Combats politiques et sociaux
Chansons et politique pendant la Restauration : le cas d’Émile Debraux
Romain Benini
Introduction
1Émile Debraux est né à Ancerville, dans la Meuse, le 13 fructidor an IV de la République (i. e. le 30 août 1796), et il est mort à Paris le 12 février 1831. C’est l’un des chansonniers les plus importants du xixe siècle, et le second en renommée après Béranger jusqu’à la Deuxième République. Béranger lui-même a écrit une chanson pour servir de préface à ses œuvres complètes, et il affirme dans les notes qui accompagnent cette chanson que « peu de chansonniers ont pu se vanter d’une popularité égale à la sienne, qui certes, était bien méritée1 ». Il explique également dans sa correspondance que les chansons de Debraux étaient un sujet d’étude pour lui, « parce qu’il était plus à portée [qu’il] ne l’étai[t] [lui]-même d’étudier les classes auxquelles [il s’est] adressé si souvent2 ».
2C’est avant tout cette proximité avec les « classes populaires » que les contemporains signalent à propos de Debraux : Gustave Leroy3 et Constant Arnould4, deux chansonniers postérieurs, en dressent un portrait de chansonnier pauvre, aimé du peuple et méprisé des riches. Vapereau dit qu’il était appelé « le Béranger de la canaille5 », et, d’après Larousse, « le peuple admira Béranger un peu sur parole ; [mais] il comprit, il aima Debraux6 ». Ces différents témoignages poussaient à considérer la singularité et l’importance de celui qui se désigne comme « Émile » dans ses chansons, et ce dès avant la réévaluation que connaît actuellement l’œuvre de Debraux, dont Claude Duneton considère sans ambages dans son Histoire de la chanson française qu’il est « le plus grand chansonnier français de tous les temps7 ».
3On remarque cependant que la plupart des évocations d’Émile reposent sur une mise en comparaison avec Béranger : serait-ce que l’intérêt de son œuvre réside uniquement dans l’éclairage contrastif qu’elle apporte à celle du « poète national », en permettant d’observer à quel point les chansons de ce dernier sont, selon le locuteur, excellemment ou excessivement maîtrisées ? On pourrait être tenté, de ce point de vue, de n’étudier Debraux que comme un épigone de Béranger – les multiples allusions qu’il fait à ce dernier rendant la chose d’autant plus aisée. Cependant, comme chacun le sait depuis la « chanson-prospectus » de Béranger, Debraux était le roi de la goguette8 et les enjeux de son écriture ne sauraient pour cette raison même être assimilés à ceux du poète national. Auteur pendant plus de dix ans (entre 1819 et 1831) de chansons qui servent d’indication de timbre à des centaines de compositions pendant tout le siècle, à l’instar de la très célèbre T’en souviens-tu9 ?, Debraux a été l’un des plus grands chantres de la légende napoléonienne, et ses chansons y ont contribué probablement autant que celles de Béranger. Il a participé également dans le sillage du « poète national » au renouveau de la chanson, et notamment à la revalorisation du genre par l’écriture politique. Il s’agit donc de s’intéresser à sa production pour elle-même, et de voir sa complexité, notamment en relevant la diversité des prises de position politiques, parfois difficilement conciliables, qui se font jour dans une œuvre d’autant plus riche qu’elle est considérable, puisqu’elle comprend, dans l’édition des Chansons nationales nouvelles (désormais « CN ») en 4 volumes de 1831-1832 chez Terry, 505 chansons.
Debraux et la politique : évolution générale
4Dans Les Adieux d’un prisonnier (Sur l’air du Mont Saint-Jean), écrit à Sainte-Pélagie en 1824, Debraux fait parler un chansonnier :
Quand dans mes tristes rêveries
J’irai non loin de mes foyers
Pleurer sur les tombes chéries
Que recouvrent tant de lauriers ;
De Lallemant10, la froide cendre,
Semblera me dire ces mots :
Les pleurs que ma mort fit répandre
Conduisent au fond des cachots11.
5Étant donné la situation d’énonciation indiquée, et le reste de la chanson, l’effet recherché est évidemment la tonalité élégiaque, à laquelle il est difficile de ne pas donner pour source l’auteur incarcéré. Pour le récepteur, l’idée qui naît spontanément est que Debraux a été condamné pour ses idées napoléoniennes. En fait, on sait qu’il n’en est rien, puisque sa légère condamnation à un mois de prison et 16 francs d’amende12, porte sur quatre chansons grivoises réunies dans un recueil collectif publié sous son nom en 1823 et intitulé Le Nouvel Enfant de la goguette. Il ne faut pas néanmoins sous-estimer les conséquences virtuelles du discours napoléonien pendant la Restauration, et s’il n’a pas été condamné, Debraux était bien connu, notamment des services de police, pour cette raison.
6C’est ce que permettent de vérifier les archives de la Police conservées dans la série F7 des Archives nationales. En 1820, dans un rapport du 31 mars « sur les sociétés ou réunions lyrico-bachiques », on apprend que Debraux a pris la présidence d’une des « parties » de la société qui se réunissait à l’estaminet de la Grande Goguette13. Le 7 septembre 1821, il est question de « faire observer plus particulièrement la [sic] la Petite Goguette de la rue St Jacques, no 15, qui est dirigée par le nommé Dubreaux [au-dessus : « Desb– »], et qui paraît animée d’un mauvais esprit ». Dans un autre rapport du 24 août 1821, à la page 3, on lit :
Il existe chez un marchand de vin rue St Jacques no 15 une petite goguette présidée par un nommé Desbreaux, auteur connu d’une chanson intitulée la Colonne. Cette réunion est peu nombreuse, elle se compose de quelques ouvriers mds du plus bas genre, qui passent pour être assez mal disposés en opinion politique.
7Debraux était donc identifié comme auteur de La Colonne, chanson à la gloire de Napoléon, et les services de Police considéraient alors que les goguettes étaient à surveiller entre autres pour les discours qui parlaient du retour de l’empereur ou de la grandeur impériale. Mais c’est fort probablement Debraux que l’on retrouve dans le même rapport, un peu plus loin. Il y est question d’une autre société chantante, intitulée « les amis de la Constance », qui « comporte environ 30 individus presque tous ouvriers bijoutiers qui se réunissent sans jour fixe une fois par mois » :
[…] il paraît que c’est simplement pour se récréer, on y distingue les Srs Langlumé [?], Duplessis, occupés chez des bijoutiers connus ; et le Sr Parny professeur de langue anglaise. Il n’est parvenu aucun renseignement défavorable sur leur opinion, on sait même qu’un Sr Debret (Émile) a été chassé de cette société, parce que, par récidive, il chantait, et distribuait des chansons séditieuses de sa composition.
Ce même Débret [sic], âgé de trente ans environ a été renvoyé de l’école de médecine où il avait un emploi de 3 000 fr. La cause de ce renvoi a été une manifestation d’opinions politiques contraires au gouvernement du Roi.
8Les indices permettant de penser que ledit Debret n’est que le résultat d’une graphie erronée pour Debraux sont assez nombreux :
9– d’abord, les rapports de police en question comportent souvent des graphies assez erratiques, et Debraux lui-même est désigné comme Desbreaux (avec s et e supplémentaires), Dubreaux ou encore Desbro (à propos de la Société d’amis du terrier des lapins du midi) ;
10– ensuite, Debraux avait 25 ans en 1821, ce qui peut correspondre aux « trente ans environ » ;
11– par ailleurs, le prénom de Debret (Émile) correspond à celui de Debraux qui était un goguettier connu et assidu ;
12– enfin, on sait que Debraux a quitté plusieurs fois entre 1816 et 1826 son emploi à la faculté de médecine, où il rédigeait la table des thèses soutenues chaque année, alors que d’après un conservateur actuel de la Bibliothèque InterUniversitaire de Santé, rien ne permet de corroborer l’existence d’un employé nommé Debret, à une époque où le nombre d’employés de la bibliothèque était pourtant assez restreint.
13Albert Cim s’étonne dans sa biographie d’une précision donnée par le Colonel Staaf :
J’ignore où le lieutenant-colonel Staaff a puisé le renseignement fourni par lui dans la vaste anthologie publiée sous son nom14, qu’« Émile Debraux avait occupé quelque temps un emploi à la bibliothèque de l’École de Médecine, et avait bientôt donné une démission qu’on lui aurait sans doute imposée ». C’est là une insinuation que rien ne justifie. Les archives des bureaux de l’École de médecine ne renferment aucune trace de cette prétendue démission, pas une ligne, pas un mot qui puisse laisser croire qu’Émile Debraux a été contraint par l’administration, et plus ou moins ouvertement, de résigner ses modestes fonctions.
14Le passage cité plus haut semble donner raison au colonel, et montrer que les idées de Debraux étaient bien considérées comme séditieuses jusque dans certaines goguettes. L’image du chansonnier qui a été construite par la suite, entre autres par ses éditeurs, repose en grande partie sur la dimension critique et contestataire de sa production. Cela est visible dès après sa mort, puisque l’un des volumes publiés par Terry de manière posthume et qui prend place dans les chansons complètes est intitulé Chansons patriotiques, joyeuses, philosophiques et ci-devant séditieuses15.
15Le contenu politique des œuvres de Debraux est mentionné comme un trait fondamental par les deux préfaces des recueils posthumes, écrites pour la première par Fontan et pour la seconde par un auteur anonyme parfois pris pour Béranger16.
16De fait, la poétique générale de Debraux, telle qu’on peut la caractériser d’après les quelques textes où il l’expose, fait de la chanson un lieu de satire, de contestation, et d’exercice d’une pensée critique vis-à-vis des travers sociaux et des pouvoirs successifs. C’est le cas dans Le Chansonnier où il appelle à « Décoche[r] comme Émile / Sur maint abus un couplet chicanier », ou dans Appel à la chanson (sur l’air de L’Aveugle de Bagnolet) où le refrain dit :
Combattez, joyeux chansonniers,
Vous serez l’orgueil du Parnasse,
Combattez, joyeux chansonniers,
Méritez de nouveaux lauriers17.
17Dans une autre chanson, intitulée Je n’ m’enrhumerai pas (sur l’air d’On dit que je suis sans malice), il affirme en novembre 1827 :
Quelques auteurs quittent la plume,
Leur voix se tait ou bien s’enrhume,
Quand ils pourraient à nos ultras,
Donner encor le coup du bas ;
Moi, qui connais mon caractère,
Tant que règnera l’arbitraire,
Non, morbleu, je n’ m’enrhumerai pas18.
18Plusieurs précautions doivent cependant être prises : d’abord, il est toujours difficile de savoir ce que l’on doit considérer comme « chanson politique19 ». Chez Debraux, les couplets qui précèdent montrent que les déclarations se font souvent de manière générale, contre les abus, l’hypocrisie, le girouettisme, le clientélisme et la tromperie, plus que contre des directives ou des groupes politiques bien identifiés.
19En outre, dans nombre de textes où Émile essaie de s’inscrire dans la tradition chansonnière la plus commune avant Béranger, il dénonce l’usage trop fréquent des couplets politiques20. Il n’en reste pas moins que la chanson debralienne type contient, en plus des développements bachiques ou amoureux, au moins un couplet encomiastique touchant l’Empire ou un grand personnage libéral, ou un couplet satirique sur des questions largement politiques. Ce sont donc ces éléments que l’on se propose d’étudier ici.
Le libéralisme de Debraux
20D’un point de vue politique, Émile appartient assez clairement au courant libéral. Cette appartenance est visible dans nombre de chansons, à travers différentes prises de positions que l’on peut regrouper grossièrement dans les catégories suivantes : opposition au personnel ultra et à la religion, défense de la liberté de la presse, intérêt pour le peuple et son expression et revendication d’indépendance.
21De nombreuses chansons s’en prennent nominativement et de manière plus ou moins détournée aux ministres de Louis XVIII ou de Charles X. Trois chansons sont particulièrement remarquables de ce point de vue : La Maladie des ministres, datée de 1820, Les Osages, datée de 1827, et Le Décampement du ministère, probablement écrite en 1828.
22La Maladie des ministres, sur l’air de La Petite Bergère21, est écrite dans la période qui suit immédiatement l’assassinat du duc de Berry. Les libéraux croient alors, à l’instar de La Fayette qui l’exprime de manière quasi explicite à la chambre, que les mesures d’exception proposées par les ultras visent à revenir sur plusieurs droits octroyés par la Charte, surtout après les lois des 28 et 31 mars sur la liberté individuelle et sur la presse. Villèle a été appelé brièvement à la présidence de la Chambre, mais les mesures présentées par Decazes reçoivent un très mauvais accueil de la part de la gauche et de la droite modérée. Debraux fait de ce revers politique une maladie qui aurait atteint plusieurs ministres :
Une contagion étrange
Éclate au palais Rivoli :
On prétend purger de Villèle,
Et Corbière bouquine au lit ;
Frayssinous est au lait d’ânesse,
Les jésuites sont sur le dos ;
Nos maréchaux vont à confesse,
Et Chabrol va prendre les eaux.
Loin que la France s’en émeuve,
Dans ce ministère estropié
Elle croit trouver une preuve
Que le ciel la prend en pitié.
Nos ministres sont si maussades
Qu’enfin, pour ne déguiser rien,
Ce n’est que lorsqu’ils sont malades
Que le peuple se porte bien.
23S’ensuivent plusieurs couplets qui visent Tonnerre, Delaveau, Ravez, Peyronnet, Franchet, et de nouveau Villèle. Au cinquième couplet, le chansonnier menace clairement le gouvernement, à travers un jeu de syllepses, de polyptotes et de dérivations, et les allusions menaçantes au passé révolutionnaires sont transparentes :
Ministère, toi qui te piques
Au piquet de nous battre un quart,
Le peuple gardera les piques,
Si tu mets les cœurs à l’écart.
En vain tu prends pour ta demeure
De riches et vastes palais,
Apprends que la tierce-majeure
Passe avant les quatre valets.
24Les Osages (sur l’air de Moi je flane22) prend pour prétexte l’arrivée en 1827 de plusieurs Osages à Paris pour décrire les mœurs des habitants de leur point de vue, suivant un procédé littéraire bien éprouvé. Dans deux couplets, le canteur explique que les Indiens ont fui comme des lapins en voyant Corbière, qu’ils « ont pris monsieur Franchet / Pour un sombre janissaire » et qu’ils « ont pris mons [sic] Peyronnet, / Et Frayssinous et sa bande / Pour des piliers de gibet ». La pointe de la chanson fait mine de cacher sa grossièreté en mettant à la place des noms des points de suspension, alors que les rimes indiquent une leçon très claire :
Enfin, las de voir les rois
Par la main de leurs ministres
Couvrir de haillons sinistres
Et notre France et ses droits,
Ils ont pris pour passer outre
Dans leur jugement fougueux,
Villèle pour un j…-f….. [jean-foutre]
Et Ch…. pour un pl..-g….. [Charles / plat-gueux23]
25Le Décampement du ministère commente à coup d’insultes la chute du ministère Villèle en 1828. À nouveau, les points de suspension viennent masquer des noms que leur majuscule et le nombre de syllabes du vers permettent d’identifier très aisément.
26On a vu que l’archevêque Frayssinous était évoqué à plusieurs reprises en tant que membre du ministère, mais le premier couplet de La Maladie des ministres évoquait également les jésuites. Ceux-ci, ainsi que les missionnaires auxquels ils sont souvent assimilés, et que l’ultramontanisme, sont comme dans de nombreux pamphlets de l’époque une cible privilégiée pour Debraux. Plusieurs chansons leur sont intégralement consacrées, par exemple Les Araignées-missionnaires en 1820 (sur l’air Ah ! le cœur à la danse), mais aussi Les Bons Fainéants (air de L’Antique Ausonie) et La Montrougienne en 1827 (air du Visage teint). Saint-Acheul, Montrouge, Loyola, Escobar, sont dans d’innombrables textes les noms propres qui renvoient aux jésuites et aux émissaires du pape.
27Contre le gouvernement et la religion, la liberté de la presse, élément central de la pensée et du combat libéral, est fondamentale pour Debraux. Il mentionne souvent la censure dans un couplet isolé, comme dans Ça vaut bien mieux (air de C’est un sorcier) ou dans Les Beaux Jours (air de La Petite Bergère), et il écrit plusieurs chansons à la gloire de la presse, comme Les Enfants de la presse (air d’Honneur aux Enfants de la France24) ou Les Chiffonniers (air de Quand on va boire à l’écu), qui font de l’imprimerie le vecteur des lumières et l’ennemi de l’esclavage. Surtout, plusieurs textes sont consacrés expressément aux lois sur la presse qui se succèdent pendant la Restauration : Lettre au ministre sur les abus de la presse (air de C’est la mère Bontemps), datée de 1820, où un aristocrate déplore les mœurs égalitaristes nouvelles dues aux journaux en commentant à chaque refrain : « Voilà c’ qu’a rapporté / Vot’ chienn’ de liberté25 ». Les années qui suivent voient paraître La Liberté de la presse (air de Marianne), Le Censeur gascon (air de La Treille de sincérité) et sa suite Adieux à mes ciseaux (air d’Il ne faut pas dire fontaine), ainsi que Le Retour de la liberté (sans air indiqué, daté de septembre 1825, mais probablement écrit en 1828), et surtout que Mort de cette malheureuse loi de justice et d’amour (« pot-pouri », [sic]) qui raille le projet de loi apporté à la Chambre par Peyronnet le 19 décembre 1827 et retiré par le ministère le 12 mars de l’année suivante de peur des émeutes26.
28La pensée libérale de Debraux se voit encore à son attachement pour le peuple et pour la parole populaire. La défense du peuple est notamment visible dans la chanson Qu’il est heureux (air d’Il est sauvé. Laitière de Montfermeil) qui, entièrement antiphrastique, tend à montrer à la fois la misère qui touche les classes les moins aisées de la population, et le regard condescendant porté sur elles par les notables. Dans d’autres textes, Émile défend la capacité pour le peuple à participer à la vie politique : c’est le cas dans L’Électeur désappointé (air du Marquis de Carabas) où un aristocrate constate avec horreur qu’un roturier peut être élu, mais aussi dans plusieurs chansons qui prônent l’instruction, par exemple L’Histoire à douze sous le volume (air d’Un saint craignant de pêcher [sic]). Cependant, l’idée d’une participation politique du peuple ne semble pas être pour le chansonnier synonyme de républicanisme, puisque dans une chanson comme Le Chant d’un prisonnier (sur l’air de Philoctète), datée de 1827, on lit :
Parle à ton roi ; tu le peux, il le faut,
Il tient de Dieu son sceptre tutélaire,
Il entendra ta plainte et ta prière,
La Voix du peuple est la voix du Très-Haut,
Il en est temps, qu’au palais elle advienne,
Un prince juste aime la vérité.
29Le discours est ambigu : d’une part, dans une longue tradition qui sera remobilisée par la révolution de 1830 et par celle de 1848, on entend la phrase « La voix du peuple est la voix de Dieu » (Vox populi, vox dei), et d’autre part, le droit divin de la monarchie est affirmé. La position de Debraux n’est donc pas démocratique au sens strict, et ce qu’il veut pour le peuple est avant tout un droit d’expression et de consultation.
30Dans son Histoire de la Restauration, Lamartine explique à propos de La Minerve que ses rédacteurs (au nombre desquels il met Béranger) « s’appelaient les indépendants, dissimulant ainsi leur opposition27 ». C’est probablement à ce courant qu’appartient Debraux, qui d’ailleurs faisait dans la Lettre au ministre sur les abus de la presse de La Minerve l’organe des jeunes gens à réprouver. Bien que les mots libéral et libéraux apparaissent dans ses chansons (notamment dans Le Libéral devenu jésuite – sur l’air de Bon voyage, M. Dumollet – et dans La Liberté de la presse), et que ces termes s’opposent avant tout à ultra et à jésuite, le mot qui semble caractériser le mieux la position de Debraux est ainsi celui d’indépendance. Dans la chanson qu’il consacre à cette notion28 l’indépendance exclut apparemment la politique. Cependant c’est en coupant un discours politique naissant que cette idée est affirmée, et l’on comprend que l’indépendance en question se définit par la volonté d’échapper à la répression, mais aussi par un discours politique répréhensible à l’époque. Or Debraux s’oppose à de nombreuses mesures du gouvernement, on l’a vu, et il le fait jusque dans des chansons contre des lois touchant la mendicité29, le ravageage30 ou encore la prostitution31. Il se distingue également dans Le Cordon sanitaire (sur l’air de La Liberté de la presse, donc de Marianne) de ceux qu’il appelle les « gens de droite », mais sa pensée politique n’est pas toujours identifiable, et l’on observe, à propos des grandes questions que soulèvent l’Empire, le roi et la Charte, des divergences de points de vue parfois difficilement interprétables. Il est piquant à ce sujet que La Boutonnière, qui donne son air à L’Indépendance et qui la précède immédiatement dans l’édition Terry (1831-1832), se termine par un couplet sur Désaugiers : Désaugiers, chef de file de la chanson pré-bérangérienne, qui vante l’insouciance et les plaisirs de la table, s’était violemment opposé à Béranger au sujet de l’indépendance que celui-ci professait (par exemple dans Mon indépendance) et qui lui permettait de critiquer ses revirements politiques (dans Paillasse, en 1816). Désaugiers avait écrit en réponse à Béranger la très railleuse chanson du Commis indépendant (1817)32. Dans La Boutonnière qui chante les « vieux soldats », comme avec L’Indépendance, Debraux se trouve ainsi pris entre deux autorités devenues incompatibles, l’une amie de la Restauration, l’autre vantant les gloires de l’Empire et les souvenirs du peuple.
Complexité du discours politique : Napoléon, les rois, la Charte
Napoléonisme vs bonapartisme
31Debraux est connu avant tout pour sa participation à la légende napoléonienne. Cela a été perçu dès le xixe siècle, et Philippe Darriulat explique après Pierre Brochon et de nombreux auteurs qu’il est un « grand diffuseur, avant Béranger et sans doute avec plus de force que lui, de la légende napoléonienne33 ». Il est vrai que les chansons les plus connues de Debraux, à l’exception du P’tit Mimile, sont toutes consacrées au souvenir des hauts faits de l’armée napoléonienne :
32– Certaines évoquent des symboles napoléoniens, comme la Colonne34, L’Aigle35, L’Étoile du courage36, La Croix d’honneur37, ou encore les Violettes38.
33– Certaines évoquent des batailles ou des lieux : Le Mont Saint-Jean39, Sainte-Hélène40, Marengo41, Le Champ de bataille42, Montebello43, etc.
34– D’autres présentent ou font parler d’anciens soldats de l’Empire, généralement devenus demi-soldes : c’est le cas de Te souviens-tu ?44, de L’Opinion de la Grenade45, de Mon histoire46, du Moulin de Mathelin47, de Le Vieux père48, de Le Vétéran49, et de Grand-père !…, qui se donne comme le pendant des Souvenirs du peuple de Béranger (« Parlez-nous de lui Grand-père / Parlez-nous de lui50 »), etc.
35– D’autres enfin sont écrites à la mémoire des grands hommes qui ont entouré Napoléon : La Mort de Brune51, Bertrand au tombeau de Napoléon52, Montebello53, Le Prince Eugène54. Foy, qui allie le passé napoléonien à l’engagement libéral, est célébré dans deux textes, Foy55 et Mort du général Foy56, dont le second, non destiné au chant, est l’un des plus longs écrits par Émile.
36On l’a vu, le chansonnier était pendant son exercice même connu comme chantre de la légende napoléonienne, et dans plusieurs chansons il évoque les risques pris à aborder ces événements du passé, à l’instar de ce qu’on a pu observer dans les Adieux d’un prisonnier. Dans Les Amis d’à présent également, il explique ainsi :
De nos guerriers laisse dormir la gloire,
Sur ces sujets on a les yeux ouverts ;
Tel qui voulut célébrer leur histoire,
En les chantant n’a trouvé que des fers.
Tant qu’on verra la police endormie,
À tes couplets chacun applaudira,
Qu’elle s’éveille, on te dénoncera :
Tel qui vous flatte aux beaux jours de la vie,
Dans le malheur qui vous calomnîra57… [sic]
37On pourrait donc penser que Debraux était un bonapartiste fervent, et il est vrai qu’à la fin de La Redingote grise58, le fils de Napoléon est décrit comme mieux indiqué que les rois pour reprendre l’héritage de son père. Cependant, dès ses chansons élégiaques, et dès le propos qu’il y applique dans le couplet cité il y a quelques instants, on s’aperçoit que c’est la gloire passée, rehaussée par le malheur, qui est célébrée. Dans Faites comme moi59, il est dit explicitement que c’est au moment du « désarroi » que le chansonnier est autorisé à chanter les conquêtes des vaincus.
38De fait, l’examen général des chansons laisse à penser que Debraux n’est pas bonapartiste, et que s’il a célébré les victoires militaires et la grandeur conférée à la patrie par l’Empire, il n’en est pas moins critique de la forme de gouvernement adoptée par Napoléon.
39Cela est tout d’abord visible dans ses revendications de pacifisme : dans Les Fleurs et les couronnes, il demande aux Français de ne plus mettre « les peuples en alarmes » et de ne plus chercher « à leur donner des fers » : « La moindre fleur que l’on sut mériter / Vaut mieux qu’une vaine couronne60 ». Il reprend cette idée dans Départ pour la Champagne, où il demande à ses « frères » d’abjurer les fureurs de la discorde, et donc de la guerre : « En repoussant les erreurs de vos pères / N’embrassez pas de nouvelles erreurs61. » L’allusion n’est pas évidente, mais le rejet de la guerre, ainsi que l’idée de la succession des erreurs, peuvent renvoyer aussi bien à l’Empire après l’Ancien Régime qu’à la Restauration après les excès de la Révolution. Embrassez-vous mentionne également « deux cultes » qui ont commis d’affreux excès, et l’un d’eux pourrait bien être l’entreprise napoléonienne.
40Quoi qu’il en soit, certaines chansons s’en prennent clairement à la période napoléonienne, et font de l’empereur un repoussoir. Dans Tirez la ficelle, ma femme62, le bonheur disparaît avec l’avènement d’un Alexandre qui rappelle Napoléon :
Voyez c’ conquérant,
C’t Alexandr’-le-Grand,
Qui voulut dompter l’Asie
Sous ses étendards ;
Voyez les fils d’ Mars
En prendre à leur fantaisie ;
Tout, d’ ses exploits,
Chante à plein’ voix
L’ programme ;
L’ peuple, aux abois,
L’ premier des rois
L’ proclame.
L’ bonheur dit adieu ;
Bonsoir au d’mi-dieu :
Tirez la ficell’ ma femme.
41À propos de L’Arbre de liberté, symbole révolutionnaire, le chansonnier dresse l’allégorie suivante :
De son sommet l’aigle aux serres brûlantes
S’élance un jour : tout tremble devant lui.
Pourquoi, l’ingrat, de ses feuilles brillantes,
Dépouilla-t-il son père et son appui63 ?
42La transposition est aisée : l’aigle est Napoléon, l’arbre la liberté conférée par la législation révolutionnaire, et le dépouillement final désigne la suppression par l’empereur des droits du peuple et de la sécurité nationale.
43Dans Mes vieux souvenirs, le canteur se remémore :
J’avais trente ans, lorsqu’à notre rivage
L’homme du siècle osa donner des fers.
Et cependant, même au sein du servage,
La France encor planait sur l’univers64.
44C’est ce souvenir d’un Napoléon conquérant sanguinaire et tyrannique que l’on retrouve dans Séjan favori de Tibère65 et dans Mort du général Foy où après avoir constaté qu’« En vain un conquérant avait doré les chaînes / Dont vingt ans il nous accabla. » Debraux explique au général que « ces pleurs versés sur ton cercueil / Ils ne sont point offerts à l’éclat de tes armes ». À ces critiques s’ajoute l’idée de parjure et de trahison de Napoléon à la république et à la patrie, que l’on retrouvera plus tard chez Victor Hugo. Dans Tâchez d’en faire autant, le canteur s’écrie : « Son règne, hélas ! n’était pas légitime66 », et dans Je l’attends, il dit :
Trahissant, à la République,
Son serment de fidélité,
Un conquérant d’une main despotique,
Déracina l’arbre de liberté.
Mais le malheur expia ce parjure67 […]
45Ce dernier passage permet d’aborder le dernier point important de la politique de Debraux. Dans la chanson en question, on lit au couplet suivant :
Autour de la Charte française,
Prenant tous de joyeux ébats,
Laissons un peu dormir la Marseillaise ;
Plus n’est besoin d’enfanter des soldats.
46Si le régime bonapartiste est rejeté, si les conquêtes sont condamnées, c’est parce que l’intérêt politique premier reste la liberté du peuple français, liberté qui ne peut s’acquérir que dans la paix et par un régime de droit constitutionnel que semble garantir la Charte. C’est ainsi que dans La Dernière Goutte, la supériorité du régime nouveau sur l’Empire est posée, parce que celui-ci suppose des droits contractuels et l’arrêt des politiques de conquête :
La Charte vaut mieux qu’un drapeau,
Comptât-il vingt ans de victoire68.
47Bien que le couplet se poursuive par un rappel des devoirs du roi et de la vaillance du peuple sous son drapeau, la supériorité de la Charte sur le drapeau est un symbole très fort en langage chansonnier, à une période où le drapeau était un signe de contestation, et où Béranger avait été inculpé entre autres pour « provocation au port public d’un signe extérieur de ralliement non autorisé » à cause de Le Vieux Drapeau. Debraux lui-même a écrit maintes fois en faveur des trois couleurs, et la fin du couplet cité insiste sur l’adjectif tricolore, mais il n’en reste pas moins que la Charte vient, pour lui, rendre inutile cette revendication révolutionnaire.
Les rois et la Charte
48C’est à partir de cet amour de la Charte que l’on peut comprendre le discours du chansonnier à l’égard des rois de la Restauration. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, et loin des appréciations un peu rapides sur la dimension contestataire de son œuvre, on observe dans plusieurs textes une allégeance parfois un peu étonnante au régime en place. Albert Cim mentionne certaines de ces chansons, mais sans distinguer entre les allocutaires, ce qui rend son analyse quelque peu contestable, dans la mesure où il s’étonne que Debraux célèbre Louis-Philippe en 182769, sur l’air de Je reviendrai, alors même que Louis-Philippe incarnait à l’évidence une tradition politique plus compatible avec l’héritage révolutionnaire (il est fils de régicide et ancien soldat de l’armée révolutionnaire).
49Il y a donc lieu de distinguer chez Debraux entre les trois rois qui se succèdent de 1814‑1815 à 1831. Louis XVIII est assez peu mentionné explicitement : dans un texte intitulé Pourquoi vieillissons-nous70 ? (sur l’air d’Ah ! si le roi savait) il y est fait allusion sous la figure d’un âne, face à Napoléon qui est un lion. Il est fait parfois mention également des lois de 1820, 1821 et 1822 rétablissant la censure, et Debraux s’en prend à ce Bourbon sous qui « la haine osa […] / Mettre un bâillon à la parole71 ». Dans La Fête à l’ours Martin, sur l’air du Carnaval de Béranger, datée de 182572, l’auteur commémore ironiquement la Saint Louis, que Louis XVIII avait célébrée encore l’année précédente, le roi est représenté sous les traits d’un renard qui demande au peuple de s’amuser sous la contrainte malgré la misère.
50Louis-Philippe, lui, est présent tout d’abord avec la chanson déjà mentionnée, mais aussi dans une chanson intitulée La Charte, sur l’air d’En avant, Marchons, composée après 1830 :
[…] plus de crainte pour la charte
Car, si jamais l’on s’en écarte…
Le coq chantera,
Philippe entendra,
Et soudain sa voix, sa noble voix rendra
L’espérance
À la France73.
51Autre personnage royal auquel une chanson est consacrée : le duc de Bordeaux, Henri d’Artois, « enfant du miracle ». Debraux s’adresse à lui dans Henri74, où après avoir dit que « Berri secouant sa cendre / Renaît sous le nom de Henri », il lui adresse des conseils de vaillance en lui rappelant notamment l’épisode napoléonien. Tout cela s’inscrit dans la continuité des idées politiques vues jusqu’alors.
52Ce qu’il est plus difficile de comprendre, c’est le discours fluctuant que Debraux tient à propos de Charles X. Dans Le Lendemain, sur l’air d’On dit que je suis sans malice, il s’en prend aux « flatteurs » qui « chant[ent] la clémence / De chaque nouveau souverain75 », et à travers la figure du Grenadier, sur l’air de Vous dont le seul désir, il prône l’attitude de ceux qui se refusent à « prendre la lyre pour célébrer les rois76 ». Cela est tout à fait en accord avec les chansons satiriques où il fait du gouvernement et du roi des oppresseurs. On a vu plus haut que Charles était traité de « plat-gueux » dans Les Osages. La Girafe, sur l’air d’Elle aime à rire, etc., va dans le même sens, en 1827, puisqu’elle oppose Charles X, reconnaissable dans le propos rapporté au premier couplet, à l’animal renommé par sa bêtise :
Au peuple, expirant de souffrance,
Dit-elle en singeant vos vertus :
Ce n’est qu’une bête de plus
Qui se faufile dans la France77 ?
53La chanson entière tend à montrer que la girafe, toute stupide qu’elle soit, est supérieure au roi d’un point de vue moral et politique. Pourtant, dans Pétition au roi, sur l’air d’Aristippe78, et Le Voyage dans le Nord, sur l’air de La Conscription de l’amour79, toutes deux également composées en 1827, le canteur exhorte le roi à changer de politique en le distinguant de ceux qui tentent de l’abuser. Il s’adresse à lui en tant que sujet, et c’est une supplique plus que des menaces qu’il lui envoie. En 1828, après l’avènement du ministère Martignac, il écrit une chanson intitulée La France a retrouvé son roi, où il parle d’« un souverain clément et juste » (sur l’air de La Petite Bergère), et à la suite de la suppression de la censure et de l’échec de la « loi de justice et d’amour », il dit : « Charles, ce nouveau Nestor / Ne veut point d’un peuple d’esclaves. / Sa voix a brisé nos entraves80 ». Néanmoins, après la Révolution de Juillet, Les Infortunes de Robin des bois raillent à nouveau avec violence le roi qui s’enfuit et qui est appelé « Charlot81 ». Le discours concernant Charles X n’est pas tout à fait homogène, et c’est en fait la considération qu’a Debraux pour la Charte qui permet de le comprendre. De nombreux couplets sont adressés à la Charte dans l’ensemble de l’œuvre, et si le roi est défendu ou célébré, c’est parce qu’il est le garant de la Charte, et donc du régime constitutionnel dans lequel le peuple peut avoir des droits. Plusieurs chansons permettraient de le voir82, mais on ne citera qu’un quatrain, tiré de La Charte de l’amour (1820), et chanté sur l’air de La Conscription de l’amour :
Ô toi qui nous donnas la Charte,
Conserve son intégrité,
Car si jamais l’on s’en écarte,
C’en est fait de la liberté83.
54Pour Debraux, le roi doit être défendu parce qu’en tant que garant de la charte, il est le garant des libertés du peuple, et notamment des libertés que Napoléon avait oubliées. C’est ainsi, avec le rejet de la tyrannie guerrière de l’Empire et la foi dans la Charte, que l’on peut comprendre ce qui apparaît d’abord comme une palinodie dans Le Coq, où ce dernier est un symbole de la France monarchique, et où il est dit que
L’Aigle, par des promesses vaines,
Trop long-temps sut nous abuser ;
C’est lui qui reforgea nos chaînes :
Le coq venait de les briser84.
55C’est aussi à cause de la confiance placée dans la Charte, et partant dans le souverain qui est censé la défendre, que Debraux peut dans Mort du général Foy, évoquer les « voix consolatrices des fils de Saint Louis », et faire coexister un discours élogieux sur le roi et une condamnation des « ruses politiques des ministres de nos rois ».
56Les idées politiques de Debraux sont parfois contradictoires, au moins en apparence, mais elles sont liées à un idéal politique d’indépendance, d’honnêteté et de concorde après les troubles de la Révolution et de l’Empire. Si la verve politique du chansonnier peut sembler parfois étonnamment conciliatrice, lui qui par ailleurs s’engage à flétrir « maint abus », c’est qu’il cherche avant toute chose, dans la critique comme dans le compromis, l’apaisement d’un peuple dont il attend qu’il redonne à son pays la grandeur déchue.
1 Pierre-Jean de Béranger, Œuvres complètes, Paris, Perrotin, 1834, t. 3, p. 360-363 et 402-403. La « chanson-prospectus » de Béranger se chante sur l’air Dis-moi, soldat, t’en souviens-tu ? (sur cet air, dû à Debraux, voir les note 8 et 9 ci-dessous).
2 Béranger, lettre à Ch. Lepage du 4 mars 1833 dans Correspondance de Béranger, éd. Paul Boiteau, Paris, Garnier frères, t. 2, p. 120.
3 Leroy écrit dans Les Chants de l’avenir en 1844 (sur l’air d’À chaque vers j’attache un souvenir ou du Drapeau de la Liberté) : « Plus tard on vit à nos barrières / Un goguettier qu’on réverait, / Composer des chants populaires / Sur le comptoir d’un cabaret. / Si le riche aujourd’hui l’oublie, / Le peuple aime à s’en souvenir ; / Debraux d’un luth taché de lie / Laissait tomber quelques chants d’avenir. »
4 « […] Égesipe et Debreau ; / Le jour sans pain, sans argent, sans ouvrage, / L’hiver sans lit, sans lumière et sans feu, / Mourant de faim, de froid et d’esclavage, / Ces nobles cœurs chantaient le Peuple et Dieu, / Et le bonheur qu’ils connaissaient si peu. » (Arnould, Ma Chambre, dans L’Écho du peuple no 6, Paris, 1848, sur l’air du Petit Marchand de Chansons).
5 Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, t. 1, p. 587.
6 Larousse, Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, Paris, Administration du Grand Dictionnaire universel, 1870, t. 6, p. 197 ; voir aussi Albert Cim, Le Chansonnier Émile Debraux, roi de la goguette, 1796-1831, Paris, Flammarion, 1910, p. 3-5.
7 Claude Duneton, Histoire de la chanson française : des origines à 1860, Paris, Seuil, 1998, t. 2, p. 521.
8 « Debraux, dix ans, régna sur la goguette, / Mit l’orgue en train et les chœurs des faubourgs, / Et roulant, roi, de guinguette en guinguette, / Du pauvre peuple il chanta les amours. » et « Les sociétés chantantes, dites Goguettes, le recherchèrent toutes, et je crois qu’il n’en négligea aucune. », dans Béranger, Œuvres complètes, op. cit., p. 360 et 402.
9 L’air de T’en souviens-tu ? est l’adaptation de celui qui a pour timbre Le choix que fait tout le village, de Doche, issu de Les Deux Edmon, comédie en deux actes et en prose, mêlée de vaudevilles, par MM. Baré, Radet et Desfontaines, représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 18 avril 1811 ; voir l’édition de la même année, à Paris chez Barba, 1811, p. 27. La Clé du Caveau indique cette origine, mais en attribuant le fait à Béranger : « (Cet air est celui que Béranger a choisi pour sa chanson T’en souviens-tu, en ajoutant une syllabe.) » (Pierre Capelle, La Clé du Caveau, éd. 1848, p. 255, no 904). L’édition des Musiques des chansons de Béranger établie par Frédéric Bérat rend la paternité à Debraux : « (air employé par Debraux, et tiré des Deux Edmond, de Doche) », Paris, Garnier Frères, p. 327. La paternité de la chanson était évidente, mais la gloire de Béranger était telle que l’erreur d’attribution perdure parfois jusqu’à nos jours, et que les frères Lionnet racontent la correction de Napoléon III par l’impératrice à ce sujet (Les frères Lionnet, Souvenirs et anecdotes, Paris, Ollendorf, 1888, p. 44-46, cité par Albert Cim, op. cit., p. 7 et par « À propos d’un centenaire : Béranger et Debraux », dans La Révolution de 1848 et les révolutions du xixe siècle, t. 31, no 148, mars-avril-mai 1934, p. 39).
10 La Relation détaillée des faits qui se sont passés à Paris, dans la journée du 3 juin 1822, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Lallemant, par Alain Rousseau, plaquette de 16 pages, a été condamnée à la destruction le 3 août 1822. Les libraires Sulpice et Lhuillier, ainsi que le prote Pillet, ont été condamnés chacun à six mois de prison. Les premiers ont dû verser en outre 1 200 frs d’amende, et le dernier 100 frs. Voir Fernand Drujon, Catalogue des ouvrages, écrits et dessins de toute nature poursuivis, supprimés ou condamnés depuis le 21 octobre 1814 jusqu’au 31 juillet 1877, Paris, E. Rouveyre, 1879, p. 343, et le Moniteur des 17 décembre 1822 et 26 mars 1825.
11 Debraux, Chansons complètes de P. Émile Debraux, augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger, ornées d’un beau portrait gravé sur acier (désormais « OC »), Paris, Baudouin, 1836, t. 1, p. 230. L’air du Mont Saint-Jean est un des grands succès napoléoniens de Debraux lui-même. Dans les pages qui suivent, on citera les chansons dans le texte de l’édition la plus courante (OC, 1836), sauf lorsqu’elles ne s’y trouvent pas, auquel cas on se réfèrera à l’édition Terry (CN, 1831-1832).
12 Voir Fernand Drujon, op. cit., p. 280 et le Moniteur du 26 mars 1825. Les quatre chansons incriminées : C’est du Nanan, La Belle Main, Lisa et Mon cousin Jacques, se trouvent dans l’édition des Chansons nationales nouvelles de 1831-1832, t. 4, p. 19, 30, 43 et 51.
13 AN, F7 6700, Rapport de police « sur les sociétés ou réunions lyrico-bachiques », du 31 mars 1820, p. 4.
14 Dans La Littérature française, « Quatrième cours (1830-1869) », Paris, Didier, 1870, t. 2, p. 1107.
15 Je souligne.
16 Les deux préfaces se ressemblent parfois étrangement, surtout à ce sujet. Fontan écrit en 1831 : « Ce n’était pas un chansonnier ordinaire qu’Émile ! ses chansons patriotiques répondaient à un vif besoin de l’époque où il les composa, l’opposition ; et ce besoin, personne mieux qu’Émile, si ce n’est notre grand Béranger, ne l’a compris et satisfait. Voyez quelle haine de restauration dans ces chansons patriotiques ! quelle colère de nationalité et d’indépendance, quel orgueil de nos victoires, quelle douleur de nos revers ! » (p. iii-iv) Et l’on retrouve en 1836 quasiment le même développement : « Ses chansons patriotiques répondaient au vif besoin d’opposition de l’époque où il les composa. Voyez quelle haine de la Restauration dans ses chansons, quelle colère de nationalité ou d’indépendance, quel orgueil de nos victoires, quelle douleur de nos revers ! » (p. iii)
17 CN, 1831-1832, t. 3, p. 161. Dans une autre chanson intitulée Pique fort, le canteur s’adresse aux chansonniers en leur enjoignant de « piquer fort » les ridicules et ceux qui attentent aux droits du peuple (OC, 1836, t. 3, p. 282-284, sur l’air de Je suis maître d’équipage).
18 CN, 1831-1832, t. 3, p. 271.
19 Voir à ce sujet notamment la discussion de Louis-Jean Calvet dans La Production révolutionnaire, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque scientifique », p. 129 sq. et Wolfgang Asholt dans La Chanson française contemporaine, Politique, société, médias, actes du symposium du 12 au 16 juillet 1993 à l’Université d’Innsbruck, édités avec la collaboration de Birgit Mertz-Baumgartner, Innsbruck, Verlag des Instituts für Sprachwissenschaft der Universität Innsbruck, coll. « Innsbrucker Beiträge zur Kulturwissenschaft », no 93, p. 78 sq. Cette discussion est résumée dans Romain Benini, Filles du peuple ? Pour une stylistique de la chanson au xixe siècle, Lyon, éditions de l’ENS de Lyon, 2021, p. 15, n. 13. Voir aussi la défense de Dupin pour Le Miroir des Spectacles, des Lettres, des Mœurs et des Arts en 1821, dans Choix des plaidoyers et mémoires de M. Dupin aîné, Paris, B. Warée fils aîné, 1823, p. 515-538, particulièrement p. 519 sq. Voir également Eugène Hatin, Histoire politique et littéraire de la presse en France, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1859-1861, t. 8, p. 369 sq.
20 Voir par exemple La Petite chanson, Badinez, mais restez-en là, Aux satiriques ou encore Les Amis de la musette, dans l’édition de 1836, respectivement t. 1, p. 186-188, t. 2, p. 154-155 & p. 225-227, et t. 3, p. 244-246.
21 La Petite Bergère [ou « Je suis la petite bergère », tiré du Marquis de Carabas, vaudeville de Brazier et Simonnin], OC, 1836, t. 2, p. 186-188.
22 Air issu du Flâneur, de Ménestrier, OC, 1835, t. 1, p. 307-309.
23 Ce qui signifie « homme lâche » dans l’« argot du peuple », d’après Charles Virmaître, Dictionnaire d’argot fin-de-siècle, Paris, A. Charles, 1894, p. 224.
24 Dans l’édition Baudouin (OC, t. 1, p. 123-125), le titre (Les Enfans de la France) est manifestement fautif.
25 L’air est attribué d’après Dumersan (Chants et chansons populaires de la France, Paris, Garnier Frères, 1866, t. 1, p. 103), à François Dauphin, ami et collaborateur de Debraux.
26 Voir Hatin, op. cit, p. 408 et 417.
27 Lamartine, Alphonse de, Histoire de la Restauration, Paris, Lecou, Furne & Pagnerre, 1853, t. VI, p. 195.
28 Sur l’air de La Boutonnière. Debraux, OC, 1836, t. 3, p. 88-90. La Boutonnière est une chanson de Debraux lui-même. On la trouve dans CN, t. 1, p. 388-390.
29 Les Mendiants, chanson signée « D. et L. », CN, t. 3, p. 240-242, sur l’air d’Allez prendre les eaux d’Enghien, à propos l’ordonnance du 20 septembre 1828 (par de Belleyme) qui vise à interdire la mendicité.
30 Les Ravageurs, OC, t. 3, p. 169-171, sur l’air du Vaudeville de Félix et Roger, à propos d’une ordonnance qui interdit les ravageurs.
31 Lucrèce, datée de 1828, CN, t. 4, p. 39-42, sur l’air de La Catacoua : à propos des mesures proposées par de Belleyme pour encadrer la prostitution.
32 Voir à ce sujet Jean Touchard, La Gloire de Béranger, Paris, Armand Colin, t. 1, p. 384.
33 Philippe Darriulat, notice « Debraux » dans Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international, consultable en ligne.
34 OC, t. 2, p. 30-33, sur l’air, non indiqué dans OC, du Vaudeville de Turenne.
35 Idem, t. 1, p. 266-268, air « du vieux Drapeau de Béranger ».
36 Ibid., t. 1, p. 90-92, sur un air nouveau de M. Prévost.
37 Ibid., t. 2, p. 11-13, sur l’air d’Heureux climat, beau ciel de l’Italie (Florella).
38 Ibid., t. 1, p. 84-87, sur l’air des Soupers (de Désaugiers) : Napoléon aurait dit à l’île d’Elbe qu’il reviendrait avec les violettes (c’est-à-dire au printemps), et ses partisans avaient fait de cette fleur un signe destiné à appeler le retour de l’empereur, qui était surnommé le « caporal La Violette » ou le « Père la Violette ». Voir par exemple Charles Doris, Défense du peuple français contre ses accusateurs… appuyée de pièces extraites de la correspondance de l’ex-monarque, suivie de l’anecdote qui fit de la violette un signe de ralliement, Paris, Mathiot, 1815, p. 104 sq.
39 Ibid., t. 1, p. 3-5, sur l’air, non indiqué dans OC, de Chantons Bacchus, etc.
40 Ibid., t. 1, p. 60-63, sur l’air de C’est Léonie.
41 Ibid., t. 2, p. 254-256, sur l’air de De nos soldats les palmes de la gloire.
42 Ibid., t. 2, p. 66-68, sur l’« air nouveau du Vieillard de Béranger ».
43 Ibid., t. 3, p. 104-106, sur l’air de Roland.
44 Ibid., t. 1, p. 49, voir ci-dessus note 9.
45 Ibid., t. 1, p. 120-123, sur l’air de Malgré la bataille.
46 Ibid., t. 2, p. 25-28, sur l’air des Trois jolis tambours.
47 Ibid., t. 2, p. 69-72, sur l’air d’Ermite, bon ermite.
48 Ibid., t. 1, p. 141-144, sur l’air du Petit Pétro.
49 Ibid., t. 2, p. 208-211, sur l’air, non indiqué dans OC, de Voilà, voilà le vieux soldat.
50 Ibid., t. 3, p. 298-301, air de Passez votre chemin, beau sire.
51 Ibid., t. 1, p. 273-275, sur l’air de L’Émigration du Plaisir.
52 Ibid., t. 3, p. 100-103, sur l’air, non indiqué dans OC, du Mont Saint-Jean, donc de Chantons Bacchus, etc.
53 Ibid., t. 3, p. 104-106, sur l’air de Roland.
54 Ibid., t. 3, p. 121-123, suivi de La Tombe d’Eugène, p. 123-125
55 CN, t. 1, p. 26-27, sur l’air du Vaudeville de Préville et Taconnet, ou Laissez reposer le tonnerre.
56 Idem, t. 2, p. 217-229, sans air indiqué.
57 Sur l’air de Celui qui plie à soixante ans bagage [air de M. Tourterelle, extrait du Dîner de Madelon de Désaugiers], OC, t. 1, p. 83.
58 Ibid., sur un air nouveau de M. Reinnass ou Voilà comm’ ça s’ termine.
59 CN, t. 1, p. 353-354, sur l’air de Didon.
60 OC, t. 2, p. 49, sur l’air du Prince Eugène.
61 Ibid., t. 3, p. 266, sur l’air de La Bonne Vieille.
62 CN, t. 4, p. 64, sur l’air de Nous nous marîrons dimanche.
63 OC, t. 1, p. 158-159, sur l’air d’Oscar.
64 OC, t. 3, p. 172-173, sur l’air de Mes amis, faites comme moi.
65 Ibid., t. 3, p. 269, sur l’air des Comédiens.
66 CN, t. 1, p. 373, sur un air nouveau de Reinnass.
67 Ibid., t. 4, p. 20, sur l’air de Mon pays avant tout.
68 Pourtant si des rois sans mémoire / Devant nous gardaient leur chapeau, / D’une main faisons halte là, / Que de l’autre un drapeau s’arbore ; / Et du sang qui bouillonne là, / Sous le blanc ou le tricolore / Ou le tricolore, / Tant qu’il reste une goutte encore, / Mes amis desséchons-la. (bis) / (Dans OC, t. 1, p. 225, sur l’air de Verse, verse le vin de France.)
69 Dans À Philippe Ier, roi des Français, sur l’air de Je reviendrai, « couplets qui lui ont été chantés à Neuilli [sic], le 6 octobre 1827, jour anniversaire de sa naissance », voir Émile Debraux, L’Arc-en-ciel de la liberté, ou Couronne lyrique offerte à ses défenseurs, Paris, Terry, 1831, p. 281-283.
70 OC, t. 2, p. 258.
71 Laissez-moi chanter encor, sur l’air de Dans un pays sans cabaret, OC, t. 2, p. 34.
72 OC, t. 1, p. 318-319.
73 CN, t. 2, p. 290.
74 Ou Henri-Ferdinand-Dieudonné, CN, t. 1, p. 79-81, sans indication d’air.
75 OC, t. 1, p. 48.
76 Ibid., t. 3, p. 107.
77 CN, t. 4, p. 116.
78 Chanson signée « D. et P. », ibid., t. 3, p. 149-151.
79 OC, t. 1, p. 131.
80 Laissez-moi chanter encor, sur l’air de Dans un pays sans cabaret, OC, t. 2, p. 34.
81 Sur l’air de Je n’ai qu’un bras, il est à lui, ou du refrain Rantanplan tire lire, OC, t. 2, p. 266.
82 Voir, dans OC : t. 2, Le Roi de Portugal, sur l’air d’À ma Margot, du bas en haut, p. 244-251 et t. 3 : Attendez, sur l’air des Hirondelles de Béranger, p. 284-286, Je suis à vous et ne comptez pas sur moi, sur l’air de Déguisez-vous, p. 232-235, Le Carabin français, sur l’air d’Un grenadier, c’est une rose, p. 74-77.
83 OC, t. 1, p. 78.
84 CN, t. 3, p. 335-337, sur une musique nouvelle de Reinnass.
© Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d’étude »,
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Quelques mots à propos de : Romain Benini
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