La Transgression dans l'épopée
Actes du VIIIe Congrès international du REARE

Transgression

sous la direction de Hubert Heckmann (maître de conférences en langue et littérature françaises du Moyen Âge à l’Université de Rouen)

Le volume constitue les actes du huitième congrès international du Réseau Euro-Africain de Recherches sur les Épopées (REARE), organisé conjointement par Hubert Heckmann (Université de Rouen/CEREdI) et Claudine Le Blanc (Sorbonne Nouvelle/CERC), qui s’est tenu à l'Université de Rouen les 27 et 28 septembre 2018, grâce au concours du laboratoire CEREdI.

La transgression dans l’épopée wolof

Cheikh Amadou Kabir Mbaye


Texte intégral

1La transgression est un motif récurrent dans l’épopée wolof2. Le ressort des récits épiques wolof est souvent fondé sur une série de transgressions. Celles-ci sont multiformes et varient suivant le statut social des héros chantés. Elles sont marquées aussi bien dans les épopées dynastiques3 que dans celles religieuses.

2Aussi, nous proposons nous, dans cet article, d’étudier la transgression dans deux textes caractéristiques du corpus épique wolof. D’abord une épopée dynastique, L’épopée du Kajoor4. Elle célèbre les princes wolof du Kajoor, un des anciens royaumes les plus illustres du Sénégal. Ensuite, une épopée religieuse, L’épopée de Cheikh Ahmadou Bamba5 que David Robinson6 considère comme « la personnalité religieuse la plus influente de l’histoire du Sénégal »7.

L’épopée du Kajoor

3L’épopée du Kajoor s’ouvre sur une transgression et se clôt par une transgression. La transgression jalonne le récit. Comme le souligne Bassirou Dieng :

« La situation contraire à l’éthique [y] fait toujours l’objet d’une dramatisation explicite. L’itinéraire qui mène à l’acte héroïque passe par une prise de conscience et la postulation à un changement qualitatif8. »

4Ainsi, nous avons pris le parti d’aborder la question de la transgression dans les évènements majeurs dans la narration de Demba Lamine Diouf9, à savoir l’indépendance du royaume et la naissance de la dynastie régnante ; le tournant majeur du changement de dynastie avec Latsoukabé, l’un des plus illustres Dammeel10 et premier de la lignée Gedj qui a régné au Kajoor jusqu’à la colonisation ; et enfin la résistance à la colonisation incarnée par Lat-Dior11.

5Comme nous venons de le préciser, dès le début, le récit se focalise sur une transgression :

Ceci est le premier fait sur l’histoire du pays :
Ceci est le premier fait à retenir sur des Dammeel du Kajoor
Avant toute royauté, il y eut celle du Jolof12.
Au Jolof il y avait un roi qui commandait les autres rois. (Récit.1, V.5-11)

Amari alla lui [au roi du Bawol, son oncle maternel] dire :
- « Je voudrais que nous discutions de notre dépendance au Buurba Jolof13.
Car mon courage,
Mon honneur
Et ma naissance ne me permettent pas d’accepter cet état des choses.
[….]
C’est pourquoi je voudrais […]
Aller briser les liens de vassalité qui nous lient au Buurba-Jolof ;
Sa souveraineté n’est fondée sur rien d’autre que la force.
Nous n’avons pas été achetés par eux, ni vendus à eux ;
Ils ne sont ni les maîtres de cette nature ni les propriétaires de ces terres ;
Ils seraient simplement plus forts que nous
Et personne n’a encore jaugé leur force réelle. (Récit 1, V.93-108)

6Pour mettre un terme à l’arbitraire, le Kajoor transgresse les règles régissant la vassalité en recourant à la provocation, à l’outrage :

« Il existe une chose :
Quand on est sous l’autorité d’un roi,
On ne peut le combattre sans lui chercher querelle
[…]
Je te suggère à toi, mon père, de ne pas apporter au Buurba-Jolof son galag14 annuel. (Récit 1, V.115-125).

7Le roi du Jolof n’étant pas tombé dans le piège, la transgression se fait plus précise. Les ajoor15 affrontent ouvertement les jolof-jolof16 et usent de la ruse pour palier leur infériorité militaire :

Sans pour autant révéler le motif réel de leur voyage
Il [Amari Ngoné] dit :
-‘Nous voudrions parler au Buurba dans sa case privée. »
Les beuk-néeg17 permirent à Amari et à deux de ses Kangam18
De rencontrer le Buurba en privé. Ceux-ci profitèrent de cet isolement pour tuer le Buurba sur son lit.
[…]
Voilà pourquoi le Jolof poursuivit Amari Ngoné et ses compagnons.
À proximité d’un dedd19 abattu,
De temps à autre, un Kajoorien se baisse en criant :
- « Ronces prêtez-moi un jakk20 ! »
Il retirait ainsi un jakk de plus de deux mètres de long,
Un jakk pointu ayant la grosseur d’un jarret d’homme ;
Quand on le plongeait dans le ventre d’un adversaire,
S’il n’était pas invulnérable,
Ses entrailles coulaient à terre.
Quand ils s’écriaient : « Ronces prêtez-moi un jakk ! »,
Et se retournaient, tombaient sur un Jolof-Jolof,
Ils lui plongeaient dans le ventre le jakk qui le transperçait de part en part.
Ce fut rude pour les Jolof-Jolof
Qui, se rendant compte que les Kajooriens avaient décimé la moitié d’entre eux,
Retournèrent sur leurs pas d’un bloc,
[…]
Il n’y eut pas d’autre Buuba qui essayât d’avoir Amari Ngoné sous sa suzeraineté. (R1, V. 115-197).

8C’est cette contestation de l’ordre établi qui a conduit à l’indépendance du Kajoor et par la suite des royaumes voisins.

9D’ailleurs, le titre que va porter le souverain du nouveau royaume est suggestif du caractère subversif du processus qui a conduit à la souveraineté du Kajoor :

Amari Ngoné fut intronisé.
Ils se demandèrent comment le dénommer.
Ils dirent :
- « Comme Amari Ngoné est celui qui a brisé le bâton de servitude qui nous liait au Buurba-Jolof,
Liait son père, le laman21 Détié Fou Ndiogou,
C’est lui qui a brisé pour nous le bâton.
Appelons-le alors celui qui a brisé pour nous le bâton
Voilà l’origine du titre de Dammeel22 au Kajoor (Récit 1, v.234-241).

10Après le père fondateur du royaume et la première génération de Dammeel, le Kajoor se retrouve un siècle après de nouveau face à l’impérieuse nécessité de recouvrer sa liberté. Cependant, cette fois-ci, le problème se pose en interne. Ils subissent une entorse aux règles régissant l’exercice du pouvoir. En effet, le roi de l’époque, Daaw Demba, est décrit comme un tyran sanguinaire :

On raconte que Daaw Demba disait :
- « Je battrai le tam-tam dans le Kajoor et j’interdirai que deux individus se fassent des confidences jusqu’à éclater de rire, car ce plaisir est l’apanage d’un roi ; j’interdirai même que deux individus puissent se concerter sur leurs problèmes propres, car ils peuvent encore rire aux éclats ! »
[…]
Il avait aussi interdit qu’on mangeât de la viande fraîche avec du sel. (p. 63-64)

11Ces règles, qui marquent un ordre nouveau, peuvent paraître anodines, mais rapportées aux réalités de l’époque, elles sont assez significatives :

« Ces interdictions de Daaw Demba pourraient sembler des enfantillages sur certains points. Mais elles correspondent toutes à des valeurs fondamentales en milieu wolof. Le droit de réunion est très important dans l’Afrique traditionnelle. Les palabres étaient l’essentiel de la vie publique […]. Quant au sel, c’était une denrée de valeur surtout si elle est associée à la viande fraîche qui est restée dans l’esprit populaire signe d’abondance. »23.

12Ce changement d’autant plus inacceptable qu’une règle bien établie en milieu wolof stipule :

« nguur yokk ca lu ca bokkul da koy yàq ; dindi ca lu ca bokk da koy yàq »

« Adjoindre à l’autorité un élément qui n’en fait pas partie la dénature ; amputer de l’autorité un élément qui en fait partie la dénature également »

13Et le prince Madior, mandaté par le peuple qui « se mit à critiquer [le roi] sans oser désobéir ouvertement »24 pour raisonner le monarque, de résumer la situation :

« Père Daaw Demba, je voudrais t’entretenir d’une chose. Ce que tu es en train de faire dans ce pays, ni mon père, ni mon grand-père ne se sont jamais permis de le faire : et tout homme doit pouvoir connaître les limites que lui impose son héritage. » (Récit 2, p. 65).

14Face à l’intransigeance du Dammeel qui déclare sans ambages qu’« un roi n’a pas de limites » et qui, comme pour en donner la preuve bannit le prince chargé de lui parler, le Kajoor va recourir de nouveau à la ruse pour l’évincer du pouvoir, en violation des règles fixant la succession sur le trône. À ce sujet, le récitant raconte deux versions dont nous reproduisons l’une ci-après :

On raconte qu’un jour un des conseillers de Daaw Demba lui dit :
« ô Daaw Demba, comme un roi ne s’adresse à son peuple qu’une fois l’an, ne serait-ce pas le moment de réunir les gens du Kajoor et de leur parler ? »
On lui préparait une honte publique qui l’obligerait à abdiquer
Voilà pourquoi Daaw Demba se leva un matin et appela tout le Kajoor et tout le Kajoor répondit à son appel, sur la place publique.
Quand Daaw Demba fut assis, avec tout le Kajoor autour de lui, au moment où battit le tam-tam pour recueillir le silence, on raconte que les gens du Kajoor se levèrent ensemble et le laissèrent seul sur la place publique. Ils s’étaient mis d’accord pour aller seller leurs chevaux à ce moment précis et pour l’abandonner, en lui montrant ainsi qu’il était rejeté.
On raconte que, quand le Kajoor fit cela, Daaw Demba eut tellement honte qu’il sella aussi son cheval et partit s’exiler au Waalo25 où il mourut. (Récit 2, p. 69).

15Le Kajoor, en réservant « une honte publique » à son monarque pour lui signifier que le peuple l’a rejeté, utilise ainsi un des moyens de neutralisation du roi dans un système oligarchique indiqué par Pathé Diagne :

16« La neutralisation du monarque y répond en particulier à des techniques très élaborées (possibilité de destitution pour arbitraire, possibilité d’exil reconnu à tout homme libre, principe électif pour l’accès aux hautes charges, éligibilité largement ouverte, choix d’éléments étrangers pour les hautes charges, absence de dynastie, pouvoir central dyarchique) »26.

17Par la suite, et un siècle après, intervient l’autre grand tournant après l’indépendance, l’accession au trône de Latsoukabé. Elle s’est également faite dans la transgression. Latsoukabé s’empara, d’abord, du trône du royaume voisin, le Bawol au détriment de son demi-frère, plus âgé que lui, donc dauphin de fait :

Un jour, il partit avec ses demi-frères laver un affront fait à leur père,
Lui, Latsoukabé, avec son frère Biram Kodou.
Ils revinrent tous de cette bataille avec des blessures.
Latsoukabé cacha ses blessures
Les autres, n’ayant pas caché les leurs, lui confièrent le trône de Lambaye pour aller se soigner
Quand ils lui confièrent Lambaye, les Blancs arrivèrent au Sénégal pour la première fois.
Ils vendaient cette arme appelée fusil
[…]
Il rusa avec eux et acquit des fusils
Il possédait des fusils, armes que ses frères n’avaient pas,
Il les battit ainsi au premier combat qu’il leur livra (Récit 3, v. 37-54)

18Ensuite, il réussit, grâce à une stratégie bien réfléchie, à se faire introniser au Kajoor ; fait inédit à l’époque et unique dans l’histoire que le griot ne manque pas de souligner en le qualifiant de « grande geste de Latsoukabé » (Récit 3, V.80). C’était toujours le Dammeel, plus puissant que le Teeñ27, qui s’arrogeait le trône du Bawol, pour être dans le sillage de l’ancêtre quasi mythique, Amari Ngoné :

Comme il voulait le Kajoor, le pays de ses pères
Il utilisa le Bawol dont il était le maître.
Chaque fois qu’il distribuait des largesses au Bawol, des émissaires en emportaient une partie au Kajoor,
[…]
En leur disant : c’est Latsoukabé qui vous honore.
[…]
Et le Kajoor, tout en étant avec Dé Tialaw Bassine,
Commençait à penser à Latsoukabé dont les largesses ne se comptaient plus.
Car celui qui vous honore de la sorte,
S’il vivait à côté de vous, vous donnerait une responsabilité.
Voilà pourquoi, Latsoukabé Ngoné Dièye,
Le Kajoor lui permit de rencontrer28 Dé Tialaw Bassine
Le Mardi de Tiarigne et de le tuer. Le Teeñ de Lambaye devint le Dammeel de Mboul (Récit. 3, v. 65-79).

19Latsoukabé a ainsi violé la règlementation pour devenir roi :

« Le système oligarchique ajoor stipule que tout candidat aux fonctions de Dammeel doit être investi par une assemblée des Jàmbur présidé par le jawriñ-mbul. Aucun individu ne peut accéder au trône du Kajoor s’il n’est agréé par ces mandataires du peuple. »29

20Il a fait de même pour s’y maintenir par biais de mariages peu courants destinés à multiplier ses alliances :

Ces mariages singuliers s’expliquent par le fait qu’il prenait telle femme cette année,
Deux ans après, sa petite sœur venait prendre de ses nouvelles,
Si elle lui ressemblait, s’il la trouvait à sa convenance,
Il remettait une dot à ses parents et la demandait en mariage. (Récit 3, v. 15-18).

21Mais cette stratégie va se révéler source de problèmes à sa disparition :

Ainsi devait naître le conflit entre Gedj et Doroobé30
À cause des mariages singuliers de Latsoukabé (Récit 3, v. 27-28)

22Ce conflit, il l’a exacerbé lui-même, dans un ultime acte de transgression, avant sa mort :

À la fin de sa vie, il réunit les siens en conseil
Et céda son royaume à la lignée Gedj dont il est issu ;
Dont Ngoné Dièye Fatim, sa mère, est issue.
Mais il avait d’autres fils issus d’autres lignées.
C’est parce qu’il avait d’autres fils que la case des Gedj rencontrera la case des Doroobé (Récit 3, v. 97-101).

23Comme on le voit le récit sur Latsoukabé, ce géant encore cité comme référence pour son intelligence et son courage, est une suite de transgressions qui marquent les étapes importantes de son parcours épique.

24Même après sa mort, sa transgression des règles successorales va ouvrir un nouvel épisode important dans le récit épique : la guerre pour la conquête puis la reconquête du pouvoir entre Doroobé et Gedj.

25Mais auparavant, dans la famille Gedj même se pose, dès le début, le problème de la succession. À l’instar du père, le cadet va s’imposer au trône faisant fi de toute la tradition en la matière :

Latsoukabé sortit de la vie et les palabres pour la succession commencèrent.
Maysa Tend Wedj appela les siens et leur dit :
« Maintenant je voudrais être intronisé, je veux le trône. »
Ils lui répondirent :
« Veux-tu nous laisser causer en paix ! Comment un enfant peut-il réclamer le Kajoor ! »
Il rétorqua :
« Ah ! Je serai intronisé comme ceci, ou comme cela.
Soit vous m’intronisez Dammeel à ma mort, prendra qui voudra,
Soit on se partage les fusils que père a laissés,
La décision se fera sur le champ de bataille, le survivant règnera.
Soit nous entrerons tous dans une case en feu,
Quand elle sera complètement consumée, règnera celui qui sortira. »
Ah ! Le Kajoor tint une autre palabre et décida :
«  Ce Maysa Tend est un belliqueux et fou, mais un enfant ne peut rien conserver ».
Maysa Tend Wedj fut intronisé Dammeel. (Récit 3, v. 112-126).

26En ce qui concerne la confrontation entre les Gedj et les Doroobe, nous l’avons déjà indiqué, elle a pour origine la décision arbitraire de Latsoukabé de laisser tout son héritage aux Gedj. Ainsi à la mort de ce dernier,

Ils [les Gedj] avaient appelé Mawa31 à l’époque, et celui-ci s’était présenté.
Ils lui donnèrent un cheval, un fusil et un captif, en lui disant :
« tu peux rester ou t’en aller,
Mais voilà ce que père t’a laissé (Récit 3, v. 176-179).

27C’est cette violation flagrante des règles qui sera à l’origine d’un cycle, l’un des plus beaux épisodes de la geste du Kajoor (l’odyssée des Gedj), fait de conquêtes et de reconquêtes du pouvoir opposant les deux lignées maternelles les plus en vue parmi les héritiers de Latsoukabé.

28Le griot résume ainsi la situation en recourant au passage à un procédé discursif courant en Afrique subsaharienne (la convocation d’un proverbe) pour établir le caractère flagrant de la transgression commise par le patriarche des Gedj :

Et les griots l’ont chanté :
« Dans toute entreprise qui tourne mal, la parole de l’ancien n’est pas respectée ».
Dans toute querelle publique, si vous y cherchez les conseils de l’ancien,
Les hommes ont fait le contraire de ce qu’il a dit ou l’ont écouté d’une oreille récalcitrante.
Latsoukabé Ngoné Dièye Fatim Alé Samba Khaousa Mbaye
Prit dix femmes
De cinq beaux-frères,
Vécut avec tant de magnificence à Maka
Et dit au crépuscule de sa vie :
« Les femmes que j’ai épousées sont nombreuses,
Mais je n’aurai pas honte d’être injuste à l’égard de mes fils.
Je dirai ce que je veux, qu’importe demain s’ils agissent selon leur désir. » (Récit 3, v. 202-214)

29Pour ce qui est du troisième et dernier épisode marquant du récit épique du Kajoor, le griot n’est pas très prolixe. Toutefois, il apparait clairement dans la narration que c’est une transgression qui a été à l’origine de la geste de celui qui sera choisi par le Sénégal indépendant comme héros national, Lat-Dior Diop ; une transgression d’autant plus insupportable pour la classe dirigeante de l’époque qu’elle venait de l’extérieur et mit un terme à des siècles d’hégémonie de la lignée Gedj :

Les Blancs commençaient à pénétrer au Kajoor, amenant
La discorde au sein du groupe Gedj pour l’affaiblir.
Déjà, sous Birima Ngoné Latir, ils avaient essayé sans succès.
Ils savaient que, tant que les Gedj resteraient unis,
Ils ne pourraient pas pénétrer au Kajoor. Ceci les poussa à s’immiscer parmi les Gedj pour les opposer.
Ils implantèrent ainsi la lignée Doroobé en son héritier : Madiodio (Récit 7, p. 183-185)

30Comme nous le voyons, la transgression est l’un des traits principaux de l’épopée du Kajoor. Mais qu’en est-il de L’épopée de Cheikh Ahmadou Bamba, poème chantant l’une des figures emblématiques de l’islam32 au Sénégal ?

L'épopée de Cheikh Ahmadou Bamba

31La geste de Cheikh Ahmadou Bamba est une réaction résolue contre une transgression des règles de l’islam. Le héros y est décrit comme un rénovateur qui vient restaurer l’orthodoxie dans la pratique religieuse. Nous avons déjà observé dans une étude antérieure que :

Pour poser le nouveau modèle social, les chantres de l’islamisation, comme pour avoir une société-témoin, rappellent toujours le contexte d’émergence du projet de société islamique […] le chantre de Cheikh Amadou Bamba, dès l’entame du Jasaa u sakóor33, comme pour insister davantage sur la corruption des mœurs, se focalise sur les marabouts, l’élite qui devait donner l’exemple34.

32En effet, dans le poème, les tenants de la religion musulmane à l’époque ont fait montre d’écarts manifestes dans l’observance de la loi islamique :

Il [Cheikh Ahmadou Bamba] a dit que n’eût été son exil les wolof se seraient occidentalisés [....]:

33Rien que cette indication suffirait en ce qu'elle évoque une inconduite si on se réfère à la tradition africaine35 mais également un comportement condamnable du point de vue de la religion islamique.

34Toutefois, le poète se fait plus précis et fait l'inventaire des vices du clergé musulman du temps de son héros. Ainsi, ils sont présentés, d’abord comme complices des abus de pouvoir de l'autorité coloniale :

À l’époque les fils de marabouts étaient aliénés,
Ils étaient à la solde des chefs de provinces colonisés,
Ils étaient liés aux dignitaires noirs et aux colons chrétiens.
Ceux-ci se firent cadis, ceux-là devinrent disciples des Maures.

35Cette collusion avec l'autorité politique est d'autant plus inacceptable que, d'une part, les marabouts qui ont fait ce choix rompent avec une mission séculaire de défense des populations dans laquelle se sont beaucoup investis les religieux musulmans :

« Dès son avènement, l’Islam a en effet constitué le principal facteur de restructuration des sociétés ouest-africaines lors de la formation des Grands Empires du Ghana, du Mali et du Songhaï, durant la période de la traite négrière aux XVIIème et XIIIème siècles, et de réponse à la domination imposée par le pouvoir colonial au cours de la majeure partie du XXème siècle »36.

36D'autre part, l'attitude vis-à-vis des détenteurs du pouvoir politique suscite beaucoup de précautions chez les savants musulmans. À ce sujet, Cheikh Ahmadou Bamba met en garde :

Il est des preuves de l'amour de ce monde, le fait de fréquenter les autorités mondaines (émir, vizir, etc.), de briguer, d'obtenir des charges mondaines, même d'être cadi, etc37 .

37La mise en garde du fondateur de la confrérie mouride est sans ambages : il récuse la collaboration avec les dépositaires du pouvoir temporel fût-ce pour occuper les fonctions de cadi (juge se fondant sur le droit musulman). Toutefois, il y apporte une nuance en rapportant ces propos du Prophète Muhammad :

Dieu aime les princes qui fréquentent les érudits car cela leur fait aimer l'au-delà. Et il déteste les ulémas38 qui fréquentent les princes car cela leur fait désirer ce bas-monde39.

38Ensuite, les marabouts de l'époque sont aussi accusés d’enfreindre les règles de la jurisprudence islamique dont ils sont supposés être les dépositaires :

Certains fils de marabouts implantèrent des foyers coraniques
Où apprenants et filles se comportaient comme à Sara40
[…]
Les marabouts devinrent complices des souverains pour imposer illégalement des redevances.
Les uns fumaient, prisaient le tabac, les autres se livraient au libertinage.
Ceux-ci s’adonnaient au Waññlu41, ceux-là devinrent des danseurs ambulants.
Les uns se faisaient charlatans, les autres quémandeurs,
Les hommes se mêlaient aux femmes pour se distraire,
Au rythme des lamb et des sabar42 pêle-mêle.
La pudeur n’existait plus chez personne.
Les plus éminents savants se transformèrent en faux dévots
L’Islam pleurait à chaudes larmes et finit par s’exiler
Au couchant, tout le pays fut comme Lambaay43 (v.27-36)

39Dans ces vers, ils violent la loi islamique aussi bien en matière d’adoration que dans leurs rapports avec les autres. Le texte met l’accent sur le second aspect. Ils n’observent pas les prescriptions très strictes sur le comportement qu’il faut avoir vis-à-vis des autres si on se réfère à cette sentence du prophète de l’islam : « Ne portez pas préjudice à autrui, ni ne le rendez par la réciproque »44

40Ils ne prennent pas en considération la fraternité érigée, par l’islam, en règle entres musulmans :

«  […] Les musulmans sont frères. Aucun d’entre eux ne doit léser son frère, ni le trahir, ni lui mentir, ni le mépriser […] Tout ce qui est propre à un musulman, sa vie, ses biens, son honneur, est frappé de caractère sacré dont la violation est absolument interdite pour tout autre musulman45 ».

41Qui plus est, ces religieux ont une conception de la vie qui s’oppose de façon manifeste à la vision de l’islam en la matière. Le Coran n’indique-t-il clairement : « La vie ici-bas n’est qu’une jouissance trompeuse » (S.57, V.19) ou encore :

« Pour celui qui se sera rebellé et aura préféré la vie présente, alors, l’Enfer sera le refuge. Et pour celui qui aura redouté d’avoir à se tenir debout devant son Seigneur et garde son âme de la passion, le paradis sera le refuge. » (S.37, V.41).

42Leur comportement laisse apparaître un vice grave que les mystiques musulmans appellent « la sécheresse du cœur »46 et ils sont loin d’adopter cette attitude recommandée par le prophète Muhammad : « Comporte-toi dans cette vie comme si tu étais étranger ou simplement de passage. »47.

43Ils ont poussé le vice jusqu’à la délation :

[…] les marabouts lui disaient : « Tu mérites la prison » […] (v. 16).

44Mame Abdu Lóo et Ibra Fatim Saar le dénoncèrent auprès du Gouverneur de Saint-Louis (v.82)

45Ces vers font allusion à l’attitude à l’encontre du cheikh de certains chefs religieux et membres de l’ancienne aristocratie devenus alliés de l’administration coloniale et sur laquelle Mbaye Gueye est largement revenu :

Les échos du triomphe de la confrérie de Cheikh Bamba atteignirent les coins les plus reculés du pays […] Ignorés par les adeptes du grand marabout, beaucoup de chefs de canton et de province comprirent la précarité de leur situation. Les impôts ne rentraient pas et on leur reprochait leur incapacité à tenir correctement leurs circonscriptions.

La peur de perdre leur emploi les conduisit alors à dresser de violents réquisitoires contre cheikh Bamba et ses ouailles à qui ils imputèrent toutes les difficultés48.

46Pourtant la loi islamique proscrit formellement la médisance49. Elle interdit également l’injustice : « Ô Miens sujets50, Je me suis interdit l’injustice et vous l’interdit entre vous. Ne commettez pas d’injustice les uns envers les autres51 […] »

47Et exige qu’on la combatte :

« Quiconque d’entre vous est témoin d’un fait blâmable doit obligatoirement s’y opposer par [la force de] sa main. S’il en est incapable, que ce soit par la parole, sinon [en le désavouant] par le cœur. Ce qui représente le moindre acte de foi52. »

48Enfin, le texte dénie tout statut de guide religieux avéré à ces marabouts contemporains de son héros. Tels que dépeints dans le poème, ils ne respectent aucun des critères retenus dans le soufisme pour classifier les cheikh. Ils n’ont ni les « connaissances parfaites basées sur le coran et les hadiths du Prophète (S) » et l’ « honnêteté intellectuelle indiscutable » du cheikh enseignant (Shaykh at-ta'lîm) ; ni la maîtrise de « la psychologie des hommes », la connaissance de « son époque et de toutes les mutations qui y surviennent ainsi que leurs causes » et la capacité « de protéger ses disciples contre les perturbations de tous ordres et de guérir les maladies de leur cœur  » du cheikh éducateur (Shaykh at-tarbiya) ; ni, enfin, les dons exceptionnels du cheikh chargé d'initiation (Shaykh at-tarqîya), le cheikh qui élève vers Dieu53.

49D’ailleurs les réponses et réactions du cheikh devant ce comportement peu orthodoxe de ces chefs religieux de son temps, constituent des jugements sans appel. En atteste sa réplique au jurisconsulte, normalement garant du respect de la sharia 54:

Le Cadi Majaxate Kala lui demandait de « réfléchir » :
« Engage-toi du côté des chefs de provinces, tu ne le regretteras pas ».
Séex Bamba répondit : » Je me fie éternellement à Allah
Et il n’existe pas d’autre Dieu qu’Allah. »
Moi je me remets à Dieu et à lui seul je me fie.
J’ai appris le verset coranique : « Et ne vendez pas à vil prix le pacte d’Allah55
Je le jure, au nom de Dieu, que les richesses ne peuvent pas me corrompre.
[…]
Au nom de Dieu, as-tu songé au verset :
« Ne vous penchez pas du côté des injustes56 »
Ce jour-là Bamba a juré en disant : « Au nom de Dieu, à partir d’aujourd’hui, j’ai divorcé d’avec la vie d’Ici-bas,
Pour me consacrer entièrement à Dieu ». (V.46-52)

50Cette position résolue et rarissime dans cette période de pacification où le colonisateur avait fini d’asseoir sa domination aussi bien économique, militaire que politique, lui a valu la persécution de l’administration coloniale qui l’a condamné à l’internement, violant ainsi toutes les dispositions règlementaires57. Le texte est largement revenu sur l’exil du héros en décrivant les supplices inhumains que le colonisateur lui a infligés. Nous nous limiterons ici à citer cette déclaration attribuée dans l’épopée au Gouverneur du Sénégal et qui est assez caractéristique de la violence gratuite dont ont été victimes le cheikh et ses disciples :

Le colon leur disait qu’il allait sévir contre Bamba
Arrivé à Saint-Louis, l’ennemi tenant la lettre
Leur dit : « Ce sont les branches qui donnent à l’arbre sa splendeur, n’est-ce pas ?
J’émonderai les branches, j’arracherai la souche
Que je jetterai loin, je saccagerai le champ ».
Mame Abdou Lóo et Ibra Fatim Saar le dénoncèrent auprès du Gouverneur de Saint-Louis. » (v.79-82)

51En définitive, la transgression est un motif récurrent de l’épopée wolof. Elle est largement présente dans les deux modèles épiques les plus répandus en milieu wolof : l’épopée dynastique et l’épopée religieuse. C’est ainsi que dans L’épopée du Kajoor, elle marque les phases importantes du récit et se présente sous plusieurs formes : entorse aux règles fixant la hiérarchie des classes sociales, aux lois régissant la succession dans la classe dirigeante, aux principes intangibles de solidarité et d’entre-aide entre les membres d’une même lignée… Elle y varie également suivant le statut social des héros chantés. Les règles naturelles tout comme celles sociales sont constamment violées au gré des prétendants aux trônes ou aux différentes charges dans l’administration des royaumes.

52Dans L’épopée de Cheikh Ahmadou Bamba, elle constitue le motif de la geste que célèbre le poème qui est en fait le récit de la résistance à la corruption des mœurs et de la pratique religieuse en vue de la restauration de l’orthodoxie. Le héros fait fi des normes sociales pour obéir à la loi de Dieu : la charia ou la mystique musulmane.

Bibliographie

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Notes

2 Une des ethnies du Sénégal.

3 Voir Bassirou BIENG, Lilyan KESTELOOT, Les épopées d’Afrique noire, Paris, UNESCO/Khartala, 1997.

4 Bassirou DIENG, L’épopée du Kajoor, Paris/Dakar, ACCT/CAEG, 1993.

5 Bassirou DIENG, Diao FAYE, L’épopée de Cheikh Ahmadou Bamba de Serigne Moussa Ka Jasaa u sakóor u géej gi, Dakar, P.U.D., 2006.

6 Professeur à l’Université de l’Etat de Michigan.

7 Cheikh Anta BABOU, Le Jihad de l’âme. Ahmadou Bamba et la fondation de la Mouridiyya au Sénégal (1853-1913), Paris, Editions Karthala, 2011, p. 5.

8 Bassirou DIENG, Société wolof et discours du pouvoir, Dakar, P.U.D., 2008, p. 128.

9 Demba Lamine Diouf est avec Bassirou Mbaye, les deux auteurs de L’épopée du Kajoor éditée par Bassirou Dieng.

10 Roi du Kajoor.

11 Dernier Dammeel du Kajoor.

12 Le premier empire Wolof.

13 Empereur du Jolof.

14 Le galag est une redevance annuelle que les Kajoriens donnaient au roi du Jolof.

15 Habitants du Kajoor.

16 Habitants du Jolof.

17 Bëkk-néek : sorte de ministre-adjoint qui s’occupait de l’intendance de la cour et servait de secrétaire au roi.

18 Kangam : les plus proches collaborateurs d’une autorité politique.

19 Dedd : fam. « Mimosacées », n.s : Acacia ataxacantha.

20 Jakk : « sorte d’épieu ou de javelot taillée dans une branche pour avoir une extrémité très pointue ».

21 Laman : « maître des terres ». Le laman administrait les terres données à des communautés. Il avait un droit usufruit sur les récoltes.

22 Dammeel vient du wolof damm : « rompre, briser ».

23 Bassirou Dieng, L’épopée du Kajoor, op. cit., p. 65.

24 Récit 2, p. 65.

25 Royaume au nord du Kajoor.

26 Pathé Diagne, « Contribution à l’analyse des régimes et systèmes politiques en Afrique de l’Ouest », dans Bulletin de l’IFAN, série B., t. XXXII, n°3, juillet 1970, p. 850.

27 Roi du Bawol.

28 Terme wolof pour dire « affronter sur le champ de bataille ».

29 Bassirou Dieng, Société wolof et Discours du pouvoir, op. cit., p. 96.

30 Deux lignées concurrentes dans la conquête du pouvoir.

31 Demi-frères des princes Gedj et aîné des Doroobe

32 Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927) est le fondateur de la confrérie mouride ou Murîdiyya, l’une des confréries religieuses musulmanes les plus représentatives au Sénégal.

33 C’est le titre en arabe de l’épopée de Cheikh Ahmadou Bamba de Moussa Ka (Bassirou DIENG, Diao FAYE, op. cit.)

34 Cheikh Amadou Kabir Mbaye, «  Jasaa u Sakkoor ou l’épopée de Cheikh Amadou Bamba : l’avènement d’un nouvel ordre social », dans Ethiopiques, n°88, 1er semestre 2012, p. 12.

35 Sur les bouleversements de la structure sociale au Sénégal par la colonisation, voir Mbaye Gueye, Les transformations des sociétés wolof et sereer : de l’ère de la conquête à la mise en place de l’administration coloniale, 1854-1920, thèse de doctorat d’État, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Faculté des Lettres, 1990, 3 tomes, 1003 p.  (dactyl.).

36 Boubacar Barry, « Discours d’orientation du comité scientifique », dans Islam, résistances et État en Afrique de l’Ouest XIXe & XXe siècle, Rabat, Institut des Etudes Africaines, Sér. Colloques et Séminaire 9, 2003. Actes du Symposium International de Dakar, 20-23 novembre 2000, p. 22.

37 Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Le cordon des joyaux précieux, trad. par Serigne Same Mbaye, Paris, Editions Culture Universelle, 2013, p.19. Rappelons que le bas-monde, dans la conception soufie, est l'un des quatre ennemis à combattre par l'aspirant qui cherche la conjonction spirituelle. Dans le même sens, le Prophète de l'islam a indiqué : « L'amour de ce monde est le fondement de tout grand péché. Qui veut échapper au péché doit s’éloigner des gens de ce monde » (Idem).

38 Savants, érudits.

39 Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Le cordon des joyaux précieux, op. cit., p. 20.

40 Saara : mis pour Saaraba, lieu rêvé des épicuriens, chanté comme un mythe des jouissances dans la contrée.

41 Waññlu : « joute oratoire, sur la place publique, au cours de laquelle on compte au rythme du tam-tam le nombre de fois qu’un terme est répété dans le Coran.

42 Lamb et sabar : « tambours sénégalais, instruments de percussion dont la combinaison produit un rythme agréable ».

43 Lambaay : capitale du royaume du Bawol. Un lieu qui symbolise les comportements ceddo (donc contraire à l’Islam)  ».

44 AL-Nawawî, Les quarante Hadiths, trad. par Hamza Lamine Yahiaoui, Beyrouth, Al Maktaba Al Assrya, 2007, p. 92. Dans la même optique, le prophète de l’islam a dit : « Qui croit en Dieu et au jour (du Jugement) Dernier doit tenir de bon propos sinon se taire. Qui croit en Dieu et au Jour Dernier doit traiter son voisin avec bonté. Qui croit en Dieu et au Jour Dernier doit traiter généreusement son hôte » (AL-Nawawî, op. cit. p. 48) ou encore : « Crains Dieu où que tu sois. Enchaîne, après la mauvaise action, par une bonne qui ainsi l’effacera. Et comporte-toi avec bonté envers les gens. » (Ibid., p. 54).

45 Ibid., p.98. Dans ce cadre, le prophète Muhammad a déclaré aussi : « Aucun d’entre vous n’atteindra (la perfection de) la foi que s’il aime pour son frère ce qu’il aime pour sa propre personne. » (Ibid., p.44). Et Cheikh Ahmadou Bamba, quant à lui, rappelle la conduite à tenir vis-à-vis des autres personnes : « Il ne faut pas leur garder rancune lorsqu’ils se montrent injustes, lorsqu’ils te refusent un service ou une faveur ou lorsqu’ils te font du mal. […]

46 « La sécheresse du cœur est la maladie de celui qui se lance éperdument dans la vie mondaine, dominé par les plaisirs et la passion, formulant les projets les plus lointains comme s’il devait vivre éternellement. » (Serigne Sam Mbaye, introduction à Cheikh Ahmadou Bamba Mbacke, Massalik Al-jinan, trad. de l’arabe par Serigne Same Mbaye, Dar El Kitab, 1984, p. 19.

47 AL-Nawawî, op. cit., p.108. Dans le même sens de la conduite à tenir dans cette vie, le fondateur de la Murîdiyya conseille :

48 Mbaye Gueye, « Les exils de Cheikh Bamba au Gabon et en Mauritanie (1895-1907) », dans Annale de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, n°25, p.47.

49 Voir Serigne Same Mbaye, Traduction et commentaire de Maslik Al Jinan (Itinéraires des paradis), op. cit. p.114, v.889 ; Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Le cordon des joyaux précieux, op. cit., p.28.

50 ar. ‘ibâd, pl. de ‘abd : il s’agit spécialement des humains et des djinns.

51 AL-Nawawî, op. cit., p. 68.

52 Ibid., p. 96

53 Sur les trois types de Cheikh, Voir Cheikh El-Hadj Omar Tall, Les Rimâh, Extraits traduits par Maurice Puech, Paris, Albouraq, 2017, p. 131 ; Pape Sall, Les grandes conférences de Serigne Sam Mbaye, (s.l.), chez l’auteur (s.d.), tome 2, p. 27.

54 La loi islamique dans son aspect général et exotérique.

55 Coran, S. 16, V.95.

56 Ibid., S.11, v.113.

57 « L’internement était une mesure d’ordre administratif et politique différent des sanctions judiciaires […] L’internement était donc un procédé de terreur. C’était une arme terrible qui ne reposait sur aucun principe juridique. Il autorisait la répression de tous les faits qui tombaient ou non sous le coup d’un texte […] Les victimes de l’internement étaient déportés dans des lieux spéciaux qui ne dépendaient ni de l’administration pénitentiaire, ni de l’administration militaire.

Pour citer ce document

Cheikh Amadou Kabir Mbaye, « La transgression dans l’épopée wolof », dans La Transgression dans l'épopée : Actes du VIIIe Congrès international du REARE, sous la direction de Hubert Heckmann, Publications numériques du REARE, 10 juin 2024 Licence Creative Commons

URL : http://publis-shs.univ-rouen.fr/reare/index.php?id=645

Quelques mots à propos de :  Cheikh Amadou Kabir Mbaye

Cheikh Amadou Kabir Mbaye, enseignant en Littérature africaine orale à la F.A.S.T.E.F. (Ancienne École Normale Supérieure) et au Département de Lettres Modernes de l’Université de Dakar. En lien avec les actes du colloque, j’ai publié : « L’épopée de Biram Kodou Ndoumbé : entre séduction et violence » (2017), « Le compagnonnage dans la littérature wolof mouride, une nouvelle perspective dans la quête. » (2010) et « Le marsiyya1

Le Marsiyya est une élégie dédiée aux saints musulmans.

 » (2011).