1Le sport est un « fait social total » (Mauss, 1924 ; Pociello, 1995 ; Defrance, 2012) ancré dans la manière dont nous envisageons nos communautés, construisons nos hiérarchies sociales et même dont nous conceptualisons la socialisation (McCormack, Chalip, 1988). L’événement sportif qui en est une émanation, ponctue, rythme même, lorsqu’il est récurrent, la vie sociale. En ce sens, c’est un temps politique à la croisée des volontés, des intérêts et parfois même des attentes. Pour ces raisons, il génère des effets variés qu’il convient d’analyser précisément tant les implications sont nombreuses.

2Parmi elles, il est un sujet récurrent dans les médias depuis quelques années et largement débattu depuis une trentaine d’années dans la littérature académique : l’impact des événements sportifs. Si l’essentiel des travaux se focalise dans un premier temps sur l’impact économique, depuis, les effets inhérents aux sphères sociale, touristique et médiatique ou environnementale ont été également éclairés. Certains auteurs ont ouvert la voie à des approches originales cherchant à intégrer les différents effets sous un même impact transversal : humain (Weed, 2011) ou territorial (Gouguet, 2004 ; Bessy, 2013). De manière générale, si « mesurer » et « évaluer » sont les maitres-mots des premières études (Crompton, 1995), l’attention est de plus en plus portée sur la compréhension des effets. Charrier et Jourdan (2009) proposent par exemple d’analyser les dynamiques locales pour appréhender l’ensemble des effets qui apparaissent avant, pendant et après l’organisation d’un grand événement sportif.

3Dans la continuité de ces travaux, la question qui a guidé notre travail doctoral porte sur l’action publique territoriale et le potentiel des événements sportifs à participer à la structuration du territoire en jouant une partition de médiateur entre les groupes sociaux et les lieux. La thèse est le fruit d’une étude de cas multiples constituée de neuf monographies représentant la diversité empiriquement observée des événements sportifs parisiens entre 2013 et 2016. Une première partie justifie l’utilisation d’une méthode inductive ainsi que les premiers résultats liés à sa mise en œuvre. Les deuxième et troisième parties discutent les résultats de nos analyses sur les jeux d’acteurs et les impacts générés par ces projets événementiels.

1. La chaine de sens de la thèse

4L’intérêt croissant des universitaires pour les impacts immatériels des événements sportifs génère l’apparition d’une méthodologie plus qualitative centrée sur le terrain, les acteurs et le contexte (Weed, 2015). En conséquence, la thèse s’appuie sur le constat empirique pour générer un cadre théorique conformément à la théorie ancrée (Glaser et Strauss, 1967). L’approche préconisée vise à ce que le cadre théorique soit généré à partir des données plutôt qu’à partir des recherches antérieures, même si ces recherches antérieures ont une influence sur le résultat final (Stern, 1980). Nous utilisons l’étude de cas multiples (Yin, 2013) pour comprendre les points d’intérêts des acteurs, découvrir la complexité des relations dans un contexte donné et présenter une interprétation holistique des événements (Merriam, 1998). Notre position épistémologique est celle d’un réalisme interprétatif qui invite à prendre la subjectivité comme un moyen et non comme une limite (Anadon, 2006). Toutefois, la créativité qui est permise, voire même encouragée par cette approche ne peut apparaître que dans un cadre fait de rigueur. Quatre procédures méthodologiques doivent être rigoureusement respectées pour assurer la validité scientifique des résultats :

• la précision du cadre de la recherche, c’est-à-dire la définition de l’objet et du terrain de l’étude

• la suspension temporaire du recours à des cadres théoriques existants en faisant abstraction, le plus possible, des précompréhensions fournies par les théories existantes

• l’interaction circulaire entre la collecte et l’analyse des données en fusionnant ces opérations et ce, du début à la fin de la réalisation de la recherche (Guillemette, 2006)

• les procédures d’analyse favorisant l’ouverture à l’émergence des données notamment par l’utilisation de catégorisation, c’est-à-dire un regroupement de discours pouvant aboutir à une idée ou un concept à partir d’une analyse du sens et l’utilisation de méthodes interprétatives (Wagenaar, 2006 ; Weed, 2008)

5Ces deux derniers principes, non séquencés chronologiquement, correspondent à la récolte des données et à la formalisation de prismes d’analyse jusqu’à la « montée théorisante ».

1.1. Le corpus de données qualitatives pour étudier le terrain de Paris

6La collecte s’appuie sur de l’observation in situ1, des entretiens semi-directifs et de l’analyse documentaire (supports de communication, bilans internes, articles de presse...). Nous recueillons le plus d'informations possible pour chaque événement à l’étude : l’histoire, les acteurs concernés et le contexte de leurs actions. Nous utilisons un processus de centration progressive par catégorisation (Paillé, 1994) qui se poursuit jusqu’à la saturation théorique (Stake, 1995). La méthodologie mise en œuvre assure la triangulation des données et garantit la validité des données récoltées (Kvale, 1996).

Tableau 1. Récapitulatif des données collectées et méthodes de restitution

7Composée de 20 arrondissements, Paris a des identités sociodémographiques (Lallement, 2010) et administratives multiples. L’étendue de ce territoire de 12,4 millions d’habitants offre un panel reflétant la diversité des types d’événements sportifs identifiés dans la littérature. L’utilisation de l’espace urbain par des événements sportifs y est régulière en raison de la saturation des équipements. Il existe également un effet de prestige induit par le patrimoine culturel et historique de la ville (Lussault, 2007) faisant de Paris l’une des premières destinations touristiques mondiales.

1.2. La typologie des événements sportifs selon les volontés premières

8L’événement sportif est un fait social où l’on se rassemble dans une sorte de célébration collective pour assister à un spectacle sportif (Piquet, 1985). Pour en appréhender la diversité nous ne voulons pas nous restreindre à un type d’événement identifié à partir d’une typologie existante. Comme l’indique Bessy et Suchet (2016), aucun de ces cadrages n’est vraiment satisfaisant dans la mesure où l’événementiel sportif est à la fois pluriel, en mutation constante et impliquant des acteurs multiples sur des territoires contrastés. C’est pourquoi nous avons effectué un recensement extensif des événements sportifs récurrents qui se déroulent dans Paris intramuros. La recherche s’est appuyée sur les registres et calendriers tenus par les acteurs locaux politiques ou du mouvement sportif et aboutit à 260 occurrences. Pour les organiser, nous avons constitué un échantillon théorique (Gagnon, 2012) issu d’une typologie construite sur deux critères discriminants qui correspondent à notre questionnement.

9Le premier, le statut juridique du propriétaire des droits de l’événement, est semblable à certaines typologies qui insistent sur la gouvernance du projet (Ferrand et Chanavat, 2006). Ce critère débouche sur trois modalités : acteur public, acteur privé non marchand (association, fédération) et acteur privé marchand (entreprise). Le second est la « volonté première » qui s’observe sur la base de ce qui est énoncé publiquement par les organisateurs (flyers, affiches, sites web et slogans). Ce concept s’est construit après des entretiens exploratoires et il diffère de l’objectif dans le sens où, en plus d’être un but à atteindre, il est une orientation révélatrice du positionnement de l’événement sur la scène publique. Définir ce concept nécessite de répondre à la question lacunaire : « pourquoi organise-t-on un événement sportif ? ». Bien sûr, cette question ne comporte jamais une seule et unique réponse, raison pour laquelle nous nous intéressons à ce qui est publiquement explicité par le porteur de projet pour parvenir à une classification permettant de prioriser les volontés premières. Deux grandes catégories apparaissent ainsi : les événements sportifs dont le sport est la finalité et les événements sportifs où le sport est un outil pour atteindre une autre finalité, chacun proposant des déclinaisons. Le tableau 2 présente et définit chaque volonté première identifiée.

Tableau 2. Les définitions exploratoires des volontés premières des événements sportifs parisiens

10Ainsi, la typologie des volontés premières nous sert-elle d’outil de sélection des cas puisque nous ne visons pas la proportionnalité mais plutôt la représentativité du fait social (Stake, 1995). Le tableau 3 présente la typologie2 et les événements choisis3 tandis que le tableau 4 apporte des éléments de contextualisation de chaque projet.

Tableau 3. Les événements sportifs de l’échantillon théorique et inscrits dans la typologie des volontés premières

Après ce travail de terrain et les premiers entretiens effectués, deux principaux prismes d’analyses émergent progressivement : les jeux d’acteurs et l’analyse des impacts territoriaux. Les points d’appui théoriques renvoient à la sociologie des organisations (Crozier et Friedberg, 1977) et au fonctionnalisme (Merton et Mendras, 1965) d’une part, puis à une analyse spatialisée des impacts par l’étude du territoire selon une approche extensive (Di Méo, 1991) d’autre part. Ce travail analytique circulaire se fait au sein d’une caractérisation contextuelle des « configurations locales » (Sawicki, 2000) dont l’entrée est toujours l’événement sportif.

Tableau 4. Indicateurs comparatifs des événements sélectionnés pour les études de cas4

Source : Bourbillères (2017).

2. L’analyse des jeux d’acteurs et la fonction déterminante de l’acteur public

11La fonction déterminante de l’acteur public dans le développement ou la pérennisation des événements sportifs, et plus généralement, dans le système sportif parisien, ressort clairement de nos données. La présence de la ville est quasi-systématique dans la gouvernance des événements de manière directe ou indirecte (subvention, soutien logistique ou administratif). Toutefois les registres de son action varient puisqu’elle endosse diverses fonctions. Lorsqu’elle adopte une fonction qui vise à faciliter ou contribuer au montage organisationnel de l’événement, on observe généralement une mise en réseau plutôt vertueuse, c’est-à-dire que les relations qui se nouent à l’occasion de l’événement entre les parties prenantes ont tendance à exister au-delà de sa temporalité. Nous avons repéré plusieurs déterminants favorisant l’apparition d’un intérêt commun : une situation d’interdépendance eu égard au rayonnement médiatique et économique d’un événement (Roland Garros) ; un capital social qui permet la mobilisation d’un réseau composé d’acteurs privés et d’élus locaux (La Parisienne) ; l’extrême cohérence d’un projet considéré comme un élément du patrimoine local (course cycliste). Le périmètre de l’action concertée dans l’événementiel sportif correspond donc à une situation de porosité où les deux principaux acteurs (porteur de projet et acteur public) réajustent leurs positions respectives pour garantir l’intérêt commun (Callède et Dané, 1991). En outre, quand la ville adopte une autre attitude, soit qu’elle ralentit ou qu’elle reste indifférente, ou même lorsqu’elle impulse le projet sans avoir recours au mouvement sportif, alors nous constatons la présence d’une mise en réseau restreinte à la stricte temporalité de l’événement. Les freins repérés dans ces situations sont un jeu de couleurs politiques incompatibles (Famillathlon) ; des perceptions différentes du sport (Berges de Seine) ; ou encore des logiques antagonistes entre acteurs (LNB All Star Game) eu égard à des rationalités divergentes. Ces situations créent une forme d’inertie.

12L’intérêt commun est la clef de voûte du processus de mise en réseau (fig. 1). En amont, les déterminants ou les freins vont conditionner son apparition. Celui-ci est formalisé par l’interaction d’acteurs que suppose par essence toute organisation d’événement sportif. Ensuite, c’est la fonction que les acteurs vont jouer dans le système d’action concret (SAC), qui va générer une mise en réseau vertueuse ou restreinte. Plus il y aura de facilitateurs5 et de contributeurs dans le SAC, plus la mise en réseau s’avérera vertueuse. À l’inverse, plus il y aura d’indifférents6 voire de ralentisseurs7, plus il y aura de chances d’observer une mise en réseau restreinte. Finalement, il semble que le rôle des acteurs dans les SAC dépende du contexte et des différentes fonctions reconnues au sport et illustrées par la diversité des projets événementiels, des acteurs et de leurs engagements.

Figure 1. Le processus de mise en réseau initié par un événement sportif récurrent

Source : Bourbillères (2017).

13Les résultats indiquent que ce n’est ni la volonté première, ni même le statut juridique du porteur de projet qui vont déterminer l’implication de la ville mais plutôt la perception par les élus d’externalités sociales associées aux événements sportifs. En nous appuyant sur les travaux issus de la sociologie fonctionnaliste (Parsons, 1937 ; Merton et Mendras 1965) et sur l’analyse des fonctions sociales du sport (Bouet, 1968 ; Pociello, 1981 ; Defrance, 2012), nous envisageons un continuum de finalités soumis à la perception singulière d’un individu, plutôt qu’une approche antagoniste entre un sport qui serait considéré comme un bien commun et une logique exclusivement mercantile. Ce continuum aboutit à une forme de porosité entre les sphères publiques, privées marchandes et le mouvement sportif fédéral. Finalement, nous observons que l’intervention de la ville en matière d’événementiel sportif ne contribue au développement de l’action sportive locale qu’à la faveur de situations spécifiques et uniques. Chaque projet est la résultante d’une concordance de facteurs et l’implication de la ville a rarement le même fondement. Cette disparité dans l’engagement des catégories d’acteurs apparaît en fonction de configurations locales singulières consacrant une impression constante de complexité.

3. Le processus de l’ancrage territorial des événements sportifs récurrents

14Par le second prisme, nous avons cherché à analyser comment l’événement sportif passe de l’intérêt commun, clef de voûte de la mise en réseau, au bien commun, vecteur de territorialité (Lascoumes et Le Bourhis, 1998). Par l’étude des conditions d’émergence des dynamiques locales nous avons repérés quatre dimensions qui, conjuguées, participent de ce que nous avons appelé l’« ancrage territorial ». Pour illustrer ce processus, considérons dans un premier temps le territoire d’après la définition de Di Méo (1991) et reprise dans de nombreux travaux par la suite. Le territoire se compose de deux structures : la formation socio spatiale et la méta-structure socio spatiale. La première, objective, renvoie aux acteurs, au pouvoir politique (frontières) et de manière générale à tout ce qui est formalisé administrativement ou perceptible matériellement sur le territoire. La seconde, subjective, correspond à l’ensemble des rapports sociaux et spatiaux propre à chaque individu et qui le rattache au monde. Elle appréhende le territoire comme un espace décrit et vécu par l’individu et renvoie aux représentations idéelles. Dans la thèse, nous montrons que l’événement sportif récurrent, par son caractère multidimensionnel, peut impacter l’ensemble des deux structures de territoire. La méta-structure socio-spatiale en premier lieu, à travers la dynamique sociale. En effet, l’événement sportif peut-être le support de cohésion, de mixité, de capital humain, de développement de la pratique sportive avec un effet positif sur la santé ou le bien-être. En étant ce temps commun, partagé, il génère une synergie des attentions, parfois des enthousiasmes, qui alimente l’espace vécu en participant d’une expérience profondément liée au territoire. Ce processus peut potentiellement renforcer l’espace vécu puisque l’identité locale est une composante spatiale (Di Méo, 2004). La dynamique économique locale va, quant à elle, impacter la formation socio-spatiale. En générant des interactions entre acteurs locaux, formalisés par des flux économiques, l’événement s’insère dans le circuit économique. La mise en réseau ainsi créée ancre très matériellement l’événement et la théorie de la base est un outil adapté à l’identification spatiale de ces flux (Bourg et Gouguet, 1998). À moyen et long terme, l’effet d’image peut entraîner des flux économiques de manière décalée dans le temps (effet externe d’image territoriale, effet interne pour attirer des partenaires et alimenter un réseau local). À cet égard, le projet événementiel renforcé par son éventuel caractère récurrent peut devenir une ressource pour la structuration du territoire (Higham, 1999 ; Chappelet, 2014). Enfin, les dynamiques spatiale et patrimoniale impactent les deux structures de territoire. L’événement sportif, mobilise à la fois des attributs matériels dans la manière dont il se donne à voir dans l’espace public (par une sémiotique patrimoniale, un marquage urbain visuel ou sonore) mais convoque aussi une dimension immatérielle dans l’attribution d’un sens, d’une dimension symbolique. Il apparaît que les événements mobilisent et génèrent de manière concomitante du patrimoine puisqu’ils sont l’émanation des caractéristiques locales. Ils concerneront aussi bien les infrastructures que l’histoire, les valeurs et autres symboles liés au territoire hôte. Les différents cas abordés dans la thèse révèlent l’intérêt d’une approche par le patrimoine urbain pour comprendre la manière dont le lien entre l’événement et son territoire hôte se formalise : on parle d’un « patrimoine intégré » (Vernières et al., 2012) pour faire référence à la valorisation d’un ensemble de liens complexe entre des éléments constitutifs du patrimoine matériel et immatériel.

15Ainsi, d’un point de vue théorique, plus ces quatre dimensions vont être présentes conjointement et avec intensité, plus l’événement sportif pourra devenir le support d’une conscience d’un sport partagé et faisant de l’événement en question un bien commun, porteur d’identité territoriale (fig. 2). Puis, la récurrence du projet permet de l’inscrire dans un temps long convoquant une mémoire du territoire. En agrégeant les quatre dynamiques, nous proposons une définition de l’ancrage territorial d’un événement sportif en tant que produit de l’alliage territoire/événement :

« la potentialité d’un projet événementiel d’induire auprès de la communauté locale du dynamisme social et du dynamisme économique, de mobiliser ou générer du patrimoine et d’être spatialement perceptible en vue d’alimenter la représentation du territoire hôte dans la durée par un renforcement de son identité ».

Figure 2. Le processus d’ancrage territorial d’un événement sportif récurrent

Source : Bourbillères (2017).

16Soulignons que plus l’événement sera ancré, plus l’acteur public sera enclin à s’impliquer. Dans le cas des deux événements les plus ancrés territorialement au regard de l’analyse des quatre dynamiques (La Parisienne et Roland Garros), les élus utilisent l’événement pour communiquer sur le dynamisme et la dimension festive de Paris. Ils vont même jusqu’à défendre l’implantation de Roland Garros à Auteuil de manière publique au niveau des plus hautes sphères de l’État8. Les projets de plus petites envergures génèrent des effets qui s’appréhendent en lien avec les singularités locales et donnent lieu à des analyses plus nuancées. Par exemple, les événements portés par l’acteur public (Femmes en Sport ; Charléty Sur Neige) sont peu ancrés (c’est-à-dire peu actifs sur les quatre dynamiques étudiées), notamment car ils subissent des réajustements liés à la politique publique qu’ils incarnent. Finalement, les impacts des événements sportifs considérés dans toute leur diversité et notre volonté d’embrasser la transversalité des effets qu’ils génèrent nous ont conjointement amené à opter pour une approche territoriale. Plus que l’étude isolée des caractéristiques du territoire hôte ou de l’événement, c’est dans le produit de leurs interactions que nous avons concentré notre analyse. La notion d’ancrage territorial formalise ce canevas analytique qui souligne par ailleurs la prégnance des notions de temporalité et d’identité locale.

Conclusion : des dynamiques locales à la dynamique territoriale

17Plusieurs résultats relatifs aux modalités d’organisation du sport en France apparaissent indirectement de l’analyse. En premier lieu, mentionnons l’hétérogénéité des acteurs et de leurs engagements sur le champ sportif, ce qui génère des situations singulières consacrant une impression de complexité qui paraît dommageable pour l’ensemble du champ. Nous retenons ensuite la centralité de l’acteur public dans l’événementiel sportif parisien en soulignant tout particulièrement son rôle déterminant dans l’apparition de dynamiques locales. Ce constat prend le contrepied de la tendance relative à l’apparition d’acteurs privés dans l’événementiel sportif (Blin, 2012) et s’inscrit à contre-courant des effets liés à la percée du capitalisme et observables dans de nombreux champs sociétaux : désengagement de l’État et privatisation des entreprises publiques (Gasparini et Koebel, 2011), expansion des processus de marchandisation aux sports de plein air, aux loisirs et à la culture (Martel et Clément, 2009). Toutefois, comprendre la manière dont l’acteur public utilise les différents projets événementiels, même lorsqu’il n’en est pas l’instigateur, amène surtout à faire le constat d’une forme de porosité entre les sphères publiques et privées. Les événements sportifs apparaissent comme des projets vecteurs de dynamisme lorsqu’ils se constituent dans une forme de transversalité mobilisatrice. Pourtant, une résistance au changement au sein du mouvement sportif local s’établit au nom d’une approche « parlebasienne » du sport. En effet, les organisations sportives rechignent souvent à participer à un projet événementiel et à s’investir dans le système d’action concret au nom d’une fonction motrice, compétitive et institutionnalisée qu’elles considèrent manquante. En conséquence, l’analyse de l’événementiel sportif parisien semble révéler un modèle de cogestion du sport par déconcentration. Autrement dit, on ne trouve pas de modèle général formalisant l’implication des différents acteurs, au profit d’un éclatement et d’une diversité d’initiatives (Bourbillères, Evrard, Charrier, 2019). Cette situation génère une gouvernance et des effets qui se singularisent au cas par cas. À cet égard, nous rejoignons les travaux de Weed (2008, 2011, 2015), O’Brien et Chalip (2007), Girginov (2012), Taks et collaborateurs (2013) qui reconnaissent qu’un événement sportif n’a pas d’effet intrinsèque positif sur un territoire. C’est en imaginant ce qui peut l’accompagner, le faire vivre par les populations qu’il deviendra générateur d’impact. C’est la raison pour laquelle, selon ces auteurs, l’analyse doit se concentrer sur l’action publique et l’investissement dans les programmes d’accompagnement afférents aux événements sportifs (Girginov, Hills, 2009).

18Nous tenions à souligner un dernier résultat : la prégnance des caractéristiques du lieu. Elles jouent un rôle prépondérant dans le développement d’un projet événementiel qui ne prend sens qu’à la faveur de son emplacement. Chaque événement sportif parisien mobilise ainsi une caractéristique du territoire pour se pérenniser ou se développer. Ce constat rejoint les travaux de Bessy (2013, 2014) qui s’appuie sur les ressources territoriales de Gumuchian et Pecqueur (2007) pour analyser le potentiel d’attractivité d’une destination pour un événement sportif. À cet égard, Paris semble être un terrain fertile pour les événements qui pourraient profiter d’une certaine forme de prestige ou d’effet de taille. D’ailleurs, par une analyse existentialiste (Mucchielli, 1986 ; Fourny, 2008) du territoire sportif nous avons proposé d’illustrer notre analyse par la présentation d’un Paris sportif dynamique, prestigieux mais fragmenté.

• Dynamique, car le territoire voit émerger une multitude de projets événementiels variés qui trouvent un terreau propice à leur développement dans un bassin de population important. Ce dynamisme du territoire sportif peut aussi s’appréhender à travers l’innovation événementielle qui fourmille en son sein.

• Prestigieux, car la capitale parisienne dispose d’un caractère brillant qui s’observe dans le rayonnement de certains projets événementiels et dans son potentiel attractif pour de nombreux organisateurs. Ceux-ci comportent en corollaire une forme d’inaccessibilité territoriale ou financière.

• Fragmenté enfin, puisque le territoire favorise l’émergence d’initiatives mais ne parvient pas à les intégrer de manière concomitante au sein d’un continuum d’événements sportifs nourrissant l’espace vécu. Cette fragmentation peut aussi s’entendre à travers l’inégale répartition des projets événementiels à dimension prestigieuse, plutôt concentrés dans l’ouest parisien9.

19Enfin, en comprenant mieux la situation d’un territoire à travers le potentiel d’un événement sportif, nous pouvons envisager le développement d’un outil permettant d’appréhender ce que la complémentarité entre plusieurs projets pourrait produire à plus long terme. Certes, l’analyse des dynamiques locales s’est avérée être un éloge de la complexité, mais nous envisageons qu’il puisse se muer en un éloge de la complémentarité, où l’agrégation des dynamiques locales permettrait la mise en place d’une dynamique territoriale, par la constitution d’un portefeuille d’événements sportifs (O’Brien et Chalip, 2007).

La notion de portefeuille correspond à une mise en réseau généralisée d’acteurs participant à l’organisation d’événements récurrents aux caractéristiques différentes mais complémentaires (Ziakas et Costa, 2011). Par exemple un événement générateur d’externalités sociales viendrait prendre place dans le portefeuille, aux côtés d’un événement vecteur de communication territoriale. Bien sûr, ce type de réflexion existe déjà de manière informelle dans le service des sports de la plupart des grandes villes, mais il s’agirait ici d’opter pour une approche plus systématisée et stratégique. Le principal frein résiderait dans la difficulté d’assembler une toile fragmentée, c’est-à-dire des acteurs hétérogènes qui auront des logiques, au mieux divergentes, au pire antagonistes. Pourtant, le potentiel théorique du portefeuille paraît important dans la mesure où il favoriserait la mise en réseau et la dynamique territoriale. À cet égard, la perspective de suivre l’accueil des JOP 2024 corrélée à une étude de ces événements récurrents pourrait être très pertinente pour sortir progressivement du flou perceptible dans l’opinion public au sujet des impacts et dépasser à terme les clivages un peu manichéens qui règnent sur ces questions d’actualité.