Sommaire
2 / hiver 2019
numéro varia
- Editorial
- Charles-Edouard Houllier-Guibert Une variété de statut pour écrire dans le champ du marketing territorial
- Articles
- Eric Rémy L’identité régionale par la consommation
- Jean-Michel Tobelem et Fabrice Thuriot Qu’est-ce qu’un équipement culturel structurant ?
- Basile Michel Dynamiques de réseau et image de marque dans les quartiers créatifs spontanés. Le cas du quartier des Olivettes à Nantes
- Emilie Bonnet et Anne-Sarah Moalic Structure et stratégie des agences de marketing territorial : co-construction et mobilisations en Normandie
- Synthèses
- Jean-François Ruault Résumé de thèse : l’économie de passage, un flot ordinaire qui rythme et irrigue l’économie des territoires
- André Joyal Compte-rendu d’ouvrage. Éloges de la diversité : Dynamiques territoriales
Olivier Bouba-Olga – 2018 – 100 pages - Arnaud Brennetot, Clarisse Didelon-Loiseau, Pascale Nédélec, Laura Péaud, Alfonso Pinto, Bertrand Pleven, Géraldine Molina, Caroline Tafani et Dominique Prunetti Compte-rendu du colloque du CIST 2018 - « Représenter les territoires »
Dynamiques de réseau et image de marque dans les quartiers créatifs spontanés. Le cas du quartier des Olivettes à Nantes
Basile Michel
Depuis le début des années 2000, la planification de quartiers créatifs par les pouvoirs publics dans le cadre de stratégies de marketing territorial s’est multipliée. En parallèle, des quartiers créatifs résultant d’une agglomération spontanée de travailleurs créatifs (artistes, designers, architectes…) émergent. L’objectif de cet article est de mettre en lumière les réalités en termes de réseau et d’image de ces quartiers situés en-dehors des périmètres « créatifs » officiels. Pour cela, le cas d’un quartier créatif spontané à Nantes (les Olivettes) va être analysé sur la base d’enquêtes qualitatives et mis en perspective avec le Quartier de la Création officiel de la ville. Organisés sous la forme d’un club sélectif ancré dans le quartier, les travailleurs créatifs des Olivettes développent des réseaux collaboratifs dynamisés par la proximité de valeurs qui les lie. Ils font également émerger une image de marque en valorisant leur appartenance au « vrai » quartier créatif de la ville et en cherchant à renforcer l’agglomération spatiale d’activités des secteurs culturels et créatifs.
Since the beginning of the 2000s, the planning of creative quarters by the public authorities as part of place marketing strategies has grown. Simultaneously, creative areas resulting from a spontaneous agglomeration of creative workers (artists, designers, architects...) emerge. The purpose of this article is to highlight the realities in terms of network and image of these quarters located outside the official “creative” perimeters. To achieve this, the case of a spontaneous creative quarter in Nantes (Les Olivettes) will be analyzed on the basis of qualitative investigations and put into perspective with the official creative quarter of the city (Quartier de la Création). Organized in the form of a selective club anchored in the quarter, the creative workers of Les Olivettes develop collaborative networks fostered by the proximity of values that binds them. They also bring out a brand image by highlighting their belonging to the “real” creative quarter of the city and seeking to reinforce the spatial agglomeration of cultural and creative industries.
1Dans le sillage des concepts de ville créative et de classe créative (Landry, 2000 ; Florida, 2002), de nombreuses villes se sont dotées de quartiers créatifs officiels (Mommaas, 2004 ; Keane, 2011). Ces quartiers s’inscrivent dans des stratégies de marketing territorial visant à renouveler l’image des territoires, à en renforcer l’attractivité et à y attirer habitants, entreprises et touristes (Evans, 2015 ; Houiller-Guibert et Le Corf, 2015). En parallèle de ces planifications, des quartiers créatifs émergent de manière plus spontanée dans d’anciens territoires industriels des villes (Lloyd, 2002 ; Mommaas, 2004 ; Michel, 2018b). Ces quartiers sont caractérisés par l’agglomération spatiale non planifiée d’activités culturelles et créatives, c’est-à-dire d’entreprises et d’associations de ces secteurs1. Ces activités regroupent des travailleurs créatifs qui développent des réseaux d’entraide et de coopération ancrés dans les quartiers (Ambrosino et Sagot-Duvauroux, 2018), allant parfois jusqu’à former des clubs sélectifs (Michel, 2018b). Combiné à leur présence en grand nombre sur un périmètre urbain limité, le développement de ces réseaux de travailleurs fait émerger une image « créative » associée au quartier (Vivant, 2009 ; Ambrosino, 2013).
2Dès lors, l’objectif de cet article est d’explorer les dynamiques de réseau et les effets d’image dans les quartiers créatifs spontanés. Quelles dynamiques de réseau se développent au sein de ces quartiers ? Par leur présence, leurs actions, leurs discours et leurs réseaux, quelle image territoriale les travailleurs créatifs participent-ils à fabriquer ? Enfin, quelle est l’influence des clubs de travailleurs créatifs ancrés dans ces quartiers sur les réseaux collaboratifs qui s’y développent et l’image qui y est associée ?
3Afin d’avancer sur ces questions, le cas du quartier des Olivettes à Nantes va être mobilisé. Ce quartier est concerné depuis les années 1990 par un processus spontané d’agglomération spatiale d’activités culturelles et créatives. Il constitue aujourd’hui un quartier créatif officieux aux côtés du Quartier de la Création officiellement créé par la ville. La mise en regard de ces deux quartiers créatifs, l’un planifié, l’autre spontané, permettra de nourrir l’analyse. L’article est structuré en quatre parties. La première pose des éléments de définition des quartiers créatifs avant de préciser la méthodologie utilisée et les enquêtes réalisées. La deuxième présente le contexte du terrain nantais tout en décrivant les dynamiques ancrées dans le quartier des Olivettes (notamment de réseau). La troisième analyse les discours et les réseaux qui donnent corps à l’image de marque off associée à ce quartier. Enfin, la quatrième partie met en lumière les effets de l’organisation des travailleurs créatifs sous la forme d’un club sur les dynamiques de réseau et l’image du quartier.
1. Quartiers créatifs spontanés : dynamique de réseau et effets d’image
1.1. Des quartiers créatifs institutionnels aux quartiers créatifs spontanés : des questions d’image, de réseaux et de clubs
4Dans le contexte de concurrence entre les villes, la culture s’est affirmée comme un levier de transformation, de développement et de différenciation des territoires, mobilisé par les pouvoirs publics dans le monde entier (Leriche et al., 2008 ; Terrin, 2012 ; Gravari-Barbas, 2013). Dans le sillage du cas emblématique de Bilbao et du Guggenheim, la culture est intégrée dans des stratégies visant à promouvoir l’image et l’attractivité des territoires (Vanolo, 2008 ; Saez, 2010 ; Fagnoni et Gravari-Barbas, 2015). Dès le début des années 2000, les clusters culturels ou créatifs sont utilisés dans le cadre de ces stratégies (Newman et Smith, 2000 ; Foord, 2008 ; Keane, 2011) et visent principalement à favoriser la reconversion d’anciens quartiers industriels en crise en y implantant des activités culturelles et créatives (Evans, 2009). Leur planification s’est multipliée jusqu’à devenir un modèle de développement et de valorisation des territoires au travers de la labellisation de quartiers « culturels » ou « créatifs » (Lusso, 2015). La littérature fait état d’un grand nombre d’exemples tels que le 22@ de Poblenou à Barcelone (Ballester, 2013) et Liberty Village à Toronto (Evans, 2015). Des villes de taille plus modeste en quête de renouveau et à la recherche d’un statut de métropole attractive ont également rejoint le mouvement, à l’image de Saint-Étienne avec le quartier créatif la Manufacture-Plaine Achille (Sechi, 2016) et de Nantes avec le Quartier de la Création (Morteau, 2016). La création par les pouvoirs publics de ces quartiers créatifs institutionnels s’inscrit pleinement dans les stratégies de marketing territorial (Houiller-Guibert et Le Corf, 2015) afin de promouvoir l’image des villes en valorisant une dynamique culturelle, ainsi qu’une ambiance attractive de « ville créative », dans le but d’attirer des habitants, des entreprises et des touristes (Evans, 2015). L’image de marque dont sont porteurs ces quartiers devient alors un signe distinctif à même de renforcer la notoriété et l’attractivité des villes.
5En parallèle de ces constructions politiques (top-down), des quartiers créatifs non planifiés par les pouvoirs publics émergent suivant un processus d’agglomération spatiale spontanée d’activités culturelles et créatives (bottom-up) (Mommaas, 2004). Les quartiers créatifs sont rarement issus intégralement d’une logique bottom-up ou top-down. Il s’agit généralement d’une combinaison des deux, dominée selon les cas par la dimension planificatrice des pouvoirs publics ou la dimension spontanée du regroupement spatial d’activités culturelles et créatives. Par leur logique de formation, les quartiers non planifiés ne font pas partie des stratégies de marketing territorial portées par les collectivités publiques. Ils constituent toutefois des polarités culturelles généralement localisées dans d’anciens territoires urbains ouvriers ou industriels, à l’image de Wicker Park à Chicago (Lloyd, 2002). Le regroupement spontané d’artistes dans ces quartiers, rapidement rejoints par d’autres travailleurs créatifs, est motivé par la recherche de lieux de travail et parfois de vie, abordables financièrement, proches du centre-ville et intégrés dans un environnement aux qualités sensibles (atmosphère artistique, histoire ouvrière…) (Vivant, 2009 ; Ambrosino, 2013 ; Ovidio et Ponzini, 2014). Au sein de ces territoires, les travailleurs créatifs développent entre eux des réseaux de connaissance et de coopération. Ils se côtoient, coopèrent et s’inspirent les uns les autres en tissant des relations de diverses natures (amitié, collaboration, concurrence...) (Ambrosino et Sagot-Duvauroux, 2018).
6Ces travailleurs, regroupés et liés par des réseaux de pairs dans les quartiers créatifs, tendent à s’organiser sous la forme de clubs, c’est-à-dire des groupes de partage accessibles uniquement aux membres sélectionnés (Michel, 2018b). C’est le cas notamment dans des quartiers créatifs spontanés à Marseille (le Panier) et Grenoble (Berriat), ainsi qu’à Nantes dans le quartier des Olivettes (Michel, 2017).
7Les clubs sont définis dans la littérature économique comme des regroupements volontaires d’individus autour de ressources qu’ils se partagent de manière exclusive (Buchanan, 1965). L’entrée dans le club est régie par une sélection qui limite le nombre de membres afin d’optimiser les économies d’échelle tout en évitant la congestion. Dans le cas des clubs de la bourgeoisie, cette sélection est opérée via un système de cooptation (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2007). Ces clubs offrent aux membres l’accès à des réseaux relationnels stratégiques et à une image prestigieuse. L’identification de clubs de travailleurs créatifs dans les quartiers créatifs interroge donc les dynamiques de collaboration et les effets d’image dans ces territoires. Que ce soit dans le quartier des Olivettes, du Panier ou Berriat, les travailleurs créatifs se regroupent autour de ressources telles que l’image de marque du territoire et la proximité spatiale d’autres activités culturelles et créatives. Ils mettent en place un système de sélection des entrées à l’échelle du quartier et d’espaces de travail partagés2 afin de privilégier l’installation de travailleurs des secteurs culturels et créatifs appartenant à leurs réseaux. Ils sont les membres d’un groupe de partage exclusif animé d’une dynamique de réseau ancrée dans chaque quartier et porteur d’une identité territoriale singulière.
8Dans chacun de ces trois quartiers, le club est caractérisé par une dynamique de partage entre les travailleurs créatifs qui y sont localisés (les membres) : entraide, prêts de matériels, coopérations marchandes, échanges d’informations et transmissions de contacts se multiplient. Le club comporte aussi une dimension exclusive par la mise en place d’une sélection des entrées dans le quartier via un système de cooptation géré par les membres. Ce système prend appui sur un contrôle de l’immobilier. Certains achètent des locaux, y installent leur bureau ou leur atelier et ouvrent le reste de l’espace à la colocation pour des entreprises et des associations culturelles et créatives, créant un espace de travail partagé. D’autres suivent la même logique, sans être propriétaire des lieux, en louant un grand espace qu’ils partagent ensuite avec différentes activités culturelles et créatives. De plus, la présence quotidienne dans le quartier offre un accès privilégié à des informations tacites sur la disponibilité de biens immobiliers avant qu’ils ne soient mis sur le marché. Certains travailleurs deviennent même les interlocuteurs privilégiés des propriétaires immobiliers pour la mise en location ou la vente de leurs biens. Sur la base de ce contrôle des informations immobilières, les travailleurs créatifs sélectionnent en partie les personnes entrant dans le quartier. Ils suivent alors une logique visant à favoriser l’installation de travailleurs de secteurs spécifiques appartenant à leurs réseaux personnels ou professionnels, créant ainsi des clubs de travailleurs créatifs ancrés à l’échelle des quartiers.
9Ces différents éléments pointés dans la littérature amènent à constater l’existence, d’une part, de quartiers créatifs institutionnels porteurs d’une image de marque distinctive et inscrits dans des stratégies de marketing territorial, et d’autre part, de quartiers créatifs spontanés ne relevant pas de telles stratégies et regroupant des travailleurs créatifs organisés sous forme de clubs. Il en ressort un questionnement autour des réalités des quartiers créatifs spontanés : quelles dynamiques de réseau et quels effets d’image façonnent ces quartiers ? Y-a-t-il comme dans les quartiers créatifs officiels l’émergence d’une image de marque ? Et quel rôle jouent les clubs de travailleurs créatifs dans celle-ci ?
1.2. Une méthodologie qualitative pour enquêter sur les quartiers créatifs spontanés
10Pour avancer sur ces questions, cet article s’appuie sur l’analyse du cas de Nantes. L’intérêt de cette ville réside dans la coexistence d’un quartier créatif institutionnel (Quartier de la Création) et d’un quartier créatif spontané (quartier des Olivettes). Au vu du sujet de l’article, centré sur les quartiers créatifs spontanés, c’est plus particulièrement sur le quartier des Olivettes que l’analyse va être centrée, tout en le mettant en perspective avec le Quartier de la Création. L’article est fondé sur des enquêtes qualitatives menées de 2013 à 2017 sur les activités culturelles et créatives à Nantes. La méthodologie mêle l’entretien semi-directif, l’analyse de réseaux sociaux et l’observation. 113 entretiens ont été menés, principalement auprès de travailleurs créatifs du quartier des Olivettes (107), mais aussi avec des acteurs de l’aménagement et de la culture à l’échelle de la ville et du Quartier de la Création (6). L’échantillon des travailleurs créatifs rencontrés en entretien a été construit de manière à être représentatif suivant les types d’activités culturelles et créatives représentés aux Olivettes. Ainsi, il est composé de personnes travaillant dans l’art (25 %), l’architecture (17 %), le design (17 %) et le numérique (10 %). Il s’agit de femmes (41 %) et d’hommes (59 %), majoritairement jeunes (64 % de 20-39 ans) et travaillant dans de petites ou très petites entreprises ou associations (3,5 travailleurs par structure en moyenne). Les entretiens visaient à interroger : les raisons de leur choix de localisation aux Olivettes ; les caractéristiques de leur activité ; les relations personnelles et professionnelles développées avec les autres activités culturelles et créatives du quartier ; les avantages et les inconvénients perçus de leur localisation dans le quartier. Au travers de cette grille d’entretien, deux éléments ont pu être particulièrement analysés. Premièrement, les relations sociales tissées à l’échelle du quartier par chaque travailleur interrogé ont été répertoriées et ont fait l’objet d’une analyse de réseaux (logiciels Ucinet et Netdraw), permettant d’identifier les dynamiques de réseau ancrées aux Olivettes. Deuxièmement, les discours des travailleurs créatifs quant aux avantages perçus de la localisation dans le quartier ont mis en lumière l’importance de l’image associée à ce territoire. Dès lors, une analyse transversale des entretiens sur cette thématique a été menée de manière à identifier ce que recouvre cette image pour les interviewés et ce qu’ils mettent en place pour la préserver et la valoriser. En complément des entretiens, les phases d’observation3 et l’analyse de sources documentaires (sites internet des activités notamment) ont permis de compléter la recherche et de confronter le discours des acteurs interrogés avec une observation directe des faits.
2. Entre logique institutionnelle et dynamique spontanée : Nantes et ses deux quartiers créatifs
11La présentation du contexte nantais, avec la mise en place du Quartier de la Création sur l’île de Nantes en parallèle de la construction plus spontanée du quartier créatif des Olivettes (figure 1), est nécessaire à la pleine compréhension des dynamiques de réseau et des enjeux en termes d’image qui se jouent dans ce dernier.
Figure 1. Carte de localisation du quartier des Olivettes et du Quartier de la Création à Nantes
Réalisation de B. Michel, 2019.
2.1. Le Quartier de la Création : pour une ville culturelle et créative attractive
12Depuis 1989, la ville de Nantes est engagée dans la transformation active de son territoire par la culture et la créativité (Delavaud, 2007 ; Caro, 2012). C’est pour rompre avec l’image d’un territoire industriel en déclin que les pouvoirs publics ont misé sur les secteurs culturels et créatifs pour développer différents projets mêlant renouvellement urbain (Caro, 2012), évènements culturels (Barthon et al., 2007) et marketing territorial (Meyronin, 2015). Cette stratégie politique s’est matérialisée sur un espace en particulier : l’île de Nantes. Les élus locaux souhaitent faire de cet ancien haut lieu de l’industrie nantaise à la fois le nouveau centre et la vitrine de la ville et de la métropole (Pinson, 2002). L’île de Nantes doit être le fer de lance de l’image culturelle et créative de la ville (Devisme, 2007). La mise en place du Quartier de la Création en 2011 par les pouvoirs publics s’inscrit dans cet objectif. Dès sa création sur la partie ouest de l’île, ce quartier s’appuie sur différents projets culturels et créatifs portés ou soutenus par les élus et les aménageurs au cours des années 2000, comme les Machines de l’île, attraction touristique et emblème des stratégies marketing nantaises (Coëffé et Morice, 2013), ou les anciennes Halles Alstom transformées pour accueillir temporairement des artistes et des entreprises créatives (Emin et Sagot, 2016 ; Morteau, 2016).
13Géré par un service dédié (Creative Factory), le Quartier de la Création vise à créer un cluster culturel et créatif ancré sur l’île de Nantes en y rassemblant des acteurs de l’art, du design, de l’architecture et des médias et en facilitant leur développement et leur mise en réseau. Pour cela, divers services sont proposés aux activités culturelles et créatives afin d’encourager leur installation sur l’île et de favoriser leur croissance : bureaux mis à disposition, accompagnement de projets… Aujourd’hui, des entreprises (agences de design et d’architecture notamment), des acteurs culturels (Machines de l’île, La Fabrique…) et des institutions de formation (école nationale supérieure d’architecture, école des Beaux-Arts, Médiacampus…) s’y côtoient. Intégré dans les stratégies de marketing territorial des pouvoirs publics, le quartier est considéré comme un levier central afin de positionner Nantes comme ville créative et de renforcer l’attractivité du territoire (Bonnin et al., 2010 ; Coëffé et Morice, 2013).
2.2. Un quartier créatif spontané aux Olivettes : ambiance et réseaux créatifs
14En amont de l’instauration institutionnelle du Quartier de la Création, le quartier des Olivettes a connu une dynamique spontanée d’agglomération spatiale d’activités culturelles et créatives (Michel, 2017), débuté dès les années 1990 avec l’installation d’artistes dans cet ancien faubourg industriel (petite industrie et artisanat) situé à proximité immédiate du centre-ville. Les années suivantes, d’autres travailleurs se sont installés (architectes, designers…), générant la mutation d’un quartier artistique vers un quartier créatif : « C’est à ce moment-là que la bascule s’est faite, le tournant s’est fait, de l’occupation artiste vers l’activité créative » (chargé d’opérations à Nantes Métropole Aménagement, juillet 2015). Ces travailleurs ont investi les locaux laissés vides par le déclin industriel des années 1970 et le départ des industries pour la périphérie (Petiteau, 2012). Ils ont été attirés par des prix de l’immobilier abordables, une situation géographique favorable et la disponibilité de locaux adaptables à leurs pratiques. L’installation de nombreux travailleurs créatifs dans le quartier a fait émerger une concentration et une image créatives. Des lieux culturels comme Pol’n, des acteurs du numérique comme La Cantine4 et des agences d’architecture renommées telles que l’Atelier Pellegrino contribuent à la dimension créative de ce territoire dans les années 2000. Aux Olivettes, l’ancien territoire ouvrier et industriel renouvelle son image. Bien que globalement spontanée, cette dynamique d’agglomération d’activités culturelles et créatives transformant le quartier, a bénéficié du soutien discret des pouvoirs publics. Alors que le mouvement d’installation des artistes débute, les pouvoirs publics5 décident de faciliter leur implantation dans le quartier via des conventions d’occupation précaires (Roy, 2004). Par la suite, d’anciens bâtiments industriels acquis par la mairie sont cédés prioritairement à de petites entreprises (architectes, paysagistes…) à la recherche de locaux dans le quartier (Petiteau, 2012). Au contraire de la stratégie appliquée sur l’île de Nantes qui vise à générer une dynamique via la création institutionnelle d’un quartier créatif (top-down), ces actions ont eu pour objectif de soutenir une dynamique préexistante (bottom-up). Malgré l’ouverture du Quartier de la Création en 2011, le processus d’agglomération spatiale d’activités culturelles et créatives aux Olivettes s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui avec l’installation d’artistes, d’architectes, de designers, d’acteurs du numérique et d’agences de communication principalement. Ce faisant, le quartier s’affirme comme une polarité créative avec 250 entreprises et associations des secteurs culturels et créatifs présentes en 2018, suscitant une ambiance singulière ressentie au quotidien par les travailleurs créatifs :
« Tous les gens qui sont dans le quartier, ce sont des gens qui travaillent dans la création : publicité, graphique, informatique, architecture… Il en sort des choses sur le plan concret dans certains cas, et globalement il y a cette ambiance dans ce quartier qui est porteuse, comme une espèce de grande famille » (architecte, avril 2013).
15L’existence de nombreuses œuvres dans l’espace public renforce cette ambiance en signalant visuellement la présence d’artistes dans le quartier (figure 2).
Figure 2. Graffitis sur les murs du quartier réalisés par des artistes installés aux Olivettes
Photographies prises par B. Michel en 2015 et 2016.
16Au-delà de cette ambiance, le quartier est animé d’une dynamique de réseau (figure 3). En moyenne, chaque activité entretient 11 relations avec d’autres activités culturelles et créatives localisées aux Olivettes. Il s’agit à la fois de relations marchandes (33%), telles que des projets collectifs et des contrats de sous-traitance, et de relations non marchandes (67%), comme du prêt de matériel, des échanges d’informations et des coups de mains pratiqués sur le modèle du don/contre-don. Les espaces de travail partagés par plusieurs activités indépendantes les unes des autres constituent les cœurs du réseau, c’est-à-dire les parties les plus denses en termes de relations (cercles numérotés sur la figure 3). Ce réseau collaboratif ancré dans le quartier lie les travailleurs des Olivettes pour en faire les membres d’un groupe de partage. L’entrée dans le quartier étant régie par un système de cooptation géré par les travailleurs créatifs qui y sont localisés, ce groupe de partage comporte une dimension exclusive qui le rapproche des clubs.
Figure 3. Réseau collaboratif des activités culturelles et créatives du quartier des Olivettes
Réalisation de B. Michel, 2019.
3. L’image du quartier créatif des Olivettes : discours et réseaux en marge de l’institution
3.1. Une image de marque confidentielle
17Par la concentration et l’image créatives acquises au fil de son évolution, le quartier des Olivettes attire des activités culturelles et créatives. Pour la majorité des travailleurs créatifs ayant choisi de s’installer dans le quartier à partir des années 2000, la présence de ce type d’activités est l’un des éléments déterminants dans leur choix de localisation, et ce pour deux raisons principales. Premièrement, la proximité spatiale d’autres travailleurs créatifs est recherchée afin d’augmenter les opportunités de nouvelles coopérations. Le cas de créateurs audiovisuels installés depuis 2011 en atteste. Ils expliquent leur choix de localisation par « le fait que ce soit un quartier qui vive au rythme des boites de com’, donc du coup c’est pas mal des secteurs avec lesquels on bosse » (créateur audiovisuel, avril 2013). Deuxièmement, la concentration spatiale de travailleurs créatifs est également recherchée pour l’effet d’image qu’elle peut procurer. L’intégration d’un territoire identifié comme créatif équivaut à un label de qualité que les travailleurs créatifs souhaitent obtenir. Abordant les avantages qu’il y a à se localiser aux Olivettes, une réalisatrice de films met en avant cette dimension :
« La rue des Olivettes ça parle. […] Il y a beaucoup beaucoup de gens qui bossent soit dans la création, soit dans le journalisme, soit dans l’architecture, qui mentionnent cette rue. Il y a un nombre de gens qui doivent donner des cartes [de visite] avec la rue des Olivettes, c’est impressionnant » (réalisatrice de films, juillet 2015).
18Ainsi, le quartier des Olivettes possède une image de marque qui bénéficie aux travailleurs créatifs, les crédibilise et garantit la qualité de leurs prestations. Un travailleur indépendant en webmarketing témoigne de l’effet d’adresse dont il a pu bénéficier lors de la recherche de clients : « Clairement être rue des Olivettes, je suis beaucoup plus crédible par rapport à des prospects » (entrepreneur en webmarketing, mars 2016). Ce même effet est constaté dans d’autres secteurs d’activité, et notamment en architecture :
« C’est repéré en tout cas par les clients et par beaucoup de gens de la profession comme étant un quartier où il y a pas mal d’archis, des artistes, c’est quand même clairement identifié comme ça. La rue des Olivettes ils savent où c’est. […] C’est la popularité du quartier, tu es identifié dans un quartier où il y a pas mal de choses qui se font » (architecte indépendante, avril 2013).
19À l’instar du label dont bénéficient les membres des districts culturels (Santagata, 2002), les travailleurs créatifs du quartier des Olivettes jouissent d’une image de marque territorialisée qui demeure toutefois relativement confidentielle. L’absence de mise en valeur marketing du quartier par les pouvoirs locaux limite sa visibilité aux mondes nantais de l’art et de la création. À la différence du Quartier de la Création, le quartier des Olivettes n’est pas intégré dans les stratégies de promotion de la ville portées par les pouvoirs publics. Il n’est mentionné ni dans les plaquettes promotionnelles, ni sur le site internet de la ville. En parallèle, l’île de Nantes est valorisée comme un « concentré de culture », au sein duquel émerge le « Quartier de la Création » qui « est prévu pour devenir le cœur de la métropole d’ici 2020 » selon le site municipal. Complétés par l’existence d’un site internet dédié au Quartier de la Création, la stratégie de promotion de la ville affirme devenir un territoire culturel et créatif attractif. Le tracé du Voyage à Nantes l’illustre : cet évènement culturel propose aux habitants et aux touristes un parcours artistique de grande ampleur. Considéré comme l’une des actions phares menées par les pouvoirs publics pour rendre la ville attractive (Guiu et Wambergue, 2012), le parcours dessiné évite le quartier des Olivettes, tout en proposant un long cheminement sur l’île de Nantes, et en particulier dans le Quartier de la Création qui accueille 20 lieux à visiter.
3.2. De l’appartenance au « vrai » quartier créatif nantais : image de marque et réseaux off
20La création d’un quartier créatif officiel sur lequel les pouvoirs publics fondent leur stratégie de marketing territorial à dimension culturelle et créative a entrainé une réaction chez les travailleurs créatifs des Olivettes. Ils revendiquent dans leurs discours l’appartenance à ce qu’ils considèrent comme le « vrai » quartier créatif de la ville de Nantes : les Olivettes.
« Forcément, quand ils ont créé le Quartier de la Création, on s’est dit « ah non, le quartier de la création c’est les Olivettes » » (directeur d’une agence de communication, avril 2013)
« Pour moi le quartier de la création il est là [aux Olivettes], il n’est pas sur l’île de Nantes » (designer, juillet 2015)
« Pour moi, [les Olivettes] c’est le seul quartier de la création à Nantes » (directrice d’une agence de communication, avril 2013)
« Ce côté « quartier de la création c’est l’île de Nantes », ça m’a toujours fait sourire et je me suis toujours dit que le vrai quartier de la création il était ici [aux Olivettes] » (directeur d’une association artistique, juillet 2015).
21Cette revendication est également présente dans les stratégies de communication des travailleurs créatifs du quartier des Olivettes. Par exemple, le projet artistique Paradise, qui se matérialise à travers un espace dédié aux résidences d’artistes, est présenté dans les documents de communication comme « un lieu singulier et unique à Nantes, dans le quartier de la création » (Association Paradise, 2013, p. 2). La description de la situation géographique du lieu insiste sur cet aspect : « En plein cœur du quartier de la création (peut-être le « vrai ») » (Ibid., p. 5).
22Au travers de cette revendication, les travailleurs créatifs participent à créer aux Olivettes l’image d’un quartier créatif off, en marge du Quartier officiel : « La blague ici de toute façon maintenant c’est qu’en gros là-bas [l’île de Nantes] c’est le quartier de la création officiel mais que le off c’est les Olivettes » (architecte, mars 2016). Loin des pratiques et des symboliques alternatives portées par les squats d’artistes (Vivant, 2007), l’image off tient ici à l’absence de labellisation et d’intervention directe de l’institution telles qu’elles sont développées sur l’île de Nantes. Elle se fonde sur le caractère ancien et spontané de la dynamique créative du quartier, largement valorisé par les travailleurs créatifs :
« Je suis fier d’être dans le quartier, comme je dis, moi je travaille dans le quartier historique de la création » (directeur d’une association d’évènementiel culturel, juillet 2015)
« On a été un peu embêté quand la ville a décrété que LE quartier de la création il était là-bas [sur l’île de Nantes]. […] C’est quand même un peu excluant pour les autres. […] Nous on n’a rien demandé à personne, on n’est pas subventionné, on ne nous donne pas des locaux à pas cher. Tu vois finalement on a décrété notre propre quartier de la création » (designer, juin 2013).
23L’image d’un quartier créatif off à la dynamique ancienne et spontanée permet aux travailleurs créatifs de valoriser leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics :
« Tu as cette espèce de défiance où le quartier des Olivettes se revendique un petit peu comme quartier historique de la création et cette défiance vis-à-vis du politique, de cette volonté de briller, marketing territorial et autres » (directeur d’une association créative, juillet 2015)
24Après la proposition par les pouvoirs publics d’un bureau dans le Quartier de la Création, un artiste explique son choix pour les Olivettes par le désir de se distancier de l’institution :
« Nous on ne voulait pas forcément aller là-bas [au Quartier de la Création]. […] On voulait se démarquer un peu de ce développement, entre guillemets, très institutionnalisé. Le Quartier de la Création… Les vrais créateurs sont là-bas, les Beaux-Arts vont être là-bas, les trucs vont être là-bas » (artiste, juillet 2013).
25L’image de quartier créatif off s’affirme alors comme une ressource puisqu’elle est vectrice d’une identité pour les travailleurs créatifs, accrue par la dynamique de réseau. Cet aspect est mis en lumière avec la création de la République Démocratique des Olivettes (RDO) par des travailleurs créatifs du quartier. Ce groupe Facebook est un espace d’échange, de mutualisation et de coopération réservé aux travailleurs créatifs des Olivettes. Son objectif est de renforcer et de faciliter les relations préexistantes entre les activités culturelles et créatives du quartier, notamment grâce à la diffusion de nombreuses informations : évènements dans le quartier, appels à collaboration pour des projets, matériels disponibles en prêt… Le nom provocateur du groupe vient souligner l’indépendance vis-à-vis de l’institution revendiquée par les travailleurs créatifs, tout en cultivant l’image d’un quartier créatif off aux Olivettes. Ce positionnement en marge du Quartier de la Création peut même inquiéter :
« Nantes Métropole me dit « ouais République Démocratique des Olivettes c’est limite quand même on a l’impression que vous allez faire sécession » » (membres du groupe de la RDO, mars 2016).
4. Les effets du club : entre stimulation des réseaux et renforcement de l’image de marque
26Le quartier des Olivettes apparait comme le lieu d’un réseau de travailleurs créatifs revendiquant leur appartenance au « vrai » quartier créatif de Nantes. Par le biais de ce réseau, l’image de marque du quartier, qui s’inscrit dans le registre du off, se diffuse. Dès lors, la question des effets de l’organisation des travailleurs créatifs sous la forme d’un club se pose, tant au sujet des dynamiques de réseau que de l’image de marque associée au quartier. Le club est caractérisé par une sélection des entrées dans le quartier, conduite par un système de cooptation géré par les travailleurs créatifs eux-mêmes, qui favorisent explicitement l’entrée d’homologues appartenant à leurs réseaux de connaissance. Que ce soit pour la disponibilité à venir d’un bureau à louer dans un espace de travail partagé, ou la vente prochaine d’un local, l’information circule dans un entre-soi professionnel et personnel. Ainsi, 50 % des travailleurs interrogés ont pu s’installer dans le quartier grâce à la connaissance d’un travailleur déjà implanté aux Olivettes. La force de la cooptation est illustrée par les propos d’un artiste au sujet de l’entrée dans l’espace de travail qu’il partage avec d’autres : « Ici c’est ultra-prisé. Si tu rentres, c’est que tu connais des gens, tu te fais pistonner, ou que tu as posé ta candidature depuis 6 mois ! » (artiste, juillet 2015). Au travers de cette sélection, le club favorise la constitution d’un groupe de travailleurs des secteurs culturels et créatifs appartenant aux mêmes réseaux relationnels. Ce faisant, le club est composé d’individus liés par le partage de plusieurs points communs. Outre le travail de création et les réseaux de connaissance, ils ont en commun d’appartenir à de très petites entreprises ou associations, d’être majoritairement diplômés, d’avoir des revenus moyens et incertains6. Ils partagent également des valeurs similaires en défendant l’importance de l’utilisation des transports doux, de la centralité urbaine, de la mixité sociale, de la volonté d’entreprendre et d’innover, de l’indépendance vis-à-vis des institutions… Pour un artiste du quartier, les travailleurs créatifs ont ainsi « tendance à être tous dans le même moule » (artiste, juillet 2015), liés par une forte proximité de valeurs, entendue comme « l’ensemble des convictions, des idéaux, des façons de faire et habitudes de travail défendus par les individus » (Chesnel, 2015, p. 12). Avec cette proximité qu’il génère, le club influe sur les dynamiques de réseau au sein du quartier en renforçant les échanges et les coopérations. La proximité de valeurs constitue une culture, un état d’esprit et un langage communs propices aux interactions. Un architecte témoigne de l’existence de ce substrat favorable au développement de discussions et à l’établissement de collaborations entre les travailleurs créatifs du quartier :
« J’ai de la compassion et de la sympathie d’emblée pour ce qui se passe derrière les vitrines, parce que je sais que ce sont des gens, un peu comme nous, qui cherchent, qui n’ont pas forcément envie de rouler sur l’or, qui ont juste un esprit qui les éclate, qui prennent du plaisir à ce qu’ils font et qui cherchent surtout à innover. Donc on aurait tout à se raconter si on se voyait » (architecte, avril 2013).
27Ce substrat propice aux échanges est concrétisé par la mise en place des nombreuses relations marchandes et non marchandes qui constituent la dynamique du réseau des activités culturelles et créatives du quartier des Olivettes (figure 3). Toutefois, la forte proximité de valeurs générée par le club entraine aussi une forme d’entre-soi qui représente une fermeture à la diversité pourtant identifiée comme une source d’inspiration, de créativité et d’innovation grâce à l’apport d’idées nouvelles et originales issues de regards différents (Grabher, 2002 ; Bathelt et al., 2004). Il peut contribuer à créer un effet de conformisme, réduisant la dynamique de réseau par un mouvement d’enfermement (Suire, 2013 ; Suire et Vicente, 2014). Aux Olivettes, l’écueil de l’enfermement est contourné par la diversité des activités culturelles et créatives regroupées dans le club. La présence d’artistes, de théâtres, de designers, d’architectes, de paysagistes ou encore d’agences de communication crée un large panel de métiers et de compétences. À l’image des artistes et des directeurs de théâtres et de galeries d’art, les travailleurs créatifs occupent des places différentes dans la chaîne de valeur leur permettant de travailler ensemble. De plus, si les métiers des travailleurs créatifs sont proches, ils sont aussi complémentaires. Ainsi, des équipes ponctuelles alliant plusieurs architectes et paysagistes indépendants du quartier sont créées afin de répondre à des appels d’offres et piloter des projets immobiliers. Des professionnels du web marketing s’associent avec des graphistes, des photographes et des créateurs audiovisuels pour répondre de manière globale aux demandes de leurs clients. La diversité des membres du club permet donc le maintien d’une dynamique de réseau au sein du quartier.
28Le club influe également sur l’image de marque qui est associée au quartier des Olivettes. Pour les travailleurs créatifs du quartier, la préservation de cette image est importante, en témoigne le rejet qu’ils expriment vis-à-vis de l’implantation d’activités jugées non conformes à l’image qu’ils se font des Olivettes :
« Quand on a vu s’installer l’agence immobilière au coin de la rue, on a halluciné, on s’est dit : « c’est quoi ce quartier en fait, on est où là ! » » (directeur d’une association artistique, juillet 2015)
29La sélection des entrées réalisée entre en cohérence avec la volonté de préserver l’image créative du quartier. Elle favorise l’installation aux Olivettes d’entreprises et d’associations relevant des mondes de l’art et de la création. Cela renforce la concentration spatiale d’activités culturelles et créatives, permettant d’accroitre la notoriété des Olivettes en tant que quartier créatif et d’alimenter l’image de marque associée à ce territoire. Le renforcement de cette image est susceptible d’attirer d’autant plus de travailleurs créatifs, générant un cercle vertueux.
Conclusion
30Au travers de l’analyse du quartier des Olivettes, cet article montre qu’en-dehors des périmètres « créatifs » officiels, il existe une vitalité culturelle et créative fondée sur des dynamiques de réseau spontanées ancrées dans des quartiers urbains. Ces dynamiques génèrent une image de marque territoriale qui demeure confidentielle dans certains cas comme au Bas-Montreuil (Collet, 2015), ou s’affirme à l’échelle locale et globale dans d’autres comme à SoHo (Zukin, 1982) ou à Stokes Croft (Ambrosino, 2014). L’organisation des travailleurs créatifs sous forme de clubs dans ce type de quartiers influence positivement à la fois leur mise en réseau et la consolidation de l’image associée au territoire. En effet, la sélection des entrées dans le quartier imposée par le club génère une proximité de valeurs favorable aux échanges et aux collaborations, tout en renforçant la concentration spatiale d’activités spécifiques dans le quartier. L’image de marque et les réseaux d’entre-soi générés par les clubs apportent aux travailleurs créatifs un élément de distinction sociale au sens de Bourdieu (1979). Leur affiliation à un quartier à l’image créative et l’intégration d’un réseau composé d’acteurs des mondes de l’art et de la création légitiment leur positionnement professionnel tout en renforçant la valorisation sociale de leur appartenance aux catégories créatives de la population urbaine.
31Dans le contexte de concurrence entre les territoires pour attirer habitants, entreprises et touristes, la planification de quartiers créatifs par les pouvoirs publics continue de se développer dans de grandes métropoles comme Shanghai (Michel, 2019) et dans des villes plus modestes en cours de métropolisation (Nantes, Saint-Étienne…). Les pouvoirs publics concentrent leurs efforts d’aménagement et de promotion liés à la ville créative sur ces quartiers. L’existence de dynamiques de réseau et d’effets d’image dans les quartiers créatifs spontanés tels que les Olivettes met en avant l’une des limites de ces politiques de quartiers créatifs officiels et des stratégies de marketing territorial qui y sont liées. En dirigeant les projecteurs sur un périmètre délimité, ces stratégies ne valorisent pas toute la diversité des acteurs et des territoires participant à la dynamique culturelle et créative des métropoles.
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1 Activités culturelles : arts visuels, arts du spectacle, patrimoine, édition, musique, jeu vidéo, télévision, radio, vidéo, et cinéma. Activités créatives : design, publicité, numérique et architecture (KEA, 2006).
2 Ces espaces sont des bureaux partagés par plusieurs petites entreprises et associations indépendantes les unes des autres et muent par la volonté de mutualiser du matériel, d’échanger voire de coopérer entre elles. Ils correspondent à des espaces de coworking composés de membres permanents, c’est-à-dire de travailleurs ayant un bureau attribué dans le lieu à long terme (Michel, 2018a).
3 Les phases d’observation ont été réalisées dans l’espace public, dans les lieux culturels et créatifs et lors d’évènements organisés dans le quartier des Olivettes. Ces observations ont été complétées par un travail d’observation « flottante » ou « exploratoire » dans le Quartier de la Création officiel (Morange et al., 2016, p. 65).
4 Depuis l’incendie de ses locaux en novembre 2016, La Cantine numérique a déménagé sur l’île de Nantes.
5 Ce type d’actions est mené par la société publique locale Nantes Métropole Aménagement (anciennement nommée Nantes Aménagement).
6 94 % des activités ont moins de 10 salariés, tandis que 95 % des travailleurs interrogés possèdent un niveau de diplôme équivalent à Bac+3 ou davantage. De plus, 65 % d’entre eux ont des revenus inférieurs à 2 000€ nets par mois. Enfin, du fait d’un niveau d’activité non garanti à long terme car majoritairement fondé sur des projets ponctuels, les travailleurs interrogés ont généralement une visibilité limitée à six mois ou un an quant à la pérennisation économique de leur activité, témoignant du caractère incertain de leurs revenus. L’absence de garantie à plus d’un an n’empêche toutefois pas la majorité des activités culturelles et créatives de perdurer sur le long terme grâce à l’obtention de nouveaux marchés et projets ponctuels.
Basile Michel, « Dynamiques de réseau et image de marque dans les quartiers créatifs spontanés. Le cas du quartier des Olivettes à Nantes » dans © Revue Marketing Territorial, 2 / hiver 2019
URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=309.
Quelques mots à propos de : Basile Michel
ATER à l'université d’Angers, Basile Michel est docteur en géographie et chercheur associé au laboratoire ESO (UMR 6590). Ses recherches portent sur le processus d’agglomération spatiale de travailleurs créatifs dans des quartiers urbains. Il s’intéresse aux pratiques, aux représentations et aux réseaux de ces travailleurs à l’échelle du quartier et a notamment montré l’émergence de clubs dans trois quartiers créatifs spontanés à Nantes, Marseille et Grenoble. Ses recherches se poursuivent sur ce sujet en explorant de nouveaux terrains (Shanghai, Pékin...) et il collabore au projet ANR Scaena portant sur les scènes culturelles et numériques.