Une variété de statut pour écrire dans le champ du marketing territorial

Charles-Edouard Houllier-Guibert


Texte intégral

1Ce nouvel opus de la Revue Marketing Territorial propose des productions variées, issues de docteurs qui n’ont pas pris les mêmes voies professionnelles. C’est l’occasion de redire combien le doctorat mène vers des chemins pluriels, en tant que diplôme qui intègre le plus dans le monde professionnel comme le rappelle les données du CEREQ. Ainsi, les auteurs de ce numéro sont dans des situations professionnelles différentes mais qui ont chacune un lien plus ou moins proche avec le marketing territorial et plus largement le développement territorial.

2Parmi ces auteurs, Roman Stadnicki, maître de conférences, et Eric Rémy, professeurs des universités, sont des universitaires comme le sont les auteurs du texte collectif du colloque du CIST. C’est le statut le plus commun de ceux qui sont amenés à rédiger des articles dans les revues académiques. Nous avons aussi la chance de recevoir dans ce numéro des productions écrites :

  • du chargé de recherche Jean-François Ruault, de l’IRSTEA, entité scientifique qui recrute des chercheurs à temps plein, offrant une implication complète trop rare en sciences humaines et sociales ;

  • de deux docteures en histoire et en géographie, Anne-Sarah Moalic et Emilie Bonnet qui sont chargées de mission au sein de l’agence d’attractivité de Normandie, afin de soutenir la marque Territoire de la région et les actions de mobilisation afférentes ;

  • de deux docteurs en sciences de gestion et en droit public, Jean-Michel Tobelem et Fabrice Thuriot qui offrent là encore un exemple de travail pluridisciplinaire. Leur métier d’ingénieur de recherche et de professeur associé dans les universités de Reims et de Paris montrent la capacité d’écriture possible dans des fonctions qui accordent souvent peu de temps à cela ;

  • d’un post-doctorant parti en Chine pour exercer son métier juste après le doctorat, Basile Michel rappelle que l’insertion professionnelle est aisément internationale, offrant des expériences professionnelles, parfois ponctuelles, parfois plus longues, dans divers endroits du monde. Aujourd’hui ATER à l’université d’Angers, il dispose de l’un des postes ponctuellement proposés par la fonction publique pour répondre aux temporalités lentes de l’insertion professionnelle définitive des scientifiques ;

  • d’un enseignant-chercheur en retraite, André Joyal, qui aime recenser des ouvrages, ce métier étant l’un de ceux que l’on peut continuer à exercer une fois retraité.

3Le contenu de ce numéro est tout aussi varié que les statuts des auteurs. Parmi les quatre articles scientifiques, celui d’Eric Rémy devait trouver sa place dans le numéro 0 de RMT, celui qui montre l’éventail des recherches possibles en marketing territorial. Ce texte devait incarner une partie du champ du marketing des sciences de gestion. Il est finalement présenté ici, arborant la forme d’un condensé de plusieurs productions écrites antérieurement par l’auteur, souvent en co-écriture. Son propos se focalise sur le marketing territorial sans traiter du marketing des territoires, celui impulsé par les pouvoirs publics. Il s’agit ici de consommation culturelle, de la dimension identitaire de cette consommation qui vient renforcer la territorialité comme définie par les géographes, une notion qui a surement besoin d’être consolidée par les chercheurs en SHS au travers de la transdisciplinarité. C’est une mission que peut se fixer RMT.

4Puis, la définition d’un équipement culturel structurant est posée avec Jean-Michel Tobelem et Fabrice Thuriot. Il en va aussi des événements structurants qui prennent plusieurs formes recensées par les auteurs, à travers la comparaison de dix sites, dont l’étude de cas approfondis de quatre terrains français. Des questionnements similaires à la thèse de José-Ignacio Bela-Vazquez (numéro 1 de RMT) trouvent des réponses avec ces terrains éparses en France, conduisant vers une proposition de définition de cette expression tellement usitée dans les discours politiques mais si difficile à démontrer : l’équipement culturel structurant est-il évaluable ? L’approche culturelle des territoires est aussi abordée par Basile Michel. L’intérêt de son article est de comparer l’approche ascendante et celle descendante de la constitution de deux quartiers d’une même ville qui se positionnent sur la même idéologie territoriale (Houllier-Guibert, 2011) : la créativité, afin d’être identifiée comme une ville créative. Parmi les deux quartiers nantais, Basile Michel se focalise davantage sur le quartier spontanément né du volontarisme de ceux qu’il appelle les travailleurs créatifs. C’est là une recherche innovante de s’intéresser à ceux qui veulent être alternatifs, refusent l’injonction institutionnelle pour définir les lieux, tout en sachant contrôler par eux-mêmes l’espace (pouvoir immobilier) et en sachant aussi mobiliser à certains moments les pouvoir publics locaux, ceux qui soutiennent le quartier officiel de la créativité nantaise. Ne voyons pas ici de concurrence mais plutôt deux modèles de fabrication identitaire des quartiers dont nous pourrons observer au fil du temps la capacité à être pérenne, à se transformer et surtout à conserver une dynamique économique, objectif premier des pouvoirs publics en ce qui concerne le quartier officiel.

5Le quatrième texte s’intéresse à la marque Territoire de la Normandie. L’objet des Ambassadeurs ainsi que celui des structures qui portent les démarches d’attractivité, fait écho à l’article du précédent numéro (Houllier-Guibert et al., 2018). L’apport ici est le point de vue des praticiens du marketing territorial, ceux qui doivent opérer de manière concrète pour fabriquer de la dynamique collective ; façonner un réseau selon des profils dont il faut choisir les points communs ; et pérenniser un attachement au territoire dans les réseaux professionnelles qui pourront faire coalition d’acteurs. On pourra s’étonner du découpage fait par les auteures de deux types de réseaux qui sont celui de la marque Territoire et celui des ambassadeurs. Alors que la marque peut être envisagée comme outil fédérateur d’un réseau d’ambassadeur, ici, la posture est de les dissocier. Mais à quoi sert une marque si elle ne repose pas sur un réseau d’individus actifs qui la font vivre ? Une marque n’existe que par le positionnement affirmé dans l’esprit des consommateurs, en proposant une promesse valorisante. Si l’on veut dépasser les images d’Epinal des territoires, ce sont les ambassadeurs qui permettent d’affirmer ce positionnement, sinon les marques ne s’imposent auprès de personne. La plupart des marques Territoires en France ne sont que des outils de management territorial, à vocation interne… mais de quelle organisation ?

6Dans la rubrique Image et Territoire, Roman Stadnicki présente des photographies de Manuel Benchetrit qui traitent de villes du golfe persique afin d’évaluer la mise en vitrine des projets urbains dont les temporalités sont... infinies pour certains d’entre eux. RMT soutient l’étude de terrains éloignés dès lors que la question du développement territorial est approchée, par le prisme plus ou moins affirmé du marketing des territoires. Au travers de l’urbanité qui se développe dans ces villes arabes en pleine expansion, la compétition métropolitaine et plus largement la course au leadership via la polarisation de ces nouvelles capitales, est traitée par le géographe qui conclue sur une perte de contrôle de l’image urbaine.

7Enfin, la rubrique des textes de synthèse est composée d’un résumé de thèse, d’un compte-rendu d’ouvrage et d’un compte-rendu d’événement scientifique. Ce dernier est le CIST 2018, regroupement de chercheurs qui vise à structurer le champ disciplinaire des sciences territoriales. Le CIST s’est intéressé, pour son quatrième colloque, à l’objet « Représentation ». Voilà un moment que ce mot n’avait pas été questionné de manière aussi plurielle ; depuis les années 1980, il est moins appréhendé bien que toujours autant étudié par les SHS. Cet important colloque qui s’est tenu à Rouen était organisé en différentes sessions dont trois se rapprochent des intérêts de RMT et pour lesquels les animateurs et organisateurs ont accepté de rendre compte ici. La première session porte sur le marketing territorial au sens large, telle qu’habituellement étudié par les géographes, c’est-à-dire au travers d’études de cas uniques, souvent insuffisantes pour tendre vers une approche nomothétique du marketing des territoires ; la deuxième session traite de la production d’imaginaire dans les fictions, un sujet qui peut entièrement avoir sa place dans RMT, peut-être via un numéro thématique à venir qui pourrait intéresser tant la géographie que les SIC ; la troisième session portait sur le mot Valeur et sa polysémie (valeur immobilière, idéologie territoriale, valorisation des produits du terroir…). Il est intéressant d’observer que les trois sessions prenaient plus en moins en compte la question de la valorisation des espaces, de manière multiforme, prolongeant la capacité critique des géographes à dénoncer l’instrumentalisation des représentations sociales. C’est une bonne chose même si l’on pourrait aussi envisager des études basées sur un angle moindre en matière de déconstruction des phénomènes sociaux. Ne perdons jamais le point de vue critique en sciences sociales mais ne nous en suffisons pas.

8Les deux autres synthèses sont tout d’abord un résumé de thèse qui étudie l’attraction des lieux à une échelle micro. Ce que Jean-François Ruault nomme l’économie de passage est un levier de richesse (doit-on dire locale ?) plus important qu’on ne le pense, difficile à quantifier et qui révèle, ou plutôt confirme les obsolètes délimitations territoriales de la France en matière de mesure des flux. Enfin, le compte-rendu du court ouvrage d’Olivier Bouba-Olga est plus long que ne l’envisageait son auteur André Joyal qui me disait que faire long sur un petit livre n’était pas évident. C’est finalement chose faite.

Bibliographie

Charles-Edouard Houllier-Guibert, 2011, « La fabrication de l’image officielle de la ville : gouvernance, idéologies, coopération territoriale et rayonnement », dans Cahiers de géographie du Québec, 54, 154, avril, pp.7-35

Charles-Edouard Houllier-Guibert, Graziella Luisi, Therese Albertini et Delphine Bereni, 2018, « La mobilisation des ambassadeurs dans le management d’une marque territoire (MT) : approche exhaustive » dans © Revue Marketing Territorial, 1, en ligne

José Ignacio Vila Vázquez, « Résumé de thèse : Les flagship projects et leur impact territorial dans les villes européennes. Analyse comparative de quatre cas à Paris, Santiago de Compostela, Porto et Oslo. » dans © Revue Marketing Territorial, 1, en ligne

Pour citer ce document

Charles-Edouard Houllier-Guibert, « Une variété de statut pour écrire dans le champ du marketing territorial » dans © Revue Marketing Territorial, 2 / hiver 2019

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=348.

Quelques mots à propos de :  Charles-Edouard Houllier-Guibert

Rédacteur en chef de la Revue Marketing Territorial, Charles-Edouard Houllier-Guibert est maître de conférences en Stratégie et Territoire à l’université de Rouen, membre des réseaux scientifiques AIRMAP (management public), ASRDLF (sciences régionales), du CIST (sciences territoriales) et de l’IPM (place management).