Sommaire
1La livraison de ce numéro d’Eté 2020 comprend des textes variés qui s’intéressent :
au marketing des territoires, celui porté par des acteurs publics (comme avec l’article écrit par Manu Tranquart à propos de la description d’une méthode de diagnostic pour labéliser des sites naturels) afin de mobiliser des acteurs privés (comme avec l’article écrit par Marie-Eve Ferrerol à propos du label Nattitude),
au marketing territorialisant, celui porté par des acteurs privés qui se servent de la dimension territoriale de leur produit pour augmenter leur valeur (comme avec l’article co-écrit par les chercheurs normands Marie-Josèphe Leroux-Sostenes et Carlos Rabasso à propos d’une célèbre équipe de football, ; ou plus largement toutes les marques qui utilisent l’effet made in, sujet co-écrit par les chercheurs bretons Agnès François- Lecompte et Michel Gentric).
2Ce marketing territorial dans tous les cas, est aussi étudié à l’échelon métropolitain de Marseille, qui, dans sa construction, inclut les périphéries du plus vaste espace métropolitain de France. Mais l’union territoriale marseillaise, plus difficile qu’ailleurs à consolider (Douay, 2006) est mise en cause à travers la question de la réputation, traitée dans un article de Céline Desmoulins. A défaut d’être définie de manière structurée, processuelle, évolutive et calibrée, la réputation donne à voir tout le flou qu’elle génère dans les discours en tant que notion confondue avec d’autres termes tout aussi peu établis scientifiquement : la notoriété ainsi que l’image qui elle est mieux structurée par les chercheurs mais tellement polysémique selon les angles choisis par les auteurs. Pourtant, la différence est majeure avec une dimension quantitative accordée au premier terme qui ne se superpose pas avec la dimension qualitative du second. Mais l’étude de Céline Desmoulins révèle toute la confusion de l’usage des mots des professionnels du développement territorial, ainsi que les manques d’efforts de ces managers pour chercher à mieux maîtriser la réputation du territoire dont ils ont la gestion.
3Avec le cas du Fjord de Saguenay (article de Manu Tranquart), la réputation va être positionnée au regard du label mis en place pour le développement touristique. La méthode d’analyse proposée pour diagnostiquer un géoparc, peut dérouter car elle découpe avec précision des étapes qui, le plus souvent dans la pratique, se déroulent sous le prisme du bon sens. Or, ce qui est souligné ici, c’est la précision et le caractère peu flexible des étapes à suivre. Ainsi, quand le géoparc du Saguenay construit son identité à partir de 5 composantes thématiques susceptibles de devenir des parcours touristiques, c’est sans compter sur la perception des pratiquants et ce qu’ils retiennent de leur expérience touristique de nature. La rigueur particulièrement forte du processus décrit ici viendra percuter les pratiques et les représentations qui sont, en réalité, les seules évaluations pertinentes pour comprendre la destination de tourisme de nature.
4Le positionnement de la naturalité, on le retrouve aussi en Auvergne, un territoire qui intéresse les chercheurs à propos du marketing déployé cette dernière décennie. De toutes les marques nées au tournant des années 2010 dans le cadre du format « Marque Territoire » (Houllier-Guibert, 2018), elle est celle qui a suscité le plus de production scientifique. Nous avons eu la chance de publier dans cette revue plusieurs auteures (Rochette, Zumbo-Lebrument, Martin) auxquels on peut ajouter la géographe Marie-Eve Férérol qui questionne le statut d’espaces en marge de l’Auvergne, afin d’affirmer un positionnement marketing via un label touristique hôtelier qui joue sur cette image « loin de la ville ».
5La marque n’est pas que publique dans ce numéro et elle prend d’autres formes par l’ancrage territorial des entreprises qui savent utiliser leur lieu d’implantation pour valoriser ce qu’ils ont à vendre. Agnes François-Lecompte et Michel Gentric en font la description, suite à leur contribution au colloque de l’AFM 2019 dont le thème annuel était le marketing territorial. L’article de Marie-Josèphe Leroux-Sostenes et de Carlos Rabasso va plus dans le détail de cet ancrage territorial en décrivant précisément les liens entre la ville de Barcelone et son équipe de football, tellement rémunératrice : la dimension territoriale du Barça est traitée par des chercheurs francophones, dans une approche des plus complètes, ce qui manquait à la littérature scientifique. Il en ressort que le Barça s’engage récemment dans une stratégie de développement qui augmente ses recettes commerciales en dehors du territoire Barcelonais et indépendamment des résultats sportifs. Les orientations a-territoriales du Barça viennent questionner les limites du marketing territorial à propos d’une marque de notoriété mondiale.
6Barcelone est l’une des plus importantes villes européennes en matière d’accueil des congrès. Des chercheuses géographes et gestionnaires ont étudié les plus grandes villes congressuelles à travers leur visibilité sur les réseaux sociaux numériques (RSN). Les villes étudiées par les auteures sont parmi les plus grands pôles du monde, ceux qui n’ont pas besoin d’événements d’envergure pour jouir d’un rayonnement fort. Certes les plus grands événements mondiaux peuvent apporter une valorisation à la ville hôte, tels des Jeux Olympiques ou une Exposition universelle, ce qui facilitera son intégration dans le rang des villes mondiales. Parmi ces événements, certains peuvent être compris comme composant le TRC (tourisme de réunions et de congrès), tels les Coop écologiques, les G8 ou les G20. Mais leur médiatisation par le journalisme est tellement forte qu’une information sur les RSN des OGD (organismes de gestion des destinations) n’a pas d’utilité en matière de notoriété. Efe Sevin a identifié dès 2013 la fonction principale des RSN en tant que communiqué de presse, aussi leur contenu est intéressant si la médiatisation n’a pas lieu naturellement via de puissants médias. En conséquence, les RSN seraient des relais intéressants pour les territoires de rangs inférieurs, mais pas pour les plus grandes métropoles en matière d’événementiel. Ou bien les stations balnéaires, déjà identifiées par ces chercheuses, sont des pistes plus intéressantes à traiter dans le cadre de la compétition mondiale de ces villes si nombreuses dans le monde et pas toujours localisables avec aisance sur le bord de côte ou en montagne. Au terme de leur contribution, ces chercheuses font la démonstration que les RSN ne sont pas, de manière systématique, utilisés. Tant de jeunes étudiants ont la certitude que communiquer pour un territoire, c’est utiliser les RSN. Voici une remise en cause qu’il serait pertinent de creuser pour évaluer le marketing territorial au travers des RSN, comme Cedrine Zumbo-Lebrument (2019) a déjà essayé de le faire dans cette revue ; et maintenant cet article qui fait de même. « RSN et marketing territorial » est un thème qui mérite certainement un numéro à venir.
7Les deux dernières contributions sont celles de géographes. Le propos de Basile Michel vient montrer que la ville créative est un positionnement marketing qui gagne aussi la Chine. On retrouve, au fil des différentes illustrations, les mêmes aménités qu’ailleurs dans le monde afin d’exprimer la créativité, fabriquées dans une approche marketing, en plus du phénomène de gentrification à l’échelle des quartiers de Shangai ou Beijing. Une différence est tout de même à noter : les espaces nouvellement créés de consommation, de culture, de gentrification, sont combinés à la surveillance des lieux publics tels qu’on les connaît dans ce pays. Enfin, André Joyal propose un compte-rendu d’un ouvrage court d’Antoine Bailly, paru en 2020. André ne peut s’empêcher de blaguer à travers ses phrases qui restituent quelques idées de celui qui a initié le courant de la Géographie des Représentations, cette base du marketing territorial que nous invitons à relire, tels les actes du colloque de Lescheraines en 1989 par exemple.
8L’ensemble des cas présentés dans ce numéro montrent la variété d’agents qui font du marketing territorial, dominés par la sphère publique (nous parlerons alors de marketing des territoires) ou bien dominés par la sphère privée (nous parlerons alors de marketing territorialisé ou territorialisant). Il y a même parfois des coopérations Public/ Privé, comme dans le cas du label Nattitude présenté par Marie-Eve Fererol. Dans le cadre d’une HDR (habilitation à diriger des recherches), nous venons de découper ce marketing territorial au regard de qui produit. Nous serons amenés à publier des éléments explicatifs de ce découpage dans de prochains numéros.
9Bonne lecture.
Douay N., 2006, « L’émergence d’une coopération métropolitaine dans l’aire urbaine marseillaise », TRAS, Aix-en-Provence, Institut d’aménagement régional, pp.78-90
Houllier-Guibert C.E., 2018, « Proposition de cadrage définitionnel sur les marques Territoire françaises. Une question d’ambassadeurs », Revue Marketing Territorial, 0 / printemps, en ligne
Sevin E., 2013, « Places going viral: Twitter usage patterns in destination marketing and place branding, Journal of Place Management and Development, 6 (3), pp.227-239
Zumbo-Lebrument C., 2019, « Les communautés virtuelles des marques Territoire : approche netnographique de la participation sur les Fan Pages », Revue Marketing Territorial, 3 / été, en ligne
Charles-Edouard Houllier-Guibert, « Les acteurs privés et les acteurs publics font du marketing territorial, parfois ensemble » dans © Revue Marketing Territorial, 5 / été 2020
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=514.
Maître de conférences en Stratégie et Territoire à l’université de Rouen et directeur de la Revue Marketing Territorial