Le buzz via les célébrités ou comment les médias de masse impactent-ils l’image des territoires français ?

Charles-Edouard Houllier-Guibert


Texte intégral

1Nous proposons ici de nous intéresser au traitement médiatique des territoires français, dans le cadre de situations journalistiques que l’on nomme le buzz. Le buzz consiste à susciter du bouche à oreille autour d’un événement, d’un produit ou d’une offre commerciale afin de générer des retombées en matière de notoriété via les médias. Son usage n’est pas récent mais cette approche marketing s’est amplifiée dans les années 2010, avec l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui facilitent la propagation. La rapidité de diffusion avec l’internet diffuse des messages à des rythmes élevés et à de faibles coûts. Dans le cas qui nous incombe, les journalistes relaient l’information à propos d’un événement et d’un produit à la fois : le premier est l’avis de quelqu’un de célèbre sur le second qui est un territoire ; ce qui peut avoir un impact sur l’image de ce territoire.

2Nous précisons en amont un cadre théorique qui situe les trois manières de produire de l’image, dont les médias de masse ne sont qu’une composante. Ces trois vecteurs, identifiés dans le cadre d’une thèse (Houllier-Guibert 2008), permettent d’émettre une variété de significations accordées à l’espace au travers de la perception, des représentations, des images et des symboles. Ils sont formalisés sur le schéma suivant et se définissent ainsi :

  • un bouche à oreille difficile à appréhender, rendu mesurable depuis moins d’une décennie grâce à la traçabilité permise par le web, ce qui octroie aux réseaux sociaux numériques un nouveau pouvoir d’archivage (et donc d’étude par les chercheurs) de l’opinion publique ponctuelle dont on peut pourtant contester la faible représentativité. Le bouche à oreille est certainement le vecteur le plus puissant mais c’est aussi le plus insaisissable, aussi il est plus souvent contourné par les SHS que véritablement étudié avec précision, malgré quelques tentatives (Piquer-Louis, 2018). Ces sont plutôt les opinions sur un lieu par ceux qui l’habitent qui sont une source abondante mais pour les opinions externes au territoire, c’est rare d’être en mesure de les collecter.

  • des politiques de promotion des lieux, éminemment positives, maîtrisées par ceux qui gèrent le territoire concerné, dont les moyens sont en réalité faibles en matière de rayonnement. Le mimétisme est la norme, avec l’usage des idéologies territoriales dominantes selon les époques (Houllier-Guibert, 2011), sauf si le choix est de faire ce qu’on appelle aujourd’hui le buzz. Dans ce cas, le contenu des messages de ces politiques publiques de communication sera repris gratuitement par les médias de masse qui aiment traiter de ce qui est singulier, audacieux ou bien qui fait polémique1.

  • nous arrivons alors naturellement vers ce troisième vecteur que nous nommons ici les médias de masse, qui traite aussi de l’image des territoires mais d’une manière plurielle et hétérogène. Les journalistes tiennent le rôle d’intermédiaire et canalisent l’information d’une manière subjective, combinée à la déontologie de leur métier qui vise l’objectivité. Parmi les cinq médias de masse, on retrouve tant des propos positifs qui se veulent peu critiques, que des analyses exigeantes qui dénoncent des enjeux de domination sociale. Plusieurs approches sont possibles et les Journaux télévisés ou la presse, que nous étudions ci-après, peuvent proposer tant des sujets de société alarmistes que des angles de traitement légers d’un phénomène social nouveau.

Figure 1. Les trois vecteurs de production de l’image des territoires

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3Notons que ces trois vecteurs sont assez agités avec l’arrivée du web qui vient traverser les trois canaux, notamment en archivant sur un temps long, offrant ainsi davantage de visibilité2 aux messages produits3. Nous soulignons avec ce texte la place accordée aux propos négatifs sur les territoires, sujette à polémique, amenant les habitants et les élus à réagir via les nouveaux médias pour défendre leur fierté locale. La presse sait utiliser et alimenter ces pratiques.

1. Quand les stars parlent négativement d’un territoire : réactions sous tensions

4Critiquer un territoire est devenu un sujet sensible qui, depuis quelques années, voit les élus locaux se crisper dès que les médias de masse reprennent de tels propos puis s’en amuser car ils savent qu’une joute peut se mettre en place et alors susciter l’intérêt du lectorat ou du téléspectateur. L’argent public dépensé pour valoriser le territoire (campagne publicitaire de promotion, événementiel d’envergure, projet de renouvellement urbain attractif, label, offre touristique…) peut en effet être confronté à un propos médiatique fort qui vient donner une mauvaise image, faisant s’effondrer les efforts pour construire une image positive au fil des années, mis en place par le marketing des territoires. Le caractère négatif que nous étudions avec les exemples retenus ici, correspond à l’avis de quelqu’un qui donne son opinion sur un lieu, avec la particularité que cette information va être diffusée par les médias de masse ou les réseaux sociaux, car l’individu est célèbre. C’est une forme d’opinion personnelle qui fait le buzz à propos d’une remarque négative sur un lieu. Voilà qui peut étonner. Que des célébrités doivent se garder de commenter des propos contestables moralement ou socialement, parfois des propos politiques, c’est une habitude. Mais que désormais, l’opinion sur un territoire soit sujet à polémique, c’est une situation nouvelle.

5Nous avons recensé dans le tableau suivant différentes polémiques qui ont existé ces dernières années dans la sphère médiatique française. Il s’agit de propos de personnalités publiques qui viennent porter un jugement radicalement négatif sur un territoire, offrant là une fenêtre médiatique peu avantageuse pour le territoire en question, renforcée par une circulation de l’information basée sur l’effet de la polémique. D’autres exemples concernent des reportages ou bien le contenu des bulletins météorologiques. L’ensemble témoigne de la volonté de réagir de la part des élus ou des habitants qui veulent exprimer leur désaccord et s’inquiètent de la puissance d’opinion des célébrités en tant qu’influenceur. S’inquiétant d’une simple phrase courte, lapidaire, qui pourrait anéantir tout un travail de promotion réalisé au fur et à mesure des années, des individus réagissent en attaquant ceux qui ont dénigré « leur » territoire, refusant la pluralité d’expression sur l’espace en tant que bien commun, et veillant à ce qu’on en dise exclusivement du bien. Il s’agit aussi de l’opposition entre des propos synthétiques, reposant sur des idées simples qui prennent la forme de clichés ; face à des propos communicationnels élaborés, basées sur des valeurs positives, à la mode que sont les idéologies territoriales (Houllier-Guibert, 2011). Cette opposition entre la sphère communicationnelle et la sphère journalistique, est basée sur l’idée que ce qui est diffusé dans les médias de masse peut influencer l’opinion publique. En effet, parmi les penseurs des SIC les plus connus, Lasswel, Lazarsfeld et Hovland se sont intéressés au cours du XXème siècle aux médias de masse, à l’époque des dérives constatées de la propagande, ce qui les a amenés à répondre à la question des effets (Miège, 1989) : « La question du premier auteur y fait directement référence (qui, dit quoi, par quel canal, à qui, et avec quels effets ?) et orienta pour longtemps les analyses des politologues et des spécialistes de l’opinion ; le second se fit connaître en réalisant d’importantes études d’audience de la presse et de la radio, puis la fameuse enquête « The People's Choice » sur les changements d’opinion pendant les campagnes électorales (…) ; quant au troisième, un psychologue social, il conduisit des expériences sur les mécanismes de persuasion dans les groupes et ensembles humains, s’intéressant notamment à la question de savoir si la diffusion d’une certaine « dose » d’arguments défavorables favorisait l’acceptation d’un message » (Miège, 1989). Quelles que soient les précisions apportées ensuite sur ces travaux fondateurs, les « diverses contributions s’inscrivent toujours dans la perspective d’une théorie des effets : effets limités désormais, mais toujours effets trouvant leur origine dans l’action, directe ou médiée, des médias de masse (… avec cette préoccupation) qui consiste à identifier des effets imputables à l’action des médias, et à chercher des correspondances entre les éléments composants les moyens de communication et les conduites culturelles ou informationnelles, et spécifiquement entre l’objet télévisuel et les pratiques sociales (étant précisé que les correspondances sont envisagées de façon univoque, en tout cas comme si les conduites étaient largement sous l’emprise des médias) » (Miège, 1989).

6Démarrons par un exemple en août 2012, lorsque la chaîne de télévision France 2 est amenée à s’excuser publiquement après la diffusion d’un reportage sur la ville de Niort dans le JT du 13h. L’angle du reportage était sur les villes françaises en activité faible (on parle de ville morte) lors du 15 août, Niort illustrant le propos, à l’aide d’images que l’on devine : des rues vides sans habitants et des parcs désertés. La réaction immédiate sur les médias sociaux est celle d’habitants de la ville qui qualifient le sujet de honteux et d’exagéré. La rédactrice en chef du JT, via la presse locale (La Nouvelle République) se dit :

« profondément désolée que ce sujet ait été mal pris. D’autant plus que notre édition est essentiellement regardée par des provinciaux et que nous allons le plus souvent possible en régions. On s’est trompé. Au lieu d’être pris comme "Le 15 août, c'est mort", cela a été interprété comme "Niort est une ville fantôme". Si nous avons choqué les gens, ce n’était pas du tout le but. (…) A mon sens, le reportage n’a rien de désobligeant pour les Niortais, même si, et on le regrette, ils se sentent moqués. On ne fait pas dire aux gens de choses fausses, il n’y a donc pas à rattraper quoi que ce soit. On ne va pas revenir le lendemain et dire "Niort est une ville super !" Même si nous aurons, j’en suis sûre, l’occasion à l’avenir de faire un sujet de ce genre ».

7Voilà que les journalistes s’engagent à réaliser un sujet favorable à Niort, comme pour compenser ce qui a été fait de manière neutre mais mal perçue. On sent dans ce propos, les rapports de force en matière de gestion d’image des territoires, avec d’un côté la culture locale qui vise à être fière de chez soi ; et de l’autre côté, la puissance médiatique qui va à l’encontre des messages éminemment positifs de la promotion locale. D’autant que le média Télévision sait aussi traiter positivement des territoires avec par exemple, en France, des émissions comme Des racines et des ailes ou divers reportages sur des chaînes comme France 5, Planète ou Odyssée (des chaînes à faible audience, mais qui sont parfois proches du million de téléspectateurs) qui permettent d’asseoir des représentations collectives positives alimentant le bouche à oreille et donnant envie de découvrir les lieux montrés. L’arrivée des réseaux sociaux numériques vient complexifier davantage avec une double massification des propos : maîtrisée dans les médias de masse avec des décideurs ; pas maîtrisée sur l’internet avec seulement quelques médiateurs.

8Les exemples qui suivent sont des processus de réputation de villes clairement sur cette double posture, celle des médias traditionnels (ici la presse pour l’essentiel) et celle des médias sociaux dont il faut préciser le relai qui est fait dans la presse par les journalistes. Avec ces exemples, nous sommes dans la définition du buzz qui est alimentée ici à travers ses effets sur la maîtrise de l’image des territoires. C’est donc un buzz non-souhaité qui est étudié, différent de celui espéré lors de campagne de promotion (Jura, Gironde…) et qui est inattendu, réactionnel et source de tension.

Tableau 1. Les phrases médiatisées des célébrités, conduisant au phénomène de buzz à propos de l’image d’un territoire français

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2. Des arguments de part et d’autres qui alimentent la polémique : humour, hiérarchie urbaine, héliotropisme, attachement au territoire

9Ces exemples vont provoquer des crispations de la part des habitants et des élus locaux suite au message transmis à l’échelle au moins nationale par les célébrités. S’ensuit tout un processus entre plusieurs parties prenantes que nous restituons ici en décrivant chaque situation, qui nous permet de construire un schéma de synthèse en conclusion.

Cas C et D. Le ton de l’humour pour noyer le poisson

10Sur le plateau d’une émission télévisée dont l’audience dépasse souvent le million de téléspectateurs, le duo de comédiens Eric et Ramzy a témoigné d’un passage à Saint-Nazaire dans le cadre la promotion d’un film. En tant qu’humoristes, le ton était à leur mesure (figure 2).

Figure 2. Retranscription de l’émission Le Petit Journal de Canal + le 1er février 2016

Image 10000201000004900000026D107E5C0F.pngS’en est suivi une multitude de tweets qui visaient à défendre l’attachement local à Saint-Nazaire. D’une part, les habitants ont regretté ces préjugés classiques à laquelle la ville a le droit dans la culture française ; en effet, elle fait partie de la liste des villes mal-aimées rien qu’à citer leur nom : Maubeuge, Le Havre, Vierzon, Béthune, ces villes dont les images d’Epinal sont dominées par le gris, avec parfois un cadre industriel, ce qui a pour effet de stigmatiser la population qui y réside. Après cette annonce médiatique, des habitants ont, à travers Twitter, exprimés les atouts de la ville ; un festival local a mis en ligne une vidéo de promotion du territoire. Les membres de la mairie ont communiqué sur le projet politique de l’équipe municipale, profitant de la lucarne médiatique gratuite qui allait leur permettre d’être relayée par la presse nationale ; de manière plus spontanée, des collégiens et lycéens ont diffusé sur l’internet un clip favorable à la ville. De leur côté, les médias nationaux ont mis une certaine pression sur les deux artistes, les invitant à répondre à propos des multiples réactions locales, ce qu’ils feront sur leur compte Facebook : « En ce qui concerne Saint-Nazaire, notre erreur a été d’y passer le matin tôt, sous la pluie, et de nous concentrer uniquement sur les 200 mètres qui entourent le cinéma. En particulier l’ancienne base sous-marine. Donc jugement hâtif (…) Pardon si on vous a blessés. D’autant que, dans Saint-Nazaire, y a pas seulement Naz. Y a air. Et, du coup, vous respirez mieux que nous. Et n’oublions pas que Jésus est de là-bas quand même (…). C’était une vanne, violente, soit, mais juste une vanne ». Quelques jours plus tard, ils ont dû réagir plus humainement encore qu’un texte sur le web, en s’exprimant sur le plateau télévisé de Canal + dans le cadre d’une émission où ils ont pu utiliser l’humour qui est leur spécialité.

11En avril 2016, un autre humoriste, Elie Semoun a fait l’erreur de qualifier de « trou du cul du monde » via un tweet, la ville qui s’apprête à accueillir un de ses spectacles. C’est une erreur car l’expression choisie a conduit à soulever un problème qui a été tranché par le tribunal. Il s’avère que le spectacle qu’il donnait à Bagnoles-de-l’Orne a été perçu comme de piètre qualité et raccourci. D’un côté, l’artiste en plein décalage horaire, de retour de Polynésie, s’est trouvé en difficulté devant un public peu enthousiaste (selon lui parce qu’il avait entendu parler du tweet envoyé quelques heures avant le spectacle) ; de l’autre côté, les organisateurs locaux se sont sentis méprisés et réclament un remboursement pour la prestation médiocre. Le tribunal de Flers a conclu que le cachet serait au prorata du temps passé sur scène. Précisons que dans l’émission d’humour radiophonique Les Grosses Têtes en avril 2018, Elie Semoun a souligné que ce problème a émergé médiatiquement « puis Joey Starr a filé une baffe à Gilles Verdez » et un autre sujet a donc été traité. L’humoriste précise là l’appétence des parties prenantes de cette situation médiatique, en faveur de la notion de buzz que génèrent ces situations.

Cas B et E. Le parisianisme comme socle de contre-attaque

12Sans aucun trait d’humour cette fois, en novembre 2015, l’actrice Catherine Deneuve évoque, dans le magazine Elle, son souvenir de Dunkerque lors du tournage d’un film (lire tableau 1). Le maire de la ville réagit en indiquant qu’elle n’a pas passé suffisamment de temps dans la ville pour qu’on accorde de l’importance à son opinion. Le discrédit est appuyé quand il ajoute dans la presse que l’actrice n’a pas cherchée à rencontrer des habitants et a refusé tout contact avec les journalistes locaux. Les enjeux de médiatisation prennent une disproportion lorsque l’actrice se retrouve à Cannes à devoir expliquer, avec une posture critique et distanciée à propos de l’effet de buzz : « Répondre dans une conférence de presse internationale sur une chose que j’ai dite dans une interview, qui a été reprise sur les réseaux sociaux, pour moi, c’est vraiment l’exemple de ce à quoi nous en sommes aujourd’hui par rapport aux demandes qu’on peut avoir et surtout aux réponses qu’on est obligé de fournir. J’ai le droit de penser des choses sur Dunkerque ». Elle a tout de même atténué son propos via la radio RTL : « C’est vrai que j’ai dit que le soir, à Dunkerque, à part les bars et les tabacs, presque tout est fermé et on sent que c’est une ville en grande difficulté. Mais comme cela a été raccourci dans l’interview, c’était un peu sec et je comprends que les gens de Dunkerque se soient sentis attristés par quelque chose qui paraissait être un jugement très bref. En même temps, ça a un certain charme, Dunkerque, qui est très mélancolique ».

13En Janvier 2019, le maire de Niort Jérôme Baloge réagit pour répondre à l’écrivain Michel Houellebecq qui, dans son livre intitulé Sérotonine, évoque Niort en tant que l’« une des villes les plus laides qu’il m’ait été donné de voir » : « Non seulement Niort est une belle ville, mais les Niortais ont l’esprit ouvert (…). Il y a une réaction de fierté, d’ego chez les habitants. Voir sa ville décrite comme l’une des plus moches qui existent, c’est un peu violent. Mais nous, nous savons ce que Niort vaut, son activité économique incroyable, son patrimoine incroyable, son histoire incroyable », (interview du maire par la station de radio France info). Tout comme pour Catherine Deneuve ou pour les humoristes Eric et Ramzy, l’image parisienne sert d’argument de riposte au sein de twitter : « Sortez un peu de la sphère parisienne et revenez nous voir, les Niortaises et Niortais vous feront découvrir les richesses de leur ville ! » (tweet réactionnel). Ou encore à propos de Dunkerque : « Nous ne sommes pas à Paris et nous n’avons pas de boutique luxueuse, pas de place Vendôme, pas de Palace, pas de grande avenue… mais nous avons ici des gens aux grands cœurs, des sourires à t’offrir et le vent de la Mer du Nord. La côte d’Opale t’offre une plage à perte de vue, une lumière comme nulle part ailleurs » (autre tweet réactionnel). Les demandes de boycott du livre qui sort au moment du contentieux sont rédigés avec la même hargne que les demandes de boycott du film via Facebook, avec Catherine Deneuve.

Cas A. L’utilisation de l’attachement au lieu

14Avec le cas de Dunkerque, l’artiste ne s’excuse pas et maintient son propos. C’est une réaction inverse à celle de Jean-Pierre Foucault. Dans une émission télévisée où ce qu’on appelle les punchlines sont recherchées, l’animateur a eu un propos fielleux en répondant à la question-commentaire à propos du lieu où se tenait la prochaine élection de Miss France : « Cette année, vous allez partir à Dijon, pas évident votre boulot quand même… » ; alors Jean-Pierre Foucault de répondre : « Si j’étais désagréable, je dirais que je ne dors pas à Dijon, car quand on dort à Dijon, on se réveille à Dijon… ». Dans la presse locale, à quelques jours de l’émission qui se passe au Zénith de Dijon, l’animateur télé se ravise, glissant dans ses propos tout un pan de sa vie personnelle montrant son attache à cette ville :

« J’ai fait un jeu de mots de faible niveau et assez médiocre. Je l’avais démonté à la fin de l’émission en disant que c’était une plaisanterie et que j’aimais bien Dijon. Mais cette précision a été coupée au montage. Aujourd’hui, cette histoire me rend absolument confus et navré (…). J’ai, au contraire, avec Dijon des liens affectifs très forts. C’est en effet la ville où je venais régulièrement rendre visite à ma tante, qui était la personne que j’aimais le plus au monde après ma maman. Mon plus grand bonheur était de l’inviter à déjeuner à La Cloche le dimanche et je revois encore ses yeux émerveillés quand nous arrivions dans cet endroit magnifique. Ce sont pour moi des souvenirs extrêmement forts et émouvants. Mais pour moi, Dijon, c’était aussi la porte de la liberté à l’époque où je faisais mon service militaire à Fontainebleau. C’est en effet la ville où je récupérais Le Mistral, qui me ramenait ensuite jusqu’à chez moi, à Marseille. Quand j’ai appris que la prochaine élection de Miss France aurait lieu à Dijon, j’ai donc été particulièrement ravi. Mon jeu de mots grotesque de samedi soir est à mille lieux de ce que je pense de cette ville ».

15Les réactions locales prennent une tournure politique, les élus du territoire prenant le rôle de défenseur de l’image de la ville de manière plus pointue encore puisque c’est l’époque des élections municipales. Ainsi, outre les réactions dans les réseaux sociaux numériques, un vice-président du conseil général, a invité l’animateur à dormir dans l’hôtel de son choix à Dijon ; ou encore les exemples de deux candidats à la mairie qui étaient dans une démarche de campagne électorale :

« Jean-Pierre Foucault, si tu n’aimes pas Dijon et qu’y dormir et t’y réveiller est si horrible pour toi, ne viens pas ! […] Tu n’aimes pas Dijon, sache que maintenant Dijon ne t’aime plus non plus », David Lanaud du Gray, candidat à la mairie de Dijon, sur Facebook.

« Cette galéjade marseillaise de Jean-Pierre Foucault est certes amusante mais elle révèle hélas une fois encore la triste image de notre ville qui malgré douze années de mandature socialiste n’a pas ôté ses habits de belle endormie », Alain Houpert, sénateur lui aussi candidat.

16À défaut du parisianisme de Catherine Deneuve, c’est Marseille qui est visé, sans qualificatif particulier, notons juste que c’est une métropole ensoleillée du sud qui est mise en exergue, au regard de Dijon la moyenne ville de l’Est.

Cas à part. La météo et l’image des territoires

17De manière plus rare, les propos des stars de la télévision et du cinéma peuvent être valorisants pour le territoire. Ainsi, l’acteur Gérard Jugnot, en tant que réalisateur de film, a donné une anecdote qui va à l’encontre des clichés sur la Bretagne : « On a tourné en octobre, pendant un mois et demi et il a fait un temps magnifique. Il a fait beau tous les jours… Sauf le dimanche quand on se reposait » (source Le Télégramme). Pour les besoins du film, Gérard Jugnot a dû faire appel à de la pluie artificielle, renforcée par traitement numérique lors du mixage, car il voulait opposer dans son film, le climat breton à la Méditerranée et son climat océanique. En matière de météo, le sujet est sensible, ce que la polémique suivante vient rappeler à propos d’une « susceptibilité régionale ».

18En juillet 2016, Hervé Lebel, dirigeant de l’association Normandie Sites qui œuvre pour le développement touristique, dénonce la représentation médiatique de la météo normande. « Tous les soirs, j’allume ma télé et je vois, sur la carte des températures, la région systématiquement représentée en bleue. Alors, certes, il ne fait pas 40°C comme dans le sud-ouest, mais il ne fait pas froid (…) Tout se joue le jeudi soir », selon Hervé Lebel (source Normandie Actu) qui souligne que les touristes prévoient leur week-end à ce moment-là et, si une mauvaise météo leur est présentée, il y a 50 % de réservations en moins. Il a donc adressé une lettre au président de la région Normandie, afin de lui faire part de son problème. Dès lors, en septembre 2016, l’élu régional a écrit aux dirigeants des chaines de télévision TF1, France TV, Canal+ et BFM TV. Dans son courrier, il explique :

« TF1 fait le choix d’utiliser, pour la Normandie, les données concernant Cherbourg. Or, de par sa situation géographique, la presqu’île du Cotentin constitue un point plutôt froid et pluvieux, et ne reflète pas la réalité du climat normand. (...) Aussi, comme vous en laisse la possibilité Météo France, je vous serais très reconnaissant de remplacer Cherbourg par une autre ville Granville, Avranches ou Caen, afin de véhiculer une image plus sincère de notre climat. Ce changement serait utile pour l’attractivité et l’image de notre territoire ».

19La réponse de la directrice de la météo de TF1 un mois plus tard, Evelyne Dhéliat, figure emblématique de la chaîne et de surcroît normande, est favorable à la requête :

« Remplacer la ville de Cherbourg par celle de Caen, par exemple, certes moins exposée, ne pose a priori pas de problème. Météo-France nous fournira aussi les prévisions de températures de cette ville. Cette opération nous demande une mise en place technique qui sera réalisée dans les plus brefs délais. En espérant ainsi ne pas trahir la douceur normande, croyez, Monsieur le président, l’expression de mes sentiments les meilleurs ».

20Le sujet de la météo est particulièrement sensible et là aussi, la presse nationale a beaucoup diffusé ce sujet. L’héliotropisme est un agent attracteur puissant et les images de la promotion territoriale sont toujours ensoleillée. Il est très intéressant de considérer que la rémanence d’information sur les territoires via un bulletin météorologique est susceptible d’influencer les choix de destination. Les régions Normandie et Bretagne ont une image d’Epinal basée sur la pluie, reprise par les cartes postales humoristiques et autres produits dérivés de la marque Heula, particulièrement connue dans ces deux régions. L’entreprise à l’origine de ces produits repose son discours sur les images d’Epinal des territoires :

« Toutes les richesses du patrimoine normand : culinaires, architecturales, historiques, paysagères méritaient bien une mise en valeur humoristique ! Pour remédier à ce manque et tordre le cou aux clichés qui sévissent sur la région Jean-François Toudic a déposé la marque Heula en 2006. Depuis, Sylvain Guichard-Bichicchi, le dessinateur de la marque s’attaque à notre patrimoine à travers la création de visuels présentant la Normandie de manière ludique et décalée » (extrait du site web de la marque Heula).

21Là où les personnalités sont remises en cause dans leur manière de parler des territoires, le vecteur de la carte postale est autorisé à prendre ce créneau. Il faut dire que sa diffusion est moindre, ce n’est pas un média de masse, même si aujourd’hui, le ton humoristique d’Heula est connu et on le retrouve aussi sur le web.

Conclusion : schématisation d’un processus qui se répète

22Au travers de ces exemples, les rapports de force montrent une volonté de maîtriser l’image de son territoire de la part des élus et des habitants qui réagissent de manière frontale via principalement les réseaux sociaux dès qu’une critique sur leur ville est médiatisée. Plus largement, nous synthétisons avec la figure suivante, le jeu qui s’installe entre trois types de protagoniste au sein d’un processus basé sur la maîtrise de l’image de la ville : la personnalité célèbre à l’origine de la polémique par sa déclaration qui dénigre une ville ; les individus attachés au territoire incriminé, qu’ils soient officiels ou anonymes ; les journalistes qui attisent la tension en relayant l’information, voire en concluant leur propos afin de demander à l’interlocuteur de réagir, comme pour alimenter la polémique.

Figure 3. Processus de résistance à l’image négative de la ville

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23Ce qui se joue et que les exemples décrits montrent, c’est le pouvoir supposé d’une célébrité avec son opinion qui peut influencer sur un objet comme la ville. Cet objet non mercantile qu’est la ville est un bien commun sur lequel tout le monde peut penser ce qu’il veut, mais désormais, des polémiques obligent à expliciter, justifier, argumenter le propos lancé au départ sous forme d’une phrase synthétique négative. La liste des personnalités célèbres mentionnées ici correspond à des individus appréciés du public, souvent situés dans le haut du palmarès des personnalités préférées des français, ce qui rend leur pouvoir d’influence potentiellement plus fort. Nous pensons que l’image de la ville incriminée devient secondaire au fil du processus alors que c’était le sujet de tension au départ. Ce qui se joue ensuite, c’est la posture de la personnalité au regard des réactions populaires et officielles. Dans le cadre du métier d’artiste, l’opinion publique compte et les journalistes focalisent le sujet sur le possible retranchement ou le volte-face de la personnalité. La ville n’est plus le sujet central de départ et son image négative devient un sujet périphérique, explicatif de la situation d’une célébrité publique qui se serait pris les pieds dans le tapis. Pour autant, nous avons voulu souligné ici qu’en ce début de XXIème siècle, il semble difficile de dénigrer publiquement un territoire, tant les flux médiatiques disposent d’un pouvoir de réaction immédiat, le fameux buzz, ce qui met une pression à ceux qui critiquent les villes de manière succincte, sans argument.

Bibliographie

Houllier-Guibert C.E., 2008, « Les politiques de communication rennaises pour un positionnement européen. Idéologies territoriales & image de la ville », Thèse de doctorat en géographie, Université Rennes 2, 539 p.

Houllier-Guibert C.E., 2011, « La fabrication de l’image officielle de la ville : gouvernance, idéologies, coopération territoriale et rayonnement », Cahiers de géographie du Québec, vol.54, n°154, avril, pp.7-35

Miège B., 1989, La société conquise par la communication, PUG

Piquer-Louis O., 2018, « Ecrire l’hommage : le cas de la Fête de Lumières en 2015 sur Twitter » ; Communication & Langages, vol.197, n°3, pp.93-110

Notes

1 Les exemples des campagnes de promotion des départements du Jura et de la Gironde, basés sur le positionnement « sexy » ou bien celui des Sables d’Olonne, basé sur l’échouage d’un Cargo, sont les exemples les plus connus des années 2000.

2 Nous ne traitons pas ici la hiérarchie des contenus du web avec des sites mainstream et des sites mal référencés, ce qui aboutit en réalité à une production éclatée sur le web avec des sites plus légitimes que d’autres.

3 Par commodité pour notre cadrage du propos, nous ne tenons pas compte de la pratique des lieux qui vient bouleverser l’importance accordée à ces trois vecteurs, dissociant l’image vécue et l’image perçue. Aussi, il s’agit d’étudier l’image d’espaces non-pratiqués par les récepteurs, selon l’un des trois vecteurs, en l’occurrence ici, les médias de masse.

Pour citer ce document

Charles-Edouard Houllier-Guibert, « Le buzz via les célébrités ou comment les médias de masse impactent-ils l’image des territoires français ? » dans © Revue Marketing Territorial, 3 / été 2019

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=401.

Quelques mots à propos de :  Charles-Edouard Houllier-Guibert

Maître de conférences en Stratégie et Territoire au laboratoire NIMEC, Charles-Edouard Houllier-Guibert enseigne à l’IUT d’Evreux (université de Rouen). Il dirige la Revue Marketing Territorial.