences, le spectateur sera tenté de présumer qu’il est tout aussi improbable que Célidée, membre du même cercle, commette cette infraction. Le deuxième voile que les deux hommes fournissent est bien moins subtil : leur jalousie et violence face à ce qui est au fond un quiproquo. Derrière la conviction de Lysandre que Dorimant lui a volé sa bien-aimée se trouve le désir de Célidée, pas celui de Dorimant. Pour sa part, Dorimant manifeste une réaction violente à l’intérêt soudain et apparent de Lysandre envers Hippolyte. Bien sûr, ni l’un ni l’autre n’a trahi son ami. En fait, Lysandre s’intéresse si peu à Hippolyte qu’il ne lui vient même pas à l’esprit que son ami pourrait voir son comportement comme une trahison, et d’autant moins que le jeune homme utilise son influence en coulisses pour soutenir une union éventuelle entre Dorimant et Hippolyte. Derrière les soupçons des deux hommes (accompagnés du dégainement de leurs épées) se cache Célidée, qui a effectivement trahi Lysandre et a véritablement fait des avances à Dorimant. Mais, de nouveau, sur le modèle des deux hommes, nous sommes amenés à croire qu’elle pourrait ne pas être plus coupable qu’eux.

17Un autre voile est créé par la présence d’un deuxième couple. Quoique le mariage imminent entre Dorimant et Hippolyte soit assuré à la fin de la pièce, leurs chances de bonheur ensemble ne sont guère éblouissantes. Sans accepter vraiment Dorimant comme époux, Hippolyte ne le refuse pas explicitement. Et quoiqu’elle explique qu’une fois Lysandre et Célidée mariés, son obsession de celui-là disparaîtra par manque d’espoir (V, 5, v. 1709-1710), sa répugnance à donner sa foi à Dorimant suggère que tout n’est pas si simple. Par contraste, et ce dès le début de la pièce, Célidée et Lysandre forment un couple supérieurement uni : ils sont ensemble depuis deux ans et leur mariage, approuvé de tous, est en cours de préparation. Leur supériorité comme couple sur Hippolyte et Dorimant nous fait oublier les transgressions de Célidée.

18Au-delà de son rôle au sein du couple aux chances inférieures, Hippolyte constitue elle-même un voile derrière lequel la conduite de Célidée peut se cacher. Hippolyte est si évidemment pernicieuse que l’attention critique se détourne presque automatiquement de Célidée pour se porter sur l’autre personnage féminin. Les deux jeunes femmes sont chacune coupable de deux infractions à la règle. D’abord, Hippolyte, comme Célidée, est coupable de désir sexuel ; comme chez celle-ci également, ce désir est entièrement indépendant des préférences parentales. À la différence de Célidée pourtant, l’attirance que ressent Hippolyte ne vacille pas et connaît, semble-t-il, une certaine durée. De plus, la pièce met en relief le désir d’Hippolyte : dès la première scène, il s’agit de son dessein de prendre Lysandre à ses filets. En effet, une partie considérable de l’intrigue de la pièce se concentre sur les efforts déployés par cette jeune fille pour séparer Célidée de Lysandre afin de s’emparer elle-même de lui. Ces efforts spécifiques constituent la deuxième infraction d’Hippolyte car ils engagent sa conduite envers Célidée : elle ment, elle trahit cette dernière, et fait de son mieux pour la corrompre. Mises à part les tentatives plutôt infructueuses de la suivante d’Hippolyte, Florice, et celles de l’écuyer de Lysandre, Aronte, à qui Hippolyte a graissé la patte, Hippolyte soutient ouvertement la tentation chez Célidée de changer d’amant. Elle affirme même que Lysandre romprait avec Célidée – la libérant de toute responsabilité pour la rupture – dès l’instant qu’elle ne se montrerait pas aussi obligeante envers lui : « Ses feux dureront autant que tes faveurs » (II, 5, v. 524), insiste Hippolyte. Et de proposer un exemple de son passé : « Alcidor que mes yeux avaient si fort épris / Me quitta cependant dès le moindre mépris » (II, 5, v. 538-539). Au lieu de se concentrer sur le désir réel chez Célidée pour la liberté de poursuivre Dorimant, Hippolyte transforme sa plainte de ce que Lysandre lui est excessivement dévoué, en un besoin de le mettre à l’épreuve (II, 5, v. 541 : « La force de l’amour paraît dans la souffrance »), profitant ainsi de la situation pour ébranler le rapport entre Célidée et Lysandre. Hippolyte amène donc Célidée à mener sa relation avec Lysandre à coups de feintes. Elle admet que son amitié n’est pas honnête, s’adressant à une Célidée absente dans un court monologue : « Célidée, il est vrai, je te suis déloyale, / Tu me crois ton amie, et je suis ta rivale » (II, 4, v. 497-498). Même plus tard, lorsque Hippolyte aura compris que Lysandre ne l’aime pas et ne l’aimera jamais, elle prend plaisir aux dommages qu’elle occasionne (IV, 5, v. 1289-1294) :

Dans ce peu de succès des ruses de Florice
J’ai manqué de bonheur, mais non pas de malice,
Et si j’en puis jamais trouver l’occasion,
J’y mettrai bien encor de la division ;
Si notre pauvre amant [Lysandre] est plein de jalousie,
Ma rivale [Célidée] qui sort n’en est pas moins saisie.

19De plus, Hippolyte ment, explicitement et à plusieurs reprises, à Célidée. Quand celle-ci arrive sur scène tout de suite après ce dernier propos, Hippolyte lui déclare de façon mensongère : « Il ne tient pas à lui [Lysandre] que je ne sois un Ange, / Et quand il vient après à parler de ses feux, / Aucune passion jamais n’approcha d’eux » (IV, 6, v. 1302-1304). Hippolyte ment aussi à Pleirante, en soutenant que sa mère n’a pas effleuré le sujet d’un mariage éventuel avec Dorimant (IV, 7, v. 1355-1356). Hippolyte réussit à poser un voile sur Célidée, ce qui apparaît clairement dans les commentaires de certains critiques. Par exemple, bien qu’il critique Célidée pour son infidélité, Abraham précise : « La conduite d’Hippolyte est encore plus déplorable34. »

20Célidée elle-même se cache derrière plusieurs voiles, mais sa participation à leur fabrication est rarement évidente, à la différence des efforts visibles que déploie Hippolyte. Contrairement à cette dernière, Célidée ne se livre pas à des manigances. Sa sincérité se charge de voiler ses agissements35. Ses transgressions de change et de désir sexuel se présentent dans un contexte d’incertitude et de confusion. Seule sur scène après qu’Hippolyte l’a convaincue de mettre à l’épreuve l’amour de Lysandre en faisant semblant de le rejeter, elle est parfaitement partagée en deux, d’un tiraillement qui deviendra typique chez Corneille : « Quel étrange combat ! je meurs de le quitter, / Et mon reste d’amour ne le peut maltraiter » (II, 5, v. 571-572) ; « Mon âme veut, et n’ose, et bien que refroidie, / N’aura trait de mépris, si je ne l’étudie » (II, 5, v. 577-578). La confusion des sentiments chez Célidée s’accroît également au contact de Dorimant plus loin dans la pièce. Au moment où elle souffre de l’humiliation du change apparent de Lysandre à la faveur d’Hippolyte, Célidée prétend dans ses stances ne plus éprouver d’attirance à l’égard de Dorimant (III, 10, v. 1019-1020 : « Autant que j’eus de peine à l’[sa ‘flamme’] éteindre en naissant / Autant m’en faudra-t-il à la faire renaître, »), du moins jusqu’à l’instant où elle aperçoit Dorimant lui-même et où elle prend la position contraire : « Je sens bien que déjà devers lui tu [son cœur] t’envoles » (III, 10, v. 1029). Sa confusion obscurcit le danger que représente une femme capable de change et de désir. On est donc amené à croire, comme le dit Robert Garapon, que Célidée « n’est pas changeante par vanité ni par coquetterie, mais elle ne sait pas trop qui elle aime36 ».

21Facilement persuadée par Hippolyte, Célidée joue le rôle de l’amante cruelle avec Lysandre, disant ne plus l’aimer (II, 6). Ce faisant, elle cherche à le rendre responsable de leur rupture, s’épargnant ainsi le poids d’un change honteux. Elle cherche donc à se servir de lui comme d’un voile jeté sur ses propres désirs. Mais la confusion de Célidée revient rapidement après sa prétendue indifférence pour Lysandre. Elle se montre si étonnée par la réaction de soumission, de dévotion et d’amour inconditionnel de celui-ci, qu’elle fait alors marche arrière (III, 4, v. 829-832) :

Aussi ce grand amour a rallumé ma flamme,
Le change n’a plus rien qui chatouille mon âme,
Il n’a plus de douceurs pour mon esprit flottant,
Aussi ferme à présent qu’il le croit inconstant.

22Son infraction est-elle rendue moins grave par sa brièveté ? Qu’est-ce qu’implique pour Célidée le fait de n’être perçue que comme une créature écervelée avec, comme elle le dit, « un esprit flottant » ? On trouve chez elle un mélange troublant d’une confusion sincère concernant ses propres sentiments et d’un choix délibéré de cacher ses infractions. Bien que la confusion tende à innocenter Célidée, le choix indique sa responsabilité. Dans les deux cas on a affaire à des voiles qui ont pour but de dissimuler les transgressions du personnage.

23Dans le dernier acte, pourtant, son inconstance sincère devient nettement plus problématique, car Célidée ment explicitement pour cacher ses infractions. Dans la scène de réconciliation entre elle et Lysandre, elle prétend (V, 4, v. 1623-1626) :

Les Dieux m’en sont témoins, et ce nouveau sujet
Que vos feux inconstants ont choisi pour objet [Hippolyte],
Si jamais j’eus pour vous de dédain véritable
Avant que votre amour parût si peu durable.

24Nous pourrions débattre à propos du sens des mots « dédain véritable, » mais qu’elle exprime la volonté de rompre avec l’un pour entamer un nouveau rapport amoureux avec un autre suffirait, selon toute probabilité, à nous décider. Célidée se donne du mal dans cette scène cruciale afin d’obscurcir sa propre responsabilité et la rejeter sur Lysandre. Elle parle d’abord de l’infidélité de celui-ci. Lorsqu’il offre de sacrifier sa propre vie, « Trop heureux mille fois, si je plais en mourant / À celle à qui j’ai pu déplaire en l’adorant » (V, 4, v. 1579-1580), Célidée l’appelle « volage » (V, 4, v. 1586) et ajoute qu’il doit imaginer être en train de parler à Hippolyte. Puis elle lui reproche la rapidité de son change (V, 4, v. 1617-1618 : « […] fallait-il pour un peu de rudesse / Vous porter si soudain à changer de maîtresse ? ») et poursuit en attaquant son jugement : « Ne pouviez-vous juger que c’était une feinte37 ? » (V, 4, v. 621). Elle accuse même Lysandre de sa propre attirance pour Dorimant, prétendant faussement qu’il s’agit du résultat de l’intérêt que Lysandre a montré pour Hippolyte (V, 4, v. 1633-1636) :

Votre légèreté fut soudain imitée,
Non pas que Dorimant m’en eût sollicitée,
Au contraire, il me fuit, et l’ingrat ne veut pas
Que sa franchise cède au peu que j’ai d’appas.

25La voix passive dans le premier vers cité ci-dessus est à remarquer ; le choix d’éviter le « je » est un autre signe du refus de Célidée de prendre ses responsabilités concernant ses propres actions.

26Arrivée à la réconciliation finale avec Lysandre, Célidée se contente de dire : « Si nous avons failli de feindre l’un et l’autre, / Pardonnez à ma faute, j’oublierai la vôtre » (V, 4, v. 1641-1642). Elle lui concède pourtant : « Mon imprudence a fait notre division » (V, 4, v. 1644), mais elle se fait grâce en négligeant de stipuler ce qu’elle entend exactement par le mot « imprudence ». Elle admet avoir joué à l’amante cruelle mais omet son désir pour un autre homme. Célidée revient à cette faute partagée trois scènes plus loin, où elle se protège en faisant porter la responsabilité de sa feinte à Hippolyte, et, implicitement, à Aronte pour la faute de Lysandre : « J’ai feint par ton [Hippolyte] conseil, lui [Lysandre] par celui d’un autre » (V, 7, v. 1757). Le résultat, c’est que Célidée reprend son rôle du début de la pièce, celui d’une héroïne de comédie prête à épouser l’homme convenable, rôle qu’elle a abandonné en faveur d’un désir déplacé.

27Corneille règle les difficultés entre Célidée et Lysandre avant de passer aux autres conflits qui doivent se résoudre avant le dénouement : ceux entre Lysandre et Dorimant, entre Dorimant et Hippolyte et entre Célidée et Hippolyte. L’auteur crée un autre type de distraction en nous détournant de Célidée grâce au chemin curieux que prennent Dorimant et Hippolyte vers le mariage. Dans la scène qui suit la réconciliation entre Célidée et Lysandre, Hippolyte se comporte de manière hésitante avec Dorimant, le décourageant d’abord (« Éteignez cette flamme, » V, 5, v. 1690), puis admettant son attirance vers un autre tout en marquant quelque indécision : « Tant que ma passion aura quelque espérance / N’attendez rien de moi que de l’indifférence » (V, 5, v. 1709-1710). Elle reconnaît que, si elle ne peut posséder Lysandre, Dorimant sera acceptable :

Je chéris sa personne [Lysandre], et hais si peu la vôtre, 
Qu’ayant perdu tout espoir de le voir mon époux
Si ma mère y consent, Hippolyte est à vous (V, 5, v. 1718-1720).

28Effectivement Dorimant lui fait tenir parole lorsqu’il devient clair, deux scènes plus loin, que Lysandre et Célidée sont désormais en couple : « Votre amour hors d’espoir fait qu’il me faut céder. / Vous savez trop à quoi la parole vous lie » (V, 7, v. 1772-1773). Cependant l’ambivalence d’Hippolyte reste énorme puisqu’elle déclare : « À vous dire le vrai, j’ai fait une folie » (V, 7, v. 1774), mais au moment où Dorimant lui lance : « Après m’avoir promis, seriez-vous mensongère ? » (V, 7, v. 1777) et – ce qui est précisément la façon dont Célidée s’est comportée envers Lysandre plus tôt – Hippolyte cède à contrecœur : « Puisque je l’ai promis, vous pouvez voir ma mère » (V, 7, v. 1778). Comme ironiquement, la mère d’Hippolyte, Chrysante, motivée par l’envie d’accorder à sa fille la liberté qu’elle n’avait pas connue pour choisir un mari, refuse de s’en mêler, même quand Hippolyte laisse entendre clairement qu’elle le veut (V, 8, v. 1795-1800). L’affaire est conclue par Pleirante, sans qu’Hippolyte puisse dire quoi que ce soit de plus. La trajectoire des dernières scènes qui mène à ce deuxième mariage est si chaotique, et pour le moins perturbante, que les infractions de Célidée sont presque complètement oubliées. Le couple qu’elle forme avec Lysandre paraît idyllique par comparaison à celui qu’Hippolyte accepte de former avec Dorimant, surtout du point de vue de cette dernière. Au moment où nous arrivons à la scène finale, Célidée et Lysandre apparaissent de nouveau comme un couple bien établi et inébranlable, rappelant celui qu’ils formaient au début de la pièce.

29Ainsi Célidée est l’objet d’une récupération au sein de cet univers comique de la fréquentation, de l’obstacle, et enfin du mariage. Il se peut qu’Hippolyte soit plus active dans ses machinations sentimentales, se servant d’une confidente et d’un écuyer et trahissant son amie, mais ce sont le désir sexuel et la réceptivité au change de Célidée qui constituent l’obstacle principal à une union heureuse. Reste à savoir pourquoi Corneille a construit sa pièce de cette manière.

30Une possibilité claire est celle de la volonté d’originalité. La complexité du personnage de Célidée et son statut central dans l’intrigue constituaient deux innovations à l’époque. Couton reconnaît que « le plus neuf est que pour la première fois Corneille organise une comédie autour d’un caractère, l’analyse, le nuance38 ». Nous pourrions aussi voir en Célidée un premier exemple de la femme dangereuse chez Corneille. Les femmes dans La Galerie du Palais sont inquiétantes et nettement plus pernicieuses que les hommes39. Le désir de Célidée pour un autre homme et sa disposition d’esprit envers le change la caractérisent comme imprévisible et problématique.

31Hippolyte, elle aussi, est dangereuse, car elle désire un homme et trahit son amie, mais, à la différence de Célidée, elle est clairement punie, et de plus refrénée par son aversion au change. Une fois qu’elle donne sa parole à Dorimant, nous comprenons qu’elle ne pourra pas se rétracter et que, malheureusement pour elle, elle devra l’épouser. Manquer à sa parole est précisément ce dont Célidée est coupable, et il s’agit d’une transgression d’un autre ordre que les machinations d’Hippolyte.

32Le plus important, pourtant, reste le défi que Corneille semble s’être lancé : celui d’écrire une comédie où règne le paradoxe d’une héroïne vertueuse qui n’est nullement vertueuse. Se servir malicieusement de voiles obscurcissants permet à l’auteur, dans une composition sans cesse déceptive, la plus scandaleuse des deux jeunes filles n’étant pas celle qu’on croit, de révéler et de cacher les transgressions de Célidée, et de la faire descendre du piédestal de la jeune première pure jusqu’au dénouement, où il l’y remet. Sa récupération soigneusement agencée de Célidée à la fin de la pièce est un tour de force40 aussi subtil que comique.

Notes

1 Bien que, dans son édition critique de Corneille, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », tome I, 1980, G. Couton – se basant sur les dires de Corneille en personne dans la dédicace de la pièce en 1637 – mentionne le succès de la pièce (p. 1282), il n’existe aucune preuve qu’elle n’ait jamais été remise en scène à l’époque. Selon la MLA International Bibliography, aucune des quatre autres comédies de Corneille datées de cette période (Mélite, La Veuve, La Suivante, La Place Royale) n’a reçu aussi peu d’attention que La Galerie du Palais.

2 Marc Fumaroli (« Pierre Corneille, fils de son œuvre », dans Héros et orateurs, Genève, Droz, 1996, p. 17-61) suggère la nature grave du change en s’appuyant sur un exemple tiré de Mélite de Corneille : « Tircis, traître à l’amitié, n’en porte nulle peine ; Éraste, fidèle jusqu’au crime, est absous ; Philandre, moins coupable [mais coupable précisément de change], est condamné » (p. 38).

3 Les deux contraventions aux bonnes mœurs sont liées dans cette pièce, mais elles restent suffisamment discrètes pour justifier une appréciation du désir sexuel comme quelque chose de plus qu’un simple accompagnement du change.

4 Nous partageons la vision de Corneille que propose Georges Forestier : un dramaturge avide de challenges, toujours à la recherche d’un nouveau tour de force afin d’impressionner et d’étonner ses spectateurs. Dans son article sur ce sujet (« Une dramaturgie de la gageure », Revue d’histoire littéraire de la France, no 5, 1985, p. 811-819), le critique note que cette impulsion était déjà à l’œuvre « dès le début de sa [celle de Corneille] carrière » (p. 816).

5 Givanna Fondi Malquori (« D’une image inquiétante à une image rassurante : la femme dans deux comédies de Corneille », dans Onze Nouvelles Études sur l’image de la femme, dir. Wolfgang Leiner, Tübingen, Gunter Narr, 1984, p. 55-76) décrit les contraventions aux normes sociales commises par des femmes en citant Clarice dans La Veuve et Daphnis et Amarante dans La Suivante. Elle note que, comme Célidée, elles retourneront dans le giron pour reprendre leur place convenable et essentiellement passive au dénouement de la pièce (p. 58-59).

6 Par exemple, Cecilia Rizza (« La Condition de la femme et de la jeune fille dans les premières comédies de Corneille », dans Onze Études sur l’image de la femme, op. cit., p. 129-146), la range parmi « les personnages féminins les plus sages » et « honnêtes » des comédies de jeunesse de Corneille (p. 135) et Claire Carlin l’appelle « the virtuous heroine of the play » (article cité, p. 397).

7 Dans son édition des Œuvres complètes, citée, p. 1285.

8 Dans son édition critique de notre comédie (Pierre Corneille, Théâtre complet, tome I, dir. L. Picciola, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 20, 2014), p. 620.

9 Théodore A. Litman, Les Comédies de Corneille, Paris, Nizet, 1981, p. 86.

10 Les citations de la pièce sont tirées de l’édition citée des Œuvres complètes de Corneille de Georges Couton (tome 1).

11 Hippolyte ne connaît pas plus de succès auprès de Lysandre. Il fait semblant brièvement de s’intéresser à elle, mais elle se rend compte très vite qu’il ne s’agit que de rendre Célidée jalouse.

12 Corneille, Examen de La Galerie du Palais, dans Œuvres complètes, éd. citée, p. 304.

13 « On la pourrait excuser sur le violent dépit qu’elle a de s’être vue méprisée par son Amant, qui en sa présence même a conté des fleurettes à une autre ; et j’aurais de plus à dire que nous ne mettons pas sur la Scène des Personnages si parfaits, qu’ils ne soient sujets à des défauts et aux foiblesses qu’impriment les passions » (ibid.).

14 Le fait que Célidée se monétise elle-même comme objet d’échange constitue un précurseur de l’offre que fait Chimène d’épouser quiconque venge la mort de son père dans Le Cid. Le ton, sur la défensive, que Corneille adopte dans son Examen de La Galerie du Palais peut être lié à la critique qu’il a reçue au sujet de Chimène dans la Querelle du Cid.

15 Ouvrage cité.

16 Dans Cynthia B. Kerr, L’Amour, l’amitié et la fourberie, Saratoga, CA, Amna Libri, 1980.

17 Octave Nadal, Le Sentiment de l’amour dans l’œuvre de Pierre Corneille, Paris, Gallimard, 1948.

18 Marie-Odile Sweetser, « Avatars du couple chez Corneille », dans L’Histoire littéraire : ses méthodes et ses résultats, dir. Luc Fraisse, Genève, Droz, 2001, p. 615-625.

19 Serge Doubrovsky (Corneille et la dialectique du héros, Paris, Gallimard, 1963) pose la question : « S’agit-il du drame de la sensualité brusquement sollicitée par un objet plus séduisant ? Pas le moins du monde » (p. 50).

20 Milorad R. Margitic, « La Galerie du Palais : une ruse baroque », PFSCL, XX.39, 1993, p. 333-352 (p. 340).

21 Judd D. Hubert, Corneille’s Performative Metaphors, Charlottesville, Rockwood, 1997, p. 18.

22 Han Verhœff, Les Comédies de Corneille : une psycholecture, Paris, Klincksieck, 1979.

23 Ouvrage cité.

24 Ouvrage cité.

25 Claude Abraham, « L’Envers de la médaille : dialectique et parodie chez Corneille », PFSCL, XI.21, 1984, p. 349-376.

26 Ouvrage cité, p. 81.

27 Claude Abraham, Pierre Corneille, New York, Twayne, 1972, p. 40.

28 Georges Couton, Corneille, Paris, Hatier, 1970, p. 85.

29 Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France, Paris, José Corti, 1953, p. 206.

30 On trouve une évaluation assez différente du change chez l’écuyer Aronte, qui met la honte du change sur le compte de sa victime, tout en conseillant à Lysandre de courtiser Hippolyte : « Elle [Célidée] en craindra la honte, et ne souffrira pas / Que ce change s’impute à son manque d’appas » (III, 1, v. 727-728).

31 Voici comment Corneille décrit son emploi de la Galerie : « J’ai pris donc ce titre de La Galerie du Palais, parce que la promesse de ce spectacle extraordinaire, et agréable par sa naïveté, devait exciter vraisemblablement la curiosité des auditeurs » (I, v. 302). Il poursuit en admettant que sa réapparition au quatrième acte est « entièrement inutile » (I, v. 302).

32 Il paraît qu’un engagement a déjà été pris. Célidée admet à Hippolyte dans leur première scène ensemble : « Ce n’est plus que ma foi qui conserve ma flamme » (II, 5, v. 514) et Lysandre dit à Célidée dans la scène suivante : « Votre serment jadis me reçut pour époux » (II, 6, v. 619).

33 Lysandre et Dorimant paraissent en scène ensemble dans neuf scènes, comptant pour 364,5 vers de la pièce.

34 Article cité, p. 354. De même, Th. Litman soutient qu’« on ne peut la [Hippolyte] considérer au même niveau que Célidée qui, malgré les erreurs qu’elle a commises, est une personne qui se distingue par la naïveté et l’impuissance devant les ruses de celle qu’elle croit être son amie» (ouvrage cité, p. 93). Voir aussi G. J. Mallinson, The Comedies of Corneille, Manchester, Manchester UP, 1984, p. 34.

35 Margitic trouve que Célidée est la victime (d’Hippolyte, de Florice et d’Aronte) plutôt qu’un véritable agent (ouvrage cité, p. 343).

36 Robert Garapon, Le Premier Corneille, Paris, SEDES, 1982, p. 146.

37 Comme le note Litman, « Célidée fait ici preuve de mauvaise foi » (ouvrage cité, p. 90). Couton aussi l’appelle « mauvaise foi, » mais il ajoute « charmante » (ouvrage cité, p. 23) ; voir aussi S. Doubrovsky, ouvrage cité, p. 52.

38 G. Couton, Corneille, ouvrage cité, p. 23. Voir aussi l’appréciation de Claire Carlin à la page 389 de son article « The Woman as Heavy: Female Villains in the Theater of Pierre Corneille », French Review, 59, 1986, p. 389-398.

39 Voir Han Verhœff, ouvrage cité, p. 67-68.

40 Voir dans Corneille présent, no 1, 2021, Corneille un Théâtre où la vie est un jeu. I. Scène théâtrale et parties de jeu, l’introduction de Liliane Picciola à la deuxième partie « Corneille en figure de preneur », notamment les paragraphes 10-17, en ligne : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/1218.html, page consulté le 17 novembre 2025.

Pour citer ce document

Nina Ekstein, « Jeux de voiles : le tour de force de Corneille dans La Galerie du Palais » dans Corneille : un théâtre où la vie est un jeu,

sous la direction de Liliane Picciola

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent », n° 4, 2025

URL : https://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/2130.html.

Quelques mots à propos de :  Nina Ekstein

Trinity University