De pierre et de larmes. Châteaux à vendre, à détruire, à rêver

Le péril imaginaire : construction politique de la ruine chez Jean-Toussaint Merle

Aurore Montesi


Texte intégral

1Il n’est pas une monographie historique du xixe siècle consacrée à Chambord qui ne rende compte de la brutalité avec laquelle le château de François Ier aurait été dévasté à la Révolution. Or, cette construction idéologique repose sur deux partis pris que l’état de nos connaissances aujourd’hui permet de contester. D’une part, Chambord n’a pas été livré à la fureur populaire ; il n’a pas même véritablement couru le danger d’être détruit, n’étant pas considéré par les contemporains comme un symbole fort d’Ancien Régime à abattre. D’autre part, lorsque surviennent les premiers troubles révolutionnaires, le château se trouve déjà depuis longtemps dans une situation d’invisibilité, sinon d’abandon, faute d’avoir reçu la visite d’un souverain depuis plus d’un siècle. N’ayant jamais connu de plénitude d’occupation mais une présence royale ou aristocratique en pointillés, principalement déterminée par l’activité cynégétique saisonnière, Chambord se caractérise par un usage épisodique et temporaire1. C’est par la tradition des chasses et des haras que son caractère de résidence royale subsiste jusqu’au xviiie siècle et à ce titre que le château est sporadiquement remis en état pour accueillir les rois de France, ou bien offert à des hôtes disposés à s’y reclure après avoir été déchargés de toute fonction politique, à l’image de Gaston d’Orléans, de Stanislas Leszczynski, du maréchal de Saxe, ou encore du marquis de Polignac.

2Il est ainsi significatif qu’au lendemain de la Révolution, le ressentiment populaire se focalise sur le parc de Chambord, – d’une superficie de près de 6 000 hectares –, et non sur le château lui-même, eu égard au souvenir des abus qui avaient entouré durant plus de deux cents ans la capitainerie des chasses créée par François Ier2. Les quelques opérations de pillage menées à l’intérieur du château quasi vide de mobilier, si elles nuisent indéniablement à une structure déjà fragilisée par de longues années d’inoccupation, relèvent quant à elles davantage d’actes privés de vandalisme que d’un véritable iconoclasme. Lorsque se pose, par la suite, la question de réemployer ou de mettre en vente l’ancien château royal désormais incorporé au domaine de l’État, ce sont de prosaïques considérations utilitaires et financières qui agitent les décisionnaires. En partie défait de sa portée symbolique, le domaine n’est plus regardé que comme un espace naturel à exploiter et le château, comme un bâtiment parmi d’autres à employer au plus utile. Si décision est prise de conserver le domaine dans son intégrité, ce n’est pas tant par intérêt pour la valeur esthétique, émotionnelle ou historique des lieux, mais principalement parce que la République n’entend pas se priver de la possibilité de faire fructifier un vaste ensemble de terres pour son seul profit.

3Chambord échappe enfin à la vaste opération de mise en conformité républicaine des monuments du territoire national décrétée par l’Assemblée le 14 août 17923. Saisi de la question à l’été 1793, le district de Blois est prié de faire en sorte que soient « détruit[s], supprimé[s] et effacé[s] tous les ornements royaux et signes de féodalité tant en pierre, bois, plombs et fer qui sont en grand nombre, tant à l’extérieur que dans l’intérieur du cy devant château de Chambord4. » C’est à René-Honoré Marie, ancien contrôleur des Bâtiments du roi et architecte attaché au domaine pendant plusieurs décennies, que revient la responsabilité de dresser le devis estimatif des travaux à effectuer. Conscient qu’une telle intervention mutilerait le château de manière irréparable, Marie fait astucieusement valoir la charge financière que celle-ci représenterait pour le trésor public ; ainsi établit-il dans son rapport un recensement circonstancié des ornements de l’édifice, complété par une évaluation du coût précis de chacune des opérations de suppression et de réparation à exécuter5. On ne sait exactement ce qui, du coût exorbitant de l’entreprise ou de la lourdeur de la tâche à accomplir, fit reculer les autorités, toujours est-il que seule l’église communale adjacente fut mise en conformité, pour une somme résolument plus modeste.

4Chambord demeure ainsi l’un des rares domaines royaux à ne pas avoir été morcelé durant la période révolutionnaire et à avoir de surcroît entièrement conservé son décor héraldique. Singularité qui n’a pas manqué de faire l’objet d’une récupération idéologique symptomatique d’un transfert de valeurs durant la Restauration, alors que la perspective d’une aliénation du château et du parc se fait cette fois plus tangible. En 1819, la tristement célèbre Bande noire, une association de spéculateurs qui sillonne le pays dans le dessein d’acheter les châteaux devenus inutiles et de les démolir pour en vendre les matériaux, s’intéresse en effet à Chambord, alors mis en vente par la veuve du maréchal Louis-Alexandre Berthier, auquel Napoléon avait confié dix ans plus tôt le domaine par usufruit. Émoi de nombreux sympathisants royalistes : on argue que le château, bien que vide et fragilisé, a providentiellement survécu au chaos de 1793 et qu’il incombe donc, un quart de siècle plus tard, de le préserver pour « transformer [l’histoire] imposée et subie en action réparatrice6 ». Dans cette optique, une souscription nationale est organisée, afin que le domaine soit offert au jeune Henri d’Artois, dernier descendant de Louis XV, qui vient tout juste de naître7, et que les partisans des Bourbons ont aussitôt accueilli comme la plus belle « “espérance” de la monarchie restaurée et, partant, de la France8 ».

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[Alexis-François] Boyenval (dess.), Frédérique Noël (lith.), Vue du Château de Chambord. Prise du bord de la Rivière du Cosson, Lithographie, 26,4 cm × 38,3 cm, [1825], BnF – département des Estampes et de la Photographie, Recueil. Topographie de la France, « Département du Loir-et-Cher », t. VI : « Chambord », Va 41 H 128 547
© Photo Aurore Montesi

5C’est précisément dans le dessein de valoriser la souscription nationale et le projet de donation de Chambord comme l’assurance d’une perpétuation du meilleur de la monarchie que le feuilletoniste, dramaturge et fervent légitimiste Jean-Toussaint Merle9 publie en 1821 une Description historique et pittoresque du Château de Chambord. Empreint d’allégresse et de confiance en l’avenir, l’ouvrage présente dès les premières lignes la donation du château comme un moment fort de clôture et de conjuration des heures sombres engendrées par 1789 :

L’acquisition du domaine de Chambord, qu’une pensée royaliste vient de disputer et d’enlever à la bande noire, peut être considérée comme une conquête de la Monarchie sur la révolution10.

6Désigné comme enjeu d’une lutte idéologique, le château soustrait au vandalisme destructeur se mue sous la plume de Merle en espace de symbolisation propre à nier l’épisode révolutionnaire en tant que fracture historique : ainsi la fidélité inébranlable des monarchistes aux idéaux et aux souvenirs inscrits dans la pierre triomphe-t-elle du goût de lucre des spéculateurs encore prompts à fondre, plus de vingt-cinq ans après la Terreur, sur les restes de l’Ancien Régime. L’organisation même de l’ouvrage tend par effet d’enjambement à ravaler la période révolutionnaire au statut d’accident de l’histoire ; entre le séjour du maréchal de Saxe, décédé à Chambord en 1750, et la donation de 1821, le devenir du domaine est passé sous silence ainsi qu’une parenthèse douloureuse, vite refermée par le « miracle » de la venue au monde11 d’un nourrisson appelé par la perspective de son règne à renouer la chaîne des temps :

L’histoire de Chambord jusques à la restauration ne nous offriroit plus que des scènes de dévastation et de deuil : la révolution a frappé de sa main de fer le riche héritage des successeurs de François Ier, et la demeure de dix rois est devenue quelques années la proie du vandalisme. Le marteau de la bande noire alloit en atteindre les restes, quand la fleur de lis qui domine les tourelles de ce château a frappé les regards de la France ; la pensée d’un loyal royaliste a suffi pour doter de cet illustre apanage le jeune prince sur lequel reposent les destinées de la monarchie. Il y grandira au milieu des souvenirs de tous les genres de gloire12.

7En confondant en une seule et même violence iconoclaste fièvre révolutionnaire et opérations de spéculation foncière, l’hypotypose introductive a vocation à établir « un rapport constamment ravivé entre le passé et l’émotion13 ». L’acharnement des vandales de tout acabit à défaire Chambord des traces de l’absolutisme tient ainsi lieu de repoussoir à la volonté légitimiste d’inscrire dans la pierre la croyance en une régénérescence de la monarchie : alors que le château, affaibli par ces attaques répétées, s’apprête à recevoir le coup fatal, l’image de la fleur de lys séculaire fièrement dressée au milieu des décombres apparaît comme un signe d’espérance pour tous les cœurs meurtris par la ruine du monde ancien. Symbole trinitaire autant que monarchique, la fleur de lys sommitale est porteuse d’une révélation : la Providence se manifeste à travers elle pour inspirer à un fervent partisan royaliste, – le comte Adrien de Calonne14 –, l’idée de la souscription nationale par laquelle sauver Chambord, lieu « dynastique » à même d’atténuer les blessures du passé, tout en fortifiant les qualités souveraines dont a nécessairement hérité le futur roi de France.

8L’inscription du château dans une perspective historique était précisément l’objet du premier frontispice élaboré par le dessinateur Antoine-Hilaire-Henri Périé de Senovert et le lithographe Godefroy Engelmann pour agrémenter la page de titre de l’édition de 1821. L’unique version lithographiée connue de ce motif, écarté dans l’édition définitive au profit d’un thème plus explicitement lié à la donation de Chambord au duc de Bordeaux15, permet de saisir toute l’originalité de la composition initiale, reposant sur une articulation des plans dans la profondeur propre à suggérer un sentiment de continuité temporelle. La silhouette de la façade nord-ouest du château s’y profile à l’arrière-plan, précédée d’un premier plan composite constitué de fragments d’architecture relatifs au programme iconographique de Chambord, réassemblés ensuite par le dessinateur à la manière d’un « caprice ». Au centre, la grande fleur de lys stylisée sert de point d’appui à un panneau de porte agrémenté du monogramme de François Ier, que côtoie un caisson sculpté orné de l’emblème rayonnant de Louis XIV, lui-même partiellement recouvert de deux frises historiées sur lesquelles on distingue le « F » couronné et la salamandre de François Ier précédant logiquement le chiffre de son fils et successeur, Henri II. À ces éléments s’ajoutent un chapiteau rehaussé des trois croissants de lune entrelacés de Diane de Poitiers, ainsi qu’un élément décoratif relativement indistinct qui pourrait être affilié à l’un des chiffres les plus énigmatiques de François Ier, le « 8 » enlaçant une croix à trois traverses16. Un cul-de-lampe non figuré, une niche concave évoquant les ornementations des parties hautes du château et, enfoui dans l’herbe, un plan du donjon dévoilant en cartouche le nom du Primatice, viennent compléter cet ensemble symbolique. Volontairement déplacé dans l’axe du château, le petit pont de pierre qui enjambe la rivière du Cosson rappelle les liens unissant les illustres propriétaires de Chambord au dernier des Bourbons ; il semble également inviter le futur Henri V à joindre ses propres emblèmes à ceux de ses ancêtres, selon un syncrétisme historique propre à réenraciner le pouvoir d’enchantement du récit monarchique.

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Antoine-Hilaire-Henri Périé de Sénovert (dess.), Godefroy Engelmann (lith.), Étude de frontispice pour une monographie consacrée au château de Chambord, Lithographie, 30,3 cm × 23 cm, [1821], BnF – département des Estampes et de la Photographie, Anecdotes historiques sur le château de Chambord, ZA-569 125 BOITE PET-FOL
© Photo Aurore Montesi

9C’est très probablement cet attachement à la légitimité dynastique et religieuse de la monarchie qui pousse Jean-Toussaint Merle à augmenter sa monographie d’une préface et d’un chapitre inédits en 1832, moins de deux ans après les Trois Glorieuses, alors que le régime de Charles X a chuté et que la rupture entre les Bourbons, exilés en Écosse, et les Orléans, portés au pouvoir en la personne de Louis-Philippe Ier, est officiellement consommée17. Plus sobrement intitulée Chambord, cette seconde édition est composée au moment de l’insurrection républicaine du mois de juin, juste après que la loi du 10 avril a condamné les membres de la famille de Charles X au bannissement perpétuel, ainsi qu’à la déchéance de leurs droits civils :

J’ai écrit ce volume sous le régime exceptionnel de l’état de siège18, mais je déclare que je n’ai voulu faire qu’un ouvrage historique ; c’est une explication que je donne, pour que MM. du parquet ne se croient pas en droit de rattacher l’histoire de Chambord aux événemens des 5 et 6 juin, et qu’il ne leur vienne pas dans l’idée d’y trouver quelque connexité avec l’enterrement du général Lamarque et les barricades de la rue Saint-Martin. […]
Il me reste à expliquer pourquoi j’ai publié dans ce moment une histoire de Chambord. […] Mon opinion, à moi, est que Chambord est un château dont l’histoire est digne d’être conservée ; mais je veux bien aussi m’expliquer sur l’opportunité de la publication, et dire que j’ai cru la trouver dans l’article 3 de la loi du 10 avril 1832, qui oblige les princes proscrits de la branche aînée à vendre d’une manière définitive tous les biens, sans exception, qu’ils possèdent en France. Chambord par suite de cette disposition, court grand risque de tomber dans les mains de la bande noire, et peut-être qu’avant un an le volume que je publie sera le seul souvenir qui en restera19.

10S’il se défend bien d’être animé par un esprit libéral20, Merle n’en met pas moins sa plume au service de l’opposition légitimiste au régime constitutionnel de Louis-Philippe, roi « des Français » ayant commis le « sacrilège » de prêter allégeance à la Charte et au drapeau tricolore21. Conscient que l’arrivée au pouvoir du duc d’Orléans a définitivement enterré la possibilité d’un retour à l’Ancien Régime, l’auteur interprète comme une attaque contre la monarchie traditionnelle les dispositions prises par le nouveau gouvernement visant à déposséder les Bourbons de leur patrimoine. La réitération d’une perspective de destruction moins d’un demi-siècle après le péril révolutionnaire rend plus que jamais nécessaire l’éloge du château de Chambord, « unique monument encore entier du siècle de François Ier […], auquel se rattachent un grand nombre de souvenirs monarchiques22 ». En se proposant d’élever un mémorial de papier à la demeure des rois, Merle entend ainsi réaffirmer la légitimité de la donation par laquelle l’« héritier du royaume de Saint-Louis23 » est rentré en 1821 en possession de l’antique demeure de ses pères24 » et, ce faisant, « prouver [aux doctrinaires de Juillet] que les royalistes sont les seuls qui comprennent l’éclat du trône et la dignité du pays, la puissance royale et les libertés publiques, la légitimité et les franchises nationales, la fidélité au monarque et la gloire de la France25 ».

11Puisque les soubresauts des révolutions politiques, sociales et culturelles qui agitent le siècle ne l’autorisent plus à rêver Chambord en berceau où raffermir le modèle d’une histoire nationale monarchique gouvernée par un principe théocratique26, notre auteur prend le parti de penser le château comme un espace en résistance face à l’éternel retour de la dynamique révolutionnaire. En mettant en scène sous forme de diptyque le séjour effectué à Chambord par le marquis de Polignac, auquel Louis XVI avait confié la gestion du domaine en 178527, Merle fustige la substitution de l’ère chaotique engendrée par 1789 au temps cyclique et sublimé des dernières années de l’Ancien Régime. Dépeintes à la manière d’une pastorale, les quatre années de gouvernance du marquis viennent ainsi clore un long chapitre destiné à valoriser le domaine en tant que haut lieu de la célébration du pouvoir monarchique et de sa persistance ; le second volet, relatif au « bannissement » de Polignac et à la « captation » du domaine par les sans-culottes, inaugure quant à lui un nouveau développement circonscrit à l’histoire de Chambord durant la Révolution.

12Usant de ses talents de chroniqueur et de feuilletoniste, Merle dramatise l’irruption des vandales dans le monument déserté comme sonnant le glas d’une harmonie séculaire dont la continuité était jusqu’alors garantie par la présence du marquis de Polignac, présenté aux pages précédentes comme un honnête homme et bon « père de famille28 », davantage préoccupé par le « bien-être » des villageois placés sous sa protection que par les plaisirs égoïstes de la chasse. À la justice distributive pratiquée par le maître des lieux29 répond la loyauté indéfectible des paysans de Chambord envers leur châtelain : l’annonce des premiers mouvements populaires les amène spontanément à faire bloc autour du représentant du roi pour le protéger et l’implorer de continuer à administrer le domaine « au nom de la nation30 », scène touchante dont le paternalisme bon enfant dissimule toutefois assez mal une réalité plus pragmatique, le marquis ayant très rapidement délégué sa charge à son neveu, qui résidait la plupart du temps à Paris et devait compter parmi les premiers émigrés à quitter la France. Si Merle s’efforce de justifier le départ du marquis, à la date symbolique du « jour des rois31 », par la volonté de couper court à « un commencement de guerre civile » plutôt que par crainte des menaces d’une « bande de mauvais sujets d’Orléans et de Blois [qui] en voulaient à ses jours », c’est sans doute autant pour réhabiliter la famille de Polignac, contre laquelle demeurait dressée une grande partie de l’opinion publique32, que pour dénoncer l’injustice faite quarante ans plus tard aux Bourbons, propriétaires « bien-aimés » de Chambord, eux-mêmes condamnés à l’exil à l’issue d’une autre Révolution.

13Cet effet de parallélisme entre 1789 et 1830 se poursuit quelques lignes plus loin à travers une diatribe virulente contre la propension du pouvoir séculier, en période de troubles politiques, à se réclamer arbitrairement du droit commun afin de s’arroger le patrimoine autrefois dévolu à la Couronne et à la noblesse :

Tous les genres de scandale qui ont affligé la France dès les premières années de la révolution, se retrouvèrent à Chambord, après le départ du marquis de Polignac, qui quitta ce château dans les premiers jours de janvier 1790 ; les patriotes des environs vinrent en prendre possession, et s’y établirent en maîtres. Son riche mobilier était pour eux un objet de convoitise ; ils voulaient, à la faveur du désordre qui régnait partout, s’en partager les débris. On propageait alors l’idée que ce qui appartenait au roi était le bien de la nation, et de cette maxime, vraie au fond, on en concluait que la nation pouvait reprendre son bien là où elle le trouvait. Ce fut avec la loi de 1790 à la main que, dans les premiers jours de l’année suivante, les plus effrontés clubistes des environs se présentèrent à Chambord pour s’en emparer, [abusant ainsi] des anciennes maximes de notre droit public, et les appliquant aux intérêts d’une spoliation particulière […]33.

14En désaccord profond avec le principe d’une nation fondée sur la souveraineté du peuple, la pensée contre-révolutionnaire ne peut que récuser le principe qui consiste à déclarer propriété de tous ce que la Providence avait originellement placé entre les mains d’une minorité choisie. Ainsi l’indignation de Merle face à la tentative de « mise à sac » du château de Chambord modélise-t-elle la défiance naturelle des élites à l’égard des masses populaires, ce « monstre féroce par lequel le désordre éclate34 » : l’emploi de l’italique sur le mot patriotes ironise sur l’esprit civique en vertu duquel certains individus malintentionnés se seraient crus autorisés à forcer les portes d’un monument du domaine public, dans l’intention de faire main basse sur « le mobilier de dix rois […] que l’on avait mis deux cents ans à rassembler35 ». L’emploi idéologiquement connoté du terme « clubiste » laisse entendre que cette saisie révolutionnaire était sans doute moins motivée par l’appât du gain que par la volonté de dénier au monument toute fonction mémorielle, tant il est vrai qu’un château dépossédé des objets par lesquels se perpétue une lignée n’est plus un lieu à même de garantir la continuité du récit historique. En condamnant la dangereuse inversion des valeurs qui sous-tend à ses yeux la législation révolutionnaire, l’auteur s’élève en creux contre les mesures juridiques prises en 1832 à l’encontre des biens des Bourbons par le gouvernement de Juillet, mesures qu’il tient pour une opération non moins odieuse de légalisation du vandalisme36.

15Du récit des mésaventures de Chambord durant la Révolution, Merle entend ainsi tirer un précepte susceptible d’éclairer le présent : les « vrais » patriotes ne sont pas ceux qui mettent en péril l’intégrité et la pérennité de monuments précieux pour l’art comme pour l’histoire, dans le seul but de satisfaire des intérêts politiques, mais ceux qui, tout au contraire, les respectent et les défendent, au regard de leur valeur d’ancienneté et de la charge symbolique dont ils sont les dépositaires. Ceci explique l’intérêt particulier porté par l’auteur au personnage de René-Honoré Marie37, mémoire vive du château dont il oppose le dévouement et l’héroïsme à l’avidité et à la hargne des pillards anonymes brûlant d’assiéger l’ancien palais royal déserté pour s’emparer de ses trésors :

M. Marie, homme probe et courageux, qui était architecte de Chambord depuis soixante ans, s’opposa à ces prétentions stupides, il fit fermer les portes du château, et, secondé par l’intrépidité des gardes-chasses, il en imposa à cette troupe de harpies révolutionnaires, et leur signifia que personne n’entrerait à Chambord qu’en vertu des ordres de l’autorité : on le traita d’aristocrate, on le menaça de la lanterne ; mais ces honnêtes patriotes ne jugèrent pas à propos d’engager une lutte avec des gens habitués à chasser la grosse bête, et se retirèrent en tirant quelques coups de fusils sur la fleur de lis qui couronne le faîte du monument, outrage inutile contre ce symbole monarchique qui semblait défier la rage révolutionnaire38.

16Le trait est manifestement un peu forcé, tant importe de présenter le vieil architecte, entouré des gardes-chasses chargés de l’entretien et de la surveillance du domaine, comme des figures tutélaires luttant de concert pour rassembler les pierres que d’infâmes prédateurs voudraient voir dispersées. Leur résistance organisée est perçue comme un signe fort d’autorité et de permanence établissant qu’en ces lieux, le temps historique n’est pas passé et la modernité, maintenue à distance en-dehors des murs d’enceinte. Précisément parce qu’ils se tiennent retranchés à l’intérieur du château, Marie et ses braves compagnons sont aussitôt déclarés traîtres à la nation, au motif d’avoir épousé la cause de la contre-révolution. L’allusion satirique aux pendaisons à la lanterne, initialement pratiquées place de Grève dans l’intention de conjurer des siècles de supplices prononcés par la justice royale, achève de décrédibiliser la violence par laquelle les masses populaires entendent asseoir leur suprématie vis-à-vis des lois et des corps constitués. Merle en veut pour preuve l’attentat dérisoire perpétré à l’encontre de la grande fleur de lys en pierre de Chambord, contre laquelle les émeutiers se retournent faute d’avoir pu « prendre » l’édifice lui-même. Symbole inversé de la sinistre lanterne brandie par le tribunal du peuple, la fleur de lys est ici chargée par effet de synecdoque de tous les ressentiments éprouvés par les citoyens à l’encontre du pouvoir royal. En chutant, elle serait devenue un trophée attestant d’une victoire contre la tyrannie ; maintenue en place sans avoir seulement vacillé, elle semble au contraire braver les prétentions de la Révolution à renverser le cours de l’histoire.

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Eugène Sadoux, Le Campanile de la Lanterne, Gravure à l’eau-forte, 17 cm × 8,7 cm, 1879. Illustration pour l’ouvrage de Gustave Eyriès et Paul Perret, « Chambord (Loir-et-Cher). À Monseigneur le comte de Chambord », dans Les Châteaux historiques de la France…, Paris / Poitiers, H. Houdin-frères, 1879, t. II, p. 215, planche dans le texte, pl. CXXVII
© Photo Aurore Montesi

17En opposant de manière systématique la majesté et l’immuabilité de la fleur de lys à l’acharnement des masses populaires à vider Chambord de ses meubles et de ses habitants, Merle exhausse le château en symbole de l’Ancien Régime, en même temps qu’il réaffirme sa foi en la constance et en la pureté d’un principe monarchique résolument incompatible avec la radicalité des idéaux révolutionnaires. Ainsi la décision républicaine d’épurer les monuments des attributs de la royauté lui apparaît-elle comme un acte sacrilège visant à faire disparaître la Vieille France de la mémoire des générations nouvelles. L’affaire des emblèmes de 1793 prend dès lors valeur d’exemplum ; en tournant en ridicule l’ambition révolutionnaire de « bûcher » le château de Chambord des ornements dont celui-ci est recouvert, l’auteur veut dénoncer la démagogie à l’œuvre derrière l’obsession de l’« homme nouveau » à s’affranchir des symboles traditionnels de la gloire monarchique :

[En 1793], on envoya un membre du directoire du département pour faire disparaître toutes les fleurs de lis et les insignes de la royauté qui se trouvaient dans les ornemens du château. La mission était importante et surtout difficile à remplir. Les emblêmes et les chiffres royaux couvraient tous les murs, ornaient tous les plafonds, décoraient tous les chapitaux [sic] des pilastres ; les fleurs de lis et les couronnes y étaient semées à profusion, deux ans n’auraient pas suffi pour les détruire, quelle qu’eût été l’ardeur des marteaux républicains ; si ce projet eût été exécuté, des chefs-d’œuvre de sculpture, l’honneur du seizième siècle, eussent été anéantis ; ce fut encore à M. Marie qu’on en dut la conservation. Chargé de faire un devis des dépenses de cette profanation, il en évalua les frais à plus de cent mille francs39, l’enlèvement seul de la fleur de lis qui couronne la grande lanterne de la terrasse aurait coûté plus de quarante mille francs ; cette somme effraya le Domaine, et la fleur royale fut encore sauvée : frappée chaque jour par les rayons du soleil elle apparut au loin, pendant tout le temps de la révolution, comme un météore brillant se détachant sur l’azur du ciel40.

18« Lieu privilégié de l’expression de l’emblématique royale41 », Chambord apparaît ici comme un grand corps stratifié par des siècles de permanence monarchique et de savoir-faire artistique. Là où le respect de la tradition devrait naturellement s’imposer, Merle déplore un sentiment d’aversion frisant l’aveuglement : en s’obstinant à détruire les « fondements matériels de son histoire42 », les citoyens n’œuvrent pas, ainsi qu’ils le prétendent, à régénérer le corps social, ils l’amputent au contraire irrémédiablement d’une part de son identité. A contrario de cette agitation stérile, René-Honoré Marie fait quant à lui œuvre civique en soustrayant une fois de plus le château à la furie populaire ; l’auteur le désigne comme une figure de conservateur éclairé avant la lettre défendant avec conviction l’idée que les monuments du passé doivent être préservés en tant que livres d’histoire « où se forgent les souvenirs communs nécessaires à la nation43 ». Telle est aussi la fonction de la fleur de lys « rayonnante » : rassembler les partisans royalistes autour d’un socle de valeurs ancestrales susceptibles « d’apporter de la lumière dans l’opacité de ce passé proche44 » dont le poids pèse désormais sur le destin des hommes.

19La relecture de cet épisode de l’histoire de Chambord durant la Révolution resterait anecdotique si elle ne faisait directement écho au présent de l’écriture. En stigmatisant l’inconséquence avec laquelle le gouvernement de Juillet traite l’un des monuments les plus emblématiques de la continuité monarchique, Merle accuse 1832 de poursuivre l’œuvre de destruction de 1793. La vision finale d’apocalypse à travers laquelle l’auteur prédit la mutilation et la dispersion du château, également soumis à la perspective humiliante d’une conversion, modélise un vertige éminemment moderne de la vitesse et de la fragmentation, vertige qui est aussi celui d’un monarchiste face au constat de la désunion progressive des Français avec l’ancienne royauté :

[…] ainsi Chambord va être vendu, il sera abattu, démoli, personne en France n’est ni assez grand, ni assez noble, pour habiter cette demeure immense de souvenirs ; sa destinée comme demeure royale est terminée, ses dômes, ses tours, ses terrasses, ses campanilles seront renversés, ses riches et précieuses sculptures disparaîtront sous le marteau, ses pierres dispersées serviront à bâtir une prison, une caserne, un dépôt de mendicité ou un hôtel de préfecture, quelque parvenu de juillet viendra chasser dans les taillis de François Ier et abbatra [sic] les chaumières, où vivaient si heureuses depuis des siècles tant de familles sous la protection du donjon royal. Mais peut-être aussi que la Providence conservera sa protection à ce monument national, qu’elle ne voudra pas, qu’après avoir fait pendant trois siècles l’admiration de l’Europe, il disparaisse honteusement du sol, sous le marteau d’un vandale. Espérons aussi que sa justice ne permettra pas que l’héritier de tant de rois finisse languissamment ses jours dans les vieilles tourelles d’HolyRood45.

Notes

1 Rendez-vous de chasse occupé de façon très intermittente, voire inutilisé par certains souverains, Chambord accueille principalement les courts séjours cynégétiques de François Ier, Henri II, et Louis XIV.

2 Monique Chatenet, Chambord, Paris, Monum-Éditions du patrimoine, 2013 (2001), p. 193 : « La prise de la Bastille se répercute ironiquement à Chambord par la multiplication soudaine des brèches dans les murs du parc : [villageois et braconniers] réinvestissent un espace dont leurs lointains ancêtres avaient si difficilement accepté d’être privés [;] les grands animaux [sont] décimés, les arbres abattus ou ravagés par le pacage des troupeaux. »

3 Dans l’effervescence provoquée par les événements sanglants du 10 août, l’Assemblée nationale législative promulgue un décret ordonnant la mise en conformité républicaine de tous les monuments du territoire national « susceptibles de rappeler la féodalité ». Selon les dispositions indiquées par l’article premier, « toutes les statues, bas-reliefs, inscriptions et autres monuments en bronze et en toute autre matière élevés sur les places publiques, temples, jardins, parcs et dépendance, maisons nationales, même dans celles qui étaient réservées à la jouissance du roi, [doivent être] enlevés à la diligence des représentants des communes, qui veilleront à leur conservation provisoire. »

4 Procès-verbal établi par René-Honoré Marie et Jacques Guillon, Archives départementales du Loir-et-Cher, Q (1re partie) 1031, 24 brumaire An ii (14 novembre 1793), cité par J.-P.-J.-B. Raymond, « Chambord. Le Domaine après la dispersion du mobilier du château (ii) », La Nouvelle Revue, no 584, t. CXXXXVI, 1er décembre 1936, p. 208.

5 Les frais prévisionnels de l’ensemble des travaux auraient été estimés à 5 103 livres ; on trouve aussi parfois le chiffre de 5 171 livres.

6 Emmanuel de Waresquiel, « Le “chambordisme”, un romantisme du désespoir », dans Les Lys et la République. Henri, comte de Chambord. 1820-1883, dir. E. de Waresquiel, Paris, Tallandier / Domaine national de Chambord, 2015, p. 14.

7 Henri-Charles-Ferdinand-Marie-Dieudonné d’Artois (29 septembre 1820-24 août 1883), duc de Bordeaux, comte de Chambord (à partir de 1839), prétendant à la couronne de France sous le nom de « Henri V ».

8 Andrew J. Counter, « La naissance du duc de Bordeaux, ou la Restauration s’attendrit », Romantisme. Sodome et Gomorrhe, no 159, 2013, p. 109.

9 Un temps employé au ministère de l’Intérieur, Jean-Toussaint Merle (1782-1852) fait son entrée dans les lettres vers 1808. Il publie de nombreux articles pour le compte du Mercure de France et de la Gazette de France, tout en rédigeant durant plusieurs décennies le feuilleton dramatique de La Quotidienne. Directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin de 1822 à 1826, il publie plus d’une centaine de pièces, écrites pour la plupart en collaboration et jouées aux théâtres du Vaudeville et des Variétés. Fervent légitimiste, il proclame « un attachement inviolable » à la duchesse de Berry et à son fils, le duc de Bordeaux. En 1821, Merle passe une quinzaine de jours à Chambord et s’emploie, dans une lettre en date du 6 mars, à rendre compte « de l’état où se trouve le château » afin d’apporter son fraternel concours à la commission chargée de l’acquisition du domaine et de sa donation, « au nom de la France, à S.A.R. monseigneur le duc de Bordeaux ».

10 Jean-Toussaint Merle, Antoine Hilaire Henri Périé, Description historique et pittoresque du Château de Chambord : offert par la France À S.A.R. Mgr. le Duc de Bordeaux. Dédiée aux communes de France…, Paris, P. Didot l’aîné, 1821, p. 1 du bordereau de présentation de l’ouvrage en vue de sa vente en deux livraisons par souscription.

11 Henri d’Artois naît sept mois après l’assassinat de son père, Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry, poignardé dans la nuit du 13 au 14 février 1820 par le bonapartiste Louvel.

12 J.-T. Merle, « Anecdotes historiques sur le château de Chambord », dans op. cit., p. 32-33.

13 Daniel Fabre, « Le patrimoine porté par l’émotion », dans Émotions patrimoniales, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France. Cahiers », 2013, p. 29.

14 Adrien-Marie-François comte de Calonne (1783-1846), fourrier des logis de la Maison du roi et fervent légitimiste.

15 En dépouillant, au sein des collections du département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France, le dossier monographique consacré au dessinateur Antoine-Hilaire-Henri Périé, nous avons trouvé une pochette dans laquelle figurait un exemplaire incomplet de l’édition de 1821, probablement un brochage d’éditeur dont les feuillets auraient été dispersés au moment de procéder à la reliure. Toutes les planches rassemblées dans le dossier portaient en bas à droite le timbre d’Achille Devéria et présentaient la particularité d’avoir été raccourcies au format dont l’illustrateur et conservateur du département des Estampes avait l’habitude d’user pour classer les documents relatifs à sa collection personnelle. L’un de ces feuillets, imprimé sur papier teinté, présentait en-dessous du titre tronqué de l’ouvrage une étude de frontispice inédite portant la double signature de Périé et Engelmann. Nous avons rapproché cette lithographie d’une mention portée dans le bordereau de présentation de l’édition de 1821 ; sans doute rédigé préalablement à la publication de l’ouvrage, celui-ci annonçait en page de titre un « Frontispice composé de détails d’architecture du Château », de toute évidence fort différent du frontispice retenu pour l’édition définitive. Nous avons donc émis l’hypothèse que ce motif correspondait au projet de frontispice initialement réalisé par le duo d’artistes pour la présente édition. Sans doute Jean-Toussaint Merle a-t-il tardivement fait le choix de privilégier une vignette rendant hommage aux communes de France auxquelles son ouvrage est dédié. Le frontispice retenu pour l’édition de 1821 a fait l’objet d’un retirage par Fonrouge en 1832, décrit comme suit au no 10702 de l’Inventaire De Vinck : « “C’est sur son berceau que nous lui jurons amour et dévouement.” Allégorie : des petits génies ailés tenant des drapeaux aux noms des villes de France entourent le trône où est assis le duc de Bordeaux ; l’un d’eux lui présente le plan du château de Chambord […]. »

16 On ne le retrouve en effet que sur une poignée d’objets ayant appartenu au roi de France (l’épée de Pavie, une paire d’étriers, une médaille) et sur le décor d’un seul de ses châteaux, Chambord.

17 À l’issue des journées sanglantes des 27, 28 et 29 juillet 1830, Charles X, réfugié à Rambouillet, est contraint d’abdiquer ; il parvient à convaincre son fils, le duc d’Angoulême, de renoncer lui-même au trône en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux, qui règnerait sous le nom de Henri V. Le décret promulgué par Louis-Philippe annonçant l’abdication de Charles X et du Dauphin omet toutefois de mentionner l’avènement de Henri V. Constatant la vacance du trône, la Chambre des députés propose à Louis-Philippe, le 7 août 1830, le titre de « roi des Français », initiative soutenue par la Chambre des pairs. Dès lors, les royalistes se divisent : d’un côté, les légitimistes soutiennent l’héritier de la branche aînée des Bourbons, de l’autre, les orléanistes prennent le parti du nouveau souverain. C’est le début de la monarchie de Juillet et d’un long exil pour la famille des Bourbons, qui débarque sur le sol anglais avec l’accord de la couronne britannique pour résider un temps au château de Lulworth ; Charles X y rédige une nouvelle lettre d’abdication en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux, dans laquelle il annule la nomination de Louis-Philippe comme régent du royaume et le désigne comme usurpateur. La petite cour s’installe ensuite à Holyrood, ancienne demeure des souverains d’Écosse située à proximité d’Édimbourg, où elle demeure jusqu’en septembre 1832.

18 Le 1er juin 1832, le général Lamarque, ancien soldat de la Révolution et de l’Empire devenu populaire par son opposition au régime de Louis-Philippe, décède de l’épidémie de choléra qui sévit à Paris. Le cortège organisé le 5 juin pour ses funérailles est l’occasion pour les Républicains de prendre les armes et de tenter de renverser le gouvernement. La moitié Est de la capitale se couvre de nouvelles barricades, confirmant la réappropriation de l’espace de la rue comme lieu principal de la mise en scène du corps politique. Les combats, désordonnés, se poursuivent durant deux jours, jusqu’à la progressive reprise en mains de la situation par les forces de l’ordre.

19 Jean-Toussaint Merle, « Avertissement », dans Chambord, Paris, Urbain Canel, 1832, p. i-ii.

20 Non sans une pointe de sarcasme, l’auteur assure quelques lignes plus loin ses lecteurs de « toute [sa] soumission au gouvernement actuel. »

21 Patrick Berthier, « L’Ancien Régime de Balzac », dans Le Lys recomposé. La représentation des pouvoirs sous l’Ancien Régime dans la littérature fictionnelle du xixsiècle (1800-1850), Actes du colloque organisé à l’Université de Rouen en mars 2018, publiés par Laurent Angard, Guillaume Cousin, et Blandine Poirier, Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », no 22, 2019, URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=665 : « Il importe en effet de ramener la France vers la monarchie, car la cour citoyenne issue de Juillet ne mérite pas d’être appelée ainsi, elle dont le roi embourgeoisé a définitivement abandonné la notion de droit divin, et retiré ainsi au catholicisme son rôle de garant de la stabilité morale et sociale. »

22 J.-T. Merle, « Souscription nationale pour l’acquisition de Chambord », dans op. cit., p. 152 et 154.

23 Ibid., p. 109.

24 Ibid., p. 151.

25 J.-T. Merle, « Avertissement », dans op. cit., p. vii.

26 Ibid., p. viii-ix : « Nous vivons à une époque où il n’est plus permis de dissimuler les fautes du passé, il faut les signaler pour qu’elles servent de leçon pour l’avenir. [Un grand événement a] eu lieu pendant la restauration, [il] était d’un immense intérêt pour la monarchie : La naissance du duc de Bordeaux […] assurait la perpétuité de la race de Saint-Louis. […] Alors toutes les espérances criminelles étaient renversées, toutes les combinaisons révolutionnaires étaient détruites ; mais le mauvais génie de la restauration a trouvé moyen de rendre presque stérile [ce bienfait] de la Providence. »

27 Comte Jean-Nicolas Dufort de Cheverny, « Chapitre xv », dans Mémoires [1795-1802], éd. Pierre-André Weber, Paris, Les Amis de l’histoire, coll. « Mémoires pittoresques et libertins », t. II, 1970, p. 50 : « La maison Polignac, tout[e] puissante à la cour par la faveur de la reine [Marie-Antoinette], cherchait depuis longtemps une possession qui pût la mettre à l’abri des événements. Ils jetèrent les yeux sur le domaine de Chambord, mais il fallait un prétexte, et l’on proposa au roi d’en faire un haras. »

28 J.-T. Merle, « Anecdotes historiques sur le château de Chambord », dans op. cit., p. 82-83.

29 Ibid. : « [Le marquis] dépensait tous les revenus de sa place en bonnes œuvres. Les gardes avaient l’ordre de ne pas trop tourmenter les fermiers qui cherchaient à se défendre contre le gibier : il disait souvent quand on venait lui faire quelque rapport contre les braconniers : Si c’est par besoin, qu’ils braconnent, fermez les yeux, laissez-leur cette ressource ; si ce sont des fermiers, qui tuent les lapins, laissez-les leur manger en buvant à la santé du roi, je leur pardonne ; le roi en trouvera toujours assez, s’il lui prend fantaisie de venir chasser à Chambord. »

30 Ibid., p. 83.

31 Les citations suivantes sont extraites de J.-T. Merle, « Chambord pendant la Révolution », dans op. cit., p. 88.

32 J.-T. Merle, « Anecdotes historiques sur le château de Chambord », dans op. cit., p. 83 : « Le marquis de Polignac possédait toutes les vertus héréditaires de sa maison : de l’honneur, de la probité, une bienfaisance sans bornes, un dévoûment héroïque et une noblesse de caractère aussi admirable dans la haute fortune que dans la plus profonde adversité, c’est ce qu’on retrouve chez tous les Polignac, et ce qu’on a toujours remarqué en eux, dans les montagnes du Vivarais comme au fond des déserts de l’Ukraine, depuis le château des Tuileries jusque dans les cachots de Ham. » Cette parenthèse hagiographique n’est pas sans intention, la disgrâce des époux Polignac après la prise de la Bastille trouvant un écho durant les Trois Glorieuses de Juillet avec le renversement du gouvernement formé par leur fils, le prince Jules-Auguste-Armand-Marie de Polignac (1780-1847), président du Conseil sous Charles X ; c’est d’ailleurs précisément au fort de Ham, dont il s’était déjà échappé en 1814, que le prince est de nouveau emprisonné le 21 décembre 1830, après avoir été condamné à la détention perpétuelle et à la mort civile.

33 J.-T. Merle, « Chambord pendant la Révolution », dans op. cit., p. 87-88.

34 Catherine Thomas-Ripault, « Les Lumières jugées à l’aune de la Révolution », dans Le Mythe du xviiie siècle au xixe siècle (1830-1860), Paris, Honoré Champion, « Romantismes et modernités », 2003, p. 118.

35 J.-T. Merle, « Chambord pendant la Révolution », dans op. cit., p. 91 et 92.

36 La conclusion de l’ouvrage ne laisse aucun doute à ce sujet ; voir J.-T. Merle, « Souscription pour l’acquisition de Chambord », dans op. cit., p. 204 : « Au milieu des graves événemens qui nous pressent depuis deux ans, à peine [le nom de Chambord] a-t-il été prononcé une seule fois, et cette fois on s’en est occupé pour faire entendre un vœu de confiscation, on en eût dépouillé le duc de Bordeaux si on n’eût pas craint que cent mille voix ne s’élevassent de tous les coins de la France pour réclamer contre cette énormité révolutionnaire. On s’est borné à exiger que le pauvre orphelin vendît à la criée le patrimoine de ses ancêtres, et on a consenti à ce que le prix de la vente lui en fût payé sur la terre étrangère. »

37 Merle précise avoir rencontré Marie en 1821 alors que celui-ci était devenu maire de la commune de Chambord (11 mai 1811-1er juin 1828), fonctions qui lui avaient déjà été dévolues une première fois entre le 2 décembre 1792 et le 17 germinal An iii (6 avril 1795).

38 J.-T. Merle, « Chambord pendant la Révolution », dans op. cit., p. 89-90.

39 On remarquera au passage que l’auteur amplifie le coût des travaux pour accentuer l’impression que le bâti disparaît sous la concrétion des emblèmes royaux.

40 Ibid., p. 93.

41 Thibaud Fourrier, François Parot, « L’iconographie de Chambord et l’emblématique de François ier », dans Réforme, Humanisme, Renaissance. Cahier François Ier, dir. Véronique Duché-Gavet, Gilles Polizzi, Trung Tran, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, Association d’études sur la Renaissance, l’Humanisme et la Réforme, no 79, 2014, p. 226.

42 Françoise Choay, L’Allégorie du patrimoine, Paris, Seuil, « La couleur des idées », 1999 (1992), p. 84.

43 Françoise Mélonio, « La culture comme héritage », dans Antoine de Baecque, Françoise Mélonio (dir.) Histoire culturelle de la France. 3. Lumières et liberté. Les xviiiet xixsiècles, dir. J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », 2005 (1998), p. 93. p. 310.

44 Sophie-Anne Leterrier, Le xixe siècle historien : anthologie raisonnée, Paris, Belin, « Belin sup histoire », 1997, p. 19.

45 J.-T. Merle, « Souscription pour l’acquisition de Chambord », dans op. cit., p. 204.

Pour citer ce document

Aurore Montesi, « Le péril imaginaire : construction politique de la ruine chez Jean-Toussaint Merle » dans De pierre et de larmes. Châteaux à vendre, à détruire, à rêver,

Actes de la journée d’études organisée au château de Monte-Cristo en février 2022, publiés par Guillaume Cousin et Florence Fix

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude », n° 28, 2022

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