Structure et stratégie des agences de marketing territorial : co-construction et mobilisations en Normandie

Emilie Bonnet et Anne-Sarah Moalic


Résumés

Les structures de marketing territorial se multiplient et avec elles, des exemples d’applications variés. Pour autant, la stratégie et la forme de ces structures sont rarement évoquées. Cet article propose, au travers d’une recherche participative et de l’exemple spécifique de la Normandie, de réfléchir au positionnement de la structure d’attractivité au regard des enjeux de son territoire. L’agilité du cas normand, les spécificités du terrain concerné et les stratégies de mobilisations des acteurs seront discutées. Le territoire, son rayonnement et l’implication des populations, au travers du cas précis des Ambassadeurs, se révèlent au cœur de la démarche d’attractivité.

Place marketing structures’ are multiplying along with them various types of applications. However, strategy and shape of these structures are rarely mentionned. Through a participatory research, this paper will focus on Normandy as a case study. The purpose is to reflect on the attractivity’s structure along with issues affecting the territory. The Norman’s case agility, fieldwork specificities’ and mobilizations’ strategies will be discuss. Finally and through the Ambassadors’ network specific case, the territory and its influence reveals to be at the heart of the attractivity approach.

Texte intégral

1On voit aujourd’hui la multiplication des initiatives de marketing territorial plus ou moins structurées. Nombreux sont les professionnels en charge de ce type de projets qui s’interrogent sur le meilleur modèle à mettre en œuvre, non pour lancer l’initiative, mais pour la faire perdurer.

2Pour les aider, articles et manuels sur le marketing territorial semblent en nombre croissants. Ce qui était une discipline plutôt confidentielle jusqu’à peu s’est implantée en France, jusqu’aux bancs des facultés et des écoles de management, le diplôme pionnier en la matière étant celui délivré par la chaire Attractivité et nouveau marketing territorial, à Aix-en-Provence. En parallèle, sur le terrain, les expérimentations sont encore nombreuses et s’appliquent à tout type de collectivités – certaines faisant même, comme Monsieur Jourdain, du marketing territorial sans le savoir, en promouvant leur territoire par des biais originaux, impliquant la population et se basant sur les spécificités du territoire, à l’exemple du festival de Chaillol, itinérance musicale en milieu rural, présenté lors du Place Marketing Forum 2018.

3Dans cette littérature sur le marketing territorial, travaux académiques et exemples d’application se nourrissent et se complètent mutuellement. Comme l’indique Camille Chamard, « comprendre les enjeux et la démarche de marketing spécifique aux territoires ne peut faire l’économie d’une clarification portant sur la notion même de territoire, mais aussi celles d’attractivité et d’hospitalité » (Chamard, 2014). Les travaux universitaires définissent, conceptualisent et interrogent des pratiques concrètes, tout en recontextualisant ces pratiques dans un environnement politique, économique, démographique plus large. Les cas d’études, dont certains reviennent régulièrement comme les ambassadeurs d’OnlyLyon, le London guest of honour de London and Partners… se veulent inspirants et sont souvent pionniers.

4Néanmoins, entre le marketing territorial vu comme une discipline universitaire, très structurée, problématisée, et un marketing territorial de terrain, donnant lieu à des cas d’étude qui se situent souvent ou au niveau du processus de positionnement de la collectivité, ou bien d’une démarche, d’un projet phare, l’étude des structures organisant ces initiatives et de leurs stratégies, est un élément majeur, encore peu exploré. Ainsi, sur 21 mémoires de master 2 issus de la Chaire Attractivité et Nouveau Marketing Territorial mis en ligne par la Chaire depuis janvier 2017, seul un se penche sur ce type de problématique (Jean-Nicolas Philippin, Gouvernance et marketing territorial, Mémoire Master 2 – Marketing et Communication Publics, IMPGT, Marseille, 2017)1.

5Le marketing territorial est une discipline vivante. Il est, finalement, difficile de la théoriser, car elle répond avant tout aux besoins et aux attentes d’un territoire. Si les territoires peuvent avoir des points communs, en termes de sociologie, de géographie, de tissu économique, ils seront toujours différents. Un projet efficace, aux répercussions positives sur un territoire, peut être un échec sur un territoire similaire, car un territoire est une alchimie rassemblant bien des composantes, ce que cherchent à percer les « portraits de territoires » proposés par des agences spécialisées dans le déploiement des démarches d’attractivité territoriale, comme CoManaging.

6Nous démontrerons, à travers plusieurs exemples français, que la réussite d’une démarche de marketing territorial tient avant tout à sa capacité d’adaptation au territoire. De la réflexion sur la démarche à sa mise en œuvre, il n’existe pas de circuit classique, qui pourrait être copié d’un territoire à l’autre. L’exemple de la Normandie, territoire sur lequel se déploient depuis plusieurs années différentes démarches de marketing territorial, à différents échelons territoriaux (ville, département, région) est représentatif de cette capacité d’adaptation et de la nécessité de la co-construction.

7Ce terme, très usité désormais pour exprimer de nouvelles « bonnes pratiques » professionnelles, peut être défini comme la volonté de bâtir de manière conjointe, sans hiérarchie, et entre des entités différentes, une stratégie commune. On attend de la co-construction plus de propositions, plus d’adhésion, pour un projet qui s’inscrit dans un temps long. Concrètement, la co-construction peut se décliner dans tous les domaines et pratiques liés aux démarches d’attractivité : rédaction d’un diagnostic ou d’un positionnement territorial, gouvernance, réseaux comme celui des ambassadeurs…

8À travers l’exemple de la Normandie, nous montrerons comment la structure et ses projets peuvent répondre aux enjeux du territoire tout en s’adaptant à eux. Dans une région où l’enjeu premier est de donner confiance aux habitants dans les atouts de la région, la mobilisation des acteurs qui font le territoire est capitale. Afin de s’adapter à des interlocuteurs variés, sur un territoire vaste, dans une société mouvante, la structure elle-même doit être agile et donner cette orientation à ses initiatives.

9Cet article s’insère dans une logique de recherche participative. En effet, les auteures étant parties prenantes de la démarche d’attractivité qui constitue l’étude de cas, c’est fort des expérimentations du terrain (études préalables au lancement de l’agence réalisées auprès de 6000 Normands, mise en œuvre de la stratégie de l’agence, actions et animations du réseau d’ambassadeurs) que les observations et pistes de recherches seront posées. Le paradigme du marketing territorial donne un cadre à la réflexion au regard duquel nous proposons d’introduire des théories issues de la sociologie et de la géographie afin d’interroger les mobilisations des acteurs dans le contexte de notre étude de cas.

1. Structure et stratégie des démarches de marketing territorial

10Les professionnels devant créer une démarche de marketing territorial, souvent pour répondre à une commande politique, ont plusieurs étapes à passer avant de pouvoir travailler concrètement sur le territoire. L’étape première de toute initiative rigoureuse de marketing territorial est l’étude du territoire, de ses enjeux, de ses besoins, de ses forces et de ses faiblesses, comme dans toute démarche de marketing classique. Celle-ci est bien connue et détaillée. Les territoires se font en général accompagner par des consultants extérieurs qui les orientent dans ce parcours.

11La deuxième étape est en général plus floue : il s’agit de créer la structure qui va permettre de porter dans la durée la démarche engagée. Il n’existe pas de solution unique, mais une typologie commence à se dégager des différentes expériences nées sur le territoire français durant ces dernières années. À travers quelques cas particuliers (OnlyLyon, Agence d’attractivité d’Alsace, Marque Bretagne, Région Bourgogne Franche Comté…), il est intéressant de voir apparaître les différents facteurs politiques, institutionnels ou humains qui ont conduit aux choix de la structure.

12Mais loin d’être uniquement un sujet politique, de gouvernance, le choix de la structure est stratégique car de là découlent le positionnement de la structure sur le territoire et, en partie, ses capacités de mobilisation et d’actions. Quelle que soit le type de structure, l’essence même du marketing territorial est la mobilisation des acteurs. Cette mobilisation n’a pas les mêmes critères suivant les territoires et les enjeux qui ont été révélés. Certaines démarches privilégient un type d’acteurs, ce qui est souvent lié à leur structure et à leur histoire : une agence de développement économique en charge d’une démarche de marketing territorial favorisera davantage une cible entrepreneuriale et moins une cible tourisme. D’autres recherchent une mobilisation générale.

13C’est le cas de la Normandie, qui développe une stratégie et plusieurs outils pour répondre à son enjeu majeur : la mobilisation des habitants, mais aussi des Normands expatriés afin de les rendre fiers et prescripteurs de leur propre région, dans le but de dynamiser, d’actualiser l’image de ce territoire. L’outil le plus visible est pensé comme un outil de fédération : la marque territoriale partagée, à la fois ambitieuse et adaptable, doit donner visibilité et résonnance à la démarche, tout en créant un sentiment d’appartenance. La volonté de Normandie Attractivité est de faire des Normands eux-mêmes des agents au service de leur territoire. Les forces vives que sont les entreprises, associations, collectivités… sont donc au cœur de la démarche : elles sont fortement mises en avant dans la gouvernance de l’association ou à travers des projets comme le club des grandes entreprises. Le storytelling qui est mis en place par l’association a aussi vocation à créer de la mobilisation en s’appuyant et en nourrissant ces forces vives.

14Enfin, la partie la plus importante de la mobilisation sera issue des ambassadeurs, dont les échelles de mobilisation, variables, seront détaillées. Après avoir défini les différentes typologies d’ambassadeurs, nous montrerons que le territoire est ici vécu à la fois comme un objet et un support des mobilisations. Depuis une petite dizaine d’année, les territoires français se dotent les uns après les autres de structures portant des démarches d’attractivité. Les plus anciennes font figures de pionnières, comme celle de Lyon, créée en 2007. Apanage de quelques territoires pilotes durant de longues années, la démarche s’est, en quelque sorte, démocratisée et est aujourd’hui à la portée de toutes les collectivités. En effet, ce sont le plus souvent elles qui décident de mener ce type d’actions, comme une réponse aux mutations de la société.

1.1. Typologie des structures

15Le lancement de ces démarches d’attractivité peut avoir des origines multiples. Elles peuvent naître de la volonté d’acteurs publics ou privés de s’engager via des stratégies concertées pour répondre avec efficacité à des problématiques identifiées sur le territoire. Elles peuvent aussi être le fruit de mécanismes plus larges : la réforme des collectivités territoriales, issue de la loi NOTRe du 7 août 2015, qui a retiré aux départements leurs prérogatives économiques, est très certainement à l’origine de la transformation de quelques comités départementaux du tourisme en agences d’attractivité, ces Conseils Départementaux de Tourisme (CDT) reprenant, pour partie, les missions autrefois confiées aux agences de développement économique départementales2. Dans certains cas, le marketing territorial a des contours parfois flous, souvent confondus avec une nouvelle forme de communication, moins institutionnelle, capable d’intéresser une population devenue plus sensible aux campagnes décalées et bien souvent numériques. Quelles que soient les contours que l’on accorde à la discipline, ils sont, en tout cas suffisamment vastes pour permettre aux uns et aux autres d’inscrire, sous un vocable nouveau et attrayant, une multitude d’enjeux et d’actions.

16Les démarches d’attractivité s’appuient globalement toutes sur le même type de préliminaires : enquêtes, benchmarks, groupes de travail viennent nourrir un diagnostic qui, lui-même, est la source de laquelle découle une stratégie. En général, c’est à l’issue de cette étape que les projets divergent. L’organisation de la structure et de sa gouvernance est en effet tellement liée au territoire dont elle est issue qu’elle semble devoir être particulière, unique. Nous verrons néanmoins que, de quelques caractéristiques récurrentes, on peut commencer à bâtir une typologie. Quelques exemples peuvent illustrer la diversité des situations.

1.1.1. OnlyLyon 

17OnlyLyon a été créée en 2007. Elle n’a pas d’existence juridique propre mais s’appuie sur l’agence de développement économique métropolitaine, l’Aderly. Avec son équipe de 7 personnes, cette agence a avant tout une vocation internationale. Regroupant à l’origine 13 acteurs institutionnels, elle fédère aujourd’hui 28 partenaires publics et privés, mais aussi une ample communauté d’ambassadeurs. Les actions d’OnlyLyon sont ainsi transversales, tant dans leurs domaines d’actions que dans les publics visés. Cela se traduit, structurellement, par une organisation de l’équipe en termes de compétences et non de filières ou de thématiques. Quant à sa gouvernance, OnlyLyon met en avant un « modèle lyonnais rassemblement et de codécision entre les acteurs privés et publics, institutionnels, économiques ou universitaires »3. Ce modèle valorise la co-construction. Il se fonde sur une organisation à plusieurs niveaux :

  • une réunion des Présidents des institutions partenaires, bisannuelle, qui donne les orientations ;

  • un comité de pilotage rassemblant quatre fois par an les directeurs de ces institutions, qui valide les actions stratégiques ;

  • un comité de direction, qui rassemble les directions des partenaires qui portent la marque en permanence (tel que l’Alderly ou OnlyLyon tourisme et congrès), qui propose les axes stratégiques et les décline en actions opérationnelles ;

  • des équipes constituées de membres des différentes structures partenaires qui se réunissent trimestriellement en mode projet.

18Il est intéressant de noter qu’OnlyLyon est hébergé juridiquement par l’Alderly, Agence pour le Développement Economique de la Région Lyonnaise, fondée en 1974 sur un modèle partenarial grâce au travail collectif de la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Roanne, de la Métropole lyonnaise, du Conseil général du Rhône et du Medef Lyon-Rhône. Le passif historique de la structure a sans aucun doute orienté les choix lorsqu’il s’est agi de créer un outil répondant aux nouveaux enjeux de la métropole.

1.1.2. Agence d’attractivité d’Alsace 

19Née en 2014, l’agence d’attractivité d’Alsace travaille à la compétitivité de l’Alsace, avec un positionnement aussi bien touristique qu’économique. L’agence s’est bâtie sur la structure associative du comité régional du tourisme, dont elle a repris les missions et le directeur. À cela se sont ajoutées l’association Alsace internationale, pour promouvoir l’économie alsacienne à l’international, la cellule régionale de gestion de la marque partagée Alsace, puis les missions du Réseau des offices de tourisme. Les missions de l’AAA sont donc multiples, mais particulièrement axées sur le tourisme et sur l’international. L’équipe est en conséquence, avec plus de 50 collaborateurs, organisés dans des pôles thématiques (marque et réseaux, promotion et prospection, qualité de l’accueil…). Les statuts de l’association indiquent des liens avec la CCI régionale, les départements, les agglomérations et les agences dédiées aux activités touristiques ou économiques. Les services économiques de la Région sont également mentionnés. Les missions confiées à l’AAA laissent entendre une collaboration étroite avec le conseil régional. En effet, comme il est spécifié dans le code du tourisme (art. L. 131-3 et L. 131-4), chaque Région doit créer un Comité Régional du Tourisme (CRT) dont le statut est déterminé par le conseil régional. En exerçant les missions du CRT d’Alsace, l’AAA est donc directement dépendante du Conseil régional de la Région Grand Est. Cela se traduit par la gouvernance de l’agence. La présidence du conseil d’administration revient de droit au président du Conseil régional ou au représentant qu’il désigne. Au sein de ce conseil d’administration, siègent de droit 7 représentants du conseil régional sur 16 sièges, le président nommant par ailleurs, en tant que personnalité qualifiée, l’un des 9 membres restants. Par ailleurs, ce conseil d’administration est essentiellement composé de membres de droit, issus des différents échelons de collectivités d’Alsace (5 sièges), auxquels il faut ajouter un représentant de la CCI et deux membres élus, issus de l’assemblée générale. La gouvernance est ainsi très institutionnelle.

1.1.3. Bretagne développement innovation et Comité régional du tourisme de Bretagne

20De manière originale, la démarche d’attractivité de la Bretagne n’est pas portée par une structure unique. Deux structures spécialisées, l’une pour l’attractivité via le tourisme, le CRT, la seconde pour l’attractivité via le développement économique, BDI (Bretagne développement innovation) travaillent avec la marque Territoire, outil privilégié de bien des démarches de marketing territorial. Cette marque bicéphale est animée par la direction de l'attractivité du territoire de BDI, qui définit et met en œuvre la stratégie d’attractivité et d’image du territoire, tandis que le CRT assure l’accompagnement et la formation des professionnels du tourisme dans l’utilisation de cette marque. Au sein de BDI, une équipe de 13 personnes, dont certaines rattachées à des filières, gère les problématiques d’attractivité. Deux collaborateurs du CRT Bretagne sont référents pour la marque Bretagne. En termes de gouvernance, les deux structures sont des associations directement liées au Conseil régional de Bretagne. Le directoire de BDI est composé presqu’exclusivement de chefs d’entreprises, tandis que son conseil de surveillance est très institutionnel (élus, représentants consulaires, universitaires…). Le CRT est, quant à lui, présidée par une élue, représentant le président du conseil régional.

1.1.4. Région Bourgogne Franche-Comté

21L’attractivité est parfois directement prise en charge par un service interne au conseil régional. C’est le cas actuellement en Région Bourgogne Franche Comté, où une mission est développée en ce sens, issue de la direction de la communication et relations avec les citoyens, en lien avec l’agence de développement économique régionale. La gouvernance de ce projet est donc celle de l’institution régionale. Si, généralement, la collectivité est le principal donneur d’ordre, au moins pour l’impulsion des démarches de marketing territorial, il arrive également que ce soit d’autres institutions qui s’emparent de la question. C’est le cas de la CCI Pau Béarn, dont le pôle Marketing et développement territorial a initié une démarche partenariale, dans le but de la proposer à la collectivité.  

22La diversité des structures a donc des origines multiples : échelon géographique, structures préexistantes sur le territoire, orientation tourisme ou économie… Il ne faut évidemment pas minorer un facteur très subjectif, le facteur humain : volonté politique qui détermine la force du portage ; entente entre les acteurs du territoire, favorisant ou non le travail collectif…

23De l’ensemble de ces exemples ressort un modèle récurrent : une structure associative, financée en grande partie par une collectivité, dans laquelle la gouvernance est assurée majoritairement par des élus de la collectivité de référence, voire par des représentants institutionnels, et parfois par des représentants du secteur privé ou associatif. On peut donner plusieurs explications au fait que la structure associative semble plébiscitée par les initiateurs des démarches d’attractivité. D’autres modèles de structures juridiques pourraient en effet convenir à des projets d’agences d’attractivité : GIP (groupement d’intérêt public), service internalisé des collectivités, SPL (société publique locale), tous permettant le déploiement d’actions d’utilité publique. Néanmoins, la liberté offerte par l’association, sa souplesse, notamment vis-à-vis de modifications statutaires, de sa constitution juridique, des ressources humaines, laissent penser que ce deuxième modèle serait le plus adapté.

24La présence des élus, des représentants institutionnels ou des chefs d’entreprises dans la gouvernance reflète, quant à elle, un choix politique, puisqu’il vise à associer à l’attractivité du territoire, certaines catégories d’acteurs. Le poids du politique dans ce type de démarche est important et la dichotomie entre services d’un côté et élus de l’autre au sein des collectivités se fait ressentir. Dans des exemples reconnus, comme l’Alsace ou la Normandie, la démarche d’attractivité a été engagée et portée par le pouvoir politique : financement, poids de la parole de l’exécutif, pour engager les services de la collectivité, mais aussi les forces vives du territoire, attente de l’élu, qui donne le rythme… Autant de point qui expliquent le dynamisme de ces démarches. À l’inverse, les exemples de démarche portées uniquement par les services, sans présumer de leurs qualités, peinent à aboutir. Bien entendu, ce constat peut interroger sur le rôle politique des démarches d’attractivité : seraient-elles au service du territoire ou de ses élus ? L’étude de la gouvernance, voire du financement de ces structures, apporte de premiers éléments de réponse, tout comme peut le faire, au cas par cas, l’étude des actions menées sur les territoires.

1.2. L’exemple de Normandie Attractivité

25Illustration de l’ensemble de ces réflexions, Normandie Attractivité ne déroge pas à la règle. Cette association ayant comme mission la valorisation et la promotion du territoire normand a été créée en juin 2017, à l’issue d’une mission menée en interne par la Région Normandie pendant plus d’un an. L’association, qui exerce dans les mêmes limites territoriales que l’administration régionale, est majoritairement financée par le conseil régional, même si un système d’adhésion des partenaires devrait permettre d’atténuer la participation de la collectivité.

1.2.1. Structure juridique et gouvernance

26Malgré sa forte proximité avec les instances régionales, l’agence Normandie Attractivité a été créée sous la forme d’une association loi 1901. Elle est donc juridiquement indépendante. Il ne s’agit pas là de nier l’engagement de la Région aux côtés de l’agence, ni le portage politique déterminant pour la réussite de la démarche. Les collaborations sont d’ailleurs fortes, que ce soit avec les services régionaux ou avec les « bras armés » de la Région en matière économique ou touristique, l’Agence de développement de la Normandie (ADN) et le CRT. Preuve de l’intégration de la nouvelle agence à l’écosystème régional, le choix du directeur de Normandie Attractivité, qui est aussi celui du CRT, bien que les deux structures restent indépendantes l’une de l’autre.

27Cependant, cette indépendance juridique est nécessaire pour l’agence d’attractivité qui doit prouver, par sa gouvernance, son implication sur le territoire et le fait qu’elle soit un outil dont les forces vives doivent s’emparer. Il paraît donc essentiel que le secteur privé, tout comme le secteur associatif, soient particulièrement représentés dans les instances de l’agence. Or pour gagner leur confiance, il peut être nécessaire de faire la preuve de son apolitisme. La dissociation des structures est donc importante, tout comme l’est la gouvernance elle-même. Ainsi, sur un conseil d’administration de 25 personnes, on ne trouve que 6 conseillers régionaux, représentant toutes les forces politiques de l’assemblée régionale. Les autres membres du CA, soit 19 personnes, représentent différents secteurs essentiels de la Normandie : entreprises, culture, sport, universités… Philippe Augier, le président de l’association n’est pas conseiller régional, même s’il l’a été, et a été choisi pour sa connaissance du marketing territorial et son implication dans des démarches liées à l’attractivité (comme la présidence de France Congrès) plus que pour son statut d’élu (il est maire de Deauville).

1.2.2. Une structure agile en quête d’un positionnement stratégique

28Cette structure juridique légère, cette indépendance et la nouveauté complète de l’agence qui est une naissance et non une transformation ; ont permis la constitution d’une petite équipe de 9 personnes, sur le modèle d’OnlyLyon. Son rôle est notamment de créer des liens entre réseaux, entre Normands, entre filières... et de valoriser ce qui existe sur le territoire. Elle peut ainsi accompagner l’ADN et le CRT, pour additionner les forces et ouvrir de nouveaux angles de communication.

29La réunification de la Normandie a ouvert la voie à la Normandie à se souder et s’affirmer sur le plan national et international. Issue d’une volonté politique affirmée, l‘association Normandie Attractivité défend une grande ambition : faire rayonner la Normandie en tant que « Région-Monde ». Il s’agit de l’image et de la réputation de la Normandie ainsi que de la volonté de cultiver et développer son « soft power » en France et à l’étranger. Nécessairement le sujet est vaste. Il soulève plusieurs problématiques et concerne toutes les forces vives de la région. Simon Anholt (2007), consultant en identité compétitive et fondateur du World Country Reputation Index, dénombre six éléments constitutifs de la réputation d’un pays ou d’une région.

  • le tourisme : l’attractivité du pays en tant que destination de vacances et des efforts du Tourist Board dans le but d’attirer des visiteurs

  • ses marques de produits à l’export : la qualité et l’appréciation des produits phares à l’export

  • l’investissement et les talents : la capacité à attirer ou stimuler de nouveaux investisseurs, de nouveaux projets et à recruter de nouveaux talents

  • la politique menée par l’exécutif en place : ses réalisations et contributions à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire

  • le rayonnement culturel et sportif

  • le dynamisme et l’accueil de la population résidente

30Le sujet forcément dépasse l’action stricte de la nouvelle agence Normandie Attractivité. L’ambition d’être reconnue comme une « Région-Monde » ne peut qu’être poursuivie comme une ambition partagée et un projet collectif. Normandie Attractivité ne peut pas prétendre vouloir tout coordonner. Mais l’agence peut jouer un rôle précieux en promouvant une vision globale positive de la Normandie, en animant une stratégie d’influence et en encourageant une cohérence entre l’ensemble des acteurs. C’est dans son rôle de facilitateur de lien et d’animateur d’un écosystème d’attractivité transversale qu’elle tient toute sa légitimité. L’action collective est primordiale : il est peu probable qu’un seul élément puisse convaincre une cible à venir en Normandie. C’est la coordination des actions et la résonnance des discours qui rendront la démarche crédible et qui fera de la Normandie une expérience à part et globale. Comme l’analyse Simon Anholt, les facteurs d’attractivité sont multiples, ils ne sont pas uniquement économiques. Le cabinet Deloitte le souligne avec pertinence dans une étude de 2016 : il est stratégique de partir des forces du territoire pour renforcer la compétitivité des entreprises. Le cabinet Deloitte met en avant non seulement les entreprises ou les centres de recherche, mais aussi le nom, la renommée du territoire, son histoire, ses spécialités. Normandie Attractivité œuvre sur tous ces facteurs matériels et immatériels qui touchent à la spécificité du territoire. Son action doit permettre :

  • d’influencer favorablement l’image et la réputation du territoire. La réputation du territoire passe par 6 vecteurs que sont le tourisme, les marques rattachées au territoire, les politiques qui y sont menées, la manière dont on communique auprès des investisseurs, la culture et les citoyens.

  • d’agir positivement sur les valeurs perçues de ses cibles pour provoquer des décisions favorables.

  • de mobiliser celles et ceux qui peuvent jouer un rôle dans la valorisation du territoire.

31Tous les ingrédients de l’attractivité existent en Normandie. Il faut les structurer, les amplifier, pour faire du territoire une marque. Ainsi, structure et stratégie des démarches d’attractivité sont fortement liées, la structure étant le fer de lance de la stratégie. Une structure légère et peu institutionnelle permet une liberté d’action et une agilité qui doivent répondre aux enjeux contemporains des territoires. Elle doit aussi permettre de déployer un discours plus adapté à des populations qui se sont éloignées de la chose politique, expression à prendre de manière littérale, en tant qu’action pour le territoire, non politicienne. En effet, la mobilisation des acteurs du territoire est la vocation première du marketing territorial.

2. La mobilisation des acteurs

32Le marketing territorial est une méthode qui vise à mettre en place des actions pour convaincre des cibles internes et externes au territoire de l’attractivité de celui-ci et de les convaincre d’y investir, sachant que l’investissement n’est pas uniquement financier.

33Il s’agit avant tout d’influencer les décisions individuelles ou collectives pour accroitre le dynamisme démographique et économique du territoire. Au cœur de chaque démarche de marketing territorial, la mobilisation des acteurs du territoire, qui en sont à la fois des cibles et des vecteurs, est primordiale. Selon les stratégies retenues, les structures peuvent avoir des cibles différentes. Par exemple, en Auvergne l’accent est mis sur l’accueil des nouveaux habitants, Latitude Manche a aussi un fort message touristique, mais déploie des efforts à destination du corps médical, pour pallier un problème de démographie médicale. Plus globalement, les jeunes et les entrepreneurs sont des cibles privilégiées du marketing territorial : les premiers, car ils représentent l’avenir du territoire et il est important de les y fixer ou de leur donner les arguments pour y revenir ; les seconds parce qu’ils sont créateurs de richesse et d’emploi pour le territoire. Les uns et les autres sont des facteurs de dynamisme.

34Plusieurs outils sont aujourd’hui devenus classiques dans les démarches d’attractivité. Deux en particulier sont tournés vers la mobilisation des acteurs : les marques territoriales et les mouvements d’ambassadeurs. La Normandie s’est emparée de l’un et de l’autre, avec comme objectif de favoriser la création d’un ton collectif normand et la transversalité, pour éviter que les Normands ne restent en silence et en silo. La marque territoriale partagée Normandie, animée et gérée par Normandie Attractivité, s’adresse avant tout aux partenaires issues des forces vives du territoire : entreprises, collectivités, associations, institutions parapubliques… Elle enrichit les structures qui la portent des valeurs de la Normandie : ouverture au monde, attachement au territoire, partage, audace et développement durable. C’est un outil de fédération, mais également de rayonnement, puisque chaque structure partenaire peut apposer la marque partagée sur ses supports de communication. L’ensemble des porteurs de la marque constitue un premier réseau qui peut être mis en action au profit de l’attractivité normande. Le second réseau, d’ampleur, de la Normandie est celui des ambassadeurs sur lequel il semble intéressant de revenir afin d’aborder plus spécifiquement, les enjeux de mobilisation sur le territoire normand.

2.1. Les ambassadeurs de la Normandie : un enjeu pour le territoire

35Le diagnostic mené auprès de plus de 6000 Normands4 le confirme : les Normands, s’ils sont fiers de l’être, ont plus de difficulté à l’exprimer. En cela, le parti pris de dédier au sein de l’agence une politique d’animation d’un réseau d’ambassadeurs constitue un enjeu d’attractivité certain. L’objectif principal est de créer une émulation positive normande, une force et une dynamique collective. La politique ambassadeur, dans sa globalité, tend à se faire la vitrine d’un marketing collaboratif, viral et participatif. Cette ambition se décline en plusieurs objectifs qui ont été identifiés lors des premières manifestations de la Mission Attractivité et confirmés dans les enquêtes :

  • améliorer la connaissance de la Normandie par les Normands puis, par diffusion, au-delà de la région ;

  • créer, connecter, animer des réseaux ;

  • rendre les Normands acteurs de leur territoire, renforcer leur fierté et leur sentiment d’appartenance.

36Cette question de l’appartenance territoriale, largement relayée par les spécialistes des mobilités internationales, est un des ressorts de la mobilisation des ambassadeurs normands :

« Le sentiment d’appartenance à un territoire figure parmi la multitude des référents identitaires potentiels que sont l’appartenance sociale, religieuse, professionnelle... Cette composante n’est pas nécessairement présente dans le registre identitaire et si, c’est le cas, elle n’est pas forcément mise en avant par les individus » (Guérin-Pace, 2006).

37Si cette composante de l’appartenance existe, son expression reste timide chez les Normands. Comment accompagner les Normands à dire leur fierté d’être à la Normandie, tout en étant au monde ? En quoi ce réseau s’insère-t-il dans une stratégie plus globale de soft power et de développement de la notoriété du territoire ?

2.1.1. Eléments de définition

38Ambassadeurs, Greaters, Amoureux ou Amis de la Normandie, les qualificatifs peuvent être nombreux pour désigner ces forces individuelles communes à la plupart des démarches de marketing territorial. En 2009, Anderson et Ekman proposaient d’étudier le concept de ces réseaux d’ambassadeurs et les outils et structures gravitant autour. Aussi, ils soulignaient qu’« un ambassadeur est perçu (…) comme constituant un témoignage crédible du caractère distinctif du lieu et de son attractivité, pouvant par l’effet du bouche à oreille, influencer les autres au travers de leurs réseaux et de leurs relations »5 (Andrerson et Ekman, 2009). Pourtant, en fonction des territoires et des stratégies de chacun, le réseau d’ambassadeurs recouvre des réalités différentes. L’exemple de l’Agence d’attractivité d’Alsace est intéressant à plusieurs titres. Fort d’un peu plus de 28000 ambassadeurs, ce réseau est composé d’Alsaciens installés en dehors du territoire et, pour une importante partie, à l’international. En dehors de la politique ambassadeurs de cette agence, l’Union Internationale des Alsaciens dénombre 80 000 ressortissants de cette région. Les deux structures travaillent conjointement au développement d’un réseau d’influence d’expatriés alsaciens au travers du monde. L’animation du réseau d’ambassadeurs repose sur des déclinaisons en groupe, permettant aux individus de se réunir en fonction de leur lieu de résidence d’une part, et d’une caractéristique commune d’autre part (âge, secteur professionnel, genre...). À l’heure où la notoriété de l’Alsace semble établie, l’animation d’un réseau au sein même du territoire n’est pas un enjeu et tend à se tourner de plus en plus vers une toile de solidarité économique. Cet exemple, assez singulier pour des agences d’attractivité établies depuis quelques années, pose plusieurs questions quant à la stratégie à adopter sur le terrain normand. À mesure que la notoriété grandie, quelle place pour les habitants du territoire ? Par extension, comment appréhender les notions d’appartenance et d’identité territoriale (Bussi, 2006) indispensables à la mobilisation ? Enfin, quelles sont les modalités de mobilisation lorsqu’un réseau atteint plusieurs milliers de membres ? Autant de questionnements qui aideront nécessairement à définir les stratégies d’animation et de consolidation du réseau.

39Le choix de réserver l’appellation « ambassadeur » à des groupes restreints de personnes (chefs d’entreprises, célébrités et talents, étudiants, personnes s’engageant dans une démarche touristique...) qui a son utilité suivant les objectifs fixés, paraît trop restrictif en Normandie. En effet, si « rayonner » peut faire appel avant tout au domaine économique et « attirer » est davantage tourné vers le domaine touristique, le sentiment d’appartenance, l’attachement au territoire, ne peuvent être confisqués par un petit nombre de personnes. L’ouverture au grand public paraît donc nécessaire. En revanche il s’agit de proposer une organisation qui soit efficace, même en étant ouverte au plus grand nombre. La grande variété des publics oblige aujourd’hui à une segmentation par intérêts ou par potentiel d’engagement, chaque public recevant un traitement personnalisé. Bien entendu, une partie importante des personnes inscrites comme ambassadeurs ne sont pas actifs, mais une autre partie recherche une manière de s’engager. Le déploiement de ce réseau pour la Normandie est en cela, à la fois quantitatif et qualitatif. Pour être visible et fort, le réseau se doit d’être quantitativement significatif. Les ambassadeurs inscrits en nombre ne sont pas les plus actifs mais ils permettent une assise territoriale du réseau. En parallèle, la viabilité du réseau repose sur des actions concrètes qui justifient son existence. Il s’agit du versant qualitatif pour lequel une partie des ambassadeurs va engager, avec le soutien de l’agence des actions visibles ou récurrentes qui permettront également de faire grandir le réseau.

2.1.2. La mobilisation : théorie, méthodes et outils

40Plusieurs éléments issus de la littérature scientifique permettent de situer la mobilisation des ambassadeurs avant de la confronter au terrain. L’empowerment, défini comme le développement des capacités d’agir est une première entrée intéressante :

« Si la question du pouvoir est centrale dans le mot même d’empowerment, les démarches qui s’en réclament ont rarement débouché sur la revendication du pouvoir politique et de la représentativité électorale (…) elles ouvrent plutôt sur la construction de contre-pouvoirs limités, souvent inscrits à l’échelle locale, et cherchant à influencer à la marge le pouvoir politique plus qu’à le prendre » (Bacqué, 2006).

41Ainsi, les efforts de participation issus de l’empowerment et des actions collectives ne prennent sens qu’au travers du groupe. Pour se mobiliser, les individus sont interdépendants les uns des autres. La sociologie politique consacre une partie significative de ses travaux à la question, notamment au travers de la sociologie des mobilisations. Celle-ci évoque plusieurs interrogations telles que les conditions d’émergence d’un mouvement, les motivations des individus à participer, le passage d’une mobilisation individuelle à une mobilisation collective ou encore les chances de réussite des actions entreprises. Du début du 19ème siècle au milieu des années 1960, les principaux travaux consacrés à l’explication des comportements collectifs relevaient d’un même positionnement. Qu’il s’agisse des analyses fondées sur les théories de la contagion (Tarde, 1890 ; Le Bon, 1895) ou de celles sur les comportements collectifs des masses (Turner et Killian, 1957 ; Kornhauser, 1959), les problématiques soulevées omettent le caractère stratégique des mouvements et ne les considèrent qu’au travers de cadres d’oppositions et de revendications. À partir des années 1960, le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis et les bouleversements sociétaux qui suivirent, ont permis le développement d’un nouveau paradigme. Les actions collectives étaient en passe de devenir des modes de participation politique à part entière et non plus uniquement confinés à une opposition au système institutionnalisé. Cette période voit le développement des théories fondées sur les ressources de la mobilisation (1977), sur la prise en compte des formes de solidarités et des liens horizontaux et verticaux comme facteurs de mobilisation (Obershall, 1973) ou encore sur le caractère politique et institutionnalisé des actions collectives (Tilly, 1978). Si la dimension stratégique des mouvements collectifs s’affirme, les ressorts de l’engagement individuel ne sont encore que peu envisagés. Dès le début des années 1970, de nouvelles formes de mobilisations, où l’action politique devient plus participative, apparaissent. Elles génèrent des modèles d’explication renouvelés, sous l’égide des nouveaux mouvements sociaux, qui s’intéressent davantage aux solidarités et aux identités collectives. Ces nouveaux mouvements sociaux correspondent à une évolution structurelle des sociétés occidentales qui ont trouvé leurs besoins satisfaits avec l’avènement du capitalisme. Dès lors, les centres d’intérêts des individus se sont orientés vers des enjeux plus globaux, auxquels s’ajoutent une augmentation des compétences politiques et de la volonté de participer. Les travaux récents de sociologie des mobilisations traduisent une volonté de comprendre les décisions d’implications individuelles. Les conditions de mise en place d’une participation aux mouvements sont des rouages essentiels de la sociologie des mobilisations, au même titre que les facteurs d’émergence d’un mouvement et de ses chances de succès.

42Outre le contexte social, le contexte politique, culturel et géographique des mouvements collectifs doit être envisagé. Les actions collectives sont déterminées par les propensions des individus à se mobiliser. Les structures locales sont essentielles puisqu’elles exercent une certaine influence sur le comportement des acteurs. L’accès au pouvoir, l’empowerment, les mouvements sociaux ou les actions collectives désignent des formes distinctes de mobilisation. Elles font appel à des éléments théoriques et des approches diverses précisant leurs ressorts, les conditions de leurs instauration et durabilité. Néanmoins, l’appréhension des mobilisations doit se faire en connaissance des échelles dans lesquelles elles s’établissent. Le contexte régional est souvent porteur d’un héritage et d’une culture, y compris dans le cas normand. L’appréhension des mobilisations des groupes est corrélée avec une appartenance territoriale notable. Cet aspect souligne une fois encore l’importance de l’échelle locale mais implique également d’interroger la place que la géographie accorde, ou est en mesure d’accorder, à ces mobilisations.

2.2. Mobilisations en Normandie et dans le monde : réveiller la fierté d’être normand

43La participation individuelle à des actions collectives est aujourd’hui une forme à part entière de mobilisation. S’il est nécessaire de rappeler que l’ensemble des actions menées par Normandie Attractivité sont apolitiques, elles s’insèrent tout de même dans une stratégie large de soft power, pour laquelle les ambassadeurs ont, sans forcément en avoir conscience, un rôle essentiel à jouer. Développer le réseau d’ambassadeur et répondre aux objectifs énoncés impliquent avant tout de l’animer. L’animation du réseau repose sur des actions dédiées aux ambassadeurs et sur des rencontres dans la mesure du possible. Le lien social, la convivialité et l’accueil sont des éléments essentiels à la mobilisation individuelle et collective. Par ailleurs, chaque fois que cela est envisageable, la présentation de la démarche ambassadeurs est faite à un maximum d’évènements normands, le but étant de devenir un réflexe dans l’esprit des Normands désireux de s’impliquer. En Normandie, la cartographie (carte 1) des ambassadeurs offre une répartition territoriale équilibrée entre les 5 départements normands.6

Carte. La répartition des ambassadeurs en Normandie, en juin 2017

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Agence d’attractivité de Normandie

44Le contexte spécifique de la réunification régionale, bien que favorable à la démarche d’attractivité, invite à ne pas tomber dans l’écueil des différences internes au territoire. Il est essentiel de poursuivre cette dynamique et de susciter les rencontres, y compris entre les « différents » Normands. Le réseau d’ambassadeurs à l’international s’organise selon deux logiques : des ambassadeurs « isolés » qui engagent des actions à leur échelle sans impulsion initiale de la part de Normandie Attractivité et des ambassadeurs « mobilisés » qui ont construit leurs actions suite à des déplacements d’élus ou d’entreprises normandes.

2.2.1. Stratégie de déploiement du réseau

45Développer le réseau d’ambassadeurs implique à la fois de mobiliser de nouveaux citoyens et de préparer les ambassadeurs de demain en ciblant la jeunesse. Si la jeunesse est une cible privilégiée, les étudiants sont une entrée permettant de concrétiser rapidement des actions tout en assurant leur visibilité. Il est en ce sens essentiel de développer une stratégie par les réseaux sociaux. Ces derniers, outils incontournables de mobilisation, remplissent trois axes stratégiques : la prospection, la fédération et l’animation. À terme, Normandie Attractivité souhaite développer sa propre application qui générera un réseau social en boucle interne. En effet, à l’heure où les campagnes électorales par exemple retournent aux échelons locaux pour mobiliser les citoyens, Internet et la géolocalisation sont devenus des outils incontournables (Pène, 2013). En instaurant des actions spécifiques auprès des ambassadeurs sur les réseaux sociaux, nous espérons accompagner les actions et nourrir le sentiment d’appartenance à la région. Un groupe Facebook dédié aux ambassadeurs de la Normandie permettra de diffuser le récit actuel de la Normandie mais aussi des informations et invitations dédiées aux ambassadeurs ; susciter la discussion et le débat entre ambassadeurs de Normandie et d’ailleurs ; engager des actions de communication pour faire grandir le réseau du type « On connait tous un Normand qui… » (ce qui permettra de rendre les ambassadeurs acteurs du déploiement du réseau) ; cibler et démarcher de futurs ambassadeurs en Normandie, en France et ailleurs dans le monde. En parallèle, des groupes Facebook spécifiques aux clubs d’ambassadeurs à l’international seront créés et rattachés les uns aux autres. Aujourd’hui, 5 groupes de ce type existent : le Club des Normands de Bruxelles ; les Normands de Corée du Sud ; Ambassadeurs de la Normandie aux USA ; Ambassadeurs de la Normandie en Australie ; les ambassadeurs de la Normandie – Club de Montréal.

2.2.2. Actions, événements, clubs

46Pierre angulaire de la vie du réseau, les actions et événements s’instaurent différemment à l’intérieur et à l’extérieur du territoire. Aujourd’hui, une partie du réseau à l’international est en mesure de s’auto-développer, grâce à des ambassadeurs-pilotes identifiés. Une autre partie, la plus importante, nécessite un encadrement de la part de Normandie Attractivité, notamment lors de la construction du club. La création d’un club repose sur quelques étapes simples, mais déterminantes : l’identification a minima de 3 Normands résidant dans une même ville ou région ; la recherche parmi eux d’un leader, c’est-à-dire d’une personnalité consensuelle, inspirée et motivée, prête à engager un peu plus de son temps personnel ; l’organisation d’une première rencontre pour discuter des objectifs du club (intérêt économique ? Solidarité et accueil des nouveaux arrivants ? Convivialité et lien social ? Les jeunes normands à l’étranger ?) ; l’engagement des premières actions.

47En Normandie (mais pas uniquement), la Place des Normands est le nouveau concept de rencontre des ambassadeurs. Dès lors que des Normands ou des amoureux de la Normandie se rencontrent, ils forment une Place des Normands ; une place nomade et éphémère se caractérisant comme un lieu d’échange, de réseautage et de création de nouveaux récits de la Normandie. Ces places peuvent être en Normandie, en France et ailleurs dans le monde ce qui offre une identité aux rencontres ambassadeurs et une flexibilité d’organisation en termes de contenus et de lieux. Enfin, à la recherche d’une identité normande forte et consolidée, l’instauration d’une date clé, de célébration de la Normandie et des Normands parait essentielle. En ce sens et en marge du forum Normandie pour la Paix et en lien avec les actions menées à l’international à l’occasion du 6 juin, les Pique-niques pour la Paix sont appelés à devenir l’un des moments forts de l’année. Le principe est volontairement simple : organiser un pique-nique nécessite de choisir un lieu et une heure de rencontre et d’inviter amis, collègues et inconnus à apporter son panier, pour partager un moment simple et convivial en même temps que les Normands du Monde. En 2018, la première édition aura permis de réunir 550 personnes en France et dans 8 pays différents.

48Le point d’orgue de la stratégie de déploiement du réseau en 2018 est l’organisation du premier concours des Normands autour du monde. Celui-ci s’est déroulé du 10 au 30 septembre 2018 et avait pour but de faire concourir 5 Normands sur 5 continents en les invitant à rencontrer le plus de Normands possible et à célébrer avec eux la fête des Normands le 29 septembre 2018. Ce concours a pour objectif clair de faire grandir le réseau d’ambassadeurs à l’international. Au-delà, il a été un temps fort de mobilisation et de fédération des Normands sur le territoire. Il a aussi été l’occasion de consolider les partenariats avec certains réseaux et notamment avec le monde étudiant. Si les enseignements de cette première édition sont en train d’être tirés en interne, elle offre d’ores et déjà de nombreuses perspectives. Sur le territoire, l’implication des très jeunes normands, grâce au partenariat construit avec le Rectorat, confirme que l’ouverture au monde est un axe important de l’attractivité du territoire. Inciter les plus jeunes à découvrir le monde, à connaitre les parcours de personnes en dehors de la Normandie est un levier essentiel de l’éducation des générations futures. A cela s’ajoute la grande solidarité qui s’est manifestée de part et d’autre de la communauté des Normands rencontrés dans le monde. A la recherche de leur identité collective, les Normands pourraient-ils se retrouver au sein de valeurs communes, d’ouverture au monde, à l’autre et donc par l’intermédiaire d’un réseau solidaire, en Normandie et ailleurs ?

Conclusion : mobiliser pour le territoire normand, entre agilité et identité

49À travers sa structure dédiée, Normandie Attractivité, qui s’est nourrie des différents modèles existants, veut se positionner clairement dans le 21e siècle. Elle reflète les évolutions de la société actuelle : ouverture, numérique, agilité, sont au cœur de son système, que ce soit dans son organisation interne, une petite équipe polyvalente, agissant comme une start-up, ou dans ses méthodes de travail, où le mode projet prévaut. Si cette structure doit être pleinement « dans son siècle », c’est qu’elle répond aussi à un enjeu sociétal : alors que le diagnostic territorial a montré un manque d’action collective en Normandie et une forme d’individualisme, la création d’un lien entre les Normands est un élément fondamental de la démarche. Le territoire n’est pas désincarné : plus que la somme des entreprises ou des collectivités qui la constituent, c’est avant tout un ensemble de personnes, auquel la structure s’adresse et qu’elle doit servir. C’est pourquoi les stratégies liées aux réseaux, de partenaires ou d’ambassadeurs, sont centrales.

50Concernant la stratégie ambassadeurs, les mobilisations sont, selon différentes modalités, territorialisées. En effet :

« la territorialisation se réalise dans la relation entre appropriation et identité. Chaque individu, dans son expérience vécue, possède une relation intime avec ses lieux de vie ; lieux qu’il s’approprie et qui contribuent à façonner son identité individuelle ou collective. Appropriation et enracinement se manifestent par des éléments matériels mais aussi idéels et certaines matérialités du territoire possèdent une forte valeur symbolique » (Elissalde, 2004) ;

51On peut alors considérer la territorialisation des mobilisations comme les processus par lesquels les mobilisations entretiennent un lien plus ou moins étroit au territoire dès lors que celui-ci est porteur d’enjeux, constitue un cadre, ou permet la réalisation de l’implication individuelle. S’il s’agit bien de travailler en faveur de la Normandie, comme si le territoire avait besoin de ses acteurs ; inversement, ces derniers ne pourraient agir sans leur territoire.

Bibliographie

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ANHOLT Simon (2007) Competitive Identity: the new brand management for nations, cities and regions. Palgrave Macmillan.

BACQUÉ Marie-Hélène (2006) « Empowerment et politiques urbaines aux Etats-Unis », Géographie, Economie, Société, 2006/1, vol.8, pp.107-124.

BUSSI Michel (2006) “L’identité territorial est-elle indispensable à la démocratie ? », L’espace géographique, 2006/4, tome 35, pp.334-339.

Cabinet DELOITTE (2017) “Les territoires feront la différence », https://www2.deloitte.com/content/campaigns/fr/cap-sur-2017/les-territoires-feront-les-differences.html

CHAMARD Camille (2014) Le marketing territorial, Comment développer l'attractivité et l'hospitalité des territoires? Paris, De Boeck, 235 p.

ELISSALDE Bernard (2004) « Territoire », Hypergéo [en ligne], consulté le 14 juin 2014, URL : <http://www.hypergeo.eu/spip.php?article285

GUERIN-PACE France (2006) « Sentiment d’appartenance et territoires identitaires », L’espace géographique, 2006-4 (Tome 35), pp. 298-308.

KORNHAUSER William (1959) « The politics of mass society », International library of sociology and social reconstruction, Free Press, 256p.

LE BON Gustave (1895) Psychologie des foules, Alcan, 191p.

OBERSCHALL Anthony (1973) Social Conflicts and Social Movements, Englewood Cliffs, New Jersey, 371p.

PÈNE Clémence (2013) « La nouvelle “science électorale” américaine », Politique étrangère, 2013/2, pp.127-139.

TARDE Gabriel (1890) Les Lois de l’imitation : étude sociologique, Felix Alcan, Paris, 431p.

TILLY Charles (1978) From Mobilization to Revolution, Mc Graw-Hill, 349p.

TURNER H. Ralph, KILLIAN M. Lewis (1957) Collective Behavior, Englewood Cliffs, New Jersey, 547p.

Notes

1 Site de veille réservé aux partenaires de la chaire : http://veille-marketingterritorial.fr/category/le-coin-des-experts/publications-academiques/production-des-etudiants/page/3

2 C’est le cas, pour prendre l’exemple de la Normandie, de Calvados Attractivité et de Seine-Maritime Attractivité.

3 OnlyLyon, Une mission, une passion, des actions, 2015

4 Enquête réalisée entre octobre 2016 et février 2017 par un questionnaire en ligne – résultats présentés dans le « Bilan d’attractivité » livré par CoManaging en mars 2017

5 Traduction libre des auteurs.

6 La carte, réalisée par la Région Normandie en juin 2017 représente les 1274 ambassadeurs inscrits à cette date. Au moment de la publication du présent article, 2700 ambassadeurs sont inscrits. Si aucune cartographie officielle n’a été réalisée depuis, des estimations géolocalisées via Google Maps, soulignent la même répartition de la population.

Pour citer ce document

Emilie Bonnet et Anne-Sarah Moalic, « Structure et stratégie des agences de marketing territorial : co-construction et mobilisations en Normandie » dans © Revue Marketing Territorial, 2 / hiver 2019

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=334.

Quelques mots à propos de :  Emilie Bonnet

Docteure en géographie, ses travaux scientifiques portent sur les mobilisations politiques et électorales. Elle est depuis janvier 2017 responsable du réseau d’ambassadeurs de Normandie Attractivité, agence de marketing territorial de la Normandie.

Quelques mots à propos de :  Anne-Sarah Moalic

Docteure en histoire contemporaine, après avoir mené la Mission Attractivité Normandie au sein du Conseil régional de Normandie, elle a été nommée en 2017 directrice déléguée de Normandie Attractivité, agence de marketing territorial de la Normandie.