Afficher le « made in » de ses produits : quels enjeux et alternatives pour les entreprises ?

Agnès François-Lecompte et Michel Gentric


Texte intégral

1« Le Made in France fait ventre » titrait, il y a peu, le journal Les Echos1 et, cela, au-delà du luxe et de la gastronomie : « dans le numérique, l’industrie, la santé… la fabrication française séduit les clients étrangers ». L’article de presse met en avant des initiatives individuelles à l’instar de la société Oniris, fabricant de dispositifs médicaux qui voit dans l’affichage de l’origine française de ses produits une garantie de sécurité et d’éthique pour ses clients et prospects étrangers. L’article vante également les mérites de marques collectives comme French Tech (numérique), French Fab (industrie) ou French Health (santé) permettant de « sortir de l’ombre notamment lors de grand Salons mondiaux ».

2Les consommateurs français ne semblent pas en reste. Ils sont 43% d’entre eux à déclarer regarder systématiquement le pays de fabrication d’un produit au moment de son achat et 74% à déclarer être prêt à le payer plus cher s’il est d’origine française2. Des données chiffrées de comportements effectifs d’achat manquent pour valider ce constat. Néanmoins, d’autres indices de l’intérêt croissant que portent de nombreux consommateurs français à l’origine France de leurs achats peuvent être avancés : le succès croissant du MIF Expo, le « Salon du Made in France » en est un. Ce salon grand public est organisé chaque début novembre à Paris depuis 2012. Il est passé de 75 exposants et 15 000 visiteurs lors de la première année à respectivement 570 et 80 000 en 20193. La présentation de plus en plus fréquente dans les médias de success stories de marques ayant joué la carte du drapeau tricolore en est un autre. La plus emblématique de ces marques est sans doute Le Slip Français. Lancé en 2011, cette entreprise de confection de vêtements fabriqués en France (200 salariés et 45 ateliers partenaires) a produit plus d’un million de pièces en 2019.

3Les produits locaux sont également plébiscités par les consommateurs français. Selon une étude de Kantar Worldpanel, 77% d’entre eux déclarent essayer d’acheter des produits locaux aussi souvent que possible. Ils invoquent pour cela leur désir de soutenir les agriculteurs et producteurs près de chez eux (63 %), devant la meilleure traçabilité (53 %), l’envie de soutenir les emplois près de chez eux (50 %) ou d’aider les petits fabricants et PME ne dépendant pas de grands groupes (42 %)4. Il existe de nombreuses définitions de ce qu’est un produit « local » mais pour 75% des français il s’agit d’un produit fabriqué dans la région où ils vivent contre 22% pour lesquels il s’agit d’un produit fabriqué dans leur pays ou encore dans un pays d’Europe (3%)5.

Figure 1. Illustrations du « Made in France »

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4L’influence du marquage de l’origine géographique des produits n’est pas un nouveau champ d’investigation pour la recherche. L’étude de Schooler (1965) semble être la première à démontrer empiriquement que des consommateurs évaluaient différemment des produits qui étaient identiques à tous égards, sauf pour leur pays de fabrication. Regroupés sous la terminologie Country of Origin (CoO), les travaux ont depuis été abondants. De l’analyse des préférences des consommateurs pour les produits ou les marques d’un pays par rapport à un autre, ils ont progressivement porté sur les images perçues des pays concernés et sur l’analyse des raisons de cette préférence. Pour décrire et mesurer l’influence de l’affichage d’un made in sur les attitudes des consommateurs, certains travaux ont focalisé leur attention sur l’image des pays, d’autres sur l’image des produits d’un pays, et enfin, d’autres tentent de lier les deux (image pays et image produit) (Roth et Diamantopoulos, 2009). Au final, le concept de CoO a donné lieu à plus de 1000 publications scientifiques (Usunier, 2006). Plusieurs articles tentent d’en faire la synthèse (Peterson et Jolibert, 1995 ; Verlegh et Steenkamp, 1999 ; Pharr, 2005 ; Usunier, 2006 ; Roth et Diamantopoulos, 2009 ; Samiee, 2010 ; Wilcox, 2015). La validité limitée des recherches sur le CoO a alors été soulignée. D’une part, elles n’ont jusqu’à présent pas pris en compte l’implication éventuelle de plusieurs pays dans la conception des produits. D’autre part, elles ont donné une importance démesurée au CoO en ne plaçant pas les consommateurs interrogés dans des conditions normales d’évaluation des produits et d’achat (Samiee, 2010).

5Ces travaux de recherche démontrent néanmoins globalement l’influence d’un marquage de type made in sur les perceptions et choix des consommateurs, que ce soit dans un sens favorable ou défavorable. Ils recommandent également aux entreprises d’exploiter ce marquage. Il est ainsi généralement admis que l’affichage d’un made in est un moyen de différencier son produit des produits concurrents, à la fois sur son marché national et à l’international (Pharr, 2005 ; Zhang et Merunka, 2014). Le plus souvent, dans la mesure ou cet affichage n’est pas obligatoire, il s’agit pour l’entreprise d’envoyer un signal de qualité ou d’expertise sur un aspect donné (Allemagne-solidité, France-luxe, Italie-esthétique) (Gabriel et Urien, 2006), et, de profiter des images associées à un territoire pour renforcer son image de marque (Diamantopoulos et Zeugner-Roth, 2010 ; Dion, Rémy et Sitz, 2010).

6Paradoxalement, ce sont sur la base de travaux étudiant les consommateurs, et non les entreprises, que sont formulées ces conclusions. Les recherches abordent peu en effet, de façon empirique, les motivations qui conduisent les entreprises à apposer un made in sur leur produit (Usunier, 2006 ; Diamantopoulos et Zeugner-Roth, 2010 ; Rashid, Barnes et Warnaby, 2015 ; Suter et al., 2018). Les raisons pouvant pousser les entreprises à mettre en avant leur origine géographique ont été étudiées essentiellement par le biais de leurs consommateurs alors que d’autres variables peuvent les influencer ce type de démarche notamment la politique de Responsabilité Sociale de l’entreprise (Foutrel et Robert Demontrond, 2015), le développement d’une marque territoriale (Spielmann et Williams, 2016), ou encore, des contingences liées à leur marché : approvisionnement, structure de la filière… (Beverland et Lindgreen, 2002). Un retour d’expérience des entreprises-même semblerait pourtant utile pour les acteurs publics ou privés en charge d’accompagner les entreprises dans ce type de démarches. D’autant plus que les acteurs du développement économique des territoires ont de plus en plus recours aux « marques territoire » avec de nombreuses questions sous-jacentes (Houllier-Guibert, 2017).

1. Problématique de la recherche

7Partant de ce constat, cette recherche souhaite compléter les connaissances actuelles en abordant la problématique suivante : quelles sont les raisons poussant une entreprise à afficher un territoire d’origine sur ses produits ? Les travaux de recherche cités ci-dessus motivent la décision d’afficher un made in quasi-exclusivement par des enjeux consommateurs. Est-ce l’unique justification évoquée par les entreprises elles-mêmes ? Les recherches antérieures ne se sont pas ou très peu intéressées au choix du territoire pertinent à afficher, ce travail a également pour objectif de le questionner. L’affichage d’un territoire d’origine des produits est l’objet analysé ici, qu’il s’agisse d’un pays ou d’une zone géographique plus restreinte, comme une région ou une localité. Cette approche, dans la lignée de travaux récents, élargit la notion de pays d’origine (country of origin) à tout territoire ayant une identité collective (territory of origin) (van Ittersum et al., 2003 ; Zhang et Merunka, 2014 ; Charters et al., 2017). Ce choix permet ainsi de mieux refléter la variété de pratiques des entreprises, qu’elles visent une clientèle internationale, nationale ou locale (Gabriel et Urien, 2006 ; Samiee, 2010).

8Ce travail questionne les motivations d’entreprises françaises commercialisant leurs produits sur leur marché national et à l’étranger. En France, comme dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, l’indication de l’origine géographique des produits n’est obligatoire que pour les produits alimentaires. Pour toutes les autres catégories de produits, cette mention est facultative. Si un fabricant décide de l’apposer sur ses produits, il doit être en mesure de la justifier et ne pas tromper le consommateur sous peine de poursuites. Pour cela, il doit se conformer aux « règles d’origine non préférentielle » définies par le code des douanes communautaires. Pour schématiser, quand des facteurs de production provenant de plusieurs pays interviennent dans l’élaboration d’un produit, ces règles établissent que le produit prend comme « nationalité » celle du pays où il a subi sa « dernière ouvraison ou transformation substantielle »6.

9Pour afficher un made in sur ses produits, un fabricant peut alors choisir d’y apposer une simple allégation commerciale, par exemple « Fabriqué en France », ou encore, opter pour l’apposition d’une marque collective (figure 2). Cette marque collective peut prendre la forme d’un label si elle intègre une certification conduite par un organisme indépendant et accrédité. C’est le cas du label « Origine France Garantie » (OFG) pour lequel certaines entreprises interrogées dans cette recherche ont opté. Pour afficher un made in sur ses produits, un fabricant peut choisir un territoire plus restreint géographiquement que le pays, pour exemples une région ou un département. Dans certains territoires régionaux, le fabricant pourra s’associer à une marque collective. C’est le cas de la marque « Produit en Bretagne » à laquelle certaines entreprises interrogées adhèrent.

Figure 2. Exemples de marques collectives de type « made in » avec affichage de logos sur les produits ou packaging

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2. Méthodologie

10La démarche adoptée est exploratoire. Des entretiens semi-directifs ont été sollicités par mail auprès de chefs d’entreprise ou de personnes en charges de ces aspects dans l’entreprise (Direction marketing, commerciale, communication…). Pour respecter les standards de l’étude qualitative exploratoire et maximiser la richesse de l’information collectée, nous avons contacté des entreprises hétérogènes de par (1) leur territoire d’origine mis en avant (local, régional, national), (2) le type d’affichage retenu (exploitation d’un label territorial préexistant ou non), et, (3) leur secteur d’activité. Pour chaque activité, nous avons interviewé des entreprises affichant des territoires de productions différents. Nous n’avons pas sollicité d’entreprises fabriquant des produits considérés comme typiques d’un territoire dont l’affichage va de soi, par exemple les nougats de Montélimar.

11Le choix d’une entreprise d’adosser ses produits à un territoire relève du marketing stratégique, au sens où cela concerne la marque et son positionnement à travers les associations positives que le territoire d’origine peut générer (Keller, 2008). La prise de décision stratégique en entreprise a fait l’objet d’une littérature ample et riche. Les auteurs formalisent souvent une série d’étapes suivies par les décideurs (Fredrickson, 1984) allant de la genèse à la mise en application des décisions, ainsi que les principaux paramètres influençant le processus de décision (Papadakis et al., 1998 ; Simons et Thompson, 1998). Les principales étapes de la prise de décision peuvent être résumées à travers le diagnostic, les choix stratégiques et le déploiement (Johnson et al., 2005). A notre connaissance, il n’existe pas de travaux ayant analysé le processus de management sur le sujet spécifique de l’affichage d’un made in. Le guide d’entretien reprend alors les grandes étapes du management stratégique : (1) la phase de diagnostic à l’origine territoriale des produits, (2) les décisions stratégiques associées et (3) le déploiement du marquage (figure 3).

Figure 3. Guide d’entretien de la recherche

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12Les entreprises ayant répondu favorablement à notre sollicitation ont comme point commun de fabriquer leurs produits sur un seul site de production et d’être donc principalement des PME. L’échantillon final compte 15 entreprises : 11 affichant leur origine française, 9 affichant leur origine locale, dont 5 en superposition avec l’origine « Made in France » (Figure 4). 10 entreprises communiquent leur made in par le biais d’un label ou d’une marque collective. Les entretiens ont été menés par téléphone et ont une durée moyenne de 42 minutes.

Figure 4. Composition de l’échantillon

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13Les entretiens nous ont permis de collecter les propos de dirigeants ou responsables d’entreprise explicitant a posteriori leurs choix et décisions d’afficher l’origine territoriale de leurs produits. Ces propos peuvent donc être apparentés à une production de légitimation. Les résultats sont issus d’une analyse thématique classique (Miles et Huberman, 1994) réalisée à partir de retranscription intégrale des entretiens et avec l’aide du logiciel Nvivo12.

3. Résultat 1 : les raisons à l’origine de l’affichage de son « made in »

14Les entretiens mettent en évidence des motifs variés, liés à l’environnement de l’entreprise ou à ses caractéristiques propres. Tout d’abord, les entreprises ont largement évoqué un contexte de consommation favorable aux produits affichant leur origine : 

« On s’aperçoit qu’il y a plutôt une tendance à dire : "je veux un produit, allez européen, peut-être français, et, certainement régional" (E8) »

« C’est vrai que les gens ont besoin aujourd’hui de transparence, ils ont besoin de sens dans leurs achats (E3) ».

15En affichant son origine locale/nationale, l’entreprise s’adresse à la cible des consommateurs intéressés par ces questions :

« Ça va aider les consommateurs dans leurs choix… du moins ceux qui ont la fibre nationale (E1) ».

16Plus largement, le made in envoie un signal de qualité et d’expertise sur les produits :

« Les produits bretons, c’est des produits costauds, […] un bon rapport qualité-prix […] on peut faire confiance à la Bretagne (E6) ».

17Cela peut parfois aider à « justifier aussi d’un prix [plus élevé] (E3) », notamment en comparaison de produits étrangers. En plus des effets positifs sur les consommateurs, cet affichage peut également être un atout vis-à-vis des distributeurs, qu’il s’agisse de la grande distribution (1), de commerces de détails traditionnels (2) ou encore de réseaux spécifiques (3) :

(1) « Peut-être qu’on est un peu porté par, enfin, à prix égal, on dira le produit breton on va le prendre plutôt que l’autre. (E8) »

(2) « Les acheteurs savent que si notre produit dit qu’il est fabriqué en Aveyron, ils le vendront plus facilement qu’un autre… Ça ouvre des portes (E5) »

(3) « On a mis en place un réseau de distribution dans les magasins bio... et là il y a une vraie reconnaissance de tout le travail que l’on a fait (E12) »

18La décision d’affichage d’un made in a parfois été initiée en réaction aux choix des concurrents. Certaines entreprises ont décidé de s’aligner sur eux :

« Les différents acteurs du marché […] ont commencé à devenir OFG et à côté de ça on ne souhaitait pas être à la traîne sur le sujet (E1) »

19D’autres ont cherché à se différencier :

« C’est aussi un axe de différenciation et de création de valeur où on se dit qu’on apporte quelque chose de différent au consommateur différent (E7) »

20Sur ces enjeux, plusieurs entreprises ont regretté les comportements opportunistes de concurrents, se revendiquant facilement « Made in France » :

« Il y a beaucoup de gens qui surfent sur le Made in France et qui affichent du "Fabriqué en France" alors que c’est seulement l’action finale qui est faite, parce qu’il n’y a pas de contrôle (E3) »

21Le label, notamment OFG, est alors une solution pour se démarquer :

« On sait que les produits qui sont labellisés Origine France Garantie sont authentiquement, véritablement, fabriqués en France (E4) »

22La décision d’afficher un territoire sur les produits peut aussi trouver son origine au sein même de l’entreprise. L’attachement historique ou affectif à un territoire est l’une des raisons évoquées par certaines entreprises interrogées :

« C’est qu’on n’a jamais pensé à mettre notre entreprise ailleurs qu’à Locronan parce que ce sont nos racines (E6) »

23Les valeurs des dirigeants et plus globalement une démarche RSE sont également citées :

« Quand on se revendique du bio aujourd’hui en France et bien il faut aller au bout de la démarche et essayer de laisser une empreinte carbone la plus minime possible (E14) »

24Les entreprises interrogées ont également mis en avant des avantages à leur affichage, mais plutôt constatés a posteriori. Le plus important réside dans les retombées positives en terme de communication. Leur témoignage est souvent sollicité, et relayé dans la presse sous forme de storytelling :

« On a profité de cet élan pour pouvoir être vu, entendu, reconnu (E10) »

25Dans certains cas, l’entreprise a également découvert une solidarité au sein du réseau d’entreprises auquel elle adhère, ou rejoint une communauté de dirigeants portés par des valeurs et intérêts communs :

« Produit en Bretagne a été une découverte extraordinaire et quand on a été référencé … tout de suite on a été connecté… et le sentiment de ne plus être seul… et après on a complètement adhéré à ce logo ces valeurs (E9) »

4. Résultat 2 : le choix du territoire affiché

26Comment une entreprise fait-elle le choix entre la dimension territoriale ou nationale des produits ? Faut-il afficher son ancrage local lorsque l’entreprise est implantée dans une région réputée pour son savoir-faire sur le bien en question ? Les préconisations du Ministère de l’Économie et des Finances : « si vous avez un ancrage territorial fort (ville ou région par exemple), lié à une histoire industrielle ou des savoir-faire spécifiques, une mention géographique locale peut être plus adaptée »7. Dans les cas contraires, le Ministère recommande de privilégier la France comme territoire d’origine : « si en revanche vos produits revendiquent un "esprit français" au sens large, s’ils sont destinés à une clientèle étrangère, ou s’ils proviennent d’un territoire sans réelle visibilité, une mention nationale conviendra davantage car elle présente également des avantages pour l’export ». L’affichage d’un made in aurait alors pour principal objectif de conquérir des clients au-delà de son marché domestique comme le suggère Kapferer (2011) la marque France. Les entreprises interrogées visant une clientèle internationale mettent en avant l’origine française de leurs produits, la France étant, de leur point de vue, le seul territoire pertinent pour cette cible :

« Le drapeau breton on le voit partout dans le monde mais les gens ne savent pas forcément ce que cela veut dire […] le Fabriqué en France à l’étranger est une garantie (E9) »

27Le périmètre national est aussi retenu par les entreprises vendant sur tout le territoire français et qui ne voient pas de plus-value à afficher leur territoire local :

« On nous a dit qu’il fallait pas qu’on s’enferme trop dans le coté breton, parce qu’on risquait […] que le reste de la France n’arrive pas s’identifier (E13) »

28A contrario, le local est privilégié sur le marché domestique quand l’entreprise perçoit que des valeurs positives sont associées au territoire local, ou encore, quand les produits et le territoire sont liés par une histoire, un savoir-faire :

« Je crois qu’on a la chance en Bretagne d’avoir une forte identité bien au-delà de l’aspect national (E8) »

« C’est une région de France [la Bretagne] qui est clairement identifiée, et en plus qui est identifiée par des produits comme les nôtres, le caramel au beurre salé, les sardines… (E9) »

29L’analyse des discours montre néanmoins que les critères évoqués précédemment ne suffisent pas toujours à expliquer le choix du territoire affiché. Par exemple, deux entreprises implantées dans la même région, appartenant au même secteur d’activité et opérant toute deux sur l’ensemble du marché français ont fait des choix différents quant au territoire affiché (E1-E6). Cela montre le rôle de l’attachement à un territoire (E6) et l’aspect subjectif des associations produits/territoires.

30C’est aussi parfois l’adhésion à un groupement d’entreprise, qui va, de fait, établir le territoire sur lequel l’entreprise va communiquer. Le choix d’un affichage local est ainsi parfois le corollaire de l’apparition d’une nouvelle marque territorialisée (E5). La création du label OFG en 2011 a par exemple lancé un nouvel élan sur le « Made in France » (E3, E4, E10, E12).

31Enfin, la recherche a montré le caractère parfois évolutif du territoire sur lequel l’entreprise communique. La clientèle et l’environnement concurrentiel peuvent par exemple changer avec le temps. L’arrivée de concurrents communiquant sur le « Made in France » a par exemple poussé une entreprise à évoluer dans le périmètre de made in mis en avant :

« Depuis 3 ans […] on est en train de valoriser le local, plutôt que le Made in France pur et dur (E7) »

32A l’occasion de l’entrée sur les marchés internationaux, certaines entreprises communiquant uniquement sur leur ancrage local, ont évoqué la nécessité d’apposer leur origine française en complément. Ce phénomène a également été constaté pour les entreprises élargissant leur vente à l’ensemble du territoire français (E11). Enfin, certains évènements, comme le salon du Made in France, peuvent aussi pousser les entreprises à valoriser de façon ponctuelle leur origine d’un territoire donné (E10). Au final, le périmètre mis en avant est donc contingent, évolutif et multiple. Plusieurs entreprises font en effet le choix d’afficher plusieurs territoires d’origine sur les packagings de leurs produits (Figure 4). Ce constat souligne la forte imbrication entre l’affichage régional et national.

Conclusion 

33Historiquement, la littérature existante en marketing s’est focalisée de façon quasi-exclusive sur les consommateurs, et les effets potentiels du marquage d’origine sur cette cible (Suter et al., 2018). Les stratégies menées par les entreprises n’ont fait, en comparaison, l’objet que de très rares contributions. Quelques études ont ainsi exploré les différentes façons possibles pour une entreprise de communiquer sur son origine géographique (Aichner, 2014 ; Suter et al., 2018). Différents auteurs ont également exploré comment les stratégies de communication variaient selon le pays de vente et la catégorie de produits vendus (Beverland et Lindgreen, 2002 ; Rashid et al., 2016). Zhang et Merunka (2014) fournissent également un ensemble de recommandations pour une entreprise souhaitant intégrer le « territoire d’origine » dans sa marque :

  • s’assurer de la congruence entre le produit et les images évoquées par le territoire, par exemple en mobilisant ses ressources naturelles (le soleil ou la qualité des sols permettent la culture de la vigne),

  • apporter les preuves de son made in, par exemple par l’obtention de labels garantissant la traçabilité des matières premières, le respect de processus de fabrication,

  • rendre unique son origine géographique en la personnalisant, par exemple avec une mise en récit de l’authenticité de la marque incluant non seulement son origine territoriale mais aussi son histoire,

  • nouer des liens avec le territoire mis en avant par exemple au travers d’une politique de Responsabilité sociale territorialisée.

34Ces travaux et recommandations ne sont cependant pas issues de données de terrain. Ils n’ont pas non plus étudié les raisons de l’affichage du CoO prenant pour acquis qu’elles sont étroitement liées au positionnement voulu auprès des consommateurs.

35En France, quelques travaux de recherche empiriques ont récemment rendu compte des motifs d’adhésion à une marque régionale collective (Foutrel et Robert-Demontrond, 2015 ; Martin et Capelli, 2017 ; Rochette et Zumbo-Lebrument, 2017 ; Houiller-Guibert et al., 2018). Ils n’abordent pas néanmoins les enjeux spécifiques de l’affichage du made in sur les produits, à destination des consommateurs. Au final, le travail présenté rejoint leurs résultats en mettant en évidence d’autres motivations que les seuls mobiles marketing. Il met en évidence des déterminants communs aux deux questions de recherche (raisons à l’origine de l’affichage et choix du territoire affiché). Ils peuvent être classés en 5 catégories : l’existence d’une démarche RSE ou d’un attachement à son territoire ; l’existence de labels et de marques territoriales collectives ; un objectif de positionnement vis à vis des concurrents ; la valorisation de la marque auprès des clients (consommateurs et distributeurs) ; un contexte et des retombées médiatiques favorables. Ces déterminants montrent que les enjeux de l’affichage d’un made in vont au-delà de la problématique consommateur jusqu’à présent quasi-systématiquement mise en avant par les travaux de recherche en marketing. A ce stade, l’attachement à un territoire, l’appartenance à un réseau et l’engagement dans une démarche RSE nous apparaissent relever davantage de choix stratégiques engageant l’entreprise sur le long terme comparativement aux déterminants marketing (positionnement auprès des clients) qui semblent plus tactiques.

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Zhang, M., & Merunka, D. (2014). The use of territory of origin as a branding tool. Global Business and Organizational Excellence, 34(1), 32-40.

Notes

1 Askenazi, B., Le Made in France fait vendre, Les Échos 05/02/2020, n°23131, p.4

2 Étude IFOP, août 2018, auprès de 1015 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus. URL : https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-made-in-france-vague-2018/

3 Colas des Francs, O., Les consommateurs sont les arbitres du succès du Made in France, Les Echos, 21/11/2019, n°23078, p.42

4 Étude LinkQ Labels/Mentions, septembre 2017, Kantar Worldpanel, citée dans « Le local prend son essor, Libre-Service Actualité, 11/04/2019, 11 avril 2019, p.64

5 Étude Conso 2020, Observatoire Cetelem, octobre 2019 auprès d’un échantillon représentatif de la population française.

6 Pour de plus amples informations le lecteur pourra se reporter aux pages dédiées du site internet des douanes françaises : https://www.douane.gouv.fr/dossier/origine-non-preferentielle-et-marquage-de-lorigine

7 Direction Générales des Entreprises

Pour citer ce document

Agnès François-Lecompte et Michel Gentric, « Afficher le « made in » de ses produits : quels enjeux et alternatives pour les entreprises ? » dans © Revue Marketing Territorial, 5 / été 2020

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=507.

Quelques mots à propos de :  Agnès François-Lecompte

Maitre de Conférence HDR en sciences de gestion à l'Université Bretagne Sud, elle conduit des travaux de recherche sur le développement durable. Son expertise porte plus spécifiquement sur la consommation responsable, le tourisme durable ou encore les liens entre marketing et RSE.

Quelques mots à propos de :  Michel Gentric

Docteur en Sciences de Gestion, Michel Gentric est maître de conférences à l’Université de Bretagne Sud et membre du Laboratoire de recherche d’Économie et de Gestion de l’Ouest (LEGO). Ces travaux de recherche portent sur l’appréhension par les acteurs économiques privés et publics des outils marketing - notamment les marques et labels - dans leur démarche de développement durable.