Compte-rendu d’ouvrage. Éloges de la diversité : Dynamiques territoriales
Olivier Bouba-Olga – 2018 – 100 pages

André Joyal


Texte intégral

1L’importance accordée au titre principal en page de couverture laisse croire à une ambiguïté volontairement soulevée. Ainsi, l’attention du lecteur le conduit à la problématique bien actuelle du « vivre ensemble » à laquelle il ne manquerait ici que le fameux « pas d’amalgame »1. Mais, tout regard persistant fait vite comprendre que l’expression, trop souvent galvaudée, se rapporte aux territoires lesquels, tels les individus ou les groupes ethniques, se caractérisent pas des similitudes et des distinctions. Ces dernières leur confèrent un intérêt qui leur mérite une attention plus soutenue. En exergue, au tout début, une citation d’Albert Jacquard aide, si nécessaire, à faire les rapprochements entre un territoire et cet « autre » avec lequel on se doit de composer en l’acceptant tel qu’il est. L’ouvrage, qui a fait appel à cinq collaborateurs (Paul Chauffefoin, Héloïse Chiron, Marie Ferru, Benjamin Guimond, Emmanuel Nadaud), compte cent pages en incluant la bibliographie et l’avant-propos ; il s’agit donc d’un opuscule pour ne pas évoquer un petit livre ou une plaquette ce dernier terme ayant une connotation péjorative. Car, si la valeur n’attend pas le nombre des années, pour paraphraser Corneille, comme on le verra, la valeur n’attend pas davantage le nombre de pages.

2L’auteur, Olivier Bouba-Olga, de l’Université de Poitiers, en dédicaçant l’ouvrage à son père camerounais, répond de cette façon aux interrogations sur son patronyme. Il est déjà connu dans les réseaux de l’économie régionale pour des publications d’un intérêt certain. Les cinq collaborateurs, collègues de l’auteur, furent investis de la responsabilité de s’attarder chacun à une région afin d’illustrer cette diversité régionale. Il s’agit de Belfort-Montbéliard, Toulon, Pau, le sillon lorrain et le Plateau de Millevaches. Cette sous-région m’est familière y ayant séjourné, depuis 1989, une dizaine de fois. Cependant, le lecteur ne doit pas s’attendre à de longues descriptions, le format du volume ne s’y prêtant pas. Les régions concernées servent avant tout pour illustrer les concepts ou idées avancés par O. Bouba-Olga. Tel qu’indiqué en avant-propos, l’ouvrage résulte d’un travail de recherche placé sous l’égide de l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts et Consignations. Le travail de terrain fut réalisé entre 2014 et 2016 fournissant ainsi les informations ayant servi aux réflexions développées dans ces pages. L’étude de différentes régions ou territoires, de façon générale, vise à mettre en évidence les facteurs de succès et d’échec. L’auteur de ces lignes l’a fait à la fois pour des micro-régions et pour des petites et moyennes entreprises. Quelles leçons en tirer ? Sur la base de ce qui est possible dans un village québécois peut-on le voir transposé en France ou au Brésil ? Dans le cas présent, l’objectif diffère en ce qui regarde les dynamiques territoriales. En effet, conformément au titre de l’ouvrage : « Il s’agit moins de présenter les contours d’un nouveau modèle de développement économique que de prendre acte de la diversité des territoires » (p.8). Ces diversités s’avèrent nombreuses : « démographiques, ressources naturelles, historiques, productives, etc. Pour les aborder, les chercheurs souvent se sont positionnés sur les « zones d’emplois » que l’Insee définit comme un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent (…) ».

3Le premier chapitre L’obsession du modèle débute avec la DATAR telle que je l’ai connue dans les années 1990 lorsqu’elle se trouvait près de la Grande Dame dont je voyais un des piliers de la fenêtre du bureau de Paulettte Pommier. Cette dernière est l’auteure d’un petit ouvrage sur les SPL2 (au nombre de 99) dont il est ici brièvement question pour passer aux pôles de compétitivité (au nombre de 71). De nombreux articles et ouvrages ont traité de ces pôles à partir de 2005, mais la source s’est tarie. Au début du siècle, une collègue brésilienne m’a affirmé que les SPL à la brésilienne (à savoir les APL, Joyal et Nadou 20183) étaient l’apanage de la gauche universitaire alors que la droite penchait plutôt envers l’équivalent des pôles de compétitivité français. À la fin de la deuxième décennie, comme en France, les Brésiliens tendent à abandonner les APL sans trop savoir par quoi les remplacer.

4La critique du PIB régional fait l’objet d’une section intéressante. Elle n’est pas sans rappeler la critique faite dans les cours d’économie pour les nuls à l’égard du PIB national comme indice de performance. L’auteur précise bien que les différences régionales de PIB par habitant n’ont rien à voir avec des différences de performances économiques. Il faut plutôt prendre en compte des spécificités régionales : présence importante des retraités, des résidents oeuvrant dans une région tout en demeurant dans une autre, des sans-emploi en nombres variés... Nonobstant l’Île-de-France, pour les raisons que l’on devine, « Les régions françaises présentent des performances économiques remarquablement proches » (P. 27). S’ensuit une question : la création d’emplois se relie-t-elle-elle à un effet « masse critique » ? La réponse tombe comme un couperet : la taille économique des territoires n’explique pas le taux de croissance de l’emploi des dits territoires. Small peut toujours être beautiful, E. F. Schumacher s’en trouve conforté.

5Et on passe au chapitre Un discours de la méthode. Curieusement, c’est Saint-Ex qui est placé en exergue et non celui que l’on attendait. Il est question de la nouvelle économie géographique et des effets d’agglomération, sans toutefois faire référence à Krugman. Ne manquant pas de s’autociter trois fois sur la même page (avec pertinence), le chercheur de Poitiers développe dans les pages qui suivent un modèle alternatif en prenant acte des apports de « l’école de la proximité » à laquelle il s’associe. Il est en conséquence question de ressources auxquelles les acteurs locaux ont un accès facilité par l’entremise de réseaux d’information. L’accès à l’emploi passe par la mobilisation de relations interpersonnelles peut-on lire. On est bien d’accord. Une première figure offre une représentation stylisée de la « situation » des acteurs concernés. Dans une section sur les opérateurs de changement, une observation confirme une réalité que mes travaux des années 1990 m’avaient permis de constater : les créateurs d’entreprises, très souvent, s’installent là où ils sont nés et ont toujours vécu. Oui, ce sont des enfants du village. Comme autre opérateur de changement, l’auteur se réfère aux décisions prises par l’État en relation avec les institutions d’enseignement et de recherche. On cherche à en implanter en régions afin de répondre aux besoins des locaux tout en espérant y susciter des effets d’entraînement favorables. C’est ce qu’avait en tête le gouvernement du Québec en 1969 par la création du réseau de l’Université du Québec avec ses cinq campus hors Montréal et Québec. J’aime croire qu’il a vu juste. Le tout se termine par une « brève revue des troupes » : un tout petit aperçu de ce qui se fait dans les cinq régions. Concernant le Plateau de Millevaches, trois secteurs d’activité sont identifiés : l’agriculture et plus spécifiquement l’élevage des fameuses limousines ; l’hébergement pour personnes âgées/handicapées ; la filière forêt-bois-meuble. C’est à ce dernier secteur que je porte attention en suivant l’entreprise Ambiance-Bois de Faux-la-Montagne créée en 1988 et qui n’a pas tardé d’ajouter au sciage une deuxième suivie d’une troisième transformation. Ce qui offre une belle sortie vers le chapitre Des petits bouts de monde étant entendu que chaque territoire représente un de ces petits bouts. Oui, un curieux titre qui n’annonce pas la section Made in France qui présente un Airbus sous la forme d’un puzzle (casse-tête) comme on dit en France. Ses multiples couleurs représentent le pays responsable de la fabrication de la pièce. Oui, à Toulouse on fait du Made in world tout comme l’a observé Robert Reich, alors qu’il était conseiller économique de Bill Clinton au début de années 1990. Il avait bien montré qu’une voiture fabriquée à Détroit provenait en fait du Made in world. Et voilà que l’on retrouve, le Plateau de Millevaches à la faveur de la pratique du grand écart de la part de l’auteur, entre Airbus et le groupe automobile PSA. Ce dernier groupe permet au lecteur de se familiariser avec le concept de « modularisation ». Il s’agit d’un « principe de conception du produit final à partir d’un nombre limité de sous-systèmes fonctionnellement autonomes destinés à être hiérarchiquement emboîtés et connectés les uns aux autres par des interfaces physiques » (p.57). Pas plus compliqué, il suffisait que d’y penser…

6Avec le chapitre Les territoires de la mobilité, l’auteur soulève une question en offrant au lecteur l’occasion de se frotter à la langue de Shakespeare (en France, impossible d’y échapper) : est-ce la croissance de l’emploi qui explique la croissance démographique, (people follow jobs) ou, inversement, la croissance de la population pourrait-elle expliquer la croissance de l’emploi (jobs follow people) ? Comme on le pense bien, la réponse n’est pas simple. Mais, O. Bouba-Olga signale que le deuxième principe de la question tend à se faire de plus en plus prégnant étant donné l’importance accrue des activités présentielles : des biens et services offerts aux habitants de la zone. Comme ces habitants ont tendance à passer l’arme à gauche de plus en plus âgés, profitant d’un niveau de retraite pas trop grugé par l’État (!), certains territoires donnent lieu à un essor de la sphère présentielle.

7Le chapitre Les trajectoires historiques des territoires ferme la marche. On y trouve en exergue une citation de ce cher Élisée Reclus qui nous fait demander s’il a consulté son frangin Onésime pour écrire que la géographie n’est autre chose que l’histoire dans l’espace (…) sans spécifier qu’il pourrait s’agir de la géographie humaine. Car, j’ai en mémoire ce collègue d’un département de géographie qui m’avouait ne connaître que les cailloux alors qu’un autre du même département ne s’intéressait qu’au mouvement et au contenu des… nuages. Ici, c’est la table 5 (p.81) qui retient l’attention dans une section sur les trajectoires basées sur les ressources. La distinction produits-ressources se voit représentée suivant que les ressources sont semblables ou dissemblables et que l’on se trouve en présence d’un même produit ou d’un nouveau produit. L’auteur évoque les ressources mobilisées par les acteurs pour fabriquer des voitures à Belfort-Montbéliard, des navires à Toulon, des produits chimiques à Pau. Il aurait pu ajouter des maisonnettes en bois sur le Plateau de Millevaches. S’ensuit des considérations intéressantes sur ce qui est vu comme une stratégie de diversion cohérente avec l’exemple de DCNS (Naval Group) à Toulon qui fait dans la diversification en vendant ailleurs qu’en France. Pas très original, cela s’appelle exporter tout simplement. Enfin, pour évoquer le sillon lorrain, on précise que la sidérurgie n’attirait guère l’attention au temps de l’Ancien régime… encore moins au temps de nos ancêtres les Gaulois, on imagine aisément. Facile à comprendre, il a fallu attendre la fin du XIXè siècle l’invention du procédé Thomas facilitant l’exploitation du minerai phosphoreux qui caractérise celui que l’on trouve en passant par la Lorraine, avec ou sans sabot dondaine. Le graphique 2 (P. 86) fait voir l’évolution démographique et économique récente de cette province acquise par Bismarck en1870. Quant à Pau : coup de pot, on y a vu une reconversion réussie par le passage de la chimie lourde des années 1950 vers une chimie industrielle et fine au tournant des années 1970.

8La conclusion Ce que cachent les frontières remet le lecteur dans l’esprit déguisé du titre de l’ouvrage : « L’enjeu au fond, n’est pas ce qui sépare, mais de comprendre ce qui relie » (p. 92). Au cas où le lecteur n’aurait pas compris, l’auteur répète que les cinq régions étudiées sont autant de petits bouts de mondes. Et il précise, à l’instar de mon collègue Richard Shearmur de l’université McGill, que les grandes métropoles n’ont pas le monopole de l’innovation. Parlons ici de l’exemple de Montréal en 1970 qui sert bien le propos de l’auteur. Ce fut une erreur de croire qu’il fallait mettre tous les oeufs dans le grand panier de la métropole québécoise au prétexte que les effets de ruissellement allaient se manifester vers les régions périphériques. Il n’en fut rien alors que l’inverse s’avère possible et est vérifié4. C’est le premier des quatre enseignements mis en évidence.

9On sait gré à notre collègue poitevin, à l’encontre des ouvrages se rapportant aux territoires, de nous épargner la sempiternelle référence au célébrissime ouvrage de J.F. Gravier que l’on citera encore à l’approche du centenaire de sa parution. L’ouvrage de Bouga Olga a l’avantage de respecter le vœu de Voltaire à un fonctionnaire qui lui présenta un volumineux rapport : « Monsieur ! Vous auriez dû prendre le temps de faire court » (cité de mémoire…). Au Québec ne dit-on pas : « Dans les p’tits pots, les bons onguents ! » : l’étudiant sera heureux de ne débourser que 10,50 euros au lieu de 30 pour obtenir la même information dans un ouvrage de 300 pages.

10J’ai fait allusion au grand écart que l’auteur fait parfois, je ne résiste pas à l’envie de signaler un exemple d’équilibriste que n’aurait pas renié le cirque Barnum&Bailey : en exergue des chapitres, on va de l’incontournable De Tocqueville à Paul Eluard en passant pas la truculente Viginie Despentes. Il faut le faire.

Notes

1 Le 14 novembre 2015, des 2 côtés de l'Atlantique, la presse n’a pas manqué de souligner qu’il ne fallait pas faire d’amalgame afin de ne pas stigmatiser un type de population.

2 Les systèmes productifs locaux, DATAR, La documentation française, Paris 2002.

3 A. Joyal et F. Nadou, L'intermédiation au service de l'entrepreneuriat. Illustration par les "arrangements" productifs locaux au Brésil dans Dynamiques territoriales et mutations économiques. Transition, intermédiation, innovation Nadou F & Pecqueur, (dir.) L’Harmattan, 2018.

4 R., Shearmur, 2014, « Le triomphe des métropoles? Et si l’innovation métropolitaine n’était qu’un mythe », in L. Klein et R. Guillaume (dir.), Vers une nouvelle géographie économique, Presses de l’Université du Québec.

Pour citer ce document

André Joyal, « Compte-rendu d’ouvrage. Éloges de la diversité : Dynamiques territoriales » dans © Revue Marketing Territorial, 2 / hiver 2019

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=266.

Quelques mots à propos de :  André Joyal

Professeur associé à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Après avoir obtenu ses trois diplômes universitaires dans autant de pays différents (Canada, Belgique et France), il a été professeur d’économie durant toute sa carrière à l’Université du Québec à Trois-Rivières en consacrant une attention particulière au développement local. À titre de professeur associé à l’UQTR et membre du Centre de recherche en développement territorial, il dirige et co-dirige des thèses de doctorat en liens avec les problématiques territoriales.