Julie, Suzanne et les arts

Actes de la journée organisée à l'université de Rouen dans le cadre du programme d’agrégation (Diderot, La Religieuse et Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse), en novembre 2022, publiés par Karine Abiven, Floriane Daguisé, Judith le Blanc et Laurence Macé

Julie, Suzanne et les arts

Julie, Suzanne et les arts

Présentation du dossier Julie, Suzanne et les arts

Floriane Daguisé


Texte intégral

1Ce dossier présente quelques textes issus de la journée d’étude « Julie, Suzanne et les arts » qui s’est tenue le 9 novembre 2022 à l’Université de Rouen : certains sont tirés de communications, d’autres sont des entretiens liés aux tables rondes ou au spectacle qui a clos la journée, Derrière les murs du couvent, proposé par Judith le Blanc.

2Si le programme d’agrégation autorisait à la mise en relation de La Religieuse et de La Nouvelle Héloïse, c’est surtout, plus intimement, les effets d’échos, de proximité et de distance à la lecture des deux textes qui peuvent interpeler, interroger, et ainsi légitimer sinon inviter à faire dialoguer ces deux romans. Formellement, on pourra souligner la nature ou la genèse épistolaire des deux œuvres ; on pourra envisager ce que la polyphonie ou la monodie – qui n’a rien d’univoque d’ailleurs – implique de projection empathique et de distance critique chez le lecteur ultime, un lecteur mis face à deux œuvres qu’on a pu qualifier de romans des Lumières dont les part d’ombres fondent aussi l’intérêt miroitant.

3Plus spécifiquement encore, La Religieuse et La Nouvelle Héloïse mettent deux héroïnes au centre de leur dramaturgie et au fronton de la journée d’étude qui leur a été consacrée. Julie et Suzanne partagent certains traits, cette aimantation notamment, cet attachement qu’elles ont le pouvoir de susciter, à dessein ou à leur corps défendant. Mais leurs écarts ne sont pas moins révélateurs de la force et de l’originalité de leur trajectoire fictionnelle, ce qu’a pu récemment mettre en avant l’ouvrage de Florence Dujour1. La singularité de ces deux figures romanesques, a fortiori de ces œuvres romanesques, s’affirme sur fond analogique. Pierre Chartier est sensible à cette démarche en indiquant que « La Religieuse est un roman du retrait par défaut, Suzanne une victime qui, différemment de Julie, n’a pas la même liberté de choisir, dans la douleur certes mais de toute son âme, un renoncement nécessaire et intenable2 ». Pour contestable ou contextualisable que soit une telle perspective, bien trop sommairement rapportée ici, elle n’en manifeste pas moins que penser Julie avec Suzanne, ou penser Suzanne contre Julie permet de faire surgir et de rendre plus sensibles encore des lignes de force et d’analyse, dans une sorte d’herméneutique intertextuelle à laquelle conviait aussi cette journée.

4De ce point de vue, la thématique des arts permettait de faire résonner ces deux œuvres l’une en regard de l’autre. Sur le plan visuel, les deux romans accusent la puissance de l’image, par l’établissement rousseauiste d’un programme illustratif littéralement inédit, par le séquençage en tableaux de La Religieuse de Diderot – dont l’héroïne invite, par son nom même, à la contemplation picturale… et plus tard cinématographique. On pense aussi à la présence de portraits dans les deux textes, des portraits dont la mise en miroir encourage à confronter la qualité de « talisman3 », la valeur de truchement ou la portée érotique de tels objets associant l’art à l’intimité. La dimension musicale des œuvres, qu’elle tienne à la poétique ou à la présence dramatique, offre également des conjonctions ou des contrepoints féconds. De Clarens à Arpajon, le clavecin donne l’occasion de mains observées, serrées, baisées (celle de Suzanne, celle de Claire) ; les chants (« vado a morir, ben mio », « Tristes apprêts, pâles flambeaux ») donnent la mesure de la porosité des sentiments, de la porosité des répertoires aussi, ceux de l’opéra qui pénètrent les couvents comme le spectacle Derrière les murs du couvent l’a fait entendre et chanter. Dans La Religieuse et La Nouvelle Héloïse, les arts apparaissent ainsi comme les dépositaires, les intermédiaires ou les faussaires des passions et de leur mise en fiction.

5Les textes qui viendront progressivement composer ce dossier témoignent de ces différentes perspectives ; de l’analyse stylistique à l’adaptation cinématographique, se dessine un troublant tableau de voix et d’images dont Julie et Suzanne sont à la fois les prédicatrices et les actrices.

Notes

1 Florence Dujour, Le Fil de Marianne. Narrer au féminin, de Villedieu à Diderot, Paris, Classique Garnier, 2021.

2 Pierre Chartier, Vies de Diderot, vol. 1, L’École du persiflage, Paris, Herman, 2012, p. 485.

3 Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, éd. É. Leborgne et F. Lotterie, Paris, GF Flammarion, 2018, II, 21, p. 319.

Pour citer ce document

Floriane Daguisé, « Présentation du dossier Julie, Suzanne et les arts » dans Julie, Suzanne et les arts,

Actes de la journée organisée à l'université de Rouen dans le cadre du programme d’agrégation (Diderot, La Religieuse et Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse), en novembre 2022, publiés par Karine Abiven, Floriane Daguisé, Judith le Blanc et Laurence Macé

© Publications numériques du CÉRÉdI, « Séminaires de recherche », n° 17, 2023

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1320.

Quelques mots à propos de :  Floriane Daguisé

Université de Rouen Normandie
CÉRÉdI – UR 3229