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Julie, Suzanne et les arts
Actes de la journée organisée à l'université de Rouen dans le cadre du programme d’agrégation (Diderot, La Religieuse et Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse), en novembre 2022, publiés par Karine Abiven, Floriane Daguisé, Judith le Blanc et Laurence Macé
- Floriane Daguisé Présentation du dossier Julie, Suzanne et les arts
- Clara de Courson Timbrer la page : génétique et stylistique des guillemets de relief énonciatif dans La Religieuse et La Nouvelle Héloïse
- Marc Buffat Entretien autour de l’adaptation cinématographique de La Religieuse
- J. le Blanc, F. Daguisé et L. Macé De La Religieuse au Couvent
Entretien avec Judith le Blanc mené par Floriane Daguisé et Laurence Macé, autour de Derrière les murs du couvent, opéra-comique lointainement inspiré par La Religieuse de Diderot et dédié par-delà les siècles à Suzanne Simonin
Julie, Suzanne et les arts
Timbrer la page : génétique et stylistique des guillemets de relief énonciatif dans La Religieuse et La Nouvelle Héloïse
Clara de Courson
1Jusqu’au xviiie siècle, la signalisation et l’attribution du discours direct s’adossent bien moins à la ponctuation énonciative qu’à des ressources proprement linguistiques : les procédures de rubrication médiévales1 enfantent les incises de discours qui abondent dans les fictions d’Ancien Régime et y opèrent la sélection de l’énonciateur2. À l’aube des Lumières, c’est encore « la citation et non le discours direct qui fait l’objet d’une différenciation typographique3 » : suppléant la coûteuse casse italique, les guillemets sont avant tout des marqueurs d’authentification textuelle4 . En 1757, l’article « Guillemet » de l’Encyclopédie associe toujours ces signes à la transcription d’énoncés écrits et remarquables, plutôt qu’à la prise en charge scripturale des discours fictionnels : « c’est le nom d’une espece de caractere […] dont on se sert pour annoncer au lecteur que ce qu’il va lire, est tiré d’un autre auteur que celui qu’il lit5. » L’hétérogénéité énonciative s’assortit, par l’entremise des guillemets, d’un caractère d’authenticité.
2Pour bien implantés qu’ils soient dans les usages au début du xviiie siècle, les guillemets ne se sont donc pas encore spécialisés dans la gestion du discours fictionnel. À en croire Vivienne Mylne, l’émergence de ces ponctuants dans les corpus narratifs de langue française s’intensifie nettement à partir de 17506. Si l’on peut observer un marquage précoce et prononcé du discours direct dans certains imprimés au début du siècle7, ce sont surtout ses dernières décennies qui en étendent l’usage : entre les romans de Prévost, où le discours direct est typographiquement fondu dans la narration, et l’édition originale des Liaisons dangereuses8, où il est systématiquement encadré de guillemets au long, une génération de typographes est passée, modifiant en profondeur la valeur et le traitement de la parole fictionnelle.
3Loin du marquage ostensible et normalisé qu’instituera le xixe siècle (combinant guillemets, tiret cadratin et alinéation), le guillemetage des discours est porteur d’une charge expressive dans les romans du xviiie siècle : ces « indicateurs graphiques d’énonciation9 » confèrent un relief singulier à l’énoncé qu’ils escortent. Dans l’immense majorité des cas, il est toutefois imprudent d’en attribuer la responsabilité à l’instance auctoriale, et non aux typographes : dans les corpus d’Ancien Régime où elle varie souvent d’une édition à l’autre, la ponctuation renseigne davantage sur l’histoire des pratiques scripturales que sur des usages stylistiques individuels10. Tout rares qu’ils soient au xviiie siècle11, les manuscrits autographes permettent de reconnaître derrière les faits ponctuants une intention d’auteur : c’est tout le prix des dossiers génétiques, exceptionnellement fournis, de La Nouvelle Héloïse et de La Religieuse. L’usage des guillemets y est aussi singulier que signifiant. Rousseau et Diderot contournent l’alternative offerte aux romanciers des Lumières en manière de ponctuation énonciative : s’en départir tout à fait ou bien les déployer de manière homogène à l’entour des énoncés rapportés au discours direct – la seconde option supplantant graduellement la première au fil du siècle12. Tout au contraire, les guillemets de La Nouvelle Héloïse et de La Religieuse isolent des séquences choisies, auxquelles ils confèrent un relief énonciatif saisissant.
Porter la voix : La Nouvelle Héloïse
4Le dossier génétique de La Nouvelle Héloïse compte parmi les plus fascinants que l’Ancien Régime nous ait conservés13. Il se compose d’une série d’autographes, qui permettent de suivre de très près l’élaboration du roman. Certains manuscrits présentent ses « états préparatoires14 » – un brouillon (également appelé première rédaction par les rousseauistes), une mise au net assortie de nombreuses retouches ; d’autres concernent la « communication de l’œuvre15 » : ainsi des deux copies calligraphiées, respectivement destinées à Sophie d’Houdetot et à la Maréchale de Luxembourg. S’y ajoutent un manuscrit d’imprimeur (la Copie Rey), cas rarissime à une époque où ce type de document est détruit après impression, et diverses corrections autographes portées sur des exemplaires imprimés16.
5Si l’on excepte le cas des insertions épistolaires, conventionnellement guillemetées17 ou italicisées18 dans le roman d’Ancien Régime, seul un échantillon restreint de discours directs fait l’objet, dans La Nouvelle Héloïse, d’un marquage graphique. Le recours aux italiques et aux guillemets apparaît aussi économe que délibéré ; les divers manuscrits composant le dossier génétique sont extrêmement convergents sur ce point. De quelle valeur la ponctuation énonciative est-elle porteuse ? Dans un article consacré aux chimères ponctuationnelles de Rousseau, Yannick Seité estime qu’« [à] la différence des guillemets qui rapportent, sans accent mais exactement, le contenu verbal du discours d’autrui », l’italique « réussit l’impossible d’écrire les sons19 ». À lire de près les discours guillemetés de La Nouvelle Héloïse, l’argument20 paraît peu recevable, tant la voix haut portée est activement associée à ces ponctuants. Les guillemets traversent le roman à la manière de porte-voix du discours : ils encadrent le plus souvent des énoncés solennels et publics, qui conduisent naturellement les locuteurs à hausser le ton. C’est le cas de l’imprécation de Claire devant la dépouille de Julie (annexes 1 et 221) : « s’approchant du lit, elle baisa le voile, en couvrit en pleurant la face de son amie, et s’écria d’une voix éclatante : “Maudite soit l’indigne main qui jamais lèvera ce voile ! maudit soit l’œil impie qui verra ce visage défiguré !” » (NH22, p. 860) mais aussi, plus tôt dans le roman, du discours de Milord Édouard rétractant l’offense qu’il avait faite à Saint-Preux. La ponctuation énonciative orchestre un contraste graphique entre l’aparté avec Saint-Preux, non guillemeté, et le discours à haute voix, guillemeté (annexe 323) :
Surpris de cette visite imprévue, j’attendais en silence ce qu’elle devait produire, quand Édouard m’a prié de lui donner un moment d’audience, et de le laisser agir et parler sans l’interrompre. Je vous en demande, a-t-il dit, votre parole ; la présence de ces Messieurs, qui sont de vos amis, doit vous répondre que vous ne l’engagez pas indiscrètement. Je l’ai promis sans balancer ; à peine avais-je achevé que j’ai vu avec l’étonnement que tu peux concevoir Milord Édouard à genoux devant moi. Surpris d’une si étrange attitude, j’ai voulu sur-le-champ le relever ; mais après m’avoir rappelé ma promesse, il m’a parlé dans ces termes : « Je viens, Monsieur, rétracter hautement les discours injurieux que l’ivresse m’a fait tenir en votre présence : leur injustice les rend plus offensants pour moi que pour vous, et je m’en dois l’authentique désaveu. Je me soumets à toute la punition que vous voudrez m’imposer, et je ne croirai mon honneur rétabli que quand ma faute sera réparée. À quelque prix que ce soit, accordez-moi le pardon que je vous demande, et me rendez votre amitié. » (NH, p. 203)
6L’intervention des guillemets coïncide avec la bascule d’une interaction dialoguée vers un usage formel de la parole ; ils sont la marque d’un discours qui s’énonce « hautement », c’est-à-dire sous la forme d’une proclamation publique (devant des « spectateurs » appelés à « publier ce qu[’ils ont] vu » – NH, p. 203-204), contraignante pour le locuteur. Il est d’ailleurs notable que la réponse de Saint-Preux, déportant la solennité de l’épisode vers une plus franche amicalité, ne comporte pas davantage de guillemets que l’aparté initial d’Édouard :
Milord, lui ai-je dit aussitôt, je reconnais maintenant votre âme grande et généreuse ; et je sais bien distinguer en vous les discours que le cœur dicte de ceux que vous tenez quand vous n’êtes pas à vous-même ; qu’ils soient à jamais oubliés. (NH, p. 203)
7Les guillemets lestent le discours d’un poids qu’il ne possède pas dans la communication courante. Ils escortent significativement le discours de M. d’Étange en faveur du mariage avec Wolmar ; ils surviennent au moment précis où la charge pathétique de l’échange se sédimente dans un argumentaire structuré (annexe 424) :
[F]ixant ses yeux mouillés sur les miens, il me dit d’une voix touchante que j’entends encore au-dedans de moi : ma fille, respecte les cheveux blancs de ton malheureux père ; ne le fais pas descendre avec douleur au tombeau […].
[J]e me laissai aller demi-morte entre ses bras, et ce ne fut qu’après bien des sanglots dont j’étais oppressée que je pus lui répondre d’une voix altérée et faible : Ô mon père j’avais des armes contre vos menaces, je n’en ai point contre vos pleurs ; c’est vous qui ferez mourir votre fille. […]
[M]’arrêtant avec vivacité comme s’il eût prévu et craint ce que j’allais lui dire, il me parla ainsi :
« Je ne sais quelle fantaisie indigne d’une fille bien née vous nourrissez au fond de votre cœur. Il est temps de sacrifier au devoir et à l’honnêteté une passion honteuse qui vous déshonore et que vous ne satisferez jamais qu’aux dépens de ma vie. Écoutez une fois ce que l’honneur d’un père et le vôtre exigent de vous, et jugez par vous-même.
« M. de Wolmar est un homme d’une grande naissance, distingué par toutes les qualités qui peuvent la soutenir ; qui jouit de la considération publique et qui la mérite. Je lui dois la vie ; vous savez les engagements que j’ai pris avec lui. Ce qu’il faut vous apprendre encore, c’est qu’étant allé dans son pays pour mettre ordre à ses affaires, […] il y a perdu ses biens […]. Prescrivez-moi maintenant la réception qu’il faut lui faire à son retour. Lui dirai-je : Monsieur, je vous ai promis ma fille tandis que vous étiez riche, mais à présent que vous n’avez plus rien je me rétracte, et ma fille ne veut pas de vous ? Si ce n’est pas ainsi que j’énonce mon refus, c’est aussi qu’on l’interprétera […], et nous passerons, vous pour une fille perdue, moi pour un malhonnête homme qui sacrifie son devoir et sa foi à un vil intérêt, et joint l’ingratitude à l’infidélité. […]
« Voyez donc », continua-t-il, « combien tout ce que vous pouvez me dire est à présent hors de propos. […] [M]on enfant, l’honneur a parlé et dans le sang dont tu sors, c’est toujours lui qui décide. » (NH, p. 419-421)
8Il est remarquable que ces discours guillemetés correspondent à trois des « Sujets d’estampes » proposés par Rousseau pour accompagner la lecture du roman : la deuxième (« L’héroïsme de la vertu »), la sixième (« La force paternelle25 ») et la douzième et dernière (« sans inscription » – NH, p. 905, mais dite « l’imprécation de Claire26 »). Que la densité pathétique de l’épisode se cristallise dans le discours ou dans l’image, il est patent que guillemets et gravure participent d’une même intention : la « fixation d’un moment de crise27 », conformément aux tendances émergentes de l’illustration romanesque au xviiie siècle.
9Certains discours, quoique guillemetés, ne trouvent pas de reflet illustratif dans les estampes : ce sont ceux de Julie. Dans la seconde moitié du roman, celle qui est devenue Mme de Wolmar s’énonce moins directement qu’elle n’est « rapportée28 » ; de nombreuses délégations de parole constituent les autres épistoliers en « caisse de résonance29 » de sa voix propre. Signaux émotifs plutôt que démonstratifs, les guillemets ne concernent guère les passages « dissertatifs30 » auxquels Julie, à l’instar des autres personnages, cède par endroits, et que la critique a souvent sentis comme des corps étrangers à la coulée romanesque31. Dans la lettre V, 2, le bref guillemetage du discours de Julie n’intervient pas dans une séquence où « le discursif s’appuie sur des catégories générales32 ». À la différence des amples réflexions (non guillemetées) que développe Julie sur la conduite à tenir avec les nécessiteux ou les changements de position sociale, les guillemets encadrent un énoncé succinct et révélateur – manière d’éthopée qui emblématise les préceptes moraux du personnage (annexe 533) :
Je l’ai vue refuser assez sèchement à un homme de cette espèce [qui avait commis une mauvaise action] une grâce qui dépendait d’elle seule. « Je vous souhaite du bonheur », lui dit-elle, « mais je n’y veux pas contribuer, de peur de faire du mal à d’autres en vous mettant en état d’en faire. Le monde n’est pas assez épuisé de gens de bien qui souffrent, pour qu’on soit réduit à songer à vous. » (NH, p. 630-631)
10Les deux autres discours guillemetés de Julie figurent dans la lettre VI, 11 ; à côté de l’imprécation de Claire, ils acquièrent un relief d’autant plus saisissant qu’ils se donnent pour posthumes. Ainsi de la ferme réponse que Julie oppose au médecin (annexe 634) :
[…] la malade ayant su qu’on allait la saigner du pied et que le Médecin préparait des ordonnances, elle le fit appeler et lui tint ce discours : « Monsieur du Bosson, quand on croit devoir tromper un malade craintif sur son état, c’est une précaution d’humanité que j’approuve ; mais c’est une cruauté de prodiguer également à tous des soins superflus et désagréables, dont plusieurs n’ont aucun besoin. Prescrivez-moi tout ce que vous jugerez m’être véritablement utile, j’obéirai ponctuellement. Quant aux remèdes qui ne sont que pour l’imagination, faites-m’en grâce ; c’est mon corps et non mon esprit qui souffre ; et je n’ai pas peur de finir mes jours mais d’en mal employer le reste. Les derniers moments de ma vie sont trop précieux pour qu’il me soit permis d’en abuser. Si vous ne pouvez prolonger la mienne, au moins ne l’en abrégez pas, en m’ôtant l’emploi du peu d’instants qui me sont laissés par la nature. Moins il m’en reste, plus vous devez les respecter. Faites-moi vivre ou laissez-moi : je saurai bien mourir seule ». Voilà comment cette femme si timide et si douce dans le commerce ordinaire, savait trouver un ton ferme et sérieux dans les occasions importantes. (NH, p. 826)
11Les guillemets ont une fonction d’insistance diégétique (ils signalent une « occasio[n] important[e] »), mais ils dénotent aussi une inflexion intonative (« un ton ferme et sérieux »). Il en va de même de la profession de foi de Julie (annexe 735) :
Comme la réponse de Julie était décisive sur mes doutes, et n’était pas, à l’égard des lieux communs, dans le cas de l’exhortation, je vais vous la rapporter presque mot à mot, car je l’avais bien écoutée, et j’allai l’écrire dans le moment.
« Permettez-moi, Monsieur, de commencer par vous remercier de tous les soins que vous avez pris de me conduire dans la droite route de la morale et de la foi chrétienne ; et de la douceur avec laquelle vous avez corrigé ou supporté mes erreurs quand je me suis égarée. […]
« J’ai vécu et je meurs dans la communion protestante qui tire son unique règle de l’Écriture sainte et de la raison ; mon cœur a toujours confirmé ce que prononçait ma bouche, et quand je n’ai pas eu pour vos lumières toute la docilité qu’il eût fallu peut-être, c’était un effet de mon aversion pour toute espèce de déguisement […] ; j’ai toujours cherché sincèrement ce qui était conforme à la gloire de Dieu et à la vérité. […]
« À quels tourments Dieu pourrait-il condamner mon âme ? Les réprouvés, dit-on, le haïssent ! Il faudrait donc qu’il m’empêchât de l’aimer ? Je ne crains pas d’augmenter leur nombre. Ô grand Être ! Être éternel, suprême intelligence, source de vie et de félicité, créateur, conservateur, père de l’homme et Roi de la nature, Dieu très puissant, très bon, dont je ne doutai jamais un moment, et sous les yeux duquel j’aimai toujours à vivre ! Je le sais, je m’en réjouis, je vais paraître devant ton trône. Dans peu de jours mon âme libre de sa dépouille commencera de t’offrir plus dignement cet immortel hommage qui doit faire mon bonheur durant l’éternité. Je compte pour rien tout ce que je serai jusqu’à ce moment. Mon corps vit encore, mais ma vie morale est finie. Je suis au bout de ma carrière et déjà jugée sur le passé. Souffrir et mourir est tout ce qui me reste à faire ; c’est l’affaire de la nature : Mais moi j’ai tâché de vivre de manière à n’avoir pas besoin de songer à la mort, et maintenant qu’elle approche, je la vois venir sans effroi. Qui s’endort dans le sein d’un père n’est pas en souci du réveil. »
Ce discours prononcé d’abord d’un ton grave et posé, puis avec plus d’accent et d’une voix plus élevée, fit sur tous les assistants, sans m’en excepter, une impression d’autant plus vive que les yeux de celle qui le prononça brillaient d’un feu surnaturel […]. (NH, p. 835-837)
12Les deux propriétés constitutives des guillemets dans La Nouvelle Héloïse sont énoncées de part et d’autre du discours de Julie : ils extraient une séquence « décisive », à laquelle le recours prolongé au discours direct confère une expressivité superlative (« plus d’accent », « un feu surnaturel36 »).
13Pourquoi les discours guillemetés de Julie échappent-ils, à la différence des trois autres, à un prolongement illustratif ? Sans doute faut-il y voir un secret témoignage de la force évocatoire de sa parole – si puissante qu’elle se communique à son entourage, à en croire l’Entretien sur les romans : « Cette Julie, telle qu’elle est, doit être une créature enchanteresse ; tout ce qui l’approche doit lui ressembler ; tout doit devenir Julie autour d’elle ; tous ses amis ne doivent avoir qu’un ton » (NH, p. 927). Le discours, du fait qu’aucune estampe ne le double, ne s’ancre pas tant dans une silhouette, une attitude corporelle, que dans le seul timbre énonciatif. Les discours guillemetés de Julie ont d’ailleurs pour singularité de ne pas tirer l’imaginaire vocal qui les environne d’une simple hausse de volume – ainsi que ceux d’Édouard, de M. d’Étange et de Claire : insoucieux de porter la voix, ils s’enrichissent de nuances intonatives variées (« assez sèchement », « un ton ferme et sérieux », « d’un ton grave et posé »…). Avec ces discours donnés à entendre plutôt que figurés illustrativement, Rousseau semble suggérer que les accents de Julie touchent l’oreille du lecteur sans qu’il soit besoin de recourir à des outils auxiliaires : la page suffit à donner voix à Julie ; il n’est pas nécessaire de lui donner corps par l’estampe.
14Parfois associés à des protestations de fidélité citationnelle37, les guillemets sont avant tout, dans La Nouvelle Héloïse, des ponctuants énonciatifs ; mais leur emploi économe leur confère aussi, discrètement, une valeur de proéminence textuelle comparable à celle des doubles diplés, leurs grands cousins de l’âge humaniste. Ces marqueurs marginaux, qui isolaient dans les textes des memorabilia, séquences prédéterminées au détachement en vue de nourrir des recueils de lieux communs, donc au recyclage scolaire, érudit ou mondain38, ont notamment cours dans les premières éditions de L’Astrée39 ; ils se maintiennent encore çà et là dans les corpus imprimés du xviiie siècle40. Mais l’interprétation énonciative des guillemets dans La Nouvelle Héloïse, conformément avec leur valeur émergente chez les écrivains des Lumières, n’est pas en reste : en les destinant à un florilège restreint d’énoncés rapportés, Rousseau leur assigne un profil énonciatif singulier. Les guillemets ont, semble-t-il, partie liée avec la voix haut portée ou fermement posée : signalant à l’œil du lecteur des énoncés cruciaux dans le déroulé diégétique ou porteurs d’une charge émotive forte, ils suggèrent un surcroît intonatif – un éclat accentuel, pour le dire avec les mots de Rousseau41.
Trouble-voix : La Religieuse
15Sans être aussi abondant que celui de La Nouvelle Héloïse, le dossier génétique de La Religieuse est riche. Il comprend trois manuscrits : un autographe abondamment corrigé ; une mise au net par le copiste Roland Girbal, assortie de corrections et d’additions autographes ; une mise au net intégrant lesdites retouches, que les éditions scientifiques du roman élisent d’ordinaire comme texte de référence – mais sur laquelle nous ne nous pencherons pas dans ces pages, précisément parce qu’elle est de la seule main de Girbal42.
16Comme dans La Nouvelle Héloïse, un petit nombre de guillemets encadrent de brèves insertions épistolaires – conformément à l’association ancienne de ces ponctuants à la citation écrite. C’est le cas du « billet » dont on fera grief à Suzanne43, de celui de la sœur Ursule44 ou des placards de la supérieure de Sainte-Eutrope45. À l’exception de cette signalétique épistolaire, trop conventionnelle sous l’Ancien Régime pour être interprétable, les guillemets sont rares dans La Religieuse. Comme Rousseau, Diderot semble épargner ces ponctuants à dessein ; dans l’autographe, l’un de ses nombreux repentirs concerne précisément les guillemets qui encadraient le discours du père Séraphin. Bien visibles en marge dans l’autographe, ils font l’objet de ratures en surcharge (annexe 8) et n’apparaissent plus dans la mise au net de Girbal :
Voici comme [le père Séraphin] me parla : Mademoiselle, l’énigme de la conduite sévère de vos parents va s’expliquer pour vous, j’en ai obtenu la permission de Madame votre mère. Vous êtes sage, vous avez de l’esprit, de la fermeté ; vous êtes dans un âge où l’on pourrait vous confier un secret même qui ne vous concernerait point. Il y a longtemps que j’ai exhorté pour la première fois Madame votre mère à vous révéler celui que vous allez apprendre, elle n’a jamais pu s’y résoudre ; il est dur pour une mère d’avouer une faute grave à son enfant. Vous connaissez son caractère, il ne va guère avec la sorte d’humiliation d’un certain aveu. Elle a cru pouvoir sans cette ressource vous amener à ses desseins ; elle s’est trompée, elle en est fâchée, elle revient aujourd’hui à mon conseil, et c’est elle qui m’a chargé de vous annoncer que vous n’étiez pas la fille de M. Simonin… (R46, p. 29-30)
17Dans le manuscrit autographe, les rares guillemets qui n’escortent pas une insertion épistolaire relèvent d’un usage peu ou anti-conventionnel ; loin de pratiquer un balisage unifié des énonciations rapportées, les guillemets confèrent une portée singulière à certains énoncés (annexe 9) :
[…] me tournant ensuite vers les assistants entre lesquels il s’était élevé un assez grand murmure, je fis signe que je voulais parler ; le murmure cessa et je dis : « Messieurs, et vous surtout mon père et ma mère, je vous prends tous à témoins… » À ces mots une des sœurs laissa tomber le voile de la grille, et je vis qu’il était inutile de continuer. Les religieuses m’entourèrent, m’accablèrent de reproches ; je les écoutai sans mot dire. On ne conduisit dans ma cellule où l’on m’enferma sous la clef. (R, p. 26)
18Contrastant avec les énoncés environnants, qu’aucun marquage graphique n’accompagne, la protestation de Suzanne est encadrée de guillemets au long, dans l’autographe et dans la première mise au net de Girbal. Il est tentant de voir dans les guillemets l’ombre portée sur la page d’une voix qui s’époumone, comme chez Rousseau, en public, mais cette fois en pure perte : ils l’extraient visuellement du « murmure » de l’assistance, aussi bien que du discours narrativisé à valeur d’assourdissement énonciatif sur lequel le passage se referme.
19Dans La Religieuse, les guillemets pratiquent une gestion distinctive du discours direct ; si l’on veut trouver un dénominateur commun à la trame guillemetée du roman, sans doute tient-il à la densité émotionnelle que recèlent les énoncés concernés :
Je vous entends vous, monsieur le marquis et la plupart de ceux qui liront ces mémoires, « des horreurs si multipliées, si variées, si continues ! Une suite d’atrocités si recherchées dans des âmes religieuses ! Cela n’est pas vraisemblable », diront-ils, dites-vous ; et j’en conviens ; mais cela est vrai. (R, p. 97)
20Les guillemets confèrent une surprenante actualisation graphique à un discours fortement virtualisé – reporté dans un futur hypothétique, dédoublant l’attribution entre le destinataire du récit et des énonciateurs indistincts. « Je vous entends », écrit Suzanne : du fait même de leur faible fréquence d’emploi, les guillemets sont autant de porte-voix du discours direct, grâce auxquels certaines séquences acquièrent une saillance énonciative propre. On ne s’étonnera donc pas de rencontrer souvent des motifs sonores dans leur voisinage ; ainsi d’une addition marginale autographe à la mise au net de Girbal, où une voisine de Suzanne – silhouette qui traverse fugitivement le roman – est avant tout figurée par ses inflexions vocales (annexe 10) :
Je reçois des visites de la jeune femme qui occupait le premier… « Vous êtes jeune ; vous devez vous ennuyer, Mademoiselle. Descendez chez moi ; vous y trouverez bonne compagnie en hommes et en femmes pas toutes aussi aimables mais presque aussi jeunes que vous ; on y cause, on joue, on chante, on danse, nous réunissons toutes les sortes d’amusements. Si vous tournez la tête à tous nos cavaliers, je vous jure que nos dames n’en seront ni jalouses, ni fâchées. Venez, Mademoiselle… » Celle qui me parlait ainsi était d’un certain âge. Elle avait le regard tendre, la voix douce et le propos très insinuant. (R, p. 189-190)
21Le relief énonciatif conféré par les guillemets aux énoncés qu’ils encadrent est, en une occasion, d’autant plus saisissant que rien ne semble justifier leur emploi (annexe 11) :
« Dieu avait parlé à mon cœur ; personne n’était plus faite pour l’état de perfection que moi. Il était impossible que cela ne fût pas, on s’y était toujours attendu. On ne remplit pas ses devoirs avec tant d’édification et de constance, quand on n’y est pas vraiment destinée. La mère des novices n’avait jamais vu dans aucune de ses élèves de vocation mieux caractérisée ; elle était toute surprise du travers que j’avais pris, mais elle avait toujours bien dit à notre mère supérieure qu’il fallait tenir bon, et que cela passerait ; que les meilleures religieuses avaient eu de ces moments-là ; que c’étaient des suggestions du mauvais esprit qui redoublait ses efforts lorsqu’il était sur le point de perdre sa proie ; que j’allais lui échapper ; qu’il n’y avait plus que des roses pour moi ; que les obligations de la vie religieuse me paraîtraient d’autant plus supportables, que je me les étais plus fortement exagérées ; que cet appesantissement subit du joug était une grâce du ciel, qui se servait de ce moyen pour l’alléger. » (R, p. 23)
22Les guillemets au long accompagnent cette séquence dès le manuscrit autographe ; pourtant, celle-ci ne se signale en aucune manière comme citationnelle. Son marquage apparaît d’autant plus remarquable que l’examen de l’autographe révèle qu’il résulte d’une retouche ultérieure du texte : les guillemets au long sont tracés d’une encre plus foncée que le reste de la page – identique à celle des corrections qui surchargent le texte, dont ils épousent les incursions dans la marge gauche. Le discours rapporté émane d’une source énonciative non pas individuelle, mais collective et mal déterminée. Au moyen du pronom personnel indéfini on, le décrochage énonciatif se marque tout en opacifiant sa source, avant qu’une silhouette mieux déterminée (la « mère des novices ») n’émerge. Marqueurs de citation, les guillemets isolent une séquence qui demeure ostensiblement filtrée par l’énonciation narratoriale ; en se déployant de manière homogène le long de ce « discours du couvent », ils font mine de lui supposer une logique unitaire – que la diversité des stratégies discursives mises en œuvre (discours indirect libre et discours indirect, attribution énonciative mouvante) invalide pourtant. Ce guillemetage contre-indiqué semble refléter les manœuvres intrusives dont la narratrice est victime : à bien y regarder, ces lignes sont le théâtre d’une insinuation énonciative très habilement négociée. Le discours insinuant s’adosse au pronom on, qui équivaut imparfaitement à une troisième ou à une quatrième personne ; il demeure ainsi au seuil de la formulation, de sorte à favoriser son appropriation involontaire par autrui. Or c’est cette tactique d’invisibilisation énonciative que les guillemets prennent à revers : en conférant au discours du couvent, à son corps défendant, une saillance graphique et une unité discursive qui en révèlent la cohérence idéologique, les guillemets mettent en évidence, et donc à distance, un discours dont Suzanne décante rétrospectivement la teneur manipulatrice. Les retouches apportées par Diderot sur l’autographe articulent d’ailleurs la relance de la narration à l’expression de la première personne ; absente de la première rédaction, celle-ci suggère une ressaisie énonciative qui soumet le discours rapporté à une scrutation distanciée : « Il me paraissait assez singulier [C’était une chose bien singulière] que la même chose vînt de Dieu ou du diable, selon qu’il leur plaisait de l’envisager » (R, p. 23). Dans une page qui met aux prises des instances énonciatives plurielles et sous-identifiées, les guillemets figurent expressivement la « voix » introuvable du couvent, dont la puissance insinuative est à la fois exposée et conjurée.
23Porte-voix du discours, les guillemets font aussi office, dans La Religieuse, de « trouble-voix ». L’étrange guillemetage du « discours du couvent » le suggérait déjà : les guillemets signalent avant tout la survenue d’une voix autre, eût-elle des traits floutés. Le manuscrit autographe de La Religieuse et sa première mise au net par Girbal sont globalement très convergents en matière de guillemetage, si l’on excepte une disjonction majeure : le « mémoire » de Manouri. Guillemeté par Girbal (annexes 12 et 13), il ne l’est pas dans l’autographe (annexe 14). Cet épisode de haute rhétoricité47 repose sur un savant jeu de déportement énonciatif – Georges Daniel parle quant à lui de « dérapage48 ». L’ouverture du paragraphe semble préluder aux propos de l’avocat, sous une forme apparemment moins citationnelle que reformulative : comme bien d’autres pages du roman, elle prend appui sur la labilité du pronom on. Mais c’est bien la voix de Suzanne qui, du double point de vue de l’ancrage référentiel et modal, en émerge graduellement :
M. Manouri publia un premier mémoire qui fit peu de sensation. Il y avait trop d’esprit, pas assez de pathétique, presque point de raisons. Il ne faut pas s’en prendre tout à fait à cet habile avocat ; je ne voulais point absolument qu’il attaquât la réputation de mes parents, je voulais qu’il ménageât l’état religieux et surtout la maison où j’étais ; je ne voulais pas qu’il peignît de couleurs trop odieuses mes beaux-frères et [mes] sœurs. Je n’avais en ma faveur qu’une première protestation, solennelle à la vérité, mais faite dans un autre couvent et nullement renouvelée depuis. Quand on donne des bornes si étroites à ses défenses et qu’on a à faire à des parties qui n’en mettent aucune dans leur attaque, qui foulent aux pieds le juste et l’injuste, qui avancent et nient avec la même impudence […], il est difficile de l’emporter, surtout à des tribunaux où l’habitude et l’ennui des affaires ne permettent presque pas qu’on examine avec quelque scrupule les plus importantes, et où les contestations de la nature de la mienne sont toujours regardées d’un œil défavorable par l’homme politique qui craint que sur le succès d’une religieuse réclamant contre ses vœux, une infinité d’autres ne soient engagées dans la même démarche. On sent secrètement que si l’on souffrait que les portes de ces prisons s’abattissent en faveur d’une malheureuse, la foule s’y porterait et chercherait à les forcer ; on s’occupe à nous décourager et à nous résigner toutes à notre sort par le désespoir de nous changer. (R, p. 99-100)
24Or cette aimantation du discours par Suzanne, opérant une insensible réorientation attributive, découle d’un aménagement second du texte ; dans l’autographe, Diderot substitue à des marqueurs délocutés des adjectifs et des pronoms de la locution : « on s’occupe [cherche] à nous [les] décourager et à nous résigner toutes à notre sort par le désespoir de nous changer [les soumettre à leur sort]49 ».
25Ce réajustement génétique apparaît d’autant plus surprenant que la suite immédiate du texte opère un renversement attributif, rendu manifeste par le guillemetage d’une longue séquence dans la mise au net de Girbal :
« Il me semble pourtant que, dans un État bien gouverné, ce devrait être le contraire : entrer difficilement en religion, et en sortir facilement ; et pourquoi ne pas ajouter ce cas à tant d’autres, où le moindre défaut de formalité anéantit une procédure, même juste d’ailleurs ? Les couvents sont-ils donc si essentiels à la constitution d’un État ? Jésus-Christ, a-t-il institué des moines et des religieuses ? L’Église ne peut-elle absolument s’en passer ? Quel besoin a l’époux de tant de vierges folles, et l’espèce humaine de tant de victimes ? Ne sentira-t-on jamais la nécessité de rétrécir l’ouverture de ces gouffres où les races futures vont se perdre ? Toutes les prières de routine qui se font là valent-elles une obole que la commisération donne aux pauvres ? Dieu qui a créé l’homme sociable, approuve-t-il qu’il se renferme ? Dieu qui l’a créé si inconstant, si fragile, peut-il autoriser la témérité de ses vœux ? Ces vœux qui heurtent la pente générale de la nature, peuvent-ils jamais être bien observés que par quelques créatures mal organisées en qui les germes des passions sont flétris, et qu’on rangerait à bon droit parmi les monstres, si nos lumières nous permettaient de connaître aussi facilement la structure intérieure de l’homme que sa forme extérieure ? […] » (R, p. 100-101)
26Les guillemets isolent une ample séquence, dont la cohésion énonciative se réverbère ostensiblement dans la cascade des interrogations rhétoriques ; pour autant, l’attribution énonciative demeure en suspens – même si, en contexte, l’identification de Manouri s’avère peu coûteuse.
27L’étude du manuscrit autographe décèle dans ce passage un souci croissant de le construire autour d’un contraste énonciatif. Il semble que Diderot soit parti d’une séquence énonciativement cohésive, correspondant peu ou prou à un vaste discours indirect libre : quoiqu’attribuable par défaut à Manouri, son régime bivocal permettait à la narratrice de se le réapproprier sans peine. Or Diderot s’efforce, dans les retouches manuscrites qu’il apporte successivement à l’autographe et à la mise au net par Girbal, d’y creuser une fissure polyphonique. Celle-ci est initiée dès l’autographe, mais sans le secours des guillemets ; le recadrage attributif du discours intervient en effet au terme du mémoire, sous la forme d’un ajout marginal (annexe 15) :
Où est le lieu de la servitude et du despotisme ? Où sont les haines qui ne s’éteignent point ? Où sont les passions couvées dans le silence ? Où est le séjour de la cruauté et de la curiosité ? On ne sait pas l’histoire de ces asiles, disait ensuite M. Manouri dans son plaidoyer, on ne [la] sait pas. (R, p. 102 ; nous soulignons)
28Diderot confie donc l’attribution du discours à l’implication interprétative du lecteur, supposé appliquer rétroactivement la voix de Manouri sur une séquence dont il avait sans doute, au reste, senti qu’elle déviait insensiblement du registre énonciatif de Suzanne.
29Les retouches apportées par Diderot à la mise au net de Girbal portent à leur comble le contraste des deux timbres. Pressentant sans doute l’opacité de cette délégation énonciative qui ne s’élucide qu’en son point terminal, Diderot fait le choix de la consolider tout à la fois par l’amont et par l’aval ; non content de l’encadrer d’entrée de jeu par des guillemets au long50, il l’assortit d’une nouvelle rallonge autographe marginale (annexe 13) :
Il ajoutait dans un autre endroit « faire vœu de pauvreté, c’est s’engager par serment à être paresseux et voleur. Faire vœu de chasteté, c’est promettre à Dieu l’infraction constante de la plus sage et de la plus importante de ses lois. Faire vœu d’obéissance, c’est renoncer à la prérogative inaliénable de l’homme, la liberté. Si l’on observe ces vœux, on est criminel ; si on ne les observe pas on est parjure. La vie claustrale est d’un fanatique ou d’un hypocrite. » (R, p. 102)
30Comment lire cette inflexion génétique ? D’évidence, le mémoire de Manouri conflue vers une désambiguïsation énonciative ; mais il l’obtient au moyen d’un carambolage expressif plutôt que d’une fluide délégation de parole. La voix de l’avocat est à la fois surmarquée (par les guillemets) et sous-identifiée (par le retard de l’incise de discours). Marqueurs d’hétérogénéité, mais non d’identification, les guillemets accompagnent une voix aussi saillante graphiquement qu’indécise énonciativement.
31Les guillemets qui escortent le mémoire de Manouri s’emploient à résoudre une problématique énonciative : charge à eux d’accréditer l’« attribution logiquement inacceptable » de cette « tirade antimonastique51 », entraînée dans une sorte d’engrenage rhétorique où l’énonciation ingénue de Suzanne s’égare curieusement. Le roman superpose soudain au cas individuel une réflexion surplombante, dont la charge polémique et la portée politique ne sont pas douteuses : c’est précisément cette aptitude à s’extraire de son vécu pour y trouver une matière exemplaire que les guillemets semblent refuser à Suzanne. L’adhérence myope à l’événement serait le lot de la narratrice, rhétoriquement limitée aux preuves pathétiques ; c’est l’affaire de l’avocat de réinscrire la biographie intime dans une ligne argumentative, et de porter haut la voix philosophique des Lumières. En l’encadrant de guillemets, Diderot aurait entrepris d’acclimater au roman cette énonciation dont il était assurément difficile de préserver le mordant revendicatif sans condamner la narration à s’avouer ventriloque.
32Mais les choses sont-elles si simples ? Il n’est qu’à lire La Religieuse : Suzanne s’y montre philosophe plus d’un instant52. Et si les guillemets accréditent la bascule dissertative du récit, le cadrage attributif du mémoire n’en demeure pas moins chancelant : la diatribe antimonastique n’est pas confiée à une énonciation authentifiée, mais à une voix dans les airs, qui ne reçoit qu’après coup ses traits identifiants et sa force légitimante53. Loin de dissiper l’équivoque énonciative, Diderot en fait le principe organisateur de la séquence : après le guillemetage irrecevable du discours du couvent, un vigilant lecteur aurait lieu de croire à une mise en relief concertée, de la part de Suzanne, d’une pièce maîtresse de sa rhétorique persuasive. Ce n’est qu’au terme du réquisitoire que Diderot consent à ce qu’il se montre à visage découvert – manière, sans doute, de gagner sur tous les tableaux : au frisson d’une énonciation féminine que l’on croit découvrir soudain forte raisonneuse, le romancier superpose le crédit rétroactif d’une autorité compétente (sans surprise, déléguée à un homme de l’art). Est-il d’ailleurs assuré que Suzanne soit hors de cause, une fois Manouri désigné comme énonciateur cité ? D’étrange manière, le plaidoyer de l’avocat rejoint l’option pronominale élue par Suzanne dans l’immédiat amont de la séquence guillemetée (l’indéfini on) :
Si l’on observe ces vœux, on est criminel ; si on ne les observe pas on est parjure. La vie claustrale est d’un fanatique ou d’un hypocrite. (R, p. 102)
On sent secrètement que si l’on souffrait que les portes de ces prisons s’abattissent en faveur d’une malheureuse, la foule s’y porterait et chercherait à les forcer ; on s’occupe à nous décourager et à nous résigner toutes à notre sort par le désespoir de nous changer. (R, p. 100)
33D’un on à l’autre, la péroraison du mémoire suggère à bas bruit la solidarité profonde d’un passage où, en dépit de la brusque délégation de parole qu’orchestrent les guillemets, Suzanne est peut-être seule à la manœuvre.
34Utilisés de manière aussi localisée qu’atypique, les guillemets signalent à l’œil du lecteur des énoncés que leur puissance émotive (la protestation de Suzanne), leurs ressources insinuatives (le discours du couvent) ou leur portée rhétorique (le mémoire de Manouri) constituent en séquences cruciales du parcours romanesque. Ils se font ainsi vecteurs de relief énonciatif : porte-voix ou trouble-voix, ils recueillent des voix dont le timbre, tour à tour clair et indistinct, continue longtemps de résonner sur la page.
35S’il est vrai que Rousseau et Diderot ont poursuivi, en dépit de leur brouille, un « entretien à distance54 », l’usage des guillemets dans La Nouvelle Héloïse et La Religieuse en est peut-être un indice, aussi ténu qu’insistant. Cas rarissimes dans les corpus d’Ancien Régime d’un guillemetage non pas systématique, mais sélectif des discours fictionnels, les deux romans font du marquage graphique un opérateur de relief énonciatif. De manière révélatrice, tous deux associent les guillemets à la voix haut portée ; solennels ou poignants, les discours guillemetés de La Nouvelle Héloïse se détachent tout particulièrement de la coulée romanesque par leur poids diégétique et leur résonance expressive. L’on peut rêver que ce soit en souvenir de Rousseau que Diderot pratique ce marquage restreint des discours ; il n’en demeure pas moins qu’il confie aux guillemets une fonction plus troublante. Indicateurs d’ambiguïté ou d’insinuation, ces ponctuants ont moins pour fonction d’attribuer le discours que de signaler à l’œil du lecteur des séquences énonciativement retorses, où les voix fictionnelles peinent à se fixer dans un timbre plein.
Table des annexes
La Nouvelle Héloïse
Annexe 1
Copie personnelle, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. V 4981, Sixième partie, fo 97 (détail) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b560000072/f469.item
Annexe 2
Copie d’Houdetot, Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 245, p. 286 : https://archives.bge-geneve.ch/ark:/17786/vta404b875f6761ad35/dao/0#id:893974035?gallery=true&brightness=100.00&contrast=100.00
Annexe 3
Copie d’Houdetot, Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 240, p. 366 : https://archives.bge-geneve.ch/ark:/17786/vta404b875f6761ad35/dao/0#id:1588180357?gallery=true&brightness=100.00&contrast=100.00¢er=772.000,-1144.000&zoom=4&rotation=0.000
Annexe 4
Copie d’Houdetot, Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 242, p. 151 : https://archives.bge-geneve.ch/ark:/17786/vta404b875f6761ad35/dao/0#id:505505811?gallery=true&brightness=100.00&contrast=100.00
Annexe 5
Copie Luxembourg, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. P 7077, Cinquième partie, p. 28 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b56000004q/f38.item
Annexe 6
Copie personnelle, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. V 4981, Sixième partie, fo 69 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b560000072/f413.item
Annexe 7
Copie personnelle, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. V 4981, Sixième partie, fo 76 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b560000072/f427.item
La Religieuse
Annexe 8
Manuscrit autographe, BnF, NAF 13726, fo 7 vo (détail) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10082069b/f10.item
Annexe 9
Manuscrit autographe, BnF, NAF 13726, fo 4 vo (détail) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10082069b/f6.item
Annexe 10
Copie Girbal avec corrections autographes, BnF, NAF 13740, fo 232 (détail) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10084230h/f238.item
Annexe 11
Manuscrit autographe, BnF, NAF 13726, fo 4 vo (détail) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10082069b/f6.item
Annexe 12
Copie Girbal avec corrections autographes, BnF, NAF 13740, fo 112 vo-113 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10084230h/f119.item
Annexe 13
Copie Girbal avec corrections autographes, BnF, NAF 13740, fo 114 vo (détail) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10084230h/f121.item
Annexe 14
Manuscrit autographe, BnF, NAF 13726, fo 40 vo : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10082069b/f44.item
Annexe 15
Manuscrit autographe, BnF, NAF 13726, fo 41 (détail) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10082069b/f44.item.
1 Voir Elena Llamas Pombo, « Graphie et ponctuation du français médiéval. Système et variation », dans Gabriella Parussa, Maria Colombo Timelli et Elena Llamas Pombo (dir.), Enregistrer la parole et écrire la langue dans la diachronie du français, Tübingen, Narr Francke Attempto Verlag, 2017, p. 39-88, en particulier p. 68 ; « Rubriques énonciatives », dans Grande grammaire historique du français, Berlin, De Gruyter Mouton, 2020, t. I, p. 612-613.
2 Geneviève Salvan, « L’incise de discours rapporté dans le roman français du xviiie au xxe siècle : contraintes syntaxiques et vocation textuelle », dans Anna Jaubert (dir.), Cohésion et cohérence : études de linguistique textuelle, Lyon, ENS Éditions, coll. « Langages », 2005, p. 113-144, ici p. 132.
3 Roger Laufer, « Guillemets et marques du discours direct », dans Nina Catach et Claude Tournier (dir.), La Ponctuation. Recherches historiques et actuelles, Paris/Besançon, CNRS, 1977-1979, fasc. 2, p. 235-251, ici p. 239.
4 Nina Catach date l’apparition des guillemets proprement dits (comme marqueurs du discours direct) du xvie siècle : voir L’Orthographe française à l’époque de la Renaissance (Auteurs – Imprimeurs – Ateliers d’imprimerie), Genève, Droz, 1968, p. 78-81. Plus récemment, Elena Llamas Pombo a signalé le « cas extraordinaire » d’un manuscrit du xve siècle comportant plusieurs occurrences de discours directs guillemetés, associés à des pieds-de-mouche : voir « Écriture et oralité : ponctuation, interprétation et lecture des manuscrits français et de textes en vers (xive-xve s.) », dans Emilia Alonso, Manuel Bruña et Maria Muñoz (dir.), Linguistique française : grammaire, histoire et épistémologie, Séville, Grupo Andaluz de Pragmaticá, 1996, t. I, p. 133-144, ici p. 141.
5 Art. « Guillemet, dans l’usage de l’Imprimerie », dans Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Briasson, David l’aîné, Le Breton et Durand, 1751-1772, t. VII, p. 1007a.
6 Voir Vivienne Mylne, « The Punctuation of Dialogue in Eighteenth Century French and English Fiction », The Library, no 1, 1979, p. 43-61, en particulier p. 53-55. Voir également Roger Laufer, « Les espaces du livre », dans Roger Chartier et Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l’édition française II. Le Livre triomphant (1660-1830), Paris, Promodis, 1984, p. 139 ; Doris Cunha et Marc Arabyan, « La ponctuation du discours direct des origines à nos jours », L’Information grammaticale, no 102, juin 2004, p. 34-45 ; Sonia Branca-Rosoff, « Deux points, ouvrez les guillemets, notes sur la ponctuation du discours rapporté au xviiie siècle », Le Gré des langues, no 5, 1993, p. 178-202.
7 Voir par exemple Courtilz de Sandras, Mémoires de Mr de B***, secrétaire de Mr L. C. D. R., Amsterdam, H. Schetten, 1711, 2 vol. ; Marivaux, La Voiture embourbée, Paris, Pierre Huet, 1714.
8 Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, ou Lettres recueillies dans une société, & publiées pour l'instruction de quelques autres, Paris, Durand Neveu, 1782, 2 vol.
9 Roger Laufer, « Guillemets et marques du discours direct », art. cité, p. 237.
10 Voir Jacques Dürrenmatt, « Peut-on penser les faits de ponctuation comme stylèmes avant 1850 ? L’exemple du théâtre de Marivaux », dans Claire Badiou-Monferran (dir.), La Littérarité des belles-lettres. Un défi pour les sciences du texte ?, Paris, Classiques Garnier, coll. « Investigations stylistiques », 2013, p. 131-142.
11 Voir Nathalie Ferrand, « Fortunes et infortunes des manuscrits de romans au xviiie siècle. Le cas des brouillons de La Nouvelle Héloïse conservés à l’Assemblée nationale », dans Paolo D’Irio et Nathalie Ferrand (dir.), Genesi, critica, edizione, Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, 1998/1, p. 49-59 et « L’Ancien et le Nouveau Régime des manuscrits de travail », Genesis, no 34, 2012, p. 7-17.
12 Si l’on peut repérer un marquage prononcé et précoce du discours direct dans certains imprimés du début du siècle, la comparaison des romans de Prévost, qui ne l’emploient jamais, avec l’originale des Liaisons dangereuses (1782), est assez représentative de l’inclination grandissante vers un discours direct marqué, qui devient prévalent à la fin des années 1770.
13 Sur ces manuscrits, voir les nombreux travaux de Nathalie Ferrand, qui coordonne le projet de recherche « Dans l’atelier de La Nouvelle Héloïse : Rassembler, transcrire, interpréter les manuscrits de J.‑J. Rousseau » (ITEM-CNRS), devant aboutir à une édition génétique du roman : « Jean-Jacques Rousseau, du copiste à l’écrivain : les manuscrits de La Nouvelle Héloïse conservés à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale », dans A. Grésillon et J.-L. Lebrave (dir.), Écrire aux xviie et xviiie siècles. Genèses de textes littéraires et philosophiques, Paris, CNRS Éditions, coll. « Littérature », 2000, p. 191-210 ; « Dans l’atelier de La Nouvelle Héloïse. Rassembler, transcrire, interpréter les manuscrits de Jean-Jacques Rousseau », dans Geneviève Goubier et Stéphane Lojkine (dir.), Sources et postérités de La Nouvelle Héloïse de Rousseau. Le modèle de Julie, Paris, Desjonquères, coll. « L’esprit des lettres », 2012, p. 54-63 ; « Brouillons d’Héloïse », Revue de la Bibliothèque nationale, no 42, novembre 2012, p. 71-79 ; « Un voyage au long cours dans l’écriture de Rousseau », Genesis, no 41, 2015, p. 165-186 ; « Qu’est-ce qu’un atelier d’écrivain au xviiie siècle ? L’exemple de Rousseau », Littérales, no 47, 2020, p. 113-137 ; « Étude d’un cas particulier : les manuscrits de Julie, ou La Nouvelle Héloïse (1761) », dans Dans l’atelier de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Hermann, coll. « Dans l’atelier de », 2022, p. 81-149.
14 Nathalie Ferrand, « Brouillons d’Héloïse », art. cité, p. 78.
15 Ibid.
16 Ainsi des tomes I, III et IV de l’édition Duchesne-Coindet de 1764 (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, P 7076, 3 vol. in 8o), mais aussi du troisième volume d’une édition Rey de 1769 (Bibliothèque de Genève, Hf 2019 Rés.), corrigée par Rousseau en vue d’une nouvelle édition.
17 Voir par exemple Claudine-Alexandrine-Sophie Guérin de Tencin, Mémoires du comte de Comminge, La Haye, J. Neaulme, 1735, p. 66-72 et, dans La Nouvelle Héloïse, la lettre du vieux domestique à Julie (NH, p. 534).
18 Voir par exemple Alain-René Lesage, Histoire de Gil Blas de Santillane, Paris, Pierre Ribou, 1715, t. I, p. 117 et, dans La Nouvelle Héloïse, la lettre de Laure à Édouard (NH, p. 767).
19 Yannick Seité, « Point d’ironie », dans Jean-François Perrin et Yves Citton (dir.), Jean-Jacques Rousseau et l’exigence d’authenticité. Une question pour notre temps, Paris, Classiques Garnier, coll. « Rencontres », 2012, p. 392.
20 Qui relaie en outre le préjugé associant le discours direct à un impératif de fidélité ; voir Laurence Rosier Le Discours rapporté : histoire, théories, pratiques, Bruxelles, Éditions Duculot, coll. « Champs linguistiques », 1999.
21 La lettre VI, 11 ne figure pas parmi les feuillets conservés de la première rédaction. Les guillemets accompagnent l’imprécation de Claire dans la Copie personnelle (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. V 4981, Sixième partie, fo 97) et dans la Copie Luxembourg (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. P 7077, Sixième partie, p. 280) ; dans la Copie d’Houdetot, la séquence est en revanche italicisée (Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 245, p. 286).
22 Toutes les références à La Nouvelle Héloïse renvoient à la pagination de l’édition suivante : Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, éd. Érik Leborgne et Florence Lotterie, Paris, Garnier Flammarion, 2018.
23 Le dossier génétique de La Nouvelle Héloïse est encore lacunaire : les feuillets conservés de la première rédaction ne comprennent pas la lettre I, 60, et seules les trois dernières parties de la Copie personnelle sont localisées à ce jour. Les guillemets encadrent néanmoins cette séquence dans la Copie d’Houdetot (Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 240, p. 366), dans la Copie Luxembourg (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. P 7077, Première partie, p. 364) et dans l’édition originale du roman (Lettres de deux amans, Habitans d’une petite ville au pied des Alpes. Recueillies et publiées par J.-J. Rousseau, Première partie, Amsterdam, M.-M. Rey, 1761, p. 343), de sorte qu’il est raisonnable supposer qu’ils émanent de la Copie personnelle.
24 Les guillemets sont absents de la première rédaction de cette séquence (BnF, NAF 28006, fos 6-7), mais figurent dans l’originale (Lettres de deux amans, Troisième partie, éd. citée, p. 118-120) et surtout dans la Copie d’Houdetot (Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 242, p. 150-151) – copie antérieure à la Copie Rey, à partir duquel l’édition a été composée (Pierpont Morgan Library, MA 6711). Il est donc vraisemblable que les guillemets se trouvent également dans la Copie personnelle – même si nous n’avons pu consulter le manuscrit de la troisième partie, récemment retrouvé par Nathalie Ferrand (voir « Un manuscrit retrouvé de La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau », Lias. Journal of Early Modern Intellectual Culture and its Sources, no 38/2, décembre 2011, p. 357-389).
25 Sur cette estampe, voir Christophe Martin, « Dangereux suppléments ». L’illustration du roman en France au dix-huitième siècle, Louvain/Paris, Peeters, coll. « La République des Lettres », 2005, p. 136-138.
26 Sur cette estampe, voir ibid., p. 138-140.
27 Ibid., p. 32.
28 Voir Christine Hammann, « Julie rapportée : La Nouvelle Héloïse, roman diaphonique », dans Cécile Lignereux et Karine Abiven (dir.), Les Discours rapportés en contexte épistolaire (xvie-xviiie siècles), Acta Litt&Arts, 2020, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/actalittarts/608-julie-rapportee-la-nouvelle-heloise-roman-diaphonique, page consultée le 22 décembre 2022.
29 Ibid.
30 Voir Jean-Louis Lecercle, dans Rousseau et l’art du roman, Paris, Armand Colin, 1969, p. 71-80 ; Éric Bordas, « Romanesque et énonciation “philosophique” dans le récit », Romantisme, no 124, 2004/2, p. 53-69, en particulier p. 57-59 ; Colas Duflo, « Du dissertatif. Les lettres “fastueusement raisonnées” de La Nouvelle Héloïse », dans Les Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman du xviiie siècle, op. cit., p. 43-64.
31 Voir par exemple les lettres IV, 10, IV, 11 et VI, 8, toutes de Saint-Preux.
32 Colas Duflo, « Du dissertatif. Les lettres “fastueusement raisonnées” de La Nouvelle Héloïse », art. cité, p. 50.
33 Ce passage ne figure pas dans la première rédaction de la lettre, conservée à Genève (voir Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 201, fos 24-37 vo), mais bien dans la Copie personnelle, où il est encadré de guillemets (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. V 4981, Cinquième partie, fo 12), de même que dans les Copies d’Houdetot (Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 243, p. 32-33) et Luxembourg (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. P 7077, Cinquième partie, p. 28).
34 Cette lettre n’est pas comprise dans les feuillets conservés de la première rédaction ; mais les guillemets figurent aussi bien dans la Copie personnelle (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. V 4981, Sixième partie, fo 69) que dans les copies d’Houdetot (Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 245, p. 196-197) et Luxembourg (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. P 7077, Sixième partie, p. 192-193).
35 Comme la précédente, cette séquence ne figure pas parmi les feuillets conservés de la première rédaction ; mais les guillemets accompagnent le discours de Julie aussi bien dans la Copie personnelle (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. V 4981, Sixième partie, fos 76-78) que dans les Copies d’Houdetot (Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 245, p. 219-225) et Luxembourg (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. P 7077, Sixième partie, p. 214-221).
36 Le guillemetage de la profession de foi dans la Copie personnelle (la lettre ne figure pas dans la première rédaction) est vraisemblablement issu de retouches autographes sur le manuscrit : les guillemets au long sont alignés sur les corrections marginales, et tous deux tracés d’une encre légèrement plus sombre que le reste de la page. Voir BnF, ms. V 4981, Sixième partie, fo 76, ligne 26.
37 « dans ces termes » (NH, p. 203) ; « d’une voix touchante que j’entends encore au-dedans de moi » (NH, p. 419) ; « presque mot à mot » (NH, p. 835).
38 Voir Ann Moss, Les Recueils de lieux communs. Méthode pour apprendre à penser à la Renaissance, trad. Patricia Eichel-Lojkine, Monique Lojkine-Morelec, Marie-Christine Munoz-Teulié et Louis-Georges Tin, Genève, Droz, coll. « Titre courant », 2002, notamment p. 349-350.
39 Roman que Rousseau, on le sait, « aimait singulièrement » (Bernardin de Saint-Pierre, Fragments sur J.‑J. Rousseau, dans Œuvres posthumes, Paris, Lefèvre, 1836, p. 432). Sur l’emploi des diplés dans L’Astrée, voir Delphine Denis, « Introduction générale », dans H. d’Urfé, L’Astrée. Première partie, éd. D. Denis, Paris, Honoré Champion, coll. « Champion Classiques », 2011, p. 45-47.
40 Nina Catach, L’Orthographe française à l’époque de la Renaissance, op. cit., p. 79, n. 1.
41 Voir André Wyss, Jean-Jacques Rousseau. L’accent de l’écriture, Neuchâtel, La Baconnière, coll. « Langages », 1988.
42 Sur les problèmes et les enjeux de l’édition des œuvres de Diderot, adossée par ses soins à un continent manuscrit sans équivalent au xviiie siècle, voir Michel Delon, « Éditer Diderot », Revue d’Histoire littéraire de la France, no 2, 1983, p. 241-248 ; Paul Vernière, « Le choix du meilleur texte dans l’édition des œuvres de Diderot », dans Béatrice Didier et Jacques Neefs (dir.), Diderot. Autographes, copies, éditions, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Manuscrits modernes », 1986, p. 15-21 ; Jean Varloot, « Texte et recherche », dans Georges Dulac (dir.), Éditer Diderot, Oxford, Voltaire Foundation, 1988, p. ix-xv, en particulier p. ix-xi ; Les Œuvres complètes de Diderot : éditer les manuscrits, Studi settenteschi, no 14, 1994 ; B. Didier, « Manuscrits du xviiie siècle : interroger le cas de Diderot », dans Écrire aux xviie et xviiie siècles. Genèses de textes littéraires et philosophiques, op. cit., p. 91-104.
43 BnF, NAF 13726, fo 10 ; BnF, NAF 13740, fo 32.
44 BnF, NAF 13726, fo 25 ; BnF, NAF 13740, fo 66.
45 BnF, NAF 13726, fo 81 ; BnF, NAF 13740, fo 213 vo. Le procédé n’est toutefois pas systématique dans l’autographe : la lettre de la mère n’y comporte pas de guillemets (BnF, NAF 13726, fos 15 vo-16), tandis que la mise au net de Girbal les restitue (BnF, NAF 13740, fos 47-49).
46 Toutes les références à La Religieuse renvoient à la pagination de l’édition suivante : La Religieuse, éd. Florence Lotterie, Paris, GF, 2009. Notons que cette édition, dans l’ensemble très correcte en matière de ponctuation, encadre quelques discours directs de guillemets qui ne figurent ni dans l’autographe, ni dans la mise au net de Girbal : R, p. 52, 82, 88, 116, 177.
47 Voir Robert J. Ellrich, « The Rhetoric of “La Religieuse” and Eighteenth-Century Forensic Rhetoric », Diderot Studies, vol. 3, 1961, p. 129-154, en particulier p. 150-152.
48 Georges Daniel, Le Style de Diderot. Légende et structure, Genève, Droz, 1986, p. 143.
49 BnF, NAF 13726, fo 40 vo.
50 BnF, NAF 13740, fo 114 vo.
51 Georges Daniel, Le Style de Diderot, op. cit., p. 143.
52 Voir Colas Duflo, Les Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman du xviiie siècle, Paris, CNRS Éditions, coll. « Biblis », 2013, p. 125-140.
53 Elle-même limitée puisque, comme le rappelle Jean Parrish, « le personnage de M. Manouri est trop faible pour porter le fardeau d’une telle éloquence » (« Conception, évolution et forme finale de La Religieuse », Romanische Forschungen, vol. 74, nos 3-4, 1962, p. 361-384, ici p. 371).
54 Voir Frank Salaün (dir.), Rousseau-Diderot. Un entretien à distance, Paris, Desjonquères, coll. « L’esprit des lettres », 2006.
Actes de la journée organisée à l'université de Rouen dans le cadre du programme d’agrégation (Diderot, La Religieuse et Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse), en novembre 2022, publiés par Karine Abiven, Floriane Daguisé, Judith le Blanc et Laurence Macé
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Séminaires de recherche », n° 17, 2023
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=1317.
Quelques mots à propos de : Clara de Courson
Sorbonne Université
EA 4509-STIH
Clara de Courson est agrégée de lettres modernes et docteure en langue et littérature françaises de Sorbonne Université (2022). Elle est l’autrice, avec Florence Lotterie, de Diderot, La Religieuse (Éditions Atlande, 2022) ; l’ouvrage issu de sa thèse paraîtra aux éditions Classiques Garnier sous le titre suivant : « Des voix confuses et lointaines ». Représentations acoustiques du discours chez Diderot.