Sommaire
8 / hiver 2022
visée(s) touristique(s) de l'événementiel
- Editorial
- Marie Delaplace et Charles-Edouard Houllier-Guibert La visée touristique de l’évènementiel
- Articles
- Olivier Bessy Le marathon de Paris : un positionnement sportif et culturel au service de l’attractivité de la capitale
- Hélène Pébarthe-Désiré Ville théâtre, ville candidate : comment les congrès recomposent-ils images, fonctions et gouvernance des destinations urbaines ?
- Inmaculada Diaz-Soria et Asunción Blanco-Romero Les festivals de musique, évènements structurant les territoires en dehors des grandes villes : le cas de la Costa Brava
- Sylvie Christofle et Catherine Aussilhou Evènementiel LGBT et destinations touristiques : analyse diachronique de la dynamique communicationnelle en ligne
- Synthèses
- Alexia Gignon Compte-rendu d’ouvrage. Événements et territoires. Aspects managériaux et études de cas.
Charlène Arnaud, Olivier Keramidas, Martial Pasquier, Renaud Vuignier - 2018 - 432 pages - Cyril Cordoba La place du secteur touristique dans le développement du Festival du film de Locarno
- Charles-Edouard Houllier-Guibert Situer l’événementiel comme levier d’action du marketing des territoires : définition, délimitation, combinaison
Ville théâtre, ville candidate : comment les congrès recomposent-ils images, fonctions et gouvernance des destinations urbaines ?
Hélène Pébarthe-Désiré
À partir d’enquêtes réalisées auprès de destinations françaises de tailles diverses, l’analyse de lieux de congrès met en lumière des mécanismes de gouvernance. Cet article montre comment une destination urbaine se met en scène pour accueillir les congrès puis les dynamiques urbaines endogènes et exogènes ainsi alimentées. Certains classements mondiaux permettent une première approche quantitative et distinctive. L’analyse qualitative de l’image, notamment touristique, ainsi que celle des services apportant une fluidité dans l’organisation des événements, permettent de distinguer des stratégies de destinations différenciées. En coulisses, bureaux des congrès et centres des congrès affirment la fonction urbaine, voire métropolitaine constituée par l’accueil de congrès, lequel est lié aux filières économiques porteuses d’innovation et de développement territorial.
Based on surveys carried out with French destinations of various sizes, the analysis of congress-type events sheds light on governance mechanisms. This article shows how an urban destination is staged to host congresses and then the endogenous and exogenous urban dynamics thus fueled. While some world rankings allow a first quantitative and distinctive approach, the qualitative analysis of the image of certain cities as well as the one of services providing fluidity in the organization of events make it possible to distinguish strategies for differentiated destinations. Behind the scene, convention bureaus and convention centers play a central role in asserting the urban, or even metropolitan, function of hosting conventions, which is linked to economic sectors that foster innovation and territorial development. The analysis of congresses therefore offers the opportunity for a multi-level reading of urban developments and helps to understand the increasingly central role played by events in cities today.
1Les congrès, événements dont le nombre et l’ampleur croissent, assurent la venue, au sein des destinations organisatrices, de visiteurs, et leur permettent de communiquer sur leur caractère international. Paris est ainsi à la tête du classement proposé par l’ICCA (International Congress and Convention Association) : la capitale française a accueilli près de 1 100 congrès internationaux et 923 000 congressistes en 2019 (OTCP, 2020) et fait ainsi, année après année, la preuve de sa capacité à accueillir des grands événements. Pourtant, les congrès ne sont que peu abordés par les études urbaines alors qu’ils offrent la possibilité d’un renouvellement de l’analyse des scènes et des jeux d’acteurs de la ville. Ils permettent à la fois un rayonnement à l’extérieur et un développement local, en nourrissant la construction de dynamiques locales économiques mais aussi politiques et institutionnelles. Il s’agit, par le présent article, de contribuer à l’enrichissement des études urbaines par l’analyse des congrès et de saisir leur apport en matière de gouvernance de destination.
2Le terme « congrès » renvoie assez spontanément à celui « d’événement », et plus particulièrement d’événement scientifique ou professionnel, le plus souvent organisé par une association ou une fédération, moins à celui de « territoire ». Et pourtant, les congrès prennent vie dans des destinations que l’on va pouvoir, à travers l’objet « congrès », définir comme des construits territoriaux. Une destination émerge et se façonne grâce à des acteurs, des lieux et des pratiques et ce vocable vaut pour le tourisme mais aussi, même si différemment comme nous allons pouvoir le montrer, pour les événements professionnels, et notamment pour les congrès.
3Les congrès, dont la fonction première est l’échange d’idées et de connaissances, soulèvent des enjeux d’attractivité et de rayonnement, notamment international. En effet, ils représentent parfois plusieurs milliers de participants pendant plusieurs jours. Ils génèrent donc aussi une activité et des retombées directes et indirectes et font l’objet d’une attention croissante de la part des décideurs des destinations. Qu’ils soient d’ampleur internationale ou nationale, ils font appel à des fonctions urbaines supérieures telles qu’une bonne accessibilité en transports aérien et ferroviaire à grande vitesse, une hôtellerie de bon niveau et de capacité importante, et des lieux dédiés, les centres des congrès. Ce type d’événement se déroule donc principalement dans des métropoles, et, potentiellement, de grandes stations touristiques.
4En outre, les équipements, « le dur », ne sont que la partie émergée des liens entre villes et congrès. La concurrence sur le marché des congrès et la complexité du processus de production en font une bonne approche pour saisir l’évolution des destinations, de l’offre de lieux aux stratégies de gouvernance globale. L’objet de cet article est d’analyser les liens entre villes et congrès en mettant en avant les logiques de temps, de lieux et d’acteurs autour de la venue, du déroulement de ces événements et de leurs effets. Ainsi, comment les congrès recomposent-ils à la fois les images et fonctions des destinations et la gouvernance urbaine ? Il s’agit tout d’abord d’évoquer la littérature faisant une place aux congrès et de définir leur périmètre dans une typologie des événements, terme qui souffre souvent d’une approche un peu fourre-tout et mérite un éclaircissement liminaire avant d’exposer l’approche méthodologique utilisée pour une analyse des usages spatiaux et territoriaux que l’on peut associer aux congrès. Dans un deuxième temps, on pourra ainsi mettre au jour différents niveaux de mobilisation territoriale opérant par et autour des congrès. C’est ainsi que nous proposerons d’analyser une avant et une arrière scènes liées à la venue, au déroulement et aux effets de ces types d’événements, dont nous montrerons qu’ils ont la spécificité de faire intervenir la destination selon différentes temporalités et avec des niveaux de « profondeur » territoriale multiples.
1. Villes et congrès, quelle approche méthodologique ?
5Poser le cadre théorique de la relation entre villes et congrès appelle un rapide état de l’art et des définitions avant d’aborder ce lien via des approches quantitatives par les classements internationaux. Nous opterons ensuite pour une approche plus qualitative, et exposerons la méthodologie mise en œuvre pour mieux cerner les logiques des destinations et des réalités urbaines dans le contexte français.
1.1. Un manque de littérature scientifique et un recours aux rapports institutionnels
6Les publications traitant des congrès apparaissent, pour l’essentiel surtout au tournant des années 2000, soit assez récemment (Oppermann, 1996 ; Christofle, 1999 ; Mac Cabe et al. 2000 ; Archambault, 2003 ; Yoo et Weber, 2005). Quand ils sont abordés, c’est bien souvent, sauf exception (Weber et Chon, 2002), dans des ouvrages plus généraux sur « l’industrie » des rencontres d’affaires et événements (Swarbrooke et Horner, 2008 ; Getz, 2007 ; Getz et Page, 2016). Dans le spectre événementiel, sur la question des liens aux territoires hôtes et des effets sur ces derniers, les événements grand public, en particulier les festivals et les méga-événements, font davantage l’objet de publications scientifiques que les congrès. Ces derniers, pourtant nettement urbains, ne sont pas vraiment pris en compte non plus dans les études urbaines. Ces événements, qui regroupent pourtant plusieurs milliers de participants pour les grands congrès internationaux, ont, en géographie et aménagement, été étudiés par quelques auteurs, notamment du point de vue des infrastructures qui leurs sont liées (Christofle, 1999 ; Mondou et Pébarthe-Désiré, 2018) ou du point de vue de leur rôle en termes de développement urbain (Christofle, 2014 ; Pébarthe-Désiré, 2013, 2017) mais font encore peu l’objet de publications scientifiques eu égard à leur importance en termes de transformation des destinations et des territoires urbains.
7La littérature la plus abondante et la plus régulière prend plutôt la forme de rapports produits par des associations internationales et, à échelle nationale, par différentes institutions et des fédérations professionnelles. Ainsi, l’UAI (Union des associations internationales), créée en 1907 et sous mandat des Nations Unies, a déjà publié une soixantaine de classements annuels des villes du monde en fonction des congrès internationaux accueillis. L’ICCA (International Congress and Convention Association), créée en 1963, propose aussi annuellement, nous y reviendrons, son classement urbain mondial et continental. En France, à échelle nationale, les congrès font, comme les foires et salons, l’objet de rapports (Charié, 2006 ; Plasait, 2007 ; CCIP, 2012 ; Unimev, 2020) produits par des institutions et des fédérations professionnelles.
8Les foires, salons et congrès s’inscrivent dans le champ des événements professionnels récurrents, et sont à distinguer des événements grand public (figure 1). Mais alors que les salons et foires, événements générant un fort visitorat, peuvent accueillir à la fois des professionnels et le grand public (sauf dans le cas de salons réservés aux professionnels), les congrès réunissent des spécialistes de leur domaine scientifique ou corporatif avec comme objet principal de l’événement, l’échange d’informations et de connaissances tandis que l’objet principal d’un salon, événement commercial, est de vendre services ou marchandises.
Figure 1. Les congrès dans la typologie des événements
d’après H. Pébarthe-Désiré, 2017
9Evénements généralement tournants pour les plus fréquentés, les congrès, organisés par des structures à but non lucratif (sociétés savantes, fédérations, pouvoirs publics...) changent de ville à chaque édition, notamment quand ils sont d’audience nationale ou internationale. Les destinations qui souhaitent les accueillir préparent donc, comme dans le cas de certains méga-événements, des dossiers de candidatures en réponse à des cahiers des charges précis, définis par l’organisateur client. Ceci génère une compétition entre potentielles villes-hôtes, puis l’élaboration de classements à échelle mondiale. L’activité congrès est même, parmi les événements professionnels, la mieux observée à cette échelle grâce à la mise en commun de données, qui remontent des organisateurs, par l’UAI et l’ICCA.
1.2. Une approche quantitative partielle aux échelles mondiale et nationale
10L’ICCA procède annuellement à un classement des villes et des pays hôtes (figure 2) en fonction de critères précis : le congrès doit être organisé par une association (société savante, association à but non lucratif, professionnelle, syndicat), se tenir régulièrement, tourner dans au moins trois pays, et réunir un minimum de 50 participants. Le classement de l’UAI (Union des associations internationales) prend lui en compte des événements avec le même seuil de participants mais d’au moins 5 nationalités différentes, tournants ou non. Il peut s’agir notamment de congrès liés à des institutions internationales tels ceux dit « gouvernementaux », ce qui explique le bon classement de Bruxelles, ville des principales institutions de l’Union Européenne. L’ICCA ne tient pas compte de ceux-là, ce qui donne des classements différents.
Figure 2. Les congrès : hiérarchie mondiale des villes1
ICCA, 2020, UAI, 2020
11La majorité des congrès retenus par l’ICCA (53 %) est, encore aujourd’hui, accueillie par des villes européennes, même si les Etats-Unis sont au total le premier pays d’accueil et que les villes asiatiques progressent dans le classement. Au total, ce dernier enregistre année après année une croissance du nombre de congrès et de participants2, fait apparaître des destinations métropolitaines, des villes mondiales qui disposent de conditions d’accessibilité aérienne et ferroviaires performantes, de parcs hôteliers volumineux et qualitatifs, et de parcs expositions et centres de congrès bien équipés. Le top 7 est composé des mêmes villes depuis le début des années 2010 et Paris y est la première destination mondiale avec 237 congrès accueillis en 2019, surclassant encore plus nettement les autres villes françaises : Lyon, avec 59 congrès répertoriés, deuxième ville française, est 41ème au classement ICCA. Au total, 16 villes françaises apparaissent dans le rapport (figure 3) avec de forts écarts entre elles mais la hiérarchie urbaine nationale (démographique et économique) est ici globalement respectée. Ceci est une première démonstration de l’intérêt que peuvent présenter les congrès dans le champ des études urbaines, lesquels constituent bien un élément des fonctions métropolitaines.
12Les 237 congrès répertoriés par l’ICCA concernant Paris en 2019 ne représentent que 22 % de l’ensemble des congrès accueillis par la capitale française selon le bureau des congrès3 (OTCP, 2020), ce qui ne fait que souligner la fonction d’hyper-centre jouée par Paris, au plan mondial comme national. La concurrence entre les villes se joue ainsi à différentes échelles : mondiale pour les congrès internationaux (principalement Paris pour la France), mais aussi nationale ou régionale et un deuxième niveau de destinations apparaît alors avec Lyon-Saint-Etienne, Nice, Toulouse et Marseille-Aix.
Figure 3. Les villes françaises au classement international des congrès ICCA en 2019
ICCA, 2020
13Les métropoles françaises sont attentives au classement de l’ICCA car elles s’emploient à attirer des événements tournants de sociétés savantes plutôt que des événements institutionnels qui reviendront davantage à Paris. Elles rapportent les données concernant les congrès internationaux reçus sur leurs territoires afin d’améliorer leur rang d’une année sur l’autre. Mais, on ne saurait se limiter à ces classements pour comprendre les dynamiques urbaines. En effet, concernant la fréquentation, donnée importante pour mieux apprécier les effets en termes d’activité et de retombées, l’ICCA considère les villes ayant accueillies plus de 10 000 participants durant les congrès répertoriés. Seules 4 destinations françaises sont listées : Paris, Nice, Lyon et Marseille avec respectivement en 2019 environ 124 000, 31 500, 31 000 et 15 500 congressistes. Ces villes accueillent donc bien d’autres congrès que ceux retenus par le classement ICCA qui montre ici ses limites : une approche plus nationale, voire locale, est nécessaire pour l’analyse du lien villes et congrès, des mobilisations à destination, et des effets des événements.
14À échelle nationale, le rapport Charié devant l’Assemblée Nationale en 2006 est le signal, bienvenu même si tardif, d’une prise en compte par l’Etat et d’une évaluation de l’importance de la filière des foires, salons et congrès. Il énonce notamment le fait qu’un congressiste génère pour les destinations, selon qu’il réside en France ou vient de l’étranger, des revenus de 2 à 5 fois plus élevés qu’un visiteur touriste (Charié, 2006, p.17 ; CCIP, 2012). Ceci dit, même des revenus « seulement » deux fois plus importants constituent une manne considérable pour des métropoles mais aussi des villes moyennes qui elles reçoivent plutôt des événements à la participation régionale et nationale. L’Union des métiers de l’événement (Unimev), principale fédération professionnelle nationale dans l’événementiel, a produit un calculateur depuis 2014, permettant d’évaluer les retombées des événements. Mais il revient aux organisateurs de le renseigner et cela s’avère complexe pour ces derniers comme pour les sites d’accueil de produire des données complètes. Disposer de données sur les dépenses directes mais aussi indirectes liées aux congrès serait pertinent pour le pilotage des lieux d’accueil et destinations mais nos études menées avec Coésio ont montré que les centres et bureaux des congrès n’ont que très peu, et souvent pas du tout, créé d’observatoire ou missionné des personnes en interne sur ces sujets.
15Du point de vue de la nature des retombées, un effort est fait par Unimev pour estimer des retombées directes, c’est-à-dire des dépenses allant aux acteurs de la filière congrès tels que les sites d’accueil et autres prestataires, directement liés à l’événement (agences, prestataires techniques, traiteur…) qui se sont élevées à 400 millions d’euros en 2019. Les retombées dites indirectes sont les dépenses réalisées auprès des transporteurs, hébergeurs, et autres acteurs des sites touristiques et des commerces locaux. Elles sont estimées à 1,2 milliard d’euros et constituent donc, pour 2019, 75 % des retombées économiques totales. Unimev avance le nombre de 1 800 000 congressistes en France, 2 800 congrès et de 30 000 emplois créés ou maintenus grâce aux congrès.
16La part des congressistes venus de l’étranger est également une donnée importante car ils génèrent davantage de dépenses de transports pour se rendre à destination mais aussi de nuitées hôtelières et d’achats sur place. Les congrès constituent ainsi, avec 19,5 % de participants étrangers en 2019 (et à Paris, ce sont 53 % des congrès qui accueillaient au moins 20 % de congressistes venus de l’étranger selon OTCP, 2020), un enjeu de développement et de rayonnement international considérable pour les villes d’accueil4. Mais les retombées sont rarement observées en détail et il s’avère impossible de proposer une analyse exhaustive, faute d’observatoire proposant des données consolidées dans les villes, y compris les métropoles. Les bureaux des congrès mobilisent plutôt des ratios pour estimer l’apport des congrès et se rejoignent, dans les grandes villes comme Lyon ou Nantes sur des montants d’environ 200 euros de retombées par « journée congressiste »5, une grande part de ce montant étant liée aux dépenses dans l’hôtellerie.
1.3. Construire une approche qualitative du lien ville et congrès
17Dans le cadre d’un programme de recherche qui s’est étendu de 2015 à 2019 sur les innovations urbaines liées aux congrès6, la question de l’affichage concurrentiel produit par les classements des villes s’est posée. Outre l’intérêt de se jauger, et celui de la promotion internationale offerte, les destinations, interrogées lors d’entretiens avec des responsables de bureaux et de centres des congrès afin d’avoir une vision globale et une vision depuis les sites d’accueil, trouvent dans le fonctionnement de l’ICCA en particulier, deux intérêts majeurs pour améliorer leur fonctionnement et leur compétitivité. Tout d’abord, l’ICCA donne accès à ses destinations membres, à une base de données géante et qualifiée sur environ 1 200 congrès internationaux pour l’accueil desquels elles sont susceptibles de candidater. Ainsi, les bureaux de congrès et centres de congrès, deviennent également membres de l’ICCA pour accéder à cette de base de données, et être informées des congrès tournants et des lieux de leurs éditions précédentes. Les villes candidates potentielles mesurent leur intérêt à postuler ou non pour une édition ultérieure. En outre, le caractère tournant des événements favorise aussi une forme de coopération entre villes puisque celle qui vient de recevoir un congrès n’est plus en course pour les années suivantes mais aura besoin d’informations sur d’autres événements récemment accueillis ailleurs : les destinations fonctionnent ainsi en réseau via le portail même de l’ICCA et se renseignent sur les organisateurs clients. Elles se rencontrent également lors d’événements internationaux comme les congrès ICCA et les grands salons dédiés à l’événementiel comme l’IBTM World à Barcelone ou l’IMEX à Francfort.
18À une autre échelle, le réseau de destinations appelé Coésio7 fait travailler ensemble des destinations potentiellement concurrentes mais qui échangent là aussi des informations sur les congrès et sur les stratégies qu’elles développent pour améliorer l’accueil dans leur ville. Cette association constitue la principale en France, réunissant à la fois des centres et des bureaux des congrès, soit des lieux et des institutions d’accueil d’événements, ce dans une soixantaine de villes (figure 4) françaises et d’autres pays francophones8, comprenant aussi bien des métropoles que des villes moyennes ou encore des stations touristiques.
Figure 4. Les centres de congrès et bureaux des congrès membres de l’association Coésio en novembre 2020
Coésio, 2021
19Nous avons conclu en 2015 avec ce réseau, un partenariat afin de pouvoir conduire des travaux sur la transformation des destinations et la structuration de l’offre. Ce réseau de villes nous a ainsi confié le pilotage d’études thématiques réalisées par la suite par les promotions d’étudiants en Master que nous encadrons, en lien avec des membres de Coésio. Les parties suivantes de cet article seront donc alimentées par des synthèses des éléments collectés auprès de panels, chaque année depuis 2016, d’environ 20 à 60 destinations (figure 5).
Figure 5. Enquêtes menées sur les destinations congrès en partenariats avec Coésio
Lecture du tableau : pour l’étude sur les candidatures de villes à l’accueil de congrès (deuxième colonne), conduite en 2016, 26 destinations en France ont répondu à l’enquête et 3 à l’étranger.
20Les sujets d’enquêtes retenus ici parmi les études conduites, sont ceux les plus liés d’une part aux politiques d’accueil des congrès, à travers l’élaboration du dossier de candidature ou encore de l’élaboration de « pack accueil », soit un ensemble de prestations destinées à faciliter le déroulement des congrès. Les deux autres sujets relèvent d’autre part pour l’un de la gouvernance de destination à travers la définition du rôle des bureaux des congrès, et pour l’autre des innovations dans les lieux et du lien entre les centres de congrès et les centres urbains, leur insertion dans la ville et auprès de ses habitants. Nous avons ainsi eu largement accès aux données concernant les sites majeurs d’accueil et les bureaux des congrès, et à la compréhension de leurs pratiques et stratégies en conduisant des enquêtes quantitatives par questionnaires et des entretiens poussés, notamment sur les cas de Nantes, Rennes, Angers, Nancy, Lyon et Marseille, et dans des villes plus petites et touristiques comme Saint-Malo, La Baule et Biarritz. Il s’agit à présent d’analyser comment une destination se met en scène pour accueillir les congrès puis, dans une dernière partie, les dynamiques urbaines endogènes et exogènes ainsi alimentées.
2. Ville-hôte, ville-théâtre, la mise en scène des destinations congrès
21Une ville, quand elle candidate pour la venue d’un congrès, présente les aménités de la destination favorables à l’accueil de l’événement. Deux principaux types de destinations pourront ici être mis en avant : tout d’abord les scènes évidentes, avec un rayonnement fort et faciles à promouvoir, puis les scènes composées, destinations qui mettent l’emphase sur leurs équipements mais aussi sur des assemblages de services et de lieux permettant de compenser une image moins établie.
2.1. Scène évidente : de l’intérêt d’être une ville touristique
22Certaines destinations sont dotées d’une image forte, liée notamment à leur poids et leur itinéraire touristiques, ce qui favorise leur choix par les organisateurs de congrès. Trois villes en France, Paris, Nice et Cannes, s’illustrent particulièrement dans cette catégorie, et leur analyse permet de corroborer les recherches conduites sur d’autres destinations (Caber et al., 2017). Dans le cas de Cannes tout d’abord, si la ville dépend de Nice, premier aéroport de province, en matière d’accès aérien, notamment pour ses événements internationaux, elle communique sur l’unité de lieu qu’elle garantit, le « tout-à-pied » pour le participant, le long de la Croisette, et la scène constituée par le Palais des festivals, allant jusqu’à proposer une sorte de mise en abyme des lieux par photographie sur le Palais (figure 6) mentionnant « the city is yours », la ville se résumant ici sur l’image à la seule Croisette.
Figure 6. Le Palais des Congrès représenté sur l’Internet
Sites internet, Ville de Cannes, mai 2021 et Cannes Convention Bureau, mai 2021
23Le Palais, qui bénéficie d’une « ultra-médiatisation », et ce depuis plus de 70 ans, lors du Festival international du film, est aussi l’image d’entrée dans la destination lorsqu’un potentiel organisateur d’événement professionnel consulte, pour une recherche de disponibilité, le site du Bureau des congrès (figure 6) avec présence de la mer et de la plage au premier plan et du Majestic Barrière juste à droite avec son ponton. L’emphase est donc placée sur le prestige événementiel historique du lieu mais aussi l’accueil et la facilité de parcours, en somme la fluidité de l’expérience pour le congressiste et pour l’organisateur. Ceci fonctionne très bien pour l’accueil d’événements d’entreprise ou encore pour les événements phares cannois que sont aujourd’hui, outre le FIF et ses 200 000 visiteurs annuels, le MIPIM, autour de l’immobilier de luxe, ou encore le MIDEM autour de l’industrie musicale mais qui s’apparentent à des salons plus qu’à des congrès. Pourtant, Cannes annonce via ses canaux de communication comme le site internet du Palais des Festivals, être désormais la deuxième destination française de congrès derrière Paris, sans pour autant proposer de statistiques attestant cette position. Cela montre un certain prestige associé au mot « congrès » en termes d’images et une manière, pour cette destination historiquement touristique, de signifier qu’elle s’est muée en ville événementielle. Mais si Cannes est aujourd’hui bien positionnée pour ce qui est des événements d’affaires, elle n’est pas vraiment encore une grande ville de congrès.
24Parmi les villes touristiques, en matière de congrès, Nice, comme évoqué à travers les classements, en accueille plus que Cannes car, outre ses atouts de capacité hôtelière et de sites dédiés de grande taille, elle dispose de fonctions urbaines plus développées : la fonction universitaire et donc de recherche d’une part et son histoire et sa légitimité de technopôle depuis les années 1960 d’autre part. C’est donc un ensemble de critères alliant des atouts visibles, de rayonnement à l’extérieur, et d’autres moins, plus liés aux dynamiques économiques des filières de pointe du territoire urbain, et même, métropolitain, qui alimentent les congrès. Parmi les villes touristiques en France, Paris, considérée à présent du point de vue de ses lieux et de ses rythmes, fait figure de scène hyper-centrale pour les congrès. Pour l’année 2019, l’OTCP propose, sur les 1 084 congrès accueillis par la destination Paris – Ile de France, une analyse plus précise pour 943. Ces derniers avaient une durée moyenne de 2,8 jours et se sont tenus à plus de 80 % dans Paris intra-muros. On peut en effet parler d’hyper-centralité : Paris offre une concentration et une diversité considérable avec 260 lieux qui ont accueilli des congrès sur la destination en 2019, notamment des sites attachés à des établissements d’enseignement supérieur et de recherche (pour 39 % des événements organisés), et, bien sûr, des centres de congrès, qui accueillent 35 % des congrès mais 75 % des congressistes puisqu’ils offrent de grandes capacités. Il s’est tenu en moyenne trois congrès par jour à Paris en 2019, avec des pics de 40 000 congressistes par jour atteints en septembre et novembre 2019, l’automne étant la haute saison pour ces événements, et l’on perçoit ici l’intérêt pour la destination de la complémentarité de ces périodes avec les temps forts du tourisme en été et durant les petites vacances scolaires. La perspective de l’organisation des Jeux Olympiques en 2024, événement rendu possible par ailleurs par la grande capacité et les infrastructures liées à la fonction événementielle d’affaires d’une part et touristique d’autre part, accélère en retour le développement des infrastructures de transport notamment (fusion des terminaux de l’aéroport d’Orly et nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express). Si être une ville touristique à fort rayonnement est un atout, la plupart des métropoles et de plus en plus de villes moyennes composent des assemblages propices aux congrès.
2.2. Scène composée
25La ville hôte, avant d’être théâtre de l’événement, est candidate à son accueil. Elle compose une offre de destination mise en avant dans les dossiers de candidature et que nous avons pu étudier lors de notre étude auprès des membres de Coésio. Il apparaît dans les réponses, apportées par 10 bureaux des congrès et 19 centres des congrès de villes de tailles différentes, que les éléments d’informations proposés mettent en avant la destination sous l’angle fonctionnel de son accessibilité, de son ou ses sites d’accueil et ses hébergements, mais aussi de son image et ses activités économiques majeures et distinctives. Quand c’est le Bureau des Congrès qui élabore les candidatures, ces dernières sont plus systématiquement abordées, de même que sont plus systématiquement insérées des lettres de soutien des maires pour souligner l’implication. Les bureaux sont en effet en contact plus direct avec les acteurs politiques car ils sont le plus souvent une émanation des Offices de tourisme. Afin de faciliter au maximum les opérations pour les organisateurs, des dispositifs complets appelés « packs accueil » ou, de plus en plus, « chartes d’accueil », sont élaborés et mis en avant par les bureaux ou les centres de congrès. L’étude réalisée sur ce sujet sur 6 villes françaises et 20 villes à l’étranger dotées de cette offre formalisée, a montré que cette proposition des destinations a tendance à se généraliser. Ces chartes présentent un double intérêt car elles communiquent de manière complète et ordonnée vers l’extérieur, et rassurent les organisateurs, mais aussi fédèrent les acteurs locaux pour faire destination. Ainsi, la charte des grands événements de Nantes – Saint-Nazaire (figure 7) présente immédiatement le caractère complet des engagements. Le dispositif couvre tous les moments d’expérience du visiteur de son arrivée à son départ et dans le cadre du congrès comme dans les autres contextes (visites, achats, sorties). Il prend en compte la ville dans son ensemble (accueils à l’aéroport, en gare, pavoisement, signalétique) par des éléments visibles mais aussi avec des pass pour les transports ou des réductions en magasins ou sur les sites touristiques. C’est donc tout un système d’acteurs de la destination qui est ici mobilisé et déployé, afin de faire d’une visite sur un congrès une expérience totale et fluide à l’échelle du visiteur, et les chartes d’accueil font office de levier de mobilisation des acteurs locaux institutionnels et privés de la filière événementielle.
Figure 7. Extraits de la charte d’accueil des grands événements de Nantes – Saint-Nazaire
Convention Bureau de Nantes – Saint-Nazaire, 2020
26En coulisses, ce travail collaboratif de gouvernance est orchestré par le Bureau des congrès, et implique les principaux acteurs de la destination que sont les hôteliers, les restaurateurs, traiteurs, commerces, sites touristiques et, bien sûr, le centre des congrès. La charte n’est donc pas, dans le cas nantais, proposée pour tous les événements mais pour les congrès tournants répertoriés par l’ICCA (figure 8), ce qui prouve à nouveau leur caractère moteur pour la ville d’accueil, mais aussi pour d’autres événements rassemblant plus de 300 personnes et sur au moins deux nuitées.
27On assiste à une montée en puissance des bureaux des congrès en France, qui s’accompagne ainsi d’une structuration de l’offre et de la prise de conscience par les autorités municipales de l’importance de la venue d’événements, notamment professionnels. La question des congrès rejoint donc au quotidien la question de la gouvernance des destinations et est en prise avec le territoire d’accueil entendu sous l’angle de ses activités économiques, de ses filières de compétitivité ou d’excellence, ces dernières étant liées à la fois à des entreprises et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à même d’attirer, par la présence d’un scientifique éminent dans sa spécialité par exemple, un congrès tournant. Les bureaux des congrès vont jusqu’à identifier ces personnes ressources, en faire des ambassadeurs de destination (Houllier-Guibert et al., 2018) et les accompagner dans la candidature puis l’accueil de l’événement. Cette pratique est déjà répandue dans les grandes métropoles, comme à Marseille par exemple, mais des villes plus petites l’adoptent aussi et la formalisent : Angers définit ainsi actuellement son contrat ambassadeur. Si l’analyse de l’offre de destination a mis en avant le rôle des Bureaux des congrès, l’étude réalisée, pour Coésio, sur ces structures à l’international, avec des répondants essentiellement européens mais aussi nord-américains (région où ils sont nés) ou asiatiques, a montré le caractère relativement récent de cet acteur en France, apparu après les centres des congrès. Ces derniers ont donc été, souvent pendant plusieurs décennies, à la manœuvre pour attirer et accueillir des congrès et demeurent centraux dans le système d’acteurs comme dans l’espace urbain.
2.3. Scène centrale : le centre des congrès
28Les centres de congrès, également encore appelés palais des congrès pour certains9, restent le principal lieu d’accueil de ces événements alors que beaucoup d’autres lieux ont émergé depuis une dizaine d’années, parfois en opérant une diversification vers les événements d’affaires, comme dans le cas de parcs à thèmes ou autres lieux muséaux. La période faste en matière de construction de centres des congrès en France est celle des années 1980 et 1990, liée en partie à la première décentralisation qui a entraîné une génération d’équipements structurants en région dans les métropoles. Après une trentaine d’années d’existence, la question s’est posée pour beaucoup de sites de leur rénovation. Durant les années 2010, une vingtaine de villes en France ont opté pour la rénovation ou la construction de nouveaux centres des congrès et parcs des expositions (figure 8) malgré l’offre déjà abondante de ces lieux (120 environ) et le coût de ces équipements.
Figure 8. Projets récents et en cours d’équipements dédiés aux congrès, foires et salons
H. Pébarthe-Désiré, 2017 et Unimev, 2019
29Les parcs d’expositions accueillent surtout des salons mais parfois des congrès. Ils nécessitent beaucoup de surface et sont localisés en périphérie immédiate des villes, tandis que les centres des congrès bénéficient presque toujours d’emplacements dans les centres villes, avec une bonne accessibilité en train et par les transports intra-urbains. Les acteurs des destinations veillent à ce qu’ils présentent une architecture innovante aussi bien intérieure qu’extérieure avec des bâtiments qui répondent à des exigences environnementales, patrimoniales et technologiques. Ces lieux sont de plus en plus pensés en lien avec la ville. Dans le cas d’Angers, l’architecture du bâtiment d’origine de 1983 a été remaniée, notamment en façades, et ouvre maintenant largement sur le boulevard à l’avant et sur le Jardin des Plantes à l’arrière, le tout offrant une plus grande luminosité à l’intérieur et un espace de terrasse extérieure qui n’existait pas. Mais la transformation urbaine la plus nette de ces dernières années est celle opérée dans le quartier Sainte-Anne de Rennes pour la création du centre des congrès dans le Couvent des Jacobins (figures 9).
30Le chantier en plein cœur de ville et sur un monument historique s’est avéré complexe et coûteux (103 millions d’euros). Préservé, le cloître a été comme suspendu pour permettre la réalisation de nouveaux espaces en sous-sol. Le bâtiment allie modernité et respect du patrimoine d’origine.
Figure 9. Le centre des congrès du Couvent des Jacobins à Rennes en 2018, après son ouverture
H. Pébarthe-Désiré, juin 2018
31Le site permet l’organisation, aussi bien de congrès que d’autres types d’événements, et cette hybridation entre espaces de conférences, lieu de spectacle et espaces d’exposition est devenue un besoin dans l’événementiel et est donc prise en compte dans la dernière décennie de rénovations et créations, aussi bien à Angers qu’à Rennes mais aussi à la Baule (Atlantia) et bien sûr à Nancy avec la spectaculaire réalisation du centre Prouvé. Ces bâtiments deviennent ainsi des outils protéiformes du fait de la modularité des espaces, capables d’accueillir une diversité d’événements mais aussi d’en autoproduire pour assurer une bonne rentabilité des espaces hors saison de congrès. Cette décennie de rénovation et construction a été aussi l’occasion de repenser les gouvernances associées aux sites et, plus largement, à l’ensemble des destinations.
3. Les congrès, fenêtres privilégiées sur la gouvernance de destination et le développement territorial
32Les congrès offrent un éclairage en matière à la fois de gouvernance de destination (Baggio et al., 2010 ; Bédé, 2013) qui s’appuie sur des réseaux d’acteurs complexes, et de gouvernance urbaine (Jouve, 2007 ; Pasquier et al., 2007), ces événements constituant un instrument d’action publique et de développement territorial.
3.1. En coulisses, les enjeux de gouvernance de destination
33Les acteurs, notamment institutionnels, se structurent de plus en plus pour décliner des stratégies de pilotage et des politiques de destination en fonction des publics visés. Les offices de tourisme ont la compétence sur la clientèle « loisirs », touristique. Pour la clientèle d’affaires et de réunions, c’est fréquemment le bureau des congrès qui vise à devenir la porte d’entrée de la destination. Il a pour rôle à la fois de promouvoir la destination mais aussi d’orienter vers les bons opérateurs des demandes d’organisateurs, le tout en fédérant les acteurs du territoire concernés par l’accueil d’événements pour rendre plus efficiente la destination dans un contexte de compétition. Or, dans la plupart des villes françaises, la création du bureau des congrès, souvent au sein des institutions touristiques que sont les offices de tourisme, est intervenue souvent des années après les équipements de congrès. Cette absence de structures dédiées a selon nous contribué à retarder l’émergence de stratégies de destinations et sans doute contribué à maintenir des confusions entre tourisme et rencontres d’affaires. La structuration récente des destinations les a poussées à développer des logiques de marques. En termes de branding, après le choix de Only Lyon en 2007 visant à la fois à permettre une identification et une démarcation, ou de So’Toulouse en 2012, les villes sont revenues à plus de simplicité encore avec des appellations comme Destination Nancy, Destination Rennes puis Destination Angers. Ces dénominations évoquent bien sûr une forme d’extraversion et d’ouverture des villes via le tourisme mais les missions assignées à ces structures vont plus loin et visent aussi le développement endogène des territoires concernés, à l’échelle des agglomérations, voire, des métropoles. Dans les cas de Nancy, Rennes et Angers, les projets récents de rénovations et créations de centres des congrès sont un facteur explicatif supplémentaire majeur de l’apparition de ce que nous qualifierons de « destinations intégrées » : une structure unique gère à la fois la politique touristique, celle liée aux événements d’affaires, le centre des congrès, et par extension le lien aux filières d’excellence du territoire, elles-mêmes porteuses de la venue d’événements, de nouveaux visiteurs, voire de nouvelles entreprises et habitants. La dimension d’attractivité économique est bien présente dans les actions déclinées par les structures sur le territoire des métropoles. Dans le cas rennais, en l’absence dans la ville de centre des congrès avant la rénovation du Couvent des Jacobins, il s’agissait même de créer une destination congrès. Le nouveau centre, à la construction chère en argent public et donc scrutée par les acteurs politiques locaux, a constitué un levier majeur. Il a été intégré à une gouvernance d’ensemble, confiée à une SPL (société publique locale), créée en 2013, donc bien en amont de l’ouverture du centre des congrès de 2018, et qui a dès lors mis sur pied à l’échelle de la métropole un conseil des acteurs impliqués dans l’accueil d’événements, conseil très élargi puisqu’il comprenait environ 300 membres actifs un an après sa création. Destination Rennes gère à présent le site du Couvent des Jacobins mais joue également le rôle d’office de tourisme d’une part et de bureau des congrès d’autre part, le tout via des équipes différentes dédiées à chaque type de clientèle, chacune ayant des besoins spécifiques et renvoyant à des prestataires en partie différents sur le territoire. Les efforts ainsi consentis par les destinations produisent des effets sur le développement urbain, du fait de la porosité entre la fonction d’accueil d’événements professionnels et d’autres fonctions économiques comme le tourisme ou d’autres filières, mais aussi entre les grands lieux événementiels et la vie sociale et culturelle urbaine.
3.2. Faire ville : la porosité entre congrès et vies économique, sociale et culturelle
34Le premier type de lien entre l’activité congrès et la vie économique concerne le tourisme. En effet, les congressistes mais aussi les personnes qui les accompagnent, visitent pour beaucoup le territoire et anticipent ou prolongent leur venue à des fins touristiques. Ainsi, l’OTCP estime qu’à Paris, un peu plus de 40 % des congressistes ont cette pratique10. En outre, ces visiteurs, potentiellement, reviennent, notamment à l’occasion de vacances. Ceci peut amener une fréquentation y compris dans des villes peu touristiques et découvertes lors d’événements professionnels, socio-professionnels et associatifs. Nombre de villes comptent sur ce type de conversion de congressistes en touristes de loisirs. Plus largement, si le contexte de pandémie covid 19 a des effets très négatifs sur les destinations de congrès avec l’arrêt des événements courant 2020 et en partie en 2021, on peut aussi estimer que la réduction des distances de mobilité liée à la pandémie, et le renforcement des déplacements entre régions françaises plutôt qu’à l’international offre un cadre propice au développement de mobilités d’affaires et touristiques plus proches.
35Mais le lien entre congrès et économie locale dépasse largement le cadre du tourisme et touche potentiellement aussi bien des activités productives industrielles ou agricoles au sens large. On peut ici évoquer par exemple le pôle de compétitivité Végépolys angevin, via ses structures de recherche, de formation, ses entreprises de développement de bio-techonologies. Les fonctions de recherche et les établissements d’enseignement supérieur associés dans un tel pôle génèrent des réunions scientifiques, potentiellement des congrès portés par des chercheurs dotés de réseaux nationaux et internationaux. De plus en plus de bureaux des congrès sont attentifs à ces dynamiques. Ainsi, la mention des filières d’excellence du territoire dans la charte d’accueil des grands événements (figure 7) suggère le travail conduit par le Bureau des congrès de Nantes – Saint-Nazaire vers ces dernières qui sont par ailleurs définies et présentées en détail sur son site internet. La Cité des congrès communique également sur le développement territorial endogène lié aux congrès. À propos du maintien de Nantes à son rang au classement de l’ICCA en 2019, le directeur commercial du centre déclare : « ces résultats sont le fruit d’un partenariat très fort (…) avec les acteurs académiques et scientifiques, qui sont de véritables prescripteurs d’événements. Avec des filières d’excellence riches en laboratoires et écoles, avec sa capacité hôtelière, son accessibilité, un cœur de ville à taille humaine (…), Nantes coche toutes les cases pour l’accueil des congrès internationaux »11. En 2019, Nantes a ainsi accueilli par exemple le congrès mondial du titane, porté par le pôle de compétitivité EMC2, qui a réuni 1 000 participants sur 4 jours, et le Congrès Mondial de l’IASP (International Association of Science Parks and Areas of Innovation), porté par Atlanpole, qui a réuni 800 participants. Les congrès permettent une analyse renouvelée de la capacité d’innovation et de mobilisation des filières économiques locales, contribuant à la fois à définir et enrichir l’image de métropoles mais aussi de villes petites et moyennes qui ne bénéficient par ailleurs que peu du tourisme. La production locale de congrès concerne des villes de rangs variés et, si le nombre de congrès internationaux reçus est pris en compte dans un classement des villes mondiales comme le Global Power City Index (Mori Memorial Fundation, 2020), il ne l’est que rarement à des échelles continentales (Rozenblat et Cicille, 2003) et nationales. Pourtant un indicateur incluant non seulement le nombre d’événements internationaux, mais aussi nationaux, accueillis ainsi que leur fréquentation et les filières économiques concernées pourrait être élaboré et utilisé dans les études des villes petites et moyennes et les stations touristiques.
36Les destinations s’intéressent aussi désormais aux nouveaux modes de vie et de travail, voire de télétravail, et mettent en avant les lieux de coworking. Le bureau des congrès de Nantes – Saint-Nazaire présentait ainsi en détail, en juin 2021, sur son site internet, 71 lieux de coworking. On peut également penser au French Event Booster à Paris, espace créée par Viparis, gestionnaire du parc des expositions de la Porte de Versailles, où se situe cet incubateur de start-ups et ouvert au coworking et à la tenue d’événements. La volonté est ici d’établir des liens en vue de générer une vie de quartier et une ouverture à l’espace environnant. Dans l’imaginaire commun, les centres de congrès sont en effet associés aux visiteurs de passage pour raisons professionnelles. Pourtant ces lieux sont multifonctionnels et accueillent nombre d’événements grand public qui, s’ils s’avèrent généralement moins rentables que l’accueil de congrès et d’événements d’entreprise, sont importants pour la vie sociale et culturelle locale. La place du grand public dans le mix événementiel des centres de congrès est loin d’être négligeable : les spectacles et les manifestations culturelles et sportives représentaient ainsi, en 2019, 25 % des événements accueillis dans les centres des congrès en France (Unimev, 2020). L’offre de spectacles est présente dans tous ces lieux, souvent pensés dès leur création pour l’accueil des grands orchestres par exemple. Les élus locaux sont attentifs à la rentabilité de ces sites car les collectivités sont généralement propriétaires. Dans plusieurs villes, comme Montpellier et Lyon, ils se sont même préoccupés de leur insertion architecturale et urbaine depuis déjà les années 1990. Mais les élus se montrent aussi de plus en plus sensibles à l’inclusion de ces lieux dans la vie des habitants afin qu’ils ne soient pas perçus par la population comme des lieux réservés aux visiteurs extérieurs et qui leur seraient fermés. Ainsi, dans l’étude réalisée en 2019 pour Coesio sur la question de l’ouverture des sites au grand public, avons-nous pu relever une communication croissante des centres, via les réseaux sociaux numériques notamment, pour annoncer tous les événements concernant les locaux. Des suggestions en vue d’un plus grand lien physique avec leur quartier ont aussi pu être faites autour de l’ouverture d’espaces de restauration plus informels et conviviaux en leur sein, ouverts sur l’extérieur. Enfin, en tant que lieux centraux, les centres de congrès peuvent de moins en moins faire l’impasse sur une réflexion sur leur insertion, physique et en termes d’usages, dans la ville. Au total, le système d’acteurs et de lieux associé aux congrès constitue un objet urbain à part entière, traversé d’enjeux économiques et politiques forts (y compris au sens premier de vie de la cité) de l’évolution contemporaine des villes.
Conclusion
37Les congrès génèrent une activité perçue comme extravertie au plan territorial au sens où elle attire des visiteurs extérieurs, et est source, pour les villes d’accueil, de visibilité, de rayonnement et de prise de position à d’autres échelles, comme l’a montré l’analyse des logiques de classements internationaux et de rotation des événements. Mais ils composent aussi une activité ancrée, génèrent des retombées réelles, maximisées, ainsi que l’expérience visiteur, quand ceux qui pilotent la destination veillent à une fluidité entre acteurs, lieux et dans les mobilités. Les destinations organisent une scène propice aux congrès en termes d’équipements, mais aussi de services, et elles s’organisent en matière de gouvernance. Deux facteurs de recomposition des destinations ont pu être soulignés à travers notamment le rôle croissant et central des bureaux des congrès et les enjeux de gouvernance urbaine générés aussi par les opérations de rénovation ou de création de centres des congrès.
38Les congrès alimentent des dynamiques économiques mais aussi politiques dans la mesure où ils appellent des politiques urbaines de plus en plus structurées pour assurer leur venue et leur bon déroulement. Ils exigent des villes-hôtes un accueil, un développement visible de prestations et d’aménités, autant d’éléments composant une expérience pour les visiteurs. Mais ils mobilisent aussi d’autres cadres, moins visibles, car ils s’appuient sur d’autres types de ressources territoriales que sont les filières économiques, notamment le vivier en recherche et innovation qui offre des opportunités et une légitimité à l’accueil de ces événements. L’activité congrès nous permet aussi de mieux définir les différentes dimensions d’une destination : une proposition construite composée d’une scène fonctionnelle, et en coulisses, d’acteurs qui s’accordent pour mettre en scène un décor et une chaine complète de services signant une réelle urbanité. À la baguette, les bureaux des congrès pour ce qui est de la structuration de l’offre, tandis que les centres de congrès font office de scène principale et sont de plus en plus visible grâce à leur localisation centrale et aux efforts consentis à l’occasion de leurs constructions ou rénovations. Enfin, les enjeux de développement territorial dépassent le seul cadre événementiel en ce qu’ils relèvent aussi de la question de l’attractivité économique des villes comme de la vie culturelle et sociale urbaine.
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1 Classement UAI prenant en compte les réunions « de type A » : le congrès doit accueillir plus de 300 participants, dont 40% d’étrangers de plus de 5 nationalités et durer au moins 3 jours.
2 Cette croissance est une réalité jusqu’à 2019 inclus. La pandémie covid 19 a bien sûr provoqué une forte diminution du nombre de congrès en 2020 et 2021, en particulier ceux tenus « en présentiel », et nous nous appuyons donc sur les données 2019. Il est encore tôt pour dire si les pratiques seront durablement modifiées mais il est clair que les sites d’accueil, qui ne veulent pas voir l’activité congrès s’arrêter à nouveau, se sont équipés pour être en capacité d’organiser des événements hybrides, entendus ici comme présentiels et distanciels simultanément. Les destinations devront être en capacité de gérer des audiences géographiquement éclatées et de coopérer davantage entre elles. Sans doute va-t-on connaître un développement de congrès dans plusieurs lieux (et notamment centres de congrès) simultanément. Le développement du télétravail et la transformation des réunions classiques va peut-être finalement renforcer la tenue d’événements dans les villes de taille intermédiaire sans pour autant signer la fin de la domination des grandes métropoles.
3 Le baromètre annuel de l’OTCP prend en compte, à l’instar de l’ICCA et de l’UAI, les congrès à rotation internationale, mais aussi les congrès à rotation nationale et les congrès sédentaires, qui se réunissent chaque année à Paris et sont majoritaires.
4 On dispose de données pour Paris concernant le nombre d’événements et leur fréquentation avec le nombre de congrès accueillis (1 084 en 2019) et le nombre de congressistes (922 900 soit plus de la moitié du total reçu en France).
5 Source : enquête par entretiens auprès de responsables de Bureaux des Congrès que nous avons conduite en 2018 en partenariat avec Coésio (Destinations francophones de congrès) sur les retombées économiques liées aux congrès et l’évaluation de ces dernières.
6 Projet de recherche CREER (Créativité dans les événements et rencontres d’affaires) conduit grâce à un financement régional RFI (recherche, formation, innovation) Pays-de-la-Loire avec un axe « innovations et territoires » portant sur les congrès dans les villes, essentiellement françaises.
7 Anciennement Association Internationale des Villes Francophones de Congrès - AIVFC, essentiellement françaises et européennes, créée en 1975.
8 Y compris les villes africaines de Dakar et Yaoundé qui ne figurent pas sur la carte de la figure 4.
9 Les termes de centres et palais des congrès sont employés aujourd’hui pour décrire le même type d’équipement. Mais à l’origine, un centre de congrès était un lieu qui s’était spécialisé dans l’accueil d’évènements, notamment congressuels, après avoir eu une autre fonction (de gare, hôtel, couvent...), tandis qu’un palais des congrès est un lieu construit spécifiquement pour l’accueil d’événements.
10 Plus précisément, les congressistes français ont dépensé, en 2019, 220 euros par jour durant le congrès et 253 euros avant ou après. Pour les congressistes venus de l’étranger, on est à 359 et 372 euros (OTCP, 2020).
11 Article publié sur le site du Bureau des congrès de Nantes-Saint-Nazaire le 15 mai 2021 : https://actus.nantes-saintnazaire.fr/article/accueil-congres-nantes-maintient-sa-position-au-classement-icca
Hélène Pébarthe-Désiré, « Ville théâtre, ville candidate : comment les congrès recomposent-ils images, fonctions et gouvernance des destinations urbaines ? » dans © Revue Marketing Territorial, 8 / hiver 2022
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=777.
Quelques mots à propos de : Hélène Pébarthe-Désiré
Maître de conférences en géographie à l'Université d’Angers depuis 2005, Hélène Pébarthe-Désiré est membre de l’UMR 6590 Espaces et sociétés. Elle enseigne la géographie du tourisme, de l’événementiel, et les systèmes d’acteurs et de lieux qui leurs sont liés, et elle encadre le Master Evénementiel et rencontres d’affaires de l’ESTHUA Tourisme et culture. Ses recherches portent sur le développement territorial par le tourisme, les mobilités d’affaires et les événements en contextes urbains, notamment métropolitains, ainsi qu’en contextes insulaires touristiques. Les jeux d’acteurs et la gouvernance de destination sont au cœur de ses travaux de recherche.