Sommaire
Corneille : un théâtre où la vie est un jeu
II. Jeux d’esprit et bons tours
sous la direction de Liliane Picciola
no 4, 2025

- Liliane Picciola Introduction
Des jeux de compétition et de hasard aux jeux d’esprit et aux bons tours - Myriam Dufour-Maître Le jeu de l’amour dans les comédies de Corneille : « conversation des honnêtes gens » ou « galanterie noire » ?
- Nina Ekstein Jeux de voiles : le tour de force de Corneille dans La Galerie du Palais
- Nina Ekstein Corneille’s tour de force in La Galerie du Palais
- Liliane Picciola Distraire de la peur : jeux d’assemblage, de manipulation et d’esprit dans Héraclius
- Yasmine Loraud L’héroïsme en mode mineur. Formes et effets de l’usage de l’ironie dans Nicomède, Agésilas et Pulchérie de Corneille
- Anissa Jaziri Jouer avec la vieillesse en contexte tragique : insolites fictions de mariage dans Sertorius
- Cécilia Laurin « Do I look like I’m joking? »
Proposition de rétrolecture spectaculaire de quelques jokers criminels de la tragédie cornélienne à travers la figure du Joker de Batman - Séverine Reyrolle Bourles d’honnêtes gens dans Le Berger extravagant de Thomas Corneille : entre jeux de rôles et entrées de ballet
Corneille : un théâtre où la vie est un jeu
Introduction
Des jeux de compétition et de hasard aux jeux d’esprit et aux bons tours
Liliane Picciola
1[Note de l’auteur]1
2Comme nous l’avons rappelé dans le premier numéro de Corneille présent, à l’instar de très nombreux Rouennais, dont la ville occupait, après Lyon, le deuxième rang dans la production de cartes à jouer en France, notre auteur se distrayait volontiers en s’engageant dans des parties de jeu : l’on peut supposer, à cause des interdictions mais aussi à cause de la prudence cornélienne en matière pécuniaire, que ces parties relevaient plus souvent de la stratégie que du hasard. Il est donc peu étonnant que son œuvre théâtrale ait révélé tant de marques de la pratique des jeux de table (cartes, dés, échecs, trictrac), mais aussi de jeux d’exercice et d’adresse comme le mail (la ville possédait une allée permettant sa pratique), la paume, les quilles, voire l’escrime ; c’est non seulement dans les métaphores introduites dans les propos des acteurs de ses pièces qu’on les trouve mais également dans les comportements et les décisions d’action prêtés à ces derniers.
3Néanmoins le jeu ne s’intègre pas seulement à la dramaturgie cornélienne en nourrissant son lexique et en la structurant comme des parties de cartes jouées à plusieurs : de son côté, Mômos, le dieu de la plaisanterie stimule fortement nombre de ses actions théâtrales. En effet, Corneille prête souvent à ses personnages un goût prononcé pour les bons tours et pour les jeux de l’esprit dont la réelle pratique sociale ne nécessite ni matériel ni règle officielle, et qui correspondent à un arrangement, souvent tacite et improvisé, entre certains acteurs de la fable dramatique : toute la palette des plaisanteries fines, des bons mots, des mystifications quasiment gratuites, des inventions surprenantes est utilisée dans les comédies « aristocratiques » de Corneille, s’accordant évidemment au caractère élevé du rang des personnages : comme l’écrit Charles Sorel, ils « ne peuvent plaire qu’à des personnes de bonne condition, nourries dans la civilité et la galanterie, et ingénieuses à former quantité de discours et de réparties pleines de jugement et de savoir2 », tandis que les jeux d’exercice et de hasard sont présentés comme « communs à toutes sortes de personnes, n’étant pas moins pratiqués par les valets que par les maîtres, et sont aussi faciles aux ignorants et grossiers, qu’aux savants et subtils ». Cependant la présence de jeux d’esprit et d’invention, voire de tours, se révèle également forte dans les tragédies cornéliennes, où elle est moins attendue ; mais Mômos est un dieu ambigu, bifrons. Chez Lucien de Samosate, ses sarcasmes s’en prennent aux plus grands, les dieux, mais il se révèle également plein de bonne humeur ; ultérieurement, il est devenu tantôt plus rieur tantôt plus sombre, selon les auteurs qui l’ont évoqué. Une action constituée par des rapports de force en matière de politique intérieure ou extérieure peut ainsi se prêter de manières bien différentes au ludisme. C’est ce qui va faire l’objet de ce deuxième numéro consacré au goût cornélien du jeu.
4En fait, dans les habitudes culturelles du public visé par Corneille, ces facéties de Mômos s’alliaient volontiers aux autres formes de jeu. D’une part, l’addiction aux jeux de cartes, de table, voire d’exercice, dont le premier numéro de notre revue a montré qu’elle dynamise les rapports entre personnages, a souvent servi elle-même de sujet à des plaisanteries de nature artistique : on admirait volontiers l’esprit d’un peintre ou d’un organisateur de spectacles qui savait distraire en prenant pour sujet les distractions elles-mêmes, dans une sorte d’ostentation de l’amusement, à laquelle un genre comme la comédie se prêtait bien aussi. D’autre part, cultiver les sujets graves n’était pas jugé comme incompatible avec la pratique simultanée d’une activité ludique et le jeu, notamment avec des cartes, était même considéré comme une manière d’acquérir et de dominer un savoir géopolitique et historique, comme une véritable méthode éducative : sous la plume de Corneille, la plaisanterie n’a-t-elle pas également contribué, pour la scène, à l’appréhension efficace d’une matière de grande dignité ?
Plaisanteries artistiques et détournements ludiques des jeux de table au xviie siècle
Dessiner et graver plaisamment le goût du jeu
5Si la peinture de l’époque fait une belle place aux parties de cartes parmi les realia, c’est avec beaucoup de fantaisie que d’autres types de représentations reflètent le goût du jeu.
6Parmi eux, on trouve des estampes, qui s’inscrivent, surtout à la fin du xviie siècle, dans une mode qui évoque des métiers d’artisans et de commerçants en montrant ceux qui les exercent vêtus d’habits particulièrement amusants. Elles reprennent le principe appliqué par Arcimboldo dans ses peintures : les artisans ou les marchands sont constitués d’éléments étrangers à leur corps mais indispensables à leur métier et qui, agencés ensemble3, créent une apparence humaine d’un aspect à la fois esthétique et drôle. Comme le bibliothécaire arcimboldien semble railler les excès des amateurs de livres, ces singuliers portraits semblent s’amuser autant, sinon davantage, de ceux qui sont hantés par la passion des objets fabriqués ou utilisés que de ceux qui les fabriquent et/ou les vendent. On a au reste remarqué dans ces estampes « une formule corporelle issue des gravures de mode présentant l’élite aristocratique4 ». Il s’agit néanmoins d’une satire légère qui présente aussi l’avantage de célébrer l’activité manufacturière et d’inciter à en utiliser les produits. Par exemple, l’habit de cuisinier attire vers les mets qu’il exhibe en même temps qu’il excite l’appétit par la suggestion, qu’opèrent les ustensiles, d’une longue préparation.
7Perpétuant en portraits séparés la mode des scènes de genre d’Abraham Bosse, Jean Bérain, de surcroît grand concepteur de costumes de théâtre et d’opéra, avait dessiné des habits d’artistes, gravés par Lepautre : ainsi un musicien, un architecte, un peintre, un jardinier, un orfèvre, un sculpteur, qui reflétaient le goût aristocratique de vivre dans la beauté5… D’autres graveurs d’estampes étendirent le même style de représentation à d’autres métiers, ceux de médecin, de perruquier, de savetier, de chapelier, de couturière, voire aux métiers de bouche. Ils mettaient malicieusement en scène le luxe des vêtements et le soin pris de soi, participant d’une célébration des habitudes raffinées de vie à la Cour, à l’instar de la comédie, qui les reflète également : la Lingère et le Mercier qui figuraient dans La Galerie du Palais, flattant leur noble clientèle6, font partie de la galerie des portraits séparés de métiers gravée à partir de dessins de Nicolas de Larmessin7. Évidemment les métiers liés aux divertissements censés satisfaire « l’humeur enjouée de gens d’une condition au-dessus de ceux qu’on voit dans les comédies de Plaute et de Térence, qui n’étaient que des marchands8 » prennent une part importante dans ces estampes d’habits de métiers.
8Le théâtre y trouve ainsi sa place avec un portrait de comédien, dont les jambes et les bras sont décorés de divers masques comiques et dont le pourpoint ainsi que le haut-de-chausses arborent des pages de titres de tragédies lyriques orchestrées par Lully – on note que sa Proserpine est qualifiée de « comédie » – ou des noms de personnages issus d’œuvres diverses.
9Par ailleurs les jeux d’échecs, de dames, de dés et de trictrac, auxquels s’adonnaient nobles comme bons bourgeois et que fabriquaient des tabletiers, notamment à Méru, non loin de Paris, faisaient partie de la panoplie dont les graveurs agrémentaient les portraits de ces derniers, plaisamment costumés. Nicolas de Larmessin représente ainsi un damier et un double tablier, portés par leur fabricant, à la manière ce que l’on appela plus tard un homme-sandwich. Et sous ce double tablier, d’autres encore, semblables ou non à ceux qui sont exhibés, formant un plissé décoratif. Ces estampes étaient parfois colorisées après impression.

« Habit de tabletier », dans Les costumes grotesques et les métiers de Nicolas de Larmessin, Paris, H. Veyrier, 1974.
10Quant aux estampes représentant le métier de cartier, profession très en vogue au xviie siècle, vu l’abondance de la demande, elles amusaient assurément autant ceux qui les regardaient avec la passion des jeux de cartes que les critiques de ces derniers.

« Habit de cartier », dans Les costumes grotesques et les métiers de Nicolas de Larmessin, op. cit.
11De tels portraits constituaient une manière à la fois raffinée et distractive par sa fantaisie d’évoquer à la fois un métier et les destinataires de ses productions. On note que ces personnages imaginaires se caractérisent par une grande élégance, dans la tenue générale de leur vêtement, dans leur posture, souvent dans leur coiffure, et surtout dans le port de souliers à talons hauts, qui ne correspondent pas à leur type de labeur. La pose du cartier (supra) fait même songer à celle d’un danseur. L’exemple, dans cette abondante série de portraits, d’une poissonnière qui a tout d’une grande dame déguisée, est particulièrement frappant.
12Il paraît possible que ces portraits inventifs se soient en fait inspirés de costumes créés pour des nobles à l’occasion des nombreuses mascarades qui se donnaient à tour de rôle dans leurs hôtels ou châteaux respectifs : ils aimaient y revêtir des costumes exubérants car se déguiser en artisan pour n’être pas reconnu semblait constituer une sorte de bon tour joué aux autres, dans le but, sinon de les tromper, du moins de les intriguer9. Pour peu que l’on choisît l’habit d’un métier s’exerçant particulièrement à destination de la noblesse, on en éliminait toute vulgarité…
Danser les jeux
13Les divers jeux de salon ou d’exercice nécessitant un support matériel ne constituaient pas seulement un sujet volontiers traité par les graveurs ; ils inspiraient également les créateurs de ballet.
14Lors des fêtes données par Fouquet à Vaux-le-Vicomte, en août 1661, on joua la comédie-ballet Les Fâcheux, fruit de la collaboration de Molière, Beauchamps, et Lully : des danses amusantes séparaient les actes composés par le premier. Pour le « ballet du premier acte », la didascalie informe qu’on a affaire à une entrée au cours de laquelle « Des joueurs de mail, en criant gare, l’obligent [Éraste] à se retirer ». L’intermède dansé après le deuxième acte, comporte trois entrées de ballet. Dans la première « Des joueurs de boule l’arrêtent [Éraste] pour mesurer un coup, dont ils font une dispute. Il se défait d’eux avec peine, et leur laisse danser un pas, composé de toutes les postures qui sont ordinaires à ce lieu » ; la deuxième est animée par de petits frondeurs, qui semblent devoir lancer des pierres, peut-être remplacées par des balles, le Dictionnaire de l’Académie définissant la fronde comme « un tissu de corde, avec lequel on jette des pierres ». Des savetiers les chassent, eux-mêmes chassés par un jardinier. On reconnaît là des « métiers » que gravera élégamment un de Larmessin et il faut donc imaginer que les joueurs de mail et de boules sont aussi plaisamment et esthétiquement habillés.
15Un autre ballet, introduisant cette fois des danseurs-cartes à jouer, nous semble confirmer le goût de la plaisanterie dans la famille Corneille car Thomas – auquel Pierre, son frère aîné, était si étroitement lié – y apporta une forte contribution : ce ballet fut inclus en 1776 dans Le Triomphe des Dames, comédie mêlée d’ornements10, pour laquelle Marc-Antoine Charpentier a composé une modeste partition musicale ; il en occupe assez largement l’acte IV.
16Angélique vient annoncer à Ismène, figure importante d’une action sans grand enjeu, que va être organisée une mascarade qui a pour sujet « la victoire remportée par les cartes sur les autres jeux » et qu’on y verra « les Rois, les Dames et les Valets dans le même équipage où ils ont accoutumé d’être peints ». Cette mascarade s’intègre à l’action dramatique puisqu’elle doit être l’occasion pour le Capitaine d’enlever Aminte, une des protagonistes : il a organisé la mascarade dans ce dessein. Bientôt, les acteurs du ballet masqué à venir poussent sur la scène le Palais des Jeux, superbe, imitant le marbre blanc. Entre les colonnes, sont placées des figures « au naturel » de rois, d’empereurs, de reines, de princes et de princesses tenant chacune des cartes « pour faire voir qu’elles servent au plaisir du monde ». Sur la corniche, des figures de marbre blanc drapées d’or représentent « la Déesse des Richesses, la Prodigalité, la Nuit, la Vigilance, le Destin, la Constance, le Temps, la Fortune, Momus, l’Espérance et la Subtilité, la Joie, comme autant de divinités qui tiennent les joueurs sous leur dépendance », pour reprendre la présentation de Thomas Corneille11.
17Dans les Archives de la Comédie française (dossier « Décoration ») Sylvie Chevalley a trouvé un Devis de peinture qu’il convient faire pour la pièce de… pour Messieurs de la Troupe du Roi, donnant de précieuses précisions sur le décor12. On apprend que celui-ci présentait, de chaque côté, cinq doubles colonnes en marbre blanc, et que les consoles étaient dorées. Sur ces dernières étaient posés les quatre rois et les quatre dames du jeu de piquet. Dans la perspective se trouvaient quatre autres colonnes ornées de valets de pique couronnés par les Ris, incarnés par des enfants. Un peu partout, des masques « d’or » et des jeux. Des frises représentaient des instruments à jouer.
18Thomas Corneille présente ainsi le contenu du spectacle de l’acte IV :
Ce palais étant placé, les quatre valets paraissent tels qu’ils sont représentés dans les cartes. Ils tiennent chacun leur hallebarde, avec laquelle ils font des figures très agréables pour mettre tout en ordre avant l’entrée des rois, qui se fait de cette manière : le roi de trèfle paraît le premier, qui mène la dame par la main, dont la queue est portée par un esclave qui représente le jeu de paume : ensuite le roi de cœur qui mène la dame, dont la queue est portée par un esclave qui représente les jeux de dames et de trictrac. Le roi et la dame de pique viennent après, faisant la même figure que les précédents, et la queue de la dame est portée par un esclave représentant le jeu de dés. Le roi et la dame de carreau se font voir ensuite dans le même ordre, et l’esclave qui porte la queue de la dame représente le jeu de billard. Toute cette troupe ayant fait le tour du théâtre se range en demi-cercle. Après quoi le roi de trèfle prend la dame par la main et, s’avançant avec elle, il lui adresse en chantant les paroles qui suivent :
Chanson du roi de trèfle.
Quoique depuis longtemps
L’Hymen nous assemble,
Oublions nos vieux ans
Et rions ensemble…
Chanson de la reine de trèfle.
Ô mon cher Alexandre,
Mon époux et mon roi,
Vous ne pouvez attendre
Un amour plus fidèle et plus tendre
Qu’on le trouve en moi.
S’il est dans la jeunesse
Certains enjouements
Tous charmants,
La savante vieillesse
À ses agréments.
Après ces deux chansons, les quatre rois, prenant les quatre dames par la main, figurent ensemble. Ils forment ensemble quatre tierces, les valets allant devant, puis trois quatorze. Ensuite ils font leur figure deux à deux, tous les rouges d’un côté et les noirs de l’autre, puis ils se mêlent tous douze ensemble sans se tenir…
19Ce dialogue chanté montre que les figures des cartes sont volontiers traitées en personnages de théâtre, portant des noms. De plus, la pièce-cadre et la mascarade se rejoignent lorsque tous les danseurs exécutent le stratagème élaboré avec eux par le Capitaine, organisateur du ballet : le Roi de trèfle, pensant que les vœux de ce dernier se dirigent vers Ismène, « la vient prendre pour danser » alors que c’est Aminte qu’il devait faire danser pour l’enlever.
Les quatre Rois et les quatre Dames se joignent aussitôt et l’enlèvent malgré ses cris, qu’ils s’imaginent être affectés, tandis que les quatre Valets, présentant leurs hallebardes à Dorante et à Damis, les empêchent quelque temps de la secourir. Ces Valets se retirent par la porte du Palais de Jeux, qu’ils ferment.
20Dans un texte resté manuscrit13, ce ballet est présenté par Thomas Corneille comme une reprise d’un très ancien Ballet des cartes à jouer ou Du jeu de piquet. De fait, la représentation animée des supports matériels des jeux constituait une sorte de tradition dans les divertissements de Cour. On connaît à cet égard le Ballet des fées des forests de Saint-Germain dansé au Louvre en 1625 et les dessins réalisés par Denis Rabel, notamment celui du « Récit du jeu » envoyé par Gillette-la-Hazardeuse, fée des Joueurs : il porte la livrée de celle-ci. Bien que cette figure du jeu inclue des jeux sportifs et musicaux, comment ne pas percevoir une parenté entre ce costume de scène et ceux des métiers de musicien, tabletier, et cartier dessinés par Bérain ou de Larmessin ?

« Récit du Jeu », dessin par Daniel Rabel, 1625
Source Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« Déguiser en forme de jeu les sciences plus nécessaires aux princes » : jeux de cartes géographiques, historiques, et héraldiques
21L’alliance de sujets sérieux avec une pratique du jeu distrayante mais non pas captivante était souvent recherchée. Les rapports entre les Grands et l’Histoire était manifeste dans la gravure représentant Le Jeu de l’hombre des princes de l’Europe, dont nous avons inséré une reproduction dans l’introduction au numéro 1 de cette revue. Toutefois il s’agissait là d’une gravure satirique, dénonçant les « jeux » des politiques.
22Sans visée critique se révèle en revanche la fabrication de cartes à jouer et de jeux de l’oie représentant des souverains et leurs proches, mais les premières et les seconds visent à instruire de manière ludique et ils éduquent les jeunes joueurs en les habituant à attribuer une valeur au portrait de tel ou tel personnage historique ; de surcroît, ils inscrivent ces personnages dans la géographie ainsi que dans le temps car du texte, plus ou moins long, peut se mêler à l’image et le jeu lui-même exige souvent un savoir de cette nature ; au reste, comment résister à une interprétation symbolique de la victoire de telle ou telle carte quand elle représente un Grand ?
23Déjà, en 1644, à la demande de Mazarin, Desmarets de Saint-Sorlin avait publié un jeu de cartes géographiques gravées par le Florentin Stefano Della Bella et présentant divers pays d’Europe sous l’aspect d’allégories : il était destiné à l’éducation du jeune Louis XIV. Évidemment l’iconographie du jeu, qui comportait quatre ensembles, l’Europe, l’Afrique, l’Asie, et l’Amérique, illustrait une vision politique du monde : « Ce sont des jeux en apparence que je présente à votre Majesté mais en effet c’est un livre et une étude pour les jeunes Princes, aussi sérieuse pour le moins que divertissante », écrivait Desmarets, qui entendait bien « déguiser en forme de jeu les sciences plus nécessaires aux princes14 ». On ne s’étonnera pas que les pays d’Europe aient appartenu à la série « cœur » des cartes…
24L’intention d’éclairer le tout jeune roi, mais aussi l’ensemble des Français susceptibles de jouer, sur le passé de leur pays et de leur en faire tirer une leçon morale, était encore plus évidente dans le Jeu des Reines renommées et les Cartes des Rois, édités également en 1644 par Desmarets d’après les épreuves de Della Bella. Desmarets avait mis « par Classes d’un costé les Rois Illustres & les bons, & de l’autre les faineants & les mauvais, avec avantage pour les premiers, & desavantage pour les autres15 ».
25Orest Ranum décrit ce Jeu avec précision :
Saint-Sorlin s’est cru obligé de présenter tous les rois dans son jeu. Les catégories morales sont les suivantes : les bons ne sont pas appelés bons mais ils sont seuls à être présentés sur une carte entière et avec une iconographie positive. Il y a les Malheureux, les Cruels, les Simples, les Fainéants, les Ny Bons Ny Mauvais, les Meslez et les Sans Foy groupés par plusieurs rois sur chaque carte et réduits de fait à une plus petite dimansion avec des textes plus courts – signes qu’ils ne sont pas dignes de servir comme modèles de comportement pour les rois futurs. […] Sur chaque carte nous trouvons aussi le nombre d’années de chaque règne et une petite phrase pour comprendre l’homme et son règne16.
26On peut remarquer que les postures prêtées aux personnages traduisent le caractère général de leur comportement.
27Les reines renommées sont classées selon des critères un peu différents. Elles peuvent être heureuses, malheureuses, capricieuses, habiles, galantes, impudiques, bonnes femmes, cruelles, sages, pieuses, vaillantes, saintes. Cette dernière catégorie, de reines « saintes », regroupe Anne d’Autriche, Clotilde, Blanche de Castille, et Baudour (alias Bathilde, épouse de Clovis II).

Illustrations 1 à 3 : Desmarets de Saint-Sorlin, Cartes des Rois de France, gravures de Stefano Della Bella, Paris, Henry Le Gras, 1644. Source Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Illustration 4 : Desmarets de Saint-Sorlin, Jeux des cartes des rois de France, des reines renommées, de la géographie et des fables, gravures de Stefano Della Bella, Paris, Florentin Lambert, 1664. Source Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
28D’autres pédagogues recoururent aux jeux de cartes pour introduire un savoir plus spécialisé : Claude-Oronce Finé de Brianville, de la compagnie des jésuites, se lança dans la conception de jeux de cartes et de jeux de l’oie didactiques en y introduisant l’héraldique. Le succès du jeu de cinquante-deux cartes, qu’il fit imprimer en 1659, fut tel qu’une seconde édition en fut donnée dès 1660 ; une troisième édition, en 1672, était dédiée au Dauphin : en 1689, on en était déjà à sa sixième édition. La proximité de l’action des tragédies avec de tels jeux se perçoit aisément dans la description suivante, issue d’une lettre de Finé de Brianville à Samuel Guichenon, dont Philippe Palasi a procuré le texte :
J’ai entrepris de mettre en jeu de cartes toutes les armoiries des Princes de l’Europe et des Estats considérables avec une abrégé d’Histoire et de Géographie. En voici l’ordre. Je divise l’Europe en quatre Jeus. La France sous un Cœur. L’Espagne sous Carreau. L’Italie sous Trèfles. L’Allemegne, ou plutost tous le Nort, sous Piques. Maintenant pour en faciliter l’intelligence, j’ai fais [sic] imprimer un livret, qui expliquera chasque carte au long et en descrira le blason, puis la géographie et enfin l’Histoire17.
29Claude-Oronce Finé de Brianville modifia son jeu de cartes dès la seconde édition : les valets devinrent des princes et les as des chevaliers : on peut supposer que certains princes et nobles avaient mal toléré d’avoir valeur et figure de valets ou d’unités de compte, fussent-elles romaines…
30Ainsi, par le biais de l’héraldique, le jeu de cartes et le jeu de l’oie devenaient-ils autre chose qu’eux-mêmes, participant eux aussi de l’enseignement de la géographie, de l’Histoire, mais aussi de la morale et de la politique, comme l’indique l’Abrégé méthodique publié par de Brianville en même temps qu’un nouveau jeu18, en 1664. Il lui avait été commandé par la Marquise de Montausier, gouvernante du Dauphin.
31Le père jésuite Claude-François Ménestrier19, responsable par ailleurs des ballets et des tragédies jouées par les élèves à chaque fin d’année dans plusieurs collèges jésuites de la région de Grenoble ainsi que de ballets donnés à l’occasion de fêtes royales ou princières20, était un grand théoricien des spectacles : qu’à la suite de Finé de Brianville il se soit lancé, lui aussi, dans la conception de jeux pédagogiques n’est peut-être pas sans rapport avec ses réflexions sur le théâtre, à son goût trop contraint par les règles, contrairement aux ballets.
32Son « jeu de cartes du blason21 », comme ceux de Finé de Brianville, sophistiquait les jeux habituels. La série des Lys correspondait à la France, celle des Lions à l’Espagne, celle des Roses à l’Italie, celle des Aigles aux pays germaniques.

Claude-François Ménestrier, Jeu de cartes du blason, Thomas Almaury, Lyon, Au Mercure galant, 1692. Source Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
33Finé de Brianville soulignait qu’on pouvait « jouer à toutes sortes de jeux » avec ses cartes de 1664. Il supposait toutefois des efforts d’adaptation car il avait ajouté une « cinquième couleur sous la figure de la Fleur de Lys », suggérant que les cartes de cette couleur fussent considérées comme des « triomphes perpétuels » dans ce jeu de soixante-cinq cartes : ainsi l’on n’avait pas à retourner une des cartes pour déterminer celle qui l’emportait en cas d’égalité de points. Autre solution : abandonner une des cinq couleurs, avec possibilité d’éliminer les petites cartes. La méthode, qu’on devait étudier, informait sur l’histoire des personnages figurant sur les cartes et expliquait la composition des armoiries, qui se substituaient à la notion de cœur, de pique, etc. Ainsi, pour que le jeu pût se tenir, on devait d’abord apprendre, et l’on se trouvait comme pris au piège de cette pédagogie qui ne tolérait guère l’ignorance. Finé de Brianville conseille, au reste, de destiner ces cartes à un jeu simple, comme le hère, pratiqué par « un nombre raisonnable de joueurs comme huit, dix ou douze », sans doute afin que les esprits restent suffisamment libres pour réfléchir et retrouver le souvenir de la leçon apprise. Voici comment le jeu se mêle agréablement au sérieux :
On doit avoir pour Tapis une carte géographique d’Europe, pour y montrer les lieux dont on fera mention : et après que, suivant les Lois ordinaires, la plus petite carte aura payé, chacun, sur celle qu’il aura, rendra compte de quatre choses, sur quoi l’on aura droit de le questionner. La première est la Chronologie, pour dire, le commencement, la durée et la fin du règne de son Roi. La seconde la Généalogie, c’est-à-dire son extraction, ses mariages et sa postérité. La troisième quelque chose de son Histoire, dont il montrera le lieu où il se sera passé sur la Carte de Géographie. Et enfin le Caractère de ses mœurs, et de sa Politique. Quand quelqu’un y manquera, celui qui le suit seulement pourra le reprendre, ou l’autre à son défaut, et ainsi par ordre […]. Et celui qui sera repris donnera un jeton pour sa peine à celui qui le reprendra22.
34Et Finé de Brianville de conclure par une citation d’Érasme :
On n’apprend rien plus heureusement que ce qu’on apprend par jeu ; mais l’on doit savoir quelque gré à tous ceux qui par d’ingénieuses tromperies et d’agréables amusements nous procurent de solides bienfaits23.
35Ménestrier, qui n’énonce pas de telles règles, fut suivi par Charles-François Silvestre qui publia une Carte méthodique pour apprendre aisément le Blason24, et qui, selon qu’on la découpait ou non, pouvait servir de jeu de l’oie ou de jeu de cartes. Il contenait la règle du jeu de l’oie : si l’on venait à tomber sur une case « valet », c’est en roture que l’on tombait25…
36Ainsi, quand on organisait des jeux avec un tel matériel, se réalisait nécessairement une alliance entre certaine fantaisie, une légèreté due à la conscience qu’il ne s’agissait que d’une partie en bonne compagnie, et une appréhension réelle mais inventive de l’Histoire, fictivement et provisoirement remaniée par le comportement des joueurs.
37Une telle pratique supportait la comparaison avec les spectacles de théâtre, Mômos pouvant y montrer les deux visages que nous avons évoqués plus haut. L’action tragique, basée elle aussi sur l’Histoire, se prêtait à bien des ajustements, des ajouts, des emboîtements d’événements, opérés non par plusieurs joueurs mais par un seul, l’auteur, et à des propos et commentaires potentiellement enjoués qu’il prêtait à ses acteurs. La dramaturgie de la « conversation des honnêtes gens » relevait d’un autre dosage mais mêlait également un certain sérieux et la plaisanterie.
Le ludisme dans le théâtre cornélien : présentation des études
38C’est à ces étranges amalgames que se consacrent six des sept articles qui vont suivre, l’exception, qui confirme la règle, étant constituée par la dernière étude.
39Ces six articles nous font apprécier dans la conception des fables dramatiques cornéliennes et dans la dramaturgie ensuite mise en œuvre le rôle exact de ces jeux de l’esprit destinés à piquer l’attention, ainsi que le rôle tenu par la bourle dans l’action. Ils se penchent sur les propos et les comportements ludiques qu’introduisent certains personnages, non pas gratuitement mais pour établir en fait un rapport de force avec les autres, soit dans le contexte « comique » de la galanterie (Myriam Dufour-Maître pour diverses comédies, Nina Ekstein, pour une seule, dans un contexte peu hilarant), soit dans l’univers plus grave des héros tragiques empêchés (Yasmine Loraud, Anissa Jaziri, Liliane Picciola pour les pièces graves), soit encore dans les tragédies dominées par les figures noires et provocatrices (Cécilia Laurin). Est envisagé également l’esprit de jeu dont fait preuve l’auteur lui-même26 quand il choisit ses sujets (Sertorius), quand il parle de la constitution de telle ou telle action et réalise ses montages dramatiques (Héraclius), quand il multiplie les opérations de brouillage pour désorienter délicieusement son public (La Galerie du Palais) ; comme le montrent respectivement Anissa Jaziri, Liliane Picciola, et Nina Ekstein, pour chacune des pièces citées, le ludisme de l’auteur se trouve la plupart du temps relayé – parfois mis en abyme – par les personnages vers lesquels il veut drainer, sinon la sympathie, du moins un vif intérêt.
40Le volume s’achève sur l’évocation d’une dramaturgie ouvertement consacrée aux jeux d’esprit et aux bons tours, comme le souligne la désignation de « pastorale burlesque » : elle est l’œuvre de Thomas Corneille. Si nous avons convié ce frère du grand Corneille à participer à la réflexion sur la mise en valeur du ludisme dans les pièces de son aîné, c’est parce qu’il nous a semblé avoir surenchéri en ce domaine précis de la plaisanterie sur les procédés de fabrication de ce dernier. Ayant composé des comédies espagnolissimes après que son frère avait composé Le Menteur et La Suite du Menteur27, le cadet des Corneille s’était amusé, dans ce type de pièce, d’une part à renforcer le caractère implexe de l’action, pour lequel Pierre avait récemment opté dans une série de tragédies28 ; il avait aussi cherché, comme son frère mais dans le registre comique, à égarer le spectateur par des phénomènes de double identité. En 1652, dans le même mouvement de surenchère, et en puisant à une source française riche en mystifications, son Berger extravagant a porté au plus haut point l’expression scénique du goût des bons tours, que le grand Corneille avait fortement manifesté : Séverine Reyrolle nous invite à apprécier cette dramaturgie singulière.
41Myriam Dufour-Maître aborde les comédies d’une manière très originale, décelant au sein de la pratique galante, une « galanterie noire » et une « galanterie blanche », qui se côtoient très fréquemment. Cette coexistence explique en grande partie d’une part l’absence de mièvrerie de ces dramaturgies à sujet sentimental, pour qui sait bien les entendre, d’autre part leur animation : « l’agôn dramatique est ontologiquement opposé à la coopération qui caractérise la conversation » ; le « nœud » de l’action ne peut résider en celle-ci. Alors que les perspectives des jeunes gens consistent dans le mariage, qui « échappe à l’univers ludique », les coups à recevoir ne sont pas rares dans les comédies cornéliennes, surtout pour les femmes. Aussi est-il bon, pour les esquiver, de ruser quelque peu avec les règles sociales sans en avoir l’air. Comme, dans ces conditions, les fourbes ou les mensonges de certains personnages ne manquent pas, à divers degrés de cynisme, d’autres, lucides, ont pour se défendre une arme issue de l’arsenal de la galanterie, la plaisanterie, le jeu, qui ne correspond pas toujours à la détente que l’on croit… Néanmoins, pour aboutir au mariage, il faut bien, à un moment donné, mesurer jusqu’où l’on peut dépasser les limites de la cour convenue : on doit avancer sans s’avancer pour ne pas rester à la place prescrite par le degré de sa fortune ou l’absence de réciprocité des sentiments. Les personnages cornéliens mettent souvent les autres à l’épreuve : il s’agit peut-être plus d’instaurer la douceur du jeu galant à l’intérieur du futur couple que de le pratiquer sous les yeux du spectateur.
42L’article que propose ensuite Nina Ekstein, en français mais aussi en anglais, est de nature à provoquer chez le spectateur et le lecteur cet ilinx dont parle Roger Caillois et que Corneille a peut-être cherché à se procurer à lui-même en concevant son action. Comme bien d’autres personnages cornéliens, Célidée se propose le change29, qui, en soi, dans la mesure où elle se sent assurée de l’amour éprouvé pour elle par Lisandre, peut déjà s’assimiler à un jeu avec elle-même et pour elle-même : le dramaturge s’attache à en faire voir toutes les phases en cette protagoniste. Pourtant, une appréhension rapide de l’action incite d’abord le spectateur à voir en Hippolyte l’adepte la plus parfaite des manœuvres ; mais l’article révèle que sa dissimulation a finalement quelque chose de moins sophistiqué que le change de Célidée – tandis que l’on ne croit pas un instant à celui de Lysandre : les deux apparaissent ici comme des leurres, au sens fort du terme, auxquels les critiques se sont parfois laissés prendre. Hippolyte est si évidemment pernicieuse que, par l’art du dramaturge, l’attention critique se détourne presque automatiquement de Célidée pour se porter sur elle. Tout en mettant en valeur la virtuosité d’Hippolyte dans la dissimulation, l’article révèle l’extrême complexité des jeux de voiles dont Corneille prête la mise en place à Célidée. C’est pourquoi la démonstration de Nina Ekstein provoque un certain vertige, qu’on ne retrouvera guère qu’en examinant Héraclius. L’article pose avec bonheur le problème du jeu dramaturgique qui consiste à faire croire que la plus apparemment active est la plus efficace : le poète sait leurrer son lecteur.
43La Galerie du Palais constitue ainsi les prémices de ce que sera le goût de la complexité chez Corneille le tragique, qui se vante dans l’Examen d’Héraclius d’avoir parfois égaré le spectateur. L’étude de Liliane Picciola montre que le premier à se divertir du sujet de cette tragédie a sans doute été l’auteur lui-même, car il aime visiblement évoquer son montage historico-dramatique, qu’il a réalisé comme un jeu de construction : il le fait non seulement dans les paratextes mais jusque dans les dialogues, prêtant par exemple à Pulchérie la fiction d’un frère survivant qui ressemble à celle qu’il forge lui-même en sa qualité d’auteur, semblant compter sur la complicité des plus atteints de théâtromanie et des plus érudits en histoire pour apprécier certains détails de sa fable dramatique. Par ailleurs, un autre personnage féminin, Léontine, se comporte en véritable marionnettiste tragique, qui non seulement a pensé un scénario dans tous ses détails, créant une situation d’une étonnante complexité, mais de plus entend diriger à sa guise tous les personnages mis en place sans même que certains se rendent compte qu’ils sont actionnés ; elle prend plaisir à dominer le tyran Phocas aussi bien par l’exhibition de ses tours passés que par les mystères qu’elle leur conserve encore. Enfin Corneille a mis à profit la situation compliquée qu’il a créée pour permettre à certains actants de se jouer un peu de l’ignorance des autres, ou par des phrases à double entente – que le public s’amusera à déchiffrer a posteriori – ou par l’emploi de termes polyvalents qui équivalent au silence, constituant un piège de plus. Dans cette tragédie, les personnages qui « jouent » les autres, soit à un moment précis, soit en permanence, sont plus nombreux que ceux qui ne jouent personne : en font partie Héraclius, certes, mais aussi Léontine, mais aussi Exupère, mais aussi Phocas, et même Pulchérie enfin, prête à soutenir une imposture pour galvaniser le peuple contre ce tyran et se donner au moins le plaisir de contrarier ses plans : Eudoxe, qui connaît le secret commun de Léontine et Héraclius, semble la seule à ne guère en jouer. De surcroît, un joueur peut être joué par un autre…
44Placés dans des situations bloquées, les personnages d’Héraclius usent parfois de l’ironie : ce jeu sur le langage, qu’affectent particulièrement, semble-t-il, ceux qui ne disposent pas de marge de manœuvre pour agir, constitue pour eux leur unique exercice de liberté, comme le montre Yasmine Loraud en envisageant trois dramaturgies cornéliennes à sujet et personnages graves, d’une indéniable dignité. Elle se demande dans quelle mesure ce jeu langagier particulier peut se révéler compatible avec le sublime alors qu’il « admet une part de dissimulation ». On quitte sans doute alors le domaine du genre tragique « le plus touchant30 » pour entrer dans celui, non moins parfait aux yeux de Corneille, du tragique élégamment défensif, voire agressif en contexte d’injustice. Soulignant la vertu de l’ironie pour réduire la tension tragique, Yasmine Loraud défend l’idée d’un « héros ironique », qui court péril pour sa vie, mais dont la force de sa personnalité se manifeste justement en faisant oublier ce danger, grâce à « sa capacité à se placer au-dessus de l’angoisse tragique » ; le recours à l’ironie ressortit à l’esthétique de l’admiration plutôt qu’à l’esthétique du pathétique. Grâce aux ruses de son langage, notamment la « feinte adhésion à l’univers de croyance » de l’adversaire, un protagoniste peut remporter des victoires, même symboliques, et qui accréditent son image de héros. L’ironie constitue « une forme particulière de joie qui se distingue du bonheur comique en raison de son caractère volontaire, prenant la forme d’un refus assumé de l’accablement ou du désespoir ». Il est néanmoins dans la bouche des méchants, comme l’Arsinoé de Nicomède, des traits d’ironie « pour soi » ; mais ils sont si mal inspirés que ceux qui les remarquent rient de leurs auteurs. Surtout, est défendue dans cet article l’idée que la pratique de l’ironie constituerait « le sublime en mode mineur des héros empêchés et des rois au pouvoir fragile ». Personnage lucide, personnage qui éclaire sur les prétendues vertus qui ne sont qu’apparence, voire les situations mal appréciées, le héros ironique est aussi un personnage prudent, qui reste fidèle à ses valeurs mais qui doit masquer son intention en cas de dégradation de la situation ou quand, une métamorphose s’étant opérée en lui-même, il doit la cacher pour réaliser un plan contraire aux attentes. Il est à noter que l’ironie s’affaiblit au fur et à mesure qu’un véritable pouvoir se reconquiert. Ce jeu constitue donc bien une arme.
45L’étude du jeu dans Sertorius menée par Anissa Jaziri vient en quelque sorte illustrer cette approche. Le héros n’y est pas véritablement empêché, mais il s’agit assurément d’un héros paradoxal : étant âgé, Sertorius ne correspond en aucune façon au héros traditionnel d’une tragédie, qui doit, sinon être jeune, du moins laisser l’impression de l’être. De surcroît, certains personnages de la tragédie soulignent et décrivent les effets que la vieillesse produit sur le général romain, ce qui lui confère une forme de faiblesse. L’importance de son rôle dans la tragédie fait que les inconvénients liés à son âge avancé sont évoqués avec bien plus de détails, parfois cruels, que ceux qui affectent Syphax, ce dernier n’assumant qu’un rôle secondaire dans Sophonisbe. On peut considérer que Corneille s’est fixé une véritable gageure en faisant d’un Sertorius la figure centrale de sa dramaturgie car plusieurs, y compris lui-même, envisagent sa personne de manière peu avantageuse : il s’agissait donc de porter sur la scène l’inattendu, historique, de la force du personnage, de faire vaciller un horizon d’attente pourtant créé avec grand soin. L’article montre la dextérité de Corneille en matière de jeu de construction pour maintenir la dignité de l’édifice tragique alors que le matériau choisi ne semble pas adapté : l’intervention des personnages féminins, l’un d’invention, l’autre transformé dans sa relation au général romain, est à cet égard extrêmement bien imaginée. Ce sont deux belles figures de femmes qui héroïsent un vieillard et imposent une perception valorisante de sa personne en le nimbant de sa gloire militaire et en lui parlant avec franchise, alors que lui-même, par sa lucidité politique et sentimentale, renforce l’effet de leur comportement. Enfin, chacun des quatre principaux personnages présentant une forme de faiblesse objective, Corneille leur prête, en compensation, une remarquable capacité de jouer avec le langage, qu’il s’agisse d’user d’ironie ou de prendre au mot l’interlocuteur. Viriate et Sertorius sont ceux qui s’y entendent le mieux, piégeant ou blessant par leur seule parole. Le jeu cornélien consiste en ce que « La comédie humaine, et la plus familière, se glisse sous la tragédie et la soutient ».
46La réflexion de Cécilia Laurin sur les jeux de provocation de personnages noirs, comme Médée, Cléopâtre, ou Attila, introduit la notion de malaise ludique : il serait procuré dans les dramaturgies cornéliennes les plus sombres et fait « d’une tension subversive, de la gratuité divertissante à la mise en péril sociale et politique de l’univers au sein duquel il surgit ». L’autrice n’hésite pas, pour faire entendre son propos, à recourir à des personnages de l’univers de DC Comics. Dans le corpus qu’elle envisage, le débouché émotif du tour joué n’est ni le sourire ni le rire du spectateur mais son effarement ; le rire sarcastique, qui se donne à entendre au moins dans les mots, est réservé au sombre joker, qui cherche à éliminer ceux qui s’opposent à l’exercice de son pouvoir et il est l’expression d’une supériorité, surtout intellectuelle mais accrue par une puissance politique ou magique, qui se veut écrasante et s’est déjà affirmée dans le jeu lui-même. À lire Cécilia Laurin, on se dit que la Léontine d’Héraclius est leur parente… Les constructions ludiques que les autres articles ont abordées visaient l’obtention d’une pure satisfaction personnelle devant l’étonnement d’autrui, ou une déstabilisation de l’entourage à son propre profit ; les jeux verbaux ont pu faire obtenir une victoire rhétorique à défaut d’une victoire armée, annoncer dans un langage déchiffrable par le seul joueur un triomphe à venir ; dans des jeux plus stratégiques, il s’agissait surtout d’immobiliser un méchant dans une stratégie de défense. En revanche, le jeu de ces personnages noirs ouvre vers le néant…
47En puissant contraste, digne de celui que forment les deux visages de Mômos31, l’article de Séverine Reyrolle montre que, dans Le Berger extravagant, pastorale burlesque de Thomas Corneille, l’auteur cherche à égayer la salle de spectacle par le divertissement participatif que s’offre sur la scène une compagnie de jeunes gens, agréable reflet du public, en entrant dans le jeu d’un roturier, étrange mais instruit, qui se comporte comme si la réalité correspondait à son rêve de romanesque pastoral. Les personnages sont de plus en plus nombreux, dans une structure d’accumulation et d’enchaînement de bons tours, à participer à des scénarios d’illusion et à en inventer, non sans quelques ressources techniques, afin de mieux tromper le faux berger et de mieux s’en moquer. Les bons tours deviennent de moins en moins vraisemblables, dans la mesure où l’imagination ludique de la victime consentante s’emballe et où l’esprit de répartie ludique, accompagné du goût du déguisement qui caractérise les autres acteurs de la pièce, suit avec délices et efficacité son chemin délirant. Ce spectacle apparaît comme annonciateur des comédies-ballets et des comédies mêlées de musique les plus divertissantes.
48La profusion des jeux dans cette pastorale burlesque de Thomas Corneille fait mesurer combien son aîné lui préférait la technique du saupoudrage ludique pour procurer du plaisir aux spectateur. Le jeu ne rythme pas l’action de la même manière chez les deux frères, y compris quand on considère leurs respectives comédies à l’espagnole. Dans le quatrième acte du Triomphe des dames la solennité des personnages-cartes se révèle absolument indissociable de la plaisanterie, et Le Berger extravagant ne vise jamais le sérieux. Pierre Corneille aime au contraire à surprendre, à « réveiller l’attention de l’auditoire32 », notamment quand il l’a portée vers des questions plus graves, à des degrés divers. Dès ses premières comédies, gauchissant la dynamique habituelle des amours difficiles de la comédie, il a manifesté dans « la conversation des honnêtes gens33 » un goût des bons tours qui se jouent soit au sein du couple principal – voir notamment le jeu d’Alidor dans La Place royale – soit au sein du couple secondaire, tel celui que Doris joue à Philandre dans La Veuve, où elle pratique déjà ce jeu des phrases à double entente qui atteindra son apogée dans la tragédie d’Héraclius. Dans son œuvre tragique, notamment à partir de Rodogune, le poète semble avoir mêlé avec de plus en plus de jubilation la réflexion et la gravité à la plaisanterie, dans des proportions variables selon les sujets, son entreprise correspondant assez bien, somme toute, à la visée des jeux de cartes pédagogiques de Desmarets, même si, de la part de Corneille, il ne s’agissait pas d’instruire à proprement parler34.
49Le poète avait au fond fort bien, et très tôt, caractérisé le goût qui s’affirme dans nombre de ses œuvres, quand, en 1633, il avait composé l’Excusatio à l’évêque de Harlay, poème en latin, dans lequel déjà il invoquait les vertus de l’humour (sales) et des personnages qui plaisantent (jocosa), mais surtout la possibilité de les faire figurer dans des tragédies, que symbolisent les cothurnes :
Toutefois ma veine n’est pas consacrée aux seuls jeux et à exciter le rire ; elle ne se tient pas toujours à ces humbles accords : elle mêle assez souvent les cothurnes qui grandissent aux brodequins et elle cherche à plaire en même temps par des aspects opposés. […] La douleur et les soupirs d’Angélique dédaignée n’ont pas moins plu que ton humour, facétieuse Phyllis ; et ceux dont elle a ouvert les bouches épanouies par de larges éclats de rire, versent d’abondantes larmes quand Angélique pleure35.
1 On aura reconnu dans première expression du titre la matière du premier volet de ce diptyque de la revue Corneille présent. La seconde expression correspond à la matière de ce second volet de Corneille : un théâtre où la vie est un jeu, notre introduction visant, entre autres, à constituer une charnière entre ces deux volets.
2 Avertissement « Aux lecteurs » de La Maison des jeux (Paris, Nicholas de Sercy, 1642 ; Genève, Slatkine Reprints, 1977, présentation de Daniel-A. Gajda), non paginé. Voir aussi Sara Harvey, « Jeux d’esprit et de conversation. Entre divertissement et performance collective », dans Jeux, sports et loisirs en France du xvie au xxe siècle, dir. Élisabeth Belmas et Laurent Turcot, Rennes, PUR, 2024, p. 207-216.
3 Ils réunissent à eux tous un grand nombre de détails fournis par exemple dans les gravures d’Abraham Bosse concernant les métiers.
4 Pascale Cugy, « Un nouveau chaînon dans la genèse des Costumes grotesques de la famille Larmessin », Nouvelles de l’estampe [En ligne], 263, 2020, https://doi.org/10.4000/estampe.1416, page consultée le 2 septembre 2025.
5 Lepautre et Bérain, Six costumes grotesques pour l’Opéra, vers 1682, Musée Carnavalet.
6 Nous nous permettons de renvoyer sur ce sujet à l’introduction à notre édition de La Galerie du Palais dans Pierre Corneille, Théâtre, tome I, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 20, 2017, p. 595-776.
7 Nicolas de Larmessin, Costumes grotesques, Paris, chez N. de l’Armessin, 1695. Reproduction en fac simile sous le titre Les costumes grotesques et les métiers, Paris, H. Veyrier, 1974.
8 Expression employée par Corneille dans l’Examen de Mélite (1660).
9 Michel de Pure, en 1668, au chapitre VIII de son Idée des spectacles anciens et nouveaux, donne cette définition de la mascarade, pratiquée depuis le xvie siècle : « C’est un genre de Spectacle, qui ne consiste qu’en une seule et simple représentation. Il n’est pas question de mouvement, comme au Balet, de dextérité comme au Bal, ny de Jeu comme au Carosel. Il ne s’agit que de bien exprimer ce que l’on represente, d’estre vestu & masqué si juste, qu’au premier aspect on reconnoisse ce que vous voulez representer » (voir B. Louvat, « L’Idée des spectacles anciens et nouveaux. Contexte et enjeux d’un texte inclassable », dans Michel de Pure (1620-1690). Abbé polygraphe et galant, dir. Myriam Dufour-Maître, Paris, Classiques Garnier, coll. « Masculin / féminin dans l’Europe moderne », no 30, 2021, p. 111-125).
10 Le Triomphe des dames, comédie meslee d’ornemens, avec l’Explication du Combat à la Barriere, & de toutes les Devises. Par T. Corneille. Représentée par la Trouppe du Roy, établie au Fauxbourg S. Germain, Paris, Ribou, 1676.
11 On ne dispose que de l’argument de la pièce et de quelques extraits chantés.
12 Sylvie Chevalley, « La production du Triomphe des Dames », dans Mélanges historiques et littéraires sur le xviie siècle offerts à Georges Mongredien, Paris, Société d’étude du xviie siècle, p. 377-384.
13 Ballet des cartes à jouer ou Du jeu de piquet : Exécuté devant le roi Charles VII vers 1450, et remis en 1676, le 7 août, au Théâtre Guénégaud, pour servir d’intermède à la Comédie intitulée le Triomphe des dames, par Th. Corneille, manuscrit, s. d., LIV M-90, Bibliothèque-musée de l’Opéra-magasin.
14 Orest Ranum, « Jeux de cartes et instruction du Prince », dans Les jeux à la Renaissance : actes du XXIIIe colloque international d’études, dir. Ph. Ariès, et J-Cl. Margolin, Tours, juillet 1980, Paris, Vrin, 1982, p. 553-562 (p. 555 pour la phrase citée).
15 Desmarets de Saint-Sorlin, « À la reine régente », dédicace des Jeux des cartes des rois de France, des reines renommées, de la géographie et des fables, Paris, Florentin Lambert, 1664, p. [VI].
16 Orest Ranum, art. cité, p. 557.
17 Philippe Palasi, Jeux de cartes et jeux de l’oie héraldiques aux xviie et xviiie siècles. Une pédagogie ludique en France sous l’Ancien Régime, Paris, Picard, 2000, p. 110.
18 [Oronce de Brianville], Abrégé méthodique de l’histoire de France, par la Chronologie, la Généalogie, les Faits mémorables & le Charactère Moral et Politique de tous nos Rois. Ensemble leurs Portraits, enrichis de Symboles et de leurs Armories prises fidelement sur leurs Monnoyes, leurs Seaux & divers autres monumens. Avec leurs veritables devises ; le tout accompagné d’un nouveau Jeu de Cartes de ces mesmes Portraits… Dedié à Monseigneur le Dauphin, Paris, Charles de Sercy, 1664.
19 Avant Ménestrier, le sieur Gauthier publia un Jeu d’armoiries ou les termes du blason sont expliqués et rangés par ordre dedié a Monseigneur le Duc de Bretagne (Paris, Chez Gaspar Duchange, Graveur du Roy, Paris, 1686).
20 Voir Margaret Mc Gohann, « Ménestrier, maître des spectacles au théâtre de forme irrégulière » dans Claude-François Ménestrier. Les jésuites et le monde des images, dir. Gérard Sabatier, Presses universitaires de Grenoble, coll. « La Pierre et l’écrit », 2009, p. 131-143.
21 Claude-François Ménestrier, Jeu de cartes du blason, Lyon, Thomas Almaury, Au Mercure galant, 1692 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10527471x/f9.item, page consultée le 2 septembre 2025.
22 Abrégé, cité, p. 377-378.
23 Ibid., p. 379.
24 Paris, Mariette, 1702.
25 Au xviiie siècle, l’aspect ludique l’emporta franchement sur la pédagogie.
26 La présence de cet esprit de jeu chez Corneille quand il parle en son nom a été admirablement mis en valeur par Nina Ekstein : « La pratique ironique de l’appel à l’autorité dans les péritextes du théâtre de Corneille », dans Pratiques de Corneille, dir. Myriam Dufour-Maître, Mont-Saint-Aignan, PURH, 2012, p. 401-408.
27 Alors que Pierre dépayse les sujets espagnols en les adaptant à la France, et en les situant à Paris et Lyon, Thomas les maintient en Espagne, ce qui les éloigne de la réalité et ouvre la porte à la fantaisie.
28 Sa comédie Les Engagements du hasard (publiée en 1657, mais représentée en 1647) combine les actions respectives de deux comedias ; Les Illustres Ennemis, comédie également, publiée en 1656, combine les actions de trois comedias.
29 « Change », en langue classique, désigne le fait de troquer une chose contre une autre, voire un(e) amant(e) contre un(e) autre amant(e).
30 Corneille, Discours de la tragédie, dans Trois Discours sur le poème dramatique, éd. Bénédicte Louvat et Marc Escola, Paris, GF-Flammarion, 1999, p. 107.
31 Sur les deux visages du dieu Mômos, celui du rire aimable, mais aussi celui de la malignité, on pourra consulter avec grand profit l’étude de Corinne Joanno, « Mômos bifrons. Étude sur la destinée littéraire du dieu du Sarcasme », Revue des Études Grecques, tome 131, fascicule 2, juillet-décembre 2018, p. 521-551.
32 Comme il l’écrit dans la lettre à l’abbé de Pure datée du 6 novembre 1661, à propos des « picoteries » qui, dans Sertorius, émaillent l’entrevue du héros éponyme et de Pompée.
33 Expression employée par Corneille dans l’Examen de Mélite en 1660.
34 Voir ce que Corneille écrit dans l’Épître précédant le texte de La Suite du Menteur concernant l’utilité du théâtre.
35 Notre traduction (avec nos italiques) de « Nec solis addicta jocis risuque movendo, / Semper in exigui carmine vena jacet / Saepius et grandes soccis miscere cothurnos / Et simul oppositis docta placere modis […] / Nec minus Angelicae dolor et suspiria spretae / Quam placuere tui, Phylli jocosa, sales / Et quorum in patulos solvis lata oracachinnos, / Multa his Angelica lacryma flente cadit ». On peut se reporter à notre introduction générale dans Pierre Corneille, Théâtre, tome I, dir. L. Picciola, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français », 20, 2014, notamment p. 25 et 32-33.
Des jeux de compétition et de hasard aux jeux d’esprit et aux bons tours » dans Corneille : un théâtre où la vie est un jeu,
sous la direction de Liliane Picciola
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Revue Corneille présent », n° 4, 2025
URL : https://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/2128.html.
