Identification, logiques et efficacité des identités projetées par les villes intermédiaires françaises

Benoit Faye


Résumés

Les surveys de la littérature consacrée au marketing territorial dénoncent un manque d’analyse et d’étude quantitative du phénomène, en particulier dans le cadre des territoires urbains français. C’est dans cette perspective de recherche que s’inscrit ce travail. Il identifie les identités projetées par les 100 villes intermédiaires les plus peuplées (et leur sous-échantillons par taille) en codant les visuels et les textes des pages d’accueil de leur site web officiel d’où sont extraites les principales dimensions de communication par une analyse des correspondances multiples. En se dotant d’une large base de données concernant les villes intermédiaires, il est alors possible d’explorer les logiques de choix d’identités projetées en testant l’existence de corrélation entre elles et les caractéristiques réelles des villes pour l’ensemble de l’échantillon et par sous-groupes. Enfin, sur les mêmes échantillons, nous analysons l’efficacité des identités projetées en introduisant celles-ci dans des modèles d’attractivité résidentielle généraux en tant que variables d’intérêt et de variables d’interaction. Les résultats soulignent une assez faible cohérence entre les identités projetées et les caractéristiques réelles des villes. Deux stratégies semblent apparaître, l’une de renforcement des caractéristiques des villes par le discours dont l’efficacité sur l’attractivité résidentielle est assez significative ; l’autre de compensation des caractéristiques par le discours ayant un impact plutôt négatif sur l’attractivité résidentielle.

Surveys of the literature devoted to territorial marketing denounce a lack of analysis and quantitative study of the phenomenon, particularly in the context of French urban territories. It is in this research perspective that this work is part of. It identifies the identities projected by the 100 most populous medium-sized cities (and their subsamples by size) by coding the visuals and texts of the homepages of their official website from which the main communication dimensions are extracted by an analysis of multiple correspondences. By acquiring a large database concerning medium-sized cities, it is then possible to explore the logic of projected identity choices by testing the existence of correlation between them and the real characteristics of cities for the whole sample and by subgroups. Finally, on the same samples, we analyze the performance of projected identities by introducing them into general residential attractiveness models as variables of interest and interaction variables. The results highlight a weak coherence between the projected identities and the real characteristics of cities. Two strategies seem to appear, one of strengthening the characteristics of cities by discourse whose effectiveness on residential attractiveness is quite significant; the other of compensating the characteristics by discourse having a rather negative impact on residential attractiveness.

Texte intégral

1L’approche académique du marketing territorial, notamment du marketing urbain, surgit véritablement au cours des années 2000. La fréquence des articles de recherche consacrés aux notions de Place Branding et de Place Marketing connaît depuis une tendance exponentielle. A elle seule, cette croissance démontre l’effort de notre communauté scientifique, cumulant aujourd’hui plus de 1200 articles scientifiques (Vuiguier, 2016). Cependant, les surveys successifs sur cette production (Gertner, 2011 ; Lucarelli et Brorström, 2013 ; Vuiguier, 2016) soulignent toujours un manque de clarté conceptuelle, d’analyse quantitative et d’évaluation de l’efficacité des pratiques. L’ambition de ce texte est d’explorer ces angles morts. Dans une démarche quantitative exploratoire, nous identifions les identités projetées par les villes intermédiaires françaises sur un support singulier (leur site web), analysons la cohérence entre ces identités projetées et les caractéristiques réelles des villes, et évaluons l’efficacité de cette communication sur leur attractivité résidentielle. Cette approche suppose un certain nombre de postures.

2En premier lieu, notre production scientifique trouve ses racines dans plusieurs disciplines (science politique, géographie, économie, gestion) donnant lieu à des développements parallèles, multipliant les concepts et freinant l’émergence d’un schéma explicatif partagé. Cependant, un des objets de recherche qui nous est commun est l’identité collective communiquée par un territoire1 ou l’identité projetée dont nous étudions, dans chaque discipline, la production, la projection et l’efficacité. Il s’agit donc d’un concept différent de l’image. L’image est générée par une multitude de sources (internes et externes), très partiellement contrôlée, et difficilement observable (Hankinson, 2004) alors que l’identité projetée est une identité désirée, construite, contrôlée et communiquée par la ville considérée comme un acteur social (Jacobs, 1961 ; Lynch, 1984). L’identité projetée suppose un contrôle politique.

3En deuxième lieu, comme l’image, l’identité projetée est un concept latent réflexif. En clair, elle n’est pas directement observable mais ne peut être lue qu’à travers des supports contrôlés de communication, identiques d’une ville à l’autre. Nous postulons que la communication visuelle et textuelle mise en œuvre sur les pages d’accueil des sites web officiels des villes satisfait à ces conditions2. Ce postulat n’est pas nouveau et la littérature l’a mis en œuvre à plusieurs reprises (Grodach, 2009 ; Faye et Vignolles, 2016 ; Faye et Prat, 2017). Le codage des images et des textes de présentation des villes sur ces pages d’accueil permet alors d’extraire une structure des différentes identités projetées par les villes.

4En dernier lieu, si l’étude de ces identités projetées sur les sites web a déjà été menée sur les métropoles (Faye, Vignolles, 2016) et sur les petites villes (Mainet, 2007), nous ne savons rien des villes intermédiaires dont la population d’aire urbaine varie de 50 000 à 500 000 habitants. Pourtant, dans le contexte de métropolisation du territoire, leur difficulté à attirer ou retenir des populations constitue un enjeu de taille. En ce sens, la communication peut devenir un levier pertinent. Dès lors, après avoir identifié la structure des identités projetées par ces villes, nous en explorerons la logique et l’efficacité. Précisément, il s’agira de savoir si les identités projetées sont corrélées aux attributs réels des villes (logique) et si certaines identités sont plus efficaces que d’autres en termes d’attractivité résidentielle (efficacité).

5Pour ce projet, nous avons choisi une base territoriale en aire urbaine au sens de l’INSEE (2010)3 auxquelles renvoient toutes les données utilisées dans l’étude. Ce choix de l’aire urbaine comme échelle spatiale répond à diverses contraintes. D’une part, les flux du pôle vers la périurbanité ne peuvent être considérés comme des flux sortants en particulier dans un contexte de croissance forte des prix immobiliers. D’autre part, dans le cas des grandes et moyennes aires urbaines, le poids du pôle urbain reste déterminant en regard des attributs réels et probablement perçus. Enfin, nous considérons que l’identité projetée par le pôle urbain constitue une marque ombrelle pour l’ensemble de l’aire urbaine. Comme le note Houllier-Guibert (2009, p142) : la communication serait le moyen de créer ou renforcer la conscience de l’unité urbaine [face] à l’expansion brutale des villes. Par ailleurs, si d’autres bases territoriales (communes, intercommunalités, métropoles, pays…) peuvent être mobilisées pour mieux appréhender la diversité des identités projetées, elles n’ont pas nécessairement ni d’existence sur le web, ni de frontières correspondant aux aires urbaines.

6La méthodologie retenue pour cette étude reprend les observations des sites web réalisées par Faye et Prat (2017) mais avec une démarche économétrique différente conduisant à des résultats plus robustes et affinés par sous-échantillon. Dans un premier temps, l’identification des identités projetées par les villes sur leur site web est obtenue en codant les thématiques des visuels des pages d’accueil et les thématiques des textes de présentation générale des villes. Ce faisant, nous supposons que les acteurs en charge de la communication officielle des villes sont particulièrement attentifs à l’identité projetée sur les pages d’accueil. Compte tenu de l’ampleur du travail de codage des photos et des textes l’échantillon se limite aux 100 villes intermédiaires les plus peuplées (annexe 1). Une analyse des correspondances multiples (ACM) permet alors d’extraire les dimensions sous-jacentes de la communication des villes et la projection de chaque ville sur chaque dimension. Nous obtenons ainsi des variables continues décrivant la position de chaque ville sur chaque dimension d’identité projetée. Dans un second temps, après avoir sélectionné un large spectre de variables descriptives des aires urbaines, nous pourrons aborder les questions relatives aux logiques de choix des identités projetées et à leur efficacité en regard de l’attractivité résidentielle. Les logiques sont appréhendées par des modèles expliquant la position des villes sur chaque identité projetée en fonction des caractéristiques des aires urbaines. Ces modèles servent donc à évaluer les corrélations entre l’identité projetée et les attributs fonctionnels des villes. L’approche de l’efficacité de la communication en termes d’attractivité résidentielle est plus complexe. La ville est-elle attractive en raison de ses dotations ou parce qu’elle communique sur ses dotations ? Nous considérons donc des modèles économétriques dans lesquels nous mesurons l’influence des identités projetées, des descripteurs des territoires et de leurs interactions sur l’attractivité résidentielle mesurée par le solde relatif des entrées sorties (INSEE) et ce pour différentes tailles d’aires urbaines.

7Outre son positionnement théorique et méthodologique, ce travail contribue à la littérature à plusieurs niveaux.

8D’une part, sous réserve de la pertinence du choix du support de communication, nous identifions les identités projetées par les villes à travers leurs communications à la fois visuelles et textuelles. Or, comme l’observent Faye et Vignolles (2016), la littérature insiste aujourd’hui sur la projection d’identités urbaines dites interprétatives ou clé en main. Les grandes métropoles adopteraient une identité entrepreneurialist synthétisée par Harvey (1989) dont la communication se construit sur des notions d’innovation, de compétitivité, de dynamisme et de grands projets d’urbanisme. A l’inverse, les petites villes adopteraient une identité de proximité (Mainet, 2007, 2011) fondée sur des valeurs de convivialité, de refuge, de solidarité, d’enracinement, d’authenticité. Seules quelques rares pôles urbains (notamment en Europe du Nord) offriraient une projection d’identité constructive, fondée sur leur « histoire singulière et leur futur choisi ». Les identités projetées par les villes intermédiaires françaises restent cependant méconnues et, comme nous allons le voir, s’avèrent plus complexes.

9En deuxième lieu, les logiques et l’efficacité en termes d’attractivité résidentielle de ces identités projetées ne sont, à notre connaissance, jamais testées. Or, outre les politiques d’attractivité classiques fondées sur le dynamisme économique, les aménités et les biens publics (largement décrites par Alexandre et al (2010) et Poirot et Gerardin (2010) dans le cas des villes françaises), les années 2000 voient apparaître d’autres stratégies d’attractivité résidentielle. Les développements de « grands » projets urbains (Lecroart et Palisse, 2007), d’équipements et d’évènements culturels et sportifs (Barget et Gouguet, 2010), la mise en œuvre de modes de gouvernance plus participatifs (Bonaccorsi et Nonjon, 2012), la mise en valeur et l’animation du patrimoine (Talandier, 2014) en sont les composantes les plus fréquentes. La logique et l’efficacité des identités projetées ne peuvent être abordées qu’en tenant compte de l’ensemble des autres politiques mises en œuvre. Nous proposons donc ici un modèle d’attractivité résidentielle inédit, augmenté de la prise en compte à la fois de nouvelles politiques urbaines et des identités projetées, ainsi que de leurs interactions.

10Le papier est structuré de la manière suivante : la partie 1 explore les dimensions des identités projetées par les villes de l’échantillon. La partie 2 présente les données retenues dans le modèle général d’attractivité résidentielle. La dernière partie discute les résultats du modèle.

1. L’Identification des identités projetées par les villes intermédiaires

1.1. Quelles sont les villes intermédiaires ?

11La question de la taille des villes demeure un objet de débat tant l’appartenance d’une ville à une catégorie est relative à un cadre géographique et temporel. Bien que la catégorisation renvoie à des critères de fonctionnalité et de rôle politique, le critère de population reste le plus usuel. Conformément à la littérature (Demazière, 2017 ; Faye et Prat, 2017), les seuils de population sont compris entre 30 000 et 125 000 habitants pour les aires urbaines moyennes et entre 125 000 et 500 000 habitants pour les grandes aires urbaines. Leur regroupement sous l’appellation aires urbaines intermédiaires comprend donc les aires peuplées de 30 000 à 500 000 habitants.

12Comme nous l’avons justifié en introduction, les données relatives aux villes seront celles des aires urbaines tandis que les identités projetées seront celles de leur pôles (ou villes centres). L’extraction des identités projetées puis l’étude de leur logique et de leur efficacité seront effectuées pour les 100 villes intermédiaires les plus peuplées (échantillon global) puis par sous-échantillon (50 villes moyennes et 50 grandes villes). La répartition des villes par échantillon est présentée dans le tableau de l’annexe 1.

13Le choix du seul critère de population pour identifier les échantillons de villes, retenu ici pour son efficience, est certainement insuffisant. Le lecteur doit être conscient que les sous-échantillons présentent probablement une hétérogénéité assez forte en regard des caractéristiques fonctionnelles et politiques des villes considérées. Néanmoins, le phénomène de métropolisation du territoire renvoie le reste de la structure urbaine vers des enjeux assez proches (Carrier et Demazières 2012, Edouard, 2012) : vieillissement de la population, désinvestissement public, stratégie de développement local (économie présentielle, circuits courts…) et/ou stratégie d’intégration souvent vulnérable à la globalisation.

1.2. L’analyse des identités textuelles et visuelles des villes intermédiaires

14Urban (2002) fut l’un des premiers auteurs à discuter des sites web comme des lieux d’observation privilégiés des stratégies de communication des villes, suivi à la fois par des auteurs anglophones (Boyne et Hall, 2004 ; Floreck et al, 2006 ; Grodach 2009…) et francophones (Mainet, 2007, 2011 ; Faye et Vignolles, 2016). Comme le note ces derniers, les communicants sont particulièrement attentifs à la diffusion d’une identité désirée sur les pages d’accueil des sites web officiels qu’ils savent les plus (voire les seuls) consultées4. Sur ces pages deux types de communication, visuelle et textuelle, doivent être examinées. Nous postulons cependant que si les visuels, voire les textes affichés sur les sites web, dépendent de l’agenda (culturel, sportif, politique, urbanistique…) de la ville, la volonté d’afficher ou non un évènement résulte d’une stratégie de communication au service d’une identité désirée. Par ailleurs, le grand nombre de visuels proposés sur les pages d’accueil (grâce au procédé des photos déroulantes) permet une représentation des activités urbaines sur une longue période.

15L’étude est réalisée fin 2015 par deux observateurs. Le nombre de visuels et la longueur des textes étant différents d’une page d’accueil à l’autre, le codage de l’étude ne considère que la présence ou l’absence d’un thème (validée par au moins un observateur) et non leur fréquence. La grille thématique utilisée est disponible en annexe 2. Une analyse des correspondances multiples est alors menée sur les données binaires pour extraire les dimensions sous-jacentes dans la structure de données textuelles puis visuelles. En effet, l’ACM identifie les dimensions sous-jacentes (axes ou facteurs) associant les variables corrélées entre elles, pour lesquels l’analyste spécifie une signification commune. En pratique, le nombre de facteurs est d’abord déterminé par la méthode du point d’inflexion5. Ensuite, une modalité est supposée participer à la définition d’une dimension si sa contribution est significativement6 supérieure à son poids relatif et si son cosinus carré est suffisamment élevé pour éviter les erreurs d’interprétation dues à des effets de projection. Les variables ne satisfaisant pas aux conditions de poids, de significativité et de projection sont éliminées pas à pas au cours d’un processus récursif. Enfin, les coordonnées des variables restantes renseignent sur la nature (signe positif ou négatif) et l’intensité (coordonnée standardisée) de l’impact de la modalité de la variable sur une dimension. L’ACM va donc nous permettre d’identifier des types de communication textuelle et visuelle des villes sur lesquels chacune d’elle se positionnera selon son score factoriel.

16Les tableaux 1 et 2 suivants présentent les résultats des ACM pour les données textuelles et visuelles respectivement. A l’intérieur de chaque tableau, les résultats concernent d’abord l’échantillon de l’ensemble des villes (intermédiaires) puis successivement les sous-échantillons des grandes villes et des villes moyennes. Les contributions des variables aux facteurs figurant en gras sont celles dont les contributions sont supérieures au poids relatifs, les étoiles associées aux contributions décrivent leur significativité et les cosinus carrés en gras sont ceux dont la valeur excède 0.2.

17De ces résultats il apparaît d’abord que le nombre de facteurs et de variables différenciant réellement les identités visuelles et textuelles projetées est assez restreint en regard de la richesse thématique du codage des pages d’accueil. Rappelons que l’ACM ne sélectionne que les variables différenciant clairement l’ensemble des villes ce qui appauvrit nécessairement la diversité des identités bien que l’inertie (ajustée) restituée par ces seuls facteurs atteigne des niveaux satisfaisants.

18Pour l’ensemble des villes intermédiaires, deux facteurs structurent les identités textuelles projetées, l’un et l’autre unidirectionnels à valeurs positives. Le premier axe (F1) que nous qualifierons de métropole idéale7 projette une identité urbaine à la fois performante (dynamique et créative) et solidaire (ESS), dotée en services (tout d’une grande, culture, formation supérieure, activité sportives) et offrant un cadre de vie attractif (qualité de vie, ville festive). Pau et Blois présentent les scores les plus élevés sur cet axe. Le second facteur (F2) que nous qualifierons de ville d’agrément représente l’identité d’une ville touristique offrant aménités (mer, montagne, esthétisme) et authenticité (ville d’identité régionale). Bastia, Bayonne ou Draguignan affichent les scores les plus élevés sur cet axe. Toutefois, l’échantillon des villes intermédiaires présente une forte hétérogénéité de population suggérant des projections d’identité différentes selon la taille. Une relance des ACM sur les sous-échantillons des villes moyennes et des grandes villes confirme cette suggestion. Les grandes villes affichent à leur tour deux facteurs. L’un (F1), unidirectionnel, assez similaire au premier axe de l’échantillon global (à l’exception des variables ville festive et ville dynamique) sera nommé tout d’une métropole. Niort et Montbéliard présentent les scores les plus élevés sur ce facteur. L’autre (F2), bi-directionnel, oppose la ville présentielle touristique8 (touristique, commerciale, proximité mer, identité régionale) en valeurs négatives à la ville pôle de compétitivité en valeurs positives. Clermont-Ferrand et Orléans saturent positivement sur cet axe tandis que Bézier et Saint-Brieuc saturent négativement. Les villes moyennes affichent elles aussi deux facteurs. L’un (F1), uni directionnel, représente une ville touristique créative, hybride d’une ville d’agrément et d’une ville dynamique. Narbonne et Sète sont les villes les plus représentatives de cet axe. L’autre (F2), bidirectionnel, oppose encore une ville présentielle durable (durable et commerciale) à une ville industrielle compétitive (passé industriel, pôle de compétitivité). Brive, Montluçon et Châtellerault saturent positivement tandis Dieppe, Le Puy-en-Velay et Alès saturent négativement sur ce facteur.

19Les identités visuelles projetées présentent trois dimensions par échantillon. Pour l’échantillon global, le premier facteur (F1) décrit une ville active (emploi, formation, santé, participation politique), le deuxième facteur décrit une ville présentielle solidaire (intergénérationnelle, solidaire, associative et commerçante) et le troisième facteur décrit une ville d’art (salon artistique, œuvres d’art). Belfort et Vannes sont les meilleures représentantes de la dimension ville active, Creil et Vienne de l’identité ville présentielle solidaire, enfin Metz et Longwy de celle de la ville d’art. Les villes moyennes confirment largement cette structure globale des identités visuelles. Le premier facteur (F1) reprend les variables de l’axe ville active en ajoutant des visuels d’industrie suggérant une structure productive moins tertiaire et nous amenant à choisir une expression différente (ville active industrielle) pour qualifier ce facteur. Belfort et Roanne saturent sur cet axe. Le deuxième axe (F2) insiste plus sur l’idée de ville intergénérationnelle (école, séniors, intergénérationnel et solidarité) que de ville présentielle solidaire. Bergerac et Vienne présentent les scores les plus élevés de cet axe. Enfin, le troisième axe (F3) est une adaptation de la ville d’art aux capacités des villes moyennes que, par différentiation (jardins et bibliothèques se substituant aux salons artistiques au côté des œuvres d’art), nous qualifierons de ville de culture. Brive, Creil et Châteauroux sont les meilleures représentantes de cette dimension visuelle des villes moyennes.

20En revanche, les grandes villes affichent une structure différente et moins interprétable. L’axe F1 affiche une urbanité moderne (bâtiments modernes, foire exposition) dans un cadre naturel (mer, lac, environnement naturel) que nous appellerons ville moderne et nature et dont Brest, Limoges et Mulhouse sont les villes les plus représentatives. L’axe F2 propose une identité de ville contrôlée (intergénérationnelle et solidaire, sécurité et représentations policière et politique) sur lequel saturent Metz et Saint-Nazaire. Le dernier axe (F3) affiche un espace public récréatif et festif offert aux jeunes adultes, que nous nommerons ville ludique. Les meilleures représentantes de la ville ludique sont Reins, Poitiers et Chartres.

Tableau 1. Résultats des ACM des données textuelles sur les différents échantillons

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Tableau 2 : Résultats des ACM des données visuelles sur les différents échantillons

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1.3. La complexité des identités projetées par les villes intermédiaires.

21Les identités projetées par les villes intermédiaires empruntent en partie celles des grandes métropoles et celles des petites villes tout en projetant des identités propres. On trouve ainsi des similitudes avec les identités (visuelles) projetées par les grandes métropoles (Faye et Vignolles, 2016): ville active, ville solidaire, ville spectacle, ville industrielle se retrouvent partiellement dans les identités émises par les villes intermédiaires en particulier les grandes villes. Aux petites villes (Mainet 2007, 2011), elles empruntent partiellement les identités d’authenticité, d’enracinement. En revanche, nombre d’identités ou d’hybrides sont nouveaux dans la littérature : métropole idéale, tout d’une métropole, pôle de compétitivité, ville présentielle durable ou touristique, ville contrôlée ou intergénérationnelles… Enfin les sous-échantillons des grandes villes et des villes moyennes projettent des identités partiellement différentes. Ces spécificités justifient cette exploration des identités projetées des villes intermédiaires et notre approche par échantillons.

22A cette coexistence d’identités d’emprunt et d’identités propres s’ajoute une complexité liée à une absence de cohérence entre les identités visuelles et les identités textuelles projetées par les villes. Les calculs du RV-coefficient (Robert et Escoufier, 1976 ; Schlich, 1996), permettant de mesurer la similitude des nuages de points des villes dans l’espace des dimensions visuelles et dans l’espace des dimensions textuelles (tableau 3), montrent une discordance entre les messages des deux supports. Celle-ci peut avoir différentes origines. La présentation textuelle de la ville est de nature plus structurelle alors que le message visuel, lié au calendrier des activités urbaines, est de nature plus conjoncturelle. Néanmoins, il était légitime d’attendre une certaine cohérence par substituabilité ou complémentarité des thématiques des deux supports dans le cadre d’un contrôle des sites web par les autorités. Ce constat conduit à la nécessité de maintenir les deux supports d’identité projetée dans la suite de l’étude.

Tableau 3. Coefficient RV (similarité) entre les matrices des scores (coordonnées standards) visuels et textuels des villes.

Image 10000000000007A00000016B4660F670.jpgEnfin, si les scores factoriels des observations dans chaque échantillon montrent l’existence d’une différenciation entre les villes il n’existe pas de regroupements marqués de points permettant de déduire la présence claire de clusters. Par soucis de visibilité, les graphiques de la figure 1 représentant les scores visuels et textuels des sous-échantillons des grandes villes et des villes moyennes sur les seuls deux premiers axes confirment cette absence de regroupement net des observations autour d’identités projetées types. Ces résultats contredisent assez fortement l’existence d’identité urbaine clé en main ou interprétative au sens de Faye et Vignolles (2016). Ces dernières sont peut-être plus fréquentes dans les petites villes et les grandes métropoles mais semblent moins structurantes dans le cas des villes intermédiaires. Ici, les choix de communication semblent mixer les identités projetées à des degrés divers justifiant un approche par sous-échantillon de taille des villes plutôt que par clusters d’identité projetée.

23Néanmoins, disposant des scores factoriels des différents échantillons de villes sur leur dimensions d’identité projetée, nous pouvons désormais envisager leur logique et leur efficacité. Ce programme nécessite d’abord une description des caractéristiques des villes à partir d’un large spectre de variables.

Figure 1 : Scores standardisés des villes moyennes et des grandes villes sur les deux premiers axes des identités textuelles et visuelles

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2. Logiques et efficacité des identités projetées

24Comme nous l’avons précisé en introduction, l’exploration des logiques et de l’efficacité des identités projetées par les grandes et moyennes villes françaises implique la mobilisation de variables descriptives des territoires urbains.

2.1. Sélection des variables descriptives des aires urbaines

25Le cadre théorique des migrations urbaines (cf. introduction), la multitude des classements annuels des villes par la presse et les différentes études empiriques sur l’attractivité urbaine configurent la sélection de ces variables (tableau 4). Dans un premier temps, les variables peuvent être regroupées en plusieurs catégories : géographie, accessibilité, démographie, équipements, économie, immobilier, patrimoine, offre culturelle, participation citoyenne, végétalisation, offre sportive, développement durable, service aux segments de population. A l’intérieur de chaque catégorie, les variables proviennent pour l’essentiel de sources publiques (INSEE, Ministères). D’autres variables proviennent d’organismes de labellisation des villes, gérés par des entités publiques ou des partenariats public-privé, pour lesquels le lecteur trouvera une description précise sur les sites présentés dans le tableau 4. Le recours à ces labels permet à la fois de rendre compte des dotations mais aussi de l’animation des ressources par les villes9. Le tableau précise également la nature des variables et la base territoriale concernées (aire urbaine ou ville centre).

26Cependant, il convient de s’assurer que ces variables discriminent réellement les villes. Dans un second temps, nous développons donc une analyse factorielle sur les variables quantitatives du tableau 4 (les variables qualitatives relatives à la géographie, à l’accessibilité et aux labels sont conservées par ailleurs). Celle-ci permet de faire émerger les combinaisons de variables réellement discriminantes pour les villes dans chaque échantillon considéré. Les résultats de l’analyse factorielle figurent dans le tableau 5. Pour l’échantillon global des villes intermédiaires cinq dimensions restituent l’essentiel des différences entre les villes : la densité de services offerts, la dynamique démographique (précisément la jeunesse de la population), le patrimoine, la dynamique économique, et la pression foncière. Les projections des villes sur chacun de ces axes génèrent des variables descriptives dans chaque dimension. Nous remarquons que les analyses factorielles générées pour les sous-échantillons des villes moyennes et des grandes villes conservent les dimensions extraites de l’échantillon global. A quelques variables près, les combinaisons des dimensions densités de services, dynamique démographique et patrimoine se composent de manière identique d’un échantillon à l’autre. En revanche, si la dimension dynamique économique se compose toujours autour des variables CSP+ et part des chômeurs, des variables différentes viennent compléter les combinaisons selon les tailles des villes sans affecter le sens général donné à cette dimension. Il en va de même de la dimension pression foncière se structurant essentiellement autour des mêmes variables.

27Enfin, nous ajoutons une variable descriptive de l’attractivité résidentielle de chaque aire urbaine. Pour ce faire nous mobilisons les soldes relatifs des entrées sorties (SRES), exprimée en % et calculée par l’INSEE sur l’ensemble de la période intercensitaire. Notons que cet indicateur décrit à la fois la capacité de la ville à retenir et à attirer des habitants. Les dimensions descriptives des villes étant identifiées pour chaque échantillon, nous pouvons désormais discuter des logiques et de l’efficacité des identités projetées.

Tableau 4 : Variables des caractéristiques réelles des villes intermédiaires

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Tableau 5 : Analyse factorielle des données quantitatives (corrélations - en gras significatives à au seuil de 5% - entre les variables et les facteurs après rotation VARIMAX pour chaque échantillon)

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2.2. Les logiques des identités projetées par les villes

28La question que nous posons ici s’inscrit dans la volonté d’une démarche analytique trop peu souvent mise en œuvre. Il s’agit de savoir s’il existe un lien significatif entre les caractéristiques des villes et l’identité qu’elles projettent via leur site web. Comme nous l’avons déjà indiqué en nous référant à Faye et Vignolles (2016), les villes peuvent projeter une identité interprétative, perçue comme attendue par les cibles et comparables aux projections des villes concurrentes. Cependant, ces identités interprétatives, résultant d’un positionnement marketing, peuvent s’éloigner de leur réalité. A l’inverse, d’autres villes choisissent une identité constructive plus proche de leurs atouts réels. Ces identités constructives ne sont pas le reflet neutre de leurs attributs réels, elles peuvent s’écarter de ces derniers dans une direction d’identité que les autorités entendent soumettre, aux acteurs internes et externes, comme une orientation souhaitable de la réalité. Ces identités projetées dites performatives ne sont cependant pas très éloignées des attributs réels des villes dans la mesure où elles doivent rester crédibles10.

29Techniquement, nous considérons les projections des villes sur chaque dimension visuelle et textuelle comme des variables endogènes (expliquées) et les variables descriptives de la partie précédente comme exogènes (explicatives). Ces variables explicatives sont donc constituées des scores des villes sur leurs dimensions réelles (de D1 à D5) et des variables binaires (dummies) spécifiant leur localisation (Sud, Ouest), leur connexion de transport (type de gare, aéroport) et leur appartenance aux labels. Les résultats d’estimation des t modèles présentés dans l’équation (1) sont synthétisés dans le tableau 6 pour chaque échantillon.

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30Si les choix d’identité projetée sont constructifs, les modèles doivent être explicatifs et des variables descriptives significatives doivent être cohérentes avec les identités projetées. Si les choix d’identité projetée sont interprétatifs, l’explicativité des modèles peut être élevée si un profil de ville (identifié par les variables significatives) choisit un type de positionnement ou faible si le choix d’une identité interprétative ne relève d’aucune correspondance avec le profil de ville. Enfin, une identité performative reste une identité constructive mais avec un explicativité plus faible des modèles, bien que restant crédible.

31En premier lieu, conformément à nos remarques précédentes, remarquons l’extrême faiblesse de l’explicativité des modèles (à une exception près les R² ajustés11 sont proches ou inférieurs à 0,4), indiquant une faible cohérence entre les identités projetées et les caractéristiques réelles des villes, même dans les sous-échantillons considérés comme plus homogènes. L’hypothèse de choix d’identités projetées interprétatives sans cohérence avec un profil réel de ville semble l’emporter. Par ailleurs, l’hypothèse d’identité projetée performative paraît peu probable compte tenu de la faiblesse de l’explicativité des modèles.

32En second lieu, en se limitant aux seuls modèles les plus explicatifs (R² ajusté supérieur à 0,3) deux stratégies de communication semblent émerger : l’une de compensation pour rejoindre une identité interprétative, l’autre de renforcement au service d’une identité constructive. La première met en avant un profil identitaire éloigné du profil réel de la ville, la seconde établit un profil identitaire peu distant du profil réel. Ces deux stratégies apparaissent plus clairement dans les sous-échantillons, l’échantillon global n’affichant que des explicativités très limitées (R²ajusté<0.18) et suggérant peut-être une insuffisante spécification des modèles.

33Néanmoins pour l’ensemble des villes intermédiaires, nous notons que l’identité métropole idéale est négativement corrélée à la densité de services laissant présager une stratégie de compensation pour certaines villes concernées. Comme le montre les résultats du tableau suivant, l’augmentation d’une unité de la densité de services diminue le score des villes de 0.174. En d’autres termes, ce sont les villes moins dotées en services qui projettent plus volontiers une identité de métropole idéale. Il y a nécessairement là une stratégie de compensation de la réalité par le discours.

34De même, l’identité ville d’art semble plus corrélée avec des caractéristiques de villes intergénérationnelles qu’avec une présence et une valorisation du patrimoine suggérant l’usage de cette identité dans une stratégie de compensation pour les villes concernées. Là encore, la projection d’une identité ville d’art serait choisie par des villes artistiquement peu dotées, sans doute dans l’espoir de se parer d’une identité jugée attractive.

35A l’inverse, l’identité ville active est bien corrélée avec le dynamisme économique et l’intégration des jeunes générations ; l’identité ville d’agrément est bien corrélée avec les variables Sud et pression foncière ; enfin l’identité ville présentielle solidaire est bien corrélée avec un certain isolement, une animation locale et une faible pression foncière. Ici, des stratégies de renforcement seraient plutôt à l’œuvre dans la mesure où les villes projettent des identités cohérentes avec leurs caractéristiques réelles. Cependant nous insistons surtout sur la faible explicativité de ces modèles pour l’ensemble des villes intermédiaires c’est-à-dire une forte hétérogénéité des caractéristiques réelles des aires urbaines dans chaque catégorie d’identité projetée suggérant encore l’intérêt d’une approche par sous-échantillon.

36Pour les villes moyennes, l’identité ville touristique et créative projetée par des villes significativement situées au Sud, isolées et sans pression foncière, plus corrélées au label ville amies des aînés qu’au dynamisme économique semble s’intégrer à des stratégies de compensation pour nombre de villes concernées. Il en va de même des villes projetant les identités ville intergénérationnelle (plus dépourvues en services et dotées en patrimoine que labellisées pour leur offre de services aux enfants) et ville de culture (plus attentives aux services offerts à leur population vieillissante et aux services sportifs qu’à leur patrimoine et sa valorisation). A l’inverse, les villes projetant une identité de ville industrielle active significativement marquées par leur dynamisme économique et leur durabilité (biodiversité) semblent plus proches d’une stratégie de renforcement.

37Pour les grandes villes enfin, l’identité tout d’une métropole projetée par des villes significativement vieillissantes, relativement isolées et subissant un désinvestissement public (militaire) apparaît également comme une stratégie de compensation. A l’inverse, les villes projetant des identités de ville moderne et nature (disposant de peu de patrimoine mais connectées au réseau à grande vitesse et affichant des labels 4 fleurs et biodiversité) et de villes ludiques (jeunes, connectées, dotées en patrimoine et labellisées villes ludiques et sportives) semblent s’intégrer dans des stratégies de renforcement.

38Encore une fois, nous ne pouvons pas juger du caractère performatif de certaines stratégies de compensation en particulier lorsque les niveaux d’explicativité des modèles sont relativement élevés. Par ailleurs, l’intégration de certaines variables concernant les rôles fonctionnels et politiques des villes à l’intérieur du système urbain français pourrait préciser nos résultats. Ainsi les villes capitales d’anciennes régions, comme Limoges par exemple, disposent de services administratifs et économiques qui les rapprochent plus du statut de métropole (très grande ville) que ne le suggère leur effectif de population. Toutefois, en l’état, ces résultats sont suffisamment marqués pour soutenir l’existence de ces deux types de stratégie de communication. Il n’y a cependant aucun jugement à faire sur les choix de communication des villes tant que nous ne sommes pas en mesure d’en tester l’efficacité en termes d’attractivité. Il se peut que les identités projetées par compensation soient suffisamment persuasives pour modifier la perception des « consommateurs d’espace résidentiel urbain » et favoriser l’attractivité résidentielle des villes qui les émettent. La dernière partie tente, dans une certaine mesure, d’éclairer cette efficacité de la communication urbaine, qu’elle s’inscrive dans une stratégie de renforcement ou de compensation.

Tableau 6 : Estimations des modèles explicatifs des identités (visuelles et textuelles) projetées en fonction des caractéristiques des villes par échantillon

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2.3. Efficacité des identités projetées par les villes sur leur attractivité résidentielle

39Insistons d’abord sur le caractère restrictif de notre discussion. D’une part, nous n’envisageons l’efficacité des identités projetées que sur l’attractivité résidentielle, alors que ces identités visent aussi d’autres cibles (touristes, firmes, étudiants, classe créative). Nous ne savons donc pas si l’identité projetée est plus au service d’une cible que d’une autre. D’autre part, il faut être conscient que des modèles explicatifs de l’attractivité résidentielle incluant des identités projetées aux côtés des caractéristiques réelles des villes peuvent induire des biais. Par exemple, dans le cas d’une communication de renforcement, nous ne pouvons savoir si l’attractivité résidentielle dépend d’une caractéristique réelle ou de sa mise en avant par la communication. Par ailleurs, si l’une et l’autre ont un impact significatif, il est évident qu’elles sont corrélées et que la multicolinéarité altère l’estimation de leurs influences sur l’attractivité. Enfin, il est possible qu’à l’intérieur de l’échantillon, l’hétérogénéité des villes (en particulier selon leur taille) induise des biais d’estimation liés à l’hétéroscédasticité des résidus.

40Certains de nos choix de modélisation doivent donc être justifiés. Tout d’abord, la restriction des cibles aux résidents résulte d’une évidente priorité pour les moyennes et grandes villes à maintenir leur population dans un contexte de métropolisation du territoire français. Par ailleurs, pour mieux discuter de l’impact réel de la communication des villes sur l’attractivité, nous testons un modèle dans lequel nous considérons à la fois les caractéristiques réelles des villes, leurs identités projetées et l’interaction (multiplicative) entre les deux. En d’autres termes, nous cherchons, au-delà des réalités et des communications des villes, à tester l’impact des stratégies de renforcement et des stratégies de compensation sur l’attractivité résidentielle. Cependant une telle démarche génère un nombre conséquent de variables. Pour faire face au risque de surdétermination du modèle nous excluons d’une part les interactions entre les caractéristiques réelles des villes, entre les labels, et entre caractéristiques réelles et labels. Si ce choix réduit l’explicativité des modèles, il répond cependant à notre objectif concernant l’impact des identités projetées. D’autre part, nous utilisons une sélection automatique pas à pas des variables significatives (méthode stepwise) et un contrôle des multicolinéarités par les Variance Inflation Factors (VIF). Le modèle est estimé avec une spécification fonctionnelle log-linéaire, avec des estimateurs robustes tenant compte de l’hétéroscédasticité. Pour mieux maîtriser l’existence de sous-groupes hétérogènes, l’estimation est conduite successivement sur l’échantillon global des villes intermédiaires puis sur les sous-échantillons des grandes villes et des villes moyennes. Les résultats des estimations de l’équation (2) figurent dans le tableau 7.

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41Notons la tendance générale de l’attractivité des villes intermédiaires à souffrir du phénomène de métropolisation du système urbain français ce que confirme la présence d’une constante négative significative (-0,346***) pour l’échantillon global, plus encore pour les villes moyennes que les grandes villes.

42Un premier constat concerne, quel que soit l’échantillon, l’impact significativement positif et très élevé de la variable Sud sur l’attractivité résidentielle, un résultat consistant avec ceux des autres études sur l’attractivité résidentielle (Alexandre et al, 2010 ; Faye et Prat, 2017).

43Pour l’échantillon global des villes intermédiaires on note l’attractivité des villes ayant une population jeune (dynamique démographique) et des villes labellisées pour leur offre de services aux populations âgées (label villes des aînés). En revanche la présence de gare sous convention avec l’Etat est répulsive, ce qui probablement concerne de grandes villes non connectées au réseau TGV. En premier lieu, l’étude des interactions révèlent une relation étonnante entre la géographie et l’identité projetée. L’identité Métropole idéale des villes de l’Ouest et l’identité ville d’art des villes de l’Est aurait des impacts significativement positifs sur l’attractivité résidentielle. La qualité de vie, composante essentielle de l’identité Métropole idéale est peut-être mieux perçue par les ménages dans les villes de l’ouest que dans les villes de l’Est, elles-mêmes d’autant plus crédibles en ville d’art qu’elles sont mieux dotées en structures de création artistique et musées. En deuxième lieu, des interactions semblent offrir des complémentarités très attractives comme les identités ville active et ville d’art, ou l’identité ville d’art et le label développement durable. En troisième lieu, les interactions visiblement générées par des stratégies de renforcement (ville active et ville à démographie dynamique, ville active et ville avec pression foncière) ont des impacts positifs sur l’attractivité résidentielle tandis que les interactions générées par des stratégies de compensation (ville d’agrément et ville active, ville active et relatif isolement –gare sous convention Etat-) ont des effets répulsifs.

44Les modèles estimés par sous-échantillons renvoient beaucoup moins de variables que celui de l’échantillon global. Pour l’échantillon des villes moyennes, on retrouve l’étonnante inadéquation entre ville de culture et villes de l’Ouest. Par ailleurs, les villes projetant une identité présentielle semblent devoir se doter d’un label villes amies des aînés au risque de devenir répulsives, probablement en vertu de leur composition démographique âgée. Enfin, on note l’impact positif de l’absence de gare sous convention avec l’Etat pour ces villes projetant une identité présentielle, sans pouvoir affirmer qu’elles seraient plus attractives avec une connexion TGV ou plus crédibles en tant que « ville refuge » avec une seule connexion ferroviaire régionale. Pour l’échantillon des grandes villes, la localisation au Sud et la présence de patrimoine ont des effets positifs et significatifs attendus sur l’attractivité résidentielle tandis que le label ville d’art et d’histoire et la variable pression foncière ont des effets significativement négatifs. L’effet négatif du label ville d’art et d’histoire peut résulter d’externalités négatives liées à la fréquentation touristique, voire la « gentrification touristique » et les contraintes urbanistiques imposées par le classement des bâtiments. Par ailleurs, dans ce sous-échantillon des grandes villes, la dimension pression foncière ne se définit en valeur positive que par la variable part des locataires, de sorte que son impact négatif peut aussi traduire la présence de faibles revenus. Enfin et surtout, notons l’impact très positif sur l’attractivité résidentielle de la combinaison entre l’identité présentielle touristique et l’identité ville moderne et nature.

45Il est globalement assez alarmant de constater que les armes de l’attractivité résidentielle des villes intermédiaires sont presque exclusivement celles d’une économie présentielle, éventuellement touristique et patrimoniale, voire durable et que les variables traditionnelles d’attractivité notamment le dynamisme économique et la densité de services (au-delà de la présence commerciale) n’ont plus d’impacts significatifs sur l’attractivité dans le contexte actuel de métropolisation. Il est surtout étonnant, en regard de notre questionnement, de noter l’émergence à ce point significative de la communication des villes, en tant que telles ou en interaction avec les caractéristiques réelles ou les labels. Enfin, il est intéressant de remarquer qu’une stratégie de renforcement semble produire une certaine attractivité tandis qu’une stratégie de compensation produit plutôt une répulsivité. Le « consommateur d’espace urbain » serait donc plus rationnel et informé qu’on ne le croit.

Tableau 7 : Estimation des modèles d’attractivité résidentielle en fonction des caractéristiques des villes, des identités projetées et de leurs interactions par échantillon.

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Conclusion

46Cette étude s’inscrit dans une démarche volontairement quantitative et analytique conformément aux préconisations des grands surveys sur la littérature. Elle s’intéresse aux moyennes et grandes villes, les plus délaissées dans la littérature française et identifie les identités visuelles et textuelles projetées par ces villes sur leur site web officiel. En mobilisant un large spectre de variables descriptives de ces territoires urbains, nous recherchons les liens entre les identités projetées et les caractéristiques des territoires pour faire émergé des logiques de communication des villes. Enfin, nous testons l’impact des identités projetées sur l’attractivité résidentielle en considérant ces identités à la fois comme variables d’intérêt et d’interaction avec les caractéristiques des territoires.

47A partir du codage visuel et textuel des pages d’accueil des sites web de 100 villes, trois dimensions visuelles sont identifiées (ville active, ville présentielle solidaire, ville d’art). Deux identités textuelles apparaissent également (Métropole idéale, Ville d’agrément). La scission de l’échantillon entre villes moyennes et grandes ville, deux sous-échantillons plus homogènes, fait cependant apparaître des identités projetées propres à chaque sous-groupe. Notons que l’étude des corrélations entre les dimensions textuelles et visuelles révèle un manque de cohérence suggérant l’absence d’un véritable contrôle de la communication sur les sites web pour une part importante des villes.

48L’étude des logiques entre les identités projetées et les caractéristiques des territoires révèlent d’abord une faible cohérence. Les modèles estimés pour expliquer les identités en fonction des caractéristiques sont si peu explicatifs que même l’hypothèse d’une communication performative paraît peu vraisemblable. Cependant, les quelques variables significatives semblent indiquer l’existence de deux logiques de communication. L’une, qualifiée ici de renforcement, met en avant des caractéristiques des villes dans un registre constructif au sens de Faye et Vignolles (2016). L’autre, dite de compensation, visent à mettre en avant des éléments de communication différents des caractéristiques réelles de la ville probablement dans un registre interprétatif voire performatif.

49L’examen de l’efficacité des stratégies de communication sur l’attractivité résidentielle, cible prioritaire pour les villes intermédiaires face au mouvement de métropolisation, révèle quelques aspects significatifs. Sous réserve des choix méthodologiques effectués, les résultats montrent l’émergence des variables d’identité et des variables de labellisation dans les modèles d’attractivité résidentielle au côté des caractéristiques des territoires (géographie, accessibilité, dynamisme) soit en tant que variable d’intérêt soit en tant que d’interaction. Les résultats se confirment dans les sous-échantillons par taille de ville. Par ailleurs, nous identifions un impact généralement négatif des stratégies identitaire de compensation et un impact positif des stratégies de renforcement. Enfin, nous remarquons l’impact positif ou négatif de certaines conjonctions entre les identités projetées ou entre celles-ci et les labels ou les caractéristiques.

50Si ce travail répond en partie aux exigences de la littérature de notre champ, il n’est pas exempt de critiques : les identités projetées des villes ne sont lues qu’en instantané sur un seul support, l’efficacité des identités projetées n’est testée qu’en regard de l’attractivité résidentielle, sans distinction par sous-groupes d’âge ou de CSP, la différence entre identité interprétative et identité performative n’est pas clairement établie, enfin une spécification plus complète des caractéristiques des villes est sans doute nécessaire. Pour autant, il fournit des résultats inédits ayant un caractère opérationnel pour les décideurs.

Annexe 1. Liste des villes intermédiaires françaises qui constituent l’étude

Image 10000000000005A7000003A49FE16A60.jpgAnnexe 2 : Codages visuel et textuel des sites web des villes de l’échantillon

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Notes

1 En reprenant les travaux de Lapierre (1984), Galland et al. (1993) définit cette identité comme un processus d’agencement et de structuration de l’ensemble des représentations que les différents groupes internes et externes d’une ville se font d’elle, de son passé, de son présent et de son avenir et ceci à un moment donné de l’histoire.

2 D’autres supports de communication de l’identité projetée (sites des agences d’urbanisme, des agences de développement, des offices du tourisme) pourraient également satisfaire ces conditions. Nous n’avons cependant pas choisi ces types de support dans l’étude.

3 Une aire urbaine est un ensemble de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) et des communes périurbaines dont au moins 40 % de la population résidente travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci (INSEE)

4 Nous ne disposons cependant pas de données sur la consultation des pages.

5 La méthode du point d’inflexion consiste à ne retenir que les facteurs situés à gauche du dernier point d’inflexion de la courbe des valeurs propres des facteurs. Au-delà de ce point, l’inertie restituée par les facteurs ne croît plus significativement. D’autres méthodes peuvent être utilisées mais leurs résultats sont convergents avec celle utilisée ici.

6 Les seuils de significativité imposés (1%) sont beaucoup plus élevés que dans l’approche de Faye et Prat (2017) essentiellement fondée sur les valeurs des cosinus. L’approche est donc plus robuste.

7 Le choix de l’expression tient à la capacité de cette identité à évoquer l’union paradoxale d’une offre de services de haute densité, propre aux grandes métropoles, et d’une qualité de vie propre aux villes à « taille humaine ».

8 L’expression ville présentielle touristique vise à distinguer cette identité de celle de ville d’agrément, la première suggérant une présence commerciale plus continue que la seconde. Rappelons que par activités présentielles, sont désignées les activités réalisées localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes dans la zone, qu'elles soient résidentes ou touristes (INSEE), ici les activités commerciales et associatives.

9 Par exemple, le label « villes d’art et d’histoire » implique l’existence d’un patrimoine significatif mais aussi d’une forte animation de celui-ci.

10 Si la distinction conceptuelle entre identité interprétative et identité performative est assez clairement établie, sa mesure nécessite cependant des travaux complémentaires que nous n’abordons pas ici faute de données longitudinales.

11 Le R² ajustés est coefficient de détermination ajusté. Un R² ajusté de 0,075 dans le cas de l’identité métropole idéale signifie que les fluctuations des scores des villes sur cette dimension d’identité sont seulement expliquées à hauteur de 7,5% par les variables explicatives considérées dans le modèle.

Pour citer ce document

Benoit Faye, « Identification, logiques et efficacité des identités projetées par les villes intermédiaires françaises » dans © Revue Marketing Territorial, 1 / été 2018

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/rmt/index.php?id=199.

Quelques mots à propos de :  Benoit Faye

Inseec Business School - Larefi, Université de Bordeaux

Professeur associé à l’INSEEC Business School et Chercheur associé à l’Université de Bordeaux (Laboratoire LAREFI), Benoit Faye travaille sur l’efficacité des politiques d’attractivité résidentielle urbaine, et ses effets sur les niveaux et la structure de la valorisation immobilière. Ses travaux s’intéressent en particulier aux processus de gentrification urbaine et aux identités projetées par les villes en France et en Europe.