La visée touristique de l’évènementiel

Marie Delaplace et Charles-Edouard Houllier-Guibert


Texte intégral

1Ce numéro thématique de la Revue Marketing Territorial est le deuxième issu du partenariat éditorial avec l’ORME, l’observatoire de Recherche sur les Méga évènements de l’Université Gustave Eiffel. L’ORME a en effet organisé un colloque en Mai 2021 avec AsTRES (Association Tourisme Recherche et Enseignement Supérieur) sur la thématique « City, Events, Mega-events and Tourism ». L’objectif de la RMT est de présenter une sélection de quelques textes se rapportant justement aux interactions entre d’une part différents types d’évènementiel tant en termes de taille qu’en termes de nature (sportif, de congrès, de festivals) et d’autre part le tourisme et ce dans des configurations territoriales elles-mêmes différentes mais toutes situées en Europe.

2Cette thématique proposée avant le début de la pandémie de COVID-19 était fondée sur le constat du développement de l’évènementiel, conçu comme un outil au service de l’attraction de touristes, parfois même de populations ou d’entreprises. Plage en ville, évènements sportifs, mise en lumière ou autres thématisations éphémères des monuments, expositions temporaires, évènements culturels, commerciaux, d’entreprises, attestent de la profusion évènementielle dans ce que l’on peut qualifier de ville festive (Di Méo, 2005 ; Lefebvre et Roult, 2013). Ainsi en France en 2019, c’est 384 000 événements d’entreprise et d’institution, de congrès, salons et foires qui ont été recensés (Unimev, 2020) auxquels il convient d’adjoindre les évènements sportifs dont la diversité est tout aussi importante.

3Ces évènements par définition temporaires et éphémères participent cependant de la fabrication de l’urbain. Certains de grande envergure font même l’objet d’une planification (Lefebvre et Roult, 2013) et peuvent dès lors avoir des conséquences à long terme sur les villes hôtes (Roche, 1994) notamment lorsqu’ils sont associés à la construction d’infrastructures en particulier de transport (Kassens-Noor et al., 2016). Parfois liés à un projet global de transformation de la ville (Gravari-Barbas et Jacquot, 2007 ; Pradel, 2010), ils sont en outre souvent conçus pour attirer des touristes (Piriou et al., 2017), élargissant spatialement ou temporellement leur venue, notamment durant la basse saison (Commission européenne, 2018) et renouvelant l’offre de ces villes touristiques (Alexandre-Bourhis et al., 2013), même si certaines villes ont un évènement phare. Ils sont perçus comme un outil de différenciation des villes dans la concurrence qu’elles se livrent. Comme le soulignent Getz et Page (2016, p.593), “Events are both animators of destination attractiveness but more fundamentally as key marketing propositions in the promotion of places given the increasingly global competitiveness to attract visitor spending”1. Ces évènements sont alors un outil au service d’une image de dynamisme, de vitalité des communautés locales (Duignan et al., 2020) qui leur permet de se distinguer, de communiquer sur leurs atouts, d’attirer des investisseurs, des touristes mais aussi à plus long terme des populations. En effet, ils sont tout à la fois une production des populations locales par le bénévolat qu’ils impliquent et un outil permettant aux habitants de devenir des touristes chez eux (Commission européenne, 2018) par l’atmosphère nouvelle (Popp, 2012 ; Kim et al., 2016), qu’ils véhiculent jusqu’à pour certains, proposer le cadre de la ville festive (Di Méo, 2005).

4Mais cette profusion évènementielle questionne les objets et les lieux qu’elle met en scène : l’évènementiel culturel est parfois analysé comme une instrumentalisation de l’art et de la culture à des fins de valorisation d'un territoire aux yeux de nouveaux résidents ou d'investisseurs potentiels (Hoffman et al. 2003). Elle peut aussi générer des mécontentements, des oppositions et confrontations entre habitants, participants et organisateurs pendant l’évènement (Duignan et al., 2019). Les plus grands évènements peuvent également être associés à des transformations négatives telles que la gentrification (Pappalepore et Duignan, 2016). Ville évènementielle et ville habitante ne coexistent pas toujours facilement, d’autant que les concentrations de populations (touristes, résidents, bénévoles...) dans un même lieu, posent des problèmes de sécurité (Richard et al., 2020).

5Comme le veut la ligne éditoriale de la revue, ce numéro thématique est composé de quatre articles scientifiques issus pour trois d’entre eux de communications présentées lors de ce colloque. Trois synthèses courtes (dont une recension d’ouvrage) viennent le compléter ainsi qu’un article de la rubrique « Image et territoire », chacun issu de participants du colloque.

6Le premier article scientifique « le rayonnement culturel vecteur de l’attractivité touristique du marathon de Paris » proposé par Olivier Bessy, met en exergue les liens entre la culture, le tourisme, l’évènementiel sportif et le développent territorial. Considérés comme une ressource territoriale, les marathons deviennent des outils développement des territoires hôtes. À partir de méthodes variées (analyse de données secondaires, observation du site du marathon, forums, revues spécialisées...), observations participantes, entretiens auprès des acteurs locaux organisateurs et auprès de marathoniens, et mobilisations de données patrimoniales issues d’Open Street Map, l’auteur montre comment cette course à l’origine confidentielle est passée du statut d’évènement essentiellement sportif, à celui d’outil au service du rayonnement de Paris à l’international, y compris d’un point de vue touristique. Au-delà du défi sportif, ce marathon est aussi une expérience touristique fondée sur une mise en valeur culturelle de la capitale. Tout comme dans l’Olympiade culturelle2 qui accompagne les jeux Olympiques, sport et culture sont alors au service l’un de l’autre.

7Hélène Pébarthe-Désiré dans son article intitulé « Ville théâtre, ville candidate : comment les congrès recomposent-ils images, fonctions et gouvernance des destinations urbaines ? » propose d’investir un autre type d’évènementiel que sont les congrès. Les principaux classements internationaux soulignent les problèmes de conceptualisation de ces congrès et la faiblesse de la littérature scientifique à ce sujet. À partir de données annuelles recueillies auprès d’un ensemble de 20 à 60 destinations membres de l’association Coésio, elle met en évidence la façon dont ces destinations se mettent en scène à partir de l’activité Congrès, tant en termes d’équipements, que de services. Elle souligne l’importance en coulisses de la gouvernance en raison du nombre important d’acteurs et de leur diversité et montre le rôle croissant des bureaux des congrès comme chefs d’orchestre. Si la pandémie de COVID-19 a généré des modifications significatives dans l’activité Congrès et notamment le développement d’évènements virtuels, l’avenir nous dira si ces modifications seront pérennes. Dans un tel cas, les destinations de congrès devront être repensées en termes d’accueil de touristes.

8Inmaculada Diaz-Soria et Asunción Blanco-Romero abordent les festivals. À partir d’une méthodologie mobilisant là aussi différents outils (construction d’indicateurs de résilience, entretiens semi-structurés ayant fait l’objet d’une analyse qualitative avec l’aide du logiciel Atlas.Ti), leur article intitulé « Les festivals de musique, évènements structurant les territoires en dehors des grandes villes : le cas de la Costa Brava » montre que ces festivals participent de la structuration des territoires dans une destination touristique balnéaire. Elles mettent ainsi en exergue qu’ils contribuent au réseau d’acteurs qui ont cherché à diversifier la destination. En mobilisant le concept de cycle adaptatif, les festivals contribuent à un développement touristique durable, caractérisé par un tourisme de masse, en particulier dans les zones situées dans l’arrière-pays ; ils favoriseraient ainsi leur résilience.

9Enfin, dans un article, non présenté au colloque susmentionné, intitulé « Evènementiel Lesbien Gay Bisexuel Transgenre et destinations touristiques : analyse diachronique de la dynamique communicationnelle en ligne » Sylvie Christofle (présente au colloque sur un autre sujet) et Catherine Aussilhou analysent un événementiel culturel qualifié de communautaire. La littérature scientifique sur le tourisme LGBTQI+ s’est développée depuis quelques années et de nombreuses destinations tentent d’attirer ces populations, l’approche par l’évènementiel en lien avec les réseaux sociaux numériques revêtant un caractère inédit. Deux festivals de films qui se sont déroulés à Nice sont analysés en matière de promotion et de communication en ligne via le réseau Facebook. Si ces deux festivals partagent la même thématique et sont tous deux organisés par des associations militantes et de surcroît dans un même lieu, leur utilisation des réseaux sociaux numériques est différente et leurs retombées sont hétérogènes.

10Trois synthèses viennent compléter ce numéro thématique dont la recension d’un ouvrage d’envergure qui se concentre sur le management public de l’événementiel. Les chercheurs en gestion se sont emparés de ce thème à travers un ouvrage qui est resté cependant peu visible depuis sa publication en 2017.

11La doctorante Alexia Gignon propose une synthèse de ce travail, chapitre par chapitre, soulignant le découpage entre un volet théorique et celui des études de cas, manière si habituelle de traiter de l’événementiel. Dans cet ouvrage dont le titre est « Événements et territoires. Aspects managériaux et études de cas », la liste des terrains étudiés est hétérogène, tant en taille de territoire qu’en type d’événement, malgré l’absence de l’événementiel d’affaires.

12Les deux autres synthèses sont des textes courts présentés eux-aussi au colloque de l’ORME. Tout d’abord, le texte de Cyril Cordoba intitulé « La dimension touristique du festival du film de Locarno au fil des décennies » montre l’évolution progressive du positionnement d’un festival au sein d’une ville, au regard du jeu des acteurs locaux. Les tensions entre l’image touristique et l’image cinéphile-chic, correspondent aux reproches assez classiques à propos des événements financés par l’argent public alors qu’ils soutiennent un entre-soi de professionnels. En outre, les strass et paillettes sont si faciles à déployer, tant le cinéma, correspond à l’image souhaité du principal financeur qu’est l’OGD (Organisme de Gestion de Destination) local, acteur central qui progresse au fil des décennies en matière de leadership.

13Le texte de Charles-Edouard Houllier-Guibert propose un cadrage théorique du marketing territorial, qui situe l’événementiel comme un levier particulièrement important et qui, dans les fais, se combine le plus souvent avec d’autres leviers. En insistant sur la multiplicité des manières d’étudier l’événementiel, que ce soit par l’approche disciplinaire ou le type d’événement, c’est bien l’effet d’image qui fait point commun. Et ce, aussi bien dans l’intention qui guident les acteurs à développer les évènements, que dans les résultats scientifiques que les chercheurs affirment avoir identifiés de manière plus ou moins solide.

14Enfin, la dernière rubrique « Image et Territoire » accueille un texte de Merlin Gillard relatif à la sécurité des événements à Bruxelles suite aux attentats. À partir de différentes méthodes qualitatives, il montre la façon dont les mesures de sécurité ont été renforcées et comment elles façonnent l’espace public dans la ville en en privatisant des portions de manière temporaire. Il souligne également que l’élaboration puis la mise en place de ces mesures ont un impact sur l’économie de l’événementiel par les diverses dépenses qu’elles impliquent tant en termes d’emplois que d’infrastructures. Elles participent ainsi à la profitabilité de l’économie évènementielle.

15Nous vous souhaitons une agréable lecture à travers ces textes qui montrent la capacité des acteurs à produire du sens sur les espaces, sous de multiples formes, qui sont le plus souvent des villes visant le développement touristique.

Bibliographie

Alexandre-Bourhis N., Rouvais-Charron C. et Bourhis M., 2013, « Les conditions d’une relation bénéfique entre tourisme et événementiel : Le cas de Deauville, station balnéaire normande », Téoros, 32-1, en ligne

Duignan M.B., Down S., and O’Brien D. 2020, Entrepreneurial Leveraging in Liminoidal Olympic Transit Zones. Annals of Tourism Research, en ligne

Di Méo G., 2005, « Le renouvellement des fêtes et des festivals, ses implications géographiques », in revue Annales de Géographie, n°643, 227-243.

Duignan M.B., Pappalepore I. et Everett S. 2019, The ‘Summer of Discontent’: Exclusion and Communal Resistance at the London 2012 Games. Tourism Management, vol.70, 355-367.

Commission européenne, 2018, Overtourism: impact and possible policy responses, Research for TRAN Committee

Getz D. et Page S.J., 2016, Progress and prospects for event tourism research, Tourism Management, vol.52, February, 593-631.

Gravari-Barbas, M. et Jacquot S., 2007. L’événement, outil de légitimation de projets urbains : l’instrumentalisation des espaces et des temporalités événementiels à Lille et Gênes ? Géocarrefour, vol.82, n°3, 153-163.

Hoffman L.M., Fainstein S.S., Judd D.R. Eds., 2003, Cities and Visitors: Regulating People, Markets, and City Space, Blackwell, Oxford.

Kassens-Noor E., Gaffney C., Messina J., Phillips E., 2016, Olympic Transport Legacies: Rio de Janeiro’s Bus Rapid Transit, Journal of Planning Education and Research.

Kim, D., Lee, C.-K., et Sirgy, M. J., 2016, Examining the Differential Impact of Human Crowding Versus Spatial Crowding on Visitor Satisfaction at a Festival. Journal of Travel & Tourism Marketing, 33(3), 293-312.

Lefebvre S. et Roult R., 2013, Politiques urbaines et planification territoriale dans la ville festive/Urban policy and territorial planning in the festive city, Loisir et Société / Society and Leisure, 36, 1, 1-7.

Pappalepore I. et Duignan M.B., 2016, The London 2012 Cultural Programme: A Consideration of Olympic Impacts and Legacies for Small Creative Organisations in East London. Tourism Management, 54, 344-355.

Piriou, J., Ananian, P. et Clergeau, C. (dir.) (2017) Tourisme et événementiel. Enjeux territoriaux et stratégies d’acteurs. Québec, Presses de l’Université du Québec, 328p.

Popp M., 2012 Positive and Negative Urban Tourist Crowding: Florence, Italy, Tourism Geographies, 14, 1, 50-72.

Pradel B., 2010, Rendez-vous en ville ! Urbanisme temporaire et urbanité évènementielle : les nouveaux rythmes collectifs, thèse de doctorat, UPE

Roche M., 1994, Mega-events and urban policy, Annals of Tourism Research, vol.21, 1-19.

Richard P.-H., Laclémence P., Morel Senatore A. et Delatour G., 2020, Integrating public behaviours into operational responses to crisis situations. A way to improve security of major events? In Delaplace M. et Schut P.-O., “Hosting the Olympic Games: Uncertainty, debate and controversy”, Routledge

Unimev, 2020 Event Data Book Données 2019 et tendances 2020

Notes

1 Traduction : Les événements sont à la fois des animateurs de l'attractivité des destinations mais plus fondamentalement des propositions marketing clés dans la promotion des lieux compte tenu de la compétitivité de plus en plus globale pour attirer les dépenses des visiteurs

2 L’Olympiade culturelle correspond à la mise en place d’évènements accessibles à un large public, organisés par le pays hôte de prochains JOP dans le but de valoriser diverses formes de cultures locales, dans maintes disciplines artistiques.

Pour citer ce document

Marie Delaplace et Charles-Edouard Houllier-Guibert, « La visée touristique de l’évènementiel » dans © Revue Marketing Territorial, 8 / hiver 2022

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=756.