Les attractivités des espaces japonais

Charles-Edouard Houllier-Guibert et Alexandre Faure


Texte intégral

1La RMT s’intéresse, pour ce nouveau numéro, à la société japonaise qui est traversée par toute une série d’enjeux économiques, sociaux et culturels. La démographie vient bousculer l’organisation du pays, cela a été largement étudié et commenté : les années 2010 marquent un tournant du fait du démarrage effectif du déclin de la population. Si dans les décennies précédentes, les secteurs ruraux étaient principalement affectés par ce phénomène, les grandes agglomérations, notamment dans le Kansai sont maintenant concernées. S’ajoute à cela les traumatismes combinés du tremblement de terre de mars 2011, le tsunami dévastateur et l’accident nucléaire de Fukushima. Ces évènements ont remis en cause, pour une partie des habitants, la confiance dans la capacité des gouvernements et des entreprises du bâtiment à répondre aux menaces naturelles, tout en mettant en lumière la résilience d’une société capable de s’adapter rapidement et efficacement à une instabilité énergétique.

2À chacun de ces défis, des solutions émergent avec plus ou moins de succès. Le déclin démographique entraine des politiques de natalité incitant les couples à avoir des enfants par tout un ensemble de subventions et de dispositifs à destination des femmes. Inversement, la société promeut le travail des personnes âgées même sur des emplois parfois difficiles sur le plan physique. La robotisation reste marginale, mais apparait comme un développement judicieux par une partie du milieu politique et économique. Afin de pallier la baisse de la main-d’œuvre disponible dans de nombreux secteurs, et grâce à une industrie des technologies de pointe importante, le Japon est pionnier dans la robotique. Dans ce numéro, Naoko Abe interroge la place à venir des robots dans les villes et les espaces publics en particulier, à l’orée de changements technologiques, sociaux, économiques et réglementaires profonds, permettant le déploiement de ces objets dans de nombreuses situations que l’on peut présenter comme du marketing public. Du fait de leur diversité, les robots sont déjà omniprésents dans les services marchands et tendent à se démocratiser dans les secteurs de la santé et des relations à la clientèle.

3La ville japonaise est percutée par des mouvements de fond de déprise urbaine, de compétitions internationale et régionale, de modification des mobilités et de son modèle économique. L’accélération de la mondialisation et l’intégration économique du Japon dans les marchés mondiaux a été embrassée par les politiques nationales. Les privatisations, la décentralisation, la dérégulation de l’urbanisme et des politiques d’aménagement visent en grande partie à renforcer l’attractivité des espaces japonais dans le but d’attirer les investissements et de soutenir la croissance économique. Cette dynamique de transformation à la rencontre de phénomènes globaux et d’initiatives locales est au cœur de ce nouveau numéro de la RMT. Ce qui est frappant, c’est d’observer combien l’attractivité du territoire, que ce soit à l’échelle du quartier, des espaces ruraux, des métropoles dans le cadre continental ou encore au niveau de la structuration des lignes de chemin de fer, vient traverser les propos des auteurs de ce numéro. Que ce soit sous forme d’attraction ou d’attrait (Houllier-Guibert, 2019), les attractivités des espaces japonais sont questionnées sous plusieurs formes que nous vous invitons à découvrir, chacune instillant un marketing territorial qu’il faut décrypter : il est public, il est soft power, il est événementiel, il est culturel, il est stratégique, il est digital, il est destination, chaque auteur le traite sans fortement le définir.

4Eric Mottet et Eric Boulanger analysent la place des villes japonaises dans les classements internationaux, en étudiant aussi bien la construction de ces classements, que leur évolution. Il en ressort un portrait nuancé de l’urbanité dans l’archipel, productrice de grandes agglomérations puissantes sur les plans démographiques et économiques, mais globalement absentes de la scène internationale en dehors du cas de Tokyo. La capitale cumule ainsi toutes les fonctions d’une ville mondiale au détriment d’Osaka et Nagoya qui ont pourtant constitué les trois grands centres industriels historiques pendant l’ère Meiji. Leur texte nous enseigne de nombreux éléments historiques : les villes japonaises se sont développées par des impératifs internes durant la période d’Edo et le miracle économique de l’après-guerre est intrinsèquement lié à la mégalopole du Tôkaidô. La mondialisation dicte de nouveaux impératifs économiques dans laquelle Tokyo domine l’ouverture du pays à l’économie mondiale au XXIe siècle. Surtout le principal enseignement de leur article est que les autres villes japonaises rompent avec leur faible classement mondial dès lors que le nombre de critères des études comparatives augmente, allant puiser dans les indicateurs softs (qualité de vie, art de vivre, image de marque, prospérité économique, sécurité), ce qui vient mettre en cause les mesures pourtant déjà lourdes du marketing analytique traditionnel. Ainsi, la quête de l’attractivité passe aussi par la promotion internationale du Japon et en réalité de Tokyo, ce que la candidature pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2020 vient abonder. Initialement lancée pour l’édition de 2016 remportée par Rio, la candidature centrée sur Tokyo est mise à l’agenda national comme un instrument de la reconstruction et de la recomposition du tourisme japonais suite au tremblement de terre de 2011. Comme le montre l’article d’Alexandre Faure, d’une ambition nationale, il s’avère que les Jeux de 2020 sont avant tout utilisés pour combler le manque d’investissement dans la baie de Tokyo, qui représente aussi bien l’affirmation internationale de la capitale, que la dérégulation de l’urbanisme voulue par les gouvernements successifs.

5Cette compétition urbaine pour soutenir la croissance par la construction s’approprie l’ensemble des outils à disposition. Rémi Scoccimarro montre comment la création d’un mécanisme d’aménagement collaboratif, appelé « machizukuri », a été repris et utilisé pour faciliter la composition de projet d’aménagements ou de rénovations profitables dans les quartiers. La mise en valeur de la participation, en tant que vecteur d’amélioration du cadre de vie des habitants et de meilleure intégration des remarques habitantes, favorise finalement l’homogénéisation de la ville japonaise et dans certains cas le gommage des singularités locales. Encore à l’échelle du quartier (Akihabara à Tokyo) mais aussi à l’échelle de Sapporo, Clothilde Sabre explique combien la Cool Japan est une aménité nippone qui motive de nombreux français à visiter l’autre bout de la planète. Mais il y a quelques conditions à saisir afin que le lien entre des héros d’animés et les territoires japonais, rendent les destinations attractives. Clothilde Sabre présente plusieurs cas d’étude au Japon ; tous n’ont pas d’effets forts et concernent des publics différents (les fans américains ne visitent pas les mêmes lieux que les fans français par exemple). Son étude longitudinale du tourisme de pop culture souligne le soft power d’un espace insulaire qui a créé un attrait culturel solide de rang mondial. L’événementiel est une manière de célébrer la Cool Japan à travers notamment le festival de la Neige de Sapporo. Ce dernier apparaît dans la carte de Rémi Scoccimarro qui explique, avec Charles-Edouard Houllier-Guibert, la place accordée aux traditions dans l’événementiel culturel tandis que l’événementiel d’affaire se concentre sur les pôles d’Osaka et de Tokyo, cette dernière apparaissant de loin comme le pôle événementiel majeur du pays.

6Sophie Buhnik montre, quant à elle, que la compétition entre les territoires concerne aussi la captation de flux migratoires internes. À partir de l’exemple du programme d’accompagnement des ménages souhaitant quitter les zones urbaines pour vivre dans des zones rurales, sa synthèse met en lumière les mécanismes narratifs de la promotion des campagnes. Elle décrypte ensuite le contenu des pages d’un site web officiel afin que l’on comprenne les personae construits par l’offre marketing, au travers d’individus réels qui sont le plus souvent des précaires alternatifs de l’économie libérale. En effet, la ville japonaise est fortement marquée par le libéralisme économique que le gouvernement a accepté progressivement. Soichiro Minami revient, dans un article fouillé, sur l’organisation des lignes ferroviaire privées structurant les déplacements au Japon. Plus de deux cents entreprises de transport de passagers irriguent les villes et campagnes. La grande majorité d’entre-elles sont rentables, ce qui est une exception mondiale. L’auteur s’intéresse aux bases du modèle économique de ces entreprises diversifiées qui influencent le quotidien des japonais, dans leur comportement de consommateurs comme dans la prévalence du train dans la construction des villes.

7Ce numéro de RMT nous incite à regarder la question de l’attractivité territoriale à propos d’un pays lointain mais à partir de problématiques qui s’avèrent beaucoup moins lointaines qu’on ne pourrait l’imaginer initialement.

8Nous vous souhaitons une agréable lecture.

Bibliographie

Houllier-Guibert Ch-Ed, 2019, « L’attractivité comme objectif stratégique des collectivités territoriales », RERU – Revue d’Economie Régionale et Urbaine, pp.153-175

Pour citer ce document

Charles-Edouard Houllier-Guibert et Alexandre Faure, « Les attractivités des espaces japonais » dans © Revue Marketing Territorial, 10 / hiver 2023

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=919.