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1Les festivals de musique représentent, pour beaucoup de régions, une occasion de protéger et de mettre en valeur leur patrimoine culturel et naturel, d’attirer des visiteurs et de véhiculer une image dynamique des territoires (Diaz-Soria et al., 2014). La célébration de festivals favorise le développement de destinations touristiques (Prentice et Andersen, 2003 ; Nagy et Nagy, 2013). Dans certains contextes, elle constitue un outil de développement local (Mahon et Hyyryläinen, 2019). Les impacts des festivals sont bien documentés, notamment les impacts sociaux (Brennan-Horley et al., 2007 ; Sharpe, 2008) et économiques (Herrero et al., 2011 ; Rinaldi et Sergio, 2018). En analysant les festivals de musique de la Costa Brava, nous nous intéressons aux festivals comme des produits culturels qui diversifient l’offre touristique de la destination. Nous nous intéressons aux acteurs (Gallelli, 2016) en tant que moteur de ce processus de diversification et de développement local.

2Le terrain de cette étude, la Costa Brava, est situé à Gerona, en Catalogne. Limitrophe de la France, il s’agit d’une destination touristique liée au soleil et à la plage depuis les années 1960. Depuis 1958, de nombreux concerts de musique sont organisés dans cette région, structurés sous la forme de festivals. Ce travail se penche sur les festivals de musique organisés en dehors de grandes villes et propose une réflexion autour de leurs effets sur l’articulation d’un territoire. Nous partons de l’hypothèse que les festivals de musique sont des produits touristiques et culturels avec un effet potentiellement structurant sur les territoires où ils sont organisés, notamment lorsqu’ils ont lieu en dehors des grandes villes, dans des territoires ruraux ou dans des stations touristiques du littoral. Ainsi, ils contribueraient à développer des modèles touristiques durables et adaptés aux territoires où ils sont.

3Cette hypothèse est mise à l’épreuve à partir d’une revue de la littérature existante et d’une enquête de terrain menée entre les années 2010 et 2020. À travers cette recherche, nous avons pu constater des inégalités importantes d’un point de vue touristique entre une zone côtière périodiquement massifiée et une zone intérieure moins dynamique. Elle compte sur des ressources naturelles, archéologiques et patrimoniales diverses qui deviennent le décor des festivals, singularisant leur ambiance (Wu et al., 2020). La démarche méthodologique proposée vise à définir ce que l’on entend par outils d’articulation du territoire et à mesurer leur effet structurant (Tobelem et Thuriot, 2019).

1. Méthodologie

4La méthodologie appliquée est mixte. D’une part, suivant une approche holistique, 76 indicateurs très divers ont été analysés afin d’établir le degré de résilience (Vecco et Srakar, 2017) relatif au terrain de la Costa Brava :

• 13 indicateurs d’analyse territoriale

• 60 indicateurs d’analyse de la destination

• 3 indicateurs directement liés à l’analyse du produit festival

5Suivant la démarche de Cànoves et al. (2017), les indicateurs sont aussi bien macroéconomiques (PIB, emploi, inflation) que sociaux (poids de la population touristique sur le total de la population, inégalités) ou culturels (investissements sur la culture, promotion des festivals). Ils sont liés aux équipements (touristiques, services publics) et aux infrastructures existantes (transports, espaces publics...) et comprennent aussi des informations sur la gestion et la consommation de l’eau et du sol, ainsi que le traitement de déchets ou encore le comportement des touristes. D’autre part, 15 entretiens approfondis semi-structurés ont été menés auprès d’informateurs qualifiés : des organisateurs de festivals (7), des hôteliers (4), des membres de l’administration régionale (2) et locale (1) et des membres du secteur associatif en lien avec le secteur culturel (1). Ces entretiens ont fourni des données concernant :

• Le profil des organisateurs

• L’évolution des festivals

• L’évolution de la région comme destination touristique

• Les réseaux d’acteurs et les stratégies

• Les disparités socio-territoriales et entre différents types de festivals

• Les dynamiques diverses (internationalisation, ancrage dans la communauté locale)

6Ces entretiens ont été retranscrits et analysés utilisant le logiciel d’analyse qualitative AtlasTi. Une analyse thématique a été réalisée à partir de 25 concepts clefs (Cànoves et al., 2014). Une première liste de concepts a été créée et améliorée au long de la démarche analytique. La triangulation des résultats obtenus de l’analyse d’indicateurs et de l’analyse thématique des entretiens nous a permis de situer le territoire, la destination et le produit sur le cycle adaptatif (Holling et Gunderson, 2002). Cet outil est particulièrement intéressant pour comprendre la trajectoire d’un élément qui évolue en se consolidant et se réinventant constamment (Lew, 2017). L’analyse globale de ces données permet aussi d’expliquer leur effet structurant sur les territoires.

7Tourisme culturel et réseaux d’acteurs se présentent ici comme les bases pour le développement endogène et pour l’implantation d’un tourisme adéquat ou approprié (Blanco-Romero et Blázquez-Salom, 2020), à savoir un développement touristique basé sur un contexte territorial concret, caractérisé par une combinaison de ressources et de problématiques qui lui sont propres. Pour analyser les réseaux d’acteurs, nous avons mobilisé la notion de cluster, définie comme un ensemble fonctionnel autour d’un produit (festivals) dans lequel des relations de coopération et de complicité prennent forme (Novelli et al., 2006). Ces résultats contribuent à la réflexion autour des festivals de musique comme des opportunités pour créer des produits de qualité basés sur le tourisme culturel qui produiraient des effets positifs sur l’équilibre territorial. Cet article se structure autour de trois réflexions résultant de la recherche théorique et empirique réalisée :

• Les festivals constituent des outils de développement local.

• Les festivals facilitent la coopération durable entre des acteurs territoriaux.

• Le modèle touristique prédominant n’est pas résilient, mais les festivals contribuent à renforcer les connexions entre acteurs et à diversifier l’économie, deux facteurs d’augmentation de la résilience.

8Les trois réflexions sont développées en trois sections. Chaque section comprend un état de l’art des concepts essentiels pour contextualiser l’idée et une discussion des résultats qui ont mené à cette réflexion.

2. Les festivals, outils de développement local

9La Costa Brava est un territoire très bien connecté, facilement joignable depuis la région métropolitaine de Barcelone et depuis le sud de la France. Destination touristique depuis les années 1960, elle s’est consolidée notamment grâce à son climat et à ses plages (Pérez et Navas, 2014). Elle détient un riche patrimoine naturel et culturel, bien promu au travers d’une offre culturelle qui comprend historiquement des festivals de musique. Aujourd’hui, la Costa Brava tente de diversifier l’offre touristique en promouvant l’arrière-pays, qui est longtemps resté à l’écart du développement touristique (Prat et Cànoves, 2012a ; 2012b). Dans cette stratégie, les festivals de musique d’été constituent une opportunité, car ils ont lieu aussi bien sur la côte qu’à l’intérieur des terres (Figure), même s’ils sont plus nombreux sur la capitale régionale (Figueres) et sur les stations balnéaires les plus visitées (L’Escala, Roses ou Cadaqués).

Figure 1. Festivals de musique dans la région d’étude (Alt Empordà)

Élaboration propre. Bases cartographiques : ICGC (2021).

10Les festivals sont des évènements situés dans un territoire et leur célébration n’est pas banale. Pour que ces bénéfices soient correctement redistribués dans le territoire et génèrent des effets socioculturels positifs, il doit y avoir une planification qui exploite ce potentiel (O’Sullivan et Jackson, 2002). C’est ainsi qu’ils contribuent au développement local. Dans une perspective du développement durable des territoires, chaque secteur dans une communauté doit être engagé dans le processus de prise de décision (López et al., 2011) et dans la distribution de responsabilités (Butler, 2012). Il s’agit de localiser en réduisant l’empreinte environnementale, promouvant les économies locales et la consommation responsable et améliorant l’équité sociale (Cooper et al., 2008 ; Amat, 2013 ; ICSU, 2017). Le concept idéalisé de la durabilité, comprise comme un système équilibré, est alors remplacé par un paradigme flexible adapté aux circonstances spécifiques de chaque endroit (Hunter, 2002). La manière dont les acteurs liés aux festivals de musique de la Costa Brava comprennent la durabilité a évolué au cours de la dernière décennie, passant d’une préoccupation pour la durabilité des festivals eux-mêmes, notamment à cause de la saturation de l’offre, à une prise de conscience de l’importance de la redistribution des bénéfices entre un maximum d’acteurs :

« Beaucoup de promoteurs des festivals comprennent que le territoire et les ressources existantes sont une valeur ajoutée pour leurs concerts […]. C’est aussi très intéressant, particulièrement avec les petits et moyens festivals, qu’ils comprennent le tissu local et social impliqué, qu’ils ont beaucoup de personnes qui participent. Aussi des entreprises locales. Il y a beaucoup de complicité [...]. Ils font beaucoup de réseautage » (Technicienne, Administration régionale).

11D’après les témoignages analysés, les festivals ne sont plus conçus comme des évènements isolés qui produisent des bénéfices et de la visibilité seulement pour la commune où ils sont organisés dans la période de célébration. Ils sont aujourd’hui expliqués comme des générateurs de cohésion sociale et des espaces d’opportunité pour créer des liens entre différents acteurs. De ce premier point nous tirons les premiers critères pour qu’un produit ait une fonction structurante : la présence dans le territoire, l’ancrage, l’appui sur des acteurs endogènes et la capacité à générer des synergies à l’échelle locale.

3. Réseaux d’acteurs et cluster autour du produit Festival de musique

12Parmi les différents modèles théoriques permettant la compréhension des systèmes touristiques (Pearce, 2012), nous mobilisons le concept de cluster. Dans la littérature francophone, on retrouve couramment le concept de réseau d’acteurs (Marinos, 2018) ou encore le jeu d’acteurs (Rayssac, 2007), notamment lorsqu’on analyse les relations de proximité (Gilly et Torre, 2000). Le cluster est ici défini comme un espace géographique où un groupe d’acteurs interagit d’une manière stable et interconnectée autour d’un produit donné (Cànoves et al., 2017). Les clusters sont dynamiques. Ils émergent, changent et peuvent disparaître dans le temps. Un cluster touristique implique un groupe composé par des producteurs d’équipements et de services touristiques, des distributeurs de voyages et des clients (visiteurs et touristes) (Novelli et al., 2006). Le cluster organise les réseaux et les relations sociales et collaboratives entre les acteurs impliqués dans un produit (Tinsley et Lynch, 2001) et promeut les processus d’innovation (Porter, 2000) sous les principes de la proximité, les connections, les interactions et la masse critique. Le succès de la stratégie de cluster dépend de la capacité des acteurs impliqués de développer des activités complémentaires les unes des autres (Michael, 2007 ; Sáez, 2009).

13Cette recherche a recueilli des données des festivals de musique organisés dans l’Alt Empordà (Figure 1), la plus large division administrative de la région naturelle de la Costa Brava. Le nombre de festivals n’est pas toujours stable : certains émergent, il y en a qui peuvent être suspendus temporairement et d’autres disparaissent. D’après les entretiens, cela arrive notamment par manque de support financier ou administratif ou bien lorsqu’ils perdent leur sens sur le territoire. Afin de montrer la diversité et longévité du produit analysé, nous présentons ici le programme de l’été 2019, avec 22 festivals de musique organisés sur 15 municipalités différentes (Tableau 1). Certains d’entre eux ont été interrompus en 2020, à cause des restrictions liées à la pandémie, mais la plupart ont repris à l’été 2021. La rapidité avec laquelle ils ont recommencé, même conditionnés par les contraintes sanitaires, confirme le haut degré de consolidation de ces évènements.

Tableau 1. Festivals de musique organisés à l’Alt Empordà (2019)

Élaboration propre.

*Ces festivals ont été suspendus à cause de la pandémie et n’ont pas d’édition en 2021.

14Les festivals de musique sont des expériences socioculturelles (Suntikul, 2018) impliquant des visiteurs (Gannon et al., 2019 ; Zhang et al., 2019), des résidents (Rasoolimanesh et al., 2017), des organisateurs (Frost et Laing, 2015) et d’autres acteurs touristiques et territoriaux (Adongo et Kim, 2018). Les festivals analysés sont organisés par des acteurs publics (mairies), privés (professionnels du spectacle) ou associatifs (associations culturelles) (Tableau 1). Leur organisation mobilise directement et indirectement d’autres acteurs. La concentration de tous ces acteurs et leur capacité à interagir nous permet de les analyser comme un cluster (Figure 2). Les relations établies entre eux s’expriment à différents niveaux et degrés d’intensité.

Figure 2. Cluster d’acteurs autour du produit Festival de musique de la Costa Brava

Élaboration propre.

15Les acteurs identifiés ont été catégorisés selon leurs fonctions au sein du cluster (Tableau 2). Ils interagissent et génèrent des dynamiques qui vont au-delà des festivals. À titre d’exemple, il est habituel que les activités musicales soient accompagnées par des dégustations de vins et produits locaux. Le festivals Sons del Món est notamment connu pour cela. Ce type de partenariat permet aux festivals de proposer une valeur ajoutée et les producteurs de vins et d’autres produits du terroir profitent de cette opportunité promotionnelle pour atteindre le marché touristique et pour se faire connaître auprès de la population locale. L’Administration régionale, à travers le Consortium de Tourisme (Patronat Girona-Costa Brava), promeut ce type d’initiatives, car elles représentent une opportunité pour une meilleure redistribution de la richesse au sein du territoire. Ce type d’effets positifs perdurent au-delà de la période du festival. Les festivals fonctionnent comme des pôles d’attraction qui dynamisent d’autres secteurs. C’est ainsi qu’ils peuvent contribuer à augmenter le capital social d’une destination (Stevenson, 2016) et contribuer à ancrer sa population.

Tableau 2. Fonctions des acteurs du cluster autour des festivals de musique de la Costa Brava

Élaboration propre. *Liste non exhaustive des types d’acteurs au sein de chaque catégorie.

16Le cluster analysé comprend différents types d’acteurs connectés entre eux grâce à différentes stratégies que nous avons catégorisées. Il existe des stratégies promues par des acteurs publics, privés ou associatifs (Figure 3). Logiquement, des stratégies concernant directement l’organisation des festivals (financement, approvisionnement) ont été identifiées. Néanmoins, l’objectif de cet article est de débattre autour du caractère structurant des festivals au sein des territoires. Par conséquent, les exemples des stratégies ici développées visent à analyser des effets produits au-delà de chaque festival : synergies durables, redistribution, dynamisation, attractivité, valeur ajoutée, échange d’expériences ou encore l’exigence de droits partagés1.

Figure 3. Stratégies au sein du cluster autour des festivals de musique de la Costa Brava

Élaboration propre.

3.1. Acteurs publics

17Parmi toutes les stratégies impulsées par les acteurs publics, nous allons nous focaliser sur la marque “Festivals” comme un outil pour créer des synergies :

« Celle-ci était l’idée [de la marque promotionnelle Costa Brava-Girona Festivals], que les festivals puissent collaborer avec d’autres secteurs. Faire des activités sportives parallèles, un tour musical à vélo, ou organiser des dégustations, on fait ça aussi, ou des concerts dans des musées ou dans des patios de musées, ou dans des expositions... L’idée est celle-ci : que ces produits soient combinés » (Technicienne, Administration régionale).

18Cette marque est créée en 2014 par le Patronat de Tourisme Girona-Costa Brava. Née au sein du “Club Culture et Identité”, il s’agissait initialement de donner de la visibilité aux petits et moyens festivals, de les professionnaliser pour le tourisme. Peu à peu, elle a plutôt servi à promouvoir la destination comme un ensemble à travers deux stratégies principales : d’un côté, profiter de la reconnaissance internationale des grands festivals pour promouvoir l’ensemble de la destination et, de l’autre, faciliter la coopération entre les festivals et d’autres activités du territoire. L’objectif final est de redistribuer les bénéfices le plus largement possible.

3.2. Acteurs privés

19Les acteurs privés travaillent aussi pour générer des synergies, en cherchant à fournir un produit plus attractif, améliorer l’image de la destination et proposer de la valeur ajoutée dans l’ensemble du secteur. Ainsi, des promoteurs de festivals se mettent d’accord avec des hôteliers, des équipements culturels ou des services divers pour proposer au public une offre composée de différents produits.

« Bon, on a un pack. Ceux qui veulent venir pour le week-end obtiennent des tarifs très avantageux dans des hôtels haut-de-gamme, ils ont un ticket pour visiter le Musée Dalí, le Musée des Jouets [de Figueres], une visite guidée de la ville. Autrement dit, […] pendant qu’ils attendent le début du concert, […] ils ont d’autres choses à faire » (Directeur de Festival).

20Ces packs sont organisés pour gagner en attractivité. Ils n’étaient pas une pratique généralisée dans les premières étapes de cette recherche, il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, ils sont facilités par les espaces d’opportunité créés par la marque et les relations personnelles entre acteurs dans un cadre sectoriel ou non (Marinos, 2018). Le cas de la Schubertiada de Vilabertran est remarquable, car ce festival a réussi en 2019 à faire partie d’un voyage organisé par le tour-opérateur anglais Martin Randall, spécialiste du tourisme musical. Cela confirme l’internationalisation de ce festival et sa capacité à dynamiser le territoire en tant que produit culturel musical de qualité.

3.3. Acteurs associatifs

21Une troisième stratégie identifiée lors de notre étude est impulsée depuis le secteur associatif. Il existe une association de petits et moyens festivals qui regroupe des promoteurs de festivals de toute la Catalogne de moins de 10 000 spectateurs afin de partager des expériences et de défendre collectivement leurs intérêts. Ils ont notamment une dimension très politique, car ils revendiquent l’importance des festivals de musique en tant qu’acteurs essentiels dans la structuration des territoires.

« [La fonction sociale des festivals] est la capacité d’unir un territoire. Nous agissons en tant que générateurs de cohésion sociale. […] Un pays ne peut pas survivre en ayant toute la vie culturelle uniquement à [la capitale]. Quand cette activité est dispersée et se consolide, elle structure le pays. […] Les festivals sont situés quelque part et pas ailleurs. […] Nous produisons des évènements très spécifiques, [...] organisés localement, ces organisateurs [...] sont d’ici et connaissent parfaitement la spécificité de ce territoire […]. Ainsi, ils génèrent de la cohésion sociale, car tout le monde veut participer d’une façon ou d’une autre » (Président associatif).

22Ce témoignage défend les festivals en tant qu’outils de cohésion territoriale, car ils décentralisent l’activité culturelle, traditionnellement installée dans les grandes villes. Les festivals sont ancrés dans un endroit et mobilisent les acteurs locaux, renforçant ainsi les relations entre eux et bénéficiant l’ensemble du territoire.

23Cette analyse des clusters d’acteurs autour du produit Festival de musique introduit de nouveaux critères qui peuvent potentiellement contribuer à leur fonction structurante : la capacité à organiser des relations, la capacité d’attraction, celle de promouvoir la participation de la population locale, la proximité et la capacité à décentraliser, favorisant ainsi une meilleure distribution des services et des opportunités en dehors des pôles les plus densément peuplés.

4. Résilience du modèle touristique

24La résilience dans les études territoriales est souvent utilisée pour comprendre deux types de processus : les réponses territoriales à des désastres occasionnels et la capacité des territoires de faire face au déclin pour avancer vers une nouvelle phase de développement qui combinera des caractéristiques héritées et nouvelles (Chien-Yu et Chin-Cheng, 2016). Lew (2012, 2013) identifie trois mécanismes possibles pour réduire les effets des problèmes et les transformer en opportunités pour le développement futur d’une destination. Parmi ces mécanismes, nous mettons à l’épreuve l’approche transformationnelle (Davoudi et al., 2012 ; Martin, 2012), basée sur les cycles adaptatifs écologiques comme un modèle de résilience régionale (Pendall et al., 2010) (Figure 4).

Figure 4. Résilience et cycle adaptatif du système touristique

Élaboration propre à partir de Holling et Gunderson (2002).

25La résilience est dynamique dans le temps et elle se développe et se contracte à travers les quatre phases successives du cycle : la croissance (γ) caractérisée par de nouvelles opportunités ; la conservation (К), celle qu’on associe à la maturité des destinations ; la libération (Ω), conceptualisée dans le cycle de vie du produit classique (Butler, 1980 ; Suchet, 2015) comme celle où la destination disparaît ou se transforme pour initier un nouveau cycle, et la réorganisation (α), une phase avec un haut degré d’innovation et qui mène une nouvelle fois à un scénario de croissance ou de développement dans la nouvelle logique. La résilience touristique est liée à la capacité d’une destination d’équilibrer et d’absorber les impacts et les crises à partir des capacités développées au préalable : les ressources préexistantes, la manière de s’organiser et ses structures. Plus de résilience implique moins de changements drastiques (Simmie et Martin, 2010). Une destination résiliente peut anticiper les crises et travailler sur les aspects qui lui permettront de se réinventer (Sancho et Gutiérrez, 2010).

26Le tourisme culturel est souvent présenté comme une alternative durable à des types de tourisme plus nuisibles, comme le tourisme de masse, car il implique les communautés locales et contribue à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine et des traditions (Cànoves, et al., 2017). Il a été défini sous différentes perspectives (Du Cros et McKercher, 2014 ; Smith, 2015 ; Chhabra et Kim, 2018). Dans ce travail, le tourisme culturel comprend toutes les activités et les visites connectées à l’expression culturelle d’un territoire (Cànoves et al., 2014, 2017). Il est ici analysé comme un outil de développement local. Les résultats issus des entretiens montrent que les festivals de musique sont perçus par les acteurs territoriaux comme des produits de qualité dans l’offre de tourisme culturel de la destination. Ce sont des ressources culturelles ancrées dans l’histoire locale, qui peuvent jouer un rôle dans la transformation du modèle touristique prédominant actuel, basé sur le soleil et la plage, vers un modèle plus diversifié et adapté à l’ensemble des caractéristiques de la région. Néanmoins, nos résultats ne permettent pas de confirmer cette hypothèse sur les communes directement situées sur la côte. Dans ces communes, les festivals fonctionnent comme un complément du tourisme de plage. Ils semblent, donc, contribuer plutôt à la diversification spatiale du tourisme (les attractions ne sont pas toutes concentrés sur la côte) qu’au remplacement du modèle et à la réduction de la massification.

27L’analyse réalisée a recueilli des données annuelles pour la période 2010-2020, interprétées à travers 76 indicateurs qui permettent de comprendre globalement le territoire, la destination et le produit. Le Tableau 3 montre une partie des résultats de cette démarche, à savoir l’évolution de différents indicateurs quantitatifs analysés à l’échelle de la destination pour deux périodes : la dernière crise financière (2010-2014) et les années suivant cette crise (2014-2018). Le tableau n’est qu’un résumé en termes d’évolution et vise à montrer la diversité d’informations considérées.

Tableau 3. Évolution des indicateurs quantitatifs relatifs à la destination (2010-2018)

Élaboration propre.

28En général, la situation économique de la région analysée était encore en 2018 en voie de récupération par rapport aux effets de la crise précédente. La population est âgée (TV) et la capacité d’achat (IPC, RBDM) reste réduite après cette crise. L’économie et l’emploi sont très dépendants du secteur tertiaire (ISI, ISC, ISS), notamment du tourisme (PR, PTE, PTP). Le développement de stratégies visant à diversifier l’économie, à renforcer les connexions entre secteurs économiques (par exemple, la promotion de produits du terroir à travers le tourisme) et entre acteurs (meilleure volonté de développer la destination et non uniquement chaque entreprise ou secteur indépendamment) constituent des indicateurs d’un meilleur degré de résilience, et cette conclusion a été identifiée globalement à tous les niveaux d’analyse : le territoire, la destination et le produit Festival de musique. La récupération de tous les indicateurs du territoire après la période de crise (2010-2014) permet de constater une progression de la phase de libération (Ω) (2010-2014) vers la phase de croissance (γ) (2014-2018). La volonté de cette étude n’est pas de comprendre l’évolution d’un festival en particulier. Les festivals sont ici analysés comme un produit qui est présent dans ce territoire depuis des décennies, qui a historiquement fonctionné comme un vecteur de l’image et de l’identité de l’Empordà et de la Costa Brava et qui a été utilisé comme un outil de développement local, notamment par les acteurs publics (région, mairies). Avec une meilleure organisation du secteur à travers les stratégies consolidées au sein du cluster et le plus haut degré de diversification d’acteurs impliqués dans ce produit au long de la décennie, ce produit progresse dans le cycle adaptatif de la phase de libération (Ω) (2010-2014) jusqu’à la phase de réorganisation (α) (2019). Cette progression est minimale en ce qui concerne l’échelle de la destination : la Costa Brava reste à la fin de la phase de conservation (К) (Holling et Gunderson, 2002). Même si les acteurs interviewés sont conscients de la chronicisation du modèle touristique prédominant et expriment qu’il est nécessaire de mettre en œuvre des stratégies basées sur la qualité et la durabilité pour se réinventer, ces transformations nécessitent du temps car le modèle existant basé sur le tourisme de masse est bien installé. De l’analyse sur la résilience, nous identifions de nouveaux critères relatifs à la fonction structurante d’un produit : son adéquation au contexte, sa capacité à augmenter la connectivité et les opportunités et sa complémentarité avec d’autres produits et activités afin de garantir qu’il n’y a pas de dépendance excessive de ce produit.

Conclusion

29Cet article propose une réflexion autour du potentiel des festivals de musique comme des outils de développement local. Le cas de la Costa Brava a été analysé afin de comprendre si les festivals de musique, en tant que produits touristiques et culturels, ont un effet structurant sur les territoires où ils sont organisés. À partir d’une étude basée sur une méthodologie mixte, nous avons pu modéliser les critères considérés pour définir ces produits comme des produits structurants qui articulent les territoires en dehors des grandes agglomérations (Figure 5).

Figure 5. Bases et caractéristiques d’un produit structurant

Élaboration propre.

30Nos résultats indiquent que la perspective de proximité, l’ancrage d’un produit sur son territoire, l’adéquation au contexte dans lequel il se développe et le rôle des acteurs endogènes, aussi bien dans l’organisation que dans la planification, ou encore dans la consommation de celui-ci, conditionnent les capacités structurantes d’un produit et ses effets sur le degré de résilience d’un territoire ou d’une destination. Nous avons constaté que, sur le terrain de la Costa Brava, ces effets structurants sont plus évidents sur les zones situées dans l’arrière-pays que sur la côte, où les festivals restent un complément pour le tourisme de plage. Cette étude se limite à un contexte territorial et touristique particulier. De futures recherches pourraient s’intéresser à ce qu’un produit structurant signifie dans d’autres contextes, plus urbains, ou en montagne. Les indicateurs utilisés sont peut-être pertinents pour le contexte catalan, mais d’autres contextes peuvent nécessiter de repenser les éléments à mesurer afin de réaliser une analyse holistique d’un territoire, d’une destination et d’un produit ailleurs. De même, les festivals de musique, par leur histoire, constituent des exemples pertinents pour l’étude de la Costa Brava, mais d’autres zones auront sûrement d’autres produits plus adaptés pour cette réflexion sur la nécessité de planifier un tourisme adéquat au sein de territoires plus diversifiés.