Sommaire
3 / été 2019
numéro varia
- Editorial
- Charles-Edouard Houllier-Guibert Marque et Image pour appréhender l’image de marque
- Articles
- Camille Mortelette Changer l’image du bassin minier. Stratégies de marketing territorial et instrumentalisation des imaginaires socio-spatiaux
- Thomas Bihay Événements culturels et reconfiguration créative du territoire local : le cas emblématique de la Fête des Lumières
- Charles-Edouard Houllier-Guibert et Corinne Rochette L’implication des parties prenantes dans la mise en marque des régions Bretagne et Auvergne
- Cédrine Zumbo-Lebrument Les communautés virtuelles des marques Territoire : approche netnographique de la participation sur les Fan Pages
- Synthèses
- Hugo Bourbillères Résumé de thèse : Impacts territoriaux des événements sportifs parisiens (2013-2016). L’approche par les dynamiques locales.
- Pascale Ertus Résumé de thèse : Mesure des dimensions du terroir et influence sur la qualité perçue et sur les intentions du consommateur vis-à-vis du produit alimentaire et spécificités pour le produit vin
- Emeline Martin Résumé de thèse : L’efficacité de la marque Territoire : perceptions d’une marque Région par les habitants, les managers et les touristes
- Image et Territoire
- Charles-Edouard Houllier-Guibert Le buzz via les célébrités ou comment les médias de masse impactent-ils l’image des territoires français ?
Résumé de thèse : Mesure des dimensions du terroir et influence sur la qualité perçue et sur les intentions du consommateur vis-à-vis du produit alimentaire et spécificités pour le produit vin
Pascale Ertus
1Titre de thèse : « Mesure des dimensions du terroir et influence sur la qualité perçue et sur les intentions du consommateur vis-à-vis du produit alimentaire et spécificités pour le produit vin ».
2La genèse de cette thèse en Sciences de Gestion, option Marketing, est fondée sur le constat, qu’en 2017, les consommateurs ne trouvent toujours pas les informations relatives à la qualité des aliments qu’ils aimeraient trouver (États Généraux de l’Alimentation). Parmi les consommateurs, 85% se déclarent prêts à favoriser les produits alimentaires issus d’une production locale (Merle et Piotrowski, 2012) pour lesquels l’Étude Greenflex-Ethicity (2016) indique qu’ils souhaiteraient trouver, sur l’étiquette, l’information sur l’origine des matières premières (62%), sur le lieu de fabrication (53%), ou a minima l’origine du produit (55%). Pour répondre à ces attentes d’informations sur la mention d’origine, la communication accentue la mise en évidence des indicateurs évocateurs de la dimension territoriale, repères porteurs de sens et de réassurance (Aurier et Fort, 2005 ; Dedeire et Giraudel, 2007 ; Giraud, 2001 ; Lacroix, Mollard et Pecqueur, 2000 ; Siriex et Dubois, 1999 ; Van Ittersum, 2001). Dans le même esprit, les distributeurs développent des linéaires spécifiques « produits du terroir ». Signal fort émis aux consommateurs dans les stratégies de marketing alimentaire (Fort et Fort, 2006), la référence au territoire local est omniprésente dans les Grandes Surfaces comme en témoigne la multiplication des marques de distributeurs telles que « Reflets de France » de Carrefour, « L’âme du terroir » de Cora, « Nos régions ont du talent » de Leclerc « U Saveurs » et « terroir U » de Système U, « Saveurs de nos régions » de Lidl, « Ça vient d’ici » de Casino… Les acteurs politiques soutiennent, eux aussi, les compétences et les fabrications françaises avec les « Assises du produire en France ». Enfin, les acteurs du territoire créent des labellisations régionales à l’instar de « Produit en Bretagne », « Produit en Corse » et « Produit en Limousin »..., qui trouvent une place de choix dans les linéaires (Albertini et Béréni, 2011 ; Dion, Sitz et Rémy, 2012).
3Cette conjonction de phénomènes témoigne de l’utilisation grandissante de la référence au terroir dans le secteur alimentaire. Qu’il s’agisse d’avoir recours à une marque, à un label, ou à une appellation d’origine, cette référence vise, entre autres, à véhiculer une idée de qualité. Toutefois, cette idée n’est pas forcément synonyme d’une garantie qualité. Quand l’association origine-qualité est assise sur des règlements et engagements, comme quand il s’agit d’une marque, d’un Signe d’Identification de la Qualité d’Origine (SIQO) tels les labels, AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) ou IGP (Indication d’Origine Contrôlée), alors le consommateur dispose d’une information objective sur l’origine effective du lieu de production. Les informations relèvent du caractère réglementaire obligatoire de l’information à transmettre au consommateur. En revanche, lorsque l’association origine-qualité correspond plutôt à une évocation symbolique qui se traduit par les associations et représentations liées à l’origine géographique de l’ingrédient et à un mode de production traditionnel, la qualité est plus une promesse qu’une garantie. Dans ce dernier cas, le rattachement subjectif à l’origine n’est pas nécessairement explicite. Il peut, d’une part, s’appuyer sur l’utilisation d’un ingrédient qui jouit d’une notoriété. Pensons à des productions fondées sur des ingrédients associés à un lieu précis tels les fromages de chèvre au piment d’Espelette, des cakes aux fraises de Plougastel, du beurre au sel de Guérande, du pâté aux olives de Nyons... Il peut, d’autre part, s’adosser à un mode de fabrication et à des recettes que le consommateur associe à un lieu précis. C’est par exemple des tours de mains et des savoir-faire gastronomiques spécifiques à des lieux identifiés. Pensons à la langue de bœuf à la Bourguignonne, la langue de mouton au beurre de Montpellier, les tripes à la mode de Caen, le pied de mouton à la rouennaise ou la beuchelle tourangelle.
4Quelle que soit la situation et la réalité de la fabrication, faire référence à une origine conduit le consommateur à imaginer que le produit a été fabriqué à partir des ingrédients et sur le territoire qui est évoqué. Traditionnellement, le consommateur s’attend à ce que les bêtises de Cambrai soient faites à Cambrai. De même, les galettes sont de Pont-Aven, le jambon est d’Aoste, les rillettes sont du Mans, la moutarde est de Dijon, les oignons doux sont des Cévennes et les vins sont de l’Anjou, d’Alsace, de Bourgogne, du Bordelais, du Jura… C’est pour cette raison que, si l’origine est mentionnée, le consommateur fait l’inférence d’un surplus ou d’une garantie qualité de l’offre alimentaire. Jouant sur cette inférence origine-qualité, le producteur et le responsable produit utilisent les outils et leviers permettant d’exprimer cet ancrage territorial du produit et d’avancer, alors, une promesse de qualité.
5Enfin, dans le cas du produit du terroir, les offres alimentaires font référence à la fois à une fabrication faite selon un savoir-faire d’un territoire donné et au respect des techniques de production et de fabrication spécifiques à ces zones géographiquement délimitées (Scheffer, 2002). Toutefois, en dehors des informations que le cadre réglementaire impose, il n’y a pas de définition consensuelle du terroir (Aurier, Fort et Sirieix, 2004). Ces constats interrogent : la question est de savoir quels sont les éléments qui construisent le terroir du point de vue des consommateurs et auxquels ils sont sensibles et attentifs ? Et comment influencent-ils leur perception de la qualité et leur comportement vis-à-vis du produit alimentaire du terroir ? La problématique de cette thèse est donc la suivante : Quelles informations relatives au terroir modifient la qualité perçue et les intentions du consommateur pour le produit alimentaire du terroir ? Dès lors, nous nous intéressons à qualifier les informations relatives au terroir qui vont modifier la qualité perçue et les intentions du consommateur pour le produit alimentaire du terroir ?
6Concernant les produits à sélectionner pour nos études empiriques, nous avons utilisé les conclusions d’un travail de recherche préalable mené sur 1 157 répondants français (Ertus et al., 2016). Cette recherche visait à connaître les 5 premiers produits auxquels pensent les consommateurs français quand on leur demande de citer un produit du terroir. Sur la base de 5 565 réponses, le trio gagnant des produits alimentaires du terroir les plus cités est le vin (85,6% des occurrences), le fromage (66,9%) et le pain (27,6%). Suivent ensuite le pâté (27,0%) et le foie gras (26,4%). Dès lors, le vin apparaît comme un produit incontournable quand il est question, en France, d’évoquer la notion de terroir. Le secteur vitivinicole est donc le cadre applicatif retenu pour ce travail doctoral. Cette thèse se décline en une triple ambition de recherche :
-
Premièrement, il s’agit de mieux identifier les dimensions et le périmètre du terroir pour le consommateur.
-
Deuxièmement, il est question de pouvoir mesurer les caractéristiques (attendues) du terroir du point de vue du consommateur, qualifiées de terroirité perçue.
-
Troisièmement, il convient de pouvoir évaluer l’influence de ces caractéristiques sur la qualité perçue et les intentions du consommateur à l’égard des produits du terroir, compte tenu de possibles variables modératrices d’ordre individuel.
7Sur un plan managérial, cette thèse souhaite atteindre plusieurs objectifs qui sont :
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La qualification des informations permettant aux producteurs de recentrer leur discours sur les informations clé auxquelles les consommateurs sont sensibles ;
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L’identification et la qualification des informations des produits du terroir qui participent à une meilleure perception de leur qualité par le consommateur ;
-
Le repérage des informations terroir à qualifier afin de stimuler l’achat des consommateurs.
1. Guide de lecture
8La première partie de la thèse, composée des chapitres 1 à 4, permet de poser le cadre conceptuel et théorique. Le chapitre 1 traite de la perception de la qualité dans l’offre alimentaire en abordant la consommation alimentaire pour exposer la définition de la qualité appréhendée selon deux prismes : 1) l’évolution de la qualité perçue du produit alimentaire et 2) la qualité subjective et expérientielle en abordant l’ensemble des attributs et des indicateurs intrinsèques et extrinsèques de la qualité ainsi que les variables liées au consommateur. Nous évoquons également l’emplacement et le type d’informations qualité proposées au consommateur parmi lesquels nous détaillons les SIQO. Le chapitre 2 est consacré au marquage territorial comme signal qualité dans le secteur alimentaire en évoquant les différentes échelles du national à l’infra-national pour finir par le local. Nous mobilisons le concept fondateur du Country of Origin (CoO) de Schooler et Sunoo (1969) qui développe l’influence du pays d’origine sur l’évaluation d’un produit pour aborder, ensuite, le lien spécifique entre le consommateur et sa région. Ce dernier point permet d’insister sur le concept de proximité et d’envisager les bénéfices associés aux produits locaux. Le chapitre 3 s’attache à la compréhension des notions de terroir et de produit du terroir. Il est l’occasion d’une lecture pluridisciplinaire : de la géographie (Di Méo, 1998) à son application dans le domaine marketing en passant par la considération du terroir comme une œuvre intellectuelle (Teil, 2011). Nous abordons également la polysémie du concept avant de lister les différents vocables territoriaux utilisés pour le produit alimentaire. Dans le chapitre 4, nous situons les spécificités de la filière vitivinicole et du produit vin, particulièrement, l’association du vin à la notion de terroir à travers l’AOC (Garcia-Parpet, 2007). Nous abordons également l’organisation de la filière française vitivinicole autour du terroir pour souligner l’évolution des pratiques de consommation du vin et nous terminons par la perception de la qualité du vin. La revue de littérature ainsi que le développement du cadre conceptuel général étant posés, nous apportons, avec le chapitre 5, par le biais d’une analyse qualitative exploratoire, une compréhension des caractéristiques perçues du terroir par le consommateur. Après avoir exposé la méthode de l’étude qualitative, nous présentons les résultats à la fois sur le terroir puis le cas du vin. Enfin, nous proposons une discussion intermédiaire sur les concepts de terroir, produits alimentaires du terroir et nous envisageons les bases de la terroirité perçue.
9Dans une seconde partie, composée des chapitres 6 à la conclusion générale, nous posons la démarche empirique quantitative de notre recherche. Au chapitre 6, nous présentons la démarche méthodologique des deux collectes quantitatives, l’opérationnalisation de la terroirité perçue, et le test de l’ensemble des instruments de mesure. Le chapitre 7 expose l’ensemble des modèles et hypothèses de recherche. Le chapitre 8 présente les tests réalisés sur l’ensemble des modèles de recherche. Le chapitre 9 est la réplication des tests pour le produit vin. La conclusion générale permet de synthétiser et de discuter les résultats en exposant les contributions théoriques, méthodologiques et managériales tant pour les produits du terroir d’une façon générale que pour le produit vin. Nous mettons en évidence quelques spécificités pour le produit vin. Cette conclusion présente également les limites de notre recherche ainsi que les voies futures.
2. Cadre théorique
10Cette thèse a nécessité de faire appel à plusieurs champs disciplinaires autour de la notion de terroir : géographie, agronomie, sciences de gestion. Notre travail doctoral a également mobilisé le concept théorique du Country of Origin qui souligne l’importance de la mention d’origine pour le consommateur ainsi que le concept majeur, dans l’alimentaire, de la perception de la qualité. Un point clé a été d’identifier les éléments du terroir qui font sens pour le consommateur et de comprendre l’influence sur leur perception de la qualité du produit alimentaire et sur leurs intentions. Un autre élément important, approfondi lors de ces travaux, a été de nous intéresser aux variables individuelles du consommateur. Partant des résultats des recherches menées antérieurement concernant la crédibilité que le consommateur place dans l’information à laquelle il est exposé, il s’est agi de considérer son niveau de connaissance et de l’intérêt qu’il porte aux produits. Nous avons intégré ces variables dans le modèle de recherche de ce travail doctoral.
Figure 1. Le modèle de recherche de la thèse
Source : thèse de Pascale Le Ret-Ertus
3. Méthodologie
11La thèse a privilégié le point de vue des consommateurs par une analyse qualitative exploratoire. Menée auprès de 28 individus par entretiens semi-directifs, cet échantillon a été construit à partir de critères d’appartenance géographique et de genre (14 hommes et 14 femmes de toutes les régions de France). Selon un guide d’entretien, les thématiques de questionnement abordaient les représentations du terroir et du produit du terroir du consommateur. Un axe de questionnement a également privilégié un produit prototypique du terroir : le vin. Afin de recueillir les perceptions et les représentations du terroir, cette enquête a permis la constitution d’un corpus de verbatim dont l’exploitation s’est faite, d’une part, par une analyse de contenu manuelle (verticale et horizontale) ; et d’autre part, par une analyse de contenu d’univers sémantique à l’aide du logiciel Alceste et à l’aide du logiciel Le Trameur afin de repérer les proximités lexicales du discours langagier des individus. Cette analyse qualitative exploratoire a été suivie d’une analyse quantitative confirmatoire auprès de 1 015 individus. Une première collecte sur 250 individus, à l’aide du logiciel SPSS, a permis la création et la validation d’outils de mesure. Le test des modèles de recherche a été réalisé lors d’une seconde collecte sur 230 individus par des analyses exploratoires et sur une troisième collecte de 535 individus par des analyses confirmatoires. Ces tests des modèles de recherche ont été réalisés à l’aide de modèles d’équations structurelles et de la macro Process de Hayes (2013) afin de tester simultanément les effets d’une variable modératrice et d’une variable médiatrice sur les variables indépendantes et dépendantes.
4. Les principaux résultats théoriques
12D’un point de vue théorique, notre recherche a permis de procéder à la construction d’une échelle de mesure des caractéristiques perçues du terroir pour le consommateur. Qualifiée de « terroirité perçue » (Ertus, 2019), l’instrument de mesure satisfait parfaitement aux exigences de qualités psychométriques. Cette structure finale de l’échelle de la terroirité perçue comporte six dimensions combinant 23 items. Autrement dit, nos travaux ont mis en lien les relations causales entre le signal « terroir » des produits alimentaires et la perception de leur qualité en démontrant la confirmation de l’importance du signal terroir. En effet, nos travaux ont démontré que l’identification de l’origine du produit influence la perception de la qualité du produit (Ertus, Petr et Jacob, 2019) et induit des comportements d’achat de la part du consommateur (Ertus, Petr et Jacob, 2019). De surcroît, nous avons proposé une conceptualisation de cette dimension terroir pour le produit vin, apparu comme produit spécifique au sein des produits du terroir (Ertus et al., 2016). Dans la continuité, nos travaux ont permis de poser une définition du terroir et celle des produits du terroir et du produit alimentaire du terroir. Pour le consommateur, le terroir est défini comme :
« un espace physique en milieu rural, typique, dont on peut identifier l’origine géographique avec un petit périmètre bien circonscrit de l’ordre du champ à l’échelle régionale au maximum. Cet espace défini possède des ressources immatérielles (couleurs, paysages, patrimoine) et matérielles (matières premières) qui pourront être transformées pour élaborer un produit alimentaire »
13Et le produit alimentaire du terroir est défini comme :
« un produit alimentaire élaboré à partir de l’exploitation et la transformation de ressources issues d’un terroir dont la mention d’origine est identifiée et délimitée. La fabrication de ce produit par un producteur se réalise autour de méthodes artisanales et manuelles selon des savoir-faire et des modes de fabrication spécifiques. Les valeurs du producteur en matière de modes de fabrication sont partagées par le consommateur et les matières premières pour la fabrication du produit alimentaire sont issues du terroir du consommateur. Elles sont sans constituant chimique, choisies, naturelles et de qualité. Le mode de fabrication, de ce produit peu transformé, se rapproche du « fait maison » qui confère un bon goût au produit du terroir, ce qui contribue à l’associer à un produit de la gastronomie ».
14Par ailleurs, nous avons souligné l’importance de variables individuelles du consommateur. Il s’agit de son niveau de connaissance et d’intérêt pour le produit et la crédibilité que le consommateur injecte dans l’information du signal qualité. Pour le produit vin, ces variables se déclinent en la connaissance et l’intérêt pour le vin ainsi que le niveau d’expertise du consommateur. Signalons, enfin, l’intégration de la médiation de la qualité perçue dans les réactions comportementales du consommateur.
15Au niveau global, si le produit est bien identifié comme disposant des caractéristiques liées au terroir, c’est-à-dire qu’il obtient un score important en termes de terroirité perçue, il bénéficie alors systématiquement d’intentions plus fortes de l’acheter. Ceci est valable pour tous les produits de terroir, le produit vin y compris. En revanche, nos résultats indiquent qu’il n’y a pas systématiquement un effet de toutes les dimensions constitutives de cette évocation du terroir sur les intentions. S’appuyant sur ce résultat, ceci reviendrait à dire que toutes les informations relatives au terroir n’ont pas nécessairement besoin d’être affichées sur les packagings et mises en avant sur les lieux de vente. Pour compléter notre recherche sur les intentions du consommateur pour les produits du terroir, nous avons créé une échelle de mesure des efforts que le consommateur est prêt à consentir pour un produit disposant de cette qualité liée au terroir. Ainsi, le consommateur ne consent pas seulement à un surplus d’effort monétaire (payer plus cher) mais aussi à des efforts comportementaux (prêt à passer plus de temps à faire ses courses, à attendre plus longtemps, à aller plus loin).
5. Les principaux résultats empiriques
16La mention d’origine reste importante pour le consommateur. Il convient donc de continuer à la délivrer au consommateur comme la loi l’exige. En revanche, nos travaux suggèrent l’idée de proposer un meilleur storytelling du producteur. Nous suggérons la description du savoir-faire du producteur : idéalement, il s’agit de donner à voir et mettre en scène le mode de production, voire de construire ce que nous qualifierions comme « la figure du producteur », dans la communication et le packaging du produit du terroir.
17Si la mention terroir reste porteuse de sens pour le consommateur, nos travaux mettent en exergue une controverse du terroir, fondée sur une banalisation de l’empreinte territoriale. En effet, lors de notre étude qualitative, certains consommateurs ont pointé la référence excessive au terroir et ont fait émerger une limite à son exploitation commerciale associée aux produits. En effet, les répondants évoquent une utilisation massive de ce vocable qui s’organise autour d’une production industrielle maximisée, venant entacher le caractère artisanal du produit. Le produit deviendrait banal et conforme à une standardisation du goût dont le consommateur ne pourrait plus en repérer la rareté. De plus, les consommateurs craignent que le recours à cette empreinte territoriale permette une politique de prix plus élevés. Qui plus est, les consommateurs dénoncent cette banalisation qui semble être fondée sur le fait que recourir et rabâcher les mêmes images autour du terroir contribuerait à amoindrir l’impact du contenu informationnel de la communication. En ce sens, la généralisation du « local » pourrait engendrer le risque de le galvauder. En conséquence, les signaux montrant l’expression du terroir permettraient de limiter sa controverse. Le consommateur est donc à la recherche de critères scientifiques qui prouvent l’expression du terroir. Il convient d’introduire de la scientificité sur les critères du signal terroir dans le but de protéger le consommateur, qui manifeste un capital-confiance important dans les labels et marques. Mais notre recherche a montré que le consommateur ne fait pas toujours de différence entre les labels et les marques. Dès lors, des critères scientifiques, c’est-à-dire tangibles et mesurables, seraient à introduire pour faire des classements de la qualité réelle associée aux différents signaux. Il s’agirait de mener des tests organoleptiques pour en réaliser une évaluation « en toute objectivité ». La piste de la révision des cahiers des charges serait idéalement à envisager. Sur ces bases, un effort d’information et de sensibilisation de l’opinion publique pourra ensuite être mis en place afin que le consommateur ait connaissance de ce que recouvrent ces signaux.
18Concernant le produit « vin », le consommateur reste sensible à la manière dont le vigneron exerce son métier et sur sa propre manière d’envisager ses pratiques viticoles. Il est donc très attentif aux valeurs véhiculées par le vigneron. En effet, le consommateur recherche des vins fabriqués dans la plus pure tradition selon des modes de production artisanale, lui conférant ainsi une typicité. Dès lors, pour la dimension « vigneron », cela revient à dire qu’il faut prioritairement mettre en avant « la figure du vigneron », notamment à travers ses valeurs, ses pratiques et sa vision de la viticulture. Ce sont ces éléments qui, s’ils sont partagés avec le consommateur, influencent grandement la certitude que le produit vin aura des qualités supérieures gustatives et organoleptiques. Pour la dimension « produit », cela suggère combien il est important d’insister sur la référence au vignoble, et idéalement en le localisant. Ainsi, notre recherche montre alors que le vigneron a intérêt à présenter l’environnement direct de son vignoble y compris les éléments patrimoniaux et architecturaux du lieu. Le vigneron gagnerait à communiquer sur la localisation de son vignoble étendue aux aménités environnementales et patrimoniales en montrant la parcelle de son vignoble et la campagne environnante, les belles couleurs de la vigne ou bien encore l’architecture du village où se situe son vignoble.
19Concernant la recherche du caractère irréfutable de la valeur des signaux qualité, le secteur vitivinicole français est organisé autour de l’obtention d’une AOC dont la littérature affiche une perte de valeur (Garcia-Parpet, 2007). Notre recherche corrobore cet affaiblissement de la crédibilité placée dans l’AOC. En effet, nos résultats démontrent le manque de transparence dans la qualification normative de l’AOC. Les consommateurs sont à la recherche de critères tangibles pouvant conférer une valeur à l’AOC. Ce résultat résonne avec l’« ontologie de la notion de terroir », exprimé par Teil (2011), et pointe la nécessaire description spécifique du terroir (Moulard et al., 2015) puisqu’il revient aux vignerons d’être exigeants sur la typicité de leur vin. Ainsi, rebondissant sur le besoin de scientificité déjà évoqué, que ce soit dans le cadre général des produits du terroir ou le cadre du produit vin, notre recherche pointe l’administration de critères scientifiques à la valeur des signaux qualité.
20La littérature consacrée au produit vin est très conséquente, mettanr en évidence une communication, développée par les producteurs, autour d’une approche « terroiriste » (Bobrie, 2009/2013). Notre recherche démontre, paradoxalement, que le consommateur, bien que sensible à cette approche, ne souhaite cependant pas que le terme « terroir » soit associé au vin. Nos résultats font ressortir que l’appellation « terroir » ne s’applique pas au vin et est plutôt considérée comme synonyme de « piquette » alors qu’elle est plébiscitée pour les autres produits alimentaires. Le consommateur est sensible au mode de production du vigneron. Cela suggère que le contenu informationnel à délivrer au consommateur doit être fondé sur les pratiques de production du vigneron, qui, par son travail, mettra en valeur le terroir. Dès lors, il convient d’accentuer une communication sur les pratiques du mode production plutôt que sur une appellation « vin de terroir ». Par ailleurs, le consommateur souhaite passer du temps avec le vigneron pour évoquer ses pratiques culturales. Il serait donc intéressant pour le producteur de privilégier la commercialisation de son vin dans les circuits directs de distribution. Il s’agirait d’être présent dans les salons de producteurs, les salons affichant les talents locaux et leurs saveurs, les foires gastronomiques, les marchés des produits du terroir et artisanaux. Il convient de jouer sur la proximité avec le vigneron.
21Pour conclure, ces variations questionnent l’application de notre échelle de la terroirité à d’autres produits. En effet, quid de l’échelle de la terroirité perçue du produit du terroir pour un autre produit comme le fromage ou le foie gras, cités eux aussi comme des produits du terroir pour les Français (Ertus et al., 2016). Si elles apparaissaient réorganisées différemment et suggérant peut-être le poids de la « dimension producteur » et expression d’un mode de fabrication, ceci pourrait devenir un angle d’investigation à privilégier pour les recherches marketing autour des filières productrices de produits du terroir.
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Pascale Ertus, « Résumé de thèse : Mesure des dimensions du terroir et influence sur la qualité perçue et sur les intentions du consommateur vis-à-vis du produit alimentaire et spécificités pour le produit vin » dans © Revue Marketing Territorial, 3 / été 2019
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Quelques mots à propos de : Pascale Ertus
Docteure en Sciences de Gestion de l’université Bretagne Sud (Vannes), où elle enseigne, Pascale Ertuz est chercheuse associée au laboratoire d’Économie et de Gestion de l’Ouest (LEGO, EA 2652) sur la thématique du marketing alimentaire, principalement autour des produits du terroir. Auteure d’articles, elle présente ses travaux de recherche lors de conférences et de colloques. Elle a également dirigé un cabinet de conseil en marketing-communication.