Événements culturels et reconfiguration créative du territoire local : le cas emblématique de la Fête des Lumières

Thomas Bihay


Résumés

Cet article porte sur l’intégration des événements culturels aux politiques de reconfiguration territoriale dans l’objectif de susciter et diffuser une représentation créative du territoire local. Pour ce faire, dans une perspective propre aux sciences de l’information et de la communication, l’analyse s’ancre dans le cas de la Fête des Lumières et repose sur l’hypothèse que ces politiques portent sur une triple reconfiguration : tangible, réticulaire et symbolique. À travers une méthodologie plurielle (lexicale, thématique, sémiologique, énonciative et rhétorique), nous montrons tout d’abord que cet événement constitue un référent territorial valorisant le patrimoine, les savoir-faire, compétences et acteurs des secteurs culturels et créatifs distinctifs du territoire métropolitain lyonnais, mais aussi le dynamisme des politiques publiques locales. Nous soulignons ensuite que la FdL est un projet permettant de fédérer et structurer les réseaux d’acteurs implantés localement et de positionner Lyon dans des réseaux internationaux. Enfin, nous mettons l’accent sur la manière dont ces éléments contribuent à susciter et diffuser une représentation créative du territoire.

Texte intégral

1Dans cet article, nous nous intéressons aux politiques de reconfiguration du territoire local menées dans le contexte des industries créatives (Tremblay, 2008 ; Bouquillion, 2010 et 2012), dans une perspective propre aux sciences de l’information et de la communication (SIC). Par politiques de reconfiguration territoriale, nous désignons ici les politiques portées par, ou auxquelles se joignent des acteurs hétérogènes (politiques, industriels, culturels…) visant à transformer durablement la représentation d’un territoire donné (Bihay, 2018a et 2019). À l’instar de la société de l’information avant elles (Simioni, 2002 ; Miège, 2008), nous appréhendons les industries créatives en tant que théorie scientifiquement construite, bien que sujette à critique (Paquienséguy, 2010 ; Tremblay et Tremblay, 2010 ; Pratt et Hutton, 2013), et idéologie de légitimation des pratiques d’acteurs hétérogènes (Garnham, 2005 ; Schlesinger, 2007 ; Tremblay, 2008), au premier rang desquels figurent ceux politiques et industriels.

2À ce titre, la façon dont certains événements culturels sont intégrés aux politiques de reconfiguration du territoire local dans l’objectif d’en susciter et diffuser une représentation « créative » (Miot, 2015) nous intéresse spécifiquement. Nous faisons l’hypothèse que ces politiques portent sur une triple de reconfiguration : tangible, réticulaire et symbolique. L’analyse s’ancre dans le cas de la Fête des Lumières (FdL), représentatif de la montée en puissance et de l’intégration d’événements culturels (Quais du Polar, Festival Lumière…) aux politiques de reconfiguration menées sur Lyon depuis une vingtaine d’années (Bihay, 2019). Ce territoire est quant à lui emblématique des processus de mondialisation, de décentralisation et de métropolisation, mais aussi des politiques initiées sur d’autres territoires (Londres, Berlin, Lille, Reims…).

3Après avoir exposé les cadres théorique et méthodologique, nous mettons l’accent sur chacune des trois reconfigurations. Nous montrons que la FdL est un référent territorial renvoyant vers des réalités diverses (patrimoine, savoir-faire, secteurs culturels et créatifs…) et un projet fédérateur d’acteurs hétérogènes, utilisé pour positionner Lyon dans des réseaux et labels internationaux. Nous évoquons ensuite comment ces éléments contribuent à susciter une représentation créative du territoire, avant de conclure en soulignant la manière dont les résultats de l’étude valident notre hypothèse.

1. La reconfiguration créative du territoire au regard d’un événement culturel

4Les industries créatives sont définies et promues par des institutions internationales et nationales (Commission Européenne, UNESCO, France Créative, DCMS…) et des auteurs, dont Landry (2008 [2000]) et Florida (2004 [2002] et 2005). Elles renvoient à quelques secteurs (édition, artisanat, audiovisuel, publicité…), présentés comme ayant le mieux résistés à certaines crises économiques et financières (Liefooghe, 2015) et en direction desquels des mesures de soutien favoriseraient le développement du territoire, pour ne pas dire de la société et de l’économie toutes entières. Comme la société de l’information avant elles, ces industries sont présentées comme l’un des paradigmes socio-économiques (Garnham, 2000) susceptible d’expliquer les processus de mutation en cours et d’y apporter des réponses efficaces dans un contexte marqué depuis une quarantaine d’années par deux processus complémentaires (Saez, 2012) : d’une part, la mondialisation qui accentue la concurrence entre territoires (Bonnet et Broggio, 2009 ; Rochette, 2012) renforcée par le développement rapide des technologies de l’information et de la communication numériques ; d’autre part, la décentralisation qui confère davantage d’autonomie aux collectivités territoriales. À ceux-ci s’ajoute le processus de métropolisation (Saez et Saez, 2012 ; Ghorra-Gobin, 2015), d’autant plus important à souligner que la Métropole de Lyon dispose d’un statut inédit en France1. De ce fait, les politiques de reconfiguration sont exacerbées par la nécessité d’affirmer l’identité de la nouvelle collectivité, tant au plan local, national qu’à l’international.

5Les discours des institutions et des auteurs promouvant les industries créatives présentent une valeur prescriptive. Ils s’appuient sur les promesses du redressement et de la croissance économiques faites aux territoires qui développeraient des politiques s’inscrivant dans leur filiation, c’est-à-dire sur lesquels seraient mis en place des pratiques et agencements qu’ils prescrivent (Liefooghe, 2010 ; Bouquillion, 2012 ; Bihay, 2018b). Outre des bienfaits économiques, ces industries sont présentées comme garantissant une augmentation du bien-être ou encore le gage d’un mieux-vivre sur le territoire. La réalisation de ces promesses reposerait sur la capacité d’un territoire à présenter un environnement favorable lui permettant d’attirer certains types de travailleurs dits créatifs (artistes, entrepreneurs, académiques…), ceux-ci le rendant à leur tour attractif pour les entreprises, investisseurs et touristes étrangers. Le fait d’être représenté en tant que territoire créatif revêt dès lors des enjeux stratégiques, cette notion proposée par Landry (2008 [2000]) faisant toujours l’objet d’un travail de promotion de la part d’institutions, dont témoigne le moniteur des villes culturelles et créatives publié par la Commission Européenne. Nous privilégions ici l’acception du territoire créatif proposée par Miot (2015 : 139-140) qui synthétise les définitions proposées par plusieurs auteurs (Florida, 2004 [2002] et 2005 ; Greffe, 2000 ; Landry, 2008 [2000] ; Pratt et Hutton, 2013). Ainsi, le territoire créatif est celui sur lequel des politiques publiques :

  • sont « mises en œuvre sous la forme de projets urbains multidimensionnels, [laissant] un rôle important, voire dominant au levier culturel dans la régénération urbaine (Landry, 2000, 2006 ; Florida, 2002), tant en termes de création d’équipements que de développement d’événements » (Miot, 2015 : 139) ;

  • accordent une place centrale au patrimoine, à la culture et à la créativité dans la constitution d’une représentation territoriale distinctive ;

  • sont mises en place en faveur de secteurs dits créatifs (design, numérique…) et d’une culture entrepreneuriale forte, tout en en faisant des piliers du développement et de la reconnaissance économique du territoire ;

  • accordent un rôle déterminant au levier culturel dans la mise en place d’une dynamique métropolitaine.

6À travers l’analyse, nous nous intéressons alors à la manière dont l’intégration de la FdL aux politiques de reconfiguration contribue à mettre l’accent sur ces traits du territoire créatif.

1.1. La triple reconfiguration du territoire local pour hypothèse

7La FdL est intégrée aux politiques de reconfiguration du territoire métropolitain lyonnais afin d’en susciter une représentation créative. Pour le comprendre, l’analyse est guidée par l’hypothèse selon laquelle ces politiques reposent sur trois niveaux de reconfiguration complémentaires (Fig. 1). Le premier est celui de la reconfiguration « tangible » (Bihay, 2018a et 2019) et désigne le développement d’institutions et d’événements culturels, la mise en place de projets d’aménagement du territoire, l’édification de bâtiments ou encore la création d’infrastructures dédiées aux secteurs créatifs (pépinières, pôles…). Pour qualifier cette reconfiguration, nous nous sommes appuyés sur des auteurs tels qu’Evans (2003), Houllier-Guibert (2011), Houllier-Guibert et Le Corf (2015) ou encore Riza, Doratli et Fasli (2012). Ces derniers indiquent :

« il y a principalement trois approches pour promouvoir les villes : les grands événements culturels, la restauration et la promotion de l’héritage et la construction de bâtiments emblématiques » (Ibid. : 294).

8Le Corf (2013) et Lefèvre (2017), qui analysent les enjeux stratégiques des pôles et pépinières en termes de reconfiguration, ont aussi nourri notre réflexion. À ce sujet, dans cet article, nous nous référons à l’acception de l’événement culturel proposée par Collard, Goethals et Wunderle (2014 : 11-20). Selon eux, il présente cinq caractéristiques :

  • une centralité est accordée à la création artistique ;

  • il s’inscrit dans un territoire donné au sein d’espaces qui ne sont pas exclusivement dédiés à la culture (rues, friches, ponts…) ;

  • il fait l’objet d’une planification et a une durée clairement délimitée ;

  • il participe à « repositionner l’accès à la culture au-delà d’un public coutumier caractéristique des équipements culturels traditionnels » (Ibid. : 14) ;

  • il se distingue par sa « rareté », c’est-à-dire que « chaque événement est unique en fonction des interactions qui apparaissent entre les lieux, les acteurs, les artistes et, plus largement, l’organisation » (Ibid. : 15).

9La FdL répond à l’ensemble de ces traits distinctifs.

10Le deuxième niveau est celui de la reconfiguration « réticulaire » qui concerne la réorganisation et la création de réseaux d’acteurs hétérogènes, mais aussi le positionnement du territoire dans des réseaux nationaux et internationaux, dont la plupart sont liés à des labels. Les travaux de Noyer et Raoul (2011) ainsi que ceux de Bardet et Healy (2015) et de Cardy (2011 et 2013) sur la centralité des palmarès dans les politiques de communication territoriale nous ont ici guidés.

11Enfin, la reconfiguration « symbolique » concerne la constitution et diffusion d’une représentation prenant appui sur les deux niveaux précédents. Le « travail territorial » des médias locaux (Noyer et Raoul, 2011) conduit à interroger deux axes complémentaires :

  • la façon dont ils s’organisent sur un territoire donné, ce qui renvoie à la reconfiguration réticulaire ;

  • le « discours territorialisant », c’est-à-dire les contenus et services qu’ils diffusent quant à ce territoire.

12Dès lors, le territoire peut être appréhendé en tant que construit social auquel participent les instances hétérogènes qui l’énoncent. Nous considérons le territoire dans une perspective communicationnelle puisque nous cherchons à comprendre :

« comment et en quoi le discours médiatique et, de manière plus large, le contenu des médias et les dispositifs selon lesquels ils s’organisent entretiennent, explicitement ou en palimpseste, des représentations inhérentes à - ou induites à partir de - la substance de l’espace et de sa forme, en observant que, dans et par les contenus qu’ils produisent, les médias entretiennent un certain rapport (pragmatique, affectif, historique, fantasmé...) aux lieux dont ils parlent et façonnent un certain sens de ces mêmes lieux » (Ibid. : 20).

13À l’instar de Noyer et Raoul et d’autres auteurs (Bensoussan et Cordonnier, 2011 ; Debarbieux, 1995 et 2010), nous appréhendons le territoire en tant que construit social dont participent des acteurs (politiques, médiatiques, culturels…) qui diffusent des discours y étant relatifs, mais aussi y inscrivent leurs pratiques, tendant à modifier cette représentation (Arnaud, 2014). Nous le considérons dans sa dimension identitaire, c’est-à-dire sentimentale et symbolique pour ses habitants et acteurs représentatifs (industriels, culturels, politiques…), mais aussi pour les entités extérieures. Une telle acception souligne le rôle joué par des acteurs hétérogènes dans la constitution et la diffusion d’une représentation territoriale distinctive. Elle est adaptée à l’appréhension du territoire dans une perspective propre aux SIC (Bonaccorsi et Cordonnier, 2019).

Figure 1. Synthèse de la triple reconfiguration territoriale

Image 100002010000058D000003B1B742D485.pngSource : Thomas Bihay

14Nous élargissons cependant l’acception du discours territorialisant car l’analyse porte sur des supports de communication liés à la FdL et une partie des vingt-quatre entretiens2 réalisés avec des représentants d’acteurs lyonnais. Le site officiel de la FdL et le dossier de presse3 de l’édition de 2015 sont des supports constituant des vitrines de l’événement qui cristallisent les projets et partenariats.

1.2. Une méthodologie d’analyse plurielle

15Pour analyser ces discours, des méthodes d’analyse complémentaires sont utilisées : lexicale, thématique, rhétorique, énonciative et sémiologique. L’analyse vise à identifier la manière dont le lexique et les champs lexicaux utilisés pour qualifier la FdL et le territoire sont identiques à ceux distinctifs des discours institutionnels sur les industries créatives. Déjà repérés (Bihay, 2018b), ils permettent d’identifier les notions (talent, classe créative…), champs lexicaux (créativité, innovation, attractivité, réseaux…) ainsi que les thèmes renvoyant aux agencements et pratiques prescrits dans ces discours et à leurs justifications (développement économique, visibilité du territoire, cohésion sociale…).

16À travers l’analyse thématique, il s’agit d’identifier :

  • les éléments confortant l’hypothèse de la triple reconfiguration

  • les thèmes renvoyant aux traits de la ville créative

  • mais aussi la façon dont les discours territorialisants relatifs à la FdL et, par extension, au territoire lyonnais évoquent des thèmes distinctifs des discours institutionnels, leur utilisation contribuant à légitimer la FdL et les politiques menées sur le territoire

17Une attention particulière est accordée à la rhétorique pour mettre en évidence les stratégies discursives utilisées sur le site et dans le dossier de presse, en tenant compte des « dispositifs langagiers » (Nugara, 2014). L’observation des modalités énonciatives donne accès à la manière dont des acteurs se saisissent des thèmes et champs lexicaux distinctifs des discours institutionnels sur les industries créatives pour légitimer et promouvoir leurs activités. Une analyse sémiologique prend en compte la dimension iconique (images, dessins…) et la complémentarité entre différents systèmes sémiologiques (textes, images, graphiques…). Elle est utile pour l’étude du site web, puisque des liens hypertextes révèlent les relations entretenues par certains acteurs. Avec cette méthodologie, nous montrons la manière dont la FdL témoigne de l’intrication des trois niveaux de reconfiguration proposés, mais aussi comment elle participe à susciter une représentation créative du territoire métropolitain lyonnais construite et stratégique.

2. Résultats et discussion

2.1. D’une fête historique et religieuse à un événement de valorisation du territoire

18La FdL est une fête historique et religieuse peu à peu réorientée pour en faire un événement culturel valorisant le patrimoine architectural et monumental puis, par la suite, les savoir-faire et compétences en matière de technologies de la lumière, ainsi que les acteurs et filières installés sur le territoire lyonnais. La FdL trouve ses origines le 8 décembre 1852, date à laquelle une statue de la Vierge est inaugurée sur la colline de Fourvière et commémorée chaque année par les lyonnais qui mettent des lumignons à leurs fenêtres. Elle évolue peu jusqu’en 1989, lorsque le premier Plan Lumière est lancé. Il consiste en la valorisation :

« des sites les plus prestigieux de la ville […] [et en une] réflexion sur l’évolution de l’éclairage fonctionnel, les Plans Lumière successifs [étant] nés d’une démarche tout à la fois politique, technique et artistique. […] La lumière […] est tournée vers l’esthétisme, l’ambiance et le bien-être visuel, et modifie ainsi en profondeur l’image de la ville »4.

19Autour de ce plan se développe l’idée de valoriser les savoir-faire, compétences et acteurs liés aux technologies de la lumière, concrétisée en 1999. Une tension entre ancrage territorial historique et volonté de faire de cette fête un référent territorial de portée internationale apparaît dès lors. En effet, il s’agit de développer un événement (reconfiguration tangible) pour promouvoir Lyon comme territoire de référence à l’international tant du fait de son patrimoine, que des savoir-faire, compétences et acteurs liés aux technologies de la lumière, auxquels se sont ajoutés ceux du numérique (reconfiguration symbolique). La FdL concourt aussi à susciter une représentation créative du territoire en renvoyant à la place centrale accordée à la culture dans les politiques de régénération urbaine. Elle sert également à valoriser le dynamisme des politiques culturelles menées sur le territoire lyonnais, l’enjeu étant de les légitimer. La déambulation urbaine sur laquelle repose l’événement revêt une dimension stratégique. Si les bâtiments et monuments servent de supports pour les jeux de lumières qui en soulignent les particularités architecturales (Fig. 2), chaque édition est une occasion de promouvoir les projets d’aménagement finalisés ou en cours de réalisation. Par exemple, le tunnel mode doux de la Croix-Rousse, inauguré en 2013, et la Tour Incity du quartier de la Part-Dieu, en 2015, ont été mis en lumière à cette occasion. La FdL sert ainsi à présenter les travaux de rénovation de l’éclairage effectués dans le cadre du Plan Lumière, tout en valorisant les avancées en matière de développement durable. Ces mises en lumière sont regroupées sous le terme de « lumières pérennes ».

Figure 2. La Cathédrale Saint-Jean (Évolutions, 2016) et l’Opéra de Lyon (Les Anoukis s’invitent à l’opéra, 2014)

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Source : Thomas Bihay

20Par les œuvres éphémères et pérennes, la lumière et le numérique sont mis en évidence au titre de savoir-faire et de compétences ancrés territorialement. Ce ne sont cependant pas les seules entités indissociablement patrimoniales et innovantes dont il est question lors de la FdL. D’autres œuvres sont fréquemment dédiées à Antoine de Saint-Exupéry dont Dessine-moi… des lumières en 2013 et Vol de Nuit en 2016. Des références sont aussi faites à d’autres secteurs dont celui du cinéma, mis en scène en 2017 sur la place des Terreaux dans une projection, Enoha fait son cinéma, décrite comme suit : « […] retrouvez la magie du 7ème art, au cœur même de la ville qui l’a vu naître ! ». Cette œuvre renvoie aussi à la manière dont la FdL ainsi que d’autres événements et acteurs culturels et créatifs se mettent en valeur les uns les autres. En effet, elle est liée à l’exposition Lumière ! Le cinéma inventé se tenant au Musée des Confluences à cette même époque. De même, une fresque intitulée Thank You Monsieur Paul a été inaugurée en 2015 pour rendre hommage à Paul Bocuse. L’objectif est de mettre en avant le passé gastronomique de Lyon, pour en faire un territoire de référence.

21En une vingtaine d’années, le caractère religieux a perdu du terrain au profit d’un événement concourant à rendre Lyon créatif. Nous empruntons à Debarbieux (1995 et 2010) l’expression « lieux de condensation » pour désigner la capacité de lieux (pyramides, Tour Eiffel…) à faire référence à un territoire donné via un glissement métonymique, ce que nous élargissons : les lieux ne sont pas les seuls référents diffusés dans les discours territorialisants. En effet, la FdL, mais aussi le patrimoine (cathédrales, quartiers historiques, parcs...), certaines industries (cinématographique, numérique…), des projets d’aménagement ou encore des savoir-faire et compétences auxquels elle renvoie constituent autant de référents concourant à l’idéologie créative. Outre le fait de confirmer l’intrication entre les reconfigurations tangible et symbolique, la FdL est donc un méta-référent de condensation puisqu’elle renvoie vers d’autres référents hétérogènes. Cette pratique est représentative des politiques menées en ce qui concerne d’autres événements et projets urbains sur la métropole. En effet, Nuits Sonores, le Festival Lumière ou encore le Quartier de la Confluence et son musée sont au cœur des mêmes politiques. Tous constituent des méta-référents intégrés aux discours territorialisants diffusés sur des supports de communication et médiatiques pour susciter l’idéologie de la créativité (Bihay, 2017 et 2019).

2.2. De la structuration des réseaux d’acteurs implantés localement au positionnement du territoire à l’international

22Notre analyse de la FdL confirme aussi la forte intrication entre les niveaux de reconfiguration tangible et réticulaire. La FdL constitue un projet fédérateur et structurant des réseaux d’acteurs hétérogènes implantés localement, positionnant Lyon dans des réseaux et labels internationaux. Dans la continuité de l’orientation prise en 1999, marquant la création d’un partenariat entre la Ville de Lyon et des acteurs industriels (EDF, Sonepar et Le Mat’Électrique), un nouveau changement s’opère en 2002 avec la création du Club des Partenaires dans l’objectif de fédérer le tissu économique local autour de la FdL. Aux acteurs fondateurs s’ajoutent plus de soixante-dix entreprises participant au financement des festivités. La création de cette association présente un double enjeu. D’une part, son statut revêt une dimension stratégique pour la ville, puisqu’il dispose d’une plus grande latitude d’action en matière de partenariats entrepreneuriaux, lui octroyant des sources de financement pour favoriser la montée en puissance de l’événement. D’autre part, il s’agit de bénéficier d’une mise en visibilité, ce qui est stratégique dans le contexte de la mondialisation (Bonnet et Broggio, 2009), tout en tissant des relations avec d’autres acteurs aussi bien industriels, politiques que culturels. De manière plus générale, la FdL est utilisée pour valoriser le tissu d’acteurs entrepreneuriaux implantés localement (reconfiguration réticulaire) et mettre en exergue le dynamisme économique et créatif du territoire.

23La vitalité des acteurs culturels et créatifs est également mise en exergue par la création d’autres réseaux et partenariats autour de la FdL. Outre la valorisation de ceux entretenus avec des institutions culturelles, des partenariats sont tissés entre la Ville de Lyon, le Cluster Lumière, qui regroupe des entreprises et organismes spécialisés dans les technologies de la lumière, et l’association LUCI (Lighting Urban Community International), liée à la création d’un réseau international au nom éponyme, dans le cadre du Lyon Light Festival Forum (salon international des professionnels de la lumière événementielle). Par la création de ces clusters et réseaux connexes à la FdL, Lyon apparaît comme offrant une attention particulière « aux secteurs économiques dits créatifs dans le développement ou la reconnaissance économique et les modalités d’organisation des secteurs économiques en milieu propre à faire germer une culture entrepreneuriale territoriale » (Miot, 2015 : 140). Des partenariats particuliers avec les établissements d’enseignement supérieur permettent la réalisation d’œuvres par les étudiants. Intitulées « expérimentations étudiantes », la mise en avant de ces établissements atteste de la présence d’une main-d’œuvre qualifiée formée sur le territoire, considérée comme un critère d’attractivité territoriale auprès des entreprises étrangères (Florida, 2004 [2002] et 2005). D’autres partenariats sont mis en place avec des médias (France 3, Le Monde, Radio Scoop…), assurant la couverture médiatique de l’événement. Ils sont souvent liés à la création de prix tels que le Trophée des Lumières, récompensant les meilleures mises en lumières et réalisations techniques, décerné par la Ville de Lyon et France 3. Fonder un prix et le décerner affirme l’engagement dans des domaines spécifiques. La Ville de Lyon a créé un trophée avec Récylum (association de récolte et recyclage des lampes usagées), affirmant l’idéologie du développement durable, souvent associée aux industries et à l’économie créatives (Pascual Espuny, 2010). Les citoyens sont eux aussi mis à l’honneur comme partenaires, principalement en tant que bénévoles sans qui la FdL ne pourrait avoir lieu. Des activités caritatives sont adjointes à l’événement dont les Lumignons du cœur qui favorisent la cohésion sociale des populations locales, ces thèmes étant caractéristiques des justifications évoquées dans les discours institutionnels sur les industries créatives (Bihay, 2018b).

24La FdL occupe une place prépondérante dans les politiques de reconfiguration réticulaire. À l’instar d’autres événements (Bihay, 2019), elle constitue un projet fédérateur et structurant des réseaux d’acteurs implantés localement. Le terme « projet » doit ici être entendu au sens de Boltanski et Chiapello (2011 [1999]). La FdL constitue un nœud autour duquel s’organisent des acteurs hétérogènes, valorisés par leur participation à certaines manifestations, activités et réseaux connexes. La FdL permet de fédérer ces acteurs aux besoins et objectifs antinomiques autour d’un but commun qu’est la promotion du territoire local, tout en dissimulant en partie le fait que sont avant tout poursuivis des objectifs économiques et politiques. Les références faites à la participation de la FdL au développement économique, à la visibilité et à l’attractivité du territoire ou encore à la cohésion et à l’intégration sociales justifient et encouragent leur participation et légitiment les politiques publiques. Ces thèmes correspondent à ceux évoqués dans les discours institutionnels promouvant les industries créatives.

25Le site et le dossier de presse analysés mettent en évidence les manifestations connexes et les partenariats, tout en les regroupant sous une même bannière, comme l’explique Florence Richard. Selon elle, ce site est :

« le site global de l’événement. Nous ne nous occupons que de ce qui a trait à l’espace du Club des Partenaires, seule cette partie est liée à nous. […] La FdL, c’est une organisation de projets par la Ville de Lyon et en grande partie le Club. Le Club n’a pas d’autre objectif que de travailler pour la FdL. Notre structure a pour objet de fédérer le tissu économique pour faire rayonner la FdL ».

26La FdL permet aussi de positionner Lyon aux rangs national et international en tant que territoire créatif. Trois pratiques principales sont identifiées. La première consiste en l’exportation des œuvres, savoir-faire et compétences. Lyon entretient des partenariats qui reposent sur l’apport d’une expertise pour aider d’autres villes à réaliser leur propre fête, l’export d’œuvres réalisées pour les festivités lyonnaises ou encore sur l’accueil de créations étrangères, comme en témoignent les collaborations tissées avec Shanghai et Zigong en 2015 ou encore Hong Kong en 2016 (Fig. 3). L’accueil de délégations et artistes étrangers met en évidence les collaborations internationales à propos des technologies de la lumière et du numérique, mais aussi à propos de l’organisation d’événements. À ce titre, la FdL est intégrée aux stratégies de communication portées par OnlyLyon, la démarche de marketing territorial de la Métropole de Lyon. Sur le site, il est précisé que cette

« fête internationale […] rayonne bien au-delà de l’événement lyonnais tant elle est devenue une source d’inspiration et de création à travers le monde. De nombreuses œuvres présentées à Lyon sont ainsi "rejouées" ensuite en France comme à l’international. Les équipes de la [FdL] travaillent de concert avec ONLYLYON, le programme de promotion internationale de la métropole. L’internationalisation de la Fête est ainsi passée au fil des ans, d’un modèle d’assistance à maîtrise d’ouvrage à un vrai modèle de marketing territorial. ONLYLYON saisit en effet ces événements internationaux comme autant d’opportunités de faire la promotion de la métropole Lyonnaise, de son art de vivre et de sa dynamique culturelle notamment en matière de conception lumière, qui reste l’un des vecteurs forts de notoriété pour Lyon. Un logo spécial a même été développé afin de revendiquer l’inspiration lyonnaise de ces événements lumière à l’international avec une mention "inspired by Lyon Festival of Lights" ».

27La deuxième pratique repérée est la création d’événements et réseaux connexes à la FdL, principalement d’ordre professionnel, qui positionnent Lyon comme nœud central de réseaux d’acteurs internationaux, dans les domaines des technologies de la lumière et du numérique, mais aussi en matière d’organisation d’événements. La création, en 2002, de l’association LUCI, un réseau international regroupant des villes présentées comme « convaincues du rôle essentiel que joue la lumière dans le développement urbain, économique et social »5 est une étape importante qui situe Lyon en tant que territoire « spécialiste de la lumière »6 lorsque la ville organise des manifestations professionnelles. Le Lyon Light Festival Forum va aussi dans ce sens.

Figure 3. Extrait du dossier de presse consacré aux partenariats internationaux (Ville de Lyon, 2015 : 9)Image 1000000000001821000023928EFEE25F.png

28Enfin, la FdL sert à positionner Lyon au sein de réseaux internationaux existants, ce que montre sa labellisation en tant que Ville créative des arts numériques du réseau Villes créatives de l’UNESCO, en 2008. La FdL est effectivement mentionnée dans le dossier de candidature de Lyon, publié en 2007, comme l’un des trois « grands événements [liés à] la création numérique »7. Ce réseau est symptomatique de la façon dont des institutions internationales sont prescriptrices de pratiques et agencements qui concourent au déploiement des industries créatives sur les territoires locaux. En effet, l’UNESCO affirme sa volonté de

« promouvoir la coopération avec et entre les villes ayant identifié la créativité comme un facteur stratégique du développement urbain durable. Les 180 villes qui forment actuellement ce réseau travaillent ensemble vers un objectif commun : placer la créativité et les industries culturelles au cœur de leur plan de développement au niveau local et coopérer activement au niveau international »8.

29Pour être labellisée, la ville doit répondre à des critères dont une partie renvoie aux traits de la ville créative. Ainsi, en « rejoignant le Réseau, les villes s’engagent à partager leurs bonnes pratiques, à développer des partenariats pour promouvoir la créativité et les industries culturelles, à renforcer la participation à la vie culturelle et à intégrer la culture dans les plans de développement urbains »9. Les objectifs du réseau et les domaines d’intervention sur lesquels doivent porter les politiques des villes labellisées révèlent le rôle prescripteur de l’UNESCO puisqu’ils se réfèrent à des pratiques et agencements distinctifs des industries créatives (Bihay, 2018b et 2019). Le choix de candidater au label « Ville des arts numériques » est stratégique à un double titre. D’une part, Lyon est la première ville labellisée avec l’idée d’en faire le « chef de file » du réseau, renforçant sa place en tant que territoire de référence. D’autre part, des acteurs culturels et industriels lyonnais travaillaient à l’époque de la candidature sur des projets liés au numérique. La labellisation les a fédérés et constitués un accélérateur de la réalisation des projets en cours puis de la mise en place de nouvelles initiatives. Outre la promotion de Lyon en tant que territoire créatif de stature internationale, cette labellisation est donc fédératrice et structurante des pratiques et réseaux d’acteurs implantés localement. La labellisation de Lyon en tant que Ville créative valide notre hypothèse. Du fait de sa labellisation au sein du réseau (reconfiguration réticulaire), Lyon est désigné (reconfiguration symbolique) par l’UNESCO comme un territoire sur lequel des politiques publiques volontaristes sont menées en direction de la culture et, plus largement, des secteurs intégrés aux industries culturelles et créatives. Les palmarès et labellisations contribuent à présenter les politiques publiques d’un territoire comme étant exemplaires (Cardy, 2011). Ils constituent une reconnaissance du travail accompli par les élus et leurs services et les villes bénéficiant du label l’utilisent dans leur communication (Rossi, 2014) en tant que label de qualité afin

« […] d’attirer des flux financiers et d’obtenir un meilleur positionnement dans les classements des villes mondiales. […] En d’autres termes, le Réseau des Villes Créatives a été considéré par les villes, dans certains cas, comme une opportunité de classement pour accroître leur pouvoir de persuasion, leur image et leur capacité à attirer des ressources du pays et depuis l’étranger. L’adhésion [au réseau] a été perçue dans certains cas comme un moyen de bénéficier de l’utilisation du logo de l’UNESCO et de présenter des qualités "exceptionnelles" qui, en réalité, ne font pas partie des conditions de candidature et de participation […] » (Ibid. : 110).

30La triple reconfiguration apparaît au regard des trois cas évoqués. En effet, il s’agit de partir de la FdL (reconfiguration tangible) pour valoriser la métropole à l’international en multipliant et renforçant des partenariats entretenus avec d’autres territoires, en la positionnant en tant que nœud central de réseaux internationaux ou dans des réseaux existants (reconfiguration réticulaire), l’ensemble renforçant sa représentation créative (reconfiguration symbolique).

2.3. La diffusion d’une représentation créative du territoire comme objectif

31Nous avons montré comment les discours territorialisants diffusés sur le site et le dossier de presse de la FdL suscitent une représentation créative de Lyon. L’accent est d’abord mis sur la place centrale accordée à la culture et à la créativité dans les politiques publiques de développement et de régénération du territoire. Il en est de même pour la centralité qu’occupe le patrimoine dans le projet urbain global et dans la constitution d’une représentation distinctive de Lyon. Une attention spécifique est accordée aux secteurs créatifs dans le développement et la reconnaissance économique du territoire et l’existence d’une forte culture entrepreneuriale, ce que l’on observe avec la valorisation du Club des Partenaires et du Cluster Lumière. Enfin, les politiques reposant sur des projets multidimensionnels qui visent à la constitution d’une dynamique métropolitaine sont aussi mis en exergue. En effet, la métropolisation consiste en une réponse à la mondialisation et à la décentralisation (Ghorra-Gobin, 2015 ; Offner, 2011 ; Saez, 2012), conduisant à une augmentation de la concurrence entre territoires et à une concentration des compétences dans des collectivités au sein desquelles les politiques culturelles jouent un rôle important en termes d’affirmation.

32D’après Saez (2012), ces politiques culturelles sont réorganisées sur base de quatre tensions (Tab. 1) saillantes au regard de nos résultats. La première est celle entre le global et le local par laquelle il désigne la multiplication des collaborations entre acteurs locaux hétérogènes et entre les territoires. Ces collaborations sont valorisées lors de la FdL, par la mise en valeur du Club des Partenaires et des partenariats (Fig. 3). Cette tension est caractérisée par « l’étonnante efflorescence de réseaux de villes de toute sorte » (Ibid. : 43), à laquelle font écho la création de LUCI et la labellisation UNESCO. La deuxième est celle entre les acteurs publics et privés au sein d’un Club des Partenaires qui associe les forces de la Ville de Lyon à un réseau d’entreprises dont « l’engagement […] se traduit soit en apport numéraire, soit en valorisation de leurs compétences (mécénat de compétences) ou encore en offrant une œuvre à la programmation officielle. […] La réussite de la Fête s’appuie sur ce mouvement collectif des entreprises qui, aux côtés de la Ville de Lyon, viennent apporter leur soutien à ce grand événement » (Ville de Lyon, 2015 : 40). La tension suivante est celle entre hétéronomie et autonomie, pointant l’intégration de la culture comme levier du développement économique, un principe fondamental vers lequel la FdL a été réorientée dès les années 1990. La dernière tension présente, est celle entre gouvernement et gouvernance, qui désigne non seulement les partenariats entre acteurs hétérogènes, mais aussi leur participation aux prises de décisions. La manière dont la FdL constitue un projet fédérateur renvoie à cette tension, la « gouvernance » n’étant pas un concept neutre puisqu’il permet d’associer des acteurs aux besoins et objectifs antagonistes tout en masquant la prépondérance accordée à certains d’entre eux étant généralement ceux politiques et économiques. Bouquillion (2010) signale à ce sujet :

« la logique de "gouvernance", très présente dans les discours sur les industries créatives, est déjà à l’œuvre au sein des collectivités territoriales, en particulier lorsque les moyens d’intervention des collectivités sont réduits ou lorsque les actions visées concernent des domaines qui sortent des champs d’action habituels des collectivités territoriales » (Ibid. : 20).

Tableau 1. Les quatre tensions de la réorganisation des politiques culturelles, selon Saez (2012)

Image 10000201000003C90000013156543DD8.pngÀ travers nos analyses lexicales et thématiques, nous identifions aussi la manière dont les discours territorialisants diffusés dans les supports de communication s’inscrivent de manière plurielle dans la continuité des discours institutionnels sur les industries créatives (Bihay, 2018b et 2019). La FdL est décrite à partir de champs lexicaux (innovation, créativité, visibilité, expérimentation…) et thèmes caractéristiques de ces discours.

33Les thèmes renvoient à des pratiques et agencements qui y sont prescrits, dont l’utilisation de la culture et de la créativité en tant que sources de valeur et d’appel des investissements sur le territoire local (Bouquillion, 2012 ; Liefooghe, 2010 et 2015) ou la multiplication des partenariats publics-privés. Ils renvoient aussi à des justifications caractéristiques de ces discours, ce qui tend à légitimer ces pratiques. La FdL contribuerait ainsi à la visibilité du territoire, à son développement économique ou encore au bien-être des populations qui y sont établies. Ce dernier thème apparaît aussi bien dans l’accent mis sur l’attention accordée au développement durable, au bon vivre lié à l’aménagement du territoire, à la cohésion sociale favorisée lors des festivités que sur les retombées caritatives liées aux Lumignons du cœur. Le fait que ces champs lexicaux et thématiques soient mis en exergue légitime la FdL et, par extension, les politiques publiques menées sur le territoire métropolitain. Le dynamisme dont font preuve les acteurs impliqués pour communiquer autour de la FdL, mais aussi d’autres événements et réalisations tangibles (projets d’aménagement, institutions culturelles…), tend à placer leurs pratiques dans la continuité de celles prescrites dans les discours institutionnels sur ces industries. Cet élément renvoie au caractère prescriptif des discours institutionnels, à la fois légitimés (par les institutions qui les portent) et légitimant (puisque tout acteur s’en saisissant bénéficie de l’attention des premières).

Conclusion

34Au terme de notre analyse, l’hypothèse de la triple reconfiguration est validée. Le rôle central qu’occupent les réalisations intégrées à la reconfiguration tangible au sein de ces politiques a été souligné. La FdL est un méta-référent de condensation renvoyant aux savoir-faire, compétences et patrimoine, ainsi qu’aux acteurs et secteurs culturels et créatifs distinctifs du territoire.

  • Elle réfère au dynamisme des politiques de régénération urbaine accordant une place centrale au levier culturel ou encore à celui des politiques publiques favorisant les secteurs culturels et créatifs menées sur le territoire (reconfiguration symbolique).

  • Elle est un projet fédérateur autour duquel s’agrègent des acteurs hétérogènes implantés localement qu’elle contribue à valoriser (reconfiguration réticulaire).

  • Elle positionne le territoire dans les réseaux et labels internationaux (reconfiguration réticulaire), ceux-ci participant aussi à affirmer Lyon en tant que territoire créatif de référence internationale (reconfiguration symbolique).

35En tant que projet, cet événement est subrepticement placé au service d’enjeux politiques et économiques prépondérants sur ceux culturels, tout en suscitant l’adhésion et la participation d’acteurs aux objectifs et attentes antinomiques. L’ensemble des éléments des reconfigurations tangible et réticulaire contribuent ainsi à la reconfiguration (symbolique) du territoire.

36Les enjeux politiques et économiques témoignent aussi du caractère idéologique de la diffusion d’une représentation créative du territoire. Selon Ricœur (1997), l’idéologie est caractérisée par trois fonctions. Elle vise tout d’abord à diffuser une certaine vision du monde ou de ce qu’il devrait être (fonction de distorsion), ce qui est à mettre en lien avec la volonté de diffuser une représentation créative construite et stratégique du territoire métropolitain. Deuxièmement, elle est liée à la promotion d’agencements et pratiques qu’elle vise à justifier (fonction de légitimation), renvoyant ici aux liens tissés entre les pratiques, agencements et justifications relatives à la FdL, et plus largement mises en place sur le territoire lyonnais, et ceux prescrits dans les discours institutionnels sur les industries créatives. Enfin, les pratiques et agencements promus dans le cadre de toute idéologie ne sont pas totalement détachés de la réalité (fonction d’intégration), mais prennent appui sur des réalisations concrètes. La FdL et d’autres événements et réalisations tangibles intégrés aux politiques de reconfiguration font alors partie de ces réalisations concrètes. À ce sujet, l’acception du territoire privilégiée dans cette recherche s’avère adéquate, le territoire apparaissant à la fois comme un construit social dont participent des instances hétérogènes, mais aussi un espace d’inscription de leurs pratiques.

37Reste à préciser que le modèle d’analyse proposé pourrait être mis à profit pour étudier les politiques de reconfiguration menées sur d’autres territoires, mais aussi l’intégration d’autres événements récurrents, de projets d’aménagement, d’institutions culturelles ou encore la réception d’événements ponctuels à ces politiques. Si notre étude de la FdL éclaire sur la façon dont des événements culturels sont intégrés aux politiques de reconfiguration territoriale, le modèle d’analyse proposé peut être utilisé pour apporter une explication quant à l’intégration d’autres réalisations tangibles dans le cadre de ces politiques.

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Notes

1 Créée officiellement le 1er janvier 2015, suite à la loi MAPTAM (loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles) promulguée le 27 janvier 2014. Lyon est une collectivité territoriale, contrairement aux autres métropoles.

2 Parmi ces entretiens, un double entretien mené avec Florence Richard, responsable opérationnelle du Club des Partenaires de la FdL, et Jérémy Coleman, chargé de communication et des relations partenariales de ce club, ainsi que les entretiens réalisés avec Samuel Bosc, délégué à la culture, aux grands événements et aux droits des citoyens à la Mairie de Lyon, Nadine Gelas, ex vice-présidente du Grand Lyon, chargée des industries créatives et des événements métropolitains de 2001 à 2014, et Guillaume Marin, directeur de la communication de la Mairie de Lyon, ont été centraux en raison des informations complémentaires qu’ils évoquent.

3 www.fetedeslumieres.lyon.fr et www.slhp-raa.fr/progs/UploadPci/FDL15_DP_BD.pdf, consulté tous les deux le 02/05/2019.

4 www.fetedeslumieres.lyon.fr/fr/page/lyon-specialiste-de-la-lumiere, consulté le 04/05/2019.

5 www.fetedeslumieres.lyon.fr/fr/page/lyon-specialiste-de-la-lumiere, consulté le 08/05/2019.

6 Ibid.

7 en.unesco.org/creative-cities/sites/creative-cities/files/monitoring_reports/Rapport%202017%20-%20Lyon%20R%C3%A9seau%20des%20villes%20cr%C3%A9atives.pdf, consulté le 05/05/2019.

8 http://fr.unesco.org/creative-cities, consulté le 30/06/2019.

9 https://fr.unesco.org/creative-cities/sites/creative-cities/files/Ennonce_Mission_Reseau_des_Villes_creatives_UNESCO_0.pdf, consulté le 30/06/2019.

Pour citer ce document

Thomas Bihay, « Événements culturels et reconfiguration créative du territoire local : le cas emblématique de la Fête des Lumières » dans © Revue Marketing Territorial, 3 / été 2019

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=403.

Quelques mots à propos de :  Thomas Bihay

Docteur en Sciences de l’information et de la communication de l’université Lyon 2, Thomas Bihay est membre d’Elico (EA 4147). Ses travaux portent sur les politiques de reconfiguration du territoire local menées dans le contexte des industries créatives. L’étude qu’il a réalisée dans le cadre de sa thèse se focalise sur le cas du territoire métropolitain lyonnais qui est représentatif des processus de la mondialisation, de la décentralisation et de la métropolisation, mais aussi des politiques de reconfiguration mises en place sur d’autres territoires (Londres, Berlin, Lille, Reims…).