La réputation des territoires : un outil non reconnu par les managers territoriaux

Celine Desmoulins


Résumés

Dans le cadre de cet article nous proposons, à l’aide des pratiques et usages issus de l’entreprise, d’étudier comment la réputation peut aider les managers territoriaux d’abord du point de vue de l’attractivité du territoire (en guidant les choix), mais aussi dans le renouvellement de la confiance, la participation des citoyens, la gouvernance des intérêts divergents, ainsi que dans l’établissement de nouvelles (ou d’amélioration) stratégies de développement territorial. Dans cet objectif il a été réalisé 7 entretiens exploratoires de managers de la métropole Aix Marseille Provence, afin de comprendre les usages et non usages de la réputation d’un territoire. Les résultats de l’enquête montrent que le manque de connaissance est une des raisons de cette sous-exploitation. De plus lors de ces entretiens les managers expriment de nombreuses difficultés dans leur mission. En tenant compte de la particularité d’un territoire nous montrerons que la réputation dans un contexte de gestion et de management peut s’avérer utile pour légitimer l’action des managers, et ce particulièrement face à un leadership défaillant.

Within this article, we propose, using the practices and customs of the firm, to study how reputation can help territorial managers first for territory attractiveness (by guiding choices), but also for renewal of trust, citizen participation, governance of divergent interests, as well as establishment of new (or improved) strategies for territorial development. To this end, 7 exploratory interviews are carried out with managers of the Aix Marseille Provence metropolis, in order to understand the uses and non-uses of a territory's reputation. The results of the investigation show lack of knowledge as one of the reasons for this under-exploitation. In addition, during these interviews, managers express many difficulties in their mission. By taking into account the particularity of a territory, we will show that reputation in a management context can prove useful to legitimize the action of managers, particularly in the face of failing leadership.

Texte intégral

1Dans un contexte mondial où les territoires se trouvent en compétition, les collectivités territoriales doivent repenser leur stratégie de développement (Casteigts, 2003), tout en tenant compte de la lourdeur administrative issue de leur passé bureaucratique (Boumard et Bouvet, 2019). Ce nouveau paradigme, propose aux sciences de gestion et en particulier au champ de la stratégie territoriale, un terrain d’analyse propice au développement de nouveaux outils, pour offrir aux managers et gestionnaires du territoire des solutions (Lorino et Tarondeau, 2015). Dans cet objectif de nombreux outils et pratiques ont été empruntés au privé et les managers les ont adaptés à la contingence de leur territoire (Pyun, 2013). Cependant, bien que la réputation soit considérée comme la ressource la plus stratégique pour les entreprises (Flanagan et O’shaughnessy, 2005), cette dernière semble négligée dans un contexte territorial. La réputation peut être comprise comme l’évaluation, par des groupes d’individus, des comportements passés d’une organisation, présupposant des comportements futurs de l’organisation observée. L’ensemble des avantages portés par la réputation en a fait une des ressources stratégiques pour l’entreprise car elle facilite les choix (Bromley, 1993), mais aussi le management (Balmer et Greyser, 2003). En s’appuyant sur les travaux de la firme, il est aisé d’imaginer les intérêt portés par la réputation pour un territoire entendu en tant qu’organisation singulière (Di Méo, 1996). C’est pourquoi cet article cherche à observer l’usage et le non usage de la réputation par les managers de la métropole Aix Marseille Provence, territoire singulier en termes de réputation, avec la « sulfureuse » Marseille et la « bourgeoise » Aix en Provence. À travers le discours de sept managers experts de l’attractivité territoriale nous cherchons à mieux comprendre comment un outil de gestion et de management utilisé par les entreprises peut s’avérer utile pour ces managers.

1. Comment la réputation d’un territoire peut se mettre au service des managers territoriaux ?

2En guise de préambule, prenons le temps de poser quelques éléments de compréhension. En effet, au sein de la littérature, la définition de la réputation ne fait pas consensus (Alloing, 2016), cependant il est possible d’en faire ressortir quelques points communs1. Les travaux précédents permettent de considérer la réputation comme l’évaluation de la part des acteurs (parties prenantes, consommateurs, usagers…) des comportements passés d’une organisation. Cette évaluation présuppose alors des comportements que l’organisation aura dans le futur (Desmoulins, 2020; Fombrun et Van Riel, 2004). Dans ce cadre, les acteurs sont les individus ayant un intérêt (positif ou négatif) pour l’organisation. Autrement dit, l’organisation doit être a minima connue (notoriété) pour susciter un intérêt. Cet intérêt peut aboutir à un choix envers l’organisation, un boycott ou pas d’action du tout. Les organisations ont donc tout intérêt à favoriser les choix. Pour ce faire, ils mobilisent leur image définie comme « ce qu’un membre de l’organisation veut que les autres sachent (ou croient que les autres connaissent) de l’organisation» (Brown et al, 2006, p.104). Ainsi, l’image appartient à l’organisation, elle est ce que l’organisation veut bien montrer d’elle-même, alors que la réputation appartient à l’ensemble des « parties prenantes », ou des acteurs pour un territoire (Desmoulins, 2019). Ces derniers pouvant être des habitants, des touristes, ou encore des salariés, des patrons… se rendant sur leurs lieux de travail, il s’agit d’usagers permanents, temporaires, voire traversants.

1.1. Les usages de la réputation au sein des entreprises

3Depuis longtemps, la valeur de la réputation a été mise en avant pour les avantages qu’elle porte2, facilitant les choix et la confiance, il est nécessaire de la protéger à tout prix. Le lien entre la valeur d’une réputation et la diffamation a été étudié, dès le début du XXe siècle, dans le domaine du droit (Veeder, 1904). Les économistes et gestionnaires se sont ensuite emparés de cet objet d’étude particulièrement avec la théorie des jeux, la réputation orientant alors les choix des individus (Umbhauer, 2002). Du point de vue de la stratégie, la réputation constitue un avantage concurrentiel durable et inimitable par essence (Barney, 1997). Ainsi, par l’évaluation qu’elle engendre, la réputation permet aux consommateurs ou investisseurs de faire des choix, même en cas d’information imparfaite (Balmer et Greyser, 2003). De plus, la réputation influence les prix (Milgrom et Roberts, 1986) et limite la concurrence (Weigelt et Camerer, 1988). Grâce à la confiance qu’elle génère, la réputation permet de choisir ses partenaires (Balmer et Greyser, 2003) et d’être préservé en cas de mauvaises nouvelles, voire de scandales, en accordant le bénéfice du doute (Comyns et Franklin-Johnson, 2018). La réputation augmente aussi les capacités à produire et les performances (Roberts et Dowling, 2002) puisqu’elle permet à l’organisation d’avoir des candidatures plus nombreuses (Hales et Williamson, 2010) et de meilleures qualités (Bromley, 1993). D’un point de vue managérial, une bonne réputation augmente le sentiment d’appartenance et d’engagement (Bergami et Bagozzi, 2000), ce qui permet à l’organisation de demander des efforts supplémentaires en cas de besoin (Institut Great Place To Work® France, 2018, p.12). En homogénéisant les discours internes et externes (Balmer et Greyser, 2003), la réputation permet de plus aux managers de mieux percevoir les stratégies de l’organisation, en constituant un guide à l’action.

4Au final, la réputation participe au mécanisme d’internalisation et de cohérence en créant une vision commune pour l’ensemble des membres de l’organisation (Balmer et Greyser, 2003), tout en rendant les comportements plus respectueux (Dutton et Dukerich, 1991). En se référençant à Penrose (1959), les conséquences de la réputation pour une entreprise concernent donc la matérialité d’une organisation (technologie, finance…), mais aussi son immatérialité (ressources humaines, confiance…). Face à tous ces avantages, la réputation acquiert naturellement le statut de ressource stratégique pour l’organisation (Roberts et Dowling, 2002) bien qu’elle ne puisse pas lui appartenir ni être stockée. Elle est une des clés du succès d’une entreprise (Fombrun et Van Riel, 2004) puisqu’elle agit à la fois comme une aide et un outil pour attirer et protéger les ressources (fournisseurs, matière première).

1.2. La réputation, pour répondre aux enjeux du management territorial stratégique

1.2.1. Le management territorial stratégique

5Depuis les premières lois de décentralisation initiées dans les années 1980, l’État ne cherche plus simplement à faire fonctionner ses institutions, mais à le faire le mieux possible (efficience), ainsi qu’à renouveler une confiance en berne (Boisvert, 2002). Dans ce cadre, le territoire (en tant que délimitation plus restreinte) est considéré comme un niveau pertinent, gouvernable, efficace et donc efficient de l’action publique (Casteigts, 2003). Cette transformation du management territorial cherche à rationaliser et objectiver l’action publique (Giauque, 2018), obligeant les managers à réconcilier les intérêts, parfois divergents, des nombreux acteurs présents sur le territoire (Moine, 2004) tout en traduisant le vouloir politique (Desmarais et de Chatillon, 2010). Ce rôle difficile, sur lequel s’ajoute un environnement compétitif grandissant, pousse les collectivités territoriales à repenser leur stratégie de développement (Casteigts, 2003). Afin de répondre à ces nouveaux enjeux, les managers territoriaux se sont souvent tournés vers les outils et pratiques du privé. Or, dans ce contexte et malgré ses usages dans l’entreprise, la réputation semble mobilisée par les territoires à travers les campagnes de communication (Houllier-Guibert, 2010 ; Rochette, 2015) et les stratégies de marque (Chamard et al., 2013 ; Rochette, 2015). Celles-ci sont ensuite évaluées à l’aide de divers classements (Cusin et Damon, 2010), à étoiles ou assimilés (Alloing, 2016). L’ensemble de ces pratiques se concentre donc sur le rôle de la réputation dans la consommation du territoire, de la part des touristes, des habitants ou des entreprises. Ainsi, les objectifs initiaux peuvent être de donner l’envie aux touristes de dépenser leurs budgets vacances (Morgan et al., 2011) ; aux entrepreneurs de se développer et de s’implanter (Bourdeau-Lepage et al., 2015) ; aux habitants de rester et de s’installer grâce à un cadre de vie agréable (Kalandides et al., 2013) ; ou encore de mettre en valeur les productions locales (type AOC) afin d’en augmenter l’attrait (Aurier et Fort, 2005). Cependant, et au vu de la précédente revue de littérature, ces usages (marque, communication, évaluation) semblent ne pas prendre en compte l’ensemble des avantages portés par la réputation.

6Avant de poursuivre notre argumentaire en faveur d’un usage de la réputation, précisons que le territoire n’est pas une entreprise. En effet, ce dernier est un système complexe (Moine, 2004) régi par des interactions sociales (Di Méo, 1996). Le territoire peut donc être vu, a l’instar d’une entreprise, comme une organisation. Mais il s’agit ici d’une organisation contingente, aux nombreux acteurs ayant chacun des objectifs et des désirs souvent contradictoires (Casteigts, 2003 ; Moine, 2004). En effet, un territoire et l’institution qui le gère3 n’a pas le choix de son implantation géographique (Di Méo, 1996) ni des acteurs en présence et ce malgré des politiques d’attractivité ciblées. Les usages de la réputation doivent donc être appliqués en tenant compte de la contingence territoriale. En s’appuyant sur les travaux de l’entreprise, la réputation pourrait constituer un outil permettant à la fois des évaluations indépendantes des politiques, un diagnostic territorial, mais aussi une aide à l’action et à la gouvernance

1.2.2. La réputation comme aide au management territorial stratégique

7L’évaluation des politiques publiques est en soi peu contestée, cependant il existe des difficultés dans le choix des indicateurs (Dejean et al., 1998). En effet, pour déterminer l’indicateur justifiant de la réussite ou non d’une politique publique, il est nécessaire d’en déterminer les objectifs. Or, ces derniers sont souvent flous et dépendants des choix faits par les politiciens. Autrement dit, le politique détermine les indicateurs de réussite de ses propres objectifs. Ici, en tenant compte du fait que la réputation aboutit à une évaluation des comportements passés, mesurer la réputation avant et après une politique territoriale constitue tautologiquement une évaluation de celle-ci. Il serait donc envisageable d’évaluer la réussite ou l’échec d’une politique à l’aide des variations de réputation. Une telle évaluation présuppose initialement que l’opinion collective des acteurs du territoire (aboutissant à une l’évaluation) prévaut sur les chiffres et leur analyse de la part d’experts4. Ainsi, il existe deux principaux avantages à utiliser la réputation comme évaluation, la sélection d’un indicateur non soumis aux choix du politique mais aussi la production d’une évaluation plus participative et citoyenne (Ansell et Gash, 2007). Étant donné que la réputation aboutit à une évaluation collective des individus (touristes, habitants, entreprises) du territoire, il est donc possible, sur la base de leur évaluation, de déterminer les opportunités de développement, mais aussi les faiblesses à améliorer. En cela, la réputation constitue donc un diagnostic. Le diagnostic est utilisé par les territoires pour faire ressortir de nouvelles pistes de développement (Harrar et Malti, 2017), mais il sert aussi aux managers territoriaux pour défendre les projets auxquels ils croient (Michaux, 2011). En cela, le diagnostic est donc une des étapes à la conduite de l’action.

8Or, l’action, dans un contexte territorial, est particulièrement complexe, car elle intègre les intérêts divergents des acteurs, les contraintes physiques (Moine, 2004), ainsi qu’un environnement législatif instable (Bettoni, 2011). La réputation constitue alors un appui, en homogénéisant et traduisant le discours politique et sa mise en œuvre (Balmer et Greyser, 2003). Elle participe donc à l’élaboration d’un message fort, justifiant l’action publique face à la multitude des acteurs. La réputation constitue alors, un guide à l’action évitant les mauvaises interprétations de la part de ceux qui mettent en application les politiques territoriales (Daft et Weick, 1984) ou qui les vivent. De ce fait, en facilitant la traduction et le discours entre politiques, managers, gestionnaires, mais aussi les divers acteurs sur un territoire, la réputation facilite sa gouvernance, puisque le corollaire au fonctionnement d’une gouvernance est la confiance que ses membres placent en elle (Michaux, 2011). Dit différemment, les acteurs doivent avoir foi dans la capacité de ses membres à prendre des décisions (politiques) et à les mettre en place (action), sans que cela ne lèse les divers acteurs en présence (Ehlinger et al., 2007). Cette confiance existe à la fois en se basant sur les comportements passés des membres de cette gouvernance, mais aussi par une cohérence entre les gestes et les mots, c’est-à-dire qu’une partie de cette confiance est issue des réputations personnelles des acteurs-membres de cette gouvernance (Ansell et Gash, 2007). Le recensement des nombreux avantages met en évidence une sous-exploitation de la réputation de la part des managers territoriaux. Une des explications à cet état de fait peut être portée par, à la fois le manque de consensus sur la définition de la réputation, mais aussi sur le manque d’application de cet objet au contexte territorial.

9Nous proposons donc d’étudier à travers des entretiens exploratoires, la perception et l’appréhension de la réputation par les managers territoriaux. À partir de ces entretiens, on constate que le manque de consensus et de connaissance sur la réputation semble bien être à l’origine de sa faible utilisation. Or lors de ces échanges, les managers abordent un certain nombre de problème inhérents à leur rôle et à la complexité du terrain choisi : la métropole Aix Marseille Provence (AMP). Des problèmes qui, au vu de notre dernier paragraphe, permettent de discuter de l’intérêt de la réputation dans le cadre du management territorial stratégique.

2. Les méthodologies

Encadré 1. Synthèse de la méthode d’observation

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2.1. La métropole Aix Marseille Provence comme terrain

10Afin de mieux comprendre l'utilisation qui est faite par les gestionnaires des territoires d’une ressource comme la réputation, nous sommes allées interroger des experts à propos de l’attractivité territoriale de la métropole Aix-Marseille Provence (AMP). Cette métropole à la particularité d’englober à la fois une ville souvent associée à une mauvaise réputation qu’est Marseille (Marseille bashing (Mucchielli et al., 2014)) et une ville de bonne réputation qu’est Aix-en-Provence (Boulesteix, 2015). Initiée en 2016, l’AMP regroupe 6 intercommunalités ce qui en fait la métropole la plus importante de France en termes de superficie (3148 km²). Ce nouveau territoire présente de nombreuses disparités en termes d’attractivité résidentielle (population), économique (établissements actifs) ou touristique (lits), ce qui en fait un lieu d’observation remarquable.

Tableau 1. Caractéristiques des « pays » de la métropole Aix Marseille Provence

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11Source : base de données INSEE et pourcentage relatif de l’ensemble de la métropole

2.2. Choix des interviews

12En tenant compte des contraintes issues du contexte politique particulier (abordé dans les limites de notre travail) il a été possible d’interroger 7 managers de l’AMP, ce qui permet d’avoir à chaque fois 3 entretiens par type d’expertise sur l’attractivité résidentielle, touristique ou économique et ce sur 4 des 6 territoires constituants la métropole (nous n’avons pas pu interviewer des managers des pays de Martigues ou d’Aubagne et de l’étoile). Le tableau 2 reprend les points clés des entretiens ainsi que les expertises associées à chacun des managers interrogés.

Tableau 2. Synthèse des caractéristiques des entretiens

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2.3. Grille de codage

13Le codage est à l’image du guide d’entretien (encadré 2). Ainsi pour la réputation, on retrouve les codes en lien avec les antécédents et les conséquences mais aussi des codes plus génériques sur les indicateurs, les définitions ou encore sur l’intérêt de la réputation. Cependant et de manière émergente, des codes en lien avec les obstacles que les managers ont exprimés dans leur mission sont apparus. L’ensemble des codes (à l’exception des émergents) sont appuyés par la littérature. L’ensemble du livre de codes, définition et référence bibliographique sont synthétisés dans le tableau ci-après.

Tableau 3. Livre de codes

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3. Définition floue et usage implicite de la réputation par les experts

Encadré 2. Guide d’entretien semi directif

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3.1. Définition floue et rejet à la mobilisation de la réputation

14Le premier constat concerne la définition même de la réputation, et pour tous les interviewés, y compris les spécialistes de la communication et du marketing territorial, la réputation est mal comprise, avec des confusions entre réputation, image et notoriété.

Tableau 4. Synthèse des réponses à la question « Comment définiriez-vous la réputation ? »

E1

« Pour moi, c'est l'image qu'ont les gens d'une destination. [..] bah ce serait en gros, l'image qu'ont les gens de la ville »

E2

« C’est avant tout, c'est une, c'est une image, c'est quelqu'un que l'on va reconnaître, dont on va entendre parler et qui amène l'affection »

E3

« C'est l'image que l'on peut donner ; pour moi c'est l'image que l'on peut donner à l'extérieur »

E4

« La réputation, ce qu'on appelait un peu, je préfère d'ailleurs le terme réputation, l'image, parce que finalement, peut-être que vous faites une distinction sur le plan académique, mais c'est finalement quoi ? C'est l'idée qu'on se fait d'un territoire et même de ses habitants, je reviens encore à la notion de tout à l'heure, quand on n'y est pas, c'est ça. C'est la perception… la notoriété est une notion, moi personnellement je préfère le terme d'image parce que la notoriété et peut-être plus liée à la mesure d'une notoriété. Notoriété, on est plus ou moins connu quoi, de 20 à 10… donc il y a après une question de mesurabilité, l'image si vous voulez, c'est plus général, ça me parle plus, donc c'est ça, l'appréciation ou la perception qu'on se fait d'un territoire et des habitants d'un territoire, de façon subjective, sans avoir des éléments factuels tangibles d'expérimentation propre, que l'on peut avoir d'un territoire, c'est plus l'image pour moi »

E5

« Nous [l'institution] on a une réputation qui est celle de Marseille, de la ville de Marseille. Les gens connaissent Marseille, les gens connaissent du coup la ville de Marseille »

E6

« La réputation, pour moi c'est l'image »

E7

« C’est des démarches d'attractivité où on se sent obligé de faire de la sur-promesse, de travailler sur l'image pour travailler sur l'image »

15De plus, la réputation est perçue par les experts comme quelque chose qui pourrait être important, mais surtout d’un point de vue de l’image et de la communication. En effet, pour 6 des 7 managers, la réputation est mobilisée à travers l’e-réputation qui reste, pour eux, difficile à mesurer et à utiliser.

« Il y a effectivement l'e-réputation donc, qui passe aujourd'hui par des commentaires d'internautes, via des sites comme Trip Advisor, ou autres. Il faut dire qu’il y a là des indicateurs concrets et des éléments mesurables, quand ils ont les moyens humains et financiers de les utiliser » (Expert 6)

16Finalement, si la notion de réputation semble importante pour les managers interviewés, elle est pourtant rejetée lorsqu’il s’agit de la mobiliser.

« J’ai un peu de mal à me dire que c’est un élément sur lequel construire une stratégie. Ce n’est pas vraiment un levier d’action pour moi » (Expert 5)

17Pourtant, dans ce cas précis, et à la suite de notre entretien, ce manager aborde la réputation comme une ressource en réalisant un parallèle avec « l’extrême pauvreté » du territoire métropolitain. Il s’agit bien d’une réputation, d’autant que celle-ci ne repose sur aucun élément factuel5. Et pourtant pour cet expert, la réputation de « territoire pauvre » est un levier à l’action, puisqu’elle est utile à la captation de subventions nationales et européennes.

« La ressource aussi, c’est évidemment l’extrême pauvreté du territoire d’une certaine manière, de manière paradoxale, qui, en l’occurrence, qui fait ressources, parce que ça étend géographiquement, même si le nombre de territoires éligibles à ces…, à ces appels. Bon, là, je rentre un peu dans mon truc à moi, c’est un peu paradoxal, de dire que la pauvreté est une ressource » (Expert 5)

18Ce qui dénote, à notre sens, un manque de réflexion sur les intérêts portés par la réputation. L’ensemble de ces constats (confusion, définition approximative, réflexivité sur leur pratique) nous permet donc de corroborer l’idée que le manque de connaissance, qu’il soit définitionnel ou sur les avantages de la réputation pour un territoire, rend sa mobilisation délicate pour ces managers territoriaux.

3.2. Les managers ont une utilisation implicite de la réputation

19Si le manque de connaissance est à l’origine d’une mobilisation volontaire de la réputation dans l’action des managers territoriaux, nous devons constater que ces derniers l’utilisent de manière implicite. En effet, les managers interrogés s’appuient sur deux éléments de la réputation : l’expérience faite sur le territoire (antécédent de la réputation) et la confiance que celle-ci génère (Boyd et al, 2010 ; Hales et Williamson, 2010).

« La réputation, elle tient au réel ! Elle tient à ce que les gens vivent comme une expérience concrète quand ils viennent ici » (Expert 7)

« On sera dans le réel de faire venir les gens pour les confronter entre la perception et la réalité des choses, à condition qu'ils vivent une expérience plutôt positive évidemment » (Expert 4)

20Les managers ont donc conscience que les expériences réussies (ou non) sur le territoire vont avoir une influence sur l’attractivité. Cela est à rapprocher avec l’effet, identifié dans un travail précédent (Desmoulins, 2020), de la recommandation sur le choix d’un territoire touristique. La recommandation se faisant à la fois sur la base des systèmes de notation à étoiles (Morgan et al., 2011) ainsi que selon le bouche-à-oreille (Helme-Guizon et al., 2004). Une belle image n’est pas suffisante pour influencer l’attractivité d’un territoire.

« Il y a une image qui puisse être diffusée. Mais honnêtement une ville aujourd'hui qui bâtit son plan de com et qui balance ça comme ça ! Il faudrait plus et il faudrait beaucoup de sous. Donc ça ne peut pas se jouer comme ça. Ça ne peut pas se travailler comme ça » (Expert 2)

21L’expérimentation réussie de la part de l’acteur est à mettre en parallèle avec la notion de confiance, qui agira comme une sorte de garantie de contrat (Cornell et Shapiro, 1987) et attirera alors des actifs sur le territoire.

« On passe notre temps à vendre à des entreprises des atouts du territoire » (Expert 7), car pour être attractif, « il faut que le territoire inspire confiance » (Expert 4)

22De plus, les managers utilisent la notion d’ambassadeur à la fois comme récepteur de cette expérience qu’ils espèrent réussie et comme véhicule de la confiance. On peut distinguer l’ambassadeur local et celui qui vient d’ailleurs (le visiteur). L’enjeu est de proposer des expériences aussi agréables que possible à ces ambassadeurs, même s’il est parfois nécessaire, dans cette optique, d’enjoliver les points négatifs, particulièrement, pour ceux qui visitent le territoire.

« L’idée ce n’est pas ça, ce n’est pas de cacher les choses, mais d'orienter que sur ce qu'on veut donner à voir » (Expert 1)

23Ainsi, même si les managers interrogés ne semblent pas vouloir utiliser la réputation, ils ont le désir de l’infléchir en faveur de leur territoire, au travers un travail sur l’image, les campagnes de communication, et bien sûr l’expérience qui est faite sur place.

« Le coup des lunettes, c'était peut-être faire un truc un peu fun, en disant si vous saviez tout ce qui se passe ici » (Expert 1)

24Il y a donc une mise en scène du territoire dont ils ont la charge. À travers une mise en action « qui va faire que les gens, ensuite, vont communiquer entre eux, ils vont dire : ouais, on a été, on est allé à xxx, on avait fait super truc, par exemple, pour Noël, on a de plus en plus de gens qui viennent de l'extérieur » (Expert 3). Mais les managers prennent aussi en compte la réputation, car en utilisant les opinions, idées, suggestions des usagers, pour améliorer l’expérience faite sur le territoire ils s’appuient sur leur opinion et évaluation des expériences vécues et donc sur la réputation.

« Je m’intéressais beaucoup plus d'ailleurs à ce que disent les gens qui sont là. Plutôt qu’à l'image qu’en ont les gens qui sont là plutôt que des gens de l'extérieur, deux raisons d'abord parce que ceux qui sont là, ils ont des avis qui sont en général plus étayés, sur ce qu'il faut faire, sur ce qui ne va pas bien, sur ce qui va bien, sur la priorité du terrain, et puis ils sont le même… un vecteur d'image qu’on ne peut pas détourner parce qu'en réalité la seule chose que vous ne pouvez pas faire c'est aller contre » (Expert 7)

25Les individus sont au centre des préoccupations des managers territoriaux, à la fois en tant qu’usagers à satisfaire qu’en tant que ressource, et prescripteurs pour le territoire. À titre illustratif, nous avons rassemblé l’ensemble des verbatims retranscrits lors de nos entretiens, après avoir enlevé les pronoms, adverbes et mots de coordination, pour réaliser un nuage de mots (figure 1). Les mots les plus souvent cités étant les plus gros. Cette image permet de mettre en lumière la forte prévalence du terme « gens » qui pour les interviewés se réfère aux individus, en présence ou non (encadré 2).

Figure 1. Nuage de mots des réponses des experts sur la réputation

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Encadré 3. Extrait d’interview comportant le terme « gens »

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3.3. De nombreuses difficultés liées à la coopération et à la confiance entre les acteurs du territoire

26Le contexte politique, au moment des entretiens, et la place des managers de terrain interrogés ont certainement été une des raisons expliquant l’apparition d’un « parler librement » permettant de faire émerger de nombreuses difficultés dans la mise en place de leurs actions. De manière générale, ces difficultés ont trait aux spécificités du territoire induisant une grande complexité dans les modes de gestion, créant des obstacles pour penser en termes systémiques (Moine, 2004). Pourtant la capacité d’envisager une telle pensée nous semble nécessaire dans le cadre d’une métropole aussi vaste qu’AMP (3 149km²) et composée de six territoires relativement différents en termes d’attractivité (tableau 1). Cette capacité systémique est particulièrement utile lorsque l’objectif est d’établir des stratégies de captation dans un environnement concurrentiel en pleine croissance (Bourdeau-Lepage et al., 2015).

« De quel territoire on parle ? Est-ce qu'on parle du territoire métropolitain ? Est-ce qu'on parle du territoire régional ? Est-ce qu'on parle du territoire du département ? De la ville ? En tout cas, si on se place sur la vision plus globale, voire même internationale » (Expert 6)

« C’est forcément complexe, il y a du territoire, il y a du subjectif, il y a de l'objectif, il y a de l'humain, il y a du technologique, il y a la réalité d'aujourd'hui, les prospectives et les grandes tendances de demain dont on parlait, il y a une mise en concurrence internationale. Enfin, vous vous rendez compte, il y a une infinité de paramètres, qu'il faut essayer de régler, de gérer, ce n’est quand même pas simple, et encore, je pense qu'il y a plein de choses dont on n'a pas parlé, forcément. Le territoire est un terrain de jeu complexe, mais qui est passionnant aussi » (Expert 4)

27La complexité du terrain est accentuée par les complexités inhérentes à la gestion publique (Casteigts, 2003). Ainsi l’instabilité législative perçue, rappelons que l’AMP est encore en pleine construction structurelle lors de nos entretiens, à laquelle s’ajoute les restrictions budgétaires, ce qui constitue une source de tensions et de paradoxes que les managers interviewés doivent gérer de manière quasi quotidienne (Giauque, 2018).

« C’est un parcours du combattant, de plusieurs années, qui est fait de réflexion sur ce qu'on veut faire, de formalisation de ce qu'on veut faire, d’interactions avec les parties prenantes, sur tous ces sujets-là. D’autres tensions : d’accords des uns, des autres, d’enquête publique pour avoir les réactions du grand public sur le projet. Avant d'arriver à des autorisations en bonne et due forme, voire les déclarations d'utilité publique de la préfecture permettant d’exproprier » (Expert 7)

28S’ajoute la difficile concordance des temps entre le politique et la vie civile. En effet, la temporalité au sein d’une l’institution de type bureaucratique est résolument différente du monde économique, même si les deux sont obligés de vivre ensemble au sein de l’AMP.

« Mais ce qui est compliqué c’est anticiper, c’est gérer le temps moyen et long. Ce n’est pas spontané quoi, et c'est pareil pour les transports, la mobilité, en fait, les équipes qui travaillent sur la mobilité aujourd’hui, ils vont voir les résultats de ce qui pousse aujourd’hui, dans dix ans, cinq ans. Le temps enfin, je ne sais pas moi, je trouve que batailler sur… par exemple le trajet de la LGV pour qu'elle passe par Marseille, peut-être que ce sera réalisé en 2025 ou 2030 » (Expert 7)

29Les managers ont aussi abordé des difficultés en lien avec la visibilité, l’image, mais aussi le leadership6 de leur territoire. Ces éléments ne sont pas ceux qu’ils voudraient ou faudrait, mais ils doivent composer avec.

« Mais en termes économiques, elle [Marseille] n'a pas une mauvaise image, elle n'a pas d'image […] pour parler de ce territoire, on ne va pas se mentir, c'est la sécurité, machin, Gaudin, Pagnol, il y a 2000 ans. C'est un petit peu ce que ça renvoie, et du coup c'est assez anxiogène pour un investisseur » […] « pour une mauvaise image, restons là-dessus, Marseille, elle est quand même vachement entretenue par un déficit ou un mauvais leadership » (Expert 4)

30Enfin, ils déplorent la méconnaissance des activités et des réels atouts de leur territoire.

« La population qui est enfermée dans cet archétype du supporter marseillais, qui sort avec l'accent, et cetera, alors que l'on sait que ce n'est pas que ça » (Expert 4)

« Dans le domaine médical, dans le domaine des matériaux, de la mécanique, des pures technologies, d'un certain nombre de sujets, le numérique, des objets collectés… donc là il y a une ressource très coûteuse à constituer pour les pouvoirs publics, qui est très, très mal marketée, très mal mise à disposition, on va dire » (Expert 7)

4. La réputation comme outil de légitimation et de prévention au service des managers territoriaux

31Certes, à la question de la mesure de la réputation, les managers n’en voient pas l’intérêt.

« La notion de réputation, elle m'intéresse assez peu dans mon travail, je peux l'utiliser comme ça dans le discours, mais j'ai du mal… Je ne sais pas, je suis peut-être un peu ringard, mais j'ai du mal à… donc je ne me suis jamais dit qu'il serait intéressant de la mesurer en tant que telle, parce que c'est, en plus, c'est tellement évanescent et tellement subjectif, c'est tellement… » (Expert 5)

« Mais je ne pense pas que... Je suis… ha, c'est un vrai débat quasi philosophique, est-ce que lacommunication agit sur le réel ou est-ce qu’il faut s'appuyer sur le réel pour communiquer ? Bon il y a plein de gens qui rêvent que la communication se suffise à elle-même ! » (Expert 7)

32Cependant, les travaux sur l’entreprise incitent à discuter sur la mobilisation de l’objet Réputation pour répondre à leurs difficultés. Précédemment, l’institution était la seule à pouvoir décider de l’intérêt général (Bettoni, 2011). Or, la crise de confiance (Boisvert, 2002) dans les institutions publiques, incite les divers acteurs du territoire à remettre cette capacité en question. Dans le cas des managers interviewés, il existe une injonction à résoudre les problèmes, ce qui leur demandent une capacité de résilience (Serre et al., 2016). Les divers jeux de pouvoir, la complexité d’un lieu, la multiplicité des types d’acteurs et leurs intérêts divergents, sont le principal axe de réussite ou d’échec dans l’attractivité d’un territoire et des projets qui y sont portés (Bettoni, 2011). La coopération entre les acteurs, une mutualisation des ressources et une confiance réciproque sont donc nécessaires (Bettoni, 2011). Or, la réputation génère de la confiance (Boyd et al., 2010 ; Hales et Williamson, 2010), tant du point de vue du mode de gestion, que dans ses capacités à remplir les objectifs qui lui sont fixés, voire dans sa capacité à prendre des décisions. Ainsi, lorsque des blocages et des logiques de contournement sont à l’œuvre (Dupuis, 2015), Cornell et Shapiro (1987) expliquent que le non-respect des règles explicites ou tacites entraîne une perte de confiance et donc une perte pour les autres « contrats » à venir. Autrement dit, plus la réputation de l’institution est bonne et forte, plus les divers acteurs sont, en quelque sorte, obligés de respecter leurs engagements car le coût du non-respect serait élevé (proportionnellement à la qualité de la réputation). Si la littérature a déjà établi l’intérêt de la réputation pour guider les choix, ce qui précède a pour conséquence de proposer la réputation d’un territoire comme un outil utile à la fois pour légitimer les actions mises en place par les managers, mais aussi pour prévenir des problèmes dus à une image ou un leadership défaillant.

Propos conclusifs

33Comme pour l’entreprise, la réputation d’un territoire est une ressource (Grant, 1991), attirant d’autres ressources (habitants, touristes, entreprises) car elle agit à la fois sur la confiance et comme une garantie de contrat (Cornell et Shapiro, 1987). La réputation permet donc, quelle que soit la cible, de réduire l’incertitude et de faciliter le choix d’un territoire plutôt qu’un autre (Balmer et Greyser, 2003), ce qui, par effet ressort, permet aussi au territoire d’avoir des prix plus élevés que son concurrent pour une offre très similaire (Herbig et Milewicz, 1995). En ce sens, la réputation participe donc à l’attractivité du territoire mais au-delà de l’attractivité, et à l’instar de ce qu’elle apporte à une entreprise, la réputation peut avoir d’autres usages. En cela, la réputation n’est pas seulement une note globale, mais un ensemble de paramètres qui, estimés ensemble, permettent d’établir les forces et faiblesses d’un territoire, d’évaluer une politique territoriale, voire de guider l’action. Elle facilite aussi la traduction du vouloir politique, et la gouvernance des territoires grâce à la confiance qu’elle génère. Au vu des nombreux avantages portés par la réputation et son importance au sein des entreprises (Boyd et al., 2010), il nous semblait donc surprenant qu’elle ne soit mobilisée au sein des territoires qu’à travers les indicateurs d’e-réputation, d’image, voire de benchmarking.

34Nos entretiens ont corroboré notre supposition sur le fait que le manque de connaissance (définitions, et avantages) ajouté aux divers amalgames faits entre des notions proches (notoriété, image) brouille la capacité à comprendre et à mobiliser la réputation. Cependant, ils ont tous l’intuition que la réputation n’est pas quelque chose qui peut se fabriquer artificiellement, à l’inverse d’une belle image. Pour eux, la réputation se base effectivement sur l’expérience que les individus ont du territoire et sur la perception de ses actions passées. Les managers tentent certes d’utiliser l’image, les médias, les évènements…, pour influencer la perception et l’expérience faite par, et sur, le territoire, même s’ils ont parfois l’impression que cela les dépasse.

35Aujourd’hui, le choix d’une installation (d’entreprises, d’habitants, de touristes) ne se fait plus seulement sur un arbitrage visant à maximiser les profits, mais dans un questionnement plus global incluant la qualité de vie (Bourdeau-Lepage et al., 2015), ce qu’illustrent les études sur le tourisme durable (Durif et al., 2017) ou sur les choix d’habitation. Certes, les classements sont une source d’information à l’arbitrage, mais en voulant calquer les actions des premiers du classement, un territoire pourrait rapidement perdre ce qui fait de lui un espace singulier. Une singularité qui, lorsqu’elle est reconnue et mise en avant, peut constituer un avantage concurrentiel durable (Barney, 1997). Cette recherche a cependant quelques limites, la première étant liée au contexte politique de l’AMP au moment de notre travail. Après de nombreux débats, Jean Claude Gaudin venait d’en être élu président. Ainsi, lors des entretiens, les compétences et pouvoirs des diverses délimitations géographiques, mais aussi les rôles des divers services de la structure administrative centralisatrice n’étaient pas encore établis. Cette situation a incité le pays de Martigues et le pays d’Aubagne et de l’Etoile à ne pas participer à cette recherche. Ensuite, du point de vue de la validité interne et externe, nous n’avons pu interroger que sept managers, mais leurs profils et leurs expertises en termes d’attractivité ainsi que le terrain (deux villes de réputation très différente) nous permet d’avoir une bonne variabilité. Cependant nous pensons que notre travail gagnerait en validité en interrogeant des managers sur d’autres territoires que ceux de l’AMP.

36Si la réputation peut répondre en partie aux raisons expliquant pourquoi et comment certains territoires performent par rapport à d’autres, elle offre aussi des possibilités de gestion (ressource, diagnostic) et de management (évaluation, gouvernance) qui sont encore inexploitées. Or, pour pouvoir mobiliser correctement cet outil complexe, il est nécessaire de bien le comprendre. Nous espérons que notre article permettra à ces managers de mieux appréhender une partie des avantages portés par la réputation de leur territoire. Ainsi une des pistes de recherche, au vu de l’ensemble des avantages qu’elle porte, est de proposer aux managers de terrain des modèles opérationnels, leur permettant de se saisir de la réputation de leur territoire.

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Notes

1 Voir les synthèses de Rindova et al. (2005) et Walker (2010).

2 « Réputation, réputation, réputation ! Oh, j'ai perdu ma réputation ! J'ai perdu la partie immortelle de moi-même et ce qui reste est bestial. Ma réputation, Iago, ma réputation ! » (Othello de Shakespeare acte 2, scène 3, p.12, édition de 1623.

3 « La constitution de 1958 ne fixe pas une liste définitive des collectivités territoriales. L’alinéa 1er de l’article 72 de la constitution dispose que : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 » source https://www.collectivites-locales.gouv.fr

4 C’est par ailleurs un des présupposés à l’origine des diverses techniques de crowdsourcing (Renault, 2013), la foule offrant une solution à un problème complexe là où les experts pèchent.

5 L’INSEE a produit en 2016 le classement des communes les plus pauvres de France. Marseille est une ville très inégalitaire avec un nombre d’individus pauvres très élevé, mais qui, rapporté à la population totale représente 25% de la population. Notons de plus, que cet expert parle ici du territoire métropolitain.

6 Jean-Claude Gaudin, sénateur, président de la métropole et maire de Marseille, renoncera en juillet 2017 au poste de sénateur en raison de la loi sur le cumul des mandats.

Pour citer ce document

Celine Desmoulins, « La réputation des territoires : un outil non reconnu par les managers territoriaux » dans © Revue Marketing Territorial, 5 / été 2020

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=559.

Quelques mots à propos de :  Celine Desmoulins

Affiliée au laboratoire IFSA et enseignant à l’IUT Lyon 1 la stratégie et le marketing, Céline Desmoulins est maitre de conférences Son travail porte sur la réputation avec un intérêt pour la stratégie des organisations. Issue du terrain avec une carrière dans le privé, mais aussi dans l’associatif (particulièrement l’évènementiel et le management du sport) ses travaux sont à la confluence de plusieurs disciplines (géographie, économie, science de l’information, sport) afin d’offrir des solutions opérationnelles pour des gestionnaires de terrain.