6 / hiver 2021
la médiatisation des villes en décroissance

La médiatisation des villes en décroissance

Charles-Edouard Houllier-Guibert et Emmanuèle Cunningham Sabot


Texte intégral

1Ce septième opus hiver 2021 constitue aussi le deuxième numéro thématique de cette jeune Revue. Il s’intéresse aux villes et territoires en décroissance, et plus précisément aux discours tenus, à l’image, aux perceptions, comme aux rôles et conséquences implicites ou explicites des termes utilisés et choisis. L’ensemble de ces derniers points, le marketing territorial le connaît bien avec les expressions anglophones Place branding et Place marketing.

2Cet objet de recherche que sont les territoires en décroissance connaît une actualité médiatique certaine et, plus récemment, une mise à l’agenda politique à l’échelle nationale. En effet, dans le cas français, les chercheurs furent précurseurs, proposant cet objet d’étude à des appels d’offre ANR dits ouverts à toutes les thématiques. Puis, certains maires ou journalistes se sont exprimés, posant une réflexion locale, et ce n’est que tout récemment que furent mises en place des politiques d’envergure nationale, ouvertement centrées sur ces villes et territoires particuliers. L’on en recense deux :

  • A l’heure où sort ce numéro thématique, la liste des communes bénéficiaires du tout dernier programme reste encore incomplète. Créé à l’automne 2020, le programme « Petites Villes de Demain » se poursuivra jusqu’en 2026. Il envisage d’accompagner les petites villes « montrant des signes de vulnérabilités », tout en confortant leur rôle de centralité dans le maillage territorial. L’objectif principal est d’améliorer les conditions de vie des habitants des pôles de moins de 20 000 habitants, exerçant des fonctions de centralité. L’Etat français investit trois milliards d’euros pour soutenir 1000 communes et intercommunalités à l’horizon des six prochaines années.

  • Le précédent programme, « Action cœur de ville », datant de l’hiver 2017-2018, inaugure cette mise à l’agenda en France d’une politique nationale, mais reste focalisé sur les centres-villes en faisant porter les mesures sur les commerces et la vacance. Il concerne 222 villes réparties dans toutes les régions de France et son quinquennat doté d’un levier de financement de 5 milliards dure encore.

3Ces deux programmes étatiques ont contribué et vont continuer de fortement médiatiser ce type de villes. Les territoires en décroissance sont en effet affectés à la fois dans leur structure matérielle, que l’on pourrait dénommer hardware ; mais aussi immatérielle, ou software pour prendre le terme complémentaire. Le hardware urbain étant tout ce qui concerne la structure économique, spatiale, le visible, le tangible, les infrastructures, les logements, les vacances, les friches... ; le software urbain concerne tout ce qui relève de la fabrique socio-culturelle de la ville, de ses habitants, leurs élus, les acteurs, de leur capital social, de leurs relations, leurs modes d’interaction et de fonctionnement, les discours tenus, les perceptions...

4Comme le veut la ligne éditoriale de la revue, ce numéro thématique est composé de quatre articles scientifiques, trois synthèses courtes et un article de la rubrique « Image et territoire », soit huit textes par numéro. L’accent ici est mis sur ce qui est à ce jour un angle mort des recherches menées sur les territoires en décroissance : une première analyse de cette partie immatérielle, de la médiatisation, de l’usage des termes et des images.

5En effet, le premier article montre que l’usage des termes est important en sciences sociales et n’est pas figé dans le temps, ni dans l’espace. Nommer et expliquer les villes en décroissance, comme le processus de décroissance urbaine, sont avant tout des questions de mots ; et force est de constater que ces derniers ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Le choix des termes, d’une traduction plutôt qu’une autre, s’inscrit aussi dans des contextes nationaux, politiques et institutionnels, et desservent donc des enjeux de politiques d’aménagement local et national. Les autrices ont saisi les dénominations comme des constructions sociales qui induisent des assignations. Il s’agit de mettre à nu les effets de pouvoirs d’assignations que créent certaines dénominations (ou traductions), qu’elles soient symboliques, implicites ou explicites. S’interroger sur la dénomination permet de ne pas tomber dans le mythe d’une égalité des mots ou d’une traduction photocopie, et par là-même de prendre conscience de cette partie immatérielle construite voire produite ; puis de s’interroger sur les conséquences de cette production de sens, certes immatérielle, sur les politiques mises en œuvre, parfois de manière très matérielle, telles les démolitions.

6Les trois autres articles longs proposent des études de cas à différents niveaux : un cas unique focalisé sur le patrimoine urbain comme ressource d’attrait ; puis, trois villes mises en scène sur le web et médiatisées dans la presse et la télévision nationales, comparées à la fois entre elles et entre vecteurs de diffusion (image contrôlée et image subie des médias) ; enfin, une analyse multi-espaces à l’échelle micro mais aussi régionale des territoires en souffrance économique du Languedoc-Roussillon.

7Le rôle du patrimoine urbain est questionné dans le texte d’Alix Sportich du Réau de La Gaignonnière, principalement dans l’espace central d’une commune de 10 000 habitants, en décroissance et qui essaie de relancer son attrait. La schématisation de cet article est particulièrement soignée, montrant les cycles qui sont une clé d’entrée pour comprendre la décroissance urbaine, ce que Carole Cuénot et Alexandre Lebrun exposent aussi grâce à des graphiques de trajectoires de croissance urbaine dans le Languedoc-Roussillon. Ces géographes étudient les effets de la décroissance sur le réseau des villes moyennes puis traitent du cas Alésien. Les terrains de ces deux articles permettent aux territoires en décroissance du Sud de la France d’être mieux observés. En effet, ils restent proportionnellement peu étudiés car la ville en décroissance est, dans l’imaginaire comme dans la réalité, une vieille ville industrielle, avec donc une forte probabilité de localisation dans le Nord ou l’Est de la France. Il est intéressant d’accueillir dans ce numéro des études fines montrant les manières de sortir de la décroissance en questionnant son impact sur le patrimoine des centres des petites villes en France, la dépendance au tourisme, ou en réalisant une promotion du territoire des plus classiques.

8La médiatisation des territoires en décroissance est fortement présente dans ce numéro thématique et plus encore, de manière centrale, dans deux textes : trois villes françaises de taille différente, Nevers, Guéret et Saint-Etienne sont analysées par Norma Schemschat et Victoria Pinoncely tandis qu’un quatrième terrain est étudié par Marc-Antoine Douchet et Achille Warnant, d’une taille encore plus petite (Premery dans la Nièvre et son histoire industrielle). L’idée de décroissance concerne toutes les tailles de villes, en tant qu’image qui devient stigmatisante et est alors reléguée par les médias sous l’angle journalistique d’un pôle répulsif qui essaie de se sortir de cette situation. La médiatisation en France subit son échelle nationale et aussi son tropisme parisien qui observe un pôle infra en difficulté de croissance combinée à une image répulsive.

9En effet, l’article comparatif démontre la mise sur la sellette médiatique des villes en décroissance, en tant que proies faciles à la critique journalistique, souvent pointées du doigt et présentées dans des situations peu avantageuses. Les autrices analysent à la fois l’idée d’être exposée médiatiquement, ajouté à celle de devoir rendre des comptes par médias interposés, ce qui vient compléter un article récemment publié dans la revue. L’étude comparée de l’image médiatique et de l’image produite par les sites internet officiels de Nevers, Guéret et Saint-Etienne permet de tirer un même constat. L’on comprend alors, le pouvoir des médias sur l’image des villes en décroissance, qui participe à leur construction immatérielle, et leur utilisation par les acteurs locaux pour influer sur cette production. La synthèse qui concerne la petite ville de Prémery dans la Nièvre, à travers la médiatisation du dispositif national « Territoire Zéro chômeurs de longue durée », tend vers la même conclusion : les médias, par leur rayonnement national, viennent stigmatiser les territoires infra. La situation de décroissance urbaine est bien pratique pour cela et c’est comme si, bien des territoires en France, espéraient ne pas être ceux qui seront harcelés de manière récurrente par les médias plus parisiens que nationaux qui se positionnent comme parole de référence pour sélectionner où cela va mal de manière structurelle en France.

10Pour sortir des cas français tout en y restant, l’analyse du processus de décroissance urbaine de Frédérique Morel-Doridat, est traité politiquement et aussi médiatiquement de part et d’autre de la frontière franco-allemande. Ce texte saisit, tout en nuance, les aspects immatériels présents et affectés dans les deux villes de Forbach et de Völklingen. Effet de culture nationale ou pas ; dépassement, acceptation, approche positive ou négative du processus de décroissance ; antériorité dans la mise en œuvre et maîtrise de la gestion de ce processus de décroissance ? La politique active mise en œuvre du côté Allemand de la frontière interroge par rapport aux discours tenus et politique menés de l’autre côté de la frontière, en France.

11Le résumé de thèse de Sarah Dubeaux apporte des éléments de réponse. Soutenue en 2017, cette thèse financée sous forme hybride (CIFRE), en partenariat avec des acteurs locaux, est ici synthétisée à partir des résultats particulièrement éclairants, associés à une interrogation et une perception fine des territoires étudiés qui amènent à formuler une analyse critique constructive, apte à formuler des propositions. La thèse de S. Dubeaux saisit l’importance des différences culturelles d’un pays à l’autre, face à la décroissance urbaine, qui se nichent parfois dans les détails, mais qui n’en sont pas moins essentielles, à la fois pour comprendre mais aussi pour agir. Cette lecture est un préalable à la compréhension de l’article de Frédérique Morel-Doridat.

12Enfin, comme pour relier l’ensemble des propos, le compte-rendu du colloque « 20 ans de recherche, 20 ans d’action sur la décroissance urbaine : rétrospectives et perspectives » vient identifier les quelques principes émergents qui font convergence à propos de cet objet de recherche. Nous noterons que cet événement prend la forme d’une base commune à l’ensemble des membres de ce numéro, d’une part, car une partie d’entre eux y était présents et d’autre part, car le nombre de doctorants est important en tant qu’auteurs des textes. Ceci démontre, si besoin était, que ce thème prend de l’ampleur, tant comme sujet scientifique à appréhender que comme sujet préoccupant les politiques publiques nationales et peut-être pas encore assez locales.

13Bonne lecture,

Pour citer ce document

Charles-Edouard Houllier-Guibert et Emmanuèle Cunningham Sabot, « La médiatisation des villes en décroissance » dans © Revue Marketing Territorial, 6 / hiver 2021

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=627.

Quelques mots à propos de :  Charles-Edouard Houllier-Guibert

Maître de conférences en Stratégie et Territoire à l’université de Rouen et directeur de la Revue Marketing Territorial

Quelques mots à propos de :  Emmanuèle Cunningham Sabot

Professeure en aménagement à l’ENS Paris