Sommaire
1Les 25 et 26 janvier 2019 à l’Ecole Normale Supérieure, cette manifestation1 vint clore un séminaire conjoint entre l’ENS et l’EHESS portant sur les villes en décroissance, organisé par E. Cunningham-Sabot, S. Dubeaux, B. Fernandez et M-V. Ozouf-Marignier. Il n’y avait encore jamais eu en France de rétrospective sur l’ensemble des vingt dernières années sur cette thématique de recherche, pour laquelle deux contrats européens (3SRECIPE et RE-CITY) sont en cours, preuves que la thématique est loin d’être épuisée à l’échelle internationale. A l’échelle française, ce colloque fut construit en lien avec les questions d’actualité de politiques nationales publiques, notamment à l’heure du programme « action cœur de ville », du « pacte national de revitalisation des centres-bourgs » pilotés par l’Etat, laissant aux collectivités locales une grande marge de manœuvre.
2L’objectif était aussi bien de revenir sur les évolutions et avancées de la recherche européenne et française mais également de faire un point sur les modalités d’interventions opérationnelles, passées et en cours, avec une table-ronde de professionnels invités en clôture de journée. Une centaine d’acteurs locaux et nationaux, chercheurs et étudiants intéressés par les politiques publiques à l’œuvre sur ces territoires, étaient présents et eurent ainsi l’occasion de faire le point sur les recherches en cours, puis de mieux comprendre et analyser ces territoires particuliers.
Interventions d’Annegret Haase (Helmholtz-Zentrum für Umweltforschung - UFZ) et Manuel Wolff (Humboldt-Universität Berlin, UFZ) ; animées E. Cunningham Sabot
3Si les exemples les plus connus de villes en décroissance sont généralement pris aux Etats-Unis, la constitution d’un champ de recherche spécifique sur la décroissance urbaine doit plus largement encore aux travaux de chercheurs allemands sur des territoires allemands. C’est donc assez naturellement que les journées d’étude se sont ouvertes sur un cadrage proposé par deux figures de la recherche allemande et européenne. Annegret Haase, sociologue urbaine, est une des chercheuses qui a le plus avancé la recherche sur les villes en décroissance, en s’intéressant autant à la définition et à la mesure du phénomène qu’à ses variations contextuelles et ses interactions avec les dynamiques sociales. Avec Manuel Wolff, chercheur en géographie à l’Humboldt Universität de Berlin, ils travaillent ensemble à l’Helmholtz Centre for Environmental Research (UFZ) situé à Leipzig. La ville de Leipzig constitue l’espace urbain à partir duquel nos deux chercheurs réfléchissent ; ils y ont tous deux vécu au quotidien la décroissance et ses évolutions. Ils ont proposé un état des lieux de la recherche sur la décroissance urbaine tout en présentant plus particulièrement les spécificités allemandes.
4Leur intervention a ainsi rendu compte de l’émergence d’un champ de recherche particulier sur la décroissance urbaine dans les dernières décennies, qui se caractérise par une approche interdisciplinaire et internationale. En témoigne le programme européen de recherche « International Training Network - RE-City » qui associe des chercheurs de différentes universités européennes et américaines, ainsi que treize doctorants, pour faire avancer dans une démarche commune la recherche sur la décroissance urbaine. Cette dernière reste un phénomène multiforme qui suppose les apports de différentes disciplines, afin d’en saisir les causes économiques, politiques, ou les impacts sociaux et immobiliers. Les deux chercheurs ont mis en évidence une difficulté à faire tenir ensemble toutes les visions de la décroissance, étant donné l’existence d’une mosaïque de recherches et de discours nationaux distincts, chaque nationalité interprétant différemment le phénomène en fonction de son contexte propre. La recherche sur la décroissance se caractérise ainsi également par un certain éclatement, des approches, des discours, mais encore des réalités : il n’y a pas un modèle de ville en décroissance, il faut davantage envisager la variété des contextes, des causes et des conséquences sur la forme urbaine (vacance ou densification) et les populations. Les deux chercheurs ont insisté sur l’enjeu du discours, ou plutôt des discours tenus, face à la décroissance urbaine. La ville en décroissance se construit dans l’interaction du discours des acteurs privés et publics de la ville, des chercheurs, de la société civile et des médias. La création d’une conscience collective sur les villes en décroissance, en particulier dans certains pays où le phénomène reste ignoré de l’attention publique, est impérative, et le discours tenu influence fortement les actions prises en conséquence. Ainsi, à une vision problématique de la décroissance urbaine répondent des politiques publiques qui essaient d’inverser la tendance. En revanche, la vision qui envisage les villes en décroissance comme des laboratoires urbains en puissance va de pair avec des politiques d’expérimentation d’alternatives aux modèles urbains classiques.
5Le second grand apport de l’intervention d’A. Haase et de M. Wolff était une présentation du cas allemand, avec un zoom thématique sur les logements vacants, synonymes de la décroissance en Allemagne et objet fondamental de leur attention, et un zoom spatial sur la ville de Leipzig. Ils ont retracé l’émergence « du discours et de la politique » en insistant sur le lien indéfectible entre les deux. Le débat sur les villes en décroissance en Allemagne a émergé au cours de la guerre froide, mais c’est surtout dans la décennie 1990 qui a suivi l’effondrement de la RDA et la réunification qu’il s’est imposé sur la scène publique. Les « nouveaux Länder » de l’Est ont subi un rapide déclin démographique, dû à des migrations importantes vers l’Ouest et une diminution de la natalité, et une augmentation spectaculaire du nombre de logements vacants. Le débat a connu son apogée entre 1999 et 2002, période à laquelle on comptait un million de logements vacants dans l’ancienne Allemagne de l’Est. Face à cette constitution d’une préoccupation nationale, les acteurs publics ont mis en place de larges programmes nationaux de destruction et de rénovation urbaine, dont le Stadtumbau Ost 2002 - 2010. Récemment, la question des migrations internationales a redonné une nouvelle dimension au débat des villes en décroissance, avec la promotion de l’accueil dans ces villes susceptibles d’offrir des logements disponibles aux migrants, et par eux d’être redynamisées. Actuellement, la décroissance est par ailleurs moins visible, car les grandes villes connaissent une nouvelle croissance. Leipzig est l’exemple par excellence de cette inversion de tendance : après avoir perdu 20 % de sa population dans les années 1990, cette ville de contrastes figure aujourd’hui parmi les villes allemandes qui croissent le plus rapidement. Les cartes réalisées par M. Wolff mettent également en évidence un recul de la décroissance. Tandis que l’attention publique s’est détournée de la thématique de la décroissance, la recherche allemande déplace actuellement son intérêt vers les petites villes et les régions rurales, fortement marquées par le phénomène mais suscitant peu l’attention collective.
6L’intervention des chercheurs allemands soulève un enjeu décisif qui touche à la traduction et à la terminologie. La variété des termes (urban blight, compaction, unneeded cities, legacy cities, cities in transition, entre autres) pour désigner la décroissance, mais encore les débats sur la traduction de l’idée allemande de Schrumpfung, posent problème précisément parce qu’ils véhiculent des représentations différentes qui influencent la réponse donnée. Les deux chercheurs ont appelé à développer d’une part les cadres théoriques (en particulier au niveau méso, entre le local et le global, et sur l’interaction de ces échelles), d’autre part les comparaisons, afin de renforcer l’apprentissage d’un pays à l’autre. L’enjeu de la terminologie et de la traduction est au cœur de ces défis qui se posent à la future recherche sur la décroissance, car elles sont ce qui peut faire émerger un discours collectif sur la décroissance au-delà des approches compartimentées de phénomènes locaux.
Interventions de Manuel Wolff (HU Berlin, UFZ) et des chercheurs du laboratoire parisien Géographie-cités Sophie Baudet-Michel, Anne Bretagnolle, Sylvie Fol et Paul Gourdon ; animées par B. Fernandez
7L’objet était les difficultés rencontrées pour mesurer et analyser rigoureusement le phénomène de décroissance des villes. Différentes études et démarches ont été présentées par les intervenants qui souhaitaient montrer que la complexité de la définition impliquait un certain nombre de choix et de partis-pris lors des étapes essentielles de mesure de la décroissance urbaine. Les enjeux de l’analyse de la décroissance urbaine ont également été évoqués dans la perspective de politiques publiques visant à lutter contre ce phénomène.
8La première partie de l’intervention présentée par Manuel Wolff rappelait les différentes questions que peuvent se poser les chercheurs avant de commencer leurs analyses sur les villes en décroissance. L’enjeu des critères à prendre en compte à la fois démographiques et économiques, ainsi que l’interrogation autour des échelles spatiales et temporelles furent notamment mis en lumière. En effet, les questionnements concernant le périmètre et la durée de l’analyse sont nécessaires avant de commencer les mesures. Manuel Wolff a également souligné la difficulté de se positionner vis-à-vis des villes qui perdent des habitants sur un temps long mais qui, pendant cette période connaissent une brève croissance démographique.
9L’absence d’homogénéité des mesures officielles dans le temps comme dans l’espace, a été reprise par Anne Bretagnolle dans sa présentation des travaux menés de concert avec Paul Gourdon, Marianne Guérois et Antonin Pavard dans le cadre du projet TRADEVE (TRAjectoires DÉmographiques des Villes Européennes). L’objet d’étude recouvre les petites villes européennes (agglomérations comprises entre 10 000 habitants et 50 000 habitants). La mesure de la décroissance de ce type de ville se fonde sur les méthodes de l’optimal matching et de la CAH, complémentaires pour appréhender l’objet dans sa complexité. Cela permet de mettre en évidence que plus de 20 % des petites villes européennes sont en décroissance. Pour compléter cette approche descriptive, les chercheurs ont étudié le rôle du contexte régional (selon la typologie NUTs) et ont montré que les petites villes en décroissance étaient plus nombreuses dans les régions urbaines mais les cas de décroissance proportionnellement plus fréquents dans les régions rurales. En revanche, dans les régions ayant une trame urbaine équilibrée, les villes en décroissance sont moins nombreuses.
10Une deuxième partie de la session était consacrée à la rétraction et l’érosion des bouquets de commerces et de services dans les villes petites et moyennes. Cette présentation résumait le travail collectif réalisé par S. Fol, S. Baudet-Michel, S. Buhnik, J. Vallée, M. Delage, H. Commenges et P. Madry pour la Caisse des Dépôts et Consignations. Par érosion, les auteurs entendent une réduction de la variété des services offerts parmi un bouquet de commerces prédéfinis tandis que le terme de rétraction renvoie à un effet rétroactif sur la décroissance.
11La perte de dynamisme démographique est souvent l’une des premières hypothèses mobilisées pour expliquer la rétraction des commerces. Les intervenantes ont cependant souligné l’importance d’une double causalité : l’érosion des commerces et des services peut aussi être l’une des causes de la décroissance démographique d’une ville. La rétraction des services publics, par exemple (maternités, hôpitaux, tribunaux…) entraîne une baisse du nombre d’emplois disponibles pour les habitants et incite au déménagement de ceux qui ont besoin d’accéder rapidement à ces services. Les villes petites et moyennes souffrent ainsi d’un départ sélectif : celui des plus riches qui déménagent vers des villes « concurrentes ». Dans une perspective de comparaison internationale, Sylvie Fol a fait un tour d’horizon de la littérature afin de mettre en évidence les différentes perceptions et explications mobilisées selon les contextes nationaux.
12Sophie Baudet-Michel s’est ensuite attardée sur la question de la rétraction des commerces, souvent très visible lorsqu’elle prend la forme d’une dévitalisation du centre-ville. Une attention particulière a été portée à l’explication du phénomène qui touche aujourd’hui en moyenne 12 % des villes enquêtées. La périurbanisation, l’utilisation de l’automobile et l’insuffisance des régulations vis-à-vis des grandes surfaces semblent sources de ces difficultés. Il ne faut cependant pas oublier que la vacance commerciale, très visible en centre-ville, est aussi présente dans les périphéries. La méthode consiste en l’analyse, à l’échelle communale, de l’érosion de la diversité des commerces (et non pas de leur quantité) par l’étude de deux bouquets de commerces (dits “de base” et “supérieur”) en les croisant avec des variables explicatives ; dynamique et taille du marché, mobilité et activité des populations, degré de centralité dans l’aire urbaine et présence d’une offre concurrente. Ces facteurs testés à l’aide des données de l’inventaire communal (1979, 1988, 1998) et de la base permanente des équipements (à partir de 2009) expliquent entre 11 et 27 % de l’érosion des commerces. En ce qui concerne le bouquet de commerces “supérieur”, il semble que le dynamisme démographique joue peu, tandis que l’attraction d’actifs venus d’autres villes ainsi que la présence d’un supermarché limitent l’érosion. Cet ensemble de résultats invite à repenser les politiques publiques de lutte contre la décroissance, menées aujourd’hui.
Interventions de Yoan Miot (EUP, LATTS), Anne Albert-Cromarias (ESC Clermont-Ferrand) et Max Rousseau (IAU de Rabat, CIRAD, Art-dev) ; animées par M-V Ozouf-Marignier
13La décroissance urbaine, phénomène multiforme structurel et systémique, est appréhendée différemment par les acteurs internes ou externes du territoire atteint, qu’ils soient citoyens, responsables politiques ou encore acteurs privés. Souvent perçue comme représentant un déclin inéluctable et en opposition à la notion de croissance, elle est parfois non-reconnue et déniée par ces acteurs. Lorsqu’elle l’est, le mythe de la croissance urbaine et économique conduit ces derniers à (re)faire de ce territoire un espace attractif (Rousseau, 2010). Dans cette logique, cette session interdisciplinaire, animée par Yoan Miot, Anne Albert-Cromarias et Max Rousseau, avait pour but de mettre en exergue et de questionner les alternatives possibles à la décroissance urbaine à travers leurs travaux et terrains de recherche issus de disciplines différentes, à savoir l’urbanisme et l’aménagement, les sciences de gestion, et les sciences politiques. Après les deux premières sessions portant sur les 20 ans de recherche et sur la mesure de la décroissance urbaine, il s’agissait donc d’objectiver la question suivante : comment répondre à la décroissance urbaine ?
14Les différentes présentations ont permis de mettre en avant la pluralité des réponses face à la décroissance urbaine. S’inscrivant dans un projet de recherche ANR Altergrowth (Politiques urbaines alternatives pour les villes en déclin), Max Rousseau et Yoan Miot se sont intéressés à l’émergence des politiques urbaines dites alternatives dans des espaces urbains postindustriels en décroissance, d’une part aux États-Unis avec les villes de Détroit et de Cleveland, et d’autre part avec la ville de Vitry-le-François en France. Dans les deux cas, les réponses à la décroissance urbaine sont différentes selon les contextes politiques nationaux et locaux. Dans le cas étatsunien, la ville de Détroit a entrepris des politiques de rétrécissement planifié de l’espace urbain en détruisant les logements suite aux crises immobilières. À l’inverse, la banque foncière de la ville de Cleveland a mis en place ces politiques en détruisant ou en rénovant les logements vacants afin de les remettre sur le marché (logiques entrepreneuriales) ou bien en les enlevant du marché de l’immobilier pour en faire des espaces verts ou agricoles (logiques alternatives). Dans le cas français, la divergence des acteurs sur la vision du territoire a conduit à plusieurs réponses au cours des quinze dernières années. La première a été de mettre en place des opérations de démolition-reconstruction par le bailleur social de manière conjointe avec des politiques d’amélioration du cadre urbain, grâce à des financements nationaux, afin d’attirer une nouvelle population. Par la suite, la crise du bailleur l’a conduit, lui et les acteurs publics locaux, à s’aligner sur une politique urbaine alternative portée sur la transition énergétique avec un rétrécissement urbain planifié mais silencieux et des contraintes budgétaires nationales importantes. Ces deux présentations montrent les réponses possibles à la décroissance urbaine, les contraintes et les limites du cadre d’action des acteurs publics et privés locaux.
15Les recherches de Anne Albert-Cromarias sont venues, par ailleurs, soutenir l’idée qu’un territoire en décroissance peut être vide d’investisseurs privés, comme il peut aussi faire l’objet d’investissements de leur part. En effet, le choix des entreprises de s’installer dans de tels endroits dépend de plusieurs facteurs synthétisés dans le business model canvas. Les entreprises s’installent, entre autres, là où c’est le plus profitable en termes de concurrences, de clients, de matières premières, de mains d’œuvre et d’intérêts fiscaux. Ainsi, les territoires en décroissance peuvent être vus comme des espaces en marge où il n’est pas profitable de s’installer. Néanmoins, Anne Albert-Cromarias a souligné aussi l’existence de certains acteurs privés misant sur ces espaces en décroissance pour leur entreprise. L’exemple cité est celui du château Saint-Jean à Montluçon repris par un entrepreneur privé pour des raisons affectives ainsi que pour profiter de l’opportunité stratégique de l’absence d’autres acteurs dans cette région sur ce même type de marché. Cette présentation a permis de faire émerger et de discuter les recherches récentes sur les raisons d’installations d’entreprises dans des espaces en décroissance. Elles sont effectivement importantes à comprendre afin d’établir de possibles alternatives à la décroissance urbaine. La discussion a mis en lumière l’enjeu d’établir une méthodologie d’analyse précise de ces raisons d’installations afin de comprendre toute la complexité du phénomène.
16La session a aussi mis en exergue les limites sociales des réponses à la décroissance urbaine, en termes d’innovations, de formes inclusives ou de progrès sociaux. Max Rousseau a souligné l’ambiguïté des politiques urbaines alternatives dans les villes en décroissance avec l’exemple de Cleveland. En effet, la banque foncière achetait des bâtiments vacants pour les détruire ou les rénover. Le problème soulevé vient du processus de sélection des bâtiments rénovés ou détruits. Ce dernier suit la distribution ethnique de la ville. Les bâtiments détruits se trouvent être principalement dans les quartiers noirs, à l’inverse des bâtiments rénovés se situant dans les quartiers blancs. Ce point a suscité plusieurs discussions, dont une mise en parallèle avec la politique discriminatoire et raciste de redlining des années 1950 aux États-Unis avec l’exclusion des quartiers noirs pour la rénovation et l’achat d’un nouveau logement. La pratique de zonage est ici similaire mais la logique n’est pas la même. Par ailleurs, les travaux de Yoan Miot montrent les problèmes d’échelles des politiques. Les contextes politiques supra-locaux contraignent le cadre d’action à l’échelle locale conduisant à une réponse à la décroissance urbaine fondée sur le redéveloppement territorial. Ainsi, niée par les acteurs publics locaux et nationaux en France, la décroissance urbaine doit trouver sa solution par une croissance économique. La discussion a de nouveau souligné ces contraintes tout en montrant qu’elles sont spécifiques au cas français (contre-exemple de l’Allemagne).
17Cette session sur les alternatives à la décroissance urbaine a ainsi permis de souligner et d’avancer sur la complexité du processus ainsi que sur la diversité et la complexité des réponses qui peuvent être apportées. La décroissance urbaine et ses alternatives dépendent de nombreux facteurs, en particulier des contextes d’actions locaux et nationaux. Le mythe du retour de la croissance est encore bien présent, même lorsqu’une forme de prise de conscience d’une décroissance urbaine s’amorce. Néanmoins, dans certains cas les solutions à la décroissance urbaine restent radicales avec la démolition des bâtiments. Plusieurs pistes de recherches futures ont été soulevées comme la place des habitants dans les alternatives à la décroissance, ou les formes et comportements standardisés de ces alternatives.
Interventions d’Annabelle Boutet (CGET), Sandrine Patérour (EPF de Bretagne) et Adam Prominski (CR des Hauts-de France, Université de Lille), animées par S. Dubeaux
18Dans sa présentation initiale, chacun des participants s’est efforcé d’identifier et d’analyser les dynamiques de décroissance telles qu’ils ont eu l’occasion de les observer depuis leurs structures et leurs territoires d’exercice. Cette étape a permis de faire état d’expériences diverses de la décroissance urbaine, dans des contextes territoriaux différents. Adam Prominski a évoqué la brutale décroissance du Bassin minier, liée à une désindustrialisation massive et ayant entraîné d’importantes difficultés sociales, dont il est difficile de sortir aujourd’hui, malgré une pluralité de projets s’appuyant sur diverses échelles d’intervention et qui contribuent notamment à remettre en valeur le patrimoine minier. Sandrine Patérour, à travers le travail de l’Etablissement Public Foncier, a évoqué la décroissance urbaine sous l’angle de territoires bretons, plutôt ruraux. L’EPF aide ces petites communes face aux difficultés qu’elles rencontrent dans leur dynamique de décroissance et de perte d’attractivité - dévitalisation de leur centre-bourg, dents creuses, friches – avec d’importants problèmes urbains et fonciers. Annabelle Boutet a proposé un regard plus général du Commissariat Général d’Egalité des Territoires, en abordant la décroissance urbaine au prisme des travaux menés par ce dernier sur les villes moyennes - travaux qui ont permis de mettre en lumière les fragilités considérables qu’une partie d’entre elles connaissent. Les études du CGET montrent un enjeu actuel et aigu de cohésion des territoires, face aux dynamiques divergentes qui affectent ces derniers.
19Une deuxième séquence a permis d’interroger les participants sur la manière dont le phénomène de décroissance urbaine est appréhendé dans leurs structures. Si, en interne, à la Direction des stratégies territoriales, ou en tant que chargée des études au CGET, parler de décroissance urbaine ne pose aucun problème, le terme est beaucoup plus difficile à assumer à l’échelle locale, que ce soit par les élus, ou par un opérateur comme l’EPF. Au sein de ce dernier, on parle de dévitalisation plus que de décroissance et un ancien directeur de l’EPF préférait même l’expression de « désamour du centre-bourg », pour évoquer les problèmes rencontrés par un certain nombre de communes bretonnes. Le rôle de l’EPF est par ailleurs davantage de parler des « symptômes », donc des conséquences de la décroissance urbaine, que d’insister sur ses causes profondes. Adam Prominski quant à lui a soulevé l’impossibilité pour un élu local de parler de décroissance urbaine, à la fois parce qu’il s’agit d’un discours très abstrait face aux difficultés concrètes que subit la population, et parce qu’il s’agit d’un discours peu vendeur, alors que les maires souhaitent se placer malgré tout dans un paradigme d’attractivité. Par ailleurs, Adam Prominski et Sandrine Patérour ont souligné les intérêts que certains peuvent avoir, élus comme habitants, à ne pas agir contre la décroissance urbaine, dans la mesure où les solutions retenues reposent souvent sur la densification, sur la création de nouveaux logements..., pouvant heurter un certain confort acquis. Cependant, l’enjeu, en ne mobilisant pas le terme de décroissance urbaine, reste surtout de ne pas promouvoir un regard négatif sur le territoire auprès de potentiels investisseurs ou futurs habitants.
20La question de l’échelle d’intervention a suscité des échanges intéressants entre les participants. Annabelle Boutet a souligné l’ambition de certaines politiques publiques territoriales (comme Action Cœur de Ville) d’être décentralisées dans leur fonctionnement ; Adam Prominski et Sandrine Patérour se sont interrogés sur la pertinence de la commune comme échelle d’intervention. Les trois acteurs ont souligné que dans les mesures d’intervention ciblant le phénomène de décroissance urbaine, c’était l’échelle intercommunale qui semblait en général pertinente, avec des pilotages également importants au niveau régional.
21Ce croisement des regards a permis de mettre en évidence la pluralité des approches de la décroissance, entre échelles locales et échelle nationale de l’Etat central, avec une difficulté importante au niveau local, et notamment pour les élus, à s’approprier le terme et à y adapter les politiques menées.
1 Ce colloque a bénéficié du soutien financier du programme de recherche européen Smart Shrinkage Solutions - Fostering Resilient Cities in Inner Peripheries of Europe, 3S RECIPE (programme ENSUF 2016 ERA-NET COFUND). Ce colloque fut réalisé dans le cadre de l’IDEX ANR-10-IDEX-0001-02 PSL.
Marguerite Brault, Benoît Frel-Cazenave, Louise Galamez, Pauline Gali, Emma Minisini, Thomas Quillerier et Emmanuèle Cunningham Sabot, « Compte-rendu du colloque « 20 ans de recherche, 20 ans d’action sur la décroissance urbaine : rétrospectives et perspectives » » dans © Revue Marketing Territorial, 6 / hiver 2021
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=635.
Les étudiants issus de plusieurs masters de l’ENS Paris ont rédigé ce compte-rendu : Marguerite Brault, Benoît Frel-Cazenave, Louise Galamez, Pauline Gali, Emma Minisini, Thomas Quillerier. La Revue Marketing Territorial propose des textes rédigés par au moins un doctorant ou un docteur, ce qui a nécessité la supervision de la professeure E. Cunningham Sabot.